370 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 août 1790.] le 12 juiD, relativement au jugement des individus qui ont été déposés dans ses prisons; 3° Que lesdits individus détenus depuis le 12 juin dans les prisons d’Orange seront provisoirement élargis, à la charge de tenir la ville d’Orange pour prison, où ils resteront sous la sauvegarde de la nation française; 4° L’Aesemblée nationale charge son président de faire remettre incessamment une expédition du présent décret, tant aux officiers municipaux d’Orange qu’aux députés de la ville d’Avignon. Elle charge en outre son président d’écrire au peuple avignonnais, pour lui témoigner la profonde douleur dont elle a été affectée à la vue des malheurs qui ont accompagné les événements arrivés à Avignon, et l’inviter à employer les moyens les plus efficaces pour effacer jusqu’au souvenir de ces malheurs, et pour rétablir entre tous les citoyens la concorde que leur intérêt mutuel leur prescrit. M. Malouet (1). Messieurs, tout ce qui a été dit et écrit depuis le mois de juin sur les troubles d’Avignon, pour soutenir l’indépendance de celte ville et la conduite de la municipalité, est la paraphrase de cet axiome que la souveraineté réside dans le peuple, et que les peuples qui veulent être libres, le deviennent. Mais sans contester des principes généraux, applicables aux grandes sociétés, et non pas aux fractions dont elles sont composées ; sans m’arrêter à des abstractions, lorsque nous avons à prononcer sur des faits, je me placerai à la naissance des événements sur lesquels doit porter votre décision, et je trouve qu’avant la proposition qui vous fut faite de réunir Avignon à la France, cette ville faisait partie des Etats du pape ; que ses habitants étaient fidèles à leur prince, et avaient manifesté le vœu de persévérer dans cette fidélité. Un changement d’Etat ne pourrait donc s’opérer dans leur cité, en supposant qu’elle formât un corps social, indépendant de toute autre association, que par une délibération libre et unanime. Mais s’il est arrivé qu’une motion faite dans cette Assemblée ait fait fermenter les esprits des Avignonnais, exalté les uns, alarmé les autres; qu’il se soit élevé parmi eux différents partis, dont l’explosion s’est faite par une horrible sédition; silesimpro-bateurs de la motion sont massacrés ou mis en fuite; et que la ville, réduite à la moitié de ses habitants, présente encore, en cet instant, un spectacle de désolation, il est dérisoire, il est cruel d’appeler un tel état de chose la liberté, de firésenter comme le vœu du corps social, la vo-onté de ceux qui le dissolvent, d’établir les droits des peuples sur la violation des droits de l’homme, et leurs maximes philosophiques sur des scènes de brigandage. Les faits et les principes doivent donc nous guider dans la discussion de cette affaire, et je ne crains pas de dire que les faits sont altérés, les principes méconnus. Le rapport de M. Tronchet est encore trop récent; les relations, les témoins, les preuves authentiques de tout ce qui s’est passé à Avignon, et dans le comtat nous environnent de trop de lumières pour que l’Assemblée, livrée à de fausses impressions, commette la plus dangereuse des injustices. J’examinerai d’abord, Messieurs, comment vous vous trouvez saisis de cette affaire, quels fl) Le discours de M. Malouet n’a pas été inséré au Moniteur. sont vos droits, quels sont vos intérêts dam la décision qu’on vous propose. Personne n’ignore que le premier plan de conquête ou de réunion de la ville d’Avignon à la France fut conçu par M. Bouche. Lorsqu’il lança sa motion dans l’Assemblée, personne n’imagina pouvoir l’appuyer, et elle serait restée ensevelie dans les journaux sans la sédition du 11 juin. Votre indifférence pendant six mois fut un acte de justice et de raison, et Fou n’a pu parvenir à la faire cesser qu’en employant tous les moyens que les conquérants vulgaires, comme les plus renommés, ont toujours à leur disposition : on a donc successivement contesté, infirmé les droits du pape, rappelé ceux de la France sur la ville d’Avignon, exposé l’intérêt réciproque des deux pays dans une réunion, le vœu du peuple qui vous reconnaît, qui se soumet à votre domination, enfin des troubles , des complots, un volcan , une armée , des canons de soixante-quatre livres de balle qui menacent la France, un foyer d' aristocratie qui va répandre au loin ses feux dévorants. Voilà les grandes images par lesquelles ou a tâché de soutenir votre attention, et le dernier moyen employé pour provoquer votre décision, a été l’expusé de l’expédition des Avignonnais contre Cavaillon, c’est à-dire que deux cents brigands mis en fuite par les citoyens de Gavailion vous sont présentés co urne un évènement politique qui doit attirer vos regards, et vous déterminer à un parti définitif. Mais des fables absurdes, des complots imaginaires et les crimes commis le 11 juin à Avignon ne pourraient infirmer les droits du pape sur cette ville ni vous en créer à vous-mêmes; il faut en revenir à la possession du territoire et au titre de la possession. Le prince qui possède est-il usurpateur ou possesseur légitime? Etjg-vous établis arbitres des rois et des nations pour réparer leurs griefs, ou avez-vous vous-mêmes des droits à faire valoir sur la ville d’Avignon? Voila la question qu’il faut résoudre. Les droits du pape sur le comtat ont la même origine que ceux de la France sur une partie du Languedoc. Raymond, comte de Toulouse, dépouillé de ses Etats, en transmet la propriété par un traité au roi de France et au Saint-Siège. Ici le droit de conquête, le droit du plus fort qui a régi l’univers, ne peut être consacré dans ses effets, que parce que les peuples seraient encore plus malheureux si, après de grandes agitations, après plusieurs siècles de possession, les princes et Jes diverses sociétés politiques se trouvaient soumis à un examen sévère, à un juge-meut rigoureux des éléments et des titres de leur puissance. Et quels Etats de l’Europe ne seraient exposés aujourd’hui à être dissous ou démembrés, si une longue possession, garantie par des traités et par consentement solennel ou tacite des nations, ne formaient en leur faveur une véritable prescription? De quel œil avons-nous vu, lors du partage de la Pologne, les manifestes des trois puissances motiver leur invasion par des commentaires de transactions annulées par des traités postérieurs? Les droits du pape sur la ville d’Avignon résultant d’une vente librement faite par la reine Jeanne en 1348, confirmée par un diplôme de l’empereur, seigneur suzerain, reconnus et garantis par tous nos rois, successeurs des comtes de Provence, sont contestés parM. Bouche qui nous apprend que la reine Jeanne a été lésée, séduite: [27 août 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. qu’elle ne pouvait aliéner son domaine ..... Mais si cette réclamation eût eu quelque poids de la part du successeur immédiat de la comtesse de Provence, ou de ses ayants-cause, que signifie-t-elle de la part de l’honorable membre, après ciDq siècles écoulés? Les habitants d’Avignon ne sanctionnèrent-ils pas, par leur serment, le contrat de la reine Jeanne? Ne traitèrent-ils pas, avant de le prêter, avec Clément VI, pour la conservation de leurs privi‘èges?N’ont-ilspas ratifié ce premier serment de règne en règne, en demeurant fidèles au Saint-Siège ?Tous les rois de France, depuis Philippe-le-Bel, n’ont-ils pas reconnu le pape pour légitime souverain d’Avignon et du comtat Venaissin?Et ceux de nos rois qui s’en sont emparés, pendant leurs querelles avec la cour de Rome, n’ont-ils pas, par la restitution, consolidé ses droits?... La bonne foi, la justice repoussent toute allégation contraire. Si tous les pays échangés ou cédés pour de l’argent pouvaient être revendiqués par les représentants des premiers possesseurs, l’Europe, si souvent agitée, n’aurait plus d’intervalle ae repos. Les îles du Vent nous ont été vendues cent mille écus. Charles II vendit à Louis XIV, pour cinq cent mille, la dernière possession de l’Angleterre sur notre territoire. . . Consentiriez-vous, Messieurs, à la restitution de ces deux marchés qui ne remontent pas à des époques aussi reculées que celui d’Avignon? Et parceque le pape n’a pas deux cent mille hommes et soixante-dix vaisseaux à ses ordres pour défendre son titre, vous voudriezl’anriuler ! Tels furent lajustice, la politique et les principes de Tamerlan. Mais l'Assemblée nationale de France professe une autre doctrine; et les législateurs qui ont publié la déclaration des droits de l'homme , qui, par une déclaration non moins solennelle, ont renoncé à toute conquête, à toute guerre injuste, renoncent aussi à dépouiller un prince étranger parce qu’il est faible, et à s’approprier ses domaines, parce qu’ils sont à leur convenance. Oui, sans doute, Messieurs, elles sont fort à notre convenance, ces terres que Ton veut disputer à la cour de Rome; et loin d’affaiblir ici les raisons de mes adversaires, je pourrais y ajouter celles qu’ils dissimulent ou qu’ils ont oubliées. Mais quelle idée aurait-on de la justice, si l’on pouvait croire qu’on n’est tenu à l’exercer qu’à son profit et jamais à sa charge ? Et en quoi votre politique différerait-elle de celle que vous avez si hautement condamnée, après avoir établi les principes les plus sévères du droit etde la morale publique, vous vous faisiez un jeu de les violer dans U pratique? Certainement vous ne vous dissimulez pas les conséquences funestes d’un pareil procédé; vous concevez qu’il est en cet instant plus d’un prince en Europe qui se féliciterait du succès de la motion de M. Bouche, qui attend avec impatience ce qu’on aura droit do penser de l’honneur de la loyauté française et des principes de notre Constitution. Quoi 1 vous avez déclaré que vous ne seriez jamais agresseur, que vous vous borneriez toujours à une légitime défense; et le seul monarque de l’Europe qui n’a ni armée, ni vaisseaux, qui ne vous a fait aucune injure, est celui qu’on voug propose de dépouiller, parce que ses domaines sont à votre convenance? Mais le comtat Venais-sin n’est pas le seul territoire qu’il nous fut très utile d’aequérir. La partie espagnole deRaint-Do-mingue serait pour nous d’une bien autre importance; la Louisiane, cédée sans équivalent; 371 l’Acadie, qu’une guerre injuste nous a fait perdre, nous seraient plus utiles que tout l'Etat ecclésiastique. Si donc une fois on nous fait décréter le principe d’invasion à raison de la commodité, il en résulte pour la France un état de guerre éternel vis-à-vis de toutes les puissances du monde ; il n’y a plus rien de stable dans son alliance, rien de sacré dans ses engagements ; ledroitdes gens, à son égard, devient le droit du plus fort; et lorsque vous croyez avoir détruit, dans ses fondements, le règne des abus, des-injustices du despotisme, vous travaillez pour les tyrans, car ils se moqueront de vos paroles lorsque vos actions pourront leur servir de modèles. ’ Les raisons de convenance ne doivent donc pas vous paraître plus admissibles que l’invalidité prétendue d'un titre consacré par cinq siècles de possession. H reste à examiner ce que vous devez accorder au vœu des Avignonais qui s’offrent à votre domination ; et dans le cas où ce vœu serait bien constaté, serait libre et légal, il s’agit de savoir si vous devez y déférer. Il n’est pas douteux qu’une cité formant un Etat libre et souverain, la ville de Genève, par exemple, n’eût le droit de renoncer à son indépendance, et de se mettre sous votre protection, en se déclarant sujette de la France. Mais il n’en est pas ainsi, d’après tous lesprin-cipes du droit public et du droit des gens, d’un pays soumis à un légitime .souverain; et en supposant que la ville de Lausanne, sujette de l’Etat de Berne, voulût imiter celle d’Avignon, je ne pense pas qu’il fût d’une juste et sage politique d’accepter son hommage, et de vous préparer à soutenir, par la force des armes, contre le canton de Berne, l’insurrection de Lausanne. Lausanne et Avignon sont absolument dans le même état vis-à-vis de vous ; la seule différence consiste dans les moyens qu’a le canton de Berne de maintenir sa souveraineté, et dans l’impossibilité où est le pape de vous résister, si vous voulez lui ravir la sienne. Que signifie donc, pour vous, le vœu des Avignonnais, leurs offres et leurs ambassadeurs? Tout cela, Messieurs, est en justice, en raison, en politique, l’équivalent de la motion de M. Bouche. Si les habitants d’Avignon, paisiblement assemblés, avaient délibéré, après mûre réflexion, de cesser d’être sujets du pape et de se reconnaître sujets de l’empire français, cette délibération ne serait légale et juste qu’autant qu’elle serait la suite d’une violation de leurs droits par le prince qui les gouverne, et des représentations infructueuses qu’ils auraient faites pour obtenir le redressement de leurs griefs. Ces principes sont les vôtres, Messieurs ; résister à l’oppression est lè droit de tous, celui des peuples comme celui des individus. Mais vous n’avez pas entendu légitimer, dans tous les cas, les insurrections de la multitude contre le gouvernement; et si l’on veut que la paix, l’humanité, la justice ne soient pas bannis de nos sociétés politiques, il faut bien reconnaître comme principe inviolable de l’ordre public que le prince, dans une monarchie, tant qu’il observe les lois a des droits sacrés à la fidélité des sujets, comme ceux-ci en ont à sa protection et à sa justice. Sans cette réciprocité d’obligations, le premier ambitieux qui parviendrait à séduire, à subjuguer le peuple, serait le maître de changer la constitution d’un Etat. 372 [Assemblée nationale. j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 août 179U.J D’après ces maximes queje crois pures, incontestables, l'insurrection des Avignonnais contre leur prince, en la supposant unanimement combinée, serait de leur part, injuste, coupable, impolitique, et nous n’aurions aucuns droits d’en profiter. Elle serait injuste et sans motifs, car le gouvernement auquel ils étaient soumis n’était point oppresseur ; et ce qui le prouve, c’est que sur cent communautés qui composent le comtat Ve-naissin, quatre-vingt-seize persistent dans leur obéissance au pape. Elle serait impolitique, car tous les avantages que les Avignonuais trouveraient dans leur réunion à la France, iis peuvent les obtenir de notre Constitution sans en supporter toutes les charges; et votre propre intérêt se prête, comme je le démontrerai tout à l’heure, aux arrangements les plus favorables aux deux pays. Il est donc improbable, je dirai même impossible, que des hommes sensés, étrangers à toutes factions, se trouvant dans la position où sont les Avignonnais, pouvant obtenir notre Constitution sans payer tous nos impôts, n’ayant à craindre du pape aucune force oppressive, se déclarent les partisans de la motion de M. Bouche. Eufin, je dis que nous n’aurions aucun droit de profiter d’une telle insurrection, fùt-elle motivée; car le devoir d’une puissance alliée est de pacifier les troubles, de protéger les réclamations justes d’un peuple voisin, mais non d’en accepter la souveraineté. J’ai supposé, Messieurs, dans cet examen des causes, des circonstances de l’insurrection d’Avignon, tout ce qui pouvait le rendre favorable; mais voici le moment de rétablir de tristes vérités. La plus détestable perfidie a couvert cette ville de sang et de deuil. Tout est éclairci maintenant ; ce que nous avions appris par des relations particulières, par le témoignage des habitants cir-convoisins, par les plaintes ues fugitifs, a acquis un nouveau caractère d’authenticité, par la déclaration d’un officier municipal. Le sieur Au-dilfret a déchiré le voile sous lequel on nous cachait les tyrans et les victimes. Le sieur Audiffret, épouvanté de toutes les horreurs qu’il n’a pu ni prévenir ni empêcher, abdique ses fonctions et publie ce qu’il sait, ce qu’il a vu, c’est lui qui était à l hôtel de ville lorsque le tocsin a sonné le 10 juin; c’est lui qui a vu arriver les compagnies de la Magdelaiue, qu’on vous a dit être armées contre le peuple; il atteste que ces prétendus conspirateurs venaient défendre l’hôtel de ville, qu’il leur a fait délivrer des cartouches, qu’ils ont posé les armes à la première sommation ; il uéclare qu’il a reçu les paroles de paix des deux partis; qu’il a signé le traité; que les soi-disant agresseurs se sont retirés paisiblement chez eux sur la loi de ce trailé; et c’est dans la nuit, c’est au mépris des serments, qu’on a été choisir les victimes pour les égorger... L’abus de la force dans ses plus cruels excès, des bourreaux, des gibets, des innocents massacrés, dix mille habitants fuyant de cette ville malheureuse; voilà la déplorable histoire de la révolution d’Avignon, qu’on osa vous présenter ici comme un triomphe de votre Constitution. Est-il possible, Messieurs, que nous nous unissions un instant à de pareilles iniquités, et que vous ayez si longtemps ditféré de les marquer du sceau de votre indignation ! Car il existe encore à Orange, d’honnêtes et malheureux citoyens, dans les liens d’un décret qui n’eût dû être pour eux qu’un acte de protection. En écartant les fables dont on a osé nous entretenir depuis le mois de juin, il ne re-te, Messieurs, que les faits authentiques que je viens de vous exposer, et dont il me serait pénible de développer les détails; car vous verriez sortir d’une motion, qui n’eût jamais dû vous occuper, tous les malheurs, la dépopulation, la misère, la ruine d’Avignon, les troubles du comtat et l’agitation de tous les cantons environnants. La même intrigue, qui a excité dans celte ville une cruelle sédition, a propagé l’incendie en excitant des alarmes dans toutes les villes et les bourgs des environs ; des émissaires se sont répandus dans toutes les communautés du comtat, et lorsqu’on n’a pu réussir par la séduction, on a essayé la force, tel a été l’objet de l’expédition contre Cavaillon. Les auteurs de tous les mouvements les dénonçaient en Languedoc, en Dauphiné, en Provence, comme des essais de contre-révolution; de là, les suspicions, les culomnies dirigées contre l’assemblée représentative uu comtat; ainsi vous voilà forcés d’intervenir aujourd’hui dans ces dissensions, par la seule raison qu’elles n’ont d’autre prétexte, d’autre aliment que votre intervention. Mais, sous quel rapport et d’après quel principe l’Assemblée nationale de France se mêlera-t-elle des troubles d’Avignon? Je vous pro poserai, Messieurs, les seules vues, les seuls motifs qui sont dignes de vous. Maintenir la tranquillité sur notre territoire, voilà votre premier devoir; la procurer à nos voisins est le plus noble usage que vous puissiez faire de votre autorité et de vos moyens. De ces deux objets, le premier sera rempli en défendant aux municipalités et gardes nationales de France, de prendre aucune part aux mouvements et aux aflaires d’Avignon. Quant au rétablissement de l’ordre dans cette ville, ce ne peut être ni en vous en emparant, ni en influant sur sa police par une violation de territoire, que vous y parviendrez légitimement; vos intentions manifestées sur le retour de la paix, delà justice entre les citoyens auront seules une grande autorité: le souverain rétanli dans ses droits, la protection de la France pour en assurer la conciliation avec ceux des habitants, une amnistie sollicitée pour les coupables, la sûreté promise aux fugitifs, voilà, je crois, dans cette affaire, le parti le plus digne de l’Assemblée nationale; et ce parti exclut eeiui de toute tentative pour la réunion, parce qu’elle n’est ni juste ni praticable autrement que par la force. Après ces considérations de devoir, celles de l’intérêt national peuvent vous occuper; il n’en est qu’une importante, parce qu’elle les réunit toutes. Avignon et le comtat, enclavés dans votre territoire, opposent dans ce moment-ci un obstacle au reculement des barrières aux frontières. Si on affranchit de toute espèce de droit les denrées et les marchandises du crû de ce petit pays, elles acquerront un avantage manifeste sur les denrées et les marchandises de fabrique nationale; si on laisse subsister les douanes établies, les entraves dont nous avons voulu nous débarrasser dans la circulation intérieure subsistent dans cette partie, et cette grande opération du reculement des barrières se trouve soumise à la plus ouéreuse exception. Tels sont les motifs déterminants d’une réunion pour l’un et l’autre pays, sauf les compensations et les indemnités qui seraient jugées convenables par la cour de Rome. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (27 août 1790.] Je n’ai point affaibli la difficulté, je vais tâcher de la résoudre. Remarquons d’abord qu’il ne s’agit plus ici de contester les droits du pape, et de faire valoir le vœu du peuple avignonnais; j’ai rénondu par des principes et par des faits à la question du droit public... Obligé de respecter la souveraineté, la possession d’un prince étranger, nous ne pouvons traiter avec lui et avec, ses sujets, une question d'économie politique et d’un intérêt réciproque entre les deux payte, que par la voie de négociation et en proposant, des expédients également favorables aux deux parties. Nous devons d’abord observer que les habitants du corntat, étant presque tous d’origine française, ayant nos mœurs, nos habitudes, se trouvant associés à nos succès comme à nos revers ne peuvent être respectivement à nous, ce que serait tout autre peuple étranger pour qui la sortie de notre numéraiie serait un bénéfice à notre charge, le corntat, au contraire, ne peut augmenter en population, en richesses, en industrie, sans que tous c»*s avantages ne soient réversibles sur la France, dans le sein de laquelle il se trouve placé; mais cependant, s’il s’établissait à Avignon, des manufaclures rivales d�s nôtres, et affranchies de nos impô s, il est certain que nous ne pourrions en soutenir la concurrence en leur accordant une libre issue ; c’est donc par les douanes, et en imposant leur exportation, que nous préviendrons cot inconvénient; nous ne pouvons pas davantage permettre aux habitants du corntat une culture, ou toute autre fabrication de marchandise qui serait interdite aux Français ; et ces prohibitions sur un sol étranger ne s’exécutent que par les barrières dont on a le droit de l’envirooner. Il nous convient aujourd’hui d’adopter d’autres expédients, et il conviendra sans doute aux habitants du corntat d’accepter tous ceux qui ne rendront pas leur condition pire. Or, il n’est rien de plus simple que de les affranchir de la douane, en les soumettant à nous eu payer le produit estimé sur une année moyenne, calculé d’après les registres des fermes depuis dix ans. Rien de plus simple encore que de leur accorder tous les droits de régnicoles, en, par eux, s’astreignant à toutes les prohibitions auxquelles nous nous soumettons nous-mêmes, ainsi dans le cas où la cul lure du tabac ne serait pas libre en France, elle ne le serait pas dans le corntat ; dans le cas où un droit de timbre serait établi sur les cartes et les papiers, toute fabrique de ce genre ne pourrait exister dans le corntat, et un commissaire du roi veillerait, sur le territoire, à l’exécutiou d’une telle convention. J’ai rempli, Messieurs, la tâche que je m’étais imposée, qui était de vous préserver d’une injustice et d’une grande erreur politique : rien n’est beau que le vrai, rien n’est bon que le juste. Ainsi, quand on vous parle de vos droits sur la ville d’Avignon, il suffit d’ouvrir l’histoire et les traités pour en reconnaître le néant. Quand on vous parle de vos intérêts, il faut que ce que l’on vous propose et ce que vous voudrez faire n’offense point les droits d’autrui. Vous avez voulu fonder la liberté sur la morale, et vous avez puisé la morale dans la nature ; les droits de l’homme vous ont conduits aux droits du peuple, aux droits des gens. Telles sont vis-à-vis de vous les places fortes, les armées et les alliés du pape pour défendre son pays. Les offres de la municipalité, les délibérations mendiées et tumultueuses d’une partie des ci-373 loyens d’Avignon, tandis que les autres s’enfuient, ne peuvent rien contrecesprincipcsinalté-rables. La résistance ferme et respectueuse des représentants du corntat et de ses habitants à tous projets rie réunion, 1< ur conduite franche et légale, ne vous laisseront d’autre issue dans cette affaire que celle de la justice ; heureux de n’étre point chargés de venger, de punir des crimes inouis, il est de votre dignité, de votre bienfaisance d’assurer la tranquillité du pays en faisant précéder d’une amnistie le rétablissement de l’autorité légitime : enfin les arrangements qu’il vous est utile de conclure me paraissent d’une si facile exécution, qu’aussiôt que vous aurez prononcé vos intentions, je n’y vois point d’obstacles. Voici le projet de décret que j’ai l’honneur de vous proposer: « L’Assemblée nationale, affligée des troubles qui se sont élevés dans la ville d’Avignon et dans le corntat Venaissin, et voula it, autant qu’il est en son pouvoir, assurer la tranquillité du pays et de ses habitants, a décrété et décrète : « Que le roi sera prié, à la demande du pape, d’envoyer à Avignon un régiment d’infanterie, pour y assurer le retour de l’ordre et de la paix entre tous les citoyens, et l’obéissance au légitime souverain ; « Que la liberté entière sera rendue aux Avi-gnonnais détenus à Orange; „ « Qu'il sera défendu aux gardes nationales de France de se transporter, sous aucun prétexte, dans les villes ou territoire du corntat ; « Que le roi sera également prié d’interposer ses bous oflices auprès du pape, pour assurer le pardon de ceux qui se sont rendus coupables d’excès depuis le mois de juin dernier, ainsi que le retour libre dans leur domicile de tous les ém'grants ; « En ce qui concerne les intérêts respectifs de la France, de la ville d’Avignon et du corntat Venaissin, les ministres du roi écouteront les propositions qui leur seront faites par le ministre du pape, pour les communiquer au comité de commerce et d’agriculture, et assurer concurremment, par des expédients raisonnables, la libre communication des deux pays. •> M. Bouche (1). Messieurs, j’avais été rigoureusement chargé par mes commettants (2), de réclamer auprès de l’Assemblée nationale la restitution de la ville d’Avignon et du corntat Venaissin et leur réunion à la France. Je m'acquittai de ce devoir au mois de novembre 1789. L’Assemblée nationale ordonna l’impression ne ma motion et en décréta l’ajournement pour discuter l’importante question qu’elle renfermait, lorsque les affaires, dont l’Assemblée nationale était alors surchargée, le permettraient. Satisfait d’avoir rempli mon devoir, j’attendais en silence et avec respect que cette motion fût mise à l’ordre du jour. Les événements survenus dans le midi de la France, la pétition faite par la ville d’Avignon de vouloir être réunie à cet empire dont elle soutient n’avoir jamais cessé de faire partie, ont placé naturellement ma motion dans l’ordre des grandes affaires sur lesquelles l’Assemblée nationale doit prononcer. (1) Le Moniteur ne donne qu’une courte analyse du discours de M. Bouche. (2) Les provinces de Provence, Dauphiné, Languedoc, Guyenne, la principauté d’Orange, ont imposé la même loi à leurs députés. 374 [Assemblée nationale.) J’ai l’honneur de paraître aujourd’hui devant vous, Messieurs, pour remplir l’attente de mes commetta 'ts, et m’acquitter entièrement de ma mission, relativement à la réunion de la ville d'Avignon et du comtat Venaissin. Le rapport que vous venez d’entendre vous a instruits de la pétition de la ville d’Avignon, des titres qu’elle a pour être réunie à la France, et de ceux que vous avez pour la réunir. Ce rapport vous a instruits des événements malheureux qui ont eu lieu dans cette ville intéressante, dans les journées des 10 et 11 juin dernier. Il me reste donc peu de choses à dire ; mais ce que je dirai, on ne vous l’a point dit encore, et je le crois essentiel dans la question qui est, en ce jour, soumise à votre délibération. DISCUSSION. Il n’y a personne parmi vous, Messieurs, qui ne sache que le comtat Venaissin fut, en 1228 (1), cédé par Louis IX, qui n’en avait pas le droit.au pape, pour le dédommager des dépenses qu’il avait faites enentretenant pendant la guerre contre les Albigeois du Languedoc, des prédicateurs et des missionnaires. 11 fut c édé et reçu comme dépôt, en attendant que le pape fut bien assuré de la catholicité de Raymond, comte de Toulouse, qui en était souverain. En 1233, ce pays fut restitué à Raymond VII, son véritable souverain, qui en jouit paisiblement jusqu’en 1243. A cette époque le roi de France s’en saisit. En 1273, Philippe le Hardi , qui n’y avait aucun droit, le céda au pape Grégoire X. Les papes l’ont gardé jusqu’en 1662. A cette époque, Louis XIV s’en empara comme faisant partie des terres de Provence et de sa do-(1) Depuis l’an 1206, les papes convoitaient la possession du comté Venaissin. L’hérésie des Vaudois, appelés dans la suite Albigeois, parce que leurs erreurs furent condamnées à Atbi, leur fournit l’occasion de satisfaire leurs désirs. Le frère Pierre de Châteauneuf fut tué dans le Languedoc. Rome aussitôt prêcha une croisade contre les Albigeois; mais elle était en effet dirigée contre Raymond Vf, comte de Toulouse. Un compilateur de l’histoire de ce temps nous dit que : « le pape Innocent III ayant su qu’il s’était répandu des « hérésies dans la province de Narbonne, y envoya « l’abbé de Liteaux et deux moines avec lui pour série monner contre ces déloyaux bougres. Us se rendirent « à Montpellier, ou ils trouvèrent l’évèque de Castres.