[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 novembre 1789.] 664 pression et la distribution du plan proposé par j M. le comte de Mirabeau. j M. le Président consulte l’Assemblée, qui ordonne l’impression et la distribution. A deux heures, la discussion est interrompue suivant l’usage, et renvoyée au lendemain. M. le chevalier Alexandre de Lameth demande la parole pour faire une motion importante dans les circonstances actuelles, et propose à l’Assemblée de prononcer que tous les parlements du royaume resteront en vacance, et que les chambres des vacations continueront leurs fonctions jusqu’à ce qu'il ait été autrement statué à cet égard. M. le chevalier Alexandre de Lametlt. Ce n’est pas pour un objet étranger aux importantes et pressantes questions que vous agitez maintenant, Messieurs, que j’ai osé réclamer en ce moment votre attention ; je suis pénétré, au contraire, de l’instante nécessité de la diriger tout entière vers les moyens de mettre en exécution la Constitution que votre sagesse prépare à la France, et de donner au pouvoir exécutif toute l’énergie dont il a besoin pour maintenir cette Constitution, et assurer par elle la liberté et le bonheur de la nation. Je pense comme vous, Messieurs, qu’il n’est pas de moyen plus sur ni plus efficace pour arriver à ce but que d’organiser le plus tôt possible les assemblées municipales et provinciales, et c’est dans cette vue que j’ai cru devoir vous proposer d’écarter tous les obstacles qui pourraient nuire à leur établissement. Vous n’avez pas oublié, Messieurs , quelles difficultés éprouvèrent dès leur naissance ces sages institutions, de la part de plusieurs parlements du royaume. Vous n’ignorez pas quelles sont en ce moment les dispositions de quelques-unes de ces cours; de quel œil elles voient l’établissement de la Constitution, quels regrets elles manifestent de voir s’évanouir de si longues jouissances et de si hautes prétentions, üe quel danger ne serait-il donc pas de leur laisser reprendre en ce moment une activité qu’elles pourraient opposer à l’établissement des assemblées administratives 1 II n’est personne parmi vous, Messieurs, qui n’ait senti la nécessité d’établir un nouvel ordre judiciaire, et qui n’ait approuvé, parmi les dispositions qui vous étaient présentées par notre premier comité de Constitution, celles qui substituent à ces grands corps politiques des tribunaux plus près du peuple et bornés à la seule administration de la justice. Ce n’est pas, Messieurs, que je veuille anticiper sur l’ordre de vos travaux, et vous proposer de prononcer d’une manière absolue sur le sort des parlements; mais je pense qu’il est une mesure importante à prendre à leur égard, et que vous ne sauriez arrêter trop tôt, puisqu’il ne reste précisément que le temps nécessaire pour son exécution : c’est de retenir ces cours en vacances, et de laisser aux chambres des vacations le soin de pourvoir aux objets les plus pressants de l’administration de la justice. Je n’ai point oublié, Messieurs, les importants services que nous ont rendus les parlements. Je sais que si, dans l’origine, la puissance royale leur a dû son agrandissement, on les a vus depuis, dans plus d’une occasion, lui prescrire des limites, et souvent combattre avec énergie, et presque toujours avec succès, les efforts du despotisme ministériel; je sais qu’on les a vus, lorsque l’autorité l’emportait, soutenir avec fermeté des persécutions obtenues par leur courage; je sais que, daus ces derniers temps surtout, iis ont repoussé avec force les coupables projets qui devaient anéantir entièrement notre liberté. Mais la reconnaissance, qui, dans les hommes privés, peut aller jusqu’à sacrifier ses intérêts, ne saurait autoriser les représentants de la nation à compromettre ceux qui leur sont confiés; et nous ne pouvons nous le dissimuler, Messieurs, tant que les parlements conserveront leur ancienne existence, les amis de la liberté ne seront pas sans crainte, et ses ennemis sans espérance. La Constitution ne sera pas solidement établie tant qu’il existera auprès des Assemblées nationales des corps rivaux de sa puissance, accoutumés longtemps à se regarder comme les représentants de la nation, si redoutables par l’influence du pouvoir judiciaire; des corps dont la savante tactique a su tourner tous les événements à l’accroissement de leur puissance, qui sans cesse seraient occupés à épier nos démarches, à aggraver nos fautes, à profiter de nos négligences, et attendre le moment favorable pour s’élever sur nos débris. Non, Messieurs, il n’est pas à craindre que la meme Assemblée qui a fixé les droits du trône, qui a prononcé la destruction des ordres, qui ne laissera aux nobles d’autres privilèges que la mémoire des services de leurs ancêtres, et aux ecclésiastiques que la considération attachée à leurs honorables fonctions ; que l’Assemblée qui a fondé la liberté sur l’égalité civile et politique, et sur la destruction des aristocraties de toute espèce, puisse jamais consentir à laisser subsister des corps, jadis utiles, mais aujourd’hui incompatibles avec la Constitution. Au reste, Messieurs, en renvoyant la question au fond au moment où vous statuerez définitivement sur le pouvoir judiciaire, je me borne en cet instant à vous proposer un arrêté qui ordonne que les parlements resteront en vacances. M. Target ( l). Lorsqu’il n’y avait point de nation, ou lorsque les anciens ordres rassemblés s’avilissaient au point de faire des doléances, au lieu de s’unir en un corps de citoyens pour dicter des lois, la puissance absolue aurait tout englouti et la servitude aurait établi son séjour éternel dans le plus beau pays du monde, si une entreprise heureuse des parlements n’avait pas conservé les droits de la nation en paraissant les usurper ..... Cet état de choses fut un bien en ce qu’il apprit à l’autorité qu’elle ne pouvait pas tout ; c’était un mal, en ce que, diminuant les abus, il éloignait les vrais remèdes. Les parlements, il ne faut pas l’oublier, ont déclaré leur incompétence sur les impôts, et ils ont demandé la convocation des Etats généraux; peut-être n’est-il pas donné aux corps moins éclairés et plus formalistes que les nations, de s’élever au-dessus des préjugés... Ils n’ont pas vu que la puissance législative appartient aux citoyens; que les ordres sont des intérêts particuliers qui divisent l’empire, et qu’au lieu des Etats généraux de 1614, il fallait ce que nous avons, une Assemblée nationale; le temps est arrivé, la révolution est faite, la nation a repris ses droits pour toujours. L’Assemblée nationale sera permanente; il n’y aura plus de lois que celles qu’elle aura faites ; l’obéissance la plus prompte leur est due ; les délais, qui furent une ressource, seraient aujourd’hui des crimes; il y avait des espèces de tribuns, il n’y a (1) Le Moniteur se borne à mentionner le diseours de M. Target. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [3 novembre 1789.] 665 plus que des juges. L'enregistrement ne sera plus qu’une transcription dans des registres ; et garants de leur soumission à la loi, les magistrats, sim-f pies exécuteurs, seront responsables à la nation de tout abus d’autorité. L’existence de nos tribunaux est donc entièrement dénaturée, ou elle est plutôt rentrée dans � sa vraie nature, en s’éloignant des habitudes que le despotisme seul avait pu justifier. M. Target fait ressortir ensuite les malheurs attachés à l’étendue immense des ressorts et parle des citoyens pauvres forcés d’aller chercher à 120 lieues de leur maison ou de leur chaumière une justice lente et ruineuse, il termine k en disant : La paix est fille de la justice et la justice ne peut être à 100 lieues de celui qui souffre et qui n’a | aucun moyen de les franchir. b Aucun magistrat ne peut s’affliger des pertes » que lui causera le bien public. Des magistrats respectables honorent ces compagnies, ils seront l’honneur des tribunaux que vous établirez ; k mais il ne faut pas laisser l’intérêt personnel s’animer dans ce foyer de l’esprit de corps qui consume jusqu’aux bonnes intentions. J’appuie t la motion de M. Alexandre de Lameth. M. Mouglns de Roquefort. Le parlement d’Aix a repris ses fondions depuis le 1er octobre; je demande donc qu’il soit décrété que les cours souveraines qui seraient rentrées reprendront * l’état de vacances. iç M. Fréteau. Je reviens d’un bureau où j’étais occupé pour le service de l’Assemblée. J’apprends ► qu'il se discute une question nouvelle, et avant d’avoir pu réunir toutes mes idées, une réflexion me frappe d’abord. Il est impossible que les chambres des vacations étant très-peu nombreuses, puissent juger tous les criminels dont les prisons sont remplies. Je demande qu’on ajourne à jeudi. M. Thouret. Cet ajournement équivaut, par le fait, à l’ajournement après la rentrée. Le temps nécessaire pour sanctionner le décret, et les distances que les courriers auront à parcourir, feraient que les parlements, avant de connaître légalement ce décret, seraient déjà en activité. S’il est vrai que l’esprit de corps et d’intérêt * qu’ils ne peuvent dépouiller ne peut s’allier avec l’esprit public ; s’il est vrai que leur puissance L doive compromettre la liberté nécessaire pour l’établissement des municipalités, la motion pré-* sente a un rapport très-üirect avec l’ordre du jour. Comme corps, à tous égards l’assemblée du corps constituant a le droit de les détruire. Comme tribunaux, vous ne pouvez les encadrer dans * la Constitution que vous devez faire, La nation n’a pas concouru à l’élection de ► leurs membres; tous sont arrivés à la magistrature par l’hérédité et la vénalité ; tous sont d’an-► ciens privilégiés que je ne crois pas encore parfaitement convertis. Les corps antiques se font une religion de leurs maximes; ils sont toujours attachés à ce qu’ils appellent leurs droits ► et leur honneur. Rien ne peut donc vous empêcher de prendre aujourd’hui une disposition provisoire, prudente pour vous et convenable pour eux-mêmes. On ► peut, si cela paraît nécessaire, augmenter la compétence des chambres de vacations. M. Villoutreix de Faye, évêque d'Oléron , député du pays de Soûle. Messieurs, je suis chargé par mes commettants de vous demander la conservation du parlement de Pau, des droits et privilèges de ce tribunal. Les magistrats qui le composent ont la confiance des peuples de leur ressort et je demande une exception en sa faveur. M. le duc de Fa Rochefoucauld (1). Messieurs, je n’examinerai point au fond la question importante de la conservation ou de la suppression des parlements; le temps où vous devrez la résoudre n’est pas encore arrivé ; peut-être lorsque vous vous occuperez de l’ordre judiciaire, trouverez-vous que l’existence de cès grands corps, autrefois utiles, ne s’accordera plus avec les principes de la nouvelle Constitution dont vous tracez le plan. Ils ont rendu sans doute, à la nation de grands services, dont elle ne perdra pas le souvenir; et si vous aviez besoin qu’on vous les retraçât, je serais plus empressé qu’un autre à vous rappeler que dans les temps d’ignorance, où la cour de Rome avait subjugué l’Europe presque entière, le parlement de Paris a constamment défendu la France de ses funestes entreprises ; que les parlements ont travaillé avec zèle à la destruction du gouvernement féodal, dont vous venez de proscrire les restes ; que ce sont eux qui, en 1771 et en 1778 (je puis, Messieurs, vous parler de leurs généreux efforts dans ces époques modernes, où j’avais l’honneur de partager leurs travaux), ce sont eux qui ont opposé au despotisme ministériel une barrière invincible, et que nous leur devons l’impulsion heureuse de la révolution actuelle. Mais utiles dans un temps où la nation privée du droit de s’assembler n’avait pas ses défenseurs naturels, devez-vous les conserver à présent que de véritables représentants élus par l’universalité des citoyens, qu’une Assemblée nationale permanente vous assurent une bonne législation et une administration fondée sur de bons principes; tout ce qui est superflu en fait de Constitution et d’économie politique devient inutile et dangereux; les parlements n’auront plus de fonctions législatives et sans doute le soin de distribuer plus également la justice et de la rapprocher des justiciables, ne laissera pas subsister ces immenses ressorts contre lesquels tant de réclamations se sont élevées; vous supprimerez donc véritablement ces grands corps de magistrature, mais en prononçant leur destruction vous rendrez une justice méritée aux membres qui les composent, et sans doute leurs citoyens s’empresseront de les porter par leurs suffrages aux places que le nouvel ordre judiciaire établira. Je me renfermerai donc, Messieurs, dans la question actuelle, et comme il me parait impossible que ce nouvel ordre judiciaire succède immédiatement à l’ancien, et que cet intervalle indispensable me paraît avoir moins d’inconvénients dans un moment où le cours de la justice a communément peu d’activué, qu’il n’en n’aurait dans six semaines ou deux mois, j’adopte la motion de M. de Lameth, de proroger les vacances avec les amendements proposés par les préopinants. M. Uloussltou. Le parlement de Pau est un (1) L’opinion de M. de La Rochefoucauld n’est pas mentionnée au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 novembre 1789.] 666 tribunal de première instance. D’après les lois particulières du pays, il doit être excepté de la mesure qui vous est proposée. M. Fréteau. Je propose, par amendement, de renforcer les chambres des vacations, en leur adjoignant un nombre de magistrats égal à celui qui les compose. M. BBarnave. Je pense qu’il n’y a lieu à délibérer sur cet amendement : 1° parce qu’il détruit la motion; 2° parce qu’il est inutile, les cours n’entrant dans une activité réelle qu’après les lois. M= le Président consulte l’Assemblée qui décide qu’il n’y a lieu à délibérer. La motion principale est ensuite mise aux voix et décrétée dans les termes suivants: « L’Assemblée nationale décrète : 1° qu’en attendant l’époque peu éloignée où elle s’occupera de la nouvelle organisation du pouvoir judiciaire, tous les parlements continueront de rester en vacances et que ceux qui seraient rentrés, reprendront l’état des vacances ; que les chambres des vacations continueront ou reprendront leurs fonctions, et connaîtront de toutes causes, in-stanceset procès, nonobstant tons les règlements à ce contraires, jusqu’à ce qu’il ait élé’autrement statué à cet égard ; « 2° Que le président se retirera par devers le Roi pour lui demander sa sanction sur ce décret et le supplier de faire expédier toutes lettres et ordres à ce nécessaire. » M. le Président annonce ensuite que M. le maire de. Paris à la tête d’une députation des représentants de la commune de ceLte ville demande a être admis à la barre. Le maire et la députation sont introduits. M. le maire, portant la parole, prononce le discours dont la teneur suit : M. Bailly, maire de Paris (1). Messieurs, les soixante administrateurs qui composent le conseil de ville, nous envoient vers vous pour vous supplier de décréter un règlement provisoire, sans lequel il leur est impossible de remplir les fonctions qui leur ont été confiées par leurs commettants. L’Assemblée générale des représentants de la commune s’en était d’abord occupée elle-même, et se proposait de vous soumettre le projet qu’elle aurait cru devoir adopter ; mais {Dressée sans doute de tracer le plan de la municipalité, principal objet de son mandat, elle a laissé au conseil de l’administration le soin d’exécuter les leurs, par les moyens qui lui paraîtraient les plus convenables. L’est, Messieurs, ce qui nous amène devant vous. Dans ce moment de trouble et d’orage, la police a paru d’abord mériter de fixer la principale attention du conseil de ville, parce que l’ordre public, la sûreté générale et celle des individus, tiennent plus particulièrement à l’exercice de celle branche si importante de l’administration municipale. Sans l’attribution qu’ils attendent de votre sagesse, les membres du conseil chargés de ce département, ne se croiraient pas suffisamment (1) Le discours de M. Bailly est incomplet au Moniteur. [ fondés à exercer les pouvoirs d’administration qui leur sont nécessaires, encore moins ceux de juridiction, qu’ils ne peuvent tenir que de la loi. La responsabilité à laquelle ils se sont soumis exige impérieusement une règle, puisqu’il est impossible de répondre de l’usage d’un pouvoir indéfini et arbitraire. Ce n’est donc qu’à cette condition qu’ils ont pu se charger de la pénible et délicate commission dont ils ont été honorés parle choix de leurs concitoyens. Nous espérons que l’Assemblée nationale verra avec plaisir dans ce projet, des dispositions conformes à l’esprit qui doit animer les représentants et les magistrats municipaux d’un peuple. Ce discours a été suivi de la lecture de l’arrêté pris par les représentants de la commune de Paris, et' du projet de règlement provisoire qu’ils sollicitent l’Assemblée de revêtir de son autorité, et de faire sanctionner par le Roi. M. le I*résldent fait à la députation la réponse qui suit : « L’Assemblée nationale connaît toute l’importance du maintien de la police de la ville de Paris; elle prendra sans délai dans la plus sérieuse considération, le projet que vous lui présentez ; remettez-le sur le bureau. » Ce plan a été renvoyé au comité de constitution pour en rendre compte jeudi prochain à l’Assemblée. La députation se retire. M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de demain pour neuf heures et demie du matin. annexe à la séance de l'Assemblée nationale du 3 novembre 1789. , Réflexions sur la nouvelle division du ROYAUME et sur les privilèges et les assemblées des provinces d'Etats, par M. Rahaud de -1 Saint-Etienne (l), membre du comité de constitution (imprimées par ordre de l’Assemblée nationale). Le comité de constitution, en proposant une division de tout le royaume en 80 parties à peu près égales, a eu pour but d’établir, dans un empire qui doit être un, l’égalité d’influence qui appartient essentiellement à chaque individu. Il a pensé que c’était se conformer aux principes de disposer tellement chacune des parties du tout, qu’elles fussent, autant qu’il était possible, égales entre elles. 11 a cru que la grande unité ne pouvait être simple qu’autant qu’elle serait composée d’unités pareilles; que la forme générale ne pouvait être vigoureuse et ferme, qu’autant que les forces particulières dont elle serait composée auraient une tendance et une action égales; et qu’enfin, le mouvement général du corps politique serait d’autant moins retardé que les mouvements particuliers dont il se compose (1) Les réflexions de M. Rabaud de Saint-Etienne sur la division du royaume n’ont pas été insérées au Moniteur.