[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 juillet 1790.] 437 M. milanois. Sans doute, vous jugerez à propos de renvoyer ces pièces au comité des recherches, et de charger M. le président de témoigner la satisfaction de V Assemblée à la municipalité, à la garde nationale, au régiment de Sonnem-berg, à la compagnie du guet et aux arquebusiers. (L’Assemblée décrète cette proposition.) M. Voidel. Je demande l’envoi au comité des recherches de l’interrogatoire des personnes arrêtées. (L’Assemblée décrète cet envoi.) M. Chasset, an nom du comité ecclésiastique. Le comité ecclésiastique a reçu un paquet du directoire du district de Strasbourg , contenant plusieurs pièces relatives à la conduite de M. le cardinal de Rohan. Je vais en faire la lecture. La première de ces lettres est adressée par le directoire du district de Strasbourg au comité ecclésiastique. — 26 juillet. Le directoire du district a l'honneur d’instruire le comité ecclésiastique de l’Assemblée nationale, qu’aussitôt après avoir reçu le dernier décret, il l’a fait passer aux municipalités; que, sur la lettre du maire de Strasbourg, par laquelle il demandait s’il pouvait permettre de transporter en pays étranger les meubles de M. le cardinal de Rohan, nous avons répondu que les meublesde l’évêché de Strasbourg et du grand chapitre de cette ville appartenaient à la nation, et que la municipalité devait s’opposer à leur extraction, tant de la maison épiscopale que des maisons de plaisance de M. le cardinal de Rohan; la municipalité a pris des mesures en conséquence ; les bâtiments ontélé construits, et les meubles ont été achetés aux dépens d’une Sartiedes diocésains : ils sont d’une nature mixte. ous demandons une décision à ce sujet; nous désirons en même temps que l’Assemblée nationale décide si M. l’évêque de Strasbourg doit être considéré comme évêque français ou comme évêque étranger. (On fait lecture de plusieurs autres pièces.) M. Chasset. Il s’est présenté trois questions à votre comité : 1° Faut-il ordonner un inventaire du mobilier de l’évêché et du grand chapitre de Strasbourg? 2® Tolérera-t-on l’enlèvement des meublesde M. l’évêque de Strasbourg, et leur transport en pays étranger? 3° Quel est le caractère de M. l’évêque de Strasbourg? Doit-il être considéré comme bénéficier français, ayant des biens en France? La troisième question est susceptible de beaucoup d’étendue; le comité pense qu’elle doit être ajournée; quant à la première, le chapitre ne fait pas d’enlèvement; mais pour l’inventaire, l’évêque et le chapitre se confondent, tous les biens qui en dépendent sont nationaux. La véritable question est de savoir s’il y a une distinction à faire entre la partie française et la partie étrangère. Le comité a pensé que l’inventaire est un acte conservatoire qui ne nuit à personne et qui conserve les droits de tous; quant aux effets qui appartiennent personnellement à M. le cardinal de Rohan, on les distinguera, s’il est possible, et on restituera ceux qui seront revendi iués. Votre comité n’a pu s’empêcher de concevoir des alarmes sur la conduite deM.de Rohan dans cet enlèvement, et sur les bruits qui se répandent à son égard. Le 19 avril, il vous demande un congé, sa santé en est la cause; il garde le silence sur la durée de son absence. Je ne crois pas qu’il y ait d’absence d’un congé illimité ; sur la cause de ce congé il se présente une réflexion naturelle; le bruit court qu’il est actuellement en Allemagne, à la Diète; donc ce n’est pas sa santé qui le retient; donc la cause de son absence n’existe plus; donc il doit être à son poste: l’Assemblée doit le rappeler; il déduira ses motifs, on les jugera ; on ne peut l’excuser en disant qu’il remplit des fonctions à la Diète; on ne peut pas remplir en même temps des fonctions politiques dans deux empires différents. J’oubliais d’observer qu’il a exercé en France un emploi qui le rend comptable, et qu’il est impossible de le laisser emporter en pays étranger sa fortune. M. Chasset fait lecture d’un projet, dans lequel le comité propose d’ordonner l’inventaire des meubles de l'évêché de Strasbourg, en défend la distraction, et mande M. le cardinal deRohan, pour rendre compte de sa conduite. M. l’abbé Maiiry. Le projet de décret qu’on vous propose, présente deux dispositions principales : la première, l’inventaire des meubles de l’évêché; la seconde, d’ordonner à M. le cardinal de Rohan de venir rendre compte de l’enlèvement de ses meubles. Lorsqu’on dit qu’un inventaire est un acte conservatoire, si l’on veut parler des moyens de sûreté pour les créanciers ou pour des héritiers, j’en conviens ; mais quand il s’agit de l’inventaire d’un homme vivant, ce n’est pas un acte conservatoire, mais vexatoire. On ne peut pas assimiler les meubles d’un bénéficier aux meubles d’un monastère. Le mobilier de M. l’évêque de Strasbourg lui appartient en propre, et je ne crois pas qu’ou ait pu vous proposer sérieusement de vous l’approprier. On ne ferait pas cette proposition au dernier des tribunaux. On parle de la revendication; mais vous n’avez pas sans doute adopté cette maxime des anciens employés de la ferme : ce qui est bon à prendre est bon à rendre ; le comité a confondu le mobilier du chapitre avec celui d’un bénéficier qui occupe une maison dont la nation lui a assuré la possession. Vous avez observé l’étrange raisonnement qu’on vous a fait, qu’il était de l’intérêt des diocésains de connaître l’état des meubles de ce prélat; parce qu’ils ont contribué à leur acquisition. Prétendez-vous exercer ce retrait ? Alors les meubles de tous les bénéficiers vous appartiennent, car ils ne les ont achetés qu’avec l’argent qu’ils reçoivent comme prix de leurs fonctions. Je sais qu’avant la réunion de l’Alsace à la France, les diocésains de Strasbourg payaient à leur prince une contribution particulière ; mais ils ont été depuis affranchis de ce droit. M. le cardinal de Rohan a une partie de son diocèse en France, ei l’autre partie au delà du Rhin ; c’est vouloir le forcer à meubler toutes ses maisons, que de s’opposer au transport de ses meubles d’une maison dans une autre. {Il s'élève des murmure* ) M. i’abbé d’Eymar. J’ai été témoin que, quand M. le cardinal de Rohan allait passer quelque temps au delà du Rhin, il emportait avec lui une partie de son mobilier et de sa vaisselle, qu’il faisait revenir lorsqu’il revenait en deçà. M. l’abbé Maury. Il est indigne de l’Assemblée nationale d’assujettir ce prélat à uu inventaire. Comme prince de l’Empire, il nous est impossible, lorsqu'il y passe, de le priver de la jouissance de sou mobilier, de son palais épiscopal de Strasbourg. O11 yous propose de le mander 438 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 Juillet 1790.] pour rendre compte de l’enlèvement de ses meubles (On observe que c'est à son poste qu'on le rappelle ); il est vrai qu’il a eu tort, très gFand tort de ne pas savoir l’époque de sa guérison; il aurait bien dû en prévenir l’Assemblée. Je vous observerai qu’il est de principe qu’on ne peut obliger un membre à venir» pendre compte de sa conduite que lorsqu’elle présente l’apparence du reproche. Qu’y a-t-il de ténébreux dans ses démarches? N’est-il pas piince de l’Empire, et, en cette qualité, n’a-t-il pas le droit d’assister à la Diète? La France elle-même a maintenu cette prérogative, parce qu’elle y trouvait un grand intérêt. La Diète se tient à Ratisbonne, et M. le cardinal de Rohan est à une lieue de Strasbourg, au delà du Rhin. Certainement s’il veut opter entre son retour à l’Assemblée et son séjour dans son diocèse, il en est bien le maître; pourquoi s’en inquiéter ? 11 est au Milieu de son troupeau. On ne doit pas se prévaloir des bruits publies, qu’il est facile die faire naître et d’exagérer, lorsqu’on veut être des tyrans. Son silence même prouve qu’il est sans reproche. Le comité vous propose, je ne dirai pas un acte de rigueur, mais de malveillance : elle perce à chaque mot de son rapport, et tout honnête homme a dû en être offensé. Ce n’est pas là le caractère d’impartialité qu’il aurait dû suivie, en vous présentante conduite du cardinal de Rohan. Elle ne présente pas même le commencement d’un corps de délit ; il s’est disposé à transporter ses meubles, la municipalité s’y est opposée, et on ne les a point emportés. Si vous avez des raisons particulières pour le rappeler, alors je necombattrai pointvotre vœu ; mais je m’oppoge à un acte qui n’a aucun caractère de justice. M. Itewbell. Le' discours de M. l’abbé Maury prouve qu’il n’a pas fait attention au décret, et qu’il était absent des dernières séances ; il n’a pas entendu la lecture de la pièce sur laquelle l’Assemblée est consultée de ta part du directoire de Strasbourg, pour savoir si M. le cardinal de Rohan peut enlever les meubles de l’évêché. La nation française n’a pas seule des droits sur ces meubles, parce que les habitants au delà du Rhin ont aussi contribué à leur acquisition. J’entends dire qu’il n’y a pas de meubles qui n’appartiennent à ce prélat. J’ai dans mes cahiers la preuve du contraire, puisque je suis chargé de solliciter l’abolition d’un droit, dont le produit est spécialement consacré à cette acquisition. — - Ce n’est pas moi qui parle des bruits répandus contre lui, c’est la ministre des affaires étrangères, qui dit aux membres du comité des recherches qu’il le croyait opposé à la Révolution. Il a demandé un congé pour cause de sa santé; il sait très bien qu’aux termes de vos décrets le temps est absolument limité; et qu’il doit revenir à son poste, dès qu’il est expiré. M. l’abbé d’Eymar. Le préopinant se serait épargné beaucoup de peine et à l’Assemblée beaucoup d’ennui, s’il avait dit la vérité. Il est faux que l’on ait imposé les habitants de ce diocèse pour l’acquisition des meubles de M. le cardinal. Autrefois on a levé un impôt pour la construction et la reconstruction des bâtiments; mais il n’a pas suffi, et il a fallu faire un emprunt dont chaque évêque paye une partie; comme c’était le grand chapitre qui autorisait cet emprunt, il a décidé qu’au moyen d’une somme de 160,000 livres, l'évêque deviendrait propriétaire de ces meubles ; de manière que si M. de Rohan voulait donner 160,000 livres les meubles lui appartiendraient. (On demande à aller qux voix.) M. Ee Déist de Boiidoux. Dès lors que l’on convient que les meubles ne sout pas payés, nous n’en demandons pas davantage/ M. l’abbé d’Eyinar. A-t-on articulé un seul fait contre M. le cardinal de Rohan, excepté le mot de M. de Montmorin, qui a assuré que lui et l’évêque de Spire intriguaient dans l’Empire? Lorsqu’on a dit aussi qu’il avait à ses ordres des envoyés, si c’est de M. de Montmorin qu’on tient ce propos, c’est une preuve d’ignorance qu’il a donnée, après en avoir administré une de légèreté. Tout le monde sait que le prince-évêque de Strasbourg doit avoir des agents, l’un à Vienne et l’autre à Ratisbonne. Avez-vous rendu un décret qui le prive de cette prérogative? Vous le mandez pour rendre compte de sa conduite; il n’a fait que ce qu’il a pu faire ; il y a une forte insurrection dans son diocèse, et sa présence y est encore nécessaire. (La partie gauche applaudit.) Je résume mon opinion, en demandant que la cause de l’évêque de Strasbourg soit réunie à celle des princes étrangers, que vous avez ajournée par votre décret du 22 septembre. (La discussion est fermée.) M. Chasset fait une nouvelle lecture du projet de décret. M. de Cazalès. Il est extraordinaire que le comité ecclésiastique contondant, sans aucune mission, des objets étrangers, vienne vous proposer de mander M. le cardinal de Rohan pour rendre compte de sa conduite; je ne connais pas de pays où Ton puisse rapporter dans une tribune une conversation particulière. Je demande donc la question préalable sur cette partie du décret. La question préalable est rejetée, et le décret adopté en ces termes : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport du comité écclésiastique, sur les lettres écrites le 26 de ce mois par le directoire du district de Strasbourg à l’Assemblée nationale et au comité ecclésiastique, décrète ce qui suit: « 11 sera incessamment procédé, par Je directoire du district de Strasbourg ou par la municipalité qu’il a commise, conformément à l’article 12 du décret des 14 et 20 avril dernier, à l’inventaire des meubles et effets, titres et papiers de l’évêché et du grand chapitre de ladite ville. « Avant la confection de l’inventaire, il ne pourra être enlevé ni distrait aucun des meubles qui sont actuellement dans la maison épiscopale et dans celles qui dépendent de l’évêché. « Décrète, en outre, que M . le cardinal de Rohan viendra, dans le délai de quinzaine, reprendre sa place dans l’Assemblée nationale, et y rendre compte de sa conduite, s’il y a lieu. » (La séance est levée vers trois heures.)