[Assemblée ùationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 août 1191.) profiter d’tm moment ou il établit sa Constitution pour porter cette loi iùdispen sable, qui consent à la laisser à de simples législatures, perd en un moment le fruit de ses travaux. Je demande donc que les articles actuellement en discussion soient renvoyés aux comités. M. Ditport. C’est surtout dans la position où nous sommes qu’il faut donner à la délibération une direction qüi la refid utile èt profitable. C’est sans amertume, mais avec un vrai chagrin, que je ferai d’abord observer que les détlx préopinants auraient dû se rendre au£ comités dont ils sont membres, et y fortifier de leurs réflexions et de leurs suffrages les diverses opinions favorables à leurs avis qu’on y a soutenues ; par là ils auraient évité des longueurs à l’Assemblée (Applaudissements). Mais, il n’y a pas de fin de non-recevoir contre la raison et la justice, et je dirai avec franchise que parmi les objections faites ar MM. Büzot et Pétion il en est de justes, il en st d’iûütiles, il en est de dangereuses. Quant à ce qui regarde la liberté de la pressé, il ù’y a qü’ün petit nombre d’idées fondamentales qui, sous là forme de principes, peuvent être ?' lâtëesdanS l’acte constitutionnel, savoir : 1° que hacun puisse écrire et imprimer sans qu’aucu-Ùe législature puisse porter obstacle à l’exercice de ce droit ; 2° que chacun réponde de l’abus de cette liberté ; 3° enfin que les libelles, ainsi que les délits de la presse, soient jugés par un juré. Lorsqu’on a dit cela, oti a dit tout ce qüi est nécessaire sur Cette question ; le reste appartient à la loi. Qüànt à la demandé d’un préopinant de placer dans là Constitution que le roi n’a pas le droit de faire grâce, je me servirai de l’article qui sert de base a son raisonnement pour fonder la contradiction à son opinion. 11 est dit que les mêmes délité seront punis des niêinéé peines; et pour que cet article dit sa pleiüe exécution, il faut de toute nécessité bU’il existé Un droit d’équité qui établisse éntrè les peines, les nuances qui existent eritte léS délits extérieurement les mêmes. PrédOns üil exemple; tin particulier assassine un hommé sans provbfcatioü, Sans autre motif que la Saine oü là cupidité ; il est in finement plus coupable que céftii qui tüe un homme poussé par une provocation Violente, par Un motif qui rend son actitin sinon entièrement innocente, du moins éicusâble jusqu’à tiri certain point. Les deux délits Sont ihatériellëment lés mêmes, néanmoins l’auteur de l’un est Un scélérat; l’atiteür de l’autre peut-être un honnête homme. Afin donc que les mêmes délits soient punis des mêmes peines, il fàtit qüe l’équité puisse tempérer la justice; il ü’a jamais existé au rficmde de pâys où la justice ait été rendue sans des moyens d’équité et d’a-doucisséihetit dans les peines. A qüi de droit sera-t-il remis maintenant? En Angleterre èt en Amérique, même ce droit est remis àü poli voir eiêcUtif, parce que les Américains ont Copié les Anglais, et que leur juré pro-ridüçarit Uniquement coupable ou non coupable, il à fallu laisser à quelqu’un le droit d'adoucir en certains cas la peine. Pour nous, Messieurs, nous avons pensé, qu’au moyen d’une prononciation différente des jurés, il était possible de répartir, etitre les juges et les Jtirës, le droit de déterminer les cas d’excuse. fous n’avons ancun modèle à cét égard, et au cOUtraire I’e&périence des pays libres est contre nous; nous n’en avons pas moins proposé la loi parce qu’elle nous â pas paru et nous paraît encore plus pure et meilleure. Mais, Messieurs, il nous a paru trop hardi et trop dangereux d’établir dans la Constitution même une disposition qui n’a pas pour elle la sanction de l’expérience. En effet, Messieurs, la disposition qui abolit le droit de faire grâce* étant absolument corrélative à la méthode des jurés que nous avons adoptée, si elle venait à être détruite par la législature, si l’on rétablissait la prononciation anglaise et américaine, coupable ou non coupable, il faudrait bien rétablir aussi un droit d’équité, lequel droit ne pourrait être évidemment remis qu’au roi, avec des formes déterminées. Dans de telles circonstances, il fallait tout mettre dans la Constitution : l’abolition du droit de faire grâce et ce qui en tient lieu, ou n’y rien mettre; et nous avons préféré ce dernier parti, afin que la Constitution entière ne soit pas changée, que les malheurs et le trouble attachés à des conventions ne renaissent pas. Il ne reste plus qu’une observation; c’est celle qui a rapport au second paragraphe. On a observé à cet égard qu’on parlait beaucoup des droits politiques des Français et point de leur droit civil... Cette observation n’est pas juste, car les droits dont il s’agit ici sont civils et non pas politiques. Il me semble que le préopinant a poussé trop loin ses inquiétudes :il désire que l’on établisse qn’un particulier îie sera accusé que de telle manière, arrêté que de telle manière, jugé que de telle manière; or, cela existe dans l’acte constitutionnel, dans la partie qui traite du pouvoir judiciaire. 11 se peut qu’il eût mieux valu placer le tout dansle’titre actuel ; et Vous voyez, Messieurs, que nous différons très peu des préopinams. En somme, Messieurs, dans les observations qui vous on t été présentées par MM. Buzot et Pétion, il enestquisont bonnes et justes, er, qui peuventêlre admises ou qui, tout au moins sont suceptibles de modifications et d’examen ultérieur ; il en est d’aü-tres, au contraire, qui doivent être écartées si on les discute plus profondément. Je pense qu’il serait bon de renvoyer aux comités l’examen dü titré qui nous occupe; ils l'examineront à nouveau et vous présenteront leurs vuesà laséancededémain. Je prie enfin MM. Buzot et Pétion de venir ce soir aux comités et d’y apporter leurs réflexions afin de prévenir des débats inutiles et prolongés dans l’Assemblée. ( Assentiment .) (L’Assemblée ordonne le renvoi du titre Ier atix comités èt ajourne la discussion à la séance de demain.) M. le Président lève la séance à trois heures et demie. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU LUNDI 8 AOUT 1791. Opinion de M. IMâloüet sur l'acte constitutionnel, commencée et interrompue dans la séance du lundi 8 août 1791. Statuo esse optimè constitutam rempublicam quâ ex tribus generibus regali optimo po-pulari ..... (CicerO; De Republicd.) Si la nation française, en cet instant, était rassemblée tout entière, chaque citoyen aurait le [Assemblée nationale.] ARCHIVES PAR droit de dire, à la présentation de la Charte constitutionnelle : je l’approuve, je la rejette, j’en blâme telle dispo ition. Ce que la nation ne peut faire par l’universalité de ses membres, chacun de ses représentants en a le droit et le devoir. Nous ne connaissons que partiellement les décrets constitutionnels: quelques-uns ont été rapidement adoptés ; une foule de décrets de circonstances, de lois particulières ont séparé les uns des autres les articles constitutionnels; c’est pour la première fois que nous pouvons les juger dans leur ensemble ; s’il était permis, s’il était possible de se livrer à une discussion approfondie, je ne craindrais pas de l’entreprendre; mais outre que le temps nous presse et nous commande, je ne dissimule pas que l’avis de la majorité est arrêté sur les points principaux, et que c’est offenser l’opinion domina nte que delà contredire ; cependant je vous dois, et à mes concitoyens, les motifs de mon jugement sur quelques articles fondamentaux : je serai court. Je commence par déclarer que si la Constitution peut tenir ce qu’elle promet, elle n’aura pas de plus zélé partisan que moi, car, après la vertu, je ne connais rien au-dessus de la liberté et de l’égalité. Mais quand j’examine la déclaration des droits et ce qu’elle aproduit, j’y vois une source d’erreurs désastreuses pour le commun des hommes, qui ne doit connaître la souveraineté que pour lui obéir, et qui ne peut prétendre à l’égalité que devant la loi ; car la nature ne partage pas également tous les hommes, et la société, l’éducation, l’industrie accroissent et multiplient les différences. Je vois donc les hommes simples et grossiers dangereusement égarés par cette déclaration à laquelle vous dérogez immédiatement par votre Constitution, puisque vous avez cru devoir reconnaître et constater des inégalités de droits. Forcés à une première exception, je ne pense pas que, pour le bonheur commun, la liberté et la sûreté de tous, vous lui ayez donné l’extension qu’elle doit avoir. Nous n’avons aucune garantie dans les annales du monde, aucun exemple du changement que vous opérez par l’égalité des conditions. La différence ineffaçable de celle du riche à celle du pauvre ne semble-t-elle pas devoir être balancée par d’autres modifications? Cette différence avait, peut-être plus que les chimères de la vanité, motivé les anciennes institutions; nous voyons que les législateurs anciens, qui ont presque tous été de vrais sages, ont reconnu la nécessité d’une échelle de subordination morale d’une classe, d’une profession à une autre; si cependant, en croyant n’attaquer que les usurpations de l’orgueil et du pouvoir, vous portiez la hache sur les racines de la propriété, de la sociabilité, si ceux auxquels la liberté ne suffit pas, s’enivrent de leur indépendance, quelle autorité de répression ne faudra-t-il pas aux magistrats et aux lois pour maintenir l’ordre dans cette multitude immense de nouveaux pairs. C'est donc dans les pouvoirs délégués, c’est dans leur distribution, leur force, leur indépendance, leur équilibre, qu’il faut chercher la garantie des droits naturels et civils que vous assurez, par le premier titre, à tous les citoyens. J’aime à le répéter, ces dispositions fondamentales ne laissent rien à désirer, chacun, en les lisant, doit se dire : voilà mon vœu bien exprimé; comment sera-t-il exaucé? L’expérience nous prouve qu’un droit reconnu EMENT AIRES. 18 août 1791.] 275 n’est rien, s’il n’est pas mis sous là gardé d’iine protection efficace. Une seconde leçon de l’expérience et de là raison, c’est que la pluS grande extenSioh de ïâ liberté politique est infiniment moins précieüsë et moins utile aux hommes que la sû&té et là libre disposition de leurs personnes et de lëürs propriétés. C’est là le bien solide, le bonhetir de tous les instants et le bût principal de ton té association. Il résulte de ces deux vérités* qu’un gouvernement ne peut être considéré comme parfaitement libre, sage et stable, qu’autantqü’il eét combiné non sur la plus grande liberté pdiitîqüe; mais sur la plus grande sûreté ët liberté des pèr-sonnes et des propriétés. Or, quel a été votre premier objet dans l’organisation et la distribution des pouvoirs? Lâ glus grande extension possible de la liberté publique, sauf à y attacher, ce qui est presque inconciliable, la plus grande sûreté possible des peréônnes et des propriétés. Vous avez voulu, par une marche Rétrograde de 20 siècles, rapprocher intimement lë peuple de la souveraineté, et vous lui eh ddnnëz continuellement la tentation, sans lui eh confier imtfiê-diatement l’exercice. Je ne crois pas cette vtle saine, eë fut lâ première qui se développa dans l’ënfaucë deS institutions politiques et dans les petites démo'ctàties; mais à mesure que les lumières së sont perfectionnées, vous avez vu tous les législateurs ët les politiques célèbres séparer l’exerfcice de là souveraineté de son principe, de telle mâülére que le peuple qui en produit les éléments ne les retrouve plus que dans une repfêsëntaticlti sensible et imposante qui lui imprime l’bbéisSariëe. Si donc vous vous bornez a dire que lé priü-cipe de la souveraineté est dans lè peuple, ce serait une idée juste, qu’il faudrait ëncôre se hâter de fixer en déléguant l’èiërcice de lâ stfii-veraineté; mais en disant que la souveraineté appartient au peuple, et en ne déléguant que dëi pouvoirs, l’énohciatiüd du principeestausëifaüsië que dangereuse. Elle est fausse, car le peuple; en corps, dans les assemblées primaires, Ue petit rien saisir de ce que vous déclarez lui appartenir, vous lui défendez même de délibérer; elle ëët dangereuse, car il est difficile de tettit* dans la condition de sujet celui auquel voué ne ëèléez de dire : tu es souverain ; ainsi dans l'impétuosité de ses passions, il s’emparera toujours du priti� cipe en rejetant vos conséquences. Tel est donc le premier vice dë vôtre Constitution, d’avoir placé la souveraineté ëü abstfaçtiod ; par là vous affaiblissez les pouvoirs stiprêttiëS, qui ne sont efficaces qu’autant qu’ils sont lieà à une représentation sensible et continué de là souveraineté, et qui, par la dépendance où voué les avez mis, d’une abstraction, prennent eii réalité, dans l’opinion du peuple, tin caractère Subalterne. Cette combinaison nouvelle, qùi patâit & son avantage, est tout à Son détriment, câr èîl.e le trompe dans ses prétentions et ses dèvdïrs, et dans ce genre les écarts de la multitude Sont bien redoutables pour la liberté et la sûfeté individuelles. ,, , Il n’en serait pas de même si voulant constitdëf une monarchie, après avoir reconnu te principe de la souveraineté, vous en déléguiez fôrfihellë-ment l’exercice au roi et au GorpS législatif� cette disposition, je le déclare, me paraît indispëti-sable. Après avoir défini la souveraineté sans la délé- 276 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 août 1791.] guer, et de manière à favoriser les erreurs et les passions de la multitude, le même danger se rencontre daos la définition de la loi, que l’on dit être, d’après Rousseau, l’expression de la volonté générale. Mais Rousseau dit aussi que cette volonté générale est intransmissible, qu'elle ne peut être ni représentée ni suppléée, il la fait résulter de l’opinion immédiate de chaque citoyen; et comme vous avez adopté un gouvernement représentatif, le seul convenable à une grande nation, comme les représentants ne sont liés par aucun mandat impératif, que les assemblées primaires ne peuvent délibérer, il résulte de cette différence que la définition de Rousseau, juste dans son hypothèse, est absolument fausse dans la nôtre, et tend seulement à égarer le peuple, à lui persuader que sa volonté fait la loi, qu’il peut la commander, ce qui produit, comme la première cause, on affaiblissement sensible du pouvoir législatif, en élevant sans cesse des volontés partielles et audacieuses à la hauteur menaçante de la volonté générale; et je dis plus, même dans le système de Rousseau, la loi serait mieux définie, l’expressicn de la justice et de la raison publique; car la volonté générale peut être injuste et passionnée, et la loi ne doit jamais l’être. Le recensement tie la volonté générale est souvent incertain et toujours difficile; la manifestation de la raison publique s’annonce, comme le soleil, par des flots de lumière. L’abus de ces deux mots : Souveraineté du peuple , volonté générale, a déjà exalté tant de têtes, qu’il serait bien cruel que la Constitution rendît durable un tel délire. Si les pouvoirs suprêmes sont, comme je vous le démontre, altérés par leur définition, par l’opinion qu’elle laisse au peuple de sa supériorité, ils ne le sont pas moins par leur organisation. C’est ici que je ne trouve plus une garantie suffisante des droits naturels et civils exposés dans le titre Ier, et que j’admets comme principe régulateur de la Constitution, car il ne laut plus que le peuple s’y méprenne; je veux pour lui, comme pour moi*, et tout autant que le plus ardent démocrate, la plus grande somme de liberté et de bonheur; mais je prétends qu’on doit l’asseoir sur des bases plus solides. Or, voici la source de toutes les méprises et de tous les désordres d’un gouvernement qu’on veut rendre trop populaire. Chaque homme ne s’unit au bien général que par sa raison, tandis que ses passions l’en éloignent. Ainsi la société, comme collection d’individus, est soumise à deux impulsions divergentes, dont l’une est souvent impétueuse, et l’autre trop souvent faible et incertaine. Que doit faire une Constitution raisonnable pour assurer le bien général? renforcer la plus faible de ces impulsions, enchaîner l’autre. Pour parvenir à ce but, il est évident qu’il faut chercher les moyens là où ils se trouvent le plus naturellement, et éloigner les obstacles. Or, quelle est la condition sociale dans laquelle il se trouve le plus constamment une habitude de volonté et de moyens tendant au bien général? C’est celle qui a le plus besoin d’ordre et de protection, la condition de propriétaires; ceux-ci ont pour intérêt dominant, la conservation de leur état; la volonté et l’espérance des autres sont de changer le leur. Le gouvernement le mieux ordonné est d'ne celui dans lequel les propriétaires seuls influent, car ils ont, comme les non-propriétaires, un intérêt égal à la sûreté et à la liberté individuelle, et ils ont de plus un intérêt éminent au bon régime des propriétés. Ils ne sont pas la société tout entière; mais ils sont le tronc et la racine qui doivent alimenter et diriger les branches. Ce ne peut donc être que par un abus funeste des principes abstraits de la liberté politique, et sans aucun profit, mais, au contraire, au grand détriment du peuple, qu’on peut étendre au delà de la classe des propriétaires, le droit d’influence directe sur la chose publique, car alors la plus forte des impulsions qui met les hommes en mouvement, celle des passions, des intérêts privés, agit toujours en grande masse, tandis que le principe detiireciion le plus faible, celui qui tend au bien général, se trouve réduit tout à la fois à une infériorité morale et physique. Mais ce n’est pas assez que la législation d’un Empire ne soit confiée qu’aux propriétaires élus par le peuple. Les mêmes raisons qui séparent la discussion et la confection des lois du tourbillon des passions et d’intérêts désordonnés dans lequel se meut la multitude, doivent appeler encore sur les délibérations toutes les précautions qui peuvent empêcher la précipitation et l’immaturité. Ainsi la délibération des lois dans une seule Chambre présente infiniment moins de sûreté pour le peuple, et de moyens d’autorité pour la loi, que si elle subissait deux examens successifs par des hommes qui ont un espritet des intérêts, non pas opposés, mais différents. Je pense donc que la constitution du Corps législatif, en une seule Assemblée, réduisant à la seule condition du marc d’argent l’éligibilité, n’offre point une garantie suffisante des droits naturels et civils qu’elle déclare acquis aux citoyens. Trouverons-nous cette garantie dans un autre pouvoir suprême, celui de la royauté? je ne le pense pas, car son essence est dénaturée par le mode de délégation, et par la défini - lion dans laquelle vous l’avez retranché. Le roi est le chef du pouvoir exécutif, sans l’exercer par lui-même. Je ne m’élève point contre cette disposition, la liberté ne peut être maintenue sans la responsabilité des agents, la royauté n’existe plus si le prince est responsable ; ainsi le terme moyeu était indispensable. Mais la royauté n’existe pas davantage en la réduisant à la seule direction du pouvoir exécutif dépendant, par sa responsabilité, du pouvoir législatif. La royauté, dans un Etat libre, ne pouvant être utile que comme contrepoids d’un autre pouvoir, doit en avoir un propre, indépendant, tel qu’il soit, suffisant pour mettre obstacle, non seulement aux erreurs, mais aux entreprises, aux usurpations du Corps législatif. Celui-ci ayant continuellement dans sa main, par la responsabilité, les moyens de force que peut employer le monarque, il est indispensable, pour conserver l’équilibre des pouvoirs, que le monarque ait une puissance morale, une volonté souveraine qui résiste en certains cas au Corps législatif et qu’il soit ainsi partie intégrante de la souveraineté; premier motif pour lui en imprimer le caractère, car celui de chef du pouvoir exécutif convient également à un doge, un avoyer, ou président des Eiats-Unis. Quel est donc l’attribut essentiel de la royauté? Le seul qui la disiingue des hautes magistratures, c’est cette indépendante de pouvoir inhé- 277 [Assemblée nationaie.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 août 1791.1 rent à la personne du monarque, par lequel, non seulement il sanctionne ou rejette les actes du Corps législatif, mais il ajourne ou dissout une Assemblée dont les entreprises violentes tendraient à la subversion des principes constitutifs. Leroi étant dépouillé de cette autorité, quelle est celle que vous lui avez laissée pour défendre sa prérogative et son indépendance? il est facile de vous démontrer qu’il ne lui en reste aucune. Le veto suspensif est une arme dont il ne peut user fréquemment, surtout pour maintenir une autorité contre laquelle toutes les autres sont habituellement dirigées par leur nature et par l’appui de l’opinion populaire dont elles émanent. Cependant le Corps législatif, réuni en un seul faisceau contre le trône, tenant aux corps ad-ministiatifs par la surveillance et les accusations, est non seulement le centre effectif de tous les pouvoirs, mais peut s’emparer, quand il lui plaît, de tons les actes de l’administration publique, par les évocations et l’extension illimitée qu’il peut donner à la responsabilité, sans que le roi y mette obstacle. Il est donc dans une dépendance effective et continue de cette Assemblée, qui s’est donné d’ailleurs constitutionnellement une portion considérable du pouvoir exécutif, telle que l'organisation détaillée de l’armée, celle de tous les offices et emplois, la distribution des honneurs et des récompenses, la disposition des forces militaires dans la résidence du roi , lorsque c’est aussi celle de l’Assemblée. Gomment trouver, dans cette distribution, le balancement et l’équilibre des pouvoirs dont vous avez eu l’intention ? St si vous vous rappelez que pour avoir donné un corps à deux abstractions, la souveraineté du peuple et la volonté générale, vous leur avez subordonné, dans l’opinion, les pouvoirs suprêmes, vous trouverez toutes les forces physiques et morales réunies contre le trône, qui doit être indépendant pour protéger efficacement vos droits, et tous les pouvoirs expirants, en certains cas, devant ceux qui doivent obéir. La composition et les fonctions des corps administratifs ajoutent à cette démonstration. La division du royaume en départements est sans doute, une bonne opération; la répartition, la perception de l’impôt par les délégués du peuple, l’examen, la révision de toutes les dépenses qui s’exécutent dans chaque département, sont encore dans les principes d’un bon régime; mais la partie active de l’administration, celle qui exige une responsabilité continue peut-elle être avec sûreté exercée collectivement par les mêmes délégués? N’appartient-elle pas tout entière au pouvoir exécutif ? Le roi a la surveillance de cette administration, il peut en annuler les actes, en suspendre les agents ; mais comment serait-il averti des négligences, des prévarications ? Ges corps étrangers à la couronne, où aucun de ses agents ne peut la représenter, sont nécessairement les rivaux de l’autorité royale, et tendront toujours, de concert avec le peuple et Je Corps législatif, à l’énerver. En transportant aux conseils et aux directoires de départements une autorité et des fonctions dont ils ne devraient avoir que le contrôle, vous êtes privés de la meilleure forme d’administration qui peut exister, celle qui place la surveillance à côté de l’action, et l’inspection des dépenses à la suite de leur exécution ; c’est ainsi que vous pouviez assurer la meilleure et la plus exacte comptabilité; car l’institution des chambres de comptes, si importante dans son objet, si bien combinéedans son organisation primitive, pouvait être encore plus utilement remplacée par les départements. La Charte, en n’assurant aucune fonction précise aux municipalités, semble reconnaître le danger de cette puissance royale dont elles sont aujourd’hui investies, et de leur insuffisance pour l’exercer ; mais si la Constitution ne guérit pas ces deux plaies, qui pourra les guérir ? Enfin, Messieurs, si à la suite de tant d’entraves mises au pouvoir exécutif et à sa direction centrale, si après les mesures extraordinaires récemment adoptées, et contre lesquelles je ne cesse de réclamer, je considère les cas de déchéance du trôn