[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 août 1791.] 38 lature qui suivra celle qui aura déclaré sou opinion, exprimera la sienne ainsi que le roi. « Art. 14. Dans le cas où la législature et le roi seraient alors d’accord avec les citoyens pétitionnaires, l’aiticle sera définitivement arreté pour être présenté à l’Assemblée de révision. « Dans le cas contraire où la législature et le roi, ou l’un ou l’autre s’opposeraient à ce que l’obiet de la pétition fut portée à l’Assemblée de révision, la question serait remise jusqu’à la législature suivante, qui, si la majorité subsistait toujours serait tenue de déclarer que l’article ou les articles seront soumis à l’Assemblée de révision. « Dans le cas enfin où la majorité n’existerait pas la pé ition sera regardée comme non avenue. « Art. 15. Si i.ès le principe, aussi'ôt après le recensement des pétitions, le Corps législatif ou le roi ne s’accordent pas sur e conseniement ou l’opposition, et que l’un ou l’autre manifestent une opinion contraire au vœu des pétitionnaires, la question sera soumise à trois législatures consécutives; ou si la majorité des citoyens qui ont formé les pétitions existe toujours, l’article sera porté à l’Assemblée de révision. « Art. 16. Le Corps législatif et le roi auront le droit de proposer des articles à l’Assemblée de révision, en suivant les formalités qui vont être prescrites. « Ils ne pourront en proposer aucun avant le 1er juillet 1795. i Art. 17. Si deux législatures consécutives sont «l’accord avec le roi sur les articles à proposer, ils seront définitivement arrêtés pour être soumis à l’Assemblée de révision. « Art. 18. Si le roi refuse son adhésion au décret de la législature, son veto aura les mêmes effets et la même durée que celui à porter sur les autres actes du Corps législatif. Il cessera lorsque trois législatures consécutives auront présenté le même vœu, et l’article sera remis à l’Assemblée de révision. « Art. 19. Dans le cas où ce sera le roi qui proposera de présenter à l’Assemblée de révision un ou plusieurs articles de la Constitution, il fera sa proposition par un message motivé au Corps législatif, qui sera tenu de délibérer. « Art. 20. Si trois législatures consécutives refusent d’adhérer à la proposition du roi, elie sera regardée comme non avenue. « Art. 21. Les pétitions qui seront formées ne pourront contenir aucune protestation contre l’ordre établi, ni aucune expression contraire à l’obéissance provisoire due à la loi existante ; au surplus, quelles que soient les propositions de changement ou de réforme qu’elles renferment, elles ne pourront être opposées à ceux qui les auront signées, comme empêchement à obtenir aucune place, emplois publics, ou délégations données par le peuple. « Art. 22. L’Assemblée de révision ne pourra, sous aucun prétexte, s’occuper d’autres objets que de ceux qui lui seront soumis, suivant les formes ci-dessus prescrites ; les décreis qu’elle rendrait au delà, seront nuis et de nul effet. « Elle ne pourra s’occuper ni d’aucune disposition dans l’ordre législatif, ni d’aucune inspection dans quelque partie que ce soit de l’ordre administratif. Elle n’aura aucun autre pouvoirque celui d’examiner les articles qui lui seront soumis; elle pourra cependant donner tous les ordres nécessaires pour assurer son entière liberté et sa parfaite indépendance, et elle aura, comme le Corps législatif, la police dans le lieu de ses séances. <• Art. 23. Elle sera parfaitement libre dans ses opinions; et quelle que soit la majorité des pétitions, quelle que soit la réunion ou l’opposition du Corps législatif ou du roi, chacun des membres de l’Assemblée de révision n’aura d’autre obligation que celle de voter, suivant ses lumières et sa conscience, pour ce qu’il croira le plus conforme à la justice et à l’utilité générale. « Art. 24. Le Corps législatif et le roi nomme* ront chacun quatre commissaires pour remettre à l’Assemblée de révision, lors de son ouverture, les articles arrêtés pour être les objets de son travail. " Art. 25. Aussitôt que ce travail sera terminé, l’Assemblée de révision en fera prévenir le Corps législatif et le roi. « Elle nommera 24 commissaires pour setrans� porteraupiès du Corps législatif, ei, en sa présence et en celle du roi, faire solennellement à la Constitution, sur la minute déposée aux archives, les changements et réformes qui auront été décrétés. <■ L’Assemblée de révision se séparera aussitôt. « Art. 26. Dans les réformes qu’elle pourra décréter, elle prendra pour règles les droits de l’homme et du citoyen, et ces principes éiernels de libtrté et d’égalité que les formes du gouvernement doivent assurer, et qu’elles ne peuvent altérer sans être injustes et oppressives. (La discussion est ouverte sur ce projet de décret.) M. llalouet. Messieurs, on vous propose de déterminer l’époque et les conditions de l’exer* cice d’un nouveau pouvoir constituant. Il me semble que M. le rapporteur vient de vous indiquer, par ses observations, quelques-uns des inconvénients de son projet de décret, il a insisté avec raison sur le danger d’une grande fermentation des esprits, lorsqu’on annonce, pour une époque précise, des cha gements dans la Constitution. Et cependant tel est, en substance, le plan qu’il vous propose; celui que je vais vous soumettre, en diffère, essentiellement, en ce que je pense que la Constitution que vous venez d’arrêter ne peut êire que provisoire, jusqu’à ce qu’elle ait été soumise à un examen réfléchi, â une acceptation libre, tant de la part du roi que de la part de la nation. Ce sont donc les motifs et les conditions de cet examen définitif que je viens vous proposer. Je ne prétends pas renouveler ici la tentative que j’ai faite inutilement de m’expliquer devant vous sur les points principaux de la Constitution (. Murmures à gauche ) ; la dernière tâche qui me reste à remplir est de vous parler librement ues moyens de la réformer. Qu’il me soit enfin permis de vous dire tout ce que je crois utile et vrai. Vous voulez, sans doute, que cette Constitution soit exécutée, qu’il en résulte le rétablissement de l’ordre, que nous jouissions de la liberté, de la paix intérieure. Tel est aussi l’objet de mes voeux, cherchons-en donc les moyens. Fixer une époque éloignée pour la réforme d’une Constitution, c’est süppuser que, pendant l’intervalle de temps qui s’écoulera jusqu’à cette époque, il ne s’y développera aucun vice essentiel qui en altérera la !-olidité. Si, à cette supposition, on substituait celle des grands inconvénients constatés, de vices essentiels reconnus, il serait absurde de dire qu’il faut attendre vingt-cinq ans de désordre et d a-narchie pour y remédier. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 août 1791.J Les Conventions périodiques ne sont donc admissibles que dans le cas où l’on ne prévoit pas la nécessi é d’un changement assez important pour en accélérer l’époque. Cette hypothèse ne convient qu’à une Constitution éprouvée par le temps, et formée successivement par le résultat des mœurs, des usages, d-s habitudes d’up peuple ; car, il faut le dire en passant, il n’exista jamais de Constitution absolument neuve, qui eut quelque succès, que celle de Lycurgue, et elle était fondée sur les mœurs. Tous les autres gouvernements dont nous avons eu connaissance, se sont formés par des actes successifs dont l’amélioration et le complément, à une certaine époque, sont devenus une Constitution ; ainsi les capitulaires sous Charlemagne, la grande charte en Angleterre, la bulle d’or de l’Empire germanique, ont été la Constitution de ces Etats en fixant des droits et des usages antérieurs garantis par l’exuérience et par le consentement ou les réclamations des peuples. La Constitution même des Etats-Unis, fondée sur des usages, des mœurs, des établissements antérieurs à la déclaration de leur indépendance; cette Constitution, qui n’a eifacé que le nom du prince pour y substituer celui du peuple, qui n’a rien détruit, mais tout amélioré, qui a tenu compte de tous les intérêts, de toutes les prétentions, qui a réuni tous les vœux en appelant toutes les réclamations ; cette Constitution se prête sans doute à l’examen successif des conventions nationales. Pour abroger ou changer de telles lois, il est sage d’attendre qu’une longue expérience en montre l’insulfisance ; mais lorsqu’une Constitution, au lieu d'être la réunion des anciens statuts, la fixation légale et solennelle des anciens usages, en établit complètement la proscription. 11 faut deux choses pour donner à cette loi nouvelle un caractère permanent : il faut que l’expérience en justifie le succès, et que le consentement universel ait pu se manifester librement. Aucune de ces deux conditions ne se trouve encore dans votre nouvelle loi ; on peut bien en attendre la liberté, la prospérité publique ; mais il est permis de craindre qu’elle n’en offre pas une garantie suffisante; et, lorsqu’on Considère combien d’anxiétés, de troubles et d’entraves environnent cette loi nouvelle, il me semble qu’il serait bien imprudent de se priver longtemps des moyens d’en féconder l’intention. Remarquez, je vous prie, dans quelle circonstance on vous propose d’imposer silence aux vœux et aux réclamations de la nation sur les nouvelles lois, cYst lor.-que vous ne connaissez encore que l’opinion de ceux qui trouvent qu’elles favorisent leurs intérêts et leurs passions; lorsque toutes les opinions contraires sont subjuguées par la terreur ou par la force; lorsque la France ne s’est encore expliquée que par l’orgaue de ses clubs ; car toüt ce qui existe auj urd’hui de fonctionnaires publics, est sorti de ces sociétés, ou leur est asservi. ( Murmures à gauche.) Messi urs, je demande la permission de dire ce que je crois bon, Vrai et utile. J’ose vous assurer que je n’ai d’autre Objet que le vôbe : je suppose que vous avez celui de rétablir la tranquillité générale. (Oui! oui!) Et qu’on ne dise pas que ia Constitution, fondée sur les pâneipes immuables de la liberté, de la justice, doit avoir l'assentiment de tous les bons citoyens : qu’importe là pureté de votre théorie, si les modes de gouvernement auxquels elle est 39 unie, perpétuent parmi nous les désordres sous lesquels nous gémissons ! Avez-vous donc pris quelques mesures pour que cette multitude de sociétés tyranniques qui corrompent et subjuguent l’opinion publique, qui influent sur toutes les élections, qui dominent toutes les autorités, nous restituent la liberté et la paix qu’elles nous ont ravies? Avez vous pris quelques mesures pour que cette multitude d’hommes armés dont la France est couverte, soit invinciblement contenue dans les limites que la loi lui prescrit ? (Exclamations à gauche.) Si donc la Constitution ne tend pas à réprimer l’abus des moyens extraordinaires dont on s’est servi pour l’établir, comment peut-on nous proposer un long espace de temps à parcourir ayant qu’il soit permis de la réformer ? Il me serait facile, en parcourant toutes vos institutions, de vous montrer comment elles vont s’altérer et se corrompre, si, au lieu de les confier aux épouses et aux mères, vous ne vous hâtez de les soustraire à ce fanatisme bruyant qui les çé» lèbre, pour les livrer à une raison sévère qui les corrige, qui seule peut résister au temps et commander aux événements. Vous voulez des Conventions nationales, c’est» à-dire des révolutions périodiques, des commotions éternelles ; car, dans l’intervalle de ces Con» ventions, que ferons-nous des vices et des désordres naissants d’une mauvaise loi Constitua live ? Est-ce la patience ou l’insurrection, qu’on nous conseille, après nous avoir commandé tour à tour l’obéissance passive et la résistance à l’opa pression ? Cependant quel autre juge que moi-mêmè avez* vous établi de cette oppression à laquelle il m’est permis de résister ? Quel autre juge que vous-mêmes avez-vous établi de cette obéissance pas» sive que vous exigez? Ainsi, pressés dans toutes les circonstances de notre vie politique, entre deux principes» entre deux impulsions opposées, nous serions sans consolation dans notre obéissance, sans modérateur et sans frein dans notre résistance. Croyez-vous qu’il puisse exister une Constitution, un ordre social conciliable avec du tels ib1- cidents, si vous en séparez, pendant un espace de temps déterminé» le pouvoir réformateur? Mais ce n’est pas dans cette hypothèse seulement» celle des vices de la Constitution, que les Gon» ventions périodiques sont d’un grand danger ; elles ne sont pas moins redoutables, en supposant que ce que vous avez fait est bon, et que le bonheur du peuple y est attaché. L’inconvénient inévitable de tout gouvernement populaire est de mettre dans un mouvement continuel les affections, les inimitiés et toutes les passions de la masse des citoyens qui y participent médiatement par les élections, Ou immédiatement par leurs emplois; Je veux que la combinaison de ce gouvernement soit la plus parfaite possible, qu’elle soit assez habilement calculée pour que toutes les forces motrices se balancent et se contiennent sans s’opprimer, de manière qu’il résulte de cét équilibre constant le meilleur ordre public; au moins est-il évident que les éléments de cet ordre peuvent devenir, en un instant, ceux du désordre et des factions, et cet instant arrivera lorsque les novateurs et les factieux auront la perspective d’une Convention dans laquelle ils pourront faire prévaloir leurs intérêts et leurs systèmes; G’est alors au plus fort, au plus adroit que sera dévolu 40 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 août 1791.] le pouvoir de détruire pour recréer; il se trouvera toujours à leurs ordres des troupes de prosélytes et de zélateurs qui démontreront au peuple que son intérêt et son bonheur consistent dans de nouveaux changements. Ainsi dans une Constitution telle que la vôtre, qui met tout à neuf et ne laisse rien subsister de ce qui était ancien, les Conventions périodiques font des ajournements de révolution, et l’intervalle de ces Conventions pourrait être une anarchie continue. Voulez-vous, devez-vous laisser courir de tels risques à la nation ? Mais je dis plus quand ce serait votre volonté, croyez-vous qu’elle fût exécutée? Examinez froidement comment vous êtes arrivés vous-mêmes au dernier terme du pouvoir que vous exercez maintenant. Les circonstances et les événements vous ont conduits de la convocation en Etats généraux à la constitution en Assemblée nationale ; un de vos orateurs vous a ensuite déclarés corps constituant ; et cette dénomination, qui n’a jamais été proclamée par un décret, est le seul titre qui ait opéré au milieu de vous la réunion de tous les pouvoirs ; cependant vous vous étiez soumis, en devenant les mandataires du peuple, à l’observation de vos mandats, vous avez cru devoir les abroger. Or, pensez-vous que vos successeurs ne sauront pas aussi s’aider des circonstances et des événements, et qu’il leur sera difficile de s’affranchir de tous les liens qu’ils ne se seront pas imposés? Lorsqu’il a été question de suspendre l’exercice de l’autorité royale, on vous a dit dans cette tribune : « Nous aurions dû commencer par là, mais nous ne connaissions pas notre force. » Ainsi il ne s’agit pour vos succeseurs que de mesurer leur force pour essayer de nouvelles entreprises. Et certes ce danger m’effraie bien autant que celui des Conventions nationales : car, dans la fermentation où sont encore tous les esprits, d’api ès le caractère de ceux qui se montrent et le grand nombre de ceux qui se réduisent au silence, je crains autant les essais de la nouvelle législature qu’une Convention nationale. Tel est, Messieurs, il ne faut pas vous le dissimuler, le danger de faire marcher de front une Révolution violente et une Constitutionlibre. L’une ne s’opère que dans le tumulte des passions ou des armes; l’autre ne peut s’établir que par des transactions amiables entre les intérêts anciens et les intérêts nouveaux. . . (Murmures et rires à gauche.) Un membre à gauche : Nous y voilà ! M. Malouet. .. On ne compte pas les voix, on ne discute pas les opinions pour faire une Révolution, soit que ce soit le peuple, ou le prince, qui change et détruise tout ce qui existait auparavant. Une Révolution est une tempête durant laquelle il faut serrer les voiles, ou être submergé; mais après la tempête, ceux qui ont été battus, comme ceux qui n’en ont pas souffert, jouissent en commun delà sérénité du ciel, et de l’éclat brillant du soleil; tout est pur et paisible sous l’horizon. Ainsi, après une Révolution, il faut que la Constitution, si elle est bonne, rallie tous les citoyens, et il faut que tous les citoyens, dans la plus parfaite sécurié, puissent la trouver bonne ou mauvaise; car il n’est pas d’autre manière d’établir une Constitution raisonnable et d’échapper au despotisme ou à l'anarchie. Je suppose donc que tous les changements que vous avez faits dans toutes les parties de l’organisation politique conviennent à la majorité de la nation, et qu’elle soit entièrement convaincue que son bonheur et sa liberté en dépendent ; la Constitution, par ce seul fait, triomphe de toutes les difficultés; sa stabilité n’est plus équivoque, et les moyens d’amélioration t-ont faciles, sans recourir aux Conventions ; mai-, pour que ce fait soit constaté, il ne faut pas qu’il y ait un seul homme dans le royaume [Rires à gauche ) qui puisse courir le risque de sa vie, de sa liberté, eu s’expliquant franchement sur la Constitution ; sans cette entière sécurité, il n’y a point de vœu certain, éclairé, universel; il n’y a qu’un pouvoir prédominant, prêt à changer à chaque instant de caractère, de direction et de moyens, propre à favoriser la tyrannie comme la liberté ; et inutilement vous assignez des règles, des formes et des époques à l’exercice de ce pouvoir ; ni l’expédient d’une Convention, ni aucun autre n’en sera le régulateur, jusqu’à ce que vous ayez séparé la Constitution et tout ce qui lui appartient, des mouvements de la Révolution. Mais si, malheureusement, on vous persuade le contraire, si tout concourt à imprimer à la Constitution le caractère de la Révolution, ou vous avez à craindre longtemps encore la violence de ses mouvements, ou la Constitution périra dans l’affaissement qui succède à de longues agitations, bien avant que vous soyez parvenus à l’époque qu’on vous propose de fixer pour une réformation. Ainsi, Messieurs, soit que vous considériez la Constitution comme excellente ou comme imparfaite, il suffit qu’elle présente un système absolument neuf de législation et de gouvernement pour que vous soyez obligés de la soumettre à une autre épreuve que celle des Conventions nationales. Je vous ai démontré que, dans les 2 hypothèses, cet expédient était dangereux ou impraticable. Lorsqu’au lieu de recueillir, de fixer, d’épurer les anciennes institutions, on a tout changé, tout détruit, appeler à certaines époques des hommes autorisés à changer encore, c’est préparer de nouveaux troubles, c’est fonder une génération éternelle de systèmes et de destructions. Passant ensuite aux circonstances qui nous environnent et qui laissent encore sur la même ligne et sous les mêmes couleurs la Révolution et la Constitution, je vous ai fait voir que la stabilité de l’une était incompatible avec l’impétuosité de l’autre, et qu’alors la perspective d’une Convention prolongerait les désordres. Cette considération est trop importante pour ne pas la développer, d’autant qu’elle nous conduit aux seules voies raisonnables qui puissent ramener la paix et le règne des lois dans cet Empire. Tant que les erreurs et les vérités qui légissent les hommes conservent une grande autorité sur les esprits l’ordre ancien le maintient et le gouvernement conserve son énergie; lorsque ses appuis s’ébranlent dans l’opinion publique, il se prépare une Révolution. Il n’appartient qu’aux hommes sages et d’un grand caractère de la prévenir ou de la diriger, mais surtout de se séparer des hommes corrompus, des méchants et des fous qui se hâtent d’y prendre part; tant que cette ligne de démarcation n’est pas tracée, la Révolution n’est pas consommée, 1 Etat est toujours en péril, les flots de la licence se roulent comme ceux de l’Océan sur une vaste étendue, et la Constitution, qui s’élève sur cette mer orageuse, y flotte comme un esquif sans boussole et sans voiles. (Applaudissements.) Telle est, Messieurs, notre position. Quelque triste que soit cette vérité, elle vous presse de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 août 1791.] son évidence. Voyez tous les principes de morale et de liberté que Vous avez posés, accueillis avec des cris de joie et des serments redoublés, mais violés avec une audace et des fureurs inouïes ! C’est au moment où, pour me servir des expressions usitées, la plus sainte, la plus libre des Constitutions se proclame, que les attentats les plus horribles contre la liberté, la propriété, que dis-je, contre l’humanité et la conscience, se multiplient et se prolongent. Comment ce contraste ne vous effraye-t-il pas? Je vais vous le dire. Trompés vous-mêmes, — permettez-moi cette expression, — sur le mécanisme d’une société politique, vous en avez cherché la régénération sans égard à sa dissolution; et prenant alors les effets pour les causes, vous avez considéré comme obstacle le mécontentement des uns, et comme moyen l’exaltation des autres. En ne croyant donc vous raidir que contre les obstacles et favoriser les moyens, vous renversez journellement vos principes, et vous apprenez au peuple à les braver; vous détruisez constamment d’une main, ce que vous édifiez de l'autre. C’est ainsi que, prêts à vous séparer, vous laissez votre Constitution sans appui, entre les obstacles et les moyens, qui ne sont autres que les mouvements convulsifs de la Révolution. Et pour augmenter aujourd’hui l’activité de ce tourbillon, on vous propose de placer dans sa sphère un nouveau pouvoir constituant ! C’est élever un édifice, en en sapant les fondements. Je le répète donc avec assurance, et je ne crains pas qu’il y ait en Europe un bon esprit qui me démente, "il n’y a de Constitution libre et durable, il n’y en a de possible, hors celle du despotisme, que celle qui termine paisiblement une Révolution et qu’on propose, qu’on accepte, qu’on exécute par des formes pures, calmes et totalement dissemblables de celles de la Révolution. Tout ce que l’on fait, tout ce que l’on veut avec passion, avant d’être arrivé à ce point de repos, soit qu’on commande au peuple ou qu’on lui obéisse, soit qu’on veuille le tromper ou le servir, c’est l’œuvre du délire. Messieurs, le temps nous presse, je resserre mes idées, je m’interdis tous les développements, je vous ai montré le mal, je vais en indiquer le remède ( Murmures à gauche .); et si je suis interrompu par des murmures, si vous rejetez mes conseils, je crains bien qu’ils ne soient justifiés par les événements. ( Exclamations à gauche.) J’ai dit que je n’entendais point vous faire réformer dans ce moment-ci votre Constitution. (Exclamations et murmures à gauche.) C’est de l’état actuel des choses, de la nécessité des circonstances et de vos propres principes, que je vais faire sortir mes propositions, et pour les rendre plus sensibles, je les résume d’abord en une seule, savoir : que la Constitution ne peut avoir aucun succès permanent, si elle n’est librement et paisiblement acceptée par une grande m .jorité de la nation et par le roi; qu’elle ne peut être utilement et paisiblement réformée qu’après un examen libre et réfléchi et une nouvelle émission du vœu général. Ct-tte proposition ne pourrait m’être contestée qu’autant qu’on soutiendrait, contre toute évidence, que ce que je demande est déjà fait, et je ne reproduis cette objection que parce que je sais bien qu’un appelle vœu national tout ce que nous connaissons d’adresses, d’adhésions, de serments, de menaces, d’agitations et de violences. ( Murmures prolongés à gauche.) 41 Mais toutes mes observations tendent à vous prouver qu’il n’y a point de vœu national certain, éclairé, universel pendant le cours d’une Révolution, parce qu’il n’y a de liberté et de sûreté que pour chux qui en sont les agents ou qui s’en montr nt les zélateurs. Or, il est dans la nature qu’une grande portion de la société craigne les révolutions et s’abstienne d’y prendre une part ostensible, tandis qu’il n’y a point de citoyen éclairé qui ne soit très intére sé à examiner et à juger librement la Constitution de son pays. Ma proposition reste donc inattaquable ; d’où il suit qu’en présentant votre Constitution au roi et à la nation, vous devez mettre le roi et tous les Français en état de la juger sans inquiétude et sans danger. Il faut donc terminer la Révolution, c’est-à-dire commencer par anéantir toutes les dispositions, tous les actes contradictoires aux principes de votre Constitution, car il n’est aucun homme raisonnable qui prenne confiance en ce qu’elle nous promet de sûreté, de liberté individuelle, de liberté de conscience, de respect pour les propriétés, tant qu’il eu verra la violation... ( Murmures et interruptions.) M. Boutteville-Dumetz. Mais nous vous prions de terminer la Révolution. M. italouet... Ainsi, Messieurs, vos comités des recherches, les lois sur les émigrants, les serments multipliés et les violences qui les suivent, la persécution des prêtres, les emprisonnements arbitraires, les procédures criminelles contre des accusés sans preuves, le fanatisme et la nomination des clubs ; tout cela doit disparaître à la présentation de la Constitution, si vous voulez qu’oo l’accepte librement et qu’on l’exécute. (. Applaudissements à droite.) Un membre à gauche ; Ne faudrait-il pas aussi licencier la garde nationale? M. Malouet. Mais ce n’est pas encore assez pour la tranquillité publique, la licence a fait tant de ravages, la lie de la nation bouillonne si violemment sur vos têtes... ( Murmures et exclamations à gauche.) Je recommence : la lie de la nation... (Nouveaux murmures.) A gauche : A l’ordre ! à l’ordre ! M. le Président ( s'adressant à M. Malouet). Vous offensez les principes de l’Assemblée par cette expression. A gauche : Il n’y a point de lie dans la nation; tous les citoyens sont égaux. M. Malouet. Je n’entends blesser personne; nous serions la première nation du monde qui prétendrait n’avoir pas de lie. A gauche : Ce sont les prêtres et les nobles ! (Applaudissements dans les tribunes.) M. Malouet... L’insubordination effrayante des trouves, les troubles religieux, le mécontentement des colonies qui retentit déjà lugubre-m< nt dans les ports, l’inquiétude sur l’etat des finances (Murmures à gauche) qui s’accroît par toutes ces causes ; tels sont les motifs qui doivent vous décider à adopter, dès ce moment-ci, des dis- 45 fAssembléé nationalô.l ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (29 août 1791. positions générales qui rendent le gouvernement aussi imposant, aussi réprimant qu’il l’est peu. Si l’ordre ne se rétablit tout, à la fois dans l’armée et dans les ports, dans l'Église et dans l’Etat, dans les colonies comme dans l’intérieur dut royaume, l’Etat ébranlé s’agite-a encore longtemps dans les convulsions de l’anarchie. Ces dispositions, pour être efficaces, doivent être obligatoires pour vos successeurs; et si vous considérez qu’en réunissant aujourd’hui tous les pouvoirs, en dirigeant l’administration comme la législatio i, vous n’êtes cepeudant entourés que de désordres, vous n’êtes encore assis que sur des débris, qu’elle sera la position de vos successeurs? St vous ne les contenez par des dispositions plus fortes que leur volonté ; si vous ne leur remettez un gouvernement a< tif et vigoureux, une Assemblée qui ne peut être dissoute dépassera toutes les limites de ses pouvoirs et aura pour excuse l’embarras des cireomtunces : que deviendra alors votre Constitution? Souvenez-vous, Messieurs, de l’histoire des Grecs, et combien une première révolution non terminée en produisit d’autres dans l’e� are de 50 ans. Enfin, Messieurs, les puissances étrangères doivent exciter, sinon votre effroi, au moins votre attention. Si la paix se rétablit dans le royaume, si les Français sont libres et leur gouvernement respecté, i ous n’avons rien à craindre de nos ennemis, et nous ne pouvons plus avoir au moins pour ennemis des Français. Si, au contraire, l’anarchie continue, l’Europe tout entière est intéressée, ne vous te dissimulez pas, à la faire cesser, quoiqu’une détestable politique pût tenter de l’accroître. Ce sont toutes ces considérations réunies, le danger des Conventions nationales, celui des circonstances actuelles, la situation du roi, la nécessité d’un vœu libre et paisible, tant de sa part que de la part de la nation, sur la Constitution, sur les moyens de la réformer, qui m’ont dicté le projet de décret que je vais vous soumettre. (. Exclamations à gauche.) Ce projet de décret est en 27 articles... ( Exclamations à gauche.) A gauche: Ah! le plaisant projet de décret. M. Malouet... Les douze premiers articles présentent des dispositions que je crois indispensables pour terminer la Révolution et pour mettre la Constitution en élat d’être exécutée et d’être présentée à l’examen libre de la nation et du roi. « L’Assemblée nationale, voulant assurer au roi et à la nation les moyens d’un consentement libre et d’un examen réfléchi de la Constitution qu’elle a arrêtée, et des conditions auxquelles elle peut être réformée ; considérant que, s’il ne peut y avoir de variation sur les principes de la liberté individuelle et des droits essentiels des peuples, la forme dans laquelle l’exercice de ces droits et les modes du gouvernement sont institués, ne peut être définitivement, consacrée que par l’expérience et le vœu éclairé de la majorité des citoyens; considérant que le parfait rétablissement de l’ordre et de la paix publique est le préalable nécessaire de la stabilité de la Constitution et de la manif station libre du vœu national, décrète ce qui suit : « Art. Ier. A compter du jour de la publication du présent décret, la Révolution, qui a rendu aü peuple l’exercice de ses droits, étant consommée, nul ne peut, sous aucun prétexte de bien püblic et de patriotisme, troubler l’ordre et la paix intérieure, ni s’immiscer dans ies fonctions et autorités qui ne lui sont pas spécialement attribuées, à peine d’être poursuivi et puni suivant la rigueur des lois, comme perturbateurs du repos public. ( Murmures à gauche.) « Art. 2. Tous les citoyens actifs, quels que soient leurs opinions, état et profession, sont appelés et invités à examiner leurs droits dans les assemblées primaires, la liberté de leur suffrage devant être efficacement protégée par tous les officiers constitués en autorité, lesquels demeureront responsables, sur la réquisition qui leur en sera faite, de l’impunité des violences commises. « Art. 3. L’entrée ét la sortie du royaume sont et demeureront libres à tous Fronçais et étrangers qui ne feront point partie d’une troupe armée, l’Assemblée nationale révoquant, à cet effet, les décrets rendus contre les émigrants. « Art. 4. Tous accusés détenus pour faits résultant de la Révolution et contre lesquels il n’y a point de preuves acquises, de complots contre i’Eat ou violences commises à main armée, seront élargis, et les procédures commencées annulées. « Art. 5. Les comités des recherches et des rapports sont et demeureront supprimés. <• Art. 6. Il est défendu aux sociétés Connues sous le nom de Club ( Exclamations à gauche) , et à toutes autres, de prendre et publier aucun arrêté sur les affairés publiques, de se permettre aucune réquisition aux magistrats et aucune Censure collective; en cas de contravention, lesilites assemblées seront dissoutes et 1< b membres signataires des délibérations poursuivis comme perturbateurs du repos public. {Applaudissements àu centre ) Art. 7. Sur la requête de toute partie plaignante adressée aux directoires de district ou de département, il sera dressé procès-verbal par les municipalités de tous dommages, incendies ou pillages commis sur les propriétés dans le cours de la Révolution, et les propriétaires seront indemnisés, moitié aux dépens du Trésor public, l’autre moitié sera répartie sur les communautés qui n’ont point empêché les dommages. {Rires et murmures à gauche ; applaudissements à droite.) « Art. 8. 11 est défendu aux municipalités, sous peine de cassation, d’envoyer hors de leur enceinte aucun détachement de gardes nationales, sans l’autorisation du directoire du district ou du département. » A gauche : G’est décrété ! M. Malouet. Messieurs, voici maintenant 2 articles. ( Murmures et interruptions.) A gauche : Nous connaissons vos intentions. M. Malouet. Moi, Messieurs, je crois que je vous ai assez développé mes motifs. (Murmures.) « Art. 9. Tout autre serment que celui d’être soumis à la Constitution, fidèle à la nation et au roi, est aboli. » ..... A gauche : Et à la loi ! M. Malouet. « ... Et à la loi, est aboli. » (. Interruptions .) Messieurs, l’article qui suit est, à mon avis, le seul moyen de terminer les troubles religieux dans le royaume et ne doit offeflser personne. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 129 août 1791.] 43 « Art. 10. Tous les catholiques du royaume ont la liberté de reconnaître l’autorité spirituelle de leurs anciens ou de leurs nouveaux pasteurs. » Vous avez décrété le principe. A gauche : Allez I allez ! M. Ilalouet. Messieurs, les mesures que vous avez prises pour le rétablissement de la discipline dans l’armée m’ayant paru insuffisantes, je fais appuyer ce rétablissement sur la disposition que je vais vous proposer. « Art, 11. Les conseils de guerre sont rétablis dans l’armée de terre et de mer jusqu’à ce que la discipline soit en vigueur, et d’ici au 1er janvier prochain les délits militaire� seront juges et punis d’après les dispositions des anciennes ordonnances. « Art. 12. Tous les emplois militaires auxquels il n’a pas été pourvu seront restitués aux officiers qui, ayant donné leur démission depuis deux mois, se présenteront pour les reprendre. « Art. 13. La constitution et la législation des colonies dépendront uniquement de la sanction du roi et leur administration sera sous son autorité ; l’Assemblée nationale ne se réservant de décréter que les lois relatives à leur régime extérieur et à leur commerce avec la métropole. « Art. 14. Le roi sera invité, par une députation de 60 membres de l’Assemblée, à reprendre les rênes du gouvernement, à choisir sa garde et le lieu de sa résidence. « Art. 15. La Constitution sera présentée au roi et à la nation, pour être exécutée provisoirement sans qu’il puisse y être fait de changement qu’aux conditions et en observant les formes qui seront ci-après exprimées. « Art, 16. Le roi sera invité à déclarer, dans le délai qui lui conviendra, les modifications qu’il juge nécessaires à l’acte constitutionnel (Murmures à gauche) ; la déclaration de Sa Majesté sera adressée à tous les départements. « Art. 17. Tous les citoyens ont le droit d’expliquer verbalement ou par écrit et de publier par la voie de l’impression ce qu’ils approuvent et ce qu’ils rejettent de l’acte constitutionnel en y obéissant provisoirement. Il est défendu, sous peine d’infamie, d’inculper de telles opinions verbalement ou par écrit, et de désigner aucun citoyen sous le titre d’ennemi du peuple et de la liberté, à raison dos censures qu’il se sera permises contre les dispositions de l'acte constitutions 1. Tout acte de violence exercé contre un particulier ou contre sa propriété, sous le même prétexte, sera puni par un an de irison, indépendamment des dommages et intérêts. « Art. 18. Le 1er juin 1793, les assemblées primaires seront spécialement convoquées à l’effet de délibérer sur la déclaration du roi et sur l’acte constitutionnel. Le mode de délibération sera : « J’approuve ou je rejette. . . . . les modifications proposées à l’acte constitutionnel. >» ( Murmures à gauche .) « Art. 19. Si les modifications sont rejetées dans une assemblée primaire, on procédera immédiatement au choix des électeurs sans autre délibération. « Art. 20. Si les modifications sont admises, l’assemblée électorale sera chargée de rédiger un cahier de redressement. <« Art. 21. Le résultat des cahiers de la majorité des corps électoraux sera pris en considération par le Corps législatif, qui fera dans la Constitution les changements indiqués par le vœu national. Le roi aura le droit de refuser sa sanction à tout ce qui serait décrété contradictoirement à ce vœu. « Art. 22. Si la majorité des assemblées primaires a rejeté les modifications proposées par le roi, la Constitution sera reconnue comme définitivement acceptée par la nation ; il n’y aura lieu à aucun changement ; il ne pourra en être question ni délibéré dans ies a-semblées primaires qu’eu l’année 1795 ( Murmures ) et il ne pourra y être fait postérieurement d’autres changements que sur une majorité de pétitions constatées comme il suit. » ..... Messieurs, si vous n'adoptez pas une mesure pareille, vous aurez sans ce se des révolutions ; mais il n’y aura point de révolution, lorsque l’on présentera aux assemblées primaires un objet à délibérer et lorsque vous leur demanderez une approbation ou une réjection. En ce qui concerne les pétitions des citoyens, j’adopte les dispositions comprises dans huit des articles de la troisième sectiou du projet des comités. Il est nécessaire, toutefois, que je vous rappelle que mon intention a été de soumettre à une véritable acceptation la Constitution actuellement décrétée et que cette acceptation ne peut avoir lieu que dans, les assemblées primaires avec des formes déterminées. Quant à la révision de l’acte constitutionnel, quant aux changements postérieurs à l’acceptation sur laquelle je demande deux délibérations successives à deux ans de distance chacune, quant à ces changements postérieurs, qui ne consisteraient que dans les ressorts particuliers, dans les détails d’exécution de la Constitution, j’adopte la voie des pétitions indiquée par les comités de Constitution et de révision. Le seul point essentiel sur lequel je diffère, est sur l’assemblée particulière ae révision : je demande qu’au moyen de la précaution de ne délibérer que sur une majorité de pétitions de la majorité des départements, ce soit la législature subsistante avec la sanction du roi qui fasse droit à ces pétitions, lorsque la Constitution aura été acceptée avec la solennité que je propose dans les assemblées primaires ou lorsque les modifications proposées par le roi auront été adoptées oü rejetées. Voici donc les articles que je propose à cet égard el qui forment le complément de mon projet de décret : « Art. 23. Les citoyens de chaque département adresseront leurs pétitions de redressement d’ar�- ticles constitutionnels au directoire de leur département. « Art. 24. Lorsque le directoire aura réuni un nombre de pétitions formant la majorité des citoyens de leur département, ils en constateront le vœu commun et l’adresseront au Corps législatif. Art. 25. Lorsque le Corps législatif aura feçu des départements un nombre de pétitions qui constatera un vœu commun de la majorité des départements, il sera terni d’en délibérer, et le roi pourra refuser sa sanction à ce qu’il jugerait conti aire ou différent du vœu commun des citoyens. Art. 26. Si le Corps législatif, sans suivre les formes et les conditions ci-dessus prescrites, se déclarait pouvoir constituant, le roi est autorisé à convoquer sans délai les corps électoraux, pour nommer une autre législature. (Applaudissements.) Art. 27. Le roi sera prié de faire connaître 44 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 août 1791.] aux puissances étrangères les dispositions constantes de l’Assemblée nationale pour maintenir la paix et les traités, comme aussi à inviter les princes français et tous les émigrants à renti er dans le royaume, où la réunion des citoyens et le rétablissement de l’ordre garantiront les droits de tous. » ( Applaudissements .) M. Martineau. Je demande que le projet de décret de M. Malouet soit renvoyé aux comités de Constitution et de révision. (Murmures.) M. Goupil-Préfeln. La question préalable sur cette motion ! M. Martineau. Il y a dans ce projet des cl-o-ses excellentes, qui tendent à rétablir le calme et la paix dans le royaume. M. Boutteville-Dumetz. J’invite le préopi-naut. . . A gauche : Bah 1 laissez cela. M. Martineau. La motion du renvoi est appuyée, et je demande, Monsieur le Président, que vous la mettiez aux voix. A gauche : La question préalable ! M. Populns, s'adressant à M. Martineau. On demande que ceux qui sont de votre opinion se lèvent. M. Pison du Galand. Je demande le renvoi et l’impression. M. Gaultier-Biauzat, ironiquement. Je demande la création d’un comité de contre-révolution pour y renvoyer M. Malouet, son discours et son projet de décret. (Rires.) M. le Président. La parole est à M. Pétion. M, Pétion. Messieurs, établiriez-vous des Com - ventions nationales, qui seront chargées de revoir la Constitution, ou confierez-vous ce soin aux législatures? Telle est l’importante question sur laquelle vous avez à prononcer. Les Conventions me paraissent d’une utilité si grande, d’une nécessité si absolue, qu’à mes yeux vous n’avez rien fait si vous refusez de le-admettre. Sans elles, l’édifice que vous avez élevé avec tant de peine, de constance et de courage, s’écroulerait bientôt; elles seront, si je puis m’exprimer ain-i, la clef de la voûte de cet édifice, qui en retiendra les diverses parties dans cette harmonie parfaite et dans cet ensemble qui en feront la force et la durée. Je vais faire en sorte d’établir cette vérité ; et, quelque abstrait que soit le sujet, j’espère que je rendrai mes idées si simples, si claires, qu’elles pourront être facilement saisies. Qu’est-ce qn’une Convention ? Avant de défin r ce mot, avant d’en déterminer le sens, il n’e>t pas inutile de mettre sous vos yeux une idée générale et rapide des Conventions qui ont eu lieu chez les peuples amis de la liberté. Oq vous a dit, dans cette tribune, qu’en 1604, il avait existé une Convention en Angleterre, pour former l’union de cette puissance avec l’Ë-cosse. A cette époque, Jacques Ier, roi d’Angleterre, obtint du Parlement qu’on nommerait 44 commissaires anglais et 31 écossais, pour rédiger le plan d’alliance; c’était une simple commission, et elle n’eut aucun succès. Ce fut également une commission qui, en 1607, rédigea le pacte qui fut ensuite adonié par le Parlement. On pourrait plutôt qualifier de Convention le fameux * Convenant » de 1638. Lassés du despotisme de Charles Ier, et plus encore de celui de son archevêque Laud, qui persécutait les presbytériens, dans la crainte devoir le catholicisme s’introduire, les Ecossais formèrent une ligue, qui se divisa en 4 classes. Le travail de ces classes fut soumis à un comité, qu’elles choisirent pour dre?si r un plan de confédération contre la tyrannie qu’on voulait exercer sur leurs opinions et leurs consciences. Ce plan contenait plusieurs articles religieux et politiques, que chacun devait croire et professer, et il fut signé par tous les presbytériens. Ce n’est cependant pas là, à proprement parler, une Convention. En 1644, lorsque la guerre civile ravageait l’Angleterre, les Ecossais, voyant que le roi ne voulait pas assembler le Parlement, forcèrent le chancelier, malgré les défenses de son maître, de convoquer une Convention. Dès sa première séance, elle se déclara « Convention libre. » Il est à propos de remarquer qu’elle était composée des membres du dernier Parlement; qu’elle n’avait pas le pouvoir de faire des lois, mais seulement celui de lever des troupes et des impôts pour défendre le royaume. En 1650, le Parlement qui changea la Constitution de l’Angleterre, était un Parlement ordinaire ; il ne reçut point de pouvoirs particuliers du peuple ; il se con inua même sans son consentement; et cependant on a imprimé que le long Parlement, qui, en 1660, rappela Charles II, nomma une Convention. Il y a deux erreurs ici. Le long Parlement était alors cassé par Cromwell, et celui qui siégeait en 1660, ne fit que convoquer un nouveau Parlement. Mais, en 1688, lorsque Jacques II quitta l’Angleterre, lorsque le trône se trouva vacant, Guillaume, qui voulait le remplir, réunit d’abord les membres qui avaient siégé dans la Chambre des Communes des trois derniers Parlements, se fit remettre par leurs mains, et provisoirement, les rênes de rEmpire; ensuite les villes et bourgs de l’Angleterre nommèrent des députés, chargés de disposer de la couronne et de stipuler les droits de la nation. Les membres qui composaient cette Convention étaient revêtus des pouvoirs les plus étendus. Dans la dernière révolution d’Amérique, lorsque les Eiats-Ums se déterminèrent à secouer le joug de l’Angleterre, le congrès, qui déclara sou indépendance, n’avait pas d’abord de pouvoirs spéciaux pour le faire, mais presque tons ses membres en reçurent par la suite. L’Amérique était alors remplie d’une foule de comités qui se correspondaient ; chaque Etat avait sa convention provinciale, qui recevait les opinions de ces comités, et l’avis général était transmis aux députés du congrès. On peut donc dire que le Congrès ou Convention de 1775 était une assemblée de députés de divers Etats, dont la mission était de faire une Constitution fédérale. Cette Constitution, au milieu des troubles et des orages qui agitaient et bouleversaient ces contrées du nouveau monde, ne put pas être revue et ratifiée par les divers Etats ; mais, en 1788, chacun d’eux nomma des députés à la Convention, chargée d’examiner cette Constitution, et de proposer les changements néces- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 août 1791.] 4g saires. Cette Convention ne se borna pas à réformer; elle créa, pour ainsi dire, un nouveau plan, l’adressa au Congrès, qui l'envoya aux Etats. Une des conditions était que, si 9 de ces Ëiats l’agréaient, il serait admis. Chaque Etat nomma une Convention particulière pour le discuter, et examiner s’il était susceptible d’être modifié, d’être accepté : 11 l’approuvèrent, et il est aujourd’hui mis à exécution. D’après cette esquisse, vous apercevez facilement que les Conventions ont varié dans la nature et l’éœndue de leurs fonctions. En Ecosse, l’Assemblée de 1638 était une Assemblée particulière très circonscrite da"S sa mission, et, pour ainsi dire, sans puissance. Celle de 1644 n’était qu’un comité de sûreté et de protection. En Angleterre, la Convention de 1688 était investie d’une grande autorité et elle en usa sans que la nation revît et ratifiât ce qu’elle avait fait en son nom. En Amérique, le Congrès de 1775 s’occupa des objets les plus importants, puisqu’il passa l’acte d’indépendance et dressa un plan de Constitution. La Convention de 1788 a exercé tous les pouvoirs de la souveraineté, mais ses opérations ont ensuite été ratifiées par des Conventions particulières. Pour éviter les confusions que ces Conventions directes pourraient faire naître, et afin que ce mot ne réveille pas dans les esprits des idées discordantes, à raison des acceptions souvent opposées, dans lesquelles il serait pris, il faut lui attacher un sens clair, fixe et précis. J’appellerai donc Convention une Assemblée revêtue par le peuple de l’autorité nécessaire pour faire et réformer sa Constitution. J’ai entendu distinguer les Conventions destinées à faire une Constitution de celles dont le but était de modifier une Constitution déjà faite; cette distinction est une erreur et une pure subtilité. Dans la puissance de changer et de réformer, se trouve nécessairement comprise celle de faire ; ou pour mieux dire, ces deux pouvoirs sont inséparables dans leur action et dans leurs effets. Au surplus, cette distinction, et toutes celles qui pourraient être faites sur les Conventions, n’influent en rien sur ce que j’ai à dire; il suffit qu’on se pénètre bien du sens que j'affecte à ce mot, et que chacun entende qu’une Convention est une Assemb ée établie pour faire ou réformer une Constitution. Qu’est-ce que maintenant qu’une Constitution ? C’est l’acte de partage des pouvoirs; c’est l’acte qui fixe les limites du pouvoir législatif, du pouvoir exécutif et des pouvoirs secondaires, qui émanent de ces pouvoirs principaux. Les Conventions ont donc pour objet de poser ces bornes et d’empêcher qu’elles ne soient franchies. Ceci une fois reconnu, je fais une réflexion très simple. Je demande comment il serait possible de donner au Corps législatif le caractère et la puissance d’une Convention ? Ce corps recevant ses différentes manières d’être et d’agir, sa force et son étendue des Conventions, étant ordonnées et modifiées par elles, si on l’érigeait lui-même en Convention, il s’ensuivrait qu’on lui accorderait la faculté de se constituer à son gré, de se reformer également à son gré. Or, rien ne serait plus absurde, plus monstrueux et plus dangereux en principes, qu’un corps qui tiendrait son existence de lui seul, qui n’en devrait compte qu’à lui seul, et qui seul serait chargé de corriger las abus qui s’élèveraient dans son sein. Un pareil corps prendrait bientôt l’accroissement le plus terrible et le plus formidable pour la liberté ; il se mettrait au-dessus de la nation, dont tous les corps doivent dépendre, et il la gouvernerait en despote. Peut-on raisonnablement se reposer du soin de remédier aux abus, sur ceux qui les favorisent et en profitent? Un corps qui s’est relâché des maximes de son institution, est-il celui qu’il faut commettre pour l’y rappeler et les faire revivre? Certes, il n’y aurait pas de plus sûre manière de protéger et d’éterniser tons les vices. Ceux qui proposent de donner aux législatures l’autorité qui n’appartient qu’aux Conventions, l’autorité detoucherà la législature, n’ont aucune idée de ce qu’est, de ce que doit être une législature, et de la nature de ses fonctions ; ils proposent, en d’autres termes, de donner à ce corps constitué toute la puissance du corps constituant, de lui conférer la source de tous les pouvoirs et d’en dépouiller la nation. Il y aurait tout autant de raison de concéder au pouvoir exécutif qu’au pouvoir législatif cette autorité •• pour mieux dire, l’un serait aussi absurde que l’autre. Le pouvoir exécutif est un pouvoir constitué comme le pouvoir législatif ; le pouvoir exécutif dans l’acte de partage tient sou droit des Conventions que le peuple a revêtues du pouvoir constituant. Mais n«>n, il existe une ligne de démarcation profondément tracée entre les Conventions qui règlent et distribuent les pouvoirs, et les corps qu’elles investissent de ces mêmes pouvoirs. 11 serait inutile, je pense, d'insister davantage sur la séparation absolue qui doit avoir lieu entre les Conventions et les législatures et sur les différences essentielles qui les distinguent. La nécessité d’une Convention est sensible pour tous les esprits, lorsque les différentes parties du corps politique sont tombées dans une entière dissolution; parce qu’alors tous les pouvoirs étant mêlés et confondus, l’arbitraire et l’anarchie se faisant sentir, et pesant sur la nation de la manière la plus oppressive, un nouveau partage est vivement désiré, et paraît indispensable ; et comme il est évident que ce partage ne peut pas être exigé de la part du pouvoir législatif ; par exemple si c’est lui qui a été dépouillé, et qu’il soit sans force ; comme il n’est pas moins certain qu’il ne sera pas consenti par le pouvoir exécutif, qui s’est enrichi des dénouilles du pouvoir législatif, attendu qu’il a des moyens de résistance insurmontables; comme, enfin, il n’appartient ni à l’un ni à l’autre de se régler, il n’est personne qui ne voie clairement que la nation est forcée d’intervenir, par la voie d’une Convention, pour rétablir l’ordre et l’harmonie entre eux, à moins qu’elle ne veuille vivre dans la plus affreuse confusion. Si une Convention est indispensable pour le rétablissement de l’ordre dans les circonstances impérieuses que nous venons d’exposer, elle n’est pas moins nécessaire pour le maintenir, pour le conserver dans toute sa pureté, et empêcher ces circonstances de se reproduire. D’abord, le temps mine insensiblement tous les ouvrages des hommes; et ils ne veillant pas sans cesse à les entretenir ; le moment vient où ces ravages sont irréparables. Dans le cours des siècles, les opinions, les mœurs d’un peuple 46 [Assemblée national�,} ARCHIVEE {'ARbEMEÏ'fT.�iRES, [29 août 1791.] ghaneenU et aveç elles ses institutions ; il faut duric suivre attentivement ce coure. Ensuite supposez la meilleure Constitution, c’est-à-dire le meilleur partage des pouvoirs ; abandonne? le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif librement à epx-mêmes; il est impossible qu’ils ne se rencontient pas dans leur marche, qu’ils ue se heurtent pjs, qu’ils ne fassent pas des tentatives, et ne commettent pas des Usurpations, et que, dans cette lutte journalière, l’un ne finisse, au bout de quelque temps, par prendre un ascendant décidé sur l’autre. Tous les hommes, comme tous les corps, tendent invinciblement vers l’autorité; c’est une pente naturelle et irrésistible. Si vous n’avez pas un pouvoir régulateur, un pouvoir qui, par son ascendant, rétablisse 'l'équilibre, en faisant rentrer chacun dans ies limites dont il s’est écarté, vous exposez la chose publique à un bouleversement absolu ; vous exposez la Constitution à une subversion totale, puisque le partage des pouvoirs sera dérangé ou déirait, que le pouvoir législatif usurpera le pouvoir exécutif ou ce qui est plus vraisenblable fet plus conforme aux événements, le pouvoir exécutif envahira le pouvoir législatif. On cite l’exi mple de l’Angleterie et on dit que le parlement britannique a le droit, conjointement avec le monarque, de faire les actes de législation et de toucher à la Constitution ; qu’il est tout à la fois législature et Convention, et que, cependant, les Anglais se connaissent en liberté. J’ubserve, en premier lieu, que c’est un point très controversé que celui de savoir si ce droit appartient au parlement et au monarque réunis; je sais bien qu’ils l’ont exercé dans plusieurs circonstances; je sais bien aussi que des patriotes très édaiiés ont fait entendre leurs réclamations; auire chose est le fait, autre chose est le droit. Mais, sans nous jeter dans de vaines et fastidieuses disputes à cet égard, et en supposant l’exemple vrai, il n’en leste pas moins à examiner s’il est bon, et s’il peut être imité Sans les plus grands dangers. Car, sans doute, on ne prétendra pas qu’une insiitution est salutaire uniquement, parce qu’elle existe chez un peuple, ou bien il n’est pas un seul abus, qu’on ne pût consacrer avec cette méthode. C’est en politique et en administraiion surtout qu’on trouverait des modèles dans tous les genres ; la variété qui se rencontre dans les divers gouvernements, sur ces points, se prêterait mei veilleuse aient à tous les goûts; et le tyran, l’homme barbare, pourrait légitimer h s plus affreuses maximes du de>po isme par des faits très concluants et très nombreux. Or, je pense avoir prouvé qu’on ne peut pas, sans la plus funeste inconséquence, et sans le danger le plus éminent pour lu liberté, remettre, soit au pouvoir législatif, soit au pouvoir exécutif, soit à tous les deux ensemble, la puissance constituante, la puissance par laquel e ils doivent être mouillés, contenus, réprimés, de laquelle, eu un mot, ils ne doivent jamais cesser de dépendre; et je soutiens que la liberté politique de l’Angleterre n’aura pas de base solide, tant que son parlement et le roi pourront toucher à la Constitution. N’ont-ils pas déjà, par un concert coupable, commis un grand attentat contre cette liberté, lorsqu’ils ont rendu les parlements septénaires, 4e triennaux qu’ils étaient d’abord ! Les représentants qui consentirent | ç§ pacte §£àl}4aleux, âfliffiés dp vues ambitieuses, furent' flattés de prolonger leur puissance ; le roi, de son côté, vit un accroissement prodigieux de son autorité dans la plus grande facilite de corrompre des membres longtemps en place; et ils sacrifièrent ainsi l’intérêt de la nation à leurs intérêts particuliers. L’Angleterre cependant, dira-t-on, jouit d’une liberté dont ses habitants sont orgueilleux et jaloux; il serait facile de prouver ju.-qu’à l’évidence que, si la liberté civile est bonne en Angleterre, la liberté politique est presque nulle, et que le peu de liherté dont elle jouit, elle |a doit à quelques institutions salutaires, à la liberté de la presse, déjà fort altérée, à ses jurés, à sa loi ù'habeas corpus , à ses mœurs, à ses opinions. Mais sa liberté, je le répète, n’est pas environnée du principal rempart qui doit la défendre, et elle sera infailliblement détruite, si tops les pouvoirs restent concentrés enire les mains du Parlement et du monarque, si elle ne se régénère pas par la voie des Conventions. Si les exemples pouvaient être de quelque poids pour prouver l’utilité, la nécessité des Conventions, j’en citerais un bien remarquable; c’est celui des Etats-Unis de l'Amérique, le pays le plus libre du monde, celui où les droits de l’homme omt été le mieux connus, le mieux approfondis, celui où les préjugés ont le moins étouffé la raison et les lumières, celui où Ton a profité de l’expérience de tous les siècles pour fonder un bon gouvernement. Les Américains ont bien senti que, pour conserver une liberté qu’ils avaient eu tant de mal à conquérir, qui leur avait coûté tantue sang, il ne suffisait pas de bien organiser les pouvoirs, mais qu’il fallait encore que leur Constitution pût être revue et réformée par lies Conventions. Il est vrai que, pour écarter cet exemple, on prétend que le gouvernement américain est un gouvernement populaire, une République ; qu’une république n’est pas une monarchie, et que ce qui convient à Tune ne peut pas conyenir à l’autre. Rien de si commode, sans doute, que de hasarder ainsi des maximes vagues sur les gouvernements, que d’attacher à l’un tel caractère, que de le ranger dans une classe faite exprès, et de dire ensuite que T s lois qui lui sont propres répugnent à un gouvernement d’une autre! classe. Il est difficile, je l’avoue, d’imaginer quelque chose de plus inexact et de plus fécond en erreurs, que les trois classes dans lesquelles on s’est plu à ranger, jusqu’à ce jour, les gouvernements; comme s’il n’en existait réellement que de trois espèces; comme s’il n’y avait pas les nuances les plus marquées entre ceux qu’on appelle du même nom; comme s’il n’y avait pas souvent plus de différence entre une monarchie et une autre monarchie qu’entre telle monarchie et telle république. Il est difficile d’imaginer quelque chose de plus faux, je ne dis pas en théorie, mais même en pratique, que cette règle générale et absolue, que ce qui convient à une république répugne à une monarchie, lorsque des principes essentiels se trouvent en même lempsen vigueur dans l’une et l’autre espèce do gouvernement; et sans vouloir éiendre trop loin cette idée que j’ai eu occasion de développer ail leurs, jq dirai que si, par Etat populaire, on entend un Etat fuit pour la nation, pour son bonheur, tous doivent être populaires, parce que tous sont institués par lé peuple et pour le peuplé: Je dirai que, dans tous les gouverpéments, quelle qüè soit leur forme, on doit consacrer lés principes qui te u dent à la [Assemblée nationale.] consécration de la liberté; que l’établissement des Conventions est le principe par excellence, celui sans lequel aucune Constitution n’est durable; qu’il n’y a pas plus de difficulté de les admettre dans une monarchie que dans ce qu’on appelle une république. En un mot, avec les Conventions, une mauvaise Constitution s’améliore; et, sans Conventions, la meilleure Constitution dépérit. Cette vérité est inattaquable; on peut bien la défigurer par des sophu-mes, mais jamais l’anéantir par des raisonnements. 1° Les Conventions doivent-elles être permanentes? 2° Ne doivent-elles avoir lieu qne sur la demande des assemblées primaires? 3° Doivent-elles se tenir à des époques fixes et déterminées? Des Conventions permanentes ne seraient pas seulement inutiles, elles seraient très dangereuses pour la liberté. 11 suffit de connaître le but de leur institution, pour sentir l’inutilité absolue de la permanence. Tous les jours n’amènent pas des changements sensibles dans l’organisation des pouvoirs; tous les jours des réformes ne sont pas nécessaires. Ce nVst que par des mouvements lents et imperceptibles que la machine politique parvient à cet étal de dérangement qui, nuisant à la facilité de son jeu, altérant, détruisant même son action, exige un examen et un rétablissement des ressorts. Les Conventions sont des remèdes violents dont on ne doit faire usage que rarement, et qui, pour être salutaires, doivent être administrés avec précaution. Si le-Conventions étaient perpétuellement assemblées, leur action serait très nuisible. Elles harcèleraient sans cesse les agents des divers pouvoirs, qui, fatigués de cette surveillance de tous les instants, de cette contradiction continue, qui, n’osant rien hasarder qu’en tremblant, ou se soulèveraient contre cette insupportable oppression, ou tomberaient dans le découragement. Que les Conventions soient perpétuellement assemblées, il n’y a plus de liberté. Investies du plus redoutable des pouvoirs, elles usurperont tous les autres, elles usurperont également les droits du peuple, naturellement indolent, naturellement confiant et trop peu éclairé sur ses véritables intérêts. Ce serait enfin la plus cruelle des anarchies. Joignez à cela que la Constitution serait dans un étai d’inhabilité continuelle; une année verrait détruire l’ouvrage de la piécédente; les rapports n’auraient pas le temps de s’établir, qu’ils s.eraimt à l’instant rompus; une inquiétude générale se répandrait dans tontes les classes delà société, dans tous les esprits, et on parviendrait enfin à regretter jusqu’au despotisme. Ceux qui veulent faire de nos législatures permanentes, des Conventions nationales, ne sont pas animés des mêmes vues, ne sont pas dirigés par les mêmes motifs. D est des citoyens amis delà liberté, défenseurs ardents des droits du peuple, qui désirent que les législatures puissent toucher à la. Constitution, p'aice qu’ils aperçoivent des taches dans ce bel ouvrage, et qu’ils veulent les voir effacer: comme eux, je ne dissimule pas ces défaut-; comme eux j’ai à cœur qu’ils disparaissent. Mais, n’est�il pas plus sage, n’est-il pas plus avantageux de supporter pendant quelque temps ces imperfections, que de s’exposer à des agitations continu-elles, à des innovations funestes, et ce qu’il y a de plus redoutable, à un bouleversement dont les (29 août rm.] suites désastreuses pourraient être incalculables? N’exposons pas notre liberté naissante à des orages et laissons-la s’affermir au sein de la paix, Il est, etc’est le plus grand nombre, ii est des ennemis implacables de notre Constitution, qui, conspirant sans cesse pour la détruire, n’ont d’espuir que dans cette instabilité perpétuelle, qui peut faire revivre l’ancien ordre de chos s ; ce sont ceux-là qui demandent avec le plus d’ardeur que les législatures changent à leur gré la base de l’édifice que vous avez élevé ; ilsveu-lent que la prochaine législature puisse renverser cet édifice, si elle le juge convenable. La Constitution est à peine achevée, elle est à peine connue, elle est ignorée d’un grand nombre de citoyens. L’expérience, ce flamneau si nécessaire des connaissances humaines, n’a pas encore éclairé sur ses inconvénients et sur ses avantages; comment est-il donc possible de juger d’une loi sans en connaître les effets ? et comment proposer dès tors, soit de la conserver, soit de la changer? Comment à plus furte raison, juger de l’ensemble d’un vaste système, et prononcer sur toutes les pariies qui le composent? Dans quel moment? Lorsque l’orage gronde encore; lorsque le feu de la discorde n’est pas éteint; lorsque toutes les. haines cachées cherchent à éclater; lorsque les passions, les intérêts sont aux prises; telles sont les circonstances que l’on saisit pour la plus immense, la plus difficile entreprise, ci lie qui exige les méditations les plus profondes, le calme et la paix. Non, non; venger ainsi les droits du peuple, ce serait les trahir. Pourquoi, disent ceux qui hasardent ces insinuations dange reuses, pourquoi les législatures qui vous succéderont, u’auront-elles pas la même autorité? Parce qu’il est absurde, en principe, qu’une législature puisse toucher à la Constitution ; parce que, vouloir toucher à la Constitution dans l’instant présent, c’est vouloir tout bouleverser. 11 ne s’agit point ici de rivaliser de puissance; il ne s’agit point d’une lutte ridicule d’amour-propre; il s’agit de faire le bien de l’Empire; et devant un aussi grand intérêt, toutes les passions doivent s’oublier, se taire. Qu’importe à ceux qui, appelés un instant pour régénérer leur pays, vont rentrer paisiblement dans leurs foyers et dans le rang de simples citoyens, que ceux qui doivent leur succéder soient investis des mêmes pouvoirs qu’ils ont exercés? Mais, continuent-ils toujours, de quel droit vous êtes-vous arrogé la puissance d’une convention? Vos commettants vous en avaient-ils revêtus? C’est ainsi que la mauvaise foi de ces apôtres du de.-po isme paraît dans tout son jour; car de quelle utilité, de quel avantage peut-il être d’examiner quels étaient les pouvoirs de l’Assemblée, si elle a fait le bien, si elle a rétabli la nation dans ses droits? Je pourrais leur répondre en deux mots: la nature impérieuse des choses et le salut du peuple, voilà l’apologie de sa conduite. Je pourrais dire qu’envoyés pour faire une Constitution, les représentants du peuple français formaient par cela même une Convention; que simple législature, ils étaient sans force; qu’ils n’avaient aucun caractère pour faire le partage des pouvoirs; que le pouvoir exécutif qui avait tout envahi, pouvait tout retenir; qu’il était maître de paralyser les actions de l’As?em-blée, et de rendre tous ses effort-* inutiles; que la nation, asservie depuis des siècles dans t’en-r fance des principes politiques, n'ayant que des ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 août 1791.] notions confuses de ses droits, n’attachait pas des idées assez claires, assez distinctes, au mot de Constitution; mais qu’elle voulait fortement un autre ordre de choses qui fît son bonheur, qui la délivrât des abus, dont sans cesse elle avait été victime; que cet ordre était impossible, sans un nouveau partage des pouvoirs ; que c’était dès lors remplir son vœu le plus cher que de faire ce partage; que si les commettants, dans l’origine , n’avaient pas envisagé la mission qu’ils donnaient, dans ses rapports aussi étendus, qne s’ils n’avaient pas porté aussi loin leurs espérances, ce n’est pas qu’ils n’en eussent le désir, mais c’est qu’ils ne pouvaient pas prévoir jusqu’à quel degré les événements les seconderaient; qu’il était nécessaire, dans leur intention, que leurs représentants profilassent de ces événements; qu’ils auraient trahi leur confiance, s’ils ne l’avaient pus fait; que quand bien même ces commettants auraient pu lire dans l’avenir, et y découvrir les prodiges qui se sont réalisés, la prudence les aurait forcés à ne pas réclamer, à l’époque où ils ont remis leurs pouvoirs, ce que leurs mandataires ont obtenu; que la preuve la moins équivoque, que les travaux de l’Assemblée sont chers à la nation, c’est qu’ils sont consacrés chaque jour par l’opinion publique; c’est que de toutes parts arrivent des adresses d’adhésion et de félicitation. Je pourrais demander à ces hommes si sévères sur les limites des pouvoirs, lorsqu’il s’agit de ceux qui ont été confiés aux représentants de la nation, s’ils en connaissent d’aussi respectables à ces maîtres orgueilleux, dont ils s’honorent de porter les chaînes. Qu’ils nous disent ce qu étaient, dans l’origine, les puuvoirs de ces despotes, et par quel enchaînement de circonstances, par quelles suites d’usurpaiions, ils sont parvenus à les étendre pour le malheur des nations. Enfin, ce qui répond à tout, c’est la demande même des conventions pour examiner et revoir ces opérations. Ce ne sont pas sans doute ceux qui veulent usurper les droits du peuple, qui propoœnt le moyeu le p us sûr, je dis même le seul, de les conserver. Mais, doit-on attendre que c» s Conventions soient réclamées par les assemblées primaires ? c’est un point très important à examiner. J’avoue que, si les Conventions n’ont pas lieu à époque fixe, je ne fais aucun doute que ce soit à ces assemblées à manifester leur vœu ; elles sont la source première et pure de toute puissance, de toute souveraineté. 11 serait contre tout principe d’investir de ce grand pouvoir, soit les districts, soit les dé-par ements; vuus n’avez pas voulu, vous n’avez pas dû en faire des corps politiques ; vous leur avez confié des fonctions particulières d’administration. Vous ne pouvez pas davantage confier ce soin au Corps législatif; ce n’est pas à lui à décider si la Constitution a besoin ou non de réforme ; il y aurait de l’imprudence d’ailleurs à se reposer a’une mission semblable sur un corps qui, pouvant altérer, violer lui-même la Constitution, ne serait pas intéressé à provoquer une censure de sa propre conduite, et qui d’ailleurs n’envisagerait "u’avec ombrage un corps plus puissant que lui. Ce serait donc bien constamment aux assemblées primaiî es à demander des conventions, si ce mode, pour les obtenir, était admissible. Mais ce droit, réservé à ces assemblées, ne serait-il pas une pure illusion, une vraie chimère? Dans un royaume aussi étendu que l’est la France, où les assemblées primaires sont aussi multipliées, où les chefs-lieux de leur réunion sont épars sur une multitude de points, dans les villes, dans les campagnes, comment concevoir cet accord, cette unité de volonté dans le même moment pour réclamer une Convention? car il faudrait au moins la majorité des assemblées primaires pour qu elle eût lieu. Cette espèce de concert subit serait un phénomène, ou pour mieux dire, il ne se réaliserait jamais, et il vaudrait mieux déclarer de bonne foi qu’on ne veut pas de Conventions. Car enfin, à quel signe général les assemblées primaires, sans se voir, sans se communiquer, pourrraient-elles se rallier, s’entendre pour demander une Convention? Est-ce qu’un ordre vicieux de choses pèserait sur les citoyens? D'abord, il faudrait que le mal se fît sentir dans toutes les parties de l’Empire et en même temps, pour exciter un mouvement univer.-el; ensuite rien ne serait plus facile que de se méprendre sur la cause. La Constitution pourrait recevoir des altérations insensibles, et cependant funestes, sans que le peuple éprouvât un changement fâcheux dans sa situation, un malaise; sans nue les sources de la prospérité publique fussent taries, sans que la somme des travaux diminuât, sans que les autres lois de l’Empire, dont l’influence immédiate est très active sur le bonheur des citoyens, sur leurs actions et leurs jouissances, fussent altérées. Sous le despotisme même, il est pour les nations des instants de prO'périté. De même aussi, la Constitution pourrait se conserver dans tome sa pureté, et le peuple néanmoins se sentir tourmenté et malheureux. Que ne peut en effet sur son sort une tau e en administration, un régime vicieux d’impositions, un mauvais règlement! Ce sont même, il faut en convenir, ces lois de détail dont faction est la plus prompte et les effets plus sensibles. G * n’est donc pas assez que le malheur avertisse le peuple que quelque vici* s’est introduit dans l’organisation sociale; il faut qu’il connaisse la paitie qui en est infectée, et la nature du remède qu’il convient d’appliquer, sans quoi il pourrait demander une Convention lorsqu’elle serait inutile, et négliger cette demande lors qu’elle serait essentielle. La voix publique, ai-je entendu dire, qui retentit si rapidement d’un bout de l’Empire à l’autre, bs papiers qui circulent partout, indiqueraient prom; dement aux asœmblées primaires la nécessité de se réunir et de réclamer une Convention. Peut-on sérieusement se reposer sur un semblable moyen ? D’abord il est hors la loi et indépendant d’ele; le législateur ne doit pas, dès lors, s’i n servir comme d’une règle de conduite. En outre, il ne serait pas sûr dans l’applh ation. La majeure partie des ciioyms qui composent les assemblées primaires, a peu de temps à donner à la lecture, et consulte peu les écrits publics ; ce qu’ils renferment affecte les esprits d’une manière diverse, et meut dans le même sens autant de corps particuliers isolés les uns des autres; ils n’ont pas, d’ailleurs, des opinions uniformes ; ils professent des principes souvent opposés. Lorsque les membres d’une assemblée primaire trouveraient une Convention nécessaire, les membres d’une autre assemblée la jugerai nt iniem-pe-tive et dangereuse; ce qui ne ferait qu’occasionner des hésitations, des incertitudes. Attendre que la téunion s’opère par cette voie, ce serait [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 août 1791.] s’exposer, ou à avoir des rassemblements trop fréquents, ou à n’en point avoir ; ce serait se confier au hasard et en espérer un ordre régulier. Mais, dira-t-on, vous convenez vous-même qu’une Convention est un remède violent, dont l’usage doit être rare; eh bien! attendez donc pour l’administrer, que le corps politique soit évidemment en danger, et alors soyez convaincu que, la calamité étant générale, et se faisant ressentir avec violence à tous les membres, tous seront animés du même désir, de la même volonté, et manifesteront le même vœu. Vous devez avouer aussi qu’une Convention est un moment de crise; qu’il faut autant qu’il est possible en éviter de cette nature; la raison et l’intérêt général se réunissent donc pour que les Conventions n’aient lieu que dans des occasions absolument extraordinaires. D’abord, il ne faut pas se persuader qu’il en serait des conventions futures comme de celle actuelle, qu’elles amèneraient les mêmes orages. Ici nous avons fait tout à neuf, et nous avons élevé l’édifice social sur les ruines des préjugés les plus antiques, des abus les plus invétérés. Mais disons le mot, et découvrons le danger où conduit le moyen proposé de n’avoir de Conventions que lorsqu’elles seront requises par la majorité des assemblées primaires ; c’est que de deux choses l’une : ou on ne veut pas de Conventions, ou on n’en veut que par insurrection. Voilà, dans la pratique, où se réduisent ces circonstances extrêmes, qui s’emparent en même temps de toute une nation et la poussent avec force vers un grand changement. Or, je soutiens qu’il faut employer tous les moyens de prudence et de justice pour empêcher les insurrections; qu’il faut ouvrir à la nation une voie légale, lui présenter des moyens simples et praticables pour réformer ce qui lui nuit et perfectionner i e qui est défectueux. D’ailleurs, et cette considération est d’une haute importance, avec le, temps les principes se relâchent, les abus s’introduisent et se succèdent, le peuple s’endort dans une fausse sécuriié; on le conduit insensiblement à un état de nullité, puis d’avilissement, puis d’esclavage; il finit par n’avoir ni le courage ni la volonté de résister à l’oppression et de briser ses fers. Une insurrection est un phénomène dans le monde politique. Pendant combien de siècles les nations languissent-elles sous le despotisme, avant de tenter de rentrer dans leurs droits et de recouvrer leur liberté ! Parcourez l’histoire de tous les peuples de la terre, c’est un tableau vivant qui est sous vos yeux; et vous vous confierez à une insurrection pour régénérer l’Empire, si une fois il descendait à ce point d’abaissement d’où vous l’avez relevé avec tant de courage 1 Non, ce serait le comble de l’imprudence. Fixez un instant vos regards sur le peuple anglais, ce peuple qu’on représente comme si fier, si jaloux de sa liberté ; eh bien ! depuis la dernière Révolution, n’a-t-il pas été sans cesse le jouet de la cour et du parlement? Que d’entreprises ont été formées contre sa liberté ! Que d’usurpations ont été commises 1 Je vous ai déjà parlé de ce concert coupable et scandaleux entre le roi et les représentants de la nation pour prolonger la durée des parlements et les rendre septénaires; la presse n’a-t-elle pas souffert les plus cruelles atteintes? le juré n’a-t-il pas éprouvé des altérations sensibles? les impôts n’ont-ils pas été accumulés sans mesure? Tous ceux qui ont observé avec attention la marche du 1- Série. T. XXX. gouvernement en Angleterre, conviennent que la liberté politique y décroît sensiblement ; on n’a pas pu encore parvenir à corriger les vices de la représentation nationale, quoiqu’ils frappent tous les yeux et excitent les réclamations de tous les bous esprits. Eh bien! le peuple anglais s’est-il porté à une insurrection? Noo, il a souffert patiemment et rien n’est plus simple; les entreprises sont partielles, sont successives; elles ne se laissent apercevoir que de loin en loin et d’une manière isolée; aucune en particulier n’occasionne une secousse assez forte ; le temps calme tout, l’opinioo consacre tout, on se plie ensuite à l’habitude ; ce n’est que lorsque la somme des maux est intolérable, que l’excès en tout genre se fait sentir que le peuple sort enfin de sa léthargie et secoue ses chaînes : mais que de temps il souffre avant d’en venir à cette extrémité! Il en a toujours été, il en sera toujours ainsi. Vouloir que le peuple ne revoie sa Constitution que sur la demande de fa majorité des assemblées primaires, c’est s’opposer à toute révision ; c’est, en d’autres termes, dépouiller le peuple de sa souveraineté, pour la remettre, soit au roi, soit au Corps législatif, soit à tous les deux ensemble, ou bien, c’est faire dépendre la révision d’une insurrection, c’est-à-dire du moyen non seulement le plus violent, mais d’un moyen dont les siècles et les nations offrent à peine quelques exemples, moyen qui ne s’emploie qu’après une longue suite d’oppressions, lorsque tous les genres de malheurs sont portés à leur comble, et qu’une foule de circonstances extraordinaires concourent et se réunissent pour favoriser les efforts que font les peuples pour recouvrer leurs droits et conquérir la liberté. Puisqu’il n’est pas possible, et qu’il répugne à tous les principes d’investir une législature des pouvoirs d’une Convention, puisque les Conventions ne peuvent pas être permanentes, puisqu’elles n’auraient jamais lieu, ou seulement par la voie de l’insurrection, si on attendait quVdes fussent demandées par la majorité des assemblées primaires, et que cependant il est indispensable qu’une nation puisse revoir sa Constitution, il ne reste plus pour y parvenir, que les Conventions à époques fixes et déterminées. Avec celte marche constante et uniforme, c’est dans le calme que se fait l’examen ; c’est d’une manière régulière et digne d’une nation libre. On fait quelques objections contre la périodicité des Conventions ; elfes subsisteraient dans toute leur force, que ce système serait encore préférable aux deux que nous venons de combattre; mais exami n on s-les. On redoute les époques qui amèneraient le3 conventions ; on voit, à l’avance, le ministère préparant toutes ses ressources pour ce moment décisif, employant des manœuvres de tout genre, pour se rendre maître des élections, réunissant ses efforts, pour séduire, pour corrompre les membres, et porter à la Constitution des coups d’autant plus terribles, qu’ils seraient de longtemps irréparables. Celte crainte d’abord ne serait-elle pas beaucoup mieux fondée, en confiant aux législatures le droit d’altérer sans cesse la Constitution. J’observe ensuite que le mode de nos élections offre peu de prise aux intrigues ministérielles; le nombre des citoyens actifs qui concourent au choix des électeurs, est si considérable, il est disséminé sur uu territoire si immense, qu’il est presque impossible de l’embrasser dans sou ensemble et de lui donner la même impulsion. Il 4 [Assemblé© nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 août 4791.] m est impossible de diriger autant de suffrages vers les sujets qui pourraient convenir au gouvern ¬ aient, et au surplus, si cette mesure était praticable, elle s’appliquerait aussi bien aux législatures qu’aux Conventions. Les électeurs une fois désignés, le nombre des gens à corrompre diminue, et l’entreprise paraît, au premier coup d’œil, moins impossible. Cependant, comment le ministère agirait-il avec suc-eè s, dans tous les points de l’Empire, sur autant èe volontés pariiculiêres, et les ferait-il tourner au gré de ses desseins? Si l’on considère surtout le court intervalle qu’il y a entre la nomination de ces électeurs et le choix qu’ils sont obligés de foire à leur tour, cette appréntnsion paraît absolument chimérique. Je ne prétends pas dire que le ministère ne mettra pas tout en usage pour remplir les Assemblées nationales, d’hommes qui lui seront vendus; mais je soutiens que ce n’esi pas dans ce moment que son influence sera la plus redoutable, et ee danger enfin existe pour les législatures comme pour les Conventions, C’est lorsque les représentants de la nation sont assemblés, que la corruption est vraiment à craindre; c’est alors qn’on peut déployer tous les prestiges séducteurs, flatter les ambitieux par l’espoir des grandes places, faire briller aux ymx de l’avare et du prodigue, un métal, objet de leurs imatiables désirs, pr ésenter à chacun l’appât qui Seul l’entraîner, mettre en jeu toutes les passions umaines, armer la divisiou, former des partis, épuiser entin les moyens les plus perfides pour s’assurer la majorité des suffrages. Mais c’e.'t ici. où je vous prie de remarquer combien une Convention est moins exposée à succomber à ces périls qu’une législature; les membres d’une Convention sont plus nomt reux, n oins longtemps réunis; ensuite ils ne peuvent pas êtFe aussi lacilement pratiqués. Ainsi, U ne faut pas se laisser aller à défaussés et vaines terreurs sur les époques des Conventions, regarder ces époques comme fatales et menaçant sans cesse l’Empire d’une subve sion absolue., On dit aussi que, si tes Conventions s’assemblent à des termes fixes et précis, il est possible que, dans l’imervalle d’une Convention à une antre, il ne soit arrivé aucun changement important dans la Constitution; qu’alors la Convention serait au moins inutile et qu'elle pourrait devenir dangereuse, ai e du que la manie des hommes assembles est de vouloir faire; qu’on verrait paraître des innovations funestes, des réformes nuisibles, si t» utefois i’é ùtice que nous avons élevé à la liberté, n’était pus entièrement ren-ver é. Il est possible, dit-on encore, que îa Constitution reçoive un échec redoutable qui ait besoin d’une réparation prompte, et qui ne permette pas d’attendre le temps déterminé pour la prochaine Convention; alors, une époque fixe est plus nuisible qu’utile. Cette objection, je l’avoue, n’est pas sans importance ; il est possible sans doute que, d�Une Convention à l’autre,, il ne soit pas survenu d’altération sensible dans îa Constitution, comme il serait possible qu’il n’en survînt jamais; mais ce n’est pas d’après des possibilités que le législateur se dirige, lorsqu’il trace des règles; c’est d’après les probabilités et le cours ordinaire des événements. Or, il s’agit de calculer des distances dans l’intervalle desquelles il soit présumable que îés circonstance#-, que le temps amènent' des changements plus ou moins remarquables, pins ou moins alarmants pour la liberté, il ne peut rien y avoir ici de positif; ce sont des chances à courir, et on assujettit les chances mêmes à des combinaisons et à des calculs. Enfin, je suppose qu’une Convention eût lieu sans qu'au mm-innovation dans l’acte constitutionnel, exigeât sa présence. La certitude qu’elle doit venir à une époque déterminée, aurait cet avantage, qu’elle retiendrait les deux pouvoirs constitués dans leurs véritables limites et quVIle préviendrait leurs usurpations. Elle en aurait encore un autre dans la simple approbation qu elle donnerait aux lois fondamentales, sur lesquelles repose le salut de l’Empire. Quant aux craintes qu’on affecte d avoir qu’une Convention qui n’apercevrait nulle altération dans les principes de la Constitution, voulût néan moins agir et innover; il me semble que, quoiqu’il soit généralement vrai que la manie de faire s’empare des assemblées, néanmoins une Convention ne pourrait pas légèrement hasarder des entreprises contraires à l’intérêt public. Car, enfin, l’opinion est toujours ce qui domine les hommes et les choses ; et c’est avec raison qu’on l’a appelée la reine du monde. Les membres d’une Convention ne seraient pas assez insensés pour détruire ce que la volomé générale consacre. Ce serait, d’ailleurs, en vain qu’ils voudraient le faire; des lois qui révoltent , qui soulèvent, ne sont pas des lois exécutée. Qu’on parcoure, maintenant, les grands principes de notre Co stituiiun,ceux qui servent de fondement à noire organisation sociale, et on verra s’il serait facile, s’il serait possible de les violer impunément. Ainsi, qu’on ne se laisse pas séduire par cette idée vague, que les Conventions voudront toujours innover, et qu’on la considère dans son application actuelle et avee les exceptions qui l’accompagnent. Et si, enfin, une Convention apportait à la CTonsiitution des modifications qui fussent demandées, approuvées par l’opinion publique, elle n’aurait fait alors qu’une chose légitime; elle aurait rempli un devoir sacré. Si, dans l’intervalle d’une Convention à l’autre, une Convention devenait indispensable, ce ne pourrait êire qu’à roccasion d’une atteinte violente portée à la Constitution, d’une espèce d’attaque ouverte contre les droits de la nation; dans cette hypothèse, il y aurait nécessairement une insurrection, et une Convention s'établit par la nature même des choses; elle s’établit dans tous les systèmes possibles, que les Conventions soient ou ne soient pas à époques fixes, attendu qu'on n’assujettit pa-une insurrection à des règles, et qu’une Convention devient indispensable dan& ces cas extrêmes. Voici maintenant des raisons puissantes, et j’ose dire décisives, pour que les Conventions se tiennent à des époqùs fixes et périodiques. La nation, dans ee système; conserve son droit de souveraineté dans toute sa plénitude, et? l’exercice de ce droit lui est assuré par des formes sages et régulières. Il ne suffit pas de dire que la nation est souveraine, que tous les pouvoirs émanent d’elle ; il faut que cette vérité ne soit pas réduite à une simple théorie; ce qui, dans le plan que nous venons de combattre, ne manquerait pas d’arriver. Ensuite le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, avec la périodiQiié des Conventions, étant bien convaincus d’être réprimés s’ils passent les bornes dont on leu aura enceinte, s’il# commet- [Assemblée oationaie.} ARCHIVES PARLEMENTAIRE. [29 aoûts 1791,} 5} lent des abus, s’observeront davantage, s’ex poserons' moins à la censure. Il n’est donc point de frein tout à la fois plus puissant et plus salutaire, puisqu’il prévient le mal et le répare, s’il est fait. Enfin il est d’une justice absolue et d’une vérité incontt stable que 1* s hommes en société ne doivent vivre que sous les lois qu’ils ont consenties. Les nations, comme les individus, ont un âge ; les générations s’écoulent, se succèdent à des périodes qu’il est facile de calculer, et chaque génération a le droit de n’être gouvernée que par les lois constitutionnelles qu’elle a approuvées et ratifiées. Un des hommes les plus éclairés de ce siècle et qui s’est occupé en philosophe de 1a. science des gouvernements (M. Condorcet), après avoir prouvé qu’il serait tout aussi déraisonnable de faire d