Assemblée nationale.] 253 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1790.] assignats, rais dans la circulation, peuvent être convertis en billets d’Etat et de confiance ; 2° Que les créanciers de la dette publique exigibles peuvent être constitués pour former entre eux une commission ; 3° Que cette commission pourra travailler avec un comité ad hoc, pris dans le sein de l’Assemblée nationale, à l’effet de se faire adjuger, comme chargés de procuration spéciale, une masse des biens terriloriaux égale à celle de la dette exigible ; 4° Les directoires des départements où les biens nationaux se trouveront placés, ainsi que la commission des créanciers de l’Etat, nommeront des experts pour estimer la valeur desdits biens qui seront livrés à la commission, suivant et conformément au tarif de leur estimation. Je dois vous ajouter, Messieurs, que je ne fais ici que vous indiquer cette mesure sans prétendre vous la proposer ; car je vous préviens que, quand vous l’adopteriez, comme elle a pour base la spoliation territoriale du clergé, aussi bien que celle de l’usufruit des titulaires, je serais forcé d’opiner contre ; car l’une et l'autre ont toujours été et seront toujours contre tous mes principes et contre tous les sentiments de mon cœur. Mais j’ai cru qu’au milieu des maux qui nous entourent, il était permis de vous indiquer le moindre, et c’est le seul motif qui m’a déterminé. Encore une réflexion, Messieurs, et c’est la dernière : c’est que, quelque parti que vous preniez, il n’en est poiutsans le rétablissement de l’ordre public, sans la restauration de l’autorité et de la dignité royale. Les calamités présentes sont certainement l’effet de nos passions ou de nos principes, ce sont donc nos passions ou nos principes qu’il faut d’abord réformer. M. Duval d’Eüprémesnîl. L’impression du discours. Voix nombreuses : Non ! non ! (La séance est levée à 3 heures.) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE, DU 26 SEPTEMBRE 1790. Nota. Nous insérons ci-dessous un document qui sert en quelque sorte de complément à l’opinion de M. de Montlosier sur les assignats. — Ce document a été imprimé et distribué à tous les membres de l’Assemblée nationale. Observations sur les Assignats, par M. de llont-losier, député d’Auvergne. Iniquitas mentita est sibi. Elle est donc déjà tombée dans l’opinion cette grande, cette sublime opération à laquelle vous aviez attaché toutes vos espérances (1) ! Elle est (1) Dans le premier moment d’effervescence, les billets de la caisse d’escompte, représentatifs des assignats, étaient à 2 0/0 de perte. Aujourd’hui, il en coûte 5 0/0 pour se procurer des écus. Les réclamations de Ïilusieurs provinces, la totalité de l’émission future et a cessation de l’impulsion d’engouement donnée par les agioteurs annoncent encore une baisse considérable. tombée; il ne vous restera plus que la honte d’avoir aggravé nos malheurs, et à nous l’insuffisante consolation de vous les avoir prédits. Ce n’était donc rien que la fortune de tous les citoyens français; puisque vous ne craigniez pas d’èn faire l'abandon à de vils agioteurs ; puisque vous ne craigniez pas de leur immoler en même temps tous les principes de l’honneur et de la justice, et jusqu’aux lois éternelles de la propriété! Mais vous avez trouvé bien plus doux de céder à de petites affections pour de misérables usuriers, ou à de petites haines contre des prêtres. Vous avez trouvé bien plus doux de consommer une œuvre prônée avec tant de complaisance et annoncée avec tant d’éclat. Depuis longtemps elles étaient désignées vos victimes ; vous avez voulu les atteindre à tout prix, et vous n’avez pas craint de percer tout un peuple pour arriver jusqu’à elles. Voyez-le donc actuellement, ce peuple, se débattre au milieu des maux que vous avez faits. Entendez ce cri unanime qui a rompu tout à coup le silence que vous aviez imposé et qui demande où sont les pères de la patrie ! C’était bien la peine de tourmenter avec si peu de générosité des frères, des concitoyens, des amis ; c’était bien la peine de mettre tant d’art à appeler sur eux l’opprobre, la persécution, l’indigence ! Et voilà comme l’iniquité s’aveugle et se trompe elle-même. De tant de maux que vous avez faits jusqu’à présent, vous n’en avez encore retiré aucun fruit. Vous avez semé partout la désolation et les larmes; et ces larmes même ont frappé de stérilité la terre qu’elles ont arrosée. Tant d’exemples seront-ils toujours inutiles à votre instruction ? Il faut croire que vous prendrez enfin le parti de sonder sérieusement l’étendue de nos maux ; ils sopt grands, mais ils ne sont peut-être pas encore sans remède, et du moins nous voulons conserver jusqu’à la dernière extrémité l’espérance d’un roi et de la liberté. Je jetterai d’abord, si vous le trouvez bon, un coup d’œil rapide sur l’opération des assignats en elle-même ; j’en montrerai tous les vices; j’examinerai ensuite la position actuelle des finances, mais avant de calculer vos ressources, j’espère vousmontrer qu’elles sont nulies sans la confiance; et peut-être aurai-je l'honneur de vous convaincre que ce n’est pas en agaçant, comme vous avez fait, tous les intérêts et toutes les haines qu’on peut venir à bout d’établir cette quiétude politique sans laquelle il ne saurait y avoir ni confiance, ni crédit, ni Constitution, ni prospérité. Lorsqu’un Etat est endetté et qu’il veut payer ses dettes, il n’a qu’un seul parti à prendre, c’est d’augmenter sa recette ou de diminuer sa dépense ; et encore mieux de faire l’un et l’autre. Car ce sont toujours les impôts d’une nation qui sont le premier gage de ses créanciers. En France, tant que les impôts ont été au niveau des engagements publics, la confiance s’est soutenue. Du moment que les impôts ont paru au-dessous, la confiance a baissé; bientôt l’opinion publique s’est montrée d’une manière menaçante, et il a fallu bien vite s’environner de moyens extraordinaires pour la calmer. Malheureusement ces moyens extraordinaires n’ont su se tourner que contre leur propre destination. Au lieu de commencer à raffermir le gouvernement et l’impôt, ces deux bases de tout crédit, leur premier mouvement a été de les détruire. Des hommes appelés à montrer de la sagesse n’ont voulu faire ostentation que de leur force ; il a fallu que cette force se mesurât à tout et c’est au milieu des in- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1790.] cencljes et des ruines qu’ils ont prétendu fixer lu confiapce épouvantée. Irrités alors, plutôt qu’instruits par leurs revers, ils ont porté leurs regards sur l’opulence d’une classe d’hommes si longtemps respectée ; on s’est concerté de toutes parts pour soulever l’opinion publique contre eux, et l’on n’a pas craint d’imiter à leur égard l’injustice de ces temps barbares envers une peuplade malheureuse à laquelle on ne manquait pas de supposer des crimes dans les calamités publiques, pour se donner un prétexte de les dépouiller. Enfin, après bien des sophismes et des jeux de dialectique établis pour la forme, l’Assemblée nationale, juge et� partie, a déclaré que tous les biens de l’Eglise étaient à sa disposition : principe qu’on a d’abord voulu laisser reposer quelques moments pour pouvoir plus à son aise en tirer des conséquences, mais qu’on a repris bientôt avec plus d’ardeur pour en faire sortir la superbe opération des assignats. Ici je veux bien admettre pour un moment le principe pour n’examiner que les conséquences. Et d’abord quand il serait vrai de dire que les biens du clergé sont à la disposition de la nation, je crois qu’il ne s’ensuivrait pas pour cela que ces biens lui appartiennent, et qu’elle peut les détourner de leur véritable destination pour les employer à son profit. On dit aussi que les matériaux d’un édifice sont à la disposition d’un architecte; que les revenus d’un pupille sont à la disposition de son tuteur ; certains emplois d’un Etat à la disposition du ministre; on ne veut pas dire pour cela que l’architecte, le tuteur ou le ministre aient le droit de détourner à leur profit, ou pour des objets étrangers, tout ce qui est à leur disposition. Mais en supposant encore que les biens du clergé appartiennent à la nation, qu’en résultera-t-il? Je soutiens, moi, qû’en vertu de ce principe même, elle ne peut ni les aliéner ni s’en servir pour acquitter la dette publique. Eu effet, que direz-vous d’une communauté qui , pour payer ses impôts, voudrait vendre une partie de ses propriétés, telle, par exemple, que 1a forêt qui sert à l’usage et au chauffage commun ? Vous verriez dans cette entreprise une injustice distributive, une atteinte manifeste portée au droit du pauvre en faveur du riche. Si les Jneps du clergé appartiennent à la nation, il est évident qu’ils forment de même une propriété indivise à laquelle tous les individus ont un droit égal, et sur laquelle le riche n’a pas plus de prétentions à exercer que le pauvre ; or, en ordonnant l’aliénation de ces biens pour la dette publique, il eu résulte que le pauvre fournit pour cette dette un contingent égal au riche; que le pauvre, qui ne doit rien parce qu’il n’a rien, paye autant que le riche, qui doit beaucoup parce qu’il a beaucoup. En un mot, c’est la propriété et la subsistance du pauvre que vous vendez à la décharge du riche qui doit pour payer le riche à qui il est dû. Que l’on rassemble tous lespauv/es du royaume, qu’on leur étale leurs droits avec vos principes, qu’ils se soulèvent ensuite; vos décrets à la main, qu’aurez-vous à leur dire ? D’un autre côté les biens du clergé appartiennent, dites-vous, à la nation, et c’est par cette raison que vous voulez les vendre ; moi je dis que c’est par cette raison que vous ne le pouvez pas! Car si en principe ces biens appartiennent à la nation, c’est donc parla nation môme que les détenteurs actuels de ces biens en sont investis. Confondez tant qu’il vous plaira le domaine avec l’Empire , il n’en est que plus certain que vous ne pouvez pas dépouiller les détenteurs actuels, s’il est vrai qu’ils tirent tout à la fois leurs droits et de l’Empire delà nation et de son domaine. Dites dope, après cela, que ces biens sont à la disposition de la nation de 1790 qui ait pu légitimement ôter ce que la nation de 1789 avait pu légitimement donner. Voilà les notions les plus simples du bon sens ; voilà le résultat des lumières naturelles de la raison. Si ce guide ne vous suffisait pas, U en existait, ce me semble, un gutre encore plus sûr, qui devait vous entraîner. Cet instinct de l’honnêteté, ce cri du sentiment, comment ne vous a-t-il pas attaché à la cause de ceux qui, confiant dans la justice et dans la loi, ont abandonné par générosité leur fortune personnelle à des parents pauvres, à des frères, à des amis; comment ne vous a-t-il pas intéressé à ceux que les frais indispensables de leurs établissements ont forcé à des avances considérables, à ceux qui, souvent, ont amélioré ces établissements, les ont embellis, enrichis aux dépens de leurs jouissances propres, souvent de leur patrimione ? Ces maisons qu’ils ont bâties, ces jardins, ces champs, si longtemps ornés ou cultivés de leurs mains, il faudra qu’ils les voient passer à de vils usuriers, à des banquiers, à des gens du fisc. Et ces hommes dans la décrépitude de l’âge, ces respectables vieillards, il faudra qu’ils se sentent mourir avant de quitter ta vie, il faudra qu’ils renoncent pour jamais à des habitudes douces qui ont fait toute leur existence et toutes leurs délices. Les barbares qui, à diverses reprises, se sont emparés du plus grand empire de l’Asie, en respectèrent les usages et les mœurs; et vous!... oui, quelque nation de l’Europe que ce fût qui eût conquis la France, elle aurait épargné ce que vous avez détruit, elle aurait respecté ce que vous avez violé, et il eût été plus doux pour une grande partie de vos frères de tomber dans les mains de leurs ennemis que dans les vôtres. Vous sentez bien à présent que je ne m’arrêterai pas longtemps sur l’hypothèque des créanciers du clergé, hypothèque qui devait du moins vous paraître sacrée ; car enfin ceux-là n’avaient pas commis le crime d’être prêtre; or, puisque toutes les lois, toutes les institutions de la terre étaient convenues de ce principe que t'hypothèque fait essentiellement partie de la propriété, de quel droit avez-vous cru pouvoir détruire ce que la justice de toutes les nations avait consacré? Quel était donc le tort de ces honnêtes propriétaires des provinces, de ces hommes si respectables qui, sur la foi des lois, étaient venus placer le produit de leur économie, de leurs travaux, de leur industrie, non pas à un intérêt souvent usuraire comme une partie des créanciers publics, mais au taux le plus faible, le plus modéré ; par quel crime de leur part prétendez-vous aujourd’hui leur ôter une hypothèque qu’ils ont achetée par des sacrifices? par quel crime de leur part, ces véritables bienfaiteurs de fa patrie vont-ils se trouver les derniers dans le remboursement des créances de l’Etat, tandis que les hommes avides, tandis que ceux qui se sont enrichis de la ruine publique, sont ceux que vos spéculations ont embrassés les premiers? C’est que, dans toutes vos opérations fiscales, insensibles aux principes de l’équité, vous n’avez jamais été touchés que de ce qui vous a paru profitable, vous avez pesé vos intérêts, vous avez mesuré vos forces, jamais la justice. Encore si, courbés sous le faix des événements comme Atlas sous le poids du monde, ou voyait que vous ne faites que céder à l’empire irrésistible de la nécessité, et que vous donnez du moins des larmes aux [Assemblée natioaale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1790.] 285 malheurs que cette nécessité vous commande, l’Europe, attentive à tous vos mouvements, pourrait compâtir à votre sort et honorer du moins vos intentions et votre bienveillance; mais accumuler par plaisir des maux inutiles, dévêtir vos semblables et insulter ensuite à leur nudité, affecter un air sardonique et je ne sais quel sentiment de complaisance au milieu des émanations homicides de votre puissance, quel effet attendez-vous dans l’estime des hommes d’un système de conduite aussi bizarre et aussi dénaturée? Des conséquences que vous avez tirées passons actuellement au principe même. Les biens du clergé, dites-vous, sont à la disposition de la nation ; je veux le croire, mais dans quel sens? Ges biens, comme vous ne pouvez l’ignorer, ont été donnés à divers établissements dont l’existence, subordonnée au consentement de la nation, ne peut se conserver sans elle. Aussi dès que la nation retirera son consentement, il faudra bien que l’établissement s’anéantisse, et que les biens de cet établissement, se trouvant sans maître, soient dès ce moment à la disposition de la nation, ne fût-ce que par droit d’épave ou de déshérence. Mais alors en doit-elle disposer pour épargner aux propriétaires des impôts qui sont à leur charge, ou doit-elle les employer à des institutions en faveur des pauvres, à des objets analogues aux premières intentions des donateurs? Je veux bien ne pas entrer dans cette question; cependant je ne pourrai m’empêcherde remarquer, comme une inconséquence de votre part, de ne pas détruire certains de ces établissements, et de vous emparer de leurs biens, délaisser subsister, par exemple, une partie des évêques et des évêchés, et de vous saisir de leur patrimoine. Gomment, des titulaires que vous conservez et que vous dépossédez! des hommes vivants auxquels vous succédez! et vous appelez cela une révolution! Àh, je le crois! c’en est une très grande, surtout dans les principes de délicatesse et d’équité (1). Ç’est ainsi qu’escortés de sophismes et d’illusions de toute espèce, vous avez marché vers le terme de vos espérances; et malheureusement encore vous avez manqué votre but. Quatre cents millions de papier-monnaie, et de papier monnaie portant intérêt! L’exposé seul de cette opération présente des idées inconciliables. Si ce papier avait une base solide, pourquoi en faire du papier-monnaie? s’il n’avait point de base, ou s’il en avait une mauvaise, pourquoi opérer la ruine de toutes les créances particulières en faveur de la créance publique? Etait-il bien nécessaire de parer le coup qui menaçait les courtiers du fisc pour le diriger sur les propriétaires seuls des provinces, et de vous emparer tout de suite de l’honneur de mille banqueroutes frauduleuses pour vous éviter le malheur de mille banqueroutes frauduleuses pour vous éviter le malheur d’une banqueroute forcée? N’était-ce pas dans tous les sens la plus odieuse, Ja plus détestable de toutes les opérations financières ? Le papier-monnaie portant intérêt! Comment deux monnaies en France; une qui porte intérêt; et l’autre qui n’en porte pas ! N’est-il pas évident (1) Grands exemples de justice et de morale que vous offrez sans cesse à une nation renaissante, ou plutôt terrible leçon que vous donnez à tout le reste de l’Europe. Quelle révolution que celle qui, depuis dix mois, ne marche accompagnée que de brigandages et de forfaits ! O sainte liberté, passion des grandes âmes, désir, amour, espérance de tous les peuples! Oh! comme vous étés coupables de l’avoir ainsi diffamée ! qu’à conliance égale l'une devrait nécessairement anéantir l’autre? Mais quel a donc été votre but! Vous vouliez, disiez-vous, augmenter le numéraire; et vous créez les appâts d’un intérêt assez fort pour en arrêter la circulation, vous décrétez une prime contre cette circulation. D’un autre côté, avez-vous songé qu’en augmentant la quantité du numéraire, vous faisiez, par là même, hausser le prix des deniers; et aviez-vous bien calculé l’intluenee que cette augmentation subite aurait sur le salaire des ouvriers, sur le commerce et sur les manufactures ? Des assignats sur les biens du clergé! Mais vous deviez vous apercevoir que c’était une opération déjà manquée, et que vous ne faisiez que renouveler avec moins d’avantage... Car les premiers offraient 5 0/0 d’intérêt, et ceux-cin’en portent que trois; or, les premiers étaieat libres avec un gros intérêt et personne n’en voulait; ceux-ci seront forcés avec un modique intérêt, et tout le monde courra après. — Oui ; mais le clergé alors n’était pas entièrement exproprié. — Dites plutôt que c’est vous-mêmes qui l’êtes; car s’il est démontré que l’administration de vos 48,000 municipalités et de vos 300 districts ne vous rendra jamais la dixième partie des salaires que vous avez fixés, s’il est démontré que vos nouvelles administrations, substituées tout à coup à l’ancienne, seraient encore une opération vicieuse, à ne supposer que de l’incurie, et sans compter même le gaspillage et les déprédations inévitables dans des gestions de cette espèce, quel effet pouvez-vous attendre d’une expropriation qui, au lieu de vous enrichir, vous a évidemment appauvris? car c’est là, n’eu doutez pas, la règle invariable du crédit; et vous deviez bien vous attendre qu’avant de s’appuyer sur cette base, elle serait scrupuleusement sondée. Qu’est-ce donc que cette expropriation que vous prônez! cette expropriation inutile, cet acte d’une éminente injustice, qui a relâché tous ies liens de la propriété I Et c’est cet acte scandaleux qui vous a paru plus attrayant pour la confiance que l’offre qui vous était si loyalement et si généreusement faite. Quatre cents millions de papier-monnaie! Lorsque vous avez en dettes, actuellement exigibles, plus d’un milliard à acquitter, qu’avez-vous attendu d’une opération aussi partielle? comment n’avez-vous pas vu que tant qu’il restera un gouffre immense qui ne sera pas rempli, l’imagination s’effrayera sans cesse de cegouffre, et que la confiance se gardera bien d’aller se placer sur ses bords? Gomment n’avez-vous pas vu que les milliards qui vous restent à acquitter repoussaient sans cesse le crédit pour les 400 millions que vous vouliez créer? Gomment n’avez-vous pas appris, par votre propre expérience, que c’est en croquant toutes vos opérations de finance que vous les avez toujours manquées? On vous voit comme des enfants dans les ténèbres, qui tournent sans cesse autour du but sans pouvoir l’atteindre, ou qui le dépassent sans le connaître; et vous voulez que Ja confiance publique se compose de votre propre timidité ; et c’est votre ignorance que vous nous donnez pour flambeau. Enfin j’ai dit qu’une des grandes injustices de cette operation, c’est que vous faisiez retornber sur les propriétaires toutes les pertes dont vous vouliez préserver les hommes de finance. Gela n’est pas difficile à expliquer. Vous avez vu qu’un agent du fisc a reçu le capital de sa créance en papier-monnaie. Il en aura acquitté, dès ce moment, toutes ses dettes, si cela lui a fait plaisir. Je dis, si cela Jui a fait plaisir, car ici toutes les 256 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1790.] chances sont en sa faveur contre son créancier. Si le papier est en hausse, si, pour 1,000 livres ds papier, il peut acheter pour 1,200 livres d’écus, il est clair qu’il payera alors en écus plutôt qu’en papier. Si le papier, au contraire, s’avilit, s’il s’avilit même au point de s’anéantir, non seulement il a pu s’acquitter au pair avec son papier, mais même si le capital qu’il a reçu en papier ne lui suffit pas avec une petite somme en écus, il achètera sur la place une forte somme en papier, avec laquelle il éteindra toutes ses dettes, et ruinera tous ses créanciers. Au moment où vous avez rendu votre décret, vous avez pensé aux créanciers du fisc; mais vous n’avez sûrement pas pensé à la position cruelle de tous les créanciers du royaume; de tous les propriétaires qui ont consenti des baux à ferme; de tous ceux qui ont fait des ventes de fonds, ou de grandes avances en argent ou en marchandises. Vous n’avez pas pensé au coup terrible que vous alliez porter à la bonne foi et aux mœurs ; aux désordres que vous alliez introduire dans tous les marchés, dans toutes les forlunes. Cette opération vous a été conseillée; mais par qui? par des spéculateurs en état de faillite, des capitalistes obérés, ou peut-être encore par d’infâmes agioteurs, espèce d’hommes toujours attirés par l’odeur de la ruine publique. Ainsi vous voyez que votre papier perdant circulera nécessairement de créance en créance, jusqu’à la dernière, et que ce n’est qu’à ce point d’arrêt qu’il pourra servir à acheter des biens du clergé; car si le dernier créancier, porteur de ce papier, ne trouve pas le moyen de le faire passer aux impositions publiques, il faudra bien qu’il prenne ce parti; mais alors il est évident qu’il supportera en perte toute la différence qui se trouvera entre la valeur nominative de son papier et sa valeur réelle; car, si un bien, par exemple, peut s’acheter 20,000 francs en papier, et que je puisse me le procurer par le moyen de 10,000 francs en écus, la perte du dernier créancier, qui est forcé à devenir acheteur, est évidemment de moitié. Si, au contraire, il peut faire passer ce papier dans les impositions, il en arrivera de toutes les parties du royaume; toutes les caisses seront engorgées, tous les services de détail suspendus, et la machine politique menacée d’une dissolution entière. Ce que vous venez de voir dans une espèce particulière était facile à apercevoir dans toutes. Gomment n’avez-vous pas vu, dans tous les marchés, le vendeur voulant être soldé en écus, et l’acheteur ne voulant payer qu’en papier? Gomment n’avez-vous pas vu la confiance, dans toutes les lettres de change, altérée du moment que le débiteur serait le maître de les solder avec celle des deux monnaies qui se trouverait perdante à leur échéance? Gomment n’avez-vous pas vu l’intérêt de l’argent s’élever à un taux immodéré; toutes les fortunes exposées à des jeux de hausse et de baisse; tous les mouvements vivifiants du commerce et de l’industrie, remplacés par les spéculations désastreuses de la cupidité et de l’agiotage; en un mot, tout le numéraire s’enfuyant à l’étranger, une misère générale et une désolation profonde? J’ai assez parlé de vos fautes, il serait temps que je m’occupasse de vos ressources. Dans le nombre de ces ressources vous avez vu que je ne compte en aucune manière le papier-monnaie, parce que je le regarde en effet, sous quelque forme qu’on le présente, comme le plus grand fléau que le génie fiscal des nations ait pu inventer. Et d’abord vous avez pu vous convaincre que le papier-monnaie avec intérêt est une absurdité, puisque, en supposant qu’il ait de la confiance, il est organisé de manière à s’opposer de sa propre circulation ; et qu’à supposer qu’il n’en ait pas, il a tous les autres défauts du papier-monnaie et, de plus, celui d’aggraver sans cesse, par l’accumulation des intérêts, le fardeau de la dette (1). Le papier-monnaie sans intérêt me paraît beaucoup moins absurde ; et quand même il serait aussi mauvais pour le corps de la nation, il est toujours bien moins onéreux pour le gouvernement, puisqu’en faisant semblant de payer et ne payant pas du tout, il se trouve néanmoins qu’au bout d’un certain temps, quand il faut payer réellement, on a gagné tous les intérêts. Entre tous les papiers possibles, je ne vois donc que celui d’une banque qui puisse offrir de grandes ressources dans de certaines circonstances et dans des gouvernements stables (2). Mais dans un gouvernement nouveau, dans un gouvernement ou des mains malhabiles ou malveillantes n’ont su faire, jusqu’à présent, que de larges et profondes blessures; dans un gouvernement où l’on a armé tous les intérêts, et où il n’existe aucune force pour les contenir; dans un moment de désorganisation générale , où des classes puissantes nourrissent encore des espérances ennemies ou divergentes, et où la moindre commotion, soit extérieure, soit intérieure, suffi-(1) On a dit beaucoup de mal des emprunts; certes, il faut convenir qu’ils peuvent être très onéreux au gouvernement; mais, d’ailleurs, on ne peut disconvenir qu’ils ne soient très utiles à la chose publique, en ce qu’ils tendent à mettre dans la circulation une quantité de numéraire qui, peut-être sans cela, serait demeuré enfoui. Mais du papier-monnaie portant intérêt tend bien plus directement à perdre un Etat, puisque, au lieu de faire circuler le numéraire, il engage à le conserver; puisque, au lieu d’alimenter le commerce, il tend à le détruire ; puisqu’il détourne l’argent de toutes les opérations utiles pour le porter vers celles de l’agiotage; puisque son effet nécessaire est de rendre tous les emprunts excessifs et usuraires, puisqu’enfin, il grossit sans cesse, au préjudice du gouvernement, la masse de la dette par tous les intérêts qu’il accumule. Or, le dernier degré d’aveuglement est certainement celui où un Etat, qui doit se gêner pour sa libération, se gêne au contraire pour sa ruine, et où, décidé à se détruire, il paye pour sa propre destruction. (2) Quoiqu’on l’ait confondu quelquefois avec le papier-monnaie, il a bien un autre caractère, puisque sa nature propre est de pouvoir être converti en écus à volonté. Un papier de cefte espèce ne doit donc jamais perdre, il ne peut que toujours gagner; il facilite et vivifie toutes les opérations du commerce, donne du liant et de la vélocité à tous ses mouvements, et devient une mine féconde de richesses et de prospérité. Mais pour cela il faut bien se garder d’en associer les opérations à la machine du gouvernement; elles en partageraient sans cesse les malaises, les inquiétudes et les revers. La confiance deviendrait d’autant plus timide à leur égard qu’elle sentirait plus sa faiblesse auprès d’une corporation qu’elle verrait intimement liée à la puissance publique et contre laquelle elle n’aurait aucun moyen coercitif assuré. Il est vrai qu’il se trouve des exceptions à cette règle, mais c’est lorsque le gouvernement est tellement robuste et bien constitué qu’on le voit résister sans efforts à toutes les secousses des événements. Et puis, il est vrai de dire que l’accoutumance apprivoise les hommes et captive leur jugement. Les Anglais voient depuis si longtemps leur banque fidèle à ses engagements qu’ils en concluent, je ne sais pas pourquoi, qu’elle le sera toujours : c’est cet homme des campagnes qui ne doute pas un moment que le soleil se lèvera le lendemain de la même manière, uniquement parce qu’il l’a vu se lever ainsi toute sa vie, [Assemblé» nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790b} 237 sait pour tout plonger dan3 l’abîme et dans le néant ; à quoi servirait toute espèce de papier, à quoi servirait même toute espèce de projet partiel et isolé, qu’à nous approcher davantage de notre ruine, et ajouter encore de nouvelles calamités à nos anciennes calamités. Il faut le dire, dans l’état actuel des choses, on ne peut se dissimuler que des projets de celte espérance seront toujours nuis et insuffisants : ils seront toujours nuis dans la position actuelle du roi, dans l’organisation actuelle du Corps législatif, dans la situation actuelle des milices nationales et de l’armée; ils seront toujours nuis dans l’éréthisme violent de toutes le3 têtes, dans l’insurrection générale qu'on a excitée dans tou tes les classes des citoyens; il seront toujours nuis tant que la confiance, la douce confiance, verra toujours nos décrets abreuvés de fiel et baignés de larmes ; en un mot, il seront toujours nuis jusqu’à une révision amiable de toutes les choses (1), une recomposition des bons principes, une réconciliation de toutes les volontés et de tous les esprits. Car voilà la premièie base qu’on doit poser; sans celte base, toutes les autres crouleront faute d’appui; sans cette base, il n’est plus d’espoir et de salut pour la chose publique. ASSEMBLÉS NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. EMMERY. Séance du lundi 27 septembre 1790 (2). La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin. M. Groupilleau, secrétaire , lit le procès-verbal de la séance d’hier dimanche. M. l’abbé Bourdon donne lecture du procès-verbal de la séance du samedi au soir, 25 septembre. Ces procès-verbaux sont adoptés. M. Bégouen , secrétaire , fait lecture de la note des expéditions en parchemin, pour être déposées dans les archives de l’Assemblée nationale, ainsi qu’il suit : « 1° De lettres patentes sur un décret du 13 juillet dernier, relatif à la perception du droit de péage et pontonage, au Quesnoy, département du Nord; « 2° De lettres patentes sur le décret du 13 août, relatif à la suppression de diverses places, et des menues dépenses concernant les monnaies; « 3° D’une proclamation sur le décret du même jour, qui supprime divers traitements, gratifications et dépenses, décharge le Trésor public de quelques autres, et porte que le ministre de l’intérieur et le ministre des finances se feront fournir, quand ils auront des courses nécessaires, des courriers et des chevaux par la poste ; (1) Qu’est*ce que j’entends par cette recomposition, cette révision? O’est ce que je ne tarderai pas à publier. (2) Cette séance est incomplète au Moniteur. 1" Série. T. XIX. « 4° De lettres patentes sur le décret du 15, relatif au payement des arrérages de la dette publique ; « 5» Dune proclamation sur le décret du 16, portant réduction des dépenses de l’administration générale des domaines, et suppression des contrôleurs généraux des domaines ; « 6° D’une proclamation sur le décret du 18, par lequel l’Assemblée déclare vendre à la muni-cipalilé d’Orléans le moulin foulon, situé sur la chaussée de la rivière du Loiret ; « 7» D’une proclamation sur le décret du 20, concernant les académies ; « 8° D’une proclamation sur le décret du 23, concernant M. l’abbé Perrotin, dit de Barmont. 9° D’une proclamation sur le décret du 24, concernant l’exécution dans les départements qui se partagent l’ancienne consistance de la ci-devant province de Lorraine et Bar, de celui du 28 novembre 1790, sanctionné par le roi, et de la proclamation du 14 février 1790, pour l’imposition des biens au lieu de leur situation ; « 10° D’une proclamation sur les décrets des 22, 23, 24 et 26, concernant les postes et messageries ; « 11° D’une proclamation sur le décret du 26, relatif à des pétitions formées par des députés extraordinaires des municipalités de Tulle et d’Uzerche, et à une dénonciation faite par le procureur du roi de la maréchaussée de Tulle ; « 12° De lettres patentes sur le même décret; « 13° D’une proclamation sur le décret du 28, contenant aliénation, à la commune de Paris, des domaines nationaux y mentioanés ; « 14° De lettres patentes sur le décret du 29, portant réformation de l’article 10 du décret du 26 juillet précédent, relatif au droit de propriété et voirie sur les chemins publics ; « 15° D’une proclamation du décret du même jour, relatif au payement, tant des invalides pour la présente année, que des personnes portées dans l’état des gratifications annuelles, assignées sur les fonds de la loterie royale pour l’année 1788; « 16° De lettres patentes sur le décret du 31, concernant la continuation jusqu’au 31 septembre suivant, du travail des commissaires intermédiaires, nommés par les anciens Etats de Bretagne, relatif aux impositions de 1790 ; « 17° De lettres patentes sur le décret du môme jour, concernant les ateliers de secours à former, soit dans la ville de Paris et sa banlieue, spil dans différents départements; « 18° D’une proclamation sur les décrets des 26 jauvier et Ier de ce mois, par lesquels l’Assemblée nationale déclare qu’aucun de ses membres ne peut accepter du gouvernement, pendant la durée de cette session, aucune place, don, pension, traitement ou emploi, « 19° D’une proclamation sur le décret du 3 du présent mois, qui réduit provisoirement Ja dépense de la bibliothèque du roi, et celle de l’observatoire ; « 20° D’une proclamation sur le décret du m$*oe jour, relatif à la détention des sieurs Piilauet Sailiard, dans les prisons de Salins ; « 21° D’une proclamation sur le décret du même 17