[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 septembre 1789.] vos bâtiments, ou même dans vos héritages, donne lieu à la saisie, à une amende, et à la peine de prison. Des milliers d’individus ont été condamnés sur de pareilles preuves, constitués prisonniers, et ont péri innocents. Je pourrais vous en citer plusieurs dans mon bailliage seulement. On tient pour loi, dans la gabelle, qu’un particulier est responsable de ses bâtiments, cours et jardins, fermés ou non fermés, et quoique chacun ait la liberté d’y introduire de la contrebande, n’importe : la fiscalité ne veut que de l’argent et des coupables. En vain crie-t-on contre cette loi meurtrière : malgré son immoralité, elle est en vigueur et consacrée dans tous les tribunaux de la gabelle. Eh! Messieurs, que ne consacreraient point ces tribunaux! Dans la plupart, les juges sont pensionnés et gratifiés par la ferme; la volonté delà ferme règne sur eux en tyran : elle a le droit de commander au juge qu’elle paye. Instruits de ces vexations et de ces abus infâmes, et revêtus de l’autorité, vous vous rendriez coupables envers la nation, si vous les laissiez subsister plus longtemps. Il n’y a qu’un seul moyen. Ce n’est point de diminuer le prix du sel ni les peines delà contrebande, comme le comité des finances l’a proposé, car il restera toujours un bénéfîce à faire; et adoucir les peines, c’est multiplier la fraude; mais c’est de supprimer l’impôt et de vendre le sel marchand. Je ne crois môme pas qu’il y ait à délibérer à cet égard, et qu’il soit encore permis de mettre cet objet en question. L’impôt du sel a été jugé et condamné par Sa Majesté; tous les cahiers en demandent la suppression : nous l’avons hautement annoncée et promise à la nation ; la justice et l’humanité la réclament; elle existe par le fait. Que nous reste-t-il donc à faire? à la consommer, pour l’avantage et le bonheur du peuple et de l’Etat. Cet impôt, qui est peu de chose pour l’homme opulent, est beaucoup pour les propriétaires et cultivateurs, et il écrase la classe indigente. Sa répartition se fait par tête. Un malheureux, qui a douze enfants imposables, supporte douze fois autant de sel qu’un riche célibataire. On lui délivre à 10 sous 6 deniers une livre de sel, qu’il aurait pu souvent se procurer moyennant 1 sou ou 6 liards. Le fisc tire donc sur sa subsistance, et sur celle de ses enfants, douze et treize quatorzièmes de bénéfices, et se remplit ainsi du sang et de la sueur des malheureux. Si le besoin, ou l’intérêt, toujours plus fort que la loi, lui commande de se soustraire à cette infâme exaction, sa vie et sa liberté sont en danger; il est exposé à être enlevé à sa femme et à ses enfants, et souvent la mort expie, ou toute sa fortune paye le crime bien pardonnable qu’il a osé commettre, Assemblés, Messieurs, pour pourvoir au soulagement du peuple, pour réformer les abus sous lesquels il gémit, vous ne laisserez sûrement pas subsister le plus oppressif de tous. Ce n’est point l'adoucissement de l’impôt du sel que le peuple demande ; c’est sa suppression: il faut l’anéantir jusque dans son germe.La moindre racine pourrait produire encore des rameaux désastreux. Ils ont eu des accroissances insensibles. L’expérience du passé doit nous préserver des malheurs de l’ave-vir. Puisque nous avons aujourd’hui le pouvoir, une sage et salutaire prévoyance nous dit d’en faire usage. Déterminons donc cette suppression; tout nous l’ordonne : la promesse du Roi, celle que nous avons faite au peuple, le vœu de la nation, sa résistance qui nous commande, la tranquillité et le bien de l’Etat. C’est en effet, Messieurs, du plus grand avantage de l’Etat, que le sel soit rendu marchand. Il sert à l’engrais des terres; celui de France est préféré atout: il est reconnu le meilleur de l’Europe. Ce serait donc ouvrir une branche de commerce très-lucrative. Une infinité de salines, que la voracité des fermiers a fait abandonner, seront exploitées; c’est un objet de la plus haute importance, qui vivifiera l’intérieur des provinces et accroîtra notre commerce. Cent mille bras désœuvrés y trouveront leur subsistance, et l’Etat un numéraire considérable. Hâtons-nous donc de décerner le bill si juste et si désiré d’anéantissement et de proscription. Mais, dira-l-on, l’état des finances ne permet point cette suppression sans remplacement. Cela est vrai. Aussi offre-t-on un impôt additionnel, représentatif, juste et égal, réparti proportionnellement sur tous les contribuables privilégiés; par ce moyen, le Trésor royal n’en souffrira point, et le peuple y gagnera infiniment: il sera soustrait à des vexations de tout genre. M. le président donne la parole à M. le comte de Toustain deViraypour une motion concernant le payement des députés. M. le comte de Toustain de VIray , député de la Lorraine. Messieurs, la décision de la permanence de l’Assemblée nationale me conduit à une observation que je crois nécessaire sous plusieurs rapports ; notre mission ici est incontestablement d'établir une bonne constitution et de réformer les abus. Mais, Messieurs, ne craindrions-nous pas d’en établir un en notre faveur, qui pèserait sur le peuple, si nous ne fixions pas le terme de nos payements, et s’il était soumis à notre volonté; notre délicatesse et l’amour du bien public exigent, tant pour nous que pour ceux qui nous remplaceront, de nous mettre à l’abri du reproche de cupidité. Montrons-nous intacts, et déclarons que pour cette session il ne sera payé que six mois, et trois mois pour les sessions suivantes. Je n’entends pas par là restreindre strictement à ce terme la durée des Assemblées, qui pourront se prolonger si les circonstances l’exigent; mais ne nous dissimulons pas que nos débats, souvent oiseux, et les trop longs discours produisent un bien très-incertain, et que le mal est réel ; montrons-nous patriotes; mettons-nous à l’abri de tout soupçon de la part de nos commettants, et n’augmentons pas les abus, puisque notre devoir est de les anéantir. Voici mou projet d’arrêté : « L’Assemblée nationale, délibérant sur l’abus qu’entraînerait l’arbitraire pour la durée du payement des députés, déclare que pour cette session ils ne pourront être payés que pendant l’espace de six mois, et trois mois pour les sessions suivantes ; déclare en même temps ne pas entendre par là borner strictement à trois mois la durée des assemblées annuelles, mais seulement restreindre la rétribution des députés. » M*“. Ce n’est pas toujours avec l’œil de l’enthousiasme qu’il faut considérer les objets ; l’enthousiasme est souvent contraire à la réflexion, et il s’allie rarement à la prudence. Sans doute on doit applaudir au sacrifice d’un noble qui consent à n’être payé que pour six mois; mais aussi les députés des communes, les bons pasteurs à 500 livres, car il en est encore, sont-ils en état de faire ce sacrifice? En recevoir d’eux, ce serait les précipiter dans la misère.