616 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1790.] [Assemblée nationale.] Art. 8. Lorsqu’il y aura des baux semblables à ceux ci-devant mentionnés, le directoire du district prendra les observations des municipalités, donnera son avis; ensuite, le directoire du département statuera ce qu’il appartiendra; le tout se fera dans deux mois après l'expiration du délai ci-devant fixé. Art. 9. « Dans le cas où il n’y aurait aucuns baux, tels que celui ci-devant mentionnés, il sera procédé à une estimation par experts, conformément aux articles 13, 14, 15, 16 et 17 du décret du 3 mai, concernant les droits féodaux; pour cette estimation, un des experts sera choisi par le procureur-syndic du district, et l’autre par le propriétaire; s’il est besoin d’un tiers expert, il sera choisi par le directoire du département. L'estimation faite, le directoire du district prendra les observations des municipalités, donnera son avis, et le directoire du département statuera ce qu’il appartiendra. Art. 10. « Lors du règlement de ladite indemnité, déduction sera faite sur la valeur de la dîme du capital de la portion congrue, même de ce qui est payable pour cette année dans les six premiers mois de 1791 ; savoir : jusqu’à concurrence de 1,200 livres pour les curés, et de 700 livres pour les vicaires actuellement existants. 11 sera pareillement fait déduction du capital et de toutes les autres charges actuelles relatives au culte divin, même des réparations; mais ces déductions n’auront lieu que dans le cas où les dîmes inféodées étaient tenues de ces charges subsidiairement, et ar insuffisance de celles ecclésiastiques et des iens qui y étaient sujets, ou lorsqu’elles les supportaient concurremment, soit avec celles-ci, soit avec lesdits biens. Les mêmes déductions n’auront lieu que jusqu’à concurrence de ce dont les dîmes inféodées auraient pu être tenues après avoir épuisé les dîmes ecclésiastiques et lesdits biens. Art. 11. « Ceux auxquels il a été fait des abandons de biens-fonds, à condition d’acquitter la portion congrue, ou d’autres charges relatives au service divin, en tout ou en partie, ou de payer quelques redevances ou réfusions, verseront dans trois mois, dans la caisse du district, le capital de ce dont ils étaient tenus ; savoir : sur le pied du denier vingt pour ce qu’ils devaient en argent, et pour ce qu’ils devaient en denrées sur le pied denier vingt-cinq, suivant l’estimation qui sera faite pour ces derniers objets ; ou bien ils seront tenus de renoncer auxdits biens-fonds; ce qu’ils opteront dans le mois, à compter de la publication du présent décret; à défaut de quoi lesdits biens seront dès lors déclarés nationaux, et mis en vente sans délai . Art. 12. « A l’égard de ceux auxquels il a été fait des abandons de dîmes aux conditions mentionnées dans l’article précédent, ils seront tenus de déduire sur leur indemnité le capital des charges qui leur auront été imposées sur le même pied que ci-dessus. Art. 13. « Il ne sera accordé aucune indemnité pour les I dîmes insolites dont les propriétaires ne justifieraient pas d’une possession de 40 ans. Art. 14. « Dans les dîmes inféodées dont l’indemnité doit être acquittée des deniers au Trésor public, ne sont point comprises celles qui, quoique tenues en foi et hommage, seraient justifiées par titres être dues comme le prix de la concession du fonds; en ce cas, les redevables seront tenus de les racheter eux-mêmes, suivant le mode et le taux réglés pour le champart par le décret du 3 mai dernier, concernant les droits féodaux; et jusqu’au rachat, ils seront tenus de les payer. Art. 15. « Les propriétaires des dîmes inféodées qui prétendraient être autorisés à percevoir des droits casuels lors des mutations des héritages sujets à la dîme, ne pourront les faire entrer dans leur indemnité; mais ils continueront de les percevoir, le cas échéant, contre les redevables de la dîme, sauf à ces derniers leurs exceptions et défenses au contraire, et sauf à eux à racheter lesdits droits, en cas qu’ils y fussent assujettis. Art. 16. « Les ci-devant propriétaires de fiefs qui étaient autorisés par la loi, ou par titres, à percevoir des droits casuels en cas de mutation de la propriété de la dîme inféodée, seront indemnisés de ces droits par les propriétaires de la dime, suivant le taux et le mode réglés, et en se soumettant à tout ce qui est prescrit par le décret du 3 mai dernier, concernant les droits féodaux. Art. 17. « Si la dîme a été cumulée avec le champart, le terrage, l’agrier ou autres redevances de cette nature, ces droits fonciers ne seront dorénavant payés qu’à la quotité qu’ils étaient dus anciennement : en cas qu’on ne puisse découvrir l’ancienne quotité, elle sera réduite à celle réglée par la coutume ou l’usage des lieux. » M. le Président lève la séance à près de dix heures du soir. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 14 OCTOBRE 1790. Nota. Nous annexons à la séance de ce jour, ainsi que cela a été fait dans les procès-verbaux de l’Assemblée nationale, le document qui suit : Rapport de MM. DuvEYRIER et B.-G. Cahier, commissaires nommés par le roi , pour V exécution des décrets de l'Assemblée nationale , relatifs aux troubles de Nancy, remis à M. de La Tour-du-Pin, ministre de la guerre, le jeudi 14 octobre 1790. (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale.) au roi. Sire, Chargés par Votre Majesté de l’exécution des [14 octobre 1790.] 617 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. décrets de l’Assemblée nationale, relatifs aux troubles de Nancy, nous sommes partis dans la nuit du 3 au 4 septembre, accompagnés de MM. Remi-Victor Gaillard et Charles-Pierre Leroi, avocats, nos amis, qui ont bien voulu exercer près de nous les fonctions de secrétaires, et dont le zèle, la prudence et les bons principes ont été d’une grande utilité aux intérêts publics qui nous étaient confiés. Notre mission avait deux objets : Maintenir la tranquillité dans la ville de Nancy; et prendre l’information exacte des faits qui doivent conduire à la punition des coupables, de quelque grade, rang et état qu’ils puissent être. Sur le premier objet, sur le maintien delà tranquillité, Votre Majesté daignera apprendre ce que nous avons fait, lorsqu’il nous aura été possible d’exposer ce que nous avions à faire. Le second objet était aussi le plus pénible de notre longue et délicate mission. Développer tous les faits qui ont préparé, commencé, propagé le désordre, et conduit enfin la garnison de Nancy aux derniers excès de la révolte ; discerner les causes de cette longue et funeste agitation; diriger l’œil de la justice sur les vrais coupables; provoquer la censure des fautes et la punition des crimes : cette tâche n’a point effrayé notre zèle, et nous osons assurer Votre Majesté que notre désir le plus ardent a été de connaître la vérité, comme notre plus ferme résolution est de la dire. Nous avons fait, pour trouver cette vérité précieuse, tout ce qui était humainement possible. Après avoir reçu de la municipalité et du département les expéditions de leurs procès-verbaux , écrits, indicateurs au moins, des faits qu’il nous était imposé de vérifier, nous avons interrogé dans la ville de Nancy tous ceux, citoyens, 'soldats, officiers (1), qui paraissaient avoir quelques renseignements à nous donner, nous réservant ensuite de balancer les témoignages et de distinguer Ja vérité du mensonge, dans ces récits presque toujours dictés par le plus vif de tous les intérêts : par l’intérêt de l’opinion. Le nombre des citoyens entendus ne peut être calculé. Mais il nous sera permis de dire que nous avons interrogé plus de cent soldats, presque tous séparément, seuls, sans témoins, les invitant à la confiance par tous les signes de l’impartialité, par cette vérité répétée à chacun d’eux, que devant la justice nationale le général et le soldat sont égaux ; les plaçant enfin à côté de nous dans cette situation paisible et commode, qui seule pouvait leur donner le courage dont ils ont aujourd’hui besoin, contre des supérieurs qu’ils redoutent d’autant plus qu’ils les ont plus sensiblement offensés. Nous nous sommes transportés à Verdun pour prendre les déclarations des chefs et des soldats du régiment du roi, qui nous étaient indiqués comme utiles à quelques éclaircissements ; à Saint-Dizier, pour interroger de même les officiers et les cavaliers de Mestre de camp sur tout ce qui pouvait leur être particulièrement relatif; à Lunéville, pour savoir des carabiniers eux-mêmes les faits et les causes de l’irruption si extraordinaire de la garnison de Nancy; à Melz enfin, pour converser avec M. de Bouillé sur tout ce qui a préparé et suivi la journée du 31 août. (1) Les prisons de Nancy contenaient plus de deux cents soldats des trois régiments, et plusieurs officiers étaient restés dans cette ville pour différentes causes. Ce dernier voyage d’ailleurs a eu un autre motif d’utilité dont'uous aurons occasion de parler. Les courses, les recherches, les informations ont été prodiguées jusqu’au moment où tous les récits venant se confondre dans les mêmes résultats, nous ont assuré que nous savions tout ce qu’il était possible de savoir. C’est du concours et du rapprochement de ces diverses in formations que nous avons formé, Sire, le rapport que nous avons l’honneur de mettre sous les yeux de Votre Majesté. Dans la recherche des causes de tant d’événements funestes, si nos efforts n’ont pas découvert une cause inconnue, soupçonnée jusqu’à présent, peut-être avec quelque vraisemblance, nos efforts au moins nous ont acquis le droit d’affirmer que celte cause n’existe pas. L’Assemblée nationale, en exigeant des renseignements certains sur les faits, a voulu que nos recherches remontassent à l’origine des causes. L’origine est la Révolution. C’est à cet instant de gloire pour l’Empire français qu’il faut remonter pour juger les causes des malheurs particuliers de la ville de Nancy. Cette ville, longtemps le séjour des ducs de Lorraine, enrichie par Stanislas, distinguée par nos rois, était, le 14 juillet 1789, par sa situation politique, plus éloignée, peut-être, qu’aucune autre ville du royaume, des changements qui se préparaient. Ses habitants avaient presque tous à regretter, au moins, s’il leur était impossible de les conserver, ou des privilèges ou des abus. Une noblesse nombreuse, et d’autant plus jalouse de son existence, qu’à l’exception de quelques familles, son existence était plus nouvelle. Un parlement, une chambre de3 comptes, dont les membres joignaient, aux autres attributs de leurs places, un avantage particulier, celui de ne pas les acheter, et d’y trouver un revenu fixe et considérable j our la province. On sait que la plupart des magistrats de ces deux cours souveraines n’avaient, pour ainsi dire, d’autre fortune que les appointements attachés à leurs commissions. D’autres tribunaux en grand nombre, un bailliage, une chambre des eaux et forêts, une chambre consulaire, une juridiction prévôtale, une intendance, toutes les combinaisons de la fiscalité, bureau du domaine, bureau des fermes; un chapitre noble, richement doté, un commerce fécondé de même par une exception, par la position de la Lorraine hors des barrières de France, et pour garnison, une troupe, aussi privilégiée, le régiment du roi : Voilà ce qui peuplait la capitale de la Lorraine d’hommes destinés aux regrets du passé, aux alarmes de l’avenir. j Le peuple seul, ce qu'on appelait alors le peuple, n’avait point de privilèges, si ce n’est qu’il était exempt desdeux impôts tenant lieu de la taille et de la capitation. Le régiment du roi, stationné depuis sept ans dans cette ville, y avait acquis domicile, et presque droit de cité ; officiers et soldats, tous avaient leurs relations, leurs habitudes, et, pour ainsi dire, leurs établissements, chacun dans la classe où le fixait son rang, les officiers avec les nobles, les soldats avec le peuple. Cette paix n’était troublée que par des querelles, quelquefois éclatantes, entre les jeunes officiers du régiment du roi et les jeunes citoyens de Nancy. (Mg {Assemblée nationale. J ARCHIVES PABLEM ENT AIRES. [14 octobre 1790,] On rapporte, et ces rapports sont assez nombreux, assez unanimes, que même avant la Révolution, quelques jeunes officiers (1) du régiment du roi se faisaient un jeu d’insulter, de provoquer pendant le jour, de poursuivre et de battre pendant la nuit les jeunes citoyens de Nancy. De tels excès n’étaient pas fréquents, il faut bien le croire, mais ils restaient impunis, ou la punition restait ignorée. Ces dispositions ne préparaient pas les esprits à l’égalité établie par les lois nouvelles. La Révolution s’opère ; la loi vient : elle frappe également sur tous; mais, en confondant les intérêts, elle divise les opinions et les sentiments : les deux partis déjà séparés par l’inégalité des fortunes et des prérogatives, les officiers et les nobles, les soldats et le peuple, en s’éloignant l’un de l’autre, se réunissent plus intimement ensemble, l’un parles regrets des sacrifices exigés, l’autre par l’espérance des a van* âges promis. Getite division a été (dus sensible et plus amère à Nancy que partout ailleurs, parce que les causes en étaient plus nombreuses et plus vives. Elle s’était déjà manifestée dans les premières assemblées formées pour la rédaction des cahiers et le choix des députés aux Etats généraux, lorsque les privilégiés offrirent pour la contribution égale des impôts un consentement qu’ils rétractèrent le lendemain. Elle éclata depuis avec des conséquences plus ou moins funestes, dans toutes les occasions où l’intérêt public fut agité : Lorsqu’il fut question d'établir la garde nationale, longiemps privée des armes, sans lesquelles elle ne pouvait exister; Lorsque M. ds La Valette, ancien commandant de cette garde, l’augmenta de 25 hommes par compagnie,, sur le principe vrai que l’aisance ne devait pas être le seul titre d’admission ; Lorsque, pour balancer les effets de cette opération, une vingt-huitième compagnie se forma plus nombreuse que les autres, et de telle sorte, qu’elle prit dans Le publie la dénomination 4# compagnie de Favras ; Lorsqu’au mois d’octobre £789, les soldats citoyens essuyèrent quelques délais à la commune, pour une fédération avee leurs frères d’armes des pays voisins; Lorsqu’à l’époque de la fédération, effectuée enfin au mois d’avril, la commune, par un arrêté imprimé et affiché, déclara séditieux et calomnieux l’arrêté delà garde nationale relatif à cette fédération ; Lorsqu’à l’approche des élections, quelques écrits indiquèrent aux électeurs, avec une franchise peut-être trop amère,, les vertus civiques que leur choix devait récompenser ; Lorsqu’il fut proposé dans la commune de réclamer pour la ci-devant province de Lorraine l’exécution du traité de Vienne ; Lorsqu’ea envoyant, le 22 décembre 1789, des députés à Paris, on arrêta que des termes dont ces députés se serviraient , on ne pourrait en induire aucune adhésion ni opposition aux décrets fin général , on 4 apcun des arrêtés particuliers de l’Assemblée nationale ; et que, dans aucun cas, pes pouvoirs ne pourraient être montrés à personne,, (1) Il en est, même parmi les jeunes, qui n’ont jamais mérité ce reproche. M. Desilles, immortel déjà par son courage, était aussi distingué par l’aménité de son caractère et la noblesse de ses sentiments. M. Bailly et plusieurs autres sont dignes de la même distinction. pas même aux députés de la province à V Assemblée nationale. La même division régnait en même temps dans le régiment du roi; et déjà l'on peut tenir pour certain que le mal a pris naissance dans cette troupe, longtemps connue par de meilleurs exemples ; qu’il s’est répandu de là, et même assez tard, dans les deux autres régiments en garnison à Nancy, et qu’il n’eût pas fait sans doute de si funestes progrès, si les soldats du régiment du roi [ne s’étaient avisés, dans les derniers temps, de rallier tous les soldats à leur cause par un intérêt qui devait les agiter tous. C’est quelques semaines après la prise de la Bastille, à la fin de juillet ou dans Les premiers jours du mois d’août 1789, car l’époque précise n’a pu être rappelée, que les soldats du régiment du roi, sans aucun motif de plainte contre leurs officiers (ils en conviennent), demandèrent avec tumulte la liberté des portes, l’exemption de l’appel de quatre heures et autres objets aussi misérables. Tous les soldats, interrogés sur les causes de ce premier moment d’insubordination, ont répondu qu’ils n’en connaissaient pas d’autres que le désir, répandu depuis quelque temps dans le cœur de chacun d’eux, d’essayer les fruits de cette liberté assurée à tous les Français. Les officiers résistèrent d’abord, mais ils cédèrent ensuite et l’on peut difficilement calculer l’effet de cette première condescendance. Ils en firent quelque temps après un essai plus redoutable, lorsque tous les grenadiers d’une -compagnie se soulevèrent pour empêcher un de leurs camarades de subir la peine à laquelle il avait été condamné; cette peine était la prison. On fit alors quelques exemples indispensables et justes : les plus animés furent congédiés avec des cartouches jaunes ; mais ou se souvint de la faute passée (ce qui n’était pas d’une .aussi exacte justice, puisque les demandes des soldats avaient été accordées); ceux qui avaient paru plus empressés à exiger la liberté des portes et l’exemption de l’appel de quatre heures furent également congédiés avec des cartouches jaunes, et le nombre de ces soldats punis pour la première eit la seconde faute peut être fixé à trente ou environ. On voit déjà que depuis la Révolution le même gentiment n’animait pas les soldats et les officiers, et la conduite de plusieurs officiers n’était pas propre à rallier les esprits. Les anciens, ceux que l’âge et la raison conduisaient à des mesures plus sages, ne paraissent pas avoir manifesté des intentions contraires aux lois nouvelles; mais parmi les jeunes officiers, plusieurs sont accusés d’avoir à cet égard porté le mépris jusqu’à l’insulte. Un nouvel uniforme, rival de tous les autres, en rehaussant le courage des jeunes citoyens qui en étaient honorés, avait ulcéré l’orgueil des jeunes militaires, Nous avons eu connaissance de plusieurs combats entre de jeunes officiers du régiment du roi et de jeunes gardes nationaux de Nancy, toujours provoqués par les officiers, et dont le prétexte, si l’on veut, était étranger à la chose publique, mais dont l’habit national augmentait sensiblement la vivacité. Il donnait, au moins aux jeunes citoyens là hardiesse de repousser la provocation; ils furent toujours heureux dan3 ces rencontres particulières, et ces succès aigrissaient encore les animosités respectives. [Assemblée aatiouakuj ARCHIVES PARLEMENTAIRES. £14 octobre 1793..J Ceci en vint au point que M. Nicolas, membre de la commune, fut député par elle vers les chefs du corps, pour les engager à faire cesser ce désordre, et à prévenir un combat qui devait avoir lieu le jour même ou le lendemain. Celui des officiers supérieurs auquel il s’adressa fit réponse qu’on y veillerait pour l’avenir; mais que relativement au combat du jour, ce combat ayant été décidé par les jeunes officiers, on ne pouvait l’empêcher sans perdre celui de leurs camarades qui devait .en être le •champion. Les anciens officiers avouent eux-mêmes aujourd’hui que, parmi les jeunes, plusieurs étaient, dans leur maintien et dans leurs discours, sur fout ce qui pouvait être relatif à l’Assemblée nationale, à ses décisions, à ses lois, d’une légèreté et d’une indiscrétion que les plus «âges conseils ne pouvaient tempérer. On dit que les soldats ayant manifesté le désir de prendre le ruban national, et voulant y être autorisés par l’exemple de leurs officiers, ceux-ci ont opposé qu’ils n’avaient point d’ordre à cet égard, et que des militaires ne faisaient rien sans ordre du ministre delà guerre. Aussi faut-il ajouter, pour la plus impartiale justice, que tous officiers et soldats ont pris la cocarde nationale au moment même où le roi leur a permis de la prendre. Il résulte de plusieurs déclarations, que les officiers marquaient leur déplaisir aux soldats qui fréquentaient les .citoyens ; que souvent, devant les détachements de la garde nationale qui portaient les armes, les officiers ne faisaient pas porter les armes à leurs troupes, et laissaient eux-mêmes Jeur épée dans le fourreau. ■Voici un fait particulier, tel qu’il est conçu dans une déclaration écrite et signée par M. Go-liny, major de la garde nationale, et autres membres de ce corps, appuyée d’ailleurs par d’autres déclarations écrites : « D’après la réquisition de la municipalité, dit ,M. Coliny, je me suis trans-« porté, avec mon détachement, à .la paroisse « Saint-Roch, le 24 mars, à trois heures après <« midi,. J’entrais dans la nef, ea prenant la droite, « suivant Ja teneur du décret qui donne la pré-« séance aux gardes nationales. Un moment « après, on vint m’avertir que le détachement * du régiment du roi avait pris la droite en de-« hors de l’église. Je sortis, je m’abouchai avec « Gheffontaine, qui commandait le détache-« ment. Je lui observai que, suivant le décret, il « ne devait point garder la droite, Il me dit qu’il « ne connaissait que les ordonnances, ej qu’il « avait ordre de prendre Ja droite. Je lui Veûrc-« sentai qu’étant appuyé du décret, j’étais dans * l'intention de conserver la place que j’oçcu-* pais. 11 me dit que si je persistais, il allait se « retirer avec sa troupe. Je lui répondis qu’il en « était le maître ; ce qu’il effectua. Entre autres « officiers qui se trouvaient là, M, Darador était « sur le perron de la paroisse, lorsque je lui ob-<< servais que ma demande était fondée sur le « décret. Il me dit qu’il se,,... des décrets,; ce que « je certifie véritable. » La première idée d’une fédération entre la garde nationale de la province de Lorraine et des provinces voisines, car les provinces existaient encore, a vait été proposée, à Nancy, dès le mais d’octobre 1789. L’exécution de ce projet n’avait trouvé qu’un obstacle, le choc des opinions qui divisaient les citoyens de Nancy. Au mois d’avril dernier., l’exemple de plusieurs départements ne laissa plus du prétexte, et la fê dération fut décidée et annoncée. Les officiers du régiment de Mestre de camp avaient eu le bon esprit de prévenir l’envie �e leurs cavaliers devaient avoir de partager Je serment et la joie de cette fête. Ils ne voulurent pas cependant placer les officiers du régiment du roi dans une situation désagréable. Ils se rendirent chez le commandant de ce régiment, pour l’instruire de la résolution prise de conduire leurs soldats à la fédération. Get avis fit naître de grandes difficultés. Le régiment n’avait pas d’ordre pour se coaliser avec lescitoyens.il fallut bien se décider pourtant à faire, au moins en partie, ce que Mestre de camp faisait. Nouvel embarras sur la question de savoir si le régiment du roi y porterait un drapeau ; mais le régiment de Mestre de camp y portait un de ses étendards et même l’étendard rouge. 11 fallut bien encore céder sur le drapeau. Ces petites résistances n’étaient point ignorées, et l’on peut juger de l’impression qu’elles devaient faire sur l’esprit du soldat et du citoyen. Cependant la fédération fut faite d’une, manière décente.; il paraît même certain que les soldats n’v furent pas seulement spectateurs, et qu’ils prêtèrent le serment d’alliance civique. Celte cérémonie enfin n’eût laissé aucune trace désagréable, sans quelquets observations qui, pour des esprits déjà mal disposés, ne devaient pas attester ,1e patriotisme des officiers du régiment du rai. On remarqua que les officiers du détachement était tous en habits négligés,, en redingote uniformes mais le temps était excessivement froid. Ou remarqua que plusieurs pelotons, dédiant devant la garde nationale, ne lui avaient pas rendu les honneurs militaires, et qu’ils avaient laissé l’arme au bras ; mais le second lieutenant-colonel du régiment affirme en avoir .donné l’ordre, et plusieurs soldats l’attestent. Enfin, suivant la .déclaration d’un seul soldat, un jeune officier avait craché devant le drapeau national, et tenu hautement un propos plus sale encore et plus méprisant que sou geste. Nous le répétons avec plaisir., et c’est une justice de dire que les anciens officiers ne paraissent pas avoir partagé cette indiscrétion contagieuse. Vers le milieu du mois d’avril, le régiment s’élait tumultueusement opposé A ce que M. La Laurencie prît Le commandement, en qualité de premier lieutenant-colonel. Les soldats, interrogés en grand nombre, .ont tous répondu .que le seul motif de ce mouvement d’insubordination, était la sévérité extrême de M. La Laurencie dans le commandement militaire. Les plus mutins, nu nombre de trente-cinq, furent encore renvoyés avec des cartouches jaunes, Six semaines après, dans les derniers jours du mois de mai, un soldat raconte à ses camarades que, la veille, étant en sentinelle à la Pépinière, entre dix heures du soir et minuit, il a vu le nommé Roussière, soldat du régiment du roi,, en babil bourgeois, l’épée au côté, et un bonnet de poil sur la tête, provoquer au combat deux citoyens qui se promenaien t sur la terrasse de Ja Pépinière; qu’il a vu également quatre officiers du régiment du roi, MM. Gheffontaine frères, Bissy et Gharitte, dont l’un avait une épée nue sous le bras, suivre, à dix pas, le nommé Rous* sière ; que les officiers ordonnèrent à lui sentinelle d’arrêter les deux bourgeois; q.u’il observa 620 (Assemblée nationale.] que, dans ce cas, il était indispensable d’arrêter ainsi Roussière; qu’alors les officiers, s’adressant à Roussière, lui dirent : Viens-t'en, il n'y a rien à faire. Ce propos circule: On dit que le même jour, une autre sentinelle, en faction devant la chambre des comptes, a vu le nommé Roussière entrer, en habit de soldat, avec les quatre officiers nommés, dans une maison située vis-à-vis de la chambre des comptes, et sortir, quelgue temps après, de la même maison avec les mêmes officiers, en habit bourgeois. Les esprits s’échauffent dans le régiment. On cherche, on saisit Roussière ..... Interrogé, il avoue qu’il était sollicité à cette action par MM. Cheffontaine, Bissy et Charitte : il est mis au cachot, par ordre de l’état-major. Les soldats demandent que son procès soit fait, et qu’il soit passé aux banderoles. Les officiers le condamnent à trois mois de cachot. Cette peine paraît trop douce aux soldats; ils craignent surtout qu’on ne fasse évader le coupable, et que la vérité ne s’échappe avec lui : ils demandent encore un jugement qui condamne Roussière aux banderoles et à une expulsion honteuse. Sur les représentations des officiers, qu’il faut un ordre du ministre pour infliger une semblable peine, ils se contentent de l’expulsion. Roussière est amené au milieu du quartier. Le nommé Bourguignon place sur sa tête un bonnet de papier, sur lequel on lit, d’un côté : Iscariote ; et de l’autre : C'est ainsi que l'honneur punit la bassesse. M. Montluo cadet voit placer le bonnet, et s’écrie : Que fais-tu là, grenadier ? Bourguignon répond : Vous le voyez, mon officier. i\l. Montluc ajoute : Tu me le payeras. Nous retrouvons bientôt le frère de cet officier et ce grenadier dans une scène dont les conséquences ont été bien dangereuses. Enfin Roussière est conduit jusqu’aux portes de la ville par un détachement de soldats, sans officiers; et MM. Cheffontaine, Bissy et Charitte, compromis par la déclaration de Roussière, et par celle du nommé Basile, sentinelle sur la terrasse de la Pépinière au moment de l’attaque, disparaissent quelques jours après. Voilà les détails certains de cette aventure, tels que les plus soigneuses recherches ont pu les développer devant nous. Les anciens officiers disent que les jeunes officiers impliqués dans cette affaire ont cru devoir s’absenter avec permission. Ils ajoutent, tout bas, que, suivant toutes les apparences, ces officiers ne reviendront pas au régiment. Ils ajoutent qu’immédiatement après l’aventure, tous les officiers assemblés déclarèrent entre eux que le premier, quel que fût son grade ou son âge, qui compromettrait l’honneur de ses camarades, soit avec les soldats, soit avec les gardes nationales ou les citoyens, serait irrémis-siblement chassé. Le livre des punitions ne donne aucun rensei-nement sur ce fait; on y voit seulement: 0 mai 1790, Roussière, trois mois de cachot , chassé avec un congé jaune, pour s'être déguisé, être sorti après l’appel, et avoir été dans la Pépinière chercher dispute à des bourgeois. Cet événement fut un grand mal; la faule des officiers n’était point douteuse pour les soldats ; ils murmurèrent de ce que la faute n’avait été ni constatée, ni punie. Le comité des soldats du régiment du roi (14 octobre 1790. | s’était formé dans le printemps : son origine est obscure; il paraît qne son premier objet a été de s’assembler pour lire les papiers publics; bienlôt on a parlé de la discipline du corps; et les soldats, créateurs de ce comité, ont cru que cet objet ne leur était point étranger. Ce qui est certain, c'est que, jusqu’à la fin du mois de juillet, il n’a été question ni de comptes à faire, ni d’argent à réclamer. La fédération s’est passée avec joie et décence, le 14 juillet dernier, et les apparences de la concorde générale devaient promettre une paix solide; les soldats ayant désiré donner chacun une livre de pain aux pauvres, le conseil d’administration du régiment fit distribuer à chacun d’eux 3 sous pour cette livre de pain, et 24 sous pour sa dépense personnelle. C’est quelques jours après la fédération, qu’un nombre de soldats, on l’évalue à 5 ou 600, se mirent à crier dans le quartier : Point de comité, nous ne voulons être gouvernés que par nos officiers. Quelques soldats disent, que cette réclamation avait été sollicitée et provoquée par lés officiers. D’autres assurent que les membres du comité s’arrogeaient une certaine autorité sur leurs camarades ; qu’ils avaient des portefeuilles dans leur poche, sur lesquels ils inscrivaient le nom des soldats qui leur déplaisaient, les menaçant d’une punition quelconque. Quoi qu’il en soit, les officiers crurent pouvoir moins profiter de cette disposition : ils firent courir dans les chambrées un ordre, par lequel ils déclaraient « que plusieurs soldats s’étaient réu-« nis, sous des formes défendues par l’Assemblée « nationale, à tous les citoyens, et surtout aux « soldats; mais que le bon esprit de ceux du ré-« giment n’avait pas donné à leurs chefs la moin-« are inquiétude sur l’irrégularité de telles as-« semblées; qu’ils voient avec plaisir que le « vœu général est que par la suite elles n’aient « pas lieu; qu’ils ne désirent pas connaître les « auteurs ; que les soldats qui ont quelques de-« mandes à faire, trouvent dans l’ordonnance « des moyens très sages ; et qu’enfin les soldats « ne pourraient douter que leurs chefs ne soient « heureux qu’autant qu’ils peuvent contribuer à « leur bonheur. » Le lendemain, dispute au cabaret, entre plusieurs soldats fusiliers et deux grenadiers membres du comité : l’inégalité du nombre indique assez les agresseurs. Les grenadiers courent au quartier, et répandent qu’on a voulu les assassiner, parce qu’ils sont membres du comité; les compagnies de grenadiers s’irritent; on cherche, on saisit les agresseurs, on Jes maltraite, on les traîne en prison. Les officiers interviennent, les font sortir de prison; mais bientôt après ils sont forcés de les y replacer ; et enfin la municipalité conseille de les transférer à la tour où ils sont encore (1). Il résulte des procès-verbaux de la municipalité, que cette querelle a causé dans tout le régiment la plus grande agitation ; que trois fois les officiers ont requis la municipalité de se transporter aux casernes ; que le commandant de la place a annoncé le dessein pris par les soldats de se rendre à Paris avec leurs armes et la caisse militaire ; qu’il a demandé le rassemblement des (1) Nous avons cru devoir les y retenir pour laisser entièrement libres les dispositions ultérieures. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1790.J 621 gardes nationales et les préparatifs de la loi martiale ; que la municipalité a envoyé trois fois des députés au quartier. Et ce qu’il est impossible de ne pas remarquer, c’est que les trois députations ont rapporté à la municipalité que tout était tranquille, et que les soldats étaient disposés à se conformer aux désirs des officiers municipaux. Aussi la municipalité, en présence du commandant lui-même et des officiers, décidait qu’il n’y avait lieu à délibérer, et le commandant et les officiers se retiraient en remerciant la municipalité. On a fait grand bruit de cet événement ; l’objet principal était de vérifier l’accusation portée par quelques soldats contre leurs officiers. Ils disent que ces neuf agresseurs étaient des spadassins payés par les officiers pour assassiner les membres du comité. Il est très vrai que, par une réunion assez étrange, les neuf soldats agresseurs étaient presque tous des plus fins tireurs d’armes du régiment, et que les deux soldats attaqués étaient deux membres' du comité. Mais nous avons interrogé séparément ces neuf soldats, et en plus grand nombre d’autres soldats intéressés à les accuser, et nous n’avons recueilli aucune preuve de cette connivence. Seulement, quelques déclarations nous ont appris que ces tireurs d’armes avaient été plusieurs fois entendus, parlant de l’argent qu’ils allaient dépenser au cabaret, comme d’un argent qui n’appartenait à aucun d’eux, mais qui appartenait à tous. Les accusateurs disent, dans leur mémoire, que l’un des neuf accusés a reçu 6 livres de M. Com-piègne, officier, et qu’interrogé sur cette libéralité M. Gompiègne a répondu que c’était pour le récompenser de s’être battu contre un citoyen. Il est vrai que M. Gompiègne avait publiquement donné le même jour ou la veille 6 livres à l’un d’eux, nommé Riondé. Il est vrai que Riondé, le jour même ou le 1 n-demain de la fédération du mois d’avril au mont Sainte-Geneviève, époque à laquelle M. Gompiègne n’était pas au régiment (1), s’était battu contreun garde national de Nancy ; mais le reste n’est pas prouvé. Au surplus, tous les soldats bientôt vont se réunir en faveur des membres du comité; et cet accord, plus funeste peut-être que la division qui les agitait, ne peut être attribué qu’aux promesses faites à chaque soldat de l’intéresser au résultat lucratif des délibérations. C’est à cette époque;, sans doute, que le comité s’est occupé des comptes, et l’on sait que déjà plusieurs régiments avaient entr’eux une correspondance établie sur les formes et les objets de leurs réclamations. Déjà ces comptes avaient agité la garnison de Metz, et le voisinage des deux villes devait accélérer la contagion de l’exemple. Nous touchons au commencement d’un grand trouble. Le 2 août dernier, un grenadier était de garde à la porte royale, c’était Bourguignon, celui qui avait placé sur la têté de Roussière l’inscription Iscariote ; la garde de ce poste était commandée par M. Montluc, c’était le frère de celui qui avait alors menacé Bourguignon. (1) M. Compiègne avait eu un congé au mois d’octobre 1789, comme tous les officiers semestriers, et il n’a rejoint que le 13 juin 1790. Notre devoir est de rappeler cette circonstance. Les anciens officiers nous ont dit, à Nancy, qu’il existait une ancienne règle militaire, au désir de laquelle, la retraite battue, tous les soldats de garde à la porte royale devaient demeurer dans l’enceinte formée parles colonnes qui soutiennent cette porte; que cette contrainte était, depuis longtemps, négligée par des officiers plus tolérants; mais que M. Montluc était, plus qu’un autre, sévère observateur de la règle. Il veut la faire exécuter; un d’eux s’y refuse, tous les autres soldats imitent son exemple : en descendant la garde, l’officier ordonne que Bourguignon soit conduit en prison, comme auteur de l’insubordination. Toute la compagnie s’y oppose, le commandant de la place interdit la compagnie; toutes les compagnies de grenadiers refusent le service, le commandant de la place interdit toutes les compagnies de grenadiers; le régiment entier refuse le service, le commandant de la place interdit tout le régiment et requiert la municipalité de rassembler les gardes nationales pour faire le service, conjointement avec le régiment de Château vieux et Mestre de camp. La fermentation était effrayante, le régiment voulait faire le service, malgré l’interdiction prononcée par le commandant : il s’était armé. Les Suisses et les cavaliers de Mestre de camp, commandés pour remplir les postes, obéissaient encore : le carnage pouvait être prévu par les moins pusillanimes. Alors le commandant, à son tour, est requis par la municipalité de lever son interdiction ; il cède et tout rentre dans l’ordre, pour bien peu de temps. La nouvelle de celte insubordination criminelle, entre autres motifs, a provoqué le décret du 6 août. Les soldats disent eux-mêmes que, le 9 de ce mois, ce décret était connu à Nancy par les papiers publics. G’est précisément le 9 que deux soldats par compagnie, le régiment étant en bataille, sortent des rangset demandent que Messieurs de l’état-major se rendent chez M. le major pour entendre la lecture de leurs récriminations (1). Bientôt après, l’appartement du major n’étant pas assez vaste, le rendez-vous est donné au quartier, et cinq oflieiers supérieurs se rendent à cette assemblée de soldats. Un d’eux, le sieur Paumier, lut un mémoire, à chaque article duquel les officiers répondaient qu’ils n’avaient aucune connaissance de l’administration des finances. La grande difficulté était sur l’existence des registres, les soldats voulaient remonter jusqu’à 1767, époque de la mort de M. de Guerchy; le trésorier, vieillard de 78 ans, assurait qu’il n’en existait plus qu’un, celui commencé en 1775: on dit que les soldats mirent ce vieillard aux arrêts pour quelques heures. Les esprits s’échauffèrent, et, malgré les rapports divers sur cette séance, passée dans l’intérieur du quartier, il faut bien que quelques actes de contrainte aient été exercés contre les officiers supérieurs, puisqu’on voit, dans les procès-verbaux de la municipalité, une lettre écrite au corps municipal, à huit heures du soir, et par laquelle le commandant de la ville expose que les grenadiers et quelques soldats se permettent de consigner leurs officiers; que même il y a eu des (I) G’est l’expressioa dont ils se sont servis. 622 voies de fait contre ceux qui se présentent à la grille, des menaces de tirer et de plonger la Baïonnette. On voit, par le même procès-verbal, qu’au même instant une députation de soldats est introduite; elle venait communiquer au corps municipal une lettre, dont il sera bientôt question, écrite par te commandant de la ville au commandant dm régiment, et demander s’il était vrai que le commandant de la ville eût réclamé la loi martiale. On les interroge sur le sort de leurs officiers, on leur représente que, d’après le décret du 6 août, bien connu d’eux, le compte auquel ils faisaient procéder était absolument illégal. Ils répondent que leurs officiers sont libres et en sûreté ; que le décret du 6 n’est point sanctionné, et qu’ainsi il n’a point force de loi; qu’ils préviendront au surplus la municipalité du moment où la séance serait levée. À dix heures, la séance n’était pas levée; la municipalité envoie son secrétaire. Il rapporte qu’il a été reçu avec respect et honnêteté ; que les soldats lui ont répondu que dans un instant les officiers seront libres; qu’ils invitent M. de Noue (c’est le commandant) à se tranquilliser et à ne point alarmer la ville par ses craintes; qu’ils sont reconnaissants de la sollicitude de la municipalité; qu’ils le chargent de lui en témoigner leur sensibilité, et de loi demander la continuation de ses bontés et de sa protection. Avec ces formes douces, l’indiscipline continuait; les soldais se bâtaient même de terminer avec les officiers avant ia sanction du décret. Le lendemain, nouvelle séance, à laquelle les officiers assistèrent encore volontairement; le résultat fut que les officiers délivrèrent aux soldats provisoirement une somme de 150,000 livres. Les officiers disent que cette somme leur a été arrachée par violence; les soldats disent le contraire. Il est très vraisemblable que ce payement provisoire n’a pas été volontaire de la part des officiers. Cependant il ne faudrait pas, sans preuve, admettre que les soldats eussent ajouté un nouveau crime, celui d’une violence effective, au crime de violer un décret bien connu d’eux, quoiqu’il n’eût pas été promulgué. Les officiers ont payé 150,000 livres; et s’ils ont cédé à la violence, on doit s’étonner qu’ils n’en aient consigné aucune plainte dans les procès-verbaux de la municipalité ou du directoire. D’ailleurs, nous avons une instruction écrite de la main même d’un officier supérieur du régiment du roi, présent à la séance dans laquelle il est dit « qo’il fut avoué par un des officiers « supérieurs, que probablement ils pourraient « obtenir la rentrée de quelques retenues qui « avaient été faites aux soldats; retenues que « l’ancien régime et l’usage de presque tous tes « corps avaient autorisées; qu’on cria de toutes « parts : de Vargent! de l'argent! Que les officiers « proposèrent 100,OGt0 livres, qu’on en demandait « 200,000; qu’un soldat, en réclamant ta con-« fiance qu’il avait, disait-il, méritée, parvint à « faire convenir que l’on se contenterait de « 150,000 livres, et que l’on ne demanderait plus « d’acomptes avant le jugement de l’Assemblée « nationale, auprès de laquelle on solliciterait « un décret particulier ; que cette promesse a été « renouvelée deux jours après (le 12 août) chez (14 octobre 17904 « le commandant du corps et en présence de deux* « officiers municipaux ; que les officiers supé-« rieurs ont rendu compte, en détail, des motifs « qui les avaient déterminés; qu’ils craignaient « que leur refus n’aigrît trop les esprits, et ne « compromît les autres officiers du corps. »> Cette somme de 150,000 livres, donnée le 10 août aux soldats du régiment du. roi, fut uu poison pour la ville de Nancy; on peut la considérer comme une des causes de ses derniers désastres; elle produisit deux effets bien funestes. Le premier fut de rallier étroitement à la cause des soldats la dernière classe des habitants de Nancy ; Le second fut d’égarer les deux autres régiments en garnison dans la même ville, qui jusqu’alors étaient restés obéissants et fidèles. Cette somme de 150,000 livres produisit à chaque soldat 73 livres 4 sous, qui furent versées dans leurs sociétés ordinaires de la ville, en dépenses de toute espèce; et ce qui fut plus funeste encore, c’est le bruit répandu en même temps qu’il revenait, en outre, 500 livres à chaque soldat. Plusieurs déclarations des deux aulres régiments nous ont appris qu’à cette époque ils avaient été déjà visités par quelques membres du comité du régiment du roi, qui venaient leur offrir leurs services pour le même objet. Les deux autres régiments, Mestre de camp et Château vieux, n’étaient pas entièrement ébranlés; mais au moment des 150,000 livres distribuées aux soldats du régiment du roi , les Suisses et les cavaliers ne purent voir sans attrait cette richesse distribuée à leurs camarades, et dès le lendemain la contagion éclata par une scène dont les suites seules ont pu parvenir à notre parfaite connaissance. Le lendemain, 11 août, deux soldats suisses ont passé aux courroies dans l’intérieur des casernes, et l’on dit qu’une heure a suffi pour l’accusation, la procédure, le jugement et l’exécution. Les causes du jugement et les instigations surtout à la recherche desquelles nous étions employés ne pouvaient être exactement constatées que par la procédure ; nous l’avons demandée. Les officiers suisses ont opposé avec succès leurs capitulations qui les dispensent, disent-ils, de communiquer leurs procédures à tout autre qu’à leurs cantons. Nous nous sommes bornés à désirer des renseignements sur la procédure ; nous n’avons pas dissimulé l’objet et le pouvoir de notre commission; les décrets mêmes dont nous étions porteurs ont été exhibés et lus. M. de Salis, major de Cbâleauvieux, nous a dit que les officiers faisaient un mémoire; que le premier exemplaire serait envoyé à M. le comte d’Affry, qui le communiquerait, s’il le jugeait à propos, au ministre, et peut-être à l’Assemblée nationale; que ce mémoire serait public et qu’il nous parviendrait aisément. Il a dit vrai : le mémoire a été imprimé, vendu à Nancy, et nous l’avons acheté. Nous ne pourrons pas en faire un grand usage; nous dirons seulement que le ton de ce mémoire ne dispose pas à une conliance sans bornes, pour tous les details, pour tous les faits particuliers dont les conséquences seraient d’immoler à la conservation d’un régiment étranger deux régiments français, la garde nationale de Nancy, et même une grande partie des habitants de cette viile. S'il faut, à la place de ces renseignements refusés, mettre toutes les connaissances que nous (Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [14 octobre 1790,] 62$ avons acquises par d’autres moyens,, nous dirons que toutes les déclarations des citoyen s, toutes celles des soldats de Ghâteauvieux , interrogés dans les prisons, les déclarations mêmes de quel-1 ques officiers des autres régiments, se réunissent à ce seul point, que le crime des deux soldats condamnés était d'avoir été députés par leurs camarades pour demander de» comptes à leur» officiers. Dans le mémoire dont nous venons de parler, l’accusation portée par les soldats est aussi relative à des comptes et au projet d’engager leurs camarades à faire les réclamations les plus absurdes. M. de Salis, lui-même, a bien voulu nous dire qu’ils avaient été trouvés saisis d’écrits incendiaires, tendant à demander des comptes; que la loi les condamnait, comme séditieux, à être pendus; qu’on leur avait fait grâce contre son avis, et qu’il était persuadé qu’une plus grande sévérité eût été plus heureuse dans ses conséquences. Il serait difficile de le croire : et si l’idée répandue d’une injuste sévérité a donné à cette expédition judiciaire des suites affreuses, il sera naturel de penser qu’une plus grande sévérité eût entraîné de plus grands excès. Ils ont été terribles. L’exécution était à peine achevée que le quartier des Suisses était environné de la multitude; on disait hautement que les deux condamnés avaient été les victimes de l’injustice et de l’avidité de leurs officiers ; qu’ils étaient punis pour avoir demandé les comptes du régiment; que le décret du 6 août ayant autorisé les comptes, ces Suisses ne pouvaient être coupables qu’à des yeux ennemis des décrets. La fermentation devint prodigieuse : les officiers et les soldats eux-mêmes furent injuriés, menacés, maltraités; les femmes et les enfants les poursuivaient dans la rue, à grandes huées et à coups de pierres ; les officiers s’armèrent de pistolets; M. de Salis, major, se plaint d’avoir été mis en joue par un garde national ; et ce garde national, dont nous avons la déclaration, atteste de son côté que M. de Salis, poursuivi par la multitude, fui a présenté le pistolet et lui en a fait le lendemain des excuses. Les procès-verbaux de la municipalité attestent que les gardes nationaux oot été commandés et qu’ils ont agi pour le rétablissement de l’ordre. Mais lé mal avait fait des progrès rapides : toute idée de subordination est désormais perdue. Les soldats des deux autres régiments, facilement persuadés que les deux Suisses sont innocents, envoient une députation aux casernes de Cbâteauvieuxj qui force les portes de la prison, délivre les deux condamnés, oblige, les armes à la main, le lieutenant-colonel à les rétablir, les promène en triomphe par la ville, et finit par leur donner asile, à i’un dans les casernes du régiment du roi, à l’autre dans les casernes de Mestre de camp. D’autres soldats posent des sentinelles à la porte de tous les officiers suisses ; d’autres cherchent le major, obligé de s’évader et de rester caché pendant trente-six heures. Les officiers, il faut le dire, avaient signalé l’intention de partir s leurs malles étaient faites, et Je soir même les deux capitaines des deux Suisses condamnés se sont réellement absentés. Jamais le décret du 6 n’avait été plus nécessaire, au moins sera-t-il respecté» Il a été proclamé le lendemain 12 août. Le commandant de la ville avait ordonné que la proclamation, pour le régiment du roi, serait farte dans son quartier : au mépris de cet ordre, le régiment s’est rendu sur la place royale; les deux autres régiments sont venus aussi s’y placer. Les deux Suisses punis la veille étaient dans les rangs, l’un du Mestre de camp, l’autre du régiment du roi, Un nouvel épisode est venu augmenter la licence. On a vu, le 9, une députation des soldats du régiment du roi introduite à la municipalité pour lui communiquer une lettre écrite par M.de Noue, commandant de la place, à M. de Balivière, commandant du corps. Dans cette lettre, M. de Noue disait que l’Assemblée nationale s’occupait de réprimer le brigandage des troupes. Ce mot choquait les soldats : ils voulaient des réparations : M. de Noue, se croyant menacé,, s’était retiré à la municipalité et ne voulait paraître qu’avec des précautions convenables à sa sûreté. Des grenadiers et des chasseurs sont venus donner la parole des soldats, que le commandant serait respecté. Il est descendu avec les officiers municipaux en écharpes et les administrateurs du département ; un soldat (on nomme le sieur Paumier) s’est présenté hors des rangs, et a lu à haute voix la lettre dont il s’agit : M. de Noue a dit, qu 'ayant toujours été satisfait du régiment du roi, y ayant servi pendant trente ans, il n'avait jamais eu l’intention de leur appliquer l'expression de brigand; qu’au contraire, il les regardait tous comme des militaires pleins d’honneur. Ce sont les propres termes de sa réponse consignée dans les procès-verbaux de la municipalité. Cela dit, il fait le tour des quatre bataillons, accompagné des administrateurs du département et des officiers municipaux» On peut juger de l’empire que les soldats exerçaient déjà sur la ville entière. Le décret est enfin proclamé : quel effet cette proclamation a-t-elle opéré? C’est le même soir que des détachements de toutes les troupes promènent dans les rues les deux suisses condamnés, avec un désordre alarmant ; c’est le même soir qu’ils forcent le lieutenant-colonel à délivrer à chacun d’eux six louis pour son décompte et cent louis pour indemnité* On nous a dit que les sieurs Carême et Lyonnais, deux citoyens de Nancy, étaient à la tête des soldats et de la multitude, lors de cette expédition ; qu’ils sont même désignés par la procédure qui sera pour eux un moyen d’expliquer leurs motifs. Ces deux suisses, au surplus, ont été successivement incorporés dans le régiment du roi, dans le régiment de Mestre de camp, et dans la garde nationale, pour une plus parfaite réhabilitation : ils reçurent successivement des congés de ce» trois troupes, et s’éloignèrent de la ville. C’est le même soir, 12 août, que les Suisses ont commencé à tenir leurs officiers captifs dans leurs quartiers pour faire leurs comptes. C’est le lendemain, 13 août, qu’ils forcèrent leurs officiers à leur délivrer provisoirement une somme de 27,000 livres, qui fut prêtée par M. Vaubecourt, citoyen de Nancy. C’est le même jour, 13 août, que les soldats du régiment du roi, assurant que ie décret proclamé la veille ne leur était point applicable, s'obsti- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [14 octobre 1790.] 624 nèrent à vouloir continuer leur compte; ils répondirent seulement à une députation de la municipalité, qu’ils ne toucheraient pas à la caisse du régiment, jusqu’à ce que le compte fût également arrêté: cette promesse ne captiva point la confiance du commandant de la ville, qui lit mettre une garde de maréchaussée à la porte de la caisse. C’est le même jour, 13 août, que les cavaliers de Mestre de camp demandèrent de l’argent ; qu’ils se saisirent du quartier-maître, mirent une garde à leur caisse, et que leurs officiers s’adressèrent à la municipalité pour emprunter l’argent dont ils pourraient avoir besoin. Le bouleversement était universel. C'est le même jour, 13 août, que les Suisses viennent, avec leur musique et une foule innombrable, demandera la municipalité la permission de donner un souper aux soldats des autres régiments, et la municipalité se contente de leur recommander la paix. C’eSt le lendemain, 14 août, qu’un détachement de 200 hommes du régiment du roi vient enlever la caisse du régiment sous les yeux mêmes de la municipalité, et malgré ses fortes représentations ; elle est présentée chez le major qui la refuse, et de là transportée dans une chambre du quartier. Les soldats disent que l'enlèvement de la caisse n’avait été fait que d’après la décision de leur comité, et qu’ils n’avaient été portés à celte démarche que par la honte de voir leur caisse gardée par la maréchaussée. Il faut convenir, au moins, que leur conduite n’a pas manifesté un motif plus criminel ; ils ont dressé un procès-verbal de ce que la caisse contenait, et lorsque, par un mouvement de repentir, ils l’ont rapportée le lendemain, elle a été trouvée intacte, de l’aveu même des officiers. Cette subversion effrayante de toute règle a déterminé, dans la nuit du 14 au 15, les corps administratifs et le commandant de la place, à mettre sous les yeux de l’Assemblée nationale et du roi, le danger imminent de la ville; et, comme on voit, tous les faits qui ont déterminé le décret du 16, sont exacts ; à l’exception de ce projet formé par les soldats, de conduire le sieur Paumier sur un char de triomphe qui serait traîné par les officiers. Nous n’avons trouvé de ce projet aucune preuve, aucun indice, aucune trace; les soldat� le nient formellement. Les officiers conviennent eux-mêmes que ce bruit n’a eu aucun fondement raisonnable. Il faut dire encore que, pendant ces orgies bruyantes et tous ces effets de l’indiscipline la plus criminelle, la sûreté individuelle et bs propriétés du citoyen n’ont point été compromises. C’est le lendemain 15 août, que les cavaliers de Mestre de camp, tenant leurs officiers captifs aux casernes, les contraignent à leur délivrer une somme de 24,000 livres prêtée par la municipalité. Le même jour, et dans le temps même que Mestre de camp se rendait coupable, les deux autres régiments cessaient de l’être. On dit que le régiment du roi n’avait pas vu, sans inquiétude, la multitude qui jusqu’alors lui avait prodigué ses cris encourageants, garder le plus profond silence, au moment où la caisse enlevée la veille traversait la place royale. Quoi qu’il en soit, par une lettre adressée à tous les soldats du régiment du roi, les membres du comité de ce régiment leur apprennent qu’ayant consulté les bons patriotes, ils croient devoir changer de marche, et nommer, parmi les membres du comité, huit hommes qui, après avoir obtenu des chefs l’argent et les congés nécessaires au voyage, se rendent chez M. du Châtelet, ou en droite ligne à l’Assemblée nationale. Les chefs y consentent, délivrent des congés et une somme de 3,000 livres pour le voyage, et ces huit députés du comité du régiment partent le même jour. Le même jour, les Suisses témoignent leur ré-pentir, conjurent leurs officiers de les recevoir à résipiscence, rentrent sous la discipline ordinaire, et prononcent un nouveau serment d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi; ils ne rendent pas cependant encore les arrêtés de comptes qu’ils avaient fait souscrire à leurs officiers. Les soldats du régiment du roi avaient prêté le même serment. La paix paraît rétablie, et du moins jusqu’au 25, aucun trouble public n’affligera la ville de Nancy. Le décret du 16, sanctionné par le roi, est arrivé le 19. Ce décret a été transcrit sur tous les registres du département, de la municipalité et du bailliage; il a été imprimé; de9 exemplaires, en grand nombre, ont été distribués aux chefs des corps qui se sont chargés de le faire passer aux chambres. Des preuves nombreuses constateront qu’il a été connu des soldats. Mais il n’a été ni proclamé à la tête des troupes, ni publié dans la ville, ni affiché. Nous avons demandé les motifs de ce défaut de proclamation, de publication et d’affiche. Ces motifs sont dans une lettre répondue par les administrateurs du département, qui observent : 1° que, dans la rigueur des principes, la publication à la tête du corps et l’affiche n’étant point ordonnées par le décret lui-même (1), comme elles l’avaient été par le décret du 6, les corps administratifs n’ont été astreints qu’aux formalités prescrites par le décret lui-même; 2° que dans les conférences qui ont été tenues le même jour entre les administrateurs du département, les officiers municipaux, les principaux officiers de la garnison et de la garde nationale, l'affiche a paru d'un usage infiniment dangereux pour la sûreté publique , et qu’aucun moyen n’a semblé suffisant pour arrêter l’explosion qu’elle pouvait entraîner; 3° et enfin que la garde nationale, lorsqu’elle a offert sa médiation pour faire rentrer la garnison dans l'ordre, a demandé expressément qu’on suspendit l’affiche de la loi, en assurant qu’elle serait capable de porter les trois régiments aux dernières extrémités. C’est ici qu’il faut rendre à la garde nationale de Nancy une justice complète, et l’Assemblée nationale a daigné déjà lui en témoigner sa satisfaction. La nouvelle du décret du 16, et plus encore la nouvelle de l’arrestation des huit hommes envoyés par le comité du régiment du roi, avaient excité quelque fermentation. Tous les membres du conseil d’administration delà garde nationale se sont présentés pour calmer les esprits, les entretenir dans l’ordre et la paix, et leur offrir une médiation fraternelle. Ces efforts ont reçu les éloges du département, consignés dans son procès-verbal du 22; ils ont (1) Cette publication était, dans l’esprit du décret, une formalité indispensable, puisque les soldats avaient, pour manifester leur repentir, vingt-quatre heures, à compter de la publication. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1790.] 62g été sincèrement applaudis par tous les corps administratifs et par les chefs des trois corps militaires. Il fut convenu que ces trois corps feraient un acte de repentir et de soumission, et que la garde nationale enverrait deux députés à Paris pour implorer l'indulgence de l’Assemblée nationale. En conséquence, le 20 août, les trois régiments signent l’acte suivant : « Cejourdhui 20 août 1790, nous soussignés, « sous-ofticiers, grenadiers, soldats et cavaliers « des régiments du roi , infanterie; Mestre de « camp général, cavalerie; etChâteauvieux, suisse, « composant la garnison de Nancy, « Ayant reçu une députation en forme de la « garde nationale de ladite ville de Nancy, qui, « nous a représenté, avec autant d’énergie que « de patriotisme, les conséquences fâcheuses des « erreurs dans lesquelles nous aurions pu tomber; « désirant ne laisser aucun doute sur les senti-« ments dont nous sommes animés, et prouver « à l’Assemblée nationale l’absolu dévouement « dont nous sommes pénétrés pour la nation : « Supplions l’Assemblé nationale, Sa Majesté et « nos cnefs d’oublier les erreurs que nous au-« rions pu commettre; nous promettons et assu-« rons sur notre honneur d’exécuter ponctuelle-« ment toutes les règles de la discipline militaire, « et de ne jamais nous écarter des décrets de « l’Assemblée nationale, sanctionnés par le roi ; « nous invitons, en conséquence, Messieurs de la « garde nationale déporter aux législateurs notre « soumission la plus parfaite, comme aussi de « réclamer la liberté des députés du régiment du « roi, arrêtés à Paris, d’invoquer l’indulgence « de l’Assemblée nationale pour eux comme pour « nous-mêmes ; ils sont priés également de s’em-« ployer pour obtenir le redressement de nos «i griefs et nous mettre en situation de ne laisser « aucun doute sur notre patriotisme et nos vrais « sentiments, promettant la soumission la plus <■ absolue pour tout ce qui sera décidé à cet « effet.» Le 21, M. Pécheloche, aide-major de la garde nationale parisienne, arrive avec deux des soldats arrêtés à Paris. La présence de cet officier, la présence des deux députés, leurs discours ne font que confirmer la paix rétablie; les signes de cordialité sont prodigués. Le 22, le 23, le 24, sont des journées également paisibles; rien n’annonçait un trouble nouveau : onattendait;et avec.confiance le retour des députés de la garde naiiouale ; on espérait tout de leur voyage. Une cause nouvelle va replonger Nancy dans les plus grands excès et conduire cette ville infortunée, de désordre en désordre, jusqu’à la fatale journée du 31 août. Ici les faits doivent être racontés avec la plus grande précision : ies plus petits détails sont indispensables, et les déclarations uniformes, diverses et même contraires doivent être rapprochées et balancées. M. Malseigne, maréchal de camp, arrive le 24, se présente à la municipalité, et annonce qu'il est envoyé par le roi pour l’examen des comptes des trois régiments en garnison à Nancy, et chargé de les ramener à l’ordre. Le même soir, il se rend au quartier des Suisses avec M. Pécheloche, qui parvint à se faire remettre les arrêtés que les soldats avaient fait signer par leurs officiers; M. Malseigne travaille avec les députés du régiment : il alloue plusieurs 1‘8 Série. T. XIX. articles de réclamation ; il ne veut pas prononcer sur le dernier, et il est convenu, entre lui et les députés du régiment, qu’ils enverront et qu’il enverra de son côté un mémoire au ministre, pour être le jugement prononcé par l’Assemblée nationale. Un nommé Gérisier est chargé de rédiger le mémoire des soldats, et tous les députés invités à instruire leur corps de cette décision. Suivant le mémoire des officiers, et il ne doit pas être suspect sur un fait de cette nature, M. Malseigne descend lui-même dans la cour du uartier, et il adresse aux soldats un discours ans lequel il expose leurs torts, met en opposition l’antique réputation de leur nation, représente combien cette nation doit être indignée de leur conduite, et finit par assurer qu’il leur sera accordé tout ce qui sera trouvé juste. Les officiers ajoutent que l’effet de ce discours ne fut pas heureux. 11 faut bien que ce discours ait opéré un autre effet que l’effet attendu, puisque, le lendemain, suivant le même mémoire des officiers, les soldats se plaignent d’avoir été insultés par M. Malseigne et voulaient satisfaction. Le lendemain donc, c’est le 25 août, la fermentation dans le quartier des Suisses était assez grande contre M. Malseigne, pour que le lieutenant-colonel crut devoir l’engager à tenir sa séance à l’hôtel de ville. Il voulut se rendre encore au quartier. Il demanda en entrant.au nommé Gérifier, si le mémoire était fait. Gérisier répondit que les soldats n’étaient point d’accord. On demanda alors deux hommes par compagnie, pour donner le vœu du régiment sur le parti à prendre. Ces hommes rassemblés, deux étaient d’avis que le général jugeât sur-le-champ ; deux voulaient être jugés par le canton suisse : tous les autres acceptaient le jugement de l’Assemblée nationale. Le régiment était sous les armes dans la cour du quartier. On lui porta le vœu de la majorité. Ce vœu ne fut point accepté. Toutes les voix s’écrièrent : De l'argent , de l'argent, et que le général juge tout de suite. Il descendit encore; son discours ne fit point d’impression. Les esprits s’échauffèrent : la rumeur devint grande. G’est là que les soldats se plaignirent d’avoir été insultés, la veille, par M. Malseigne. Quelques voix crièrent qu’il ne fallait pas le laisser sortir. H voulut sortir. Quatre grenadiers étaient à la grille. M. Malseigne a fait, le même jour, à la municipalité le récit de cette circonstance, et il a dit : « Qu’alors il avait forcé la résistance qu’on lui « opposait, et qu’il se retirait, lorsqu’il vit ve-« nir à lui des soldats qui lui présentaient (a « baïonnette et voulaient l’arrêter ; qu’il avait € tiré son épée pour leur faire le commande-« ment de se retirer ; mais que ces soldats, le « menaçant et poussant près de son corps les « baïonnettes, il s’était vu forcé de parer les coups « et de se défendre; qu’il ne savait s’il en avait « blessé quelques-uns ; mais que son épée s’étant « rompue, il avait été obligé de prendre celle. du « prévôt général. » Suivant le récit des officiers, les détails ne sont pas absolument les mêmes. M. Malseigne sorti, quelques soldats ont voulu l’arrêter, le sabre à la main : trois ont essayé de l’en frapper. Il a 40 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1190.] €26 paré, riposté, et les a blessés tous trois assez légèrement. Suivant le récit des soldats interrogés, les détails changent encore. On n’a point présenté les baïonnettes au général, lorsqu’il a voulu sortir du quartier ; les fusils seulement ont été croisés. Le général sorti, deux soldats l’ont suivi, le chapeau à la main et le sabre dans le fourreau. Il a répondu paisiblement au premier. Le second, sans doute, lui a parlé avec insolence, puisque le général l’a blessé d’un coup d’épée. C’est alors que les soldats ont tiré le sabre. Au milieu de ces variations, c’est au récit de SL Malseigne que la croyance paraît due. Il a été fait à la municipalité, en présence de trois soldais suisses qui en ont attesté la vérité ; il a été consigné dans un procès-verbal imprimé le même jour. Ce qui est constant, c’est que cet officier général a été insulté et menacé ; que les soldats ont voulu, par force, l’empêcher desortir du quartier et le coniraindre à y rentrer. Ce que toutes les déclarations attestent encore, c’est que les Suisses blessés exaltèrent toutes les îêtes déjà très échauffées. Malgré les efforts des officiers suisses, soixante soldats ou environ s’échappent du quartier, pour s’élancer sur les pas du général, qui se retire l’épée à la main, et sans précipitation, dans la maison de M. de Noue. Elle est à l’instant même investie par les soldats ; la porte est enfoncée. Quelques officiers du régiment du roi et de Châteuuvieux défendent l’escalier avec intrépidité et sans armes. C’est là que M. Pécheloclie et M. Gouvernetont marché, avre un détachement de grenadiers du régiment du roi ; mais le calme était rétabli avant d’arriver à la maison du commandaut. Des piquets de Mestre de camp se présentèrent aussi avec de bonnes dispositions. . La garde nationale avait été également commandée, et c’est sous son escorte que M. Malseigne s’est rendu à la municipalité. Une députation qu’il avait demandée, d’un homme par compagnie du régiment suisse, est arrivée quelques instants après. Le général a renouvelé ses propositions. L’opiniâtreté des Suisses a été extrême. Us ne voulaient point envoyer de mémoire à l’Assemblée nationale; ils craignaient d’envoyer des députés qui seraient, disaient-ils, arrêtés comme ceux du régiment du roi. M. Malsergne, MM. Gouvernet, Pécheloche, de Noue, le président de la commune, tous les ofticiers présents, tous les membres de la municipalité firent des efforts in ti files. Les soldats du régiment du roi et ceux de Mestre de camp impronvaient hautement la conduite des Suisses dans cette affaire. Ce sont les termes du procès-verbal de la municipalité, qui ajoute qu’aussitôl la séance levée, tous les grenadiers du régiment du roi, présents, •ont offert au général de le garder, et l’ont prié de prendre un appartement à leur quartier, où ils répondaient de la sûreté de sa personne; que les cavaliers de Mestre de camp ont fait les mêmes offres de service. Toutes les déclarations attestent, à celte époque, les mômes dispositions. On adonné pour cette nuit à M. Malseigne une garde composée du régiment du roi, de Mestre de •camp et de la garde nationale. La journée du 26 s’est passée en demandes ‘Superflues pour faire en tendre raison aux Suisses; toutes les propositions ont été refusées, même celles de mettre en dépôt à la municipalité, jusqu’au jugement de l’Assemblée nationale, les sommes réclamées. A sept heures du soir, M. Malseigne leur a intimé l’ordre de partir le lendemain pour Sarre-louis; ils ont refusé, et M. Malseigne a dressé procès-verbal de leur refus. Les deux autres régiments n’ont encore montré que de bonnes dispositions: ils ont fait régulièrement le service commandé; et rien ne prouve qu’ils n’eussent pas marché contre le régiment suisse s’ils en eussent été requis. Cependant leurs écarts passés n’ont pas permis, peut-être, de mettre en eux une entière confiance, puisque, d’après les mesures concertées avec quelques membres du directoire du département et M. Malseigne, M. Desmottes, aide de camp deM. de La Fayette, fil partir, dans la nuit même, vers les gardes nationales voisines de Nancy plusieurs courriers porteurs d’une lettre, dont M. de La Fayette l’avait fait dépositaire, et qui contenait une invitation fraternelle aux gardes nationales, dans le cas où leur concours serait requis. A cette lettre de M. de La Fayette, M. Desmottes en joignit une de lui-même, dans laquelle il apprend aux gardes nationales que les régiments paraissent être revenus à l’ordre; que M. Malseigne, officier général, employé à Nancy, vient de donner l’ordre qu’il a reçu pour faire partir demain, 27, le régiment de Cbâteauvieux ; que leur secours sera nécessaire, dans le cas où ce régiment ne voudrait point partir. Ainsi la destination bien connue de ces gardes nationales n’était dirigée que contre le régiment de Chàleauvieux. Nous avons dit que ces lettres n’avaient été envoyées que d’après des mesures concertées avec des membres du directoire ; et en effet, le lendemain 27, dès dix heures du matin, le directoire du département assemblé fit sa réquisition en ces termes : « Vu la réquisition en date du jour d’hier adres-« sée au directoire du départemenfde la Meurthe, « par M. deBouillé, officier général, etc., « Toutes les gardes nationales du département « de la Meurthe, armées de fusils, sont requises de « se rendre sans délai (l),enla ville deNancy, pour « prêter mainforte, conformément au décret saucr « tiooné par Sa. Majesté, à M. Malseigne, officier « général, employé dans ladite ville pour l’exécu-« tion des derniers décrets sur la discipline mili-« taire, en se joignant aux troupes qui y seront « employées de même, à l’effet de forcer le régi-« ment suisse de Chàteauvieux, rebelle auxdits « décrets, à rentrer dans l’obéissance. » Cette réquisition a été sur-le-champ envoyée à la municipalité. Ainsi, comme nous l’avons dit, la destination des gardes nationales était bien connue, et du département, et de la municipalité; elle n’était dirigée que contrôles Suisses; les gardes nationale» devaient agir conjointement avec les troupes sur (1) Le directoire s’est donc trompé, lorsque, dans un récit tenant lieu de procès-verbal des 27, 28, 29, 30 et 31, il a dit que les gardes nationales n’avaient été requises que pour le 30; il est vrai que, dans ses instructions attachées à la réquisition, il invite les plus tardifs à se trouver à Nanéy, au plus tard le 30; mais la réquisition étant, en termes formels, de se rendre à Nancy sans délai, les plus voisins ont dû nécessairement arriver le même jour. Cette note, lorsqu'on connaîtra bien l'affaire, ne paraîtra point inutile .; [14 octobre 1790.] 627 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] lesquelles on comptait encore dans la matinée du 27. On ne voit dans cette matinée, ni de la part des officiers suisses, ni de la part de la municipalité, aucune tentative faite pour l’exécution de l’ordre donné la veille au régiment suisse de partirpour Sarrelouis. Suivant lesofficiers, comme on va le voir, l’ordre de partir ne leur a été intimé que le lendemain 28. Le même jour 27, les gardes nationales sont arrivées depuis dix heures du matin jusqu’au soir. Le zèle les avait rassemblés au nombre d’environ 4,000, et quoiqu’on n’eût demandé que ceux qui étaient armés de fusils, plusieurs venaient avec des bâtons, et tous sans munitions. A mesure qu’ils arrivaient, on ne s’occupait que du soin de procurer à tous des logements et munitions. On ne voit pas que, dans celte journée du 27 et jours suivants, aucune mesure publique ait été prise pour instruire la garnison et les citoyens de Nancy de la véritable destination des gardes nationales étrangères, encore moins pour les employer sur-le-champ. Plusieurs d’entre ces gardes étrangers n’en étaient pas, eux-mêmes, précisément instruits, parce que les lettres de MM.de La Fayette et Desmottes et la réquisition du directoire avaient été remises aux municipalités et aux commandants des lieux d’où ils étaient partis. On voit, dans la matinée du 27, les députés du régiment du roi venir au conseil général d’administration de la garde nationale, et là, témoigner les inquiétudes que tous leurs camarades avaient conçues sur l’arrivée en cette ville d'un grand nombre de gardes nationales étrangères; ils ont dit que d’aussi grandes forces étaient inutiles s’il ne s’agissait, comme quelques personnes cherchaient à le faire croire, quede réduire les Suisses de Ghâteauvieux ; que la garde nationale de Nancy et le régiment du roi suffisaient bien contre ce petit nombre de soldats insurgents; enfin que le rassemblement de ces gardes donnait à leur corps un motif de croire que l’on suspectait sou patriotisme, et que l’onméditait quelque projet non seulement contre les Suisses, mais encore contre Je régiment du roi. On voit le commandant de la garde nationale obligé de répondre vaguement que la garde n'avait et ne pouvait avoir d’inquiétude sur l’arrivée de ses camarades et de ses frères; qu’il ignorait les motifs qui les avait fait appeler, niais que probablement, ils ne s’étaient mis en marche, conformément aux principes de la Constitution, qu’a-près en avoir été requis par ie corps administratif de cette ville. On voil, dans la même matinée, dix citoyens actifs se présenter à fa municipalité, y témoigner les alarmes de leurs concitoyens sur l’arrivée des gardes nationales, dont ils ne connaissaient pas les motifs, et demander la convocation générale de la commune. Et la municipalité, sans dire le motif de l’arrivée des gardes nationales, répond qu’elle n’a eu aucune influence sur leur arrivée; que ses pouvoirs se bornent à transmettre les réquisitions qui lui viennent du directoire. Et quant à la convocation du conseil général de la commune, elle la refuse, par la raison que la municipalité est seule responsable de la tranquillité publique. Ces inquiétudes que personne ne calmait s’augmentèrent par degrés. Cette idée que les gardes nationales étrangères soient arméescontre tous les soldats de la garnison les fit circonvenir, et l’on ne peut pas douter que les soldats et cette portion de peuple intéressée à la cause des soldats n’aient employé auprès d’eux tous les raoyeusde séduction. C’est alors qu’on a commencé à douter de la mission deM. Maiseigne; on disait que c’était un faux général ; qu’il venait avec M.de Bouille faire une contre-révolution : qu’il n’avait point de mission ; qu’il n’avait pas montré ses pouvoirs. M. Maiseigne dit que ses pouvoirs ont été lus à la tête du régiment suisse; mais on ne voit pas qu’aucune mesure publique eût été prise pour rendre ses pouvoirs certains et manifestes aux autres soldatsde la garnison, à tous les citoyens de Nancy, à tous les étrangers qui y étaient accourus. Cette agitation s’accrut par degrés, au point d’occasionner quelques attroupements. La municipalité fit publier des défenses de s’attrouper : on a remarqué, sur les six heures du soir, deux voitures remplies de soldats suisses et du régiment du roi, qui faisaient jouer, par les portières, une espèce de drapeau rouge fait avec les stores d’une voiture; et l’on n’a point osé punir ces soldats. Au surplus, cette journée du 27 a encore été employée à de vaines démarches pour ramener les Suisses à leur devoir; la municipalité et la garde nationale leur ont offert successivement de cautionner, même de déposer chez un banquier la somme demandée; la garde nationale a même offert de donner quatre hommes par compagnie, pour ôtage, et M. le commandant a voulu les suivre : tout a été refusé, et le mot argent était le seul mot prononcé par les Suisses. Le lendemain 28 août, dans la matinée, suivant le récit des officiers suisses, le lieutenant-colonel et le major se sont rendus au quartier pour exécuter l’ordre du départ qui venait de leur être intimé par M. Maiseigne : Payez-nous, leur a-t-on répondu , et nous vous suivrons au bout du monde. Les officiers trouvent, dans cette réponse, un motif d’éloge sur fa fidélité de leurs soldats. Ils ajoutent qu’ils ont voulu partir seuls, etque M. Maiseigne ne l’a pas permis. L’inquiétude, l’agitation continuaient toujours sans prendre un caractère plus décidé. Les gardes nationales resiaient dans la même incertitude et dans la même inaction. Dix citoyens actifs, invités par plus de cent cinquanle’citoyens actifs, se présentent à la municipalité, à l’effet de demander une salle dans l’hôtel commun, où ils pourront rédiger tranquillement les pétitions qu’ils croiront les plus propres à assurer la tranquillité publique. Le procès-verbal de la municipalité constate qu’on leur a proposé de signer leur pétition, parce qu’ils devenaient responsables de l’assemblée qui allait se tenir. Qu’ensuite on leur a donné lecture de la réquisition du directoire du département, pour détruire les propos qui se répandaient que la municipalité avait fait venir les gardes nationales voisines. Qu’après cette lecture, les dix citoyens ont été dissuadés de ces propos; et connaissant que le motif de l'approche des gardes nationales ne concernait que Le départ des Suisses de Châteauvieux, ils ont refusé de signer leur pétition. Si donc tous les citoyens de Nancy avaient pu venir à la municipalité prendre lecture de cette réquisition, au moins une des causes générales d’inquiétude n’aurait point existé. gjg [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1790.] A midi, ou environ, suivant la déclaration de M. Malseigne, un caporal de la garde nationale s’est approché, pour lui dire tout bas : Général , cela ne va pas bien; f on complote de vous arrêter ; le régiment du roi prend ou va prendre les armes. Ce premier avis a été méprisé; quelques instants après, le même caporal de la garde est revenu à la charge; M. Malseigne a cédé, disant à ceux qui l’entouraient qu’il allait vers le régiment du roi; et prenant avec lui quatre cavaliers seulement, il est sorti de la ville; puis, à quelque distance, il a laissé trois des cavaliers qui le suivaient, leur disant de l’attendre jusqu’à six heures; et ne gardant avec lui que le nommé Ganone, il s’est avancé sur le chemin de Lunéville. A peine son départ eût-il fait quelque bruit, que quatre-vingts ou cent cavaliers de Mestre de camp sont montés successivement à cheval pour se précipiter sur ses traces. Interrogés, aujourd’hui sur les motifs de ce jdouvement coupable, et qui a été la cause décisive des malheurs de Nancy, ils répondent qu’ils en ont reçu l’ordre (c’est ainsi qu’ils s’expriment) de quelques citoyens, qui les aidaient même à seller leurs chevaux. Pressés de dire s’ils connaissent ces citoyens, ils répondent : Non ; mais que ces citoyens ne paraissent pas être de la classe aisée de Nancy. Ils ajoutent seulement qu’ils ont vu au milieu d’eux, sur le chemin de Lunéville, un officier de la garde nationale, qui paraissait les guider, et qui les a quittés à Saint-Nicolas, leur disant qu’il était de garde à la comédie. Invités à faire connaître cet officier de la garde nationale, ils le désignent sans être certains de son nom. Restons à Nancy. Dans le même instant où M. Malseigne sortait de cette ville, la poste y entrait, apportant le n° 327 des Annales patriotiques et littéraires de la France , qui nous a été dénoncé, à la municipalité, lors de notre première séance , comme une des principales causes du désastre. Tous les citoyens entendus, et le nombre en e6t considérable, quelle que soit d’ailleurs leur opinion, nous ont attesté que l’avis inséré dans cette feuille à l’article Paris, combiné avec le départ de M. Malseigne, avait fait l’impression la plus subite et la plus funeste. Cet avis est ainsi conçu : « On a donné avis hier au soir à la société des « amis de la Constitution, aux Jacobins, que des « commissaires-observateurs allaient partir in-« cessamment et secrètement pour tous les dé-« parlements, afin de prendre des renseignements, « et faire des recherches non seulement surl’or-« ganisation de ces départements et des munici-« palités, mais encore sur le caractère et les « dispositions des personnes qui sont à la tête de « ces départements et de ces municipalités. « Comme les membres patriotes de l’Assemblée « nationale n’ont aucune connaissance de la dé-« partition de ces commissaires-observateurs, « on présume tout bonnement que ce sont des « espions du pouvoir exécutif, patentés pour al-« 1er reconnaître les lieux, se concerter, proba-« blement , avec les aristocrates qui sont en « place; faire des listes et se tenir prêts à licen-■ cier l’armée, si le décret proposé à cette occa-« sion et appuyé par les ministériels venait à « passer : quiconque connaît à fond l’esprit in-« fernal des ministres, et suit de près leurs ma-« nœuvres et leur activité, ne doutera pas un « instant qu’ils ne soient très capables de cette « démarche, et que pour éviter à leurs commis-« saires-observateurs le sort de Trouard, ils n’aient « eu l’idée de les patenter, sous prétexte que « le pouvoir exécutif a le droit, sans con-c salter l’Assemblée, de prendre désinformations « sur les départements et municipalités; nous « savons, d’ailleurs, que les projets actuels de la « cour, beaucoup mieux combinés que jamais, « sont, en ce moment, de faire tous les efforts « possibles, soit avec de l’argent, soit avec des « promesses, soit avec des intrigues bien liées, « pour corrompre des municipalités et des dé-« parlements, et en même temps pour dissoudre « l’armée, afin qu’au milieu de l’automne et au « commencement de l’hiver, les brigands, qui sont « dans les forêts de Saarbruket dans les bruyères « de Trêves, puissent entrer facilement en France, « et y commencer une guerre civile. La société « des amis de ;la Constitution, alarmée des « suites que peuvent avoir les avis qu’on lui a « donnés, a résolu d’envoyer une adresse à ce « sujet à toutes les sociétés de l’Empire qui lui « sont affiliées : surtout, nous prévenons les « gardes nationales et les soldats patriotes des « troupes de ligne, de se tenir plus serrés que « jamais les uns contre le3 autres, pour faire « face à ce nouvel orage; et nous invitons les « mêmes soldats-citoyens et citoyens-soldats, « ainsi que les membres patriotes des départe-« ments et des municipalités, de flairer de près « les commissaires-observateurs envoyés par la « cour, et de les dénoncer, sur-le-champ, à tou3 « les échos d’alentour, à tous les journaux, etc., « afin de déjouer encore cette nouvelle et mons-« trueuse manœuvre. » Pendant que le détachement de Mestre de camp courait à la poursuite de M. Malseigne, l’alarme circulait dans toutes les parties de la ville : on bat la générale; tous les soldats courent aux armes; les chefs sont méconnus, menacés, poursuivis : le repos du citoyen lui-même n’est plus respecté ; les soldats entraient dans toutes les maisons pour y chercher leurs officiers et les ramener à leurs compagnies. M..de Noue, commandant de la place, est saisi dans sa maison par des cavaliers de Mestre de camp ; un combat se livre sur la terrasse de la Pépinière, entre les soldats qui l’ont saisi et les officiers du régiment du roi, qui veulent le délivrer; quelques officiers sont blessés, un soldat est blessé, un cheval est tué; M. de Noue, délivré d’abord, est repris par les cavaliers, auxquels se joignent des soldats suisses et quelques soldats du régiment du roi : il est conduit au quartier de ce régiment, mis au cachot, dépouillé de ses habits et rëvêlu d’un sarreau de toile. Tous les officiers qui avaient défendu ce commandant sont arrêtés aussi et renfermés, les uns au cachot, les autres dans la salle de discipline; M. Péeheloche, lui-même, aide-major de la garde nationale parisienne , est retenu au quartier du régiment du roi. M. Isling, officier suisse, est saisi travesti en garde nationale : les soldats le promènent dans les rues, en chemise, et veulent le pendre. Il est délivré par quelques gardes nationales et leur commandant, conduit à la municipalité qui, pour le sauver, l'envoie à la conciergerie. Un jeune officier du régiment du roi est saisi travesti en femme : il court le même danger; il est sauvé par le même moyen. Un nouvel incident vient ajouter au trouble général. Des soldats du régiment du roi arrêtent à la [14 octobre 1790-1 629 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. porte Notre-Dame un cavalier de maréchaussée, porteur de trois lettres écrites par M. Huin, prévôt général; l’une à M.de Bouille, les deux autres au prévôt général de Toul et au prévôt général de Pont-à-Mousson. Ces lettres sont apportées à l’hôtel de ville : les soldats en demandent l’ouverture, d’abord avec modération; puis ils veulent s’autoriser à celte démarche illégale par le concours des gardes nationales. Ils font venir un garde-citoyen par chaque compagnie. Ces gardes-citoyens disent que la ville est en danger; la foule des citoyens et des soldats augmente, les lettres sont lues. On a reconnu, disent les procès-verbaux de la municipalité, que ces trois lettres contenaient les dispositions de la maréchaussée pour la conduite des soldats de Chàteauvieux hors du royaume. Les trois lettres ont été remises aux soldats qui les ont exigées pour en donner lecture à toutes les compagnies, tant des troupes de ligne que des gardes nationales. Nous avons interrogé M. Huin, prévôt général, auteur de ces lettres, sur les dispositions qu’elles contenaient. Il nous a dit qu’elles avaient été écrites en réponse aux ordres qu’il avait reçus; il nous a communiqué deux lettres à lui écrites de Metz le 27 août; l’une parM.de Bouillé, qui lui enjoint de se conformer aux ordres qu’il lui fait passer; et ces ordres sont d’établir autour de Nancy une chaîne de postes intermédiaires de maréchaussée, entre la ville et les cantonnements de son armée, pour ôter toute communication des troupes de la garnison avec celles du dehors; Et l’autre, écrite par M. de Courtois, prévôt de la maréchaussée à Metz, qui détaille réellement les dispositions à prendre pour faire conduire les Suisses hors du royaume, et qui parle de cette disposition comme d’une mesure que M. deBouillé le charge de concerter avec son confrère le prévôt de Nancy. Celui-ci ne refusait pas de nous remettre copie certifiée de ses lettres; mais à sa discrétion timide nous avons vu qu’il craignait de déplaire à M. de Bouillé. Certains du contraire, nous l’avons prié d’envoyer ces copies certifiées au prévôt général de Metz, qui nous les remettrait en présence et par l’ordre de M. de Bouillé lui-même. La chose a été exécutée ainsi. M. de Bouillé aété d’abord extrêmement étonné que le prévôt général de Metz eût fait passer à son confrère de Nancy des ordres qu’il n’avait pas donnés, pour la conduite des Suisses de Château-vieux hors du royaume. Le prévôt général de Metz a été appelé; et des explications qui ont eu lieu en notre présence, il est résulté qu’en effet, M.de Bouillé n’avait point donné un ordre définitif pour concerter la conduite des Suisses de Chàteauvieux jusque dans leur patrie. Mais que, raisonnant avec le prévôt général de Metz sur la révolte opiniâtre de ces soldats étrangers, et lisant dans le décret du 16 la faculté à lui donnée de les licencier, si cette mesure était nécessaire, il avait, dans ce cas prévu, parlé des dispositions à faire pour les faire parvenir sans désordrejusqu’aux frontières de la Suisse; que ces mesures possibles, le prévôt les avait prises pour un ordre po-itif, et qu’il les avait transmises au prévôt général de Nancy, en lui recommandant le secret. Au surplus, il est difficile de comprendre l’effet attribué à la lecture de ces lettres, par les procès-verbaux de la municipalité. On y lit : les craintes que l'on avait de haute trahison de la part des antir évolutionnaires, ont été un peu apaisées quand on a vu qu’il n'était question que du régiment de Chàteauvieux. Cet effet sans doute a été sensible dans l’intérieur de la salle de l’hôtel de ville. Mais, tous les témoignages attestentaujourd’hui, qu’au contraire ces lettres, rendues aux soldats et colportées par eux dans toute la ville, ont augmenté l’effervescence générale et les soupçons, dont les gardes nationales étrangères n’ont pas été elles-mêmes garanties (1). Les Suisses étaient vendus, puisqu’on voulait les faire sortir du royaume; M. Malseigne était un traître, il avait été découvert, il avait pris la fuite; le projet de contre-révolution était certain. Ces discours ne trouvaient plus de contradicteurs, ou ceux qui auraient pu le contredire gardaient le silence. Le prévôt général de la maréchaussée a été poursuivi avec acharnement, et obligé de se cacher; sa maison a été investie, forcée et soumise aux plus scrupuleuses recherches ; il déclare cependant que ses propriétés n’ont pas été violées. C’est au milieu de cette fermentation extrême que, sur les six à sept heures du soir, quelques cavaliers de Mestre de camp, du nombre de ceux qui s’étaient jetés à la poursuite de M. Malseigne, revinrent dans le plus grand désordre, en criant que leurs camarades avaient été massacrés par les carabiniers. En effet, M. Malseigne, arrivé à Lunéville cinq ou six minutes avant ceux qui le poursuivaient, avaient fait monter à cheval quelques carabiniers, qui s’étaient portés en avant pour arrêter les cavaliers de Mestre de camp qui arrivaient par bandes séparées. Ces diverses rencontres avaient fait tirer quelques coups de carabine et de pistolet. En résultat, soixante-et-un cavaliers de Mestre de camp, dont quelques-uns blessés, avaient été arrêtés et mis en prison. Les cris de ceux qui revinrent à Nancy ajoutèrent un nouveau sentiment, celui de la vengeance, à tous ceux qui égaraient la garnison et une partie des citoyens de Nancy. En un instant, trqis mille hommes ou environ du régiment d u roi, de Mestre de camp, des Suisses, des gardes nationales de Nancy ou étrangères, se précipitent sur le chemin de Lunéville, jurant qu’ils ramèneront M. Malseigne mort au vif, et qu’ils tailleront en pièces les carabiniers. Il faut observer que la garde nationale de Nancy n’est point sortie pour cette expédition, en corps, ni par compagnies,, : quelques individus seulement se sont détachés. Il faut encore observer que la garde nationale de Lunéville a suivi pour veiller sur ses foyers menacés, et que sa situation, dans toutes les périodes de cette incursion, a été vraiment déplorable. C’est au moment de ce départ confus pour Lunéville, que M. de Noue a été tiré du cachot, et placé dans une chambre du quartier. C’est au même instant que le magasin des poudres a été forcé ; une planche de la porte a été brisée; les verrous et les ferrures ont été brisés à coups de hache : nous avons vu les traces de cette violence, Les barricades de planches, qui forment la première entrée du magasin des armes, ont été éga-(1) Voyez le rapport des gardes de Lunéville. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1790.] 630 lement brisées. La porte de ce magasin n’est point endommagée, parce que, suivant la déclaration du garde-magasin, âgé de quatre-vingt-sept ans, on l’a contraint d’en donner les clefs, les baïonnettes sur la poitrine. Au reste, on était parvenu, dans la nuit qui a suivi ce désordre, à refermer et à assujettir les portes; elles ont été forcées une seconde fois le lendemain ; et dans ces deux pillages, suivant la déclaration du garde-magasin, la quantité de poudre enlevée se porte à huit milliers, et le nombre des armes, sans compter quelques pistolets, se monte à trois mille fusils ou environ, dont quinze à seize cents ont été recouvrés. 11 ne faut pas comprendre encore dans cette quantité les munitions que la municipalité était obligée de faire délivrer. L’état que nous avons pu nous en procurer, certifié par le garde-magasin, fait monter à près de seize mille cartouches celles données sur des bons de la municipalité pendant les deux journées du 28 et du 29 août, sans compter encore cent livres de poudre à canon. C’est dans ce moment du départ pour Lunéville, que les soldats comprirent la nécessité d’avoir des officiers, et qu’ils les forcèrent de se mettre à leur tête, non pour leur obéir, mais pour les appeler traîtres, lorsqu’ils commandaient quelques manœuvres, et plus encore lorsqu’ils ne commandaient pas. M. Saint-Méard entre autres, officier au régiment du roi, fut fait, par les soldats, aide de camp de l’armée, et son poste fut périlleux, parce que l’avant-garde, le corps d’année et l’arrière-garde, ne connaissant aucune supériorité, se tiraillaient en sens contraire. M. Perdiguier, commandant de bataillon, qui fut choisi pour conduire l’arrière-garde , se trouva souvent exposé aux mêmes daugers. C’est dans le même instant du départ pour Lunéville, que la municipalité crut enfin devoir convoquer le conseil général de la commune, dont elle avait cru devoir la veille refuser la convocation. L'armée de Nancy se trouvait, à onze heures du soir, à une lieue et demie de Lunéville. Il a été décidé qu’on camperait sur la hauteur de Flinval, pour entrer dans Lunéville le lendemain à la pointe du jour. Les gardes nationales de Lunéville étaient surveillées comme étages au milieu de l’armée; cependant M. Thiébaut, l’un des aides-majors de cette garde, et M. Langlés, adjudant, s’échappèrent par la traverse, et vinrent avertir la municipalité de Lunéville. On ne peut voir, sans une grande satisfaction, la conduite vraiment civique que la municipalité de Lunéville a tenue dans cette circonstance orageuse : elle a ordonné sur-le-champ de tenir toutes les rues illuminées; elle a fait défense de se servir d’armes contre les soldats de Nancy, et pendant la nuit, sur quatre alertes différentes, tous les membres en écharpe, le maire à leur tête, se sont transportés quatre fois sur le chemin de Nancy avec des flambeaux et des sergents de ville, au-devant de trois mille soldats dont la démarche exprimait assez l’emportement. Pendant la même nuit, par une discrétion également louable, le corps des carabiniers avait décidé de se ranger en bataille, et de rester dans le Ghamp-de-Mars, derrière le château, pour écarter au moins de la ville le désordre et le carnage qu’on pouvait prévoir. Au point du jour, M. Chailiy, se disant député de l’armée, vint prévenir les officiers municipaux de ses intentions, d’après lesquelles on envoya vers les carabiniers pour les prévenir de la possibilité d’une conciliation. Quelque temps après, l’armée s'étant avancée, les officiers municipaux s'approchèrent, et le maire demanda aux soldats des premiers rangs par quel ordre et avec quel dessein ils se portaient ainsi sur Lunéville? Ces soldats répondirent qu’ils étaient venus de leur propre mouvement, qu’ils n’avaient aucune mauvaise intention contre les habitants de Lunéville, pourvu qu’ils les trouvassent sans armes ; mais qu’ils venaient pour venger le massacre de leurs camarades, et pour prendre M. Malseigne qu’ils voulaient avoir mort ou vif. Après quelques discours propres à les porter à une conciliation, il a fallu les laisser entrer dans la ville, où ils ont posé des gardes. Les carabiniers prévenus avaient déjà fait approcher leurs députés de l’hôtel de ville. Les soldats de Nancy rejetèrent d’abord toute dépulation; ensuite ils envoyèrent leurs députés, dont le3 noms se trouvent dans les procès-verbaux de Lunéville. Ges députés respectifs montèrent ensemble à l’hôtel de ville, où, après quelques débats, on fit un traité qu’on appelfe encore à Lunéville la capitulation. Un incident pouvait tout perdre sans la grande modération des carabiniers; un adjudant de ce corps fut tué d’un coup de fusil par un cavalier de Mestre de camp, à la porte même de l’hôtel de ville. Le seul motif apparent de cet assassinat fut, de la part du cavalier de Mestre de camp, de venger la mort de son camarade ou de son frère tué, disait-il, la veille par l’adjudant des carabiniers. Les députés de l’armée de Nancy témoignèrent le désir de chercher et de punir Je coupable; les députés des carabiniers préfèrent terminer le traité important pour lequel ils étaient assemblés. Déjà l’armée de Nancy avait exigé la liberté des cavaliers de Mestre de camp emprisonnés la veille; cet article ne fit point partie de la capitulation. Il fut seulement convenu que M-Malseigne se rendrait à Nancy, dès qu’il en serait requis par le corps municipal de cette ville; qu’il s’y rendrait escorté par douze carabiniers et deux fusiliers choisis dans chacun des trois régiments de Nancy et dans la garde nationale. Que trois heures après son départ, l’armée de Nancy partirait aussi pour se rendre dans cette ville, et qu’il ne serait attenté, ni à la personne ni à la liberté de M. Malseigne, jusqu’à ce que l’Assemblée nationale eut statué sur les griefs respectifs. M. Malseigne, prévenu de cet accord, vint lui-même à l’hôtel de ville, et invité par tous, il signa l’acte qui eu exprimait les conventions. A peine ces conventions furent-elles rédigées, qu'on fit partir un cavalier de Mestre de camp pour les porter à la municipalité de Nancy, et l’inviter à donner sur-le-champ la réquisition nécessaire. Il faut dire de suite que le cavalier de Mestre de camp est arrivé avant midi; que la municipalité a renvoyé la demande au département; que le directoire" n’était point assemblé; qu’on perdit un temps considérable en messages et en questions oiseuses de ia municipalité au département, et du département à la municipalité; que la réquisition n’a pas été faite; et que le directoire a cru devoir se contenter d’une délibération par la- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1790.) quelle il déclare que M. Malseigne est sous la protection de la loi, et il invite la municipalité de Lunéville à prendre telle précaution qu’elle croira convenable pour la sûreté de cet officier. Retournons à la municipalité de Lunéville. Le traité signé, elle a envoyé des députés vers l’armée de Nancy pour l’en instruire; mais l’armée de Nancy, on ne sait par quelle détermination subite, avilit déjà repris le chemin de ses casernes : il n’était resté à Lunéville que les soldats députés par elle, et plusieurs autres, tant soldats que gardes nationaux qui s’étaient dispersés . Les signatures finies, M. Malseigne lui-même était remonté à cheval, et il avait, de son côté, repris le chemin du Ghamp-de-Mars. Avant d’y arriver, il fut arrêté par un assez grand nombre de ces soldats et gardes nationaux venus de Nancy, qui le pressèrent d’exécuter sa promesse, et de partir sur-le-champ pour cette ville. Il voulut leur faire entendre que les conditions n’étaient pas remplies ; qu’il fallait, avant tout, recevoir la réquisition de la municipalité de Nancy. Ils exigèrent, en présentant les baïonnettes, qu’il retournât à l’hôtel de ville pour y attendre cette réquisition. Il reprit le chemin de l’hôtel de ville. A quelques pas de celte maison commune, il mit pied à terre; mais à l'instant où il s’est présenté pour entrer, la porte a été fermée. On lui a présenté les baïonnettes; on l’a pressé, avec menace et les qualifications ordinaires de traître, de prendre à i’inslant la route de Nancy : plusieurs voulaient qu'il marchât a pied ; M. Fauchet, adjudant des carabiniers, et faisant partie de son escorte, l’a fait remonter à cheval. On reprend le chemin de Nancy. Vis-à-vis le café de Lunéville, M. Fauchet à dit M. Malseigne : Vos jours sont en danger , il faut s’échapper. M. Malseigne refuse, disant qu’il n’y a rien à craindre ; il avait alors avec lui tout au plus vingt carabiniers. Sur la nouvelle parvenue au Ghamp-de-Mars, qu’on le forçait à marcher vers Nancy, la compagnie de la Douze, du second régiment, -est détachée, commandée parM. Beaurepaire. Cet officier le joint au premier pont, et lui demande: Général , est ce de votre bonne volonté que vous allez à Nancy ? M. Malseigne répond : Oui, d’un ton qui voulait dire non. Les soldats du régiment du roi, Suisses, Sestre de camp et gardes nationaux de Nancy entourent M. Beaurepaire, prodiguent les démonstrations de paix et d’amitié, et assurent qu’il n’arrivera rien à M. Malseigne. M. Beaurepaire les somme encore de la parole d’honneur qu'ils ont donnée de respecter sa personne et sa liberté. On avançait toujours. Un carabinier, nommé Etienne, se détache, passe à côté de M. Malseigne, et lui dit tout bas : Il est temps. M. Malseigne répond : Ne me perds pas de vue. Quelques pas plus loin, sur la place des Carmes, à l'endroit où il faut tourner à gauche pour prendre le chemin de Nancy, M. Malseigne fait signe à M. Beaurepaire, met le sabre à la main, se baisse sur sa selle, fond en avant, et prend à toute bride le chemin qui conduit à Vie. A l’instant même, les gens de Nancy font une décharge de mousqueterie. Quatre carabiniers seulement suivent M. Malseigne ; les autres reviennent sur leurs pas; et c’est là qu’ils ont été plus maltraités. Vingt-cinq carabiniers ont été tués ou blessés : M. Malseigne lui-même a reçu m une balle dans son buffle. Il est revenu par un village nommé Jolivet, passant la rivière au moulin, joindre le corps des carabiniers qui était encore au Ghamp-de-Mars. Ges détails ont été attestés par tons les témoins oculaires, par les officiers et carabiniers composant le détachement de M. Malseigne. On a beaucoup parlé de deux coups de pistolet tirés et de deux carabiniers tués par M. Malseigne, au moment où il veut s’échapper. On a dit que cette action avait été le signal du massacre. Tous les officiers et carabiniers entendus à Lunéville déclarent qu’ils n’ont pas vu M. Malseigne tirer les deux coups de pistolet ; et au contraire, ils déclarent, comme on l’a remarqué» qu’au moment de son évasion M. Malseigne a mis le sabre à la main. Quelques officiers nous ont aussi déclaré que, revenu au Ghamp-de-Mars, M. Malseigne avait montré ses pistolets encore chargés. Cependant il existe à la municipalité de Lunéville deux déclarations à cet égard, dont il est impossible de ne pas faire mention. Elles sont ainsi conçues : Le même jour (30 août), « M. Esmonin, vëté-« ran et brigadier des carabiniers, étant venu 4 « l’hôtel de ville, a déclaré que le jour d’hier, « M. Malseigne, avant de s’évader, avait pris de « chaque main un de ses pistolets, et les tour-« nant l’un à droite, l’autre à gauche, avait tué « le maréchal des logis et le brigadier dns cara-« biniers qui étaient à ses côtés, pour se faire « jour, et qu’il avait pris la fuite. » « M. Blondot, ancien boulanger, bourgeois de « Lunéville, étant également venu, a déclaré au « corps municipal, qu’il a va hier M. Malseigne « porter ses pistolets à fleur de son cheval ; qu’il « les a tirés, et qu’à l’instant il a vu tomber un - carabinier à sept ou huit pas devant ledit sieur « Malseigne; et que ce sont ces premiers coup 3 « de pistolet qui ont engagé le combat, qui a « eu lieu après la fuite.» Depuis, un soldat suisse, nommé Bouchayer, interrogé par nous dans les prisons de Nancy, nous a également attesté qu’il était près de M. Malseigne, au moment de son évasion, et qu’il l’a vu tirer les deux coups de pistolet, et les deux carabiniers tomber. De ces trois déclarations, on jugera si celledu sieur Esmonin peut encore être de quelque poids. 11 est aujourd’hui du nombre des vingt-sept carabiniers prisonniers à Nancy, livrés par leur corps, la plupart sur les désignations faites par M. Malseigne lui-même. Il a devant nous dénié le fait des deux pistolets tirés : il a même été jusqu’à prétendre n’avoir fait à cet égard aucune déclaration à la municipalité de Lunéville, et cependant sa déclaration existe. Enlin, nous avons désiré voir à Lunéville M. Blondot, auteur de la seconde déclaration; mais M. Blondot était alors en voyage dans les montagnes des Vosges. M. Malseigne ayant rejoint la troupe des carabiniers au Ghamp-de-Mars, plusieurs témoignages nous ont appris que sa présence n'avait pas été agréable à tous, et que plusieurs se plaignaient de ce qu’il exposait le corps à un nouveau danger, en ne remplissant pas ce qu’ils appelaient sa promesse. M. Malseigne nous a dit lui-même, que leur ayant montré, pour les animer, la marque de la balle qu’il avait reçue, ce spectacle n’avait pas 632 [Aisemblce nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 septembre 1790.] paru faire sur eux l’impression qu’il en attendait. Quelque temps après, les chefs des carabiniers rennent la résolution d’éloigner cette troupe de unéville. Ils la divisent, placent un régiment à Crosmar, distant d’une lieu de Lunéville, et l’autre à deux lieues plus loin . M. Malseigne reste au châleau de Lunéville avec un détachement de 50 hommes. Cependant la nouvelle de son évasion et de son séjour prolongé à Lunéville effrayait toute la cité; on craignait d’y voir fondre une seconde fois l’armée de Nancy. Le conseil général de la commune s’assemble à cinq heures; et il est décidé qu’à l’instant même il sera fait une députation à MM. Rossel et Gourtivron, officiers supérieurs des carabiniers, pour les engager, par la parole qu’ils ont donnée (ils étaient du nombre des députés réunis le matin à l’hôtel de ville), de faire tenir à M. Malseigne l’engagement qu’il a pris ce matin. Cette députation rencontre M. Malseigne lui-même, qui répond : Que tandis qu’il était en route aujourd’hui pour se rendre à Nancy, il a ouï que plusieurs soldats de la garnison de ladite ville disaient à haute voix des paroles menaçantes ; et que quand ils seraient en ligne il passerait mal son temps avec eux; que l’effet avait suivi les menaces, et qu’il avait reçu des coups de feu tirés sur lui ; qu’il avait perdu des carabiniers très braves; que tout cela le dégageait de la parole qu’il avait donnée ; mais qu’il croyait que demain il sortirait de Lunéville. En effet, il avait reçu ordre de M. de Bouillé de se rendre le lendemain 30, à Saint-Nicolas, avec les carabiniers, pour se joindre à l’armée qui se rassemblait. Rentré dans le château de Lunéville, M. Malseigne a été averti, quelque temps après, que toute la ville s’agitait, et que bientôt, peut-être, il n’y serait plus en sûreté. Cet avis, d’abord méprisé, l’a enfin déterminé à monter à cheval avec son détachement, et à se rendre, le soir même, dans la plaine de Crosmar, où le premier régiment des carabiniers était stationné. C’est dans cette nuit, du 29 au 30, que les carabiniers, en station à Crosmar, se chauffant autour des feux qu’ils avaient allumés, se sont répété tous les propos qu’ils avaient entendus à Lunéville, sur la prétendue trahison de M. Malseigne, sur son évasion de Nancy, sur le prétendu complot de contre-révolution, sur la vente des Suisses et d’autres régiments. Tous ceux que nous avons interrogés, nous ont rapporté qu'on disait que M. Malseigne avait compromis l’honneur du corps, en s’échappant à l’escorte qui le conduisait à Nancy, en ne remplissant pas la promesse qu’il avait faite à la municipalité de Lunéville. Le détachement qui avait suivi M. Malseigne, revenant au milieu des carabiniers, disait que la municipalité de Lunéville l’avait elle-même invité par des députés de se rendre à Nancy, suivant sa promesse, et qu’il s’était refusé à cette invitation. Les officiers ne se doutaient de rien : à une heure du matin, ou environ, on entend un coup de pistolet dans la campagne. Un brigadier est envoyé pour découvrir d’où part ce coup de pistolet ; avant son retour on crie : A cheval , alerte! Les carabiniers montent à cheval, les compagnies se forment : tous les officiers s’y rendent ; M. Malseigne sort lui-même, et demande le motif de l’alerte. Alors sans que personne en ait donné l’ordre, plusieurs carabiniers de chaque compagnie, sortent des rangs, s’assemblent, forment un cercle autour de M. Malseigne, et disent : qu'il est un traître ; qu'il faut qu’il rende ses armes. Les officiers veulent résister à ce mouvement ; ils sont menacés, quelques-uns même poursuivis et obligés de fuir. M. Malseigne, ainsi saisi, un détachement de carabiniers, ayant un trompette à sa tête, vient prévenir la municipalité que le général va s’y rendre. II était alors quatre heures du matin, et quelques officiers municipaux avaient passé la nuit. Un quart d’heure après, M. Courtivron s’y présente, et dit que M. Malseigne va se rendre à Nancy, escorté des carabiniers, pour remplir l’engagement pris le jour d’hier. Tous ces faits, constatés par le procès-verbal de la municipalité de Lunéville, sont certiorés encore par tous les témoignages. M. Malseigne est amené à l’hôtel de ville par un détachement, et il y reste gardé par quelques carabiniers et gardes nationaux. On dit que, dans cette circonstance, des carabiniers et même des citoyens de Lunéville lui adressèrent des paroles assez vives sur tous les bruits répandus contre lui, et qu’il les écouta avec une constance digne de son caractère intrépide, mais sans donner aucune explication. Pendant ce temps la municipalité de Lunéville faisait partir un exprès pour la municipalité de Nancy, avec une lettre par laquelle cette dernière municipalité était prévenue du prochain retour de M. Malseigne, invitée à venir le recevoir à l’endroit qu’elle indiquerait elle-même, et conseillée, en tant que besoin, de faire une proclamation qui apprit au peuple cet événement inattendu, et ses motifs. Ces mesures prises, la même municipalité a fait deux réquisitions qui lui étaient, dit-elle, demandées de manière à ne pouvoir s’y refuser : la première à la garde nationale, de donner à M. Malseigne un détachement de soixante hommes ; la seconde au corps des carabiniers, de se charger de la conduite de ce général et de le remettre entre les mains de la municipalité de Nancy. M. Malseigne est parti dans une voiture à quatre places, ayant avec lui dans la même voiture, le major, un autre officier de la garde nationale de Lunéville, et un carabinier nommé Violet, qui, dit-on, lui a tenu des propos très durs pendant le voyage. Il rend, au contraire, le témoignage le plus flatteur de la conduite des deux officiers de la garde nationale. Devançons son arrivée à Nancy. Cette ville avait été, pendant toute la journée du 29, dans cet état de méfiance inséparable d’un grand trouble. On arrêtait aux portes tous ceux qui voulaient entrer. On ne laissait sortir qu’avec des passeports. La garnison cependant était rentrée sans aucun événement remarquable : mais son empire, sur le régime public, était devenu plus sensible. Le lendemain 30 , pendant qu’on amenait M. Malseigne, on eut quelque espoir de se débarrasser des Suisses en leur donnant de l’argent. Quatre officiers municipaux, envoyés au quartier à cet effet, en ramenèrent un officier suisse, ui déclara que ses camarades étaient décidés e donner à leurs soldats l’argent qu’ils deman- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1790.] 633 daient; ii invita le corps municipal à leur faire trouver les fonds dont ils avaient besoin, et le corps municipal promit ses bons offices. Il fit même quelques démarches; mais le trouble du moment ne permit pas de trouver deux cents et quelques mille livres : il ne s’agissait de rien moins que de cette somme. Sur ces entrefaites, la lettre de la municipalité de Lunéville est arrivée, cette lettre qui annonçait le retour de M. Malseigne, qui invitait la municipalité de Nancy à venir le recevoir à tel endroit qu’elle indiquerait, et qui conseillait même de faire une proclamation à ce sujet. Cette lettre portée par la municipalité au département, le directoire a requis les carabiniers de ne pas outrepasser la station qui leur avait été fixée. Quelque temps après on vient apprendre que M. Malseigne est sur le point d’arriver.. Nouvelle réquisition du directoire à ce général et aux carabiniers de rester à Saint-Nicolas jusqu’à ce qu’ils reçoivent des ordres ultérieurs. Malgré cette réquisition, l'avant-garde des carabiniers arrive sur la place royale, et elle est reçue par les soldats de la garnison avec de grandes démonstrations d’amitié. On avait décidé cependant que M. Malseigne serait conduit à la municipalité. On avait disposé les gardes nationales en haie depuis la porte Saint-Nicolas jusqu’à l’hôlel-de-ville, et l’on assure que cette précaution eut l’effet de garantir M. Malseigne de la fureur que le peuple et les femmes surtout manifestaient par les signes les plus effrayants. Ce général est entré dans la ville sous l’escorte de plusieurs soldats des trois régiments qui s’étaient avancés à quelque distance pour le recevoir des mains des carabiniers. L’emportement du peuple ne permit pas qu’il parvînt jusqu’à l’hôtel de ville. On dit qu’un soldat du régiment du roi était derrière la voiture, le sabre à la main, et menaçant de lui trancher la tête s’il descendait à la municipalité. Il fut conduit au quartier du régiment du roi et mis en prison. Les dangers qu’il courut dans cette circonstance peuvent être facilement supposés. Le régiment du roi s’était mis sous les armes. Les propos les plus incendiaires circulaient dans tous les rangs. Le général avait vendu les Suisses aux Autrichiens pour trois millions, et pour six millions le régiment du roi. Un cavalier de Mestre de camp parcourait les compagnies, en criant à chacune : Mes amis , votre avis n'est-il pas que le général soit pendu aujourd’hui ? C'est dans ce moment que quelques soldats du régiment du roi ont exigé un nouvel acompte d’un louis par chaque soldat. Les chefs ont cédé, comme on pense bien, en exigeant seulement que chaque soldat signerait une promesse d’honneur de ne plus rien exiger jusqu’au jugement de l’Assemblée nationale. Cette promesse fut signée par chaque soldat, qui reçut 3 livres dans la journée, et 21 livrés dans la matinée du lendemain. M. Malseigne n’est resté qu’une heure aux casernes du régiment du roi. Le directoire et la municipalité l’ont fait, à travers mille dangers, transférer à la conciergerie, où il est resté jusqu’au lendemain, exposé aux insultes, aux menaces, aux violences mêmes, et gardé jusque dans l’intérieur de sa prison, par des soldats toujours armés de sabres et de pistolets. 11 était temps que la puissance publique mît un terme à ce désordre épouvantable. Les corps administratifs et les citoyens de Nancy nous ont unanimement déclaré qu'aucune puissance publique n’existait plus dans cette ville, lorsque la nouvelle de l’approche de M. de Bouillé y parvint dans la matinée du 30; que depuis cet instant jusqu’à son entrée dans la ville, les soldats de la garnison avaient tenu la municipalité et le département dans le plus dur esclavage. Et c’est ainsi qu’ils expliquent cette vérité incontestable, que dans ce moment de trouble extrême toutes les mesures publiques , qui auraient dû détromper le peuple, n’ont pas été prises, et qu’au contraire toutes les mesures publiques qu’on a prises ont été de nature à prolonger et à confirmer son erreur. Cette erreur, protégée par les événements du jour et des jours précédents, était établie sur le motif de l’approche d’une armée commandée par M. de Bouillé. On disait qu’il venait avec 30,000 hommes pour opérer une contre-révolution, et l’on n’oubliait aucune des circonstances propres à favoriser cette illusion : on faisait remarquer toutes les troupes étrangères qui composaient une partie de cette armée, et surtout le régiment Royal-AUemand (1). La nécessité de détromper le peuple avait été sentie à l’instant même par la municipalité. On voit, dans les procè3-verbaux, que son premier soin, dans la matinée du 30, s’est porté sur les mesures à prendre pour instruire tous les citoyens du véritable objet de la mission donnée à M. de Bouillé. Elle s’était proposé, d’abord, d’inviter tous les capitaines de la garde nationale à assembler leurs compagnies, pour les prévenir que si M. de Bouillé, officier général, se présentait avec des troupes de ligne, c’était pour assurer l’exécution des décrets des 6 et 16 du mois d’août. et non pour exercer aucune hostilité contre les citoyens. Ensuite cette mesure sans doute n’ayant pas paru suffisante, il a été délibéré d’envoyer près le département, afin de l’engager à faire une proclamation qui prévienirait tous le s citoyens des motifs de l’armée de M. de Bouillé, et d’en faire répandrè dans le public un très grand nombre d’exemplaires. Malheureusement cette proclamation n’a pas eu lieu. Le département avait eu, de son côté, la même pensée ; il fit même lecture aux députés de la municipalité du projet de la proclamation, mais il décida que cette promulgation devait être différée jusqu’après le retour des députés qu’il avait envoyés à iM, de Bouillé. Quelle était cette députation? elle était encore le résultat d’une fausse mesure commandée par la garnison. Cette députation était composée d’un membre du département, M. Foissac ; d’un membre de la municipalité, M. Saladin ; et du major de la garde nationale, M. Coiiny. Elle était partie dans la matinée pour aller trouver M. de Bouillé à Toul. Sa mission publique, sa mission connue de tous, était de faire à ce général une réquisition tendant à le forcer de retirer ses troupes; sa mission secrète était de lui peindre la situation de la ville, le (I) M. de Bouillé l’avait placé à la suite de tous les autres corps qui composaient son armée, pour ne s’en servir que dans le cas d’une absolue nécessité, et, dans le fait, il n’en a pas eu besoin. 634 [Assemblée nationale-! despotisme de la garnison, la servitude des corps administratifs, et le supplier d’accorder quelques délais à une conciliation peut-être encore possible. Ce n’était pas tout: le déparlement avait de même envoyé sur toutes les routes des gardes-citoyens, pour sommer les troupes qui arrivaient de se retirer; et sans doute il faut supposer dans cette démarche une grande coDtrainte, puisqu’il ne donna à ces envoyés aucune instruction particulière; aussi firent-ils bien leur devoir: un d’eux nous a déclaré qu’il était parvenu, avec la réquisition du département dont il était porteur, à faire reculer à la distance de six lieues un régiment de l’armée de M. de Bouille. De sorte que si tous avaient eu le même succès, le lendemain ce général aurait vainement attendu son armée. Nous avons en original deux de ces réquisitions; elles sont ainsi conçues : Le directoire du département invite et , en temps que besoin, requiert, soit M. de Bouillé, soit les chefs des corps militaires des troupes réglées qui pourraient avoir reçu des ordres de s" approcher de la ville de Nancy, de rester dans les stations qui leur ont été indiquées par les commandants militaires , et de ne pas les outre passer , pour que la tranquillité des citoyens de Nancy ne soit aucunement inquiétée ni troublée. Le département a bien senti lui-même l’effet funeste de ces précautions absolument contraires à celles qu’il aurait fallu prendre, absolument conformes aux idées qui égaraient la multitude. Voici comme il s’en exprime lui-même dans un récit tenant lieu de procès-verbal, pour la journée du 30 : « Les soldats révoltés se saisirent de toutes les « lettres qu’ils croyaient pouvoir donner des ins-« tructions sur les projets de l’année ..... Par la « vigilance des soldats, le directoire vit sa com-« munication interceptée avec l’armée nationale, « et fut privé de la possibilité de l’instruire de « l’affreuse situation où il se trouvait. La terreur « s’était tellement emparée des esprits, qu’il ne « trouva pas môme de courrier qui voulût se « charger de ses lettres. « Des députés des trois régiments forcèrent le « directoire de leur donner une attestation comme « ce n’était point par ses ordres que l’armée « s’approchait. Bientôt, et avec des menaces « contre la municipalité et le directoire, ils le « contraignirent d’envoyer des gardes-citoyens « sur les routes par où devaient arriver les « troupes, pour les sommer de se retirer, et de « demeurer dans les stations qui leur avaient « été indiquées, de manière à ce que la tran-« quillité de la ville ne pût être troublée. On fut « forcé même de députer un membre du direc-« toire et de la municipalité à M. de Bouillé, pour « l’inviter à retirer ses troupes, et, dans le fait, « pour l’instruire des démarches irrégulières « auxquelles le directoire avait été contraint, et « qui pouvaient déconcerter les mesures prises « par ce général. » Ce n’était pas tout encore. Les soldats de la garnison s’étaient occupés des moyens de défense, et rien n’avait été publié par la municipalité ou le département, pour apprendre au peuple que cette défense n’était pas légitime; au contraire, la municipalité ayant député vers le département, pour lui observer qu’il convenait de faire retirer les canons que les soldats avaient placés aux portes de la \ille, le département répondit que ce n’était pas le moment de les faire [14 octobre 1790.] retirer, et qu’il espérait trouver des moyens de pacification qui empêcheraient que l’on en fît usage. Jusque-là, il ne faut point le dissimuler, toutes les mesures publiques prises par les corps administratifs n’avaient d’autre effet que de donner à l’armée de M. de Bouillé l’air d’une armée ennemie. On avait précédemment, à la vérité, appelé au directoire du département les différents chefs des gardes nationales étrangères; on leur avait recommandé de profiter de leur influence sur leurs soldats -citoyens, pour les désabuser de leur erreur. Mais cette précaution partielle était-elle suffisante ? La proclamation, retardée jusqu’alors, devenait à chaque instant plus indispensable. Les trois députés envoyés à Toul vers M. de Bouillé, y sont arrivés entre onze heures et midi; ils ont vu ce général qui leur a déclaré que le plus léger retard dans l’exécution des décrets de l’Assemblée nationale pouvait jeter la nation dans de terribles angoisses. En les quittant, M. de Bouillé leur a remis une vingtaine d’exemplaires, les seuls qui lui restas-tent, de la proclamation qu’il avait fait imprimer à Toul, en les invitant à la faire publier à Nancy. il leur a observé en même temps qu’il en avait déjà envoyé clans cette ville cent ou cent cinquante exemplaires. Ces cent ou cent cinquante exemplaires ont été, sans doute, interceptés : rien ne prouve au moins qu’ils soient parvenus, soit au directoire, soit à la municipalité. Les trois députés ne sont pas revenus ensemble à Nancy, deux d’entre eux, MM. Foissac et Sala-din, ne sont rentrés dans cette ville que le lendemain de l’expédition; et ils ont alors déclaré, qu’ayant aussi été nommés précédemment pour se rendre à l’Assemblée nationale, ils avaient pensé qu’il serait peut-être important d’attendre la réponse de leurs corps, avant de continuer leur route, et surtout de rester près de M. de Bouillé à Toul, pour lui faire part de la décision que prendraient le département et la municipalité de Nancy. Nous n’avons recueilli aucune preuve de cette mission particulière donnée à MM. Foissac et Saladin près de l’Assemblée nationale. Le troisième député, M. Coliny, major de la garde nationale, et porteur d’une vingtaine d’exemplaires de la proclamation de M. de Bouillé, est revenu seul à Nancy. Nous avons, de ce qu’il a fait, sa déclaration écrite et signée. M. Coliny déclare qu’en rentrant à Nancy et portant les vingt exemplaires de la proclamation, il en remit trois exemplaires à trois officiers de la garde nationale qu’il rencontra dans la rue Saint-Stanislas ; Qu’il alla droit au département, où il arriva entre quatre et cinq heures; qu’il remit presque à tous les membres un exemplaire de la proclamation. eu leur disant que M. de Bouillé désirait qu’elle fût publiée; Que de là il se rendit à la municipalité, où il remit le seul exemplaire qui lui restait sur le bureau, en leur annonçant le désir de M. de Bouillé. Maintenant plusieurs membres de la municipalité attestent qu’ils n’ont eu aucune connaissance de cette proclamation. Il est possible qu’ils n’aient pas été présents à la remise de cet exemplaire ; ii est possible que ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [U octobre 1790.] flaK le trouble du moment ne leur ait permis ni de yoir ni d’entendre M. Goliny. Mais il est toujours certain que l’exemplaire a été remis sur le bureau de la municipalité, et qu’en le remettant, M. Goliny n’a point laissé ignorer le désir de M. de Bouille que cette proclamation fût publiée. Outre la déclaration de M. Goliny, nous avons sur ce fait un témoignage respectable, c’est celui de M. Poirson, président de la commune, citoyen intègre et bien digne de la confiance dont ses citoyens l’ont honoré. Ce fait établi, il nous sera permis d’observer que le plus grand malheur de Nancy, clans l’instant critique où cette ville se trouvait, est que cette proclamation de M. de Bouillé n’ait été publiée et affichée ni par la municipalité, ni par le département. Elle était faite autant pour détromper les citoyens séduits, que pour en imposer à la garnison coupable. Elle était d’autant plus nécessaire que jusqu’alors, comme on l’a vu, toutes les opérations émanées des corps administratifs avaient été contraires à leurs intentions sans doute, comme à la mission deM. de Bouillé. Elle a été publiée et affichée ; mais le l#r septembre, le lendemain de l’expédition. Elle est ainsi conçue : LA NATION, LA LOI ET LE ROI. Deçar le roi, François-Claude-Amour De Bouillé, lieutenant général des armées du roi, chevalier de ses ordres, commandant et général de V armée sur le Rhin, la Meurthe , la Moselle, la Meuse et pays adjacents, frontière du Palatinat et du Luxembourg. « La garnison de Nancy, ayant désobéi au dé-« cret de l’Assemblée nationale, du 6 août, sanc-« tionné par le roi, qui ordonne que les troupes « ne pourront faire leurs réclamations; qu’à l’ins-■ pecleur qui sera nommé à cet effet, et pronon-« cer sur leur légitimité ; ayant usé de violence « non seulement contre leurs officiers, mais encore « contre l’officier général, chargé de l’examen « et de la vérification des comptes, lequel offi-« cier ils ont voulu arrêter, et que plusieurs sol-* dats ont tenté d’assassiner, en présence de leurs « camarades qui les excitaient à ce crime; ayant « commis, depuis plusieurs jours, toutes sortes « d’actes de rébellion, le régiment de Château vieux « particulièrement, s’étant refusé d’en montrer « le repentir, de rentrer dans l’ordre et d’obéir au « décret qui l’ordonnait; ayant de plus refusé « d’exécuter l’ordre du roi, qui lui ordonne de « partir de Nancy pour se rendre à Sar relouis, et « rompu enfin tous les liens de la discipline et « de l’obéissance, au mépris des décrets de l’As-« semblée nationale, et des ordres du roi, que la « nation suisse a servi avec tant de zèle et une fi-« délité à laquelle, depuis plusieurs siècles aucun « corps suisse n’a manqué, et dont le régiment « de Châteauvieux donne l’exemple inouïjusqu’à « ce jour; des cavaliers des Mestre de camp ayant « poursuivi M. de Malseigne, leur inspecteur gé-« néral, le sabre à la main jusqu’aux portes de « Lunéville, y ayantattaqué lescarabiniers ; enfin, « une partie de cette garnison s’étant portée hors « delà ville pour attaquer les troupes destinées à « assurer l’exécution des décrets de l’Assemblée « nationale et des ordres du roi : « Étant donc nécessaire de réprimer de pareils « excès, de forcer à l’obéissance aux lois les corps « qui s’en seraient soustraits ; « En vertu du décret de l’Assemblée nationale* « du 16 août, et des ordres du roi, qui enjoignent « aux corps administratifs, auxgardes nationales, « aux troupes de ligne et aux généraux qui les « commandent, d’assurer l’exécution des lois et « des décrets, d’employer tous les moyens que la « force peut donner pour faire rentrer les soldat» « dans l’obéissance et d’appuyer la justice à la-« quelle les fauteurs et instigateurs de cette re-« bellion doivent être livrés, pour être jugés et « punis selon la rigueur des lois : « Ordonnons aux troupes de marcher, d’après « l’ordre qui leur en sera donné, et à l’heure qui « leur sera indiquée, pour exécuter le décret de « l’Assemblée nationale, sanctionné par le roi* <• conjointement avec les gardes nationales qui se « réuniront à celles de Nancy, pour contraindre, « par la force, les soldats rebelles à la soumis-« sion auxlois. Invitons les gardes nationales, qui « sont dans les murs de Nancy, à se réunir aux « troupes qui marcheront pour l’exécution du « décret, au moment de leur arrivée aux portes *• de cette ville ; et engageons les fidèles soldats « et les bons citoyens à réunir leurs efforts en « vertu de leur serment, pour l’exécution des lois « et des décrets, et pour le rétablissement de Force dre et de la tranquillité de la ville de Nancy. « Toul, le 30 août 1790. • Signé : BOUILLÉ. # La journée du 30 s’est passée ainsi en préparatifs de défense, que la garnison commandait* exécutait, et que les opérations contraintes des administrateurs paraissaient justifier. Le lendemain, 31 août, à cinq heures du matin. M. de Noue, toujours retenu aux casernes du régiment du roi, envoie chercher M. Poirson, président de la municipalité, et lui remet une lettre de M. de Bouillé, par laquelle ce général écrit: « Je suis arrivé, en vertu d’un décret de î’As-« semblée nationale, sanctionné par le roi, pour « rétablir l’ordre dans la ville de Nancy, et la « discipline parmi les troupes de cette ville; si « les soldats, honteux de tant d’excès, veulent « donner un acte de repentir, le premier témoi-« gnage que j’en demande, c’est la délivrance de « M. Malseigne, à qui j’ordonne de venir me « joindre sur la route de Pont-à-Mousson, où je r serai à la tête des troupes sur les dix heures : « je ferai ensuite connaître mes ordres ultérieurs; « sinon je rallierai aux troupes fidèles tous les « bons citoyens des gardes nationales, et ces sol-« dats traîtres à la patrie verront la nation çn-« tière marcher contre eux, pour punir leur re-« bellion, et les forcer d’obéir à la loi et au roi. » M. Poirson porte cette lettre à l’hôtel de ville, fait assembler le conseil de la commune, et sur les sept heures du matin, le conseil décide que cette lettre sera imprimée et répandue avec profusion; il ne décide pas qu’elle sera imprimée en placards et affichée. Mais il décide en même temps qu’elle sera incontinent portée à la garnison par quatre officiers municipaux. Ges députés, de retour, rapportent que la garnison oppose toujours aux paroles de paix et de vérité la plus criminelle résistance. En effet, les soldats continuèrent, comme la veille, à exiger de la municipalité et du département des décisions qui devaient confirmer l’er- 0ôg [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1790.] reur et montrer à la classe la moins instruite des citoyens de Nancy la défense de cette ville, comme une défense légitime. Une troupe de soldats des trois régiments se présente à la municipalité; elle est renvoyée au département. Le département la refuse : elle revient l’instant d’après, plus animée. Que demandait-elle? Elle voulait que la générale fût battue, pour appeler tous les citoyens en armes à la défense de la ville. Elle voufait que réquisition fût faite aux carabiniers de venir, pour le même objet, se joindre à la garnison de Nancy. Après un premier refus, la municipalité et le département cèdent aux menaces. D’un côté, la municipalité fait battre la générale; et, de l’autre, le département expédie, pour les carabiniers, la réquisition de venir se joindre à la garnison. Avec la générale battue, le bruit se répand qu’il faut que tous les citoyens portent les armes, s’ils veulent que leur propriété soit protégée; et l’on a vu des ofliciers au bailliage, des vieillards, prévenus de cette nécessité, demander des fusils, et se mettre dans les rangs de la troupe nationale. Quelque temps après, d’autres soldats du régiment du roi montent à l’hôtel de ville, ayant à leur tête un officier qui n’y paraît au surplus que pour réprimer les plus grands excès. Ces soldats se plaignent que la municipalité, chargée par état de veiller à la sûreté de la ville, ne fasse rien pour elle; qu’ils ont été obligés de tout faire; qu’ils ont placé les canons; mais qu’ils ne peuvent en même temps porter les armes et servir les canons. Us demandent des hommes pour le service des canons ; iis veulent que le tambour de la ville annonce que tous ceux qui ont servi dans l’ariil-lerie se rendent au quartier du régiment du roi, pour de là être distribués aux canons placés aux portes de la ville. La résistance et les réflexions sont inutiles; le président de la commune, seul au bureau, est encore obligé de céder, et le tambour s’en va par la ville, publiant, au nom de la municipalité, invitation à tous ceux qui ont servi dans l'artillerie de se présenter pour être employés au service du canon. Ce préparatif de défense sérieuse ordonné publiquement par la municipalité produisit l’effet le plus funeste. Oq peut en juger par une seule circonstance. Un exemplaire de la proclamation de M. de Bouillé se trouvait dans les mains d’un officier ou d’un soldat-citoyen d’une compagnie de la garde nationale, alors sous les armes sur la place royale. Cette proclamation a été lue à haute voix dans cette compagnie : elle faisait une impression très favorable, lorsque le tambour, publiant l’ordre de se présenter pour le service du canon, vint détruire cette impression et rendre désormais inutiles les discours des hommes sages et instruits, qui voulaient persuader aux autres le véritable objet de la mission de M. de Bouillé. C’est encore sans doute sur la demande des soldats, que le corps municipal a fait placer aux portes de la ville des détachements de la garde nationale, avec les détachements placés par les régiments du roi, Mestre de camp et Château-vieux ; ces ordres étaient donnés verbalement au major de la garde nationale, qui les transmettait par écrit aux différents détachements. 11 est encore certain que, par ordre de la municipalité, et sur la demande des soldats, les gardes nationaux ont été chargés pendant cette journée de tout le service intérieur de la ville, parce que sans doute les soldats se destinaient à la défense extérieure. L’ordre est en original dans les mains du commandant de la garde nationale, ainsi conçu : « MM. les officiers municipaux requièrent M. le commandant de la garde nationale de donner les ordres nécessaires pour que les gardes nationaux, qui sont en cette ville, fassent le service dans l’intérieur de la ville, au lieu et place des troupes de ligne, qui en ont fait la demande , et qu’ils veillent à la sûreté et tranquillité publique. » Il est inutile de faire apercevoir l’effet inévitable de ces dispositions forcées, qui n’étaient démenties d’ailleurs par aucune mesure solennelle et publique, sur cette partie des citoyens ignorante et crédule, qui voyait toutes ces dispositions, et qui ne voyait pas la force qui les maîtrisait. Il faut dire ici, pour ne plus y revenir, que suivant le récit des officiers suisses, leurs soldats exigèrent encore dans cette matinée une somme de 27,000 livres. Cependant, sur les dix heures du matin, les soldats font quelques réflexions. Les procès-verbaux de la municipalité rapportent que ces bonnes dispositions furent préparées par les députés municipaux qui retournèrent au quartier du régiment du roi. L’instruction écrite par M. Poirson, président de la commune, dit que les soldats se présentèrent eux-mêmes au département pour engager ce corps administratif à députer vers� M. de Bouillé. L’instruction écrite par un officier supérieur du régiment se rapproche du témoignage de M. Poirson, en disant que sur les instances de M. Dumontet, membre du directoire, les soldats consentirent à envoyer quatre députés de chaque corps. Quoi qu’il en soit, ces députés réunis sont partis de Nancy sur les onze heures du matin ; ils ont trouvé M. de Bouillé à Frouard, village distant de Nancy de deux lieues ou environ. Des lettres circulaires avaient été préparées pour son armée. Les soldais du régiment du roi se vantaient qu’une heure suffirait pour désarmer tous les régiments aux ordres de ce général, si les lettres circulaires pouvait parvenir. Il ne paraît pas même qu’elles aient été reçues ; au contraire, les députés de la garnison furent accablés par les soldats de M. de Bouillé d’injures et de menaces, dont il fut prudent de modérer la vivacité. M. de Bouillé n’avait avec lui que des détachements de plusieurs régiments : les soldats de Nancy virent une assez grande quantité d’uniformes différents, ils crurent que l’armée était composée de tous les régiments dont ils voyaient les uniformes, et ils supposèrent M. de Bouillé à la tête au moins de 15,000 hommes. Là, les députés reçurent les conditions du général telles qu’on va les lire dans la lettre des officiers municipaux ; car les députés municipaux ne sont pas revenus à Nancy, dans le même moment. Cette circonstance ne fut pas heureuse; il est impossible de se dissimuler que le retour et la présence de ces députés auraient eu plus de succès qu’une lettre, pour la propagation de la vérité. M. de Bouillé nous a déclaré qu’ils lui avaient demandé, pour demeurer auprès de lui, un ordre qu’il avait refusé. On va voir, dans un instant, que bien loin d’ap- 637 [Assemblés nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1 4 octobre 1730. J prouver le désir qu’ils témoignaient de rester auprès de lui, M. de Bouillé avait donné un déta~ chement pour reconduire les députés. Ils ont dit eux-mêmes à la municipalité depuis leur retour, que la fatigue qu’ils avaient éprouvée en allan t à Frouard à pied, ne leur avait pas permis de retourner sur le champ à Nancy. Ils ont donc envoyé, par un exprès à la municipalité de cette ville, une lettre ainsi conçue : « ISous n’avons que l’instant de vous mander les intentions de M. de Bouillé que voici : « 1° 11 n’entend et ne veut entendre aucune « proposition de paix que ces conditions ne « soient remplies; « 2° Il exige que la garnison de Nancy sorte « de la ville, ayant à sa tête MM. Malseigne et de « Noue, ou qu’ellese range paisiblement dans ses » quartiers, après avoir remis les deux généraux « entre les mains du détachement qui doit recon-« duire les députés ; « 3° Que quatre hommes par régiment, des « plus mutins et reconnus pour chefs de la dis-« corde, soient à l’instant envoyés à l’Assemblée « nationale, pour y être jugés suivant la rigueur « des lois. « Si les régiments persistent dans leur opiniâ-< treté, dans deux heures, après l’arrivée des « députés, il entrera lui-même dans Nancy à < force ouverte, et se propose de passer au fil de « l'épée, tout homme qui sera trouvé les armes « à la main. » Cette lettre est parvenue à la municipalité sur les trois heures après midi. Dans le même temps une autre députation qui n’était envoyée, ni par le département, ni par la municipalité, composée de quatre gardes nationaux et de quatre soldats de chacun des trois régiments, était parvenue à M. de Bouillé, qui se trouvait alors plus près de la ville avec sa petite armée. Le général les entendit encore et il dicta en leur présence, pour leur être remises, ses dernières dispositions. Nous avons cet ordre en original, écrit de la main de M. Gouvernet et signé par M. de Bouillé. Il est en ces termes; « Dans une heure, RI. Malseigne et M. de Noue « seront en dehors de la ville, ainsi que les trois « régiments reposés sur les armes, et attendant « mes ordres ; sinon, j’entre à coups de canon. » Ces députés revinrent sur le champ à Nancy, et ils s’empressèrent, en entrant dans la ville, à ce qu’ils rapportent, de publier la volonté de M. de Bouillé. II ne paraît pas, au surplus, que ce dernier écrit de M. de Bouillé soit parvenu à la municipalité, ni qu’il ait influé sur le parti que les régiments avaient déjà pris. Revenons à la première députation. Sa lettre parvenue, comme nous l’avons dit, sur les trois heures après midi, la municipalité a décidé qu’elle serait imprimée sur le champ, et publiée, Elle a été imprimée, puisque nous en rapportons un exemplaire. Elle a été, en outre, lue à quelques gardes nationales rassemblées sur la place royale. On ne peut pas affirmer qu’elle ait été lue à toutes les gardes nationales de Nancy, et aux gardes nationales étrangères restées dans cette ville, encore moins à tous les citoyens de Nancy, puisque, sans parler de quelques compagnies oui n’ont pu être rassemblées, la municipalité elle-même, en ordonnant cette réunion des gardes nationales sur la place royale, avait également ordonné de laisser aux portes les gardes nationales qui y étaient placées. Et, à l’égard de ces gardes nationales placées aux portes, elle a requis les officiers de leur faire donner lecture de la lettre, et d’ordonner à tous de déposer leurs armes aussitôt que les troupes de M. de Bouillé paraîtraient. Ces précautions n'étaient pas assez solennelles pour être infaillibles; aussi toutes nos recherches ne nous ont pas procuré la certitude de leur pleine et entière exécution. Pendant que l’hôtel de ville était ainsi occupé, les soldats, joints à cette première députation, étaient rentrés dans leurs quartiers, Les soldats du régiment du roi, après avoir entendu les conditions imposées par M. de Bouillé; après avoir entendu, surtout, l’énumération des forces dont on supposait ce général environné, et les injures dont leurs députés avaient été chargés par son armée, se mirent à crier assez unanimement : La loi, la loi , la loi! et ils se déterminèrent à souscrire aux volontés de M. de Bouillé. Ils députèrent vers les deux autres régiments, pour les engager à prendre le même parti; et les deux autres imitèrent leur exemple. 11 était alors quatre heures du soir. Une députation du régiment du roi vient à la municipalité annoncer que les trois régiments vont obéir. On les engage sur-lc-champ, d'exécuter cette louable résolution. En passant sur la place royale, ils apprennent la même nouvelle aux gardes nationales sous les armes, et ils sont embrassés avec transport. Ils retournent à leurs quartiers; et, quelques temps après, on voit passer sur la place royale M. de Noue, à la tête d’un détachement de grenadiers et de chasseurs du régiment du roi. Us marchaient vers la conciergerie, pour délivrer M. de Malseigne. On vient annoncer à la municipalité, que ceux qui gardent ce général ne veulent pas le rendre, et menacent sa vie; que les officiers municipaux seuls peuvent le délivrer. La municipalité députe à l’instant deux officiers municipaux et deux notables, qui accompagnés du major de la garde nationale, et de plusieurs citoyens qui s’offrent volontairement , parviennent à délivrer M . Malseigne, montent avec lui dans une voiture, et le conduisent à travers mille dangers et une multitude extrêmement animée. Les grenadiers qui l’escortent, craignant qu’il ne devienne enfin victime d’un coup désespéré, lui font prendre un autre chemin que le chemin ordinaire. Alors le corps municipal, voulant, dans tous le3 cas, que M. de Bouillé fut instruit sans délai de la résolution prise par les soldats de la garnison, députent vers lui deux officiers municipaux et deux notables qui, prenant le plus droit chemin, arrivent les premiers. Dans le même temps, les trois régiments, conduits par un grand nombre de leurs officiers, sortaient de la ville pour se ranger en bataille, une partie dans la prairie, et l’autre près du pont de Maxeville et dans le faubourg des Trois-Mai-sons. C’est aussi, dans le même temps, ou à peu près, que la compagnie de la garde nationale de ce faubourg, faisant partie de la garde nationale de Nancy, est venue tout entière se joindre à l’ar- {jgg [Assemblée nationale.} mée de M.deBouillé ; et elle a été reçue avec tous les témoignages de l’amitié (1). Ce moment était décisif. Le bruit de la paix faite avait été répandu dans la ville. Un garde national .avait été vu traversant les rues à cheval et criant que la paix était faite. Que la ville de Nancy renfermât alors dans son sein un nombre considérable d’étrangers, d’inconnus, mal intentionnés, intéressés au désordre, c’est un fait qu’il serait difficile de contester. Que les compagnies de la garde nationale fixées à un nombre d’bomme déterminé, se soient trouvées dans cette journée portée à un nombre d’hommes beaucoup plus considérable, et dont la plupart n’étaient pas connus de leurs officiers, c’est encore un fait attesté par toutes les déclarations. Que des citoyens mêmes de Nancy ayant opiniâtrement résisté à ces apparencesffie paix, c’est une vérité également certaine. Ainsi, au bruit de la paix faite, se mêlaient des clameurs de perfidie et de trahison. Les soldats qui conduisaient M. de Noue et M. Malseigne, s’en allaient disant : Nous sommes trahis , on nous livre, on nous mène au supplice; d'autres plus furieux couchaient en joue l’un et l’autre général, que des citoyens couvraient de leurs corps. Les gardes nationales étaient toujours sous les armes. Les portes, surtout celles de Stainville et de Stanislas étaient toujours gardées par des détachements des trois régiments et de la garde nationale. Ces soldats aux postes résistaient opiniâtrement aux ordres que leurs officiers osaient encore leur donner, malgré les injures et les menaces. Les gardes nationales qui voulaient quitter les postes étaient menacées parles soldats, et même par les plus animés c!e leurs camarades. Les gardes nationales n’avaient pas reçu encore de la municipalité l’ordre de se retirer. Cet ordre a été donné très lard, si môme il n’a pas été donné après les premières hostilités. Ce point mérite d’être examiné. L’originalde cet ordre étant entre les mains du commandant général de la garde nationale, ne porte que la date du jour : l’heure, le moment, n’y sont pas exprimés. Suivant le récit de M. Poirson, président de la commune, cet ordre n’a été donné par le conseil général, pour être distribué et porté aux gardes nationales placées aux portes, que lorsqu’il a été assuré que les troupessortaientdelaville. Il donne même la raison de ce retard. Cette précaution, dit-il, avait été nécessaire, parce que la garnison avait menacé la garde de tirer sur elle, si elle V abandonnait. U n'était pas sûr de la faire retirer avant de s'être assuré de la sortie des troupes. Or, ce moment de la sortie certaine des troupes a été, suivant toutes les déclarations, très voisin des premières hostilités. L’instruction écrite par un officier supérieur durégimeut du roi, dit que ce régiment et celui de Gbâteauvieux sortant de la ville par deux portes différentes, se rencontrèrent, et qu’ils furent étonnés d'entendre une fusillade à la porte Stainville. Les officiers suisses disent la même chose : (1) Cette compagnie était commandée par M. de La Cour, des ci-devant gardes-françaises, aujourd’hui farde national de Paris, et à celte époque en semestre à ;:.-.acy. [H octobre 1790., suivant eux, leur régiment en sortant de la ville rencontre le régiment du roi, qui prend la tête. On aperçoit un détachement des troupes de M. de Bouillé, qui vient recevoir MM. de Noue et Malseigne, et bientôt se fait entendre un coup de cançn, suivi d’une fusillade assez vive. Ainsi l’instant de la sortie entière des troupes et l’instant des premières hostilités n’ont pas été éloignés l’un de i’autre. Ainsi l’ordre de se retirer, suivant le président de la commune, donné par la municipalité pour être distribué et porté aux différents postes des gardes nationales, n’a précédé que de quelques instants les premières hostilités. Le procès-verbal de la municipalité ne fixe pas bien précisément ce moment précieux; cependant il est impossible de ne pas conclure des détails qu’il renferme, que l’ordre de se retirer, donné aux gardes nationales, et les premières hostilités, sont ensemble renfermés dans un très petit espace de temps. MM. Desbourbes, chevalier de Saint-Louis, et Nicolas, citoyen de Nancy, tous deux notables, tous deux membres de Ja première députation envoyée le matin vers M. de Bouillé, rentrent par la porte Stainville, au moment où le jeune héros Desilles est couché sur la bouche d’un canon, au moment où il cne : « Ce sont vos amis, ce sont « vos frères, l’Assemblée nationale les envoie. Le « régiment du roi sera-t-il déshonoré! » MM. Desbourbes et Nicolas sont deux citoyens vertueux, amis des lois et de la liberté. Le' patriotisme est toujours intrépide. Ils se joignent à Desilles, ils le serrent dans leurs bras ; leur action n’a pas été assez remarquée : ils sont arrachés, repoussés avec lui, saisis, maltraités, menacés, taudis que l’indomptable Desilles, s’échappe, s’élance, se jette entre les rebelles et l’avant-garde de M. de Bouille, qui n’était plus qu’à trente pas de la porte. Ce moment est celui des premiers coups. Ce moment est celui où le plus vertueux jeune homme a été atteint de plusieurs coups de fusils tirés par les soldats mêmes qu’il voulait retenir. MM. Destourbes et Nicolas dirigent leur marche vers l’hôtel de ville; le trajet est assez long : ils y arrivent lorsque le combat était engagé; ils y arrivent au moment où le corps municipal, ayant requis le commandant des gardes nationales de les faire retirer, se trouvait exposé aux menaces et à la fureur de ceux d’entre les étrangers et inconnus qui ne voulaient pas exécuter l’ordre, et qui voulaient empêcher les autres de l’exécuter. Ainsi, conformément au procès-verbal de la municipalité, l’instant où l’ordre a été donné aux gardes nationales de se retirer, se trouve confondu avec l’instant des premières hostilités. La relation publiée par la garde nationale de Nancy est absolument conforme. Elle raconte l’action de Desilles; celles de MM. Desbourbes et Nicolas ; le coup de canon tiré à la porte Stainville ; le combat engagé dans la rue; ensuite elle dit : « La municipalité et les chefs de la garde natio-« nale venaient de donner ordre à tout le monde t de se retirer promptement. » Le récit imprimé des gardes nationales de Metz est bien plus précis sur ce fait important. M. de Noue et M. Malseigne venaient d’être remis entre les mains de M. de Bouillé, lorsque, dans la persuasion de la paix conclue, ce général envoie à Naocy dix citoyens-soldats de la garde nationale de Metz pour marquer les logements. Ces dix Messins entrent par ta porte Nobe-Dame; ils y trouvent un poste composé de Suisses, de ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1790.] 639 soldats du régiment du roi et de gardes nationales. Ils sont couchés en joue par les soldats qui se plaignaient d’avoir été vendus et trahis. Avant d’arriver à la place Carrière, ils entendent le bruit du canon et de la mousqueterie vers les portes de Stanislas et deStainville. lis aperçoivent plusieurs détachements de la garde nationale sous les armes, en différents endroits de la ville. Ils arrivent à la municipalité : la fusillade continuait toujours. Ils exposent l’objet de leur mission, en. observant que si i’on se bat, le travail des logements est inutile. Au même instant, un garde national monte et dit que le feu continuait, et qu’il fallait donner ordre aux gardes nationales de se retirer, ce qui a été aussitôt exécuté. On voit que, suivant ce récit, l’ordre de se retirer n’a été donné aux gardes nationales qu’a-près le signal du combat, auquel on ne devait plus s’attendre. Ce fait est confirmé par deux déclarations écrites qui sont en notre possession, dont l’une atteste que lorsqu’on entendit de la place royale une décharge de grosse artillerie, suivie d’une fusillade bien soutenue, on n’avait pas eu le temps de porter l’ordre à toutes les compagnies de se retirer; et dont l’autre atteste que lorsqu’on donna les ordres de se retirer, le feu était commencé depuis quelques minutes. Obligés de présenter des faits certains, nous avons cru devoir environner celui-ci de toutes ses preuves, et établir que l’ordre de se retirer n’a été donné par la municipalité, porté et distribué aux différents postes des gardes nationales, qu’à l’instant des premières hostilités, et peut-être même après les premières hostilités commencées. Revenons au moment que nous avons suspendu, au moment où la garnison sort de la ville, au moment où la municipalité envoie quatre députés à M. de Bouillé pour l’instruire que la garnison obéit, et que MM. Malseigne et de Noue sont rendus. Nous l’avons dit, ce moment était décisif. La garnison sortant de la vide pour aller recevoir les ordres de M. de Bouillé ; MM. Malseigne et de Noue rendus ; la nouvelle de la paix conclue se répandant dans la cité; la très majeure partie de la garde nationale éclairée et fidèle; quelques esprits exaltés ou méchants; quelques citoyens égarés, mêlés de beaucoup d’étrangers inconnus qui crient encore à la trahison, et qui sèment l’alarme; quelques soldats s’opiniâtrant aux portes. Eh quoi! dans ce moment, qui ne reviendra plus, n’existe-t-il pas un moyen d’aller recevoir hors de la ville, le général qui s’avance au nom de l’Assemblée nationale? n’existe-t-il pas un moyen d’empêcher une poignée de soldats rebelles, d’attaquer les soldats de la loi? Ce moyen aurait sauvé la ville, car toutes les voix se réunissent pour convenir que les premiers coups de fusils, que ie premier coup de canon tiré à la porte Stainville, ont été le signal et la cause du carnage. Les quatre députés envoyés à M.de Bouillé pour l’instruire de la sortie des troupes et de la remise de MM. Malseigne et de Noue étaient arrivés près de lui. Sur cette nouvelle qui semblait assurer la paix, le général, comme on l’a vu, avait envoyé à Nancy dix gardes nationales de Metz pour faire préparer les logements pour leurs camarades. Il avait changé la disposition de sa marche. Son armée, divisée d’abord en deux colonnes, devait entrer par deux portes : celles de Stainville et de Stanislas. Puisqu’elle n’allait plus trouver de résistance, il la fit ranger sur une seule colonne qui devait entrer par une seule porte, celle de Stainville. Il avait demandé aux députés municipaux le chemin ie plus court pour aller trouver les régiments qui l’attendaient dans la prairie. Sur ces entrefaites, M. de Noue et M. Malseigne étaient arrivés : le général les avait embrassés. Il conversait avec eux et avec les officiers municipaux. Il les assurait encore que les citoyens de Nancy devaient être tranquilles; que les troupes commandées par lui étaient destinées à la sûreté de la ville; qu’elles n’avaient d’autre intention que de venir au secours des habitants, et que si les troupes de Nancy tenaient leur parole, il n’y aurait pas une amorce brûlée. Tels étaient ses discours, lorsque deux officiers vinrent l’avertir de quelques mouvements; il piqua son cheval du côté de la ville, et à l’instant même on entendit un coup de canon et des coups de fusils. Alors le courageux Desilles était étendu par terre, couvert de gloire et de blessures. Son dévouement héroïque n’avait point arrêté les soldats du poste Stainville ; ces hommes aveugles et furieux avaient mis le feu au canon et fait une décharge de mousqueterie sur la colonne qui s’avançait pour entrer dans la ville. On ne sait pas bien si les coups de fusils ont précédé ou suivi le coup de canon, et ce fait est assez indifférent. Il serait plus intéressant de savoir quel est celui qui a mis le feu au canon, qui sont ceux d’entre les soldats du poste de Stainville, qui onttiré les premiers coups de fusils. Un cavalier de Mestre de camp est accusé d’avoir tiré le canon en faisant feu de son mousqueton sur la lumière de cette pièce d’artillerie. Mais ce cavalier, dit-on, produit aussi de sou côté des témoignages favorables, et suivant quelques rapports, lors de l’entrée de la colonne dans la ville, plusieurs Suisses ont été vus morts couchés par terre près du canon, et dont l’un tenait encore une mèche à sa main. Ce qui est certain, c’est que l’armée de M. de Bouillé avait l’ordre, dans tous les cas, d’attendre le premier feu, et que cet ordre a été religieusement exécuté. Ce qui est incontestable et déclaré par tous, c’est que le premier coup de canon, les premiers coups de fusils sont partis de la porte Stainville et des mains des soldats placés à cette porte. Au reste, il serait difficile de peindre la commotion universelle, produite par ce signal de guerre au milieu des assurances de paix. La ville retentit des cris de perfidie et trahison. Les trois régiments qui reposaient sous les armes, hors de la ville, et dont tous les soldats se partageaient entre la fureur, l’inquiétude et la soumission, se troublent, s’irritent, s’ébranlent au bruit du cation, et rentrent dans la ville, au pas de charge, malgré leurs officiers, toujours menacés. A l’exception de quelques centaines de soldats qui se débandent et se dispersent dans la ville, le régiment du roi et celui de G bâteau vieux se renferment, l’un dans son quartier, et l’autre dans la citadelle. Le régiment de Mestre de camp fut plus difficile à contenir ; M. Burgat, son lieutenant-colonel, s’était absenté au moment même où le régi- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1790.] 640 ment venait de sortir de la ville; son absence fut un nouveau sujet d’inquiétude pour les soldais. Ils s’imaginèrent qu’il était allé se réunir au énéral pour les charger, et au premier moment e l’alarme ils se dispersèrent par bandes. Ces bandes séparées furent cependant contenues, en différents endroits, par MM. Danglars, de Bassignac, et autres officiers dont on ne peut trop recommander à la nation et au roi les bons principes et la bonne conduite. Leurs soins n’ont pu empêcher un certain nombre de cavaliers, plus insensés que les autres, de se répandre dans la ville, et quelques-uns se jetèrent dans la maison du lieutenant-colonel : ils l’auraient massacré, s’ils l’eussent trouvé; ils brisèrent ses meubles. Dans le même temps, la municipalité, qui, comme on l’a vu, venait de donner l’ordre aux gardes nationales de se retirer, ne pouvait pas faire exécuter cet ordre trop tardif; ceux qui voulaient obéir, étaient appelés lâches et traîtres, poursuivis, menacés de baïonnettes, couchés en Joue par ceux qui voyaient ou voulaient voir la trahison jusque dans l'exécution de cet ordre. La municipalité fut alors en butte aux mêmes fureurs. Quelques coups de fusils furent tirés dans les fenêtres de l’hôtel de ville; et les gardes nationales de Metz, arrivées là pour faire préparer les logements, crurent que ces coups de fusils étaient dirigés contre eux. Mais, malgré cette opinion, ils ont juré qu’ils périraient plutôt que de laisser maltraiter le corps municipal. Le récit imprimé au nom de la municipalité ajoute qu’une pièce de canon avait été pointée contre l’hôtel de ville, et qu’un officier de l'armée de M. de Bouille, arrivé heureusement sur la place royale, avait sabré celui qui allait y mettre le feu. Tout est exact dans ce fait, excepté la direction du canon qui n’était pas contre l’hôtel de ville, mais contre la colonne de l’armée de M. de Bouille, qui s’avançait par la rue de l’Esplanade. La même confusion régnait partout; l’ordre de se retirer, porté aux différents postes des gardes nationales, éprouvait des retards dans son exécution ; les uns, postés en vertu d’ordres par écrit, voulaient des ordres par écrit pour se retirer; les autres, n’ayant plus de frein, forçaient les plus raisonnables à rester et à garder leurs armes. Ce sont ces hommes, pour la très grande partie, étrangers et inconnus à Nancy, qui, joints aux soldats dispersés, se sont jetés dans les maisons pour fusiller par les caves et les fenêtres ; ce sont ces hommes qui attendaient au coin d’une rue les détachements de l’armée patriotique, pour tirer leurs coups de fusils, s’enfuir et se poster au coin d’une autre rue. Le commandant de la garde nationale (1) fut exposé lui-même aux plus grands dangers. Echappé aux baïonnettes plusieurs fois tournées contre lui, plusieurs de ces hommes qu’on vient de peindre l’arrêtent, le forcent de se mettre à leur tête, pour les conduire, disaient-ils, à l’ennemi. Get ennemi était une colonne de l’armée de M. de Bouillé qui les couche en joue, les disperse avec ce seul geste, et délivre le commandant. Malgré cette tribulation générale, ce qu’on peut appeler le corps de chaque compagnie de la garde (1) M. Poiiicanê. nationale, s’applaudit d’avoir exécuté, jusqu’au dernier moment, l’ordre de la municipalité. A l’attaque imprévue des soldats placés à la porte Slainville, l’armée de M. deBouilté avait repris sa division projetée. La première colonne, obligée de combattre, est entrée, à force ouverte, par la porte Slainville. La seconde colonne s’est présentée à la porte Stanislas, où elle a éprouvé la même résistance et obtenu le même succès. La grille de cette porte était fermée, et les coups de fusils portaient à travers les barreaux de la grille et par les fenêtres des maisons voisines. La serrure de la grille a été brisée d’un coup de canon, et la colonne s'est avancée dans la rue de l’Esplanade, toujours fusillée par les fenêtres et par les soupiraux des caves. Ce moment déplorable a vu commettre des atrocités indépendantes de toute erreur, des crimes de lèse-humanité, dont la loi cherche aujourd’hui et menace les coupables. On rapporte qu’un ofticierdes hussards, blessé, demandant la vie, a reçu de celui qu’il suppliait un coup de pistolet dans la tête; Qu'un autre forcené a devancé un prêtre qui portait à un mourant les secours spirituels, pour assommerl e mourant à coups de crosse de fusil; Que d’autres, après avoir jeté par terre un hussard d’un coup de fusil tiré par la fenêtre, sont descendus pour le dépouiller et se disputer sa dépouille. A ce tableau lugubre, opposons un tableau consolant. Ce moment a aussi vu des actions héroïques; celle du jeune Desilles sera désormais immortelle. Après ce héros, n’est-il pas juste de nommer celui à qui il doit le jour qu’il conserve encore? (1) Il était renversé, frappé de quatre coups de fusil. Un garde national de Nancy, âgé de dix-huit ans, M. Hœner, fils d’un imprimeur estimable, d’un bon citoyen, se précipite sur lui au milieu du feu, le prend dans ses bras, l’enlève elle met à l’abri dans une maison voisine. La déclaration de M. Desilles suffît à la preuve de ce fait. On a déjà parlé de la contenance stoïque de MM. Desbourbes et Nicolas, notables qui ont, à côté de M. Desilles, dévoué leur existence à la fortune publique. Une femme, celle du sieur Humberg, consigne d’une porte, après avoir tenté vainement tous les moyens de vaincre l’opiniâtreté des soldats qui voulaient mettre le feu à un canon, a osé, s’exposant à toute leur fureur, jeter sur la lumière une chaudronnée d’eau, au moment où la mèche allait toucher l’amorce. Les preuves de ce fait sont dans les registres de la municipalité. Ces actions, dignes de louange, ne peuvent faire oublier la conduite généreuse de toute l’armée de M.de Bouillé, au moins dans le moment de l’action ; ce courage indulgent, cette intrépide modération que tousses soldats ont opposés aux attaques les plus perfides et les plus meurtrières. La colère et la vengeance pouvaient porter le fer et le feu dans ces maisons traîtressses, d’où la mort sortait presque sûre de l’impunité. Eh bien ! tous les témoignages attestent que ces maisons mêmes ont été respectées, qu’aucune propriété n’a été violée, et si les fureurs particulières ont eu quelques accès ; si quelques soldats de cette armée se sont (1) Il vient do mourir. Il faut lo pleurer et l’imiter. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1790.] 641 portés, dans ce moment de gloire et de danger, à des actions inutiles à la défense légitime, ces actions, fussent-elles prouvées, ne sauraient être le motif d’un reproche général. Dans toutes ces rencontres, on a généralement observé l’acharnement presque indomptable des Suisses de Châteauvieux . Le relevé exact des enterrements faits par la municipalité a porté le nombre des morts de cette journée à quatre-vingt-quatorze, sans compter les blessés dont plusieurs ont augmenté depuis le nombre des morts : on se plaint même qu’en général les blessures sont très dangereuses. A sept heures ou environ, l’armée était en possession de tous les postes. Les trois régiments avaient reçu l’ordre de leur départ. Le régiment du roi, renfermé dans son quartier; les Suisses de Châteauvieux, contenus dans la citadelle avec des efforts vantés par leurs officiers, ont exécuté cet ordre avant la nuit. La plus grande partie du régiment de Mestre de camp s’était retirée à la Chartreuse, située à une lieue de Nancy; un seul détachement était resté dans les casernes, d’où il est parti à quatre heures du matin. De nombreuses patrouilles arrêtaient toutes les personnes armées. La nuit a été douloureuse, mais paisible. Le lendemain, cette proclamation de M. de Bouille, dont la destination avait été d’apprendre aux citoyens de Nancy ce qu’il venait faire dans cette ville, affichée enfin, leur apprit ce qu’il avait fait. Bientôt ce général observa lui-même et témoigna son étonnement de ce que les gardes nationales ne faisaient aucun service. Cette observation fit placer un garde national à la porte de la municipalité. Bientôt on lui demanda des ordres pour régler tout ce qui pouvait intéresser la police et l’administration, ou plutôt tout ce qui intéressait l’opinion alors dominante, pour réformer la garde nationale, ainsi que nous l’expliquerons bientôt; pour faire emprisonner les personnes qu’on désignait ; pour fermer et saisir dans ses papiers le club patriotique, auquel on affectait d’attribuer les fautes de la garnison, et les malheurs de la ville : on voulait, sans le dire, donner à M. de Bouillé une autorité dictatoriale. Il déclara précisément qu’il n’était venu que pour exécuter les décrets de l’Assemblée nationale, et réduire par la force, puisque la force avait été indispensable, une garnison rebelle; qu’il n’avait dans la ville aucune autorité administrative ; que tes administrateurs étaient en fonctions; qu’ils pourraient désormais les exercer paisiblement. Instruit par des demandes réitérées, que l’on continuait à saisir en sens inverse l’objet de sa mission, M. de Bouillé, après avoir réglé toutes les choses militaires, s’est éloigné de Nancy, dès le 2 septembre, surlendemain de son expédition. Deux jours après son départ, et la veille de notre arrivée, en vertu d’un jugement rendu par les justices réunies des régiments de Yigié et Castella, suisses, 23 soldats du régiment de Châteauvieux ont subi la peine de mort, 41 ont été condamnés pour 30 ans aux galères, et 71 ont été renvoyés à la justice de leur régiment. Nous sommes arrivés à Nancy le 5 du même mois, et nous nous sommes présentés le 6 aux corps administratifs. lre Série. T. XIX. Dans quel état avons-nous trouvé cette ville infortunée ! Elle jouissait de cette tranquillité que donnent la terreur et la consternation. Parce que les soldats avaient affecté le patriotisme, tous les citoyens qui depuis le commencement de la Révolution avaient manifesté avec quelque énergie des sentiments et des principes de liberté étaient considérés comme les complices des soldats. Ils étaient exposés à des insultes publiques; et, lors du service célébré pour les honorables victimes de la loi, plusieurs avaient été audacieusement insultés, maltraités, obligés de se retirer. C’était contre eux, surtout, qu’était dirigée cette procédure ordonnée par le décret du 16, contre les instigateurs des troubles ; et, si cette procédure était connue, on serait affligé de voir qu’une opinion publiquement énoncée, un geste de curiosité, un sourire même ont été des motifs suffisants pour décréter des citoyens recommandables par leur état, et dont les vertus, avant la Révolution, n’avaient jamais été calomniées. Le patriotisme enfin semblait puni d’un crime dont il n’était pas coupable. Les couleurs nationales étaient proscrites, la cocarde et l’uniforme forcés de se cacher. La municipalité avait autorisé tous les capitaines de la garde nationale à retirer et à retenir chez eux les armes de leurs compagnies; aussi la garde nationale ne faisait-elle plus aucun service, excepté le factionnaire placé à la porte de la municipalité, sur l’observation de M. de Bouillé. Plusieurs compagnies apportaient successivement des délibérations, dont le résultat était de détruire nécessairement la garde nationale pour la réformer, en procédant à des exclusions nombreuses, dont la loi seule n’eût pas été l’arbitre. Chacune d’elles attestait qu’elle était irréprochable; que les excès du 31 août avaient été commis par des brigands inconnus introduits dans son sein, mais presque tous eu tiraient la conséquence fausse, que le corps de la garde nationale était souillé, flétri, déshonoré, et l’un des capitaines a été jusqu’à demander que les drapeaux fussent brûlés en place publique. Le procureur du roi avait rendu plainte, le 3 septembre, pour la poursuite des crimes commis dans la journée du 31. Au moment de l’action, les soldats vainqueurs arrêtaient tous ceux qu’ils rencontraient les armes à la main; mais les jours suivants, la loi aurait dû seule être écoutée, et les proscriptions continuaient; nous en avons eu la preuve le 5 septembre : le jour même de notre arrivée, on emprisonnait encore, sans forme, sans accusation, sans décret, sans qu’il fût possible de connaître la puissance en vertu de laquelle on emprisonnait. Les prisons étaient pleines ; l’effroi circulait dans cette portion de la multitude qui croyait avoir une grande erreur à se reprocher ; quelques boutiques avaient été fermées ; les émigrations étaient nombreuses. M. de Bouillé avait refusé l’ordre qu’on lui demandait pour fermer le club patriotique. Depuis ce refus, M. de Noue s’était transporté à la municipalité, avec un officier de Royal-Normandie, et il avait dénoncé le club, disant que l’on y attirait déjà des soldats de la nouvelle garnison, et qu’il était instant de prévenir les effets des séductions dont la garnison précédente avait été victime. 41 [14 octobre 1790.} 642 [[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Sur cette dénonciation, la municipalité Savait, sur-le-champ, nommé deux commissaires, qui, à l’instant, accompagnés d’une trentaine de soldats, s’étaient transportés au lieu des séances de cette société, avaient fait ouvrir les armoires par un serrurier, s’étaient saisis des registres et papiers, sans en faire inventaire, sans requérir la présence d’aucuns des propriétaires, Ces papiers avaient été portés à la municipalité et envoyés par elle au bailliage qui les avait joints à la procédure instruite contre les instigateurs de la révolte des troupes. Quelques soldats de la garnison nouvelle paraissaient oublier cette modération qui les avait rendus recommandables aumoment.de leur entrée dans la villa; on faisait éclater des signes de ressentiment contre les habitants de Nancy ; des plaintes fréquentes qui nous dénonçaient des insultes faites aux femmes, des menaces faites aux cabarc tiers, quelques vignes même dévastées pouvaient faire craindre tous les excès du despotisme militaire. D’autres soldats de l’ancienne garnison, échappés au désordre du 31 août, erraient daus les bois sans vêtements, sans nourriture, et menaçaient la tranquillité des campagnes. Enfin, ce qui était plus alarmant encore, tous les pays voisins manifestaient, contre la ville de Nancy, des sentiments de colère et de vengeance que semblaient justifier certaines délibérations de la garde nationale. Ces sentiments s’exhalaient à Metz avec plus de vivacité que partout ailleurs. Dès le premier septembre, M. Lisez, architecte, revenant de Metz, avait déclaré à la municipalité de Nancy que tous les citoyens que leurs affaires pouvaient conduire à Metz devaient être avertis de retarder leur voyage jusqu’au moment où les Messins pourraient être détrompés de l’opinion qui supposait coupables tous les habitants de Nancy. On nous a rapporté, à nous-mêmes, que des balles à fusil, portées de Nancy à Metz, avaient été vues, dans cette dernière ville, aplaties, pendues aux boutonnières, avec cette inscription : Vengeance contre les traîtres de Nancy. Ces ressentiments paraissaient justifiés par les pertes irréparables que les braves et fidèles Messins avaient faites devant les portes de Nancy : mais leur effet pouvait être redouté. Dans cette convulsion générale, chargés de maintenir la paix en recueillant les renseignements exacts que nous venons d’exposer, nous avons cru qu’une commotion véhémente, un développement subit de l’autorité qui nous était confiée, ne convenaient point au bien qu’on attendait de nous. Nous avons cru que des mesures forcées, dont l’effet eût été de donner un grand empire à certaine opinion, aux dépens de l’opinion contraire, pouvaient être plus nuisibles que profitables. Nous avons pensé, enfin, qu’il suffisait, pour rétablir l’équilibre, d’appliquer quelque baume sur cette blessure profonde, et de répandre partout l’influence du génie de l’Assemblée nationale et des vertus de Sa Majesté. Après avoir déclaré, lors de notre première séance à la municipalité, que les chambres habitées par nous dans une auberge de la ville seraient continuellement ouvertes à tous, sans distinction de rang et de fortune ; que tous seraient entendus également; que tous obtiendraient justice de l'Assemblée nationale et du roi, nous avons rigoureusement, et jusqu'à notre départ, rempli cette promesse, Nous nous sommes contentés, de même, d’observer au tribunal que 5 jours après une grande catastrophe, la loi devait reprendre son empire, inflexible et immuable ; que les citoyens ne pou-- vaieut être emprisonnés ni retenus en prison, sans une accusation préalable et sans décret, Cette manifestation impartiale et douce de nos sentiments a opéré l’effet que nous avions droit d’attendre. Les couleurs nationales ont osé reparaître ; les membres de la garde se sont fait bientôt un plaisir de ne nous visiter qu’en uniforme, et l’honneur que l’on voulait nous faire d’entretenir un poste de quelques hommes devant l’auberge que nous habitions, en stimulant un service partiel, mais journalier, a donné un mouvement propice à la garde nationale. Examen fait par le procureur du roi et du bailliage, des personnes détenues et des causes de leur détention, tous les citoyens que la justice n’avait aucun intérêt de retenir sous sa main, tous ceux qui n’étaient ni décrétés ni dans le cas de l’être, ont été rendus à la liberté et aux alarmes de leurs familles. Aucune plainte d’emprisonnement arbitraire n’est plus arrivée jusqu’à nous; la confiance publique s’est ranimée, quelques boutiques ont repris leur commerce et leurs travaux ; quelques projets de quitter la ville ont été rétractés. Les prévenus frappés de décrets sont en prison ou contumaces, et si quelquefois leurs familles éplorées ont pu, dans leur ignorante crédulité, recourir à l’autorité dont nous étions revêtus, il a suffi de leur enseigner la loi pour la faire respecter; il a suffi, pour faire cesser leurs instances inutiles, de leur déclarer précisément, que nous étions étrangers à la procédure; que la justice était supérieure à toute puissance, mais qu’elle était éclairée autant qu’inflexible, et qu’elle pèserait, dans une balance égale, les faits et leurs causes, les actions et leurs motifs. M. de Bouillé, que la nouvelle de notre arrivée, et la nécessité de faire publier, devant la garnison , les décrets dont nous étions porteurs, venaient de rappeler à Nancy, nous a, pour ainsi dire, prévenus sur l’inconvénient délaisser longtemps, dans cette ville, une troupe nécessairement aigrie par le ressentiment d’une résistance meurtrière autant qu’inattendue. Les régiments suisses de Yigié et de Gasteita, et les hussards de Lauzun, avaient remplacé les régiments du roi, de Ghâteauvieux et de Mestre de camp. M. de Bouillé, lors de notre première entrevue, avait déjà pris des mesures pour faire arriver d’autres troupes des garnisons de l’Alsace. Successivement les trois corps intéressés à l’événement du 31 août ont été remplacés par des régiments étrangers à cet événement, et deux ou trois jours avaut notre départ la garnison entière était renouvelée. Le calme ramenant insensiblement les réflexions impartiales et froides, la dénonciation faite contre la société des amis de la Constitution a été bientôt et facilement éclairée. On a reconnu que les membres de cette société ne s’étant point assemblés depuis quinze jours, il était impossible qu’ils eussent attiré des soldats de la garnison nouvelle à des séances qui n’avaient point existé. Leurs papiers, joints à la procédure instruite en vertu du décret du 16 août, ne présentaient [14 octobre 1790. J [Assemblée nationale.) que les principes purs de la Constitution, et la preuve rjon suspecte des efforts faits popr ramener la garnison à l’obéissance, à l’exécuiion de la loi. La municipalité a offert de leur rendre ces papiers ; et cette affaire serait entièrement terminée, si la municipalité avait voulu joindre, à la remise de ces papiers, un arrêté qui rendît publiquement justice à leurs principes compromis, à leurs sentiments méconnus. Les papiers du club patriotique sont donc restés assez inutilement enchaînés à une procédure criminelle; mais il a repris |a faculté paisible de ses séapees, et le premier usage qu’il en a fait a été l’expression d’un sentiment qui honore beaucoup trop nos faibles efforts en faveur de la loi, de (a paix et de la liberté. Le rétablissement de la garde nationale a été le plus long, et pour ainsi dire, le plus difficile de nos travaux. Les dissentiments qui agitaient les membres de cette troupe nationale avaient rendu inutiles trois réquisitions faites pour obtenir, en sa présence, ja lecture et la proclamation des décrets que nous venions faire exécuter. Les capitaines enfin ont été assemblés : pous avons été invités à cette séance dans laquelle il a été arrêté que la garde nationale existait ; qu’elle continuerait provisoirement son seryice; qu’il fallait une modification dans sa composition actuelle, qui fût conforme aux décrets de l’Assemblée nationale, et enfin que les exclusions arbitraires étaient défendues. Cet arrêté a été exécuté dans toutes ses dispositions. La nouvelle composition s’est faite avec lenteur, mais sans aucun obstacle alarmant; et le 30 du mois dernier, la veille de notre départ, nous avons eu, avec les officiers municipaux, la satisfaction d’entendre la proclamation des décrets dont nous étions porteurs, devant toutes les compagnies de la garde nationale assemblée sous les armes rendues par les capitaines, et sous les drapeaux qui Savaient pas été brûlés. Les avis que nous avions reçus relativement aux soldats de i’ancieqne garnison, égarés dans les bois voisins, npus les avons transmis à la municipalité de Toul, plnsexposéê, disait-on, à co désordre, et nous avons été pleinement rassurés parles dispositions déjà prises à cet égard. Plusieurs détachements de la garde nationale de celte ville et des troupes de ligne, cantppnés dans les environs, s’étaient volontairement chargés de cette surveillance nécessaire, et chaque jour a annoncé un succès jusqu’à l’entier rétablissement de la sûreté publique dans ces cantons. La nécessité d’aller à Metz vérifier, auprès de M. de Bouillé, certains faits que le temps développera successivement, nous a procuré l’avantage de répandre, dans la municipalité de cette ville, dans l’esprit des citoyens dont les regards éclairent toutes ses opérations, des idées plus vraies, plus favorables à la ville de Nancy, et d’affaiblir cette impression amère et vindicative, qui, de deu* cites longtemps rivales, pouvait faire deux ennemies frréconciables. Qu’il nous soit permis de laisser échapper ici le sentiment consolateur dont ppus avons été pénétrés, en voyant à Metz, au milieu des forces militaires, la Constitution assise sur les plus inébranlables fondements, et l’un fies boulevards de i’ Empire devenu celui de la liberté ; eu voyant des citoyens, déjà célèbres par un combat livré pour la défense de la loi, et qui, depuis longtemps, sur les bruits d’une invasion étrangère, exer-643 çaient leurs armes pour des dangers plus faciles à prévoir et des victoires moins douloureuses-Mais, malgré nos efforts dans cette circonstance, en faveur de la ville de Nancy, il reste encore, à l’Assemblée nationale et au roi, quelques bienfaits à répandre sur cette contrée malheureuse, pour effacer entièrement ces idées fausses qui prendraient un grand empire si elles n’étaient pas solennellement démenties, et qui en feraient bientôt, dans i’esprit de tous ses voisins, une terre de haine et de proscription. L’attention du roi et de l’Assemblée nationale doit encore être appelée sur un objet important, sur les deux procédures qui s’instruisent à Nancy, la première en exécution du décret du 16 contre les instigateurs des troubles de la garnison, et la seconde contre les excès commis dans la journée du 31. Dans la première, 150 témoins ont été entendus et 15 décrets ont été décernés; mais les plus graves ne paraissent pas décernés sur des preuves d’instigation ; des délits d’un autre genre ont pu être dénoncés par l’information. La seconde est établie sur la plainte rendue le 2 septembre par le procureur du roi contre les assassinats commis sur les troupes de M. de Bouillé par différents particuliers qui les tiraient à coup de fusil , contrairement aux ordres qu’ils avaient reçus , contre les particuliers qui ont cherché et excité à repousser , par la force des armes, ceux qui s’étaient transportés en cette ville pour soutenir V exécution des décrets. Tels sont les termes de la plainte : sur cette plainte près de 200 témoins étaient entendus, lorsque nous avons quitté Nancy, sans parler d’un monitoire dont nous avons été instruits, au moment où il venait d’être ordonné. La première réflexion qui saisira, c’est que tous les délits purement militaires, tous les excès commis par les soldats à main armée, ne sont poursuivis par aucune accusation, soit qu’on les compte depuis le 28 août seulement, si Ton pense que l’acte de repentir, souscrit Je 20 du même mois par les régiments, ait effacé les délits antérieurs; soit qu’on les reprenne depuis le 10 août, si l’on pense que cet acte de repentir ait été lui-même effacé par tous les délits postérieurs A l’égard dès citoyens, l’Assemblée nationale a réservé dans sa sagesse de prononcer, après le rapport des commissaires dont elle avait décrété l’envoi, sur l’adresse à elle envoyée le 2 septembre par le département, le district et la municipalité réunis, pour obtenir que le bailliage de Nancy jugeât en dernier ressort et même fît exécuter, sans attendre la conviction de leurs complices, tous les coupables convaincus des attentats commis dans la journée du 31 août. Les faits sont maintenant connus. Si l’opinion des corps administratifs de Nancy pouvait encore aujourd’hui exercer quelque influence sur cette grande et importante décision, nous oserions supplier l’Assemblée nationale et le roi, de rapprocher de cette adresse rédigée le 2 septembre dans un moment où les esprits étaient agités par le spectacle encore récent de tant de malheurs, le discours qui nous a été adressé au nom de la commune par sou procureur dans un temps plus calme, le 50 du même moins, la veille même de notre départ. Ici les bornes impérieuses de notre ministère nous arrêtent. Il nous était ordonné d’exposer des faits certains et d’indiquer les preuves. Si les idées conçues au milieu d’un long travail, si les résultats préparés par un examen cou-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 644 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 octobre 1790.] tinuel, pouvaient paraître de quelque utilité, nous attendrons à cet égard les ordres du roi et de l’Assemblée nationale, et leurs moindres désirs seront des ordres pour nous. Signé: Dcjverryer, B. -G. Cahier. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. MERLIN-Séance du vendredi 15 octobre 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin. M. Bégouen, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance du 14 octobre au matin. Ce procès-verbal est adopté. M. Vernier, rapporteur du comité des finances, présente un projet de décret pour autoriser la commune d'Etraye à faire un emprunt. Ce projet de décret est adopté en ces termes : « Sur le rapport fait à l’Assemblée nationale, par son comité des finances , d’une première adresse de la commune d’Etraye tendant à être autorisée à un emprunt de 700 livres pour le payement de dettes urgentes; du renvoi de cette demande, par le comité des finances, aux directoires de district et département pour vérifier les faits et donner leur vœu ; des arrêtés desdits directoires, des 28 septembre et 7 octobre, aux fins de l’autorisation : l’Assemblée nationale autorise les officiers municipaux à faire l’emprunt de ladite somme de 700 livres à la charge d’en faire le remboursement dans deux ans sur le prix à provenir de la vente de leur quart de réserve, s’ils y sont autorisés, et, à ce défaut, par la voie d’imposition suivant le mode qui sera fixé ou approuvé par le district et département. » M. le Président fait lecture d’une lettre signée du procureur général syndic du département du Nord, qui annonce les dispositions les plus favorables et les plus prochaines pour la vente des biens nationaux ; ce qui a été agréablement accueilli par l’Assemblée nationale. M. le Président fait ensuite donner lecture d’une lettre de M. de La Tour-du-Pin, ministre de la guerre, concernant le régiment de Royal-Ghampagne, en garnison à Hesdin (voy. p. 479, séance du 6 octobre 1790,1e rapport des commissaires). Cette lettre est renvoyée au comité militaire. M. Gossin, rapporteur du comité de Constitution, obtient la parole et fait un rapport sur la réduction des districts en général et particulièrement sur ceux du département de l’Ain. Messieurs , le directoire du département de l'Ain demande la réduction des neuf districts qui le composent. Ce département ne contribue pas aux charges de l’Etat au delà de dix-neuf cent mille livres, pour toutes impositions ; il lui en coûtera trois cent mille, pour les frais de l’administration nouvelle, si on laisse subsister une division en neuf. Cependant l’ancien régime des Etats de Bresse, de Dombes et du Bugeix n’exigeait pas audelà de soixante mille livres. Quand on ajouterait une pareille somme pour les frais de l’administration de la justice, la différence entre les dépenses de l’ancien et du nouveau régime serait encore effrayante ; elle révolterait et accablerait les habitants de ces contrées. Les commissaires adjoints au comité de Constitution croient, Messieurs, devoir rappeler en cet instant le précis des observations qu’ils lurent à l’Assemblée nationale, et dont elle ordonna l’impression. Elles contiennent les principes qui leur semblèrent devoir déterminer le nombre des districts et des tribunaux dans les départements. « L’intérêt des villes, dirent-ils alors, est d’être un impôt sur les campagnes, d’appeler dans leurs murs beaucoup de dépenses, et de multiplier, à cet effet, toutes leurs relations; mais l’intérêt que les villes oublient, que l’Assemblée nationale ne doit pas oublier, c’est celui du peuple, et particulièrement de celui des campagnes, qui payera toujours aux villes les frais de l’administration et de la juridiction. « Il ne faut donc pas multiplier les districts, parce qu’il ne faut pas multiplier sans nécessité les dépenses de l’administration, ni celles de la justice que l’on ne paye qu’avec des impôts. La dépense d’administration pour un petit district, onéreuse à tous les contribuables, sera plus que triplée, relativement au tribunal. Les officiers ministériels, bornés à un petit ressort, compliqueront les procès; ils en susciteront; la justice deviendra un impôt de séduction pour les citoyens. C’était l’inconvénient des petits bailliages royaux, multipliés à l’excès dans quelques-unes des ci-devant provinces par de honteuses vues fiscales; c’était celui des justices seigneuriales, dont se nourrissait cette nuée formidable de praticiens de villages. « Le danger de trop multiplier les administrateurs et les officiers de justice est double; plus on en a au delà du besoin, plus ils coûtent; plus on en a, moins ils valent, et moins bien leur service est fait. Ensuite, après avoir fait l'énumération des hommes instruits, qu’exigent et l’administration et la justice dans un district, nombre que vous avez augmenté depuis, par rétablissement des jurys, vos commissaires ont dit qu’il ne fallait conséquemment se permettre de former de petits districts, que lorsque les localités opposant des obstacles considérables aux communications, rendaient impossible d’en faire de grands; qu’ainsi lorsqu’il s’agissait de diviser un département en districts, il fallait d’abord examiner si la facilité des communications permettait de n’en faire que trois ou quatre, et que sida chose était possible, il fallait bien se garder d’y en placer un de plus ; que la latitude de les porter jusqu’à six ou neuf n’était qu’une latitude de faculté et non d’ordre, et dont on ne devait user qu’autant que des localités impérieuses en faisaient une loi de nécessité. Telle est, Messieurs, la doctrine que les commissaires du comité de Constitution ont exposée; elle a été rendue publique dans l’ouvrage imprimé et distribué à l’époque de la division du royaume; ils ont insisté même, en terminant cette o”pinion, pour que, dans tous les cas, les divisions de territoire pour le ressort des tribunaux ne fussent pas les mêmes que celles qui devaient avoir lieu pour l’administration/ afin de remé-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.