386 | Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. proportionnel ; il me sera facile de le démontrer en deux mots. Supposons le produit d’une terre quelconque à douze gerbes ........... 12 Les frais de culture, semences, avances, récoltes, entretien, etc., emportent au moins la moitié, ci ............. 6 \ Les droits du roi sont évalués à 1 un huitième de la récolte, ci une f q gerbe et demie. ....... 1 1/2 f y Droits du Roi de nouveau, pour \ l’année de jachère ....... 1 1/2 y Reste au cultivateur seulement trois gerbes ................ 3 Dont il donne au décimateur ..... 1 Il lui reste les deux tiers de son produit net .................. 2 Le décimateur emporte donc le tiers de la portion nette du cultivateur. Si à cet aperçu qui, loin d’être exagéré, porte sur une moyenne proportionnelle très-affaiblie, vous joignez les considérations d’économie politique qui peuvent servir à apprécier cet impôt, telles que la perception d’un tel revenu sans participer aux avances, ni même à tous les hasards ; l’enlèvement d’une grande portion des pailles dont chaque champ se trouve dépouillé, et qui prive par conséquent le cultivateur d’une partie considérable de ses engrais ; enfin la multiplicité des objets sur lesquels se prélève la dîme, les lins, les chanvres, les fruits, les olives, J es agneaux, quelquefois les foins, etc., vous prendrez une idée juste de ce tribut oppressif, que l'on voudrait couvrir du beau nom de propriété. Non, Messieurs, la dîme n’est point une propriété ; la propriété ne s’entend que de celui qui peut aliéner le fonds ; et jamais le clergé ne l’a pu. L’histoire nous offre mille laits de suspension de dîmes, d’application de dîmes en faveur des seigneurs, ou à d’autres usages, et de restitution nsuite à l’Eglise ; ainsi les dîmes n’ont jamais été pour le clergé que dès jouissances annuelles, de simples possessions révocables à la volonté du souverain. Il y a plus : la dîme n’est pas même une possession, comme on l’a dit; elle est une contribution destinée à cette partie du service public qui concerne les ministres des autels : c’est le subside avec lequel la nation salarie les officiers de morale et d’instruction. (De violents murmures s’élèvent parmi les membres du clergé.) J’entends, à ce mot salarier , beaucoup de murmures, et l’on dirait qu’il blesse la dignité du ! sacerdoce ; mais, Messieurs, il serait temps, dans cette révolution qui fait éclore tant de sentiments justes et généreux, que l’on abjurât les préjugés d’ignorance orgueilleuse qui font dédaigner les mots salaires et salariés. Je ne connais que trois manières d’exister dans la société , il faut y être mendiant , voleur ou salarié. Le propriétaire n’est lui-même que le premier des salariés. Ce que nous appelons vulgairement sa propriété n’est autre chose que le prix que lui paye la société pour les distributions qu’il est chargé de faire aux autres individus par ses consommations et ses dépenses: les propriétaires sont les agents, les économes du corps social. Quoi qu’il en soit, les officiers de morale et d’instruction doivent tenir sans doute une place [10 août 1789.] très-distinguée dans la hiérarchie sociale ; il leur faut de la considération, afin qu’ils s’en montrent dignes ; du respect même, afin qu’ils s’efforcent toujours davantage d’en mériter ; il leur faut de l’aisance, pour qu’ils puissent être bienfaisants. Il est juste et convenable qu’ils soient dotés d’une manière conforme à la dignité de leur ministère et à l’importance de leurs fonctions ; mais il ne faut pas qu’ils puissent réclamer un mode pernicieux de contribution comme une propriété. Je ne sais pourquoi on leur disputerait que la dîme est d’institution nationale : elle l’est en effet, et c’est à cause de cela même que la nation a le droit de révoquer et d’y substituer une autre institution. Si l’on n’était pas enfin parvenu à dédaigner autant qu’on le doit la frivole autorité des érudits en matière de droit naturel ou public, je défierais de trouver à propos des dîmes, dans les capitulaires de Charlemage, le mot solverint ; c’est dederint que l’on y rencontre toujours ; mais qu’importe ? La nation abolit les dîmes ecclésiastiques, parce qu’elles sont un moyen onéreux de payer la partie du service public auquel elles sont destinées, et qu’il est facile de les remplacer d’une manière moins dispendieuse et plus égale. Quant aux dîmes inféodées et laïques, le préopinant a tout dit. Il a bien exposé le principe que la propriété n’appartient réellement qu’à celui qui peut transmettre, et qu’on troublerait tout en remontant au travers du commerce des propriétés pour jeter des doutes sur le titre primitif. M. Ceyris Desponchez, évêque de Perpignan, défend la dîme en nature, non pas cependant comme une propriété ecclésiastique, car il convient qu’elle est une propriété nationale, mais il la défend par des principes de religion et de morale. Il dit que la suppression des dîmes va priver de tout secours les pauvres dont le clergé prend soin ; il prie la nation de prendre en considération l’état de cette classe malheureuse. Après avoir fait sentir combien cette matière est délicate et difficile à approfondir, il demande que l’article VU du projet d’arrêté soit laissé provisoirement tel qu’il a été décrété, et que la discussion se borne à la simple rédaction. M. Duport, M. Colbert de Seignelay, évêque de Rodez , et M. Garat, le cadet , se sont présentés ensuite pour prendre la parole. Il était tard ; l’impatience de finir cette discusion s’est manifestée dans l’Assemblée. Plusieurs membres demandaient qu’elle fût fermée, et qu’on allât aux voix. M. le Président a consulté l’Assemblée par assis et levé, si la discussion serait fermée, ou si on la renverrait à l’après-dîner. H a été décidé que la discussion serait continuée dans la séance de ce soir. La séance est levée et remise à 6 heures du soir. Séance du lundi 10 août au soir. M. le Président, d’après l’observation qui a été faite par plusieurs membres, propose de substituer au mot prêteur , dans l’article IV du décret sur l’emprunt, le mot porteur. Ce changement est adopté sans difficulté. On reprend la discussion sur les dîmes. [to août 1789. J 387 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. M. Duport parle le premier; après un discours dans lequel il reconnaît la toute-puissance de la nation sur la disposition des biens ecclésiastiques, il demande l’abolition de la dîme, et se réunit à l’avis de M. Ghasset. M. Colbert de Seignelay, évêque de Rodez, parle des biens du clergé, comme étant essentiellement nécessaires au maintien de la religion et à la décence du culte, et comme une propriété des pauvres. M. l’abbé Sieyès. Mes principes sur la dîme ecclésiastique n’ont pas pu être exposés dans cette séance. Il ne s’agissait pas déjuger l’affaire au fond, mais seulement de recevoir ou rejeter la rédaction de l’article Vil de l’arrêté du 4, que le comité de rédaction avait présenté dans les termes suivants : « Les dîmes en nature, ecclésiastiques, laïques et inféodées, pourront être converties en redevances pécuniaires, et rachetables à la volonté des contribuables, selon la proportion qui sera réglée, soit de gré à gré, soit par la loi, sauf le remploi à faire par les décimateurs, s’il y a lieu. » Je connais aussi bien qu’un autre tous les inconvénients de la dîme, et j’aurais pu à cet égard enchérir sur tout ce qui a été dit. Mais, parce que la dîme est un véritable fléau pour l’agriculture, parce qu’il, est plus nécessaire d’affranchir les terres de celte charge que de tout autre redevance, et parce qu’il est certain encore que le rachat de la dîme peut être employé plus utilement et plus également que la dîme elle-même, je n’en conclus pas qu’il faille faire présent d’environ 70,000,000 de rente aux propriétaires fonciers. Quand le législateur exige ou reçoit des sacrifices dans une circonstance comme celle-ci, ils ne doivent pas tourner au profit des riches; 70,000,000 de rente étaient une ressource immense: elle est perdue aujourd’hui. Je dois croire que j’ai tort, puisque l’Assemblée en a jugé autrement; mais peut-être ce tort ne paraîtra-t-il pas si grave à ceux qui voudront bien m'entendre. On a comparé la dîme à un impôt: elle a très-certainement les inconvénients du plus détestable de tous les impôts; mais on se trompe, sinon sur ses effets, au moins sur son origine. Lorsque la nation, ou plutôt la loi, a parlé pour la première fois de la dîme, elle s’était déjà établie depuis plus de trois siècles; elle était différente, suivant les lieux, soit dans sa quotité, soit relativement aux espèces de produits. Ces différences subsistent encore aujourd’hui; elles sont la suite naturelle de la manière dont la dîme s’était établie. Elle a été d’abord un don libre et volontaire de la part de quelques propriétaires. Peu à peu l’ascendaut des idées religieuses l’a étendue presque partout; elle a fini par être une véritable cession, surtout par ceux qui transmettaient leurs biens; les héritiers ou les donataires les acquéraient à cette condition, et ils n’entraient dans le commerce que chargés de cette redevance. Ainsi il faut regarder la dîme comme une charge ou une redevance imposée à la terre, non par la nation, comme on le prétend sans aucune espèce de preuves, mais par le propriétaire lui-même, libre assurément de donner son bien à telles conditions qu’il lui plaisait. Il y a plus: c’est qu’il est impossible d’imaginer comment ni quand la nation aurait pu imposer cette prétendue taxe publique. Qn voit seulement que beaucoup de redevables, tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre, refusaient quelquefois de l’acquitter. Alors ces contestations se terminaient, comme tous les procès, par les juges. Les premières lois connues à cet égard n'ont été que la rédaction d’usages en vigueur. Toutes nos coutumes sont dans ce cas. Elles n’ont pas même dit: la dîme sera établie; elles ont dit: c’est à tort que quelques-uns refuseraient de payer la dîme. La loi doit garantir toutes les propriétés, elle garantissait celle-là comme toutes les autres; et en vérité celle-là ne valait pas moins qu’une autre. Quand on considère avec impartialité à quelle origine on peut faire remonter toutes les propriétés, on a bien tort assurément de se montrer difficile sur l’origine des dîmes. . . . Quoi qu’il en soit, il suit: 1° Que la dîme ne doit point être comparée à un impôt, ou une taxe mise sur les terres, telle que les vingtièmes, par exemple; mais à une véritable redevance mise sur ses biens par le propriétaire lui-même. L’impôt n’est consenti que pour un temps; il est révocable à la volonté des représentants de la nation, au lieu que la dîme a été cédée à perpétuité par ceux mêmes qui pouvaient s’en dessaisir ; 2° Par conséquent elle ne doit pas être supprimée au profit des propriétaires actuels qui cl’ailleurs savent très bien qu’ils n’ont jamais acheté la dîme, et qu’elle ne saurait leur appartenir; 3° Néanmoins la dîme étant, à juste raison, placée dans la classe des propriétés légitimes à la vérité, mais nuisibles à la chose publique, il faut l’éteindre comme ou éteint ces sortes de propriétés, c’est-à-dire en offrant une indemnité; 4° Le rachat doit être convenu de gré à gré entre les communautés et les décimateurs, ou réglé au taux le plus modique par l’ Assemblée nationale; 5° Enfin, les sommes provenant de ce rachat peuvent être placées de manière à ne pas manquer à l’objet primitif des dîmes, et cependant elles peuvent fournir à l’Etat des ressources infiniment précieuses dans la circonstance. C’est ainsi que j’avais conçu l’affaire des dîmes, et je conviens que je n’ai pu être de l’avis de tout le monde. Mais, pour n’en être point confus, j’ai considéré que j’étais chargé de dire mon avis, et non celui des amis ou des ennemis du clergé. Au moment encore où j’écris, je suis étonné, affligé plus que je ne voudrais l’être, d’avoir entendu décider, « que les dîmes de toute nature, et les redevances qui en tiennent lieu, sont abolies, sauf à aviser aux moyens de subvenir, etc., etc. > J’aurais désiré qu’on eût avisé aux moyens de subvenir, etc., avant d’abolir; on ne détruit pas une ville, sauf à aviser aux moyens de la rebâtir. J’aurais désiré qu’on n’eût pas fait un présent gratuit de plus de 70,000,000 de rente aux propriétaires actuels; mais qu’on les eût laissés racheter cette redevance comme toutes les autres, et avant les autres, s’ils la trouvent la plus onéreuse. J'aurais désiré que par un emploi bien administré de ces rachats, on eût secouru la chose publique, en lui prêtant à trois et demi ou quatre pour cent; et l’on eût fait un fonds suffisant pour nourrir les curés, les vicaires, et tant d’autres ecclésiastiques qui vont mourir de faim, en attendant qu'on ait avisé aux moyens , etc., parce qu’il est bien difficile de conjecturer que la dîme sera payée de fait jusqu’au remplacement promis, malgré les ordres de rAssemblée. 388 |Àssr mblce nationale.! A î ; Cil 1 V ES PA R LOI EN T AIR ES . |1Ü août 1789-1 J’aurais désiré qu’on eût ainsi évité le besoin du remplacement annoncé. Car, si le remplacement est payé par un nouvel impôt sur la généralité des contribuables, ceux qui n’ont point de terres, il faut en convenir, ne trouveront pas très-agréable d’être chargés de la dette de messieurs les propriétaires fonciers. Si le remplacement ne porte que sur les fonds de terre, comme tous les propriétaires ne payent pas la dîme aux mêmes taux et sur les mômes produits, lesunsperdront, les autres gagneront à cette conversion ; et puis cette idée ressemble un peu au projet d’égaliser les dettes. Si le remplacement n’est réparti sur les propriétaires qu’à raison de ce que chacun payait déjà, était-ce bien la peine de rejeter le rachat que je demande? Enfin, je cherche ce qu’on a fait pour le peuple dans cette grande opération, et je ne le trouve pas. Mais j’y vois parfaitement l’avantage des riches : il est calculé sur la proportion des fortunes, de sorte qu’en y gagne d’autant plus qu’on est plus riche. Aussi, j’ai entendu quelqu’un remercier l’Assemblée de lui avoir donné, par son seul arrêté, 30,000 livres de rentes de plus. Beaucoup de personnes se persuadent que c’est aux fermiers qu’on a fait le sacrifice de la dîme. C’est connaître bien peu les causes qui règlent partout le prix des baux ; en général, toute diminution d’impôt ou de charge foncière retourne au profit du propriétaire. Les gros propriétaires n’en deviendront pas plus utiles, ou n’en feront pas mieux cultiver leurs terres, parce qu’au lieu de 10, de 20,000 livres de rentes, ils en auront à l’avenir 11 ou 22. Quant aux petits propriétaires, qui cultivent eux-mêmes les champs, ils méritent certainement plus d’intérêt. Eh bien ! il était possible rie les favoriser dans le plan du rachat que je propose : il n’y avait qu’à faire dans chaque part isse une remise sur le prix total du rachat, à l’avantage des petits cultivateurs, et proportionnellement à leur peu d’aisance. Cette opération eût été digne de la sagesse du législateur, et n’eut fait tort ni au clergé, ni à l’Etat, attendu la différence des placements. J’ai beaucoup entendu dire qu’il fallait bien aussi que le clergé fît son offrande. J avoue que les plaisanteries qui portent sur le faible dépouillé me paraissent cruelles. Je répondrai sérieusement que tous les sacrifices qui avaient été faits jusque-là ne frappaient pas moins sur le clergé que sur la noblesse, et sur cette partie des communes qui possède des fiels et des seigneuries. Le clergé perdait même déjà beaucoup plus que les autres, puisque lui seul avait des assemblées de corps, et une administration particulière à sacrifier. Je n'ajoute plus qu’un mot; y a-t-il beaucoup de justice à déclarer que les dîmes inféodées qui sont de même nature, et ont les mêmes origines, soit qu’elles se trouvent dans ries mains laïques ou dans des mains ecclésiastiques, sont 'supprimées avec indemnité pour le laïque et sans indemnité pour l’ecclésiastique?... Us veulent être libres, ils ne savent pas être justes. Je ne sais, Messieurs, si quelques ’ personnes trouveront que les observations que j’ai à vous présenter seraient mieux placées dans toute autre Douche que dans la mienne ; une plus haute considération me frappe : c’est que tout membre de l’Assemblée lui doit son opinion quand elle est juste, et qu’il la croit utile. Je dirai donc mon avis. L’Assemblée nationale a arrêté le 4, que la dîme était rachetable. Aujourd’hui, L s’agit de la rédaction de cet article, et l’on vous propose rie prononcer que la dîme ne doit point être rachetée. Soutiendra-t-on qu’il n’y a dans ce changement qu’une différence de rédaction? Certes, une telle plaisanterie est trop léonine; elle mon. tre bien d’où part le mouvement irrégulier qui s'est, depuis peu, emparé de l’Assemblée; ce mouvement que nos ennemis applaudissent en souriant, et qui peut nous conduire à notre perte. Puisqu’il faut remonter aux motifs secrets qui vous guident, et dont, sans doute, vous ne vous êtes pas rendu compte, j’oserai vous les révéler. Si la dîme ecclésiastique est supprimée sans indemnité, ainsi qu’on vous le propose, que s’en suit-il? Que la dîme restera entre -les mains de celui qui la devait, au lieu d’aller à celui à qui elle est due. Prenez garde, Messieurs, que l’avarice ne se masque sous l’apparence du zèle. Il n’est pas une terre qui n’ait été vendue et revendue depuis l’établissement de la dîme. Or, je vous le demande, lorsque vous achetez une terre, ne l’achetez-vous pas moins les redevances dont elle est chargée, moins la dîme qu’on paye de temps immémorial? La dîme n’appartient à iaucun des propriétaires qui la payent aujourd’hui; je le répète, aucun n’a acheté, n’a acquis en propriété cette partie du revenu de son bien. Donc aucun propriétaire ne doit s’en emparer. Je me suis demandé pourquoi, au milieu de tant d’opinants qui paraissent n’annoncer que le désir du bien public, aucun cependant n’a été au delà du bien particulier. On veut tirer la dîme des mains ecclésiastiques; pourquoi ? est-ce pour le service public? est-ce pour quelque établissement utile? Non ; c’est que le propriétaire voudrait bien cesser delà payer : elle ne lui appartient pas ; n’importe, c’est un débiteur qui se plaint d’avoir à payer son créancier, et ce débiteur croit avoir le droit de se faire juge dans sa propre cause. S’il est possible encore de réveiller l’amour de la justice qui devrait n’avoir pas besoin d’être réveillé, je vous demanderai non pas s’il vous est commode, s’il vous est utile de vous emparer de la dîme, mais si c’est une injustice. Je le prouve avec évidence, en démontrant, comme je viens de le faire, que la dîme, quel que soit son sort futur, ne vous appartient pas. Si elle est supprimée dans la main du créancier, elle ne doit pas l’être pour cela dans celle du débiteur. Si elle est supprimée, ce n’est pas à vous à en pro-fi ter. Par le prompt effet d’un enthousiasme patriotique, nous nous sommes tout à coup placés dans une situation que nous n’aurions pas osé espérer de longtemps. On doit applaudir au résultat ; mais la forme a été mauvaise; ne faisons pas dire à la France, à l’Europe, que le bien même nous le faisons mal. Nous nous trouvons étonnés de la rapidité de notre marche, effrayés presque de l’extrémité à laquelle des sentiments irréfléchis auraient pu nous conduire. Eh bien ! dans cette nuit si souvent citée, où l’on ne peut pas vous reprocher le manque de zèle, vous avez déclaré que les dîmes étaient rachetables ; vous n’avez pas cru pouvoir aller plus loin, dans le moment où vous avez cependant montré le plus de force pour marcher en avant. Aujourd’hui vous ne savez plus vous contenir ; la dîme, si l’on vous en croit, ne mérite plus même d’être rachetée, elle ne doit pas même devenir une ressource pour l’Etat. Vous projetez d’en augmenter. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 août 1789.] 3S9 [Assemblée nationale.] votre fortune particulière, dans un moment où tous les autres contribuables sont menacés de voir diminuer la leur. Ilestteups (ie le dire, Messieurs: si vous ne vous conteniez pas de rédiger vos arrêtés du 4; si vous les changez de tout en tout, comme vous prétendez le faire à l’égard de la dune, nul autre décret n’aura ie droit de subsister: il suflira à un petit nombre d’entre nous de demander la révision de lous les articles, d’en proposer le changement. Rien n'aura été fait, et les provinces apprendront avec étonnement que nous remettons sans cesse en question les objets de nos arrêtés. J’ose défier que l'on réponde à ce raisonnement: la dîme a ôté déclarée rachetable; doncelte a été reconnue par l’Assemblée elle-même pour ce qu’elle est, pour une possession légitime: elle a été déclarée rachetable; donc vous ne pouvez pas la déclarer non rachetable. Ce nVst pas ici le moment d’entrer dans une autre discussion. Si vous jugez que la dîme doive subir un autre examen sur le fond, attendons au moins, Messieurs, que l’Assemblée s’occupe des objets de législation; alors vous conviendrez peut-être que je suis aussi sévère en cette matière que ceux qui ont la plus haute opinion des sacrifices que les corps doivent s’empresser de faire à l’intérêt général de la nation. Mais alors je soutiendrai encore, je soutiendrai jusqu’à l’extrémité, que ces sacrifices doivent être faits à l’intérêt national, au soulagement du peuple, et non à l’intérêt particulier des proprié-laires fonciers, c’est-à-dire, en général, des classes les plus aisées de la société. Je me borne donc à ce qui doit faire l’objet de votre délibération actuelle, et je propose l’article suivant, qui n’est que le développement de votre arrêté du 4: i Toutes dîmes seront rachetables en nature ou eu argent, de gré àgré, entre les communautés et décimateurs, ou d’après le mode qui scia fixé par l’Assemblée nationale, et le prix du rachat des dîmes ecclésiastiques sera converti en revenus assurés, pour être employés, au gré de la loi, à leur véritable destination. » M. l’abbé de Montesquiou ( 1). Messieurs, je ne réponds ni à la haine, ni à l’envie, ri aux plaisanteries de mauvais ton qui tombent sur le clergé comme sur une victime dévouée. Il est encore des hommes justes, même parmi ceux qui peuvent si aisément abuser de leur force. C’est à eux que je m’adresse. Ou affirme que la nation est propriétaire des biens du clergé, parce que ces biens servent en même temps de salaire aux ecclésiastiques. L’idée la plus simple en fait de propriété est qu’un bien appartient à celui à qui il a été donné, ou qui l’a acquis. Les biens ecclésiastiques n’ont point été donnés à la nation, mais au clergé, à de certaines charges ou conditions. S’il ne refuse pas d’en remplir les charges, on ne peut pas le dépouiller. Mais, dit-on, la nation peut décréter qu’elle n’a pas besoin de clergé. On s’attend peut-être que je vais combattre cette idée: pas du tout; je veux, au contraire, la prouver. Le service ecclésiastique est un service public ; le corps du clergé est un des corps politiques dont l’ensemble forme le gouvernement. À ce titre, il existait pour la chose publique; il existait légitimement. Mais, comme tous les pouvoirs publics, il est soumis à la volonté nationale, à ce que nous appelons le pouvoir constituant, qui peut, sans contredit, le supprimer tout à fait, s’il le juge inutile, ou le constituer autrement. Mais, tant qu’il existe, il est propriétaire; pourquoi? parce qu’en qualité de corps moral, il est habile à posséder, et parce qu’en effet de grands biens lui ont été donnés en propriété. Nous verrons bientôt quel a été l’avantage de ces donations. Commençons par reconnaître : 1° qu’un corps politique peut posséder, il suffifde citer les villes, les hôpitaux, les collèges, etc., qui ont des propriétés particulières. Le clergé, dit-on, n’est pas un corps physique, ce n’est qu’une collection d’individus... Et la nation est-elle autre chose? Pourquoi voulez-vous la rendre propriétaire, quand vous refusez cette possibilité au clergé? Je ne sais si votre nouvelle législation sera praticable, mais, à coup sûr, ce n’a pas été jusqu’ici celle de la France ni d’aucun, pays au monde ; 2° le clergé a reçu de grands biens ; les donations,les fondations ont été immenses, et elles ont été faites à perpétuité. Ici, nous n’avons pas besoin de preuves. Donc le clergé est véritablement propriétaire. Cependant, afin d’écarter toute équivoque, je remarque que la nation est propriétaire en ce sens, que tous les biens, tant des corps que des particuliers, sont clans la nation, et doivent tous contribuer à la dépense publique; mais gardons-nous de croire qu’elle soit propriétaire en ce sens, que les biens des associations ou des particuliers lui appartiennent : du moins ce n’est pas ainsi qu’on l’a entendu jusqu’à présent. Actuellement, qu’il me soit permis de dire à ceux qui poursuivent le clergé, dans la vue de s’emparer de ses biens: les propriétés ecclésiastiques vous tentent-elles? eh bien! détruisez le corps ; attendez la mort des titulaires, et vous aurez tout. Car, très-certainement, lorsque l’usufruitier ou l’administrateur viager vient à mourir, si le propriétaire n’existe plus, ce n’est plus à lui que le fonds peut appartenir. Alors vous jugerez la question : est-ce l’Etat qui doit hériter du bénéfice, ou bien doit-il retourner à la famille du fondateur? Tels sont les principes en cette matière. Tant que le corps du clergé ne sera point supprimé, il est seul propriétaire de ses biens: or, vous ne pouvez ravir la propriété ni des corps, ni des individus. Vous avez beau faire déclarera l’Assemblée nationale que les biens dits ecclésiastiques appartiennent à la nation: je ne sais ce que c’est que de déclarer un fait qui n’est pas vrai. C’est à faire des lois que le corps législatif est appelé, et non à décider des faits. C’est pour réformer, pour modifier les pouvoirs publics, que la nation délègue l’exercice de son pouvoir constituant, et non pour déplacer les propriétés. Lors meme que, saisissant un moment favorable, vous feriez déclarer que les biens du Languedoc appartenant à la Guienne, je ne conçois pas comment une simple déclaration pourrait changer la nature des droits. Je conviens seulement que si les Gascons étaient armés, et s’ils voulaient et pouvaient, par une grande supériorité de forces, exécuter la prétendue sentence, je conviens, dis-je, seulement, qu’ils envahiraient la propriété d’autrui. Le fait suivrait la déclaration, mais le droit ne suivrait ni l’un ni l’autre. Le passage suivant est extrait d’une brochure de l’année passée : « La nation clle-môme, quoique suprême législateur, ne peut m’ôter ni ma mai-(1) Ce discours n’a pas été inséré au Moniteur. 390 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (10 août 1789.] son, ni ma créance. En remontant aux principes, on rencontre la garantie de la propriété comme le but de toute législation. Comment imaginer que le législateur puisse me la ravir? Il n’existe que pour la protéger... Ajoutons que le législateur représente la volonté commune de la nation; qu'il agit par des lois générales, jamais par des actes particuliers d’autorité. Il ne peut dépouiller les uns au profit des autres; et sa procuration, quelque étendue qu’elle soit, ne saurait l’autoriser à écraser une classe de citoyens pour soulager les autres. » Tenons-nous en donc au principe. Tant que le clergé existera, vous ne pouvez pas en hériter. Voulez-vous ces biens ? tuez le propriétaire. Gela n’est pas bien difficile; il suffira d’un acte du pouvoir constituant, par lequel il sera décrété que la nation n’a plus besoin, et ne veut plus du corps politique du clergé. Après cette opération, il reste encore l’usufruitier titulaire ; car on sait que les bénéficiers sont à titre inamovible. Les usufruitiers sont des individus physiques; on ne les tue pas de la même manière qu’un corps moral ; et puisqu’il n’est pas vraisemblable, qu’on fasse faire son procès à chaque bénéficier pour s’en défaire plus tôt, il est nécessaire autant que juste d’attendre la fin de l’usufruit, ce qui ne peut pas tarder beaucoup. En attendant, les extinctions journalières seront assez considérables pour avancer vos vues. Il me semble que cette manière d’aller à votre but est non-seulement plus justifiable en principe, mais encore elle serait d une meilleure politique; et, dans la circonstance en particulier où nous sommes, je ne sais si vous pouvez en prendre une autre, sans vous exposer à une infinité de maux tant particuliers que publics, qu’il est de votre sagesse et de votre humanité de prévenir. 11 ne faut point punir cent mille ecclésiastiques d’être ecclésiastiques, puisque la loi n’avait pas dit que c’était un crime de le devenir; et, en vérité, à l’exception d’un petit nombre que le crédit ou le hasard a trop favorisés, on peut m’en croire, le sort des autres n’est pas un sort à envier. Il faut en convenir aussi, de semblables réformes ne doivent point se brusquer, et jamais moment n’aurait été plus mal choisi pour jeter tout-à-coup dans le public de ces grands changements qui dérangent à la fois une multitude infinie de rapports, et qui sont si propres à exciter les uns contre l’intérêt des autres. Je crois avoir suffisamment indiqué la véritable marche à suivre pour la destruction du clergé, si l’on persiste à vouloir l’anéantir. J’avoue que j’estime davantage une conduite franche, qui ne craint point d’annoncer clairementson but, parce qu’alors au moins on peut choisir entre les moyens d’y arriver, et qu’on peut attaquer la chose, sans avoir l’inhumanité d’assassiner la personne (1). Reprenons la suite de nos premières idées. Les biens ecclésiastiques appartenaient sans doute à ceux qui les ont donnés. Ceux qui les ont donnés pouvaient en faire un tout autre usage (1) Une des choses qui caractérisent le mieux le temps et !c lieu où j’écris, est le silence absolu que je puis, que je dois garder ici sur la difficulté assez grande, à mon avis, de se passer de religion dans un grand empire, ou de conserver le culte établi, si Ton en sup-rime les ministres. MM. les réformateurs uisenl avoir eaucoup réfléchi sur cette question, et ils se chargent de tout ; nous nous permeltrous pourtant, tôt ou tard. d’en parler un peu, comme s’ils ne s’étaient chargés de rien. Us étaient libres dans leur disposition; or, ils les ont donnés au clergé et non à la nation; donc ils appartiennent au clergé, et non à la nation. Le corps moral et politique de la nation ne peut lui-mêine être propriétaire que de ce qu’on lui donne, ou de ce qu’il aurait acquis avec ce qu’on lui a donné, il est aisé de lire les chartes de fondation, et de me prouver, si je me trompe, que l’intention des fondateurs a été de léguer leur bien à la nation, et non au clergé. Je passe aux motifs et à la nature des concessions faites au cierge. La France a adopté et professe la religion catholique-romaine. S’il y a, comme l’on dit, quarante mille paroisses dans le royaume, on peut croire, en s’en tenant à deux prêtres par paroisse, qu’il en faudra près de cent mille. Il serait difficile d’apprécier leurs salaires l’un dans l’autre, à moins de 1,200 livres. Dans cette supposition, voilà déjà une somme de 120 millions, reconnue indispensable pour soutenir en France le culte établi, sans compter les frais delà chose. Deux moyens se présentent pour acquitter cette somme : vaut-il mieux laisser les propriétés du clergé continuer la charge du service ecclésiastique, ou bien est-il plus sage, plus prudent et moins onéreux de répartir ce nouveau fardeau sur les peuples par la voie de l’impôt ? On a cru, autrefois, que le produit net d’une terre, au lieu d’étre consommé inutilement par un propriétaire oisif, pouvait être chargé d’acquitter un service public. Les fiefs militaires doivent leur origine à cette idée. Les fondateurs des bénéfices, dans un temps où les idées religieuses avaient plus d’empire qu’aujourd’hui, ont voulu assurer de la môme manière le service des autels. Ils ont, à l’envi, doté le clergé d’une partie de leurs propriétés, à telles charges ou conditions. Peut-on dire sérieusement que, par de tels actes, les fondateurs des bénéfices ont fait tort à la nation ? Ont-ils dépouillé le peuple, en le dispensant de payer un impôt de plus ? Si des citoyens aussi zélés pour l’intérêt du peuple, dans un ordre différent, avaient fondé de même le service de la magistrature sur le produit net de quelques terres dans chaque ressort, les accuseriez-vous d’avoir chargé la nation, en rendant la justice gratuite ? La généralité des contribuables aujourd’hui ne fournit pas moins de 140 millions pour la dépense militaire de terre et de mer. Ce service, on ne le niera pas, était autrefois à la charge des fiefs, comme le service ecclésiastique est encore à la charge des bénéfices. Si cette dépense était prise, comme autrefois, directement sur le pro duit net des fiefs, il y aurait à la vérité un moindre nombre de consommateurs libres et oisifs, mais regarderait-on ce retour à l’ancien ordre, comme un accroissement de charge pour les peuples que vous soulageriez par là de plus de 140 millions d’impôts ! Cessez donc de dire que la nation s’est dépouillée en faveur des ecclésiastiques. Les fondateurs des bénéfices sont au contraire venus à votre secours. Le produit des terres qu’ils ont léguées au service des autels, serait consommé par d’autres. 11 léserait, ou par des gens oiseux, ou par des citoyens qui ne se chargent d’un service public qu’à la condition de recevoir un nouveau salaire. Ne vaut-il pas mieux que ces propriétés, qui d’ailleurs ne sont pas moins utiles à l'Etat entre des mains ecclésiastiques, qu’entre des mains laïques, puisqu’elles payent la même contribution, soient en même temps le salaire d’une fonc- [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 août 1789.) 391 tion publique, et deviennent ainsi une décharge réelle pour la natiou.de plus de 120 millions delivres d’impôts ? Par quel étrange ren versement d’idées les ecclésiastiques vous paraîtraient-ils supportables, si vous les aviez à votre charge, et ne pouvez-vous les souffrir, parce qu’ils ne sont à charge à personne? Vous les haïssez : soit ; mais je le répète, mettez-vous en évidence; il ne tient qu’à vous qu’il n’y en ait bientôt plus. Le clergé catholique a cela de particulier, que fout homme qui a reçu le sous-diaconat devient inhabile à tout autre état. Ce sont vos lois qui l’exigent ainsi. Hâtez-vous doncd'avertir les pères de famille de ne plus destiner leurs enfants à un état qui est proscrit dans le fond de vos cœurs. Défendez à vos évêques de recevoir ceux qui, dans l’ignorance de vos vues, pourraient se présenter à l’ordination ; car votre loi est atroce, si elle ouvre un état aux citoyens, et qu’ensuite elle leur fasse un crime d’y être entrés. Que si l'habit d’un ecclésiastique vous le rend si odieux, que ce soit une jouissance pour vous de lui tendre des pièges, souvenez-vous au moins, qu’avant de le prendre, cet habit, votre compatriote était comme vous, qu'il vous ressemblait entièrement; prévenez-le au moins de ne pas s’exposer aux malheurs que vous lui préparez. Les gens à préjugés m’ont blâmé d’attaquer les privilèges : aujourd’hui ils me blâment de défendre la propriété. Ainsi, tout homme qui se tient avec fermeté sur la ligne des principes est sûr de déplaire à ceux qui s’en écartent, soit d’un côté, soit de l’autre. Je ne doute pas le moins du monde que ceux qui poursuivent avec tant d’acharnement le clergé du dix-huitième siècle n’eussent été les premiers à llatter superstitieusement celui du douzième': le même principe les guide; ils servent le préjugé régnant. Je n’adopterai point la maxime qu’il faut écraser le faible, et caresser les pieds du fort. Tout citoyen digne d’être libre (et c’est un grand malheur que tout le monde ne le soit pas) n’est aux pieds de personne, et il n’opprime personne. Plus on a une haute opinion de ses droits, plus on respecte les droits d’autrui. Comment pourriez-vous être libres, si vous ne savez pas etre justes ? Je vais considérer les biens des ecclésiastiques sous un autre point de vue. Tout homme qui aura réfléchi sur les différentes sortes de superstitions et d’intolérances qui régnent successivement dans la société s’étonnera moins de l’inexprimable confusion d’idées qui obscurcit aujourd’hui toutes les questions relatives au clergé ; et il plaindra peut-être ceux qui, placés sur les confins de toutes les intolérances, sont destinés à être les victimes de toutes, sans espoir de trouver un abri auprès de la raison et des principes de justice qu’ils réclament en vain. On ne veut pas voir que les biens de nos prédécesseurs, c’est-à-dire des Français qui ont vécu dans les siècles passés, pouvaient se transmettre jusqu’à nous de deux manières : ou par la voie ordinaire et légale de l’hérédité; ou par une voie tout aussi légale et peut-être plus sage, celle de l’élection. Je m’explique: Un citoyen riche, maître de disposer de son bien, fait sou testament et dit: Je veux laisser mes biens à mes enfants ; mais je ne les connais pas. D’ailleurs, je ne veux pas que mes enfants, parce qu’ils auront de quoi vivre, restent inutiles à la chose publique. Je prie donc le peuple ou le magistrat de nommer lui-même aux différentes parties de mes propriétés, suivant la qualité et la mesure du service public que mes descendants se rendront capables d’acquitter. Au milieu des coutumes ridicules et barbares dans lesquelles nous avons vécu, il est résulté deux bons effets de cette manière de transmettre son bien par élection plutôt que par la loi commune de l’hérédité. Le premier a été, comme je viens de le dire, d’obliger à être utiles ceux qui ont voulu prendre part à leur patrimoine ; le second, de soustraire au moins une partie des biens de nos aïeux au dévorant droit d’aînesse. On ne niera pa3 sans doute que ces biens ecclésiastiques, tant enviés, n’aient été le partage de ces puînés, à qui d’indignes lois ou de sots préjugés ravissaient leur héritage direct. Une partie de la propriété de nos pères est donc ainsi parvenue, sous une sorte de garde publique, à ceux de leurs enfants que le préjugé déshéritait, mais que leurs services réhabilitaient dans leur patrimoine. Ce mode d’hérédité n’est peut-être pas si ridicule 1 et je ne vois pas, surtout, qu’il soit taché d’un grand vice, à cause précisément de la condition qui exige, dans le candidat, des lalentsou des vertus pour être habile à hériter. Cependant, telle est cette haine aveugle et jalouse dont je ne cesse de parler, parce que je ne cesse d’en rencontrer des ~ preuves, qu’on pardonnerait plutôt aux ecclésiastiques la possession des biens de leurs pères, s’il n’étaient chargés d’aucun service public. Ou plutôt, puisqu’il faut le dire, on s’accoutume à regarder le clergé comme une horde étrangère et ennemie, tombée de je ne sais où, et qui ne tiendrait par aucun lien aux fondateurs des bénéfices. Il semble qu’en changeant d’habit ou d’état on ait cessé d’être les enfants des hommes qui vivaient autrefois. Cette filiation, seul titre sur lequel on fonde tant de réclamations, tant de plaintes, les laïques croient bonnement qu’eux seuls la possèdent. Ils vous parlent sans cesse de leurs ancêtres, et jamais des vôtres ; et parce qu’ils ont hérité gratuitement de la presque totalité de leurs biens, ils en déduisent qu’à eux seuls aussi devrait appartenir le patrimoine ecclésiastique, que nous considérons, dans ce moment, comme l’héritage des puînés. Tels sont les sentiments généreux dont l’expression nous frappe presque à chaque instant. Cruelle position, que d’être toujours en butte à. des hommes passionnés, dont pas un pourtant ne voudrait être à votre place, aux mêmes conditions qui vous l’ont acquise : car je ne parle pas de quelques abbés inutiles, favorisés par d’heureuses circonstances, que la moindre réforme ferait disparaître pour jamais. Lorsque j’entends les laïques se livrera unecha-leur extrême contre les biens ecclésiastiques, je me demande toujours : A qui donc en veulent-ils? Prétendent-ils dépouiller ceux qui possèdent? Ils disent que non; ils conviennent qu’il faut attendre leur mort. En ce cas, qui dépouilleront-ils, si ce n’est leur propre postérité? Est-ce que les biens ecclésiastiques peuvent passer à d’autres qu’aux enfants des laïques? Que* veulent-ils donc? ôter à leurs enfants par jalousie contre leurs frères. Sans doute, une partie des biens ecclésiastiques peut recevoir un meilleur emploi, puisque ces biens sont nou-seulemeut une propriété, mais encore un salaire. La loi conserve un grand empire sur la latitude des fonctions ainsi salariées ; elle peut, sans violer la propriété, lui indiquer sa plus véritable destination. Sous ce point de vue, rien n’est plus intéressant pour la nation qu’une {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. flO août 17S9.] réforme utile à laquelle on ne peut pas douter que toute la partie saine du clergé ne se prêtât avec zèle. Outre la direction de l’emploi, conformément à l’esprit des fondations et à l’intérêt public, j’attribue encore à la loi le choix des propriétés, qui, pouvant choquer l’intérêt général, peuvent mériter d’être éteintes moyennant indemnité. Mais cette règle est générale pour toutes les classes de la société. Toutes les fois qu’une propriété quelconque est jugée nuisible à la chose publique, elle doit être supprimée, avec dédommagement pour le propriétaire, soit de gré à gré, soit d’après une règle fixée par la loi elle-même. La dîme, par exemple, que je regarde comme la prestation territoriale la plus onéreuse et la plus incommode pour l’agriculture, peut et doit être rachetée, ainsi qu’on vient de le proposer dans la séance du 4 août. Mais, quand on conserve quelque idée de justice et de logique, on ne conclura pas de toutes ces vérités, que les biens ecclésiastiques appartiennent à la nation et non au clergé, et qu’on peut les lui enlever, en se contentant de lui assigner, n’importe comment, des salaires convenables. Le clergé possède en propriété les biens qui lui ont été donnés en propriété ; ces biens sont grevés d’une prestation de services ; c’est une charge de la fondation; il faut qu’elle soit acquittée. Quelle est la propriété qui n’a pas été soumise à quelque charge? Serait-ce une raison pour qu’un bien ainsi transmis ne pût pas être une propriété ? A-t-on jamais permis à celui en faveur de qui une redevance a été imposée d’expulser le propriétaire et de s’emparer du bien ? A cet égard, j’ai suffisamment indiqué les principes. Je le répète : tant que le propriétaire existe, vous ne pouvez que surveiller et diriger Te service auquel il est tenu ; ou si une partie de sa propriété est nuisible, la supprimer avec indemnité. Si vous avez des projets sur la propriété elle-même, une autre conduite vous est ouverte : détruisez l’association politique ou le corps moral ; attendez la mort des usufruitiers titulaires (l), car une possession viagère est aussi une propriété, et, alors, vous seuls évidemment pouvant' hériter de tous ces biens, vous en ferez ce qu’exigera l’intérêt public. On suppose entre l’usufruit et la propriété, des différences qui font plus dans le mot que dans la chose. Qu’est-ce que l’usufruit, si ce n’est une propriété à vie? Qu’est-ce qu’une propriété à vie, si ce n’est pas un usufruit perpétuel ? Vous dites : L’usufruitier ne peut pas aliéner la terre; aussi ne demande-t-il pas à la vendre ; et puis, qu’importe cette aliénation, si la terre est bien cultivée ? Le propriétaire qui ne veut pas aliéner, ressemble parfaitement à l’usufruitier qui ne le peut pas. Les bénéfices peuvent être regardés comme des substitutions perpétuelles; on ne se plaint pas des substitutions laïques ; et cependant, quelle dif-(1) Je n’altache point au terme d'usufruit tout l’attirail dont la jurisprudence a su jusqu’à présent étouffer les notions les plus claires. Ici, l’usufruit n’est que la jouissance viagère. Si l’on veut être d’une exactitude rigoureuse, on pourra dire que les bénéficiers sont, ainsi que les commandeurs de Malte, par exemple, de simples administrateurs â vie et inamovibles, d’un bien dont la propriété appartient au corps du clergé, ou à l’ordre de Malte. Une jouissance viagère est une propriété tout comme une autre. Parce qu’on ne peut pas aliéner le bien dont on jouit, ce n’est pas à dire qu’on n’ait pas le droit d’en jouir. férence ! Les biens ecclésiastiques ne passent pas de force à un tel plutôt qu’à un autre. A chaque vacance, le collateur choisit le sujet qui doit en hériter pendant sa vie. Vous dites qu’au moins les propriétés particulières changent de main : n’y a-t-il pas lieu de vous répondre qu’un bénéfice change non-seulement de main, mais presque toujours de famille ? il n’est pas de propriété qui s’étende plus facilement sur toutes les classes de la société. D’ailleurs, les biens du clergé, qui payaient au fisc autant que ceux de la noblesse, vont dorénavant être soumis à la contribution commune, sans aucune différence. Enfin, s’il vous faut un propriétaire en titre, nous l’avons dit, ce propriétaire est le corps du clergé, habile à posséder ainsi que tout autre corps moral, et possédant de fait ce qui lui a été donné; en quoi il ressemble à la très-grande partie des autres propriétaires, de ceux du moins qui ne se vantent pas d’avoir conquis. J’avone que je ne conçois rien à la plupart des raisonnements qui se font en cette matière : on dirait que la seule expression d’usufruitier fait pitié; et l’on entend partout répéter cet étrange non-sens: comment ose-t-on comparer un usufruitier à un propriétaire? Pour moi, je ne vois pas en quoi l’usufruitier serait plus utile ou plus intéressant pour l’Etat, s’il devenait propriétaire libre ; ou comment la piopriétô sert mieux l’Etat que l’usufruit dont il s’agit, puisque celui-ci, outre sa contribution commune, fournit encore un salaire particulier. Tout ceque j’v vois de différence n’est qu’à Davantage privé "du propriétaire. Il est plus maître que l’usufruitier de faire, s’il veut, un mauvais usage de son bien, et d’employer librement tout son temps à ses jouissances personnelles ; mais cette différence n’est pas telle que le public ne puisse se dispenser de la reconnaissance. On ajoute, en se fâchant, qu’il est ridicule de comparer un célibataire à un père de famille. Je ne compare rien ; mais, avant de considérer la qualité de célibaiaire dans l’officier chargé d’une fonction publique quelconque, je remarque que tout homme voué à un service public, mérite, s’il le remplit dignement, non pas le courroux ou le dédain, mais l’estime et la reconnaissance de la part des citoyens, qui n’ont à songer qu’à leurs intérêts particuliers ; je remarque surtout, que ce sentiment n’est pas juste, qui porte ces dêrniers à se croire une grande et méritoire supériorité sur ceux qui veillent à futilité commune. Après cela, je demande si l’on veut considérer le célibat ecclésiastique comme un bien ou comme un mal pour la chose publique. Si c’est un bien, il n’y a plus de reproche à faire. Si c’est un mal, à qui la faute? Pourquoi, dans votre ordinaire et brillante impartialité, n’osez-vous pas condamner le célibataire laïque, libre pourtant d’accepter le lien du mariage, tandis que vous couvrez d’une critique amère le célibataire forcé? Ainsi se conduirait le législateur, s’il voyait avec indifférence toute fainéantise chez celui qui a l’usage de ses bras, et s’il voulait punir de sou oisiveté celui-là seulement qu’il a commencé par garrotter de chaînes. Ils veulent être libres , et ils ne savent pas être justes ! Le titre de père de famille est respectable, sans doute; mais combien j’ai vu d’hommesintrigants, ambitieux, n’invoquer qu’en faveur d’une basse cupidité, et d’une lâcheté réelle, l’intérêt que l’on porte à cette qualité! Certes, il n’est pas très-commun encore que les citoyens se marient par patriotisme et pour le bien del’Ëtat.Les vues par- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 393 lio août 1789.] [Assemblée nationale.] ticulières, l’intérêt personnel sont bien pour quelque chose dans ces sortes d’arrangements; et celui qui ale plaisir et la peine d’élever scs enfants, n’a pas tout à fait le droit d’envier celui surtout à qui telle fonction publique et les lois enlèvent cette possibilité. Revenons aux propriétaires; on voit qu’il eu e.-t de deux sortes : les propriétaires libres, et ceux qui sont chargés d’un service public. Une opinion exagérée présente les propriétaires libres, comme la classe la plus importante de l’Etat. Il est plus exact de dire qu’ils en sont en général les citoyens les plus fortunés. Voilà ce qui les distingue' des autres, et non une prétendue supériorité sur toutes les autres classes. Legrand intérêt de l’Etat réside dans les propriétés, et non dans tel ou tel propriétaire. Pour que les terres soient productives, il faut de bons cultivateurs, il faut des avances considérables. Le consommateur oisif du produit net n’est pas, quoi qu’on dise, la cause la plus essentielle delà reproduction; car le travail et les avances existeraient encore sans doute, lors même que le consommateur cesserait d’être oisif. Ce qui est important pour l’Etat, est donc que les terres soient bien cultivées, et qu’elles payent une forte imposition proportionnelle. On ne persuaderajamais à un homme capable de réfléchir qu’il y va du salut public que le produit net restant appartienne à l’homme oiseux plutôt qu’à celui qui, de plus, et à ce titre, est chargé d’un service public quelconque. Cependant, tel est le préjugé en vigueur dans la plupart des tètes, qu’un gros propriétaire libre, et puissamment occupé de ses jouissances personnelles, se regarde bonnement comme l’être le plus important, comme l’objet précieux en faveur de qui roule toute la machine politique, et pour qui doivent travailler ou s’agiter toutes les classes de citoyens qu’il appelle ses salariés. Que d’erreurs à corriger avant que l’on puisse avoir une bonne constitution! Les possesseurs des bénéfices ecclésiastiques sont dans la classe des propriétaires chargés d’un service public, En ce sens, ils sont encore aujourd'hui ce qu’ils ont toujours été, à la différence des possesseurs des tiefs militait esqui, d’une part, ont cessé le service, et, de l’autre, se sont attribué la propriété nue et simple de leurshefs. Heureux dans leur usurpation, ils reprochent apparemment aux ecclésiastiques de ne les avoir pas imités; mais pourtant que serait-il arrivé, si les titulaires ecclésiastiques avaient suivi cet exemple? 11 en serait résulté, comme nous l’avons dit, au moins cent vingt millions de plus d’impositions sur les peuples. Plus je réfléchis sur cette alternative, moins je puis trouver mauvais que le service ecclésiastique ait continué d’être à la charge des terres cédées à cet effet au clergé; et meme j’oserai regretler que les dépenses militaires aient cessé d’être acquittées par cette énorme quantité de fiefs fondés en faveur d’un corps national militaire qui n’existe plus. On ne me fera jamais accroire que cette manière d’assurer les deux grands services publics fût plus onéreuse aux peuples que l’impôt dont il est presque partout accablé. J ai déjà prouvé que rien n’empêche un corps moral et politique de posséder, et d’être propriétaire. L’histoire et l’état actuel des sociétés humaines fourmillent d’exemples à cet égard. Si néanmoins on réussit à établir la maxime contraire, que fera-t-on des domaines des villes, des biens appartenant à cent établissements publics, comme hôpitaux, maisons d’éducation, etc.? Après des fondations aussi utiles, il serait superflu de > citer l’ordre de Malte, celui de Saint-Lazare, etc.; mais on peut demander comment on établira une exception en faveur de la nation elle-même, ce corps moral et politique qui embrasse tous les autres, et qui n’est pas plus habile à posséder que toute autre association Certes, si le plus petit bailliage ne juge une contestation de quelques écus qu’avec poids et mesure, on peut s’étonner de l’extrême vivacité avec laquelle un corps revêtu de la fonction de législateur remue et préjuge les questions et les affaires les plus importantes dans leurs relations morales et politiques. L’affranchissement des terres ou leur libération de toutes charges, excepté celle de l’impôt, est une des plus belles lois qu’il soit possible de faire. Mais, la première de toutes, et la plus importante sans doute, est celle qui protège toute propriété, et qui, lorsque l’intérêt de la chose publique exige l’extinction de quelque partie, ne la supprime pourtant dans les mains de son légitime possesseur, qu’en l’indemnisant de sa perte. Je ne m’explique pas pourquoi, dans l’Assemblée nationale, tant de députés se hâtent d’invoquer leurs cahiers sur une foule de détails quelquefois insignifiants, et qu’aucun, dans une circonstance assez grave cependant, ne s’avise de réclamer le premier article de tous les cahiers, qui dit : la propriété doit être sacrée et inviolable. Avant de finir, il est bon de remarquer qu’une partiedes erreurs que je combats, peut venir d’une simple inexactitude de langage. On entend dire continuellemen* que le Roi donne un bénéfice, comme on dit qu’il donne une pension, un commandement : l’expression est fausse. Le Roi ne donne point de bénéfice, il y nomme. Ce sont les propriétaires, les fondateurs qui ont donné. Les bénéfices n’appai tiennent pas au Roi; il ne peut point les garder; il ne peut pas, en bonne règle, les laisser vacants, et lorsqu’il y nomme, ce n’est p.as de la même manière qu’il nomme à une pension, à un emploi. 11 ne fait autre chose que de désigner celui à qui, d’après les intentions du fou-dateur, telbénéfice doit appartenir pendant sa vie. Ainsi les biens du clergé peuvent être assimilés aux substitutions à perpétuité. Le choix du titulaire usufruitier n’a pas toujours appartenu au Roi. On sait comment s’est opéré le changement arrivé à cet égard; mais la nomination aux bénéfices, eu changeant de main, n’a pas pour cela changé de nature : ce n’est jamais qu’un choix entre des personnes habiles d’ailleurs à posséder. Je n’ai seulement pas le temps de relire ce que j’ai écrit. Les ennemis du clergé le pressent avec tant de vivacité, et le moment est si favorable pour satisfaire au seutiment qui les pousse, que vraisemblablement mes observations arriveront trop tard, si l’on daigne même y faire la moindre attention. En ce cas, je me contenterai de répéter avec ies gens sages : qu'il est bien aisé aux Français de commettre les plus grandes injustices, ’ dès qu’ils se mettent à sentir au lieu de penser, et à décider les questions avant de les avoir apprises. L’Assemblée nationale a décidé de plus, dans la nuit du 4, que la pluralité des bénéfices n’aurait plus lieu à l’avenir. Je n’ai nulle envie de rappeler sur cette question les lois déjà faites, ni d’en proposer de nouvelles, qui pourraient facile-ment valoir beaucoup mieux. Je ne veux que soumettre quelques observations qu’it eût été bon de prévoir avant de rien arrêter. Les bénéfices simples, dans l’état actuel, ne peuvent être considérés que comme des récompenses 394 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. lll août 1789.] (Assemblée nationale.] ecclésiastiques. Or, défendre la pluralité des bénéfices, n’est-ce pas dire : nous ne voulons point récompenser ceux qui travaillent; les bénéfices simples ne doivent être conférés qu’à ceux qui ne font rien? N’est-ce pas interdire à un seigneur de donner un bénéficeae cent écus à son curé,. quelqu'une qu’il soit dans sa paroisse, quelque bien qu’il se conduise envers lui? Lorsqu’une abbaye viendra à vaquer, n’est-ce pas dire au Roi : vous cherchez un homme sans état, sans occupation pour la lui donner? Peut-on dire à celui qui possède une abbaye de 40,000 livres de rente, et qui serait très-propre pour un évêché de 30,000 livres, vous ne pourrez devenir utile qu’en sacrifiant votre revenu? Enfin, comment approuver qu’un homme puisse posséder un bénéfice de cent' mille livres, et qu’il ne puisse pas réunir deux chapelles de cent écus? Il n’est point de questions qui n’ait une certaine latitude. 11 n’est point de changement qui n’entraîne des suites. Ne serait-il passage, n’est-il pas digne d’un corps législatif de les prévoir, et de songer aux moyens de remédier aux inconvénients, avant de rien statuer? M. Garat, le jeune. Les individus et les corps tels que le clergé, ont une existence toute différente dans la société. Les individus existent par eux-mêmes; ils portent dans la société les droits qu’ils ont reçus de la nature ou qu’ils ont acquis par leur industrie; la société existe par les individus; les corps au contraire existent par la société. En les détruisant elle ne fait que retirer la vie qu’elle leur a prêtée, ce qui peut être quelquefois un grand acte de bienfaisance et pour les membres de ce corps, et pour la société tout entière. (De vifs murmures l’interrompent. On n'a pas besoin de discussion philosophique, lui disait-on d’un côté; de l’autre, on lui criait : Parlez, parlez l) M. Garat, le jeune. Les biens des particuliers et ceux du clergé nese ressemblent pas davantage; il y a entre eux des différences essentielles, et je demande que la dîme soit convertie en un traitement payé par le trésor public; que pour les possesseurs actuels, la proportion du traitement soit celle du produit de leurs dîmes, et que pour leurs successeurs le traitement soit proportionné à l’étendue de leurs paroisses, d’après l’avis des administrations provinciales. Les murmures qui interrompent l’orateur se prolongent longtemps après qu’il est descendu de la tribune. Ou demande à aller aux voix, mais le président ne peut pas se faire entendre. Enfin, après une longue agitation, l’Assemblée se disperse sans prendre aucune délibération. La séance est levée à onze heures et demie. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHAPELIER. Séance du mardi 11 août 1789 (1). La discussion est reprise sur l'article 7 du projet présenté par le comité de rédaction pour l'abolition des privilèges. L'article 7 est relatif aux dîmes. M.I*ét!on de Villeneuve expose que la question n’est pas éclaircie, qu’elle pourrait donner lieu à de vifs débats et qu’il vaudrait mieux en renvoyer la discussion à une autre époque. M. Goupil de Préfeln. Dans la nuit du 4 août, le clergé, en consentant à la suppression des dîmes, avait entendu sans doute faire un acte de patriotisme, et accorder un bienfait au peuple; mais, si le rachat est ordonné, s’il est accordé de la manière que le clergé le demande, quel bienfait la nation aura-t-elle retiré de la suppression des dîmes, dont le rachat sera plus greveux que la dîme elle-même? M. BBicard. Lorsque le clergé se levait avec tant d’ardeur pour prononcer la suppression des droits féodaux, était-ce pour élever sa puissance sur les débris des autres ordres? Ce doute si naturel ne disparaîtra que lorsque vous apprendrez au peuple ce que vous vouliez faire pour lui. Vous avez voulu sans doute soulager la nation ; vous avez entendu faire quelques sacrifices? Eh bien l au moyen du rachat des dîmes, la nation serait surchargée; vous n’auriez fait aucun sacrifice, puisque vos revenus en seraient augmentés. On remet dans ce moment à M. Ricard des pièces dont il demande de faire la lecture. Ce sont, dit-il, des actes par lesquels plusieurs curés, reconnaissant que la conversion des dîmes en argent serait plus onéreuse aux peuples, les remettent et en font abandon dans les mains de la nation. Aussitôt plusieurs curés, qui n’avaient point connaissance de cette déclaration, se lèvent pour déclarer qu’ils y adhèrent. La déclaration est remise sur le bureau, et un grand nombre de membres du clergé s’empressent d’y. apposer leurs signatures. On compte parmi les premiers signataires!. LeFrancdePompignan, archevêqued’Aix, plusieurs évêques, dom Chevreuse. M. Decoul-miers, abbé d’Abecourt, et un grand nombre de gros bénéficiers. Pendant une demi-heure le bureau est plein de membres qui vont signer leur déclaration, au milieu des applaudissements et des mouvements tumultueux de la joie de l’Assemblée et de l’auditoire. M. l’abbé Ouplaquet, député des communes de Saint-Quentin, donne sa démission, dans les mains de la nation, d’un prieuré, en disant qu’il s’en remet à sa justice pour un traitement; attendu, quoi qu’en dise M. de Mirabeau, qu’il est trop vieux pour gagner son salaire , trop honnête pour voler, et qu’il avait rendu des services qui devaient le dispenser de mendier. Lorsque le calme est un peu rétabli, M. l’archevêque de Paris demande la parole. e M. BLe Clerc de Juigné. Au nom de me? confrères, au nom de mes coopérateurs et de tous les membres du clergé qui appartiennent à cette auguste Assemblée; en mon nom personnel, Messieurs, nous remettons toutes les dîmes ecclésiastiques entre les mains d’une nation juste et généreuse. Que l’Evangile soit annoncé, que le culte divin soit célébré avec décence et dignité, que les églises soient pourvues de pasteurs vertueux et zélés, que les pauvres du peuple soient secourus : voilà la destination de nos dîmes, voilà la lin de notre ministère et de nos vœux ; nous nous confions dans l’Assemblée nationale, et nous ne doutons pas qu’elle ne nous procure les moyeqs de remplir dignement des objets aussi respectables et aussi sacrés. (On applaudit.) (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.