661 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 mai 1191. J 1° Que la peine de mort ne doit être prononcée pour quelque délit que ce soit; 2° Qu’aucune peine ne sera perpétuelle ; 3° Que, dans aucun cas, il ne sera imprimé sur les coupables aucune marque de flétrissure ineffaçable. DEUXIÈME ANNEXE A . LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU MARDI 31 MAI 1791, AU MATIN. Réflexions importantes sur l'adresse présentée à l'Assemblée nationale , le 31 mai 1791, par Guillaume-Thomas Raynal (1), par M. de SI-néty, député à l’Assemblée nationale. Un philosophe octogénaire, un auteur savant dont les écrits ont eu la plus grande influence sur les mœurs de ce siècle et sur la politique des gouvernements, a présenté, le 31 mai 1791, une adresse à l’Assemblée nationale : elle a l'ait des impressions qui pourraient être dangereuses; le nom seul de Guillaume-Thomas Raynal donne aujourd’hui la plus grande importance à cet écrit. Il paraît donc utile et pressant d’éclairer l’opinion publique sur cet ouvrage, au moins indiscret, qui pourrait l’égarer. J’en ai écouté la lecture avec cette curiosité, avec cette sérieuse attention à laquelle invite la célébrité de son auteur, et avec cet intérêt que doivent inspirer les lumières d’un philosophe qui vient à la nn de sa carrière, donner des leçons sévères aux législateurs d’un peuple, dont peut-être, il se reproche tacitement d’avoir poussé l’amour de la liberté au delà des bornes que la sagesse humaine n’avait pas encore marquées, et que les repreésntants de la nation s’occupent de poser. Telles étaient les premières dispositions de mon intelligence, lorsque, à l’annonce d’une adresse de Thomas Raynal, le plus cher, le plus sacré de tous les intérêts, celui de la patrie, effaça, pour un moment, de mon souvenir, l’opinion personnelle que j’avais conçue de ce philosophe. Préparé par ce sentiment, j’oubliai les démarches par lesquelles il avait, quoique indirectement peut-être, participé aux premières explosions de la Révolution, en 1789; et le rôle, combiné sans doute avec de plus puissantsagents, qu’il avait joué, avant la convocation des Etats généraux, dans une ville de premier ordre (Marseille), que des émotions populaires ont alors agitée et alarmée dangereusement. J’attendais, avec une certaine confiance les aveux d’un auteur célèbre, qui, prêt à descendre au tombeau, n’avait rien à dissimuler; et les leçons que son génie éclairé par sa propre expérience, dépouillé de toutes passions, et gémissant sur les maux présents et accidentels de sa patrie, semblait vouloir donner aux législateurs de la France, pour perfectionner leur étonnant et difficile ouvrage, dont lui-même croit avoir donné les premiers éléments, et pour les aider à réparer les imperfections dont toutes les opérations de l’esprit humain sont susceptibles, et le3 erreurs dans lesquelles le philosophe lui-même craint de les avoir entraînés par ses systèmes, dont sa théorie impolitique et exagérée n’avait pas su prévoir les premières conséquences. Tel était le sentiment intime qui, dans ce premier moment, rappelait à de douces espérances toutes mes facultés intellectuelles, et toutes les sensations de mon âme, lorsque les premières déclamations contenues dans cette adresse, contre l’Assemblée nationale, et contre ses opérations, me forcèrent au recueillement de la réflexioo, tandis que l’applaudissement ou le blâme étaient vivement distribués à cette diatribe, suivant l’impression différente qu’elle faisait sur les esprits. Bientôt un orateur, par son opinion plus froide, détermina l’Assemblée nationale à vouer à l’indifférence cette production indiscrète d’un philosophe hardi, et parvint ainsi à rejeter une discussion d’autant plus épineuse, que si les déclamations de Thomas Raynal étaient fondées, les remèdes qu’il offrait étaient, dans les circonstances présentes, ou impuissants, ou inefficaces; et si elles ne l’étaient pas, elles ne tendraient qu’à encourager les malveillants, à justifier les entreprises dont ils menacent la patrie, à ranimer le fanatisme, à favoriser ses excès, et ce qui est sans doute plus dangereux encore, à égarer la vertu et le patriotisme, et à susciter enfin la plus fatale de toutes les insurrections contre les nouvelles lois établies. M’étant donc recueilli pour pénétrer les motifs secrets de l’auteur, est-ce, me disais-je, l’orgueil de la caducité d’un philosophe qui, après s’être fait une grande réputation par le courage avec lequel il a frondé tous les préjugés et tous les gouvernements, et par son zèle à professer ses principes abstraits sur la liberté, qu’il n’a jamais pu définir dans son acception politique, aspire aujourd’hui aux derniers honneurs de la célébrité, en invectivant, sans mesure, et de la manière la plus dangereuse pour l’ordre public, toutes les institutions nouvelles auxquelles une nation devenue libre, commence à se soumettre? Est-ce une coalition politique d’un auteur célèbre avec les détracteurs de la Révolution, nui, voulant abuser aujourd’hui de l’opinion publique qu’il a su lui-même exalter par l’exagération de ses principes philosophiques, se serait prêté à devenir l’organe d’un parti mécontent, qui a mis sa dernière ressource et ses plus chères espérances dans de nouveaux désordres et dans l’anarchie, qu’amèneraient nécessairement les opinions vacillantes, incertaines et contrastantes, sur le nouvel ordre établi? Est-ce un patriotisme aveuglé et mal entendu qui encourage l’auteur à semer, parmi les représentants de la nation, qui touchent au terme de leur carrière politique, l’incertitude et l’effroi sur les effets des nouvelles lois qu’ils ont données à l’Empire français? Est-ce enfin un espoir coupable qui, lui rappelant les moyens dont il s’est servi pour donner des armes à la licence, en déclamant autrefois contre les autorités arbitraires , l’engage à tenter aujourd’hui d’armer la liberté, encore mal appréciée, contre des institutions en faveur desquelles la religion, les lois, l’ordre public et l’autorité légitime réclament la plus tranquille obéissance? Plus j’ai étudié, plus j’ai approndi cette fameuse adresse de Thomas Raynal, répandue avec affectation et avec profusion à Paris, et qui inspirait un si grand dissentiment d’opinions,; plus j’ai été alarmé de l’impression qu’elle pouvait et qu’elle devait faire, plus j’ai été convaincu que Raynal qui, toujours enivré de l’orgueil de la philosophie, avait joui, plus qu’aucun autre auteur, de sa célébrité, et du glorieux avantage de dominer sur l’esprit de son siècle, cherchait aujourd’hui à exer-(l)JVoy. ci-dessus, page 650. [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 mai 1791.1 cer le même empire sur l'opinion publique, et que fier d’avoir opéré par ses systèmes et par ses intelligences secrètes avec les premiers sectaires de la Révolution, cette première et terrible exaltation du patriotisme, il se flattait encore, dans ces derniers moments de crise, de le diriger, en sens rétrograde, contre le nouvel ordre de choses, qui n’a pu satisfaire les vues intéressées et les combinaisons particulières de tous ceux qui, dans le principe, l’avaient associé à leurs mystères politiques. En effet, si dans ces moments on avait pu connaître la vie politique de Thomas Raynal, dans Marseille, les systèmes et les dogmes qu’il y professait depuis plusieurs années, ses liaisons intimes avec un ministre que tout le monde sait avoir toujours ambitionné la première place dans la Révolu lion, et avec tous les amis et les adorateurs qu’il avait dans cette ville si l’on avait pu pénétrer dans les motifs des intelligences secrètes de Raynal avec Mirabeau, au mois de mars 1789, lorsqu’il vint dans cette ville allumer les premiers flambeaux de la Révolution, et les conférences qu’il avait eues alors avec cet homme si célèbre par la profondeur de sa politique et par les différents rôles auxquels les circonstances l’ont appelé, et qui, B' crètement soutenu par le ministre, détournait alors la surveillance publique de sa connivence avec lui, par des écrits qu’il répandait contre son administration ; si l’on pouvait savoir comment Thomas Raynal, à cette époque, s’était agité dans tous les sens pour avoir la confiance des corporations des ouvriers de Marseille, pour exalter leurs prétentions;comment il était parvenu à diriger leurs délibérations dans leurs assemblées primaires et à participer à la rédaction de leurs cahiers; si l’on pouvait s’assurer enfin, comme on l’a toujours soupçonné, qu’il correspondait sur tous les mouvements préparatoires de la Révolution avec le ministre et sa famille, rappelant ainsi tous les rôles que Thomas Raynal avait joués, dans ces premières époques, on ne pourrait se défendre dans ce moment de luisoupçonnerdes motifs aussi dangereux aujourd’hui en politique, que sa conduite, avant et pendant les élections do 1789, a été active. Rapprochant ainsi les premières causes des troubles qui ont agité le royaume même avant la convocation des Etats généraux, et de ceux qui particulièrement ont alors troublé la tranquillité de Marseille, du moment où Thomas Raynal se présente à l’Assemblée nationale avec cette audace d’autant moins excusable, qu’il ne devait point avoir oublié les causes réelles de cette licence dont il déplore justement aujourd’hui les effets, j’ai vu tomber devant moi, à la lecture de cette adresse, le masque du philosophe et je n’ai vu eu lui qu’un homme entraîné par la passion la pius dangereuse pour la paix publique, et qui, se jouant du bonheur des peuples et de leur tranquillité, n’a cessé d’aspirer à cette coupable célébrité qu’acquerront toujours les déclamateurs qui cherchent à éloigner les citoyens de l’obéissance aux lois, et qui jouissent orgueilleusement de la fatale satisfaction d’incendier leur patrie par des j évolutions successives, et de l’espoir criminel d > bouleverser les Empires. En effet, me suis-je dit, qu’est donc venu faire Paris Thomas Raynal, à cette époque du 25P mois de la Révolution ? Qu'avait-il à dire à l’Assemblée nationale au moment où elle venait d’annoncer la lin de ses travaux, qu’il n’eut pas dû lui dire avec plus de fruit un an plus tôt, s’il eut eu des intentions pures ? De quelle utilité a-t-il cru que pouvaient être aujourd’hui ses prétendues vérités dont il se fait un mérite de menacer la nation et ses représentants? Etait-ce le moment le plus favorable de les dévoiler, et pourquoi n’en a-t-il pas eu plus tôt le désir et ie courage ? Quoi I le philosophe austère qui se vante avec tant de complaisance d’avoir, depuis si longtemps, parlé aux rois de leurs devoirs, voyait-il donc avec une froide indifférence, depuis 25 mois, les opérations successives de l’Assemblée nationale contre lesquelles il s’élève aujourd’hui avec tant d’indiscrétion ? N’a-t-il su emboucher la trompette de V indignation, que lorsque sou génie prophétique ne lui offrait que dans un avenir éloigné les maux des peuples qui, quoique sous un gouvernement absolu, vivaient dans un état de tranquillité ? et s’était-il imposé silence lorsque ses conseils auraient pu porter un remède prompt aux maux présents, pour le rompre ensuite avec plus d’éclat à l’instant où Tordre public commence à s’établir ? ou son esprit, affaissé par l’âge, a-t-il, pendant cette longue et célèbre session du Corps législatif, été plongé dans la plus profonde léthargie et ne s’est-il réveillé que dans le moment important où il est venu se montrer sur notre horizon politique ? Thomas Raynal n’a cessé d’habiter Marseille qui, plus qu’aucune autre ville de l’Empire Français a ressenti les effets de sa doctrine et de la Révolution, Il n’a pu un instant ignorer les décrets des législateurs; il en calculait froidement lus effets, il en était témoin, il en jugeait l’influence sur un vaste, riche et orageux horizon qu’il habitait. Dans combien d’occasions essentielles, depuis vingt-cinq mois, n’aurait-il pas pu donner d’utiles conseils aux représentants de la nation, et des leçons de sagesse à ses concitoyens? La voie des pétitions lui était ouverte, comme à tous les Français; et il a toujours trop bien présumé de lui-même pour douter qu’elles fussent accueillies. Pouvant éclairer l’Assemblée nationale par les lumières de son génie, de la philosophie, qui sait si bien lire dans l’avenir, n’eut-il pas pu, n’eut-il pas dû la préserver des erreurs dont il l’accuse? Pourquoi a-t-il gardé jusqu’à ce jour le plus profond silence? Que peut-on penser de l’inertie de son patriotisme? Et pourquoi l’époque de sa vie qui lui présentait les plus belles occasions d’être utile à son pays, a-t-elle été celle où il a affecté l’indifférence d’un froid cosmopolite et où lui qui s’enorgueillit aujourd’hui d’avoir toujours dit aux rois "des vérités sévères, s’est refusé de les exposer aux yeux d’un roi vertueux, qui les a toujours accueillies, et qui méritait l’affection et l’admiration d’un philosophe patriote, aux législateurs qui sans doute pouvaient avoir besoin d’un guide sage, éclairé et consommé en politique, et aux peuples qu’il fallait surtout préserver du danger de la liberté mal appréciée? Certes, si l’on veut bien réfléchir à cette longue inertie d’un homme célèbre, qui a prêché avec tant de succès le dogme de la liberté, qui se vante d'avoir établi la religion bienfaisante, en la faisant adorer par des peuples et redouter par les tyrans; si l’on, voit avec un juste regret la nullité de son civisme, pendant le long espace de temps où ses concitoyens, agités par toutes les passions et par tous les intérêts, avaient besoin d’être guidés dans la nouvelle route que leurs législateurs leur avaient ouverte vers le temple de la liberté, ou ne peut au moins, sans la plus vive surprise, voir Thomas Raynal venir, dans [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 mai 1791.] 663 l'Assemblée nationale, dans un moment si peu opportun, lui reprocher ses prétendues erreurs, tonner contre ses lois, alarmer la confiance publique, détourner les citoyens de l’obéissance prescrite aux législateurs, de rétrograder, de démolir l’édifice de la Constitution, qu’ils ont élevé au milieu de tous les obstacles et de tous les dangers, et dont le faîte est déjà perfectionné; et préparer ainsi une nouvelle révolution, objet des espérances et des intrigues criminelles des ennemis de la patrie; lorsque les vœux de tous les bons citoyens, dans l’état actuel des choses, n’ont plus qu’à se réunir pour rétablir l’ordre, le calme et la paix, par l’obéissance aux lois, et par le respect qui est dû à tous les pouvoirs constitutionnels. Sans doute, Thomas Ray n al, associé auxmys-tères politiques d’un ministre si puissamment soutenu par l’opinion publique, si présomptueux dans ses espérances, et de tous ses agents et ses sectateurs, avait voulu avec eux changer l’Em-piref rançais par une Révolution mémorable; ils avaient tous le même projet; ils tendaient tous an même but, et l’intérêt, l’ambition, la vanité du ministre, du philosophe et de tous leurs coopérateurs avaient arrêté un plan plus utile sans doute à leurs vues particulières qu’au bonheur des Français; ils avaient voulu une révolution, ils en avaient préparé, combiné tous les mouvements, en profitant avec adresse des insurrections préliminaires et anticipé! s, dans lesquelles les noms des principaux chefs, portés en triomphe par la classe du peuple qui les connaissait le moins, annonçaient bien l’enthousiasme qui dirigeait les mouvements tumultueux qu’ils étaient peu soucieux de réprimer. Ils voulaient une Révolution, mais telle que leur génie l'avait conçue pour leur propre gloire, on pour leurs intérêts. Ils avaient rassemblé les représentants de la nation, non pour obéir aux lois que devait leur dicter leur sagesse, mais pour les conduire et les gouverner à leur gré; ils voulaient détruire tous les pouvoirs pour élever leur autorité permanente sur leurs débris; ils voulaient abolir les premiers ordres de l’Etat, pour n’avoir plus à craindre leur influence, et pour flatter la vanité et satisfaire l’ambition de leurs agents qu’ils se proposaient de leur substituer, en les choisissant parmi tous ceux qui s’étaient plus particulièrement dévoués à leurs projes; ils voulaient établir la secte des philosophes, qui les avaient servis sur les ruines de la reôgion; ils voulaient enfin atténuer l’autorité royale pour régner par le suffrage de la nation, sans être exposés aux orages de la cour. Leurs projets n’ont pas réussi; les représentants de la nation les ont déjoués; la Révolution s’e-t faite, mais elle a été pour les Français et non pour ceux qui voulaient profiter de l’exaltation préparée du peuple. Elle est donc consommée cette mémorable Révolution, et elle i’estindubitablementà cette même époque où Thomas Raynal vient semer beffroi sur les derniers pas des législateurs, provoquer le mépris et la désobéissance d’un peu [de encore exalté et armé contre toutes les lois nouvelles qu’il faudrait au contraire faire aimer par la confiance, faire respecter par la persuasion et affermir par l’amour de l’ordre et de la paix, pour obtenir cette tranquillité qui doit être le vœu le plus cher de tons les bons citoyens. Ebe est consommée ceite Révolution; ebe a déjoué tous les intérêts, détruit toules les opposition s, dominé toutes les factions; mais les mouvements convulsifs du peuple, suscités dans les premiers jours de son enthousiasme, l’agitent encore parce que, s’il « st enivré de ses succès, il est peut-être plus inquiet du danger, dont la Constitution qu’il chérit, paraît encore menacée pour quelques instants. Cette inquiétude sans doute est dangereuse, cette longue exaltation est alarmante, mais elle est et sera peut-être encore quelque temps la suite naturelle des intrigues de ceux qui font crue nécessaire à leurs projets, des déclamations des philosophes qui n’en ont pas prévu les effets, et des manœuvres préliminaires des premiers chefs de la Révolution. C’était lorsque les chefs, les philosophes exerçaient encore' un empire absolu sur l’opinion publique et sur les actions du peuple, que ces orgueilleux instituteurs du genre humain devaient, par des leçons de sagesse et de modération, diriger leurs nouveaux pupilles dans la route de la liberté, et non dans un moment où le corps politique se fortifiant tous les jours, Ü3 veulent lui préparer une seconde crise, et où leurs conseils dangereux en ébranlant la base de l’édifice que les législateurs ont élevé, pourraient en entraîner la chute, et écraser la nation entière sous ses ruines. Mais Thomas Raynal, qui voit ces laves enflammées qui embrasent V Empire , n’avait-il pas vu sous ses yeux tous les hommes violents qui se pressent, s’ électrisent et forment ces volcans redoutables, qui, selon lui, vomissent des torrents de feu?Ne!es a-t-il pas vus, dès le principe s’agiter? Ne doit-il pas se reprocher de les avoir, par ses écrits, lancés lui-même contre ces gens de bien , ces esprits modérés, dont il peint justement la consternation, lorsqu'une seule production de son génie, alors dominateur sur l’opinion, aurait produit les plus heureux et les plus salutaires effets en leur faveur? Est-ce en avouant aujourd’hui, dans sa faneuse adresse, que les conceptions trop hardies de la philosophie ne devaient pas être la mesure rigoureuse des actes de la Législation, qu’il pourra échapper au reproche, trop bien fondé, que ses systèmes philosophiques et ses principes métaphysiques sont peut-être la première cause des maux qu’il déplore? Et n’élait-ce pas pour lui un devoir sacré de prévoir l’effet dangereux de ses écrits, et d’en préserver la nation, en donnant lui-même l’interprétation nécessaire à ses principes, pour épargner au genre humain les erreurs dans lesquelles il a pu l’entraîner, et qu’il reproche si amèrement à des législateurs qui, s’ils étaient coupables, ne le seraient aujourd’hui que pour avoir été ses disciples? Serait-ce par l’effet d’une conversion miraculeuse, que l’auteur qui avait, dans ses écrits, attaqué la religion, en professant orgueilleusement l’apostasie du sacerdoce, accusé aujourd’hui les législateurs de la France, ceux qui, par leurs nouvelles lois, ont rétabli cette même religion dans sa pureté primitive, efen ontproscrit à jamais les abus dont elle gémissait d’avoir livré à la désolation l'Eglise de France ? Est-ce pour consommer cet acte d’hypocrisie qu’il reprend à cette occasion le titre de prêtre et de prêtre pacifique ? Son esprit, aujourd’hui sur son déclin, aurait-il reçu un trait de lumière qui lui fait reconnaître la légitimité des autorités qu’il, a, de touttem ps, attaquées avec audace, et dont il a favorisé la destruction ? Est-ce enfin par un juste remords et par le sage repentir de l’homme nrèt à. descendre au tombeau, qu’il reconnaît les dangers de la liberté indéfinie de la presse et de la cupi- 664 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 mai 1791.] dilé des écrivains, qui, par l’abus qu’ils en ont fait, ont incendié le royaume, comme lui-même avait, avant eux, perverti l'esprit public? J’aimerais à me le persuader; mais quels que soient les motifs de Thomas Raynal, ses aveux, ses remords, ses conseils aujourd’hui sont plus dangereux qu’utiles, et il sait trop bien calculer la marche irrésistible des événements politiques; il connaît trop l’esprit humain, il sait trop bien lpprécier les causes premières de nos maux, les circonstances qui eous environnent, leur impérieuse puissance, pour n’avoir pas senti lui-même l’inefficacité et le danger de ses leçons. Mais en analysant les leçons amères que Thomas Raynal nous donne sous le titre hypocrite d’adresse, et raisonnant avec lui sur les passages les plus saillants, j’oserai, je me ferai même un devoir de lui dire avec franchise : Tuteur sévère des rois, vous vous vantez de leur avoir , depuis longtemps, parlé de leurs devoirs , et vous vous arrogez, de là, le droit de vous établir régent présomptueux des représentants de la nation; mais vous n’avez pas oublié que vos anciennes déclamations ont dégradé, aux yeux des peuples, cette autorité des monarques que vous poursuiviez ; et vous vous servez des mêmes moyens pour déprécier, dans l’opinion publique, par vos critiques exagérées, les législateurs et leur ouvrage, etc’est ainsi sans doute, que voulant égarer le peuple, vous lui prêchez la désobéissance aux lois. 11 n’est cependant point d’ordre public, point de tranquillité, point de bonheur à espérer sans cette obéissance civique à tout ce que les législateurs) légitimement constitués ont établi pour organiser la société politique. Il est sans doute des vérités qu’il ne faut pas taire quelque fâcheuses qu’elles puissent être. Les représentants du peuple Français, qui délibèrent avec tant de publicité, ont ouvert le sanctuaire des lois à toutes les vérités ; ils aiment à les entendre ; ils ont même sacrifié aux avantages de cette publicité tous les intérêts, tous les ménagements politiques qui pouvaient exiger souvent du mystère; mais s’il est utile et toujours glorieux de les éclairer, il est toujours dangereux de les-incriminer en les accusant d’être les auteurs des maux qu’on ne pourrait attribuer qu’aux malheureuses circonstances qui ont toujours embarrassé leurs travaux. Si, comme vous êtes forcé de l’avouer dans votre adresse, votre indignation généreuse contre le pouvoir arbitraire a pu donner des armes à la licence , première et unique cause que vous déplorez, craignez encore de réaliser pour longtemps cette anarchie effrayante dont vous menacez la France, en attribuant la cause de nos maux aux législateurs et à leur ouvrage, et en rompant, aussi indiscrètement que vous osez le faire, tous les liens de la confiance du peuple envers ses représentants. Ne voyez-vous pas que vous provoquez, par une aussi coupable déclamation, la plus dangereuse de toutes les insurrections contre les lois, de la même manière que vous l’avez suscitée contre les rois? Et que restera-t-il donc pour régénérer une seconde fois un peuple immense, épuisé par les premiers efforts, égaré par vos sophismes, lorsqu’il n’aura plus aucune autorité à respecter, aucune loi à exécuter, aucun guide légal à suivre? Lorsqu’il n’aura plus ni législateurs, ni roi; lorsque tous les garants de la tranquillité publique auront été anéantis par vos impolitiques déclamations et lorsque les peuples n’auront plus d’autre guide que votre génie exagéré; d’autres magistrats qu’un faux instituteur de l’humanité, et d’autre point de ralliement qu’au près du sceptre fragile de votre orgueilleuse philosophie? Vous faites un tableau vraiment déchirant de l’état actuel de la France : mais fut-il aussi fidèle qu’il est trop fortement nuancé, où tous les désordres que vous analysez existent-ils principalement, si ce n’est dans les lieux où vous avez plus solennellement professé votre doctrine? Et pourquoi cette partie méridionale de la France qui vous a recueilli dans votre disgrâce, qui a eu l’avantage, en vous possédant avant et pendant la Révolution, de croire donner asile au plus sage et plus prévoyant philosophe de ce siècle, a-t-elle été la plus "douloureusement agitée de troubles? Pourquoi votre patriotisme et votre amour pour des contrées qui vous chérissaient ont-ils été constamment paralysés et muets dans des circonstances si critiques et si importantes pourleur bonheur; dans les moments malheureux d’aveuglement involontaire où votre philosophie et votre perspicacité politique auraient pu répandre dans l’opinion publique des lumières douces et persuasives qui, en éclairant le peuple et pénétrant dans son esprit et dans son cœur, l’auraient rappelé à ses devoirs, en lui prêchant la concorde et l’union, lui auraient fait distinguer les bons citoyens d’avec les perturbateurs, et auraient préservé les vrais patriotes de leurs erreurs innocentes, et les gens de bien des coupables injustices des factieux et de leurs fureurs? Quoi, vous, Raynal, auteur célèbre, philosophe octogénaire, vous qui, par l’unique effet de la confiance , avez dirigé les premiers pas des Marseillais, de ce peuple toujours prêt à s’enivrer de l’amour de la liberté, dans les premiers sentiers de cette étonnante Révolution ; vous qui connaissez le caractère moral de ce peuple qui se vante d’avoir civilisé les Gaules, que les siècles n’ont point changé, qui avait su conserver, dans tous les temps, son régime de liberté, en se faisant chérir et respecter par le despotisme même; vous que tant de citoyens de cette ville ont consulté pour la confection de leurs cahiers, vous dont le génie et les conseils les ont éclairés et conduits dans leurs premières délibérations sur la régénération de la France; indifférent, depuis cette époque, d’une aussi glorieuse influence en votre faveur, à leurs intérêts, à leurs maux, à tous les événements accidentels qui, sous vos yeux, depuis 26 mois, ont troublé la tranquillité d’une ville si importante pour la prospérité de l’Empire français; vous vous êtes condamné au plus morne silence, à une nullité aussi caduque, que votre zèle, dans les premiers moments, avait été actif. N’avez-vous pas eu assez d’occasions de dire des vérités utiles à vos concitoyens? C’était sur cet important théâtre de vos premiers, succès, à titre de révolutionnaire, qui vous était si familier et qui ne devait pas vous être indifférent, que vous auriez dû essayer vos forces, avant de venir en faire, auprès de l’Assemblée nationale, un usage indiscret qu’on pourrait attribuera l’orgueil, bien plus qu’au patriotisme. Si la force des circonstances a enfanté des écrivains incendiaires , si des plumes vénales ont été indiscrètement employées par tous les partis, depuis si longtemps en opposition, et par des factieux qui les soudoient, peut être fauarait-il convenir que dans les moments où il importait essentiellement au salut de l’Empire que l’esprit public se formât il était d’une sage politique de tolérer tacitement, ou du moins de ne point s’op- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 mai 1791.] $65 poser à ces combats littéraires qui, en éclairant les bons citoyens, devaient, tôt ou tard, démasquer les intrigants, les factieux, les ma1 veillants, et quiap liaient tous les vrais patriotes au poste que l’intérêt public marquait à leur surveillance. Peut-être une inquisition sévère contre les libellâtes aurait-elle encore plus excité leur cupidité, stimulé la curiosité, et trompé l’ignorance sans pouvoir empêcher la publicité des écrits politiques. Tous les partis alors se seraient également irrités de cette infructueuse inquisition, arme émoussée de l’ancien pouvoir arbitraire ; un seul parti aurait eu les avantages de la victoire, celui qui aurait été vaincu par cette timide police des despotes aurait sourdement ourdi ses trames et sa vengeance, et ses coups auraient été d’autant plus dangereux qu’ils auraient été plus cachés et plus ignorés. Il eut manqué aux citoyens ces moyens de réfléchir, de s’instruire, de comparer, de combattre même les écrits contradictoires, de juger leurs auteurs et leurs partisans. Et l’on serait arrivé, plus dangereusement et plus tard, à à cette époque où la réflexion, la sagesse et même la satiété ont non seulement provoqué le sentiment du mépris et de l’indifférence, pour cette multiplicité d’écrits éphémères ; mais les ont déjà proscrits dans l’opinion publique. Mais quel que soit le mal qu’a pu faire la liberté indéfinie de la presse, liberté que des ministres, vrais machiavélistes avant la convocation des Etats généraux avaient mise en activité, et dont ils avaient voulu se servir pour semer la division; liberté que les circonstances les plus impérieuses et une sage politique, peu à portée à la véri'é des esprits vulgaires, n’ont pa� permis encore de l’imiter; c’était à Èvous, Ray n al, qui deviez payer cette dette à la confiance publique, à qui vous deviez votre réputation, à user des bienfaits de la presse pour en réprimer les abus, pour combattre les erreurs et la malignité des folliculaires de tous les partis, de toutes les factions ; c’était à vous qu’il appartenait de prêcher dans cette Révolution, qui est presque votre ouvrage, la morale pure et bienfaisante de la raison, de l’humanité et du respect pour les lois; mais de la prêcher saintement, fortement et loyalement, en attendant que l’enthousiasme irréfléchi et le fanatisme de la liberté pussent se modérer, et que le patriotisme et l’amour du bien public pussent opérer sur les facultés intellectuelles de tous les citoyens ce que des lois règlementaires sur la liberté de la presse auraient essayé vainement et n’auraient pu obtenir que d’une manière illusoire. C’était surtout aux auteurs qui ont commencé à pervertir l'esprit public par des principes exagérés des systèmes abstraits, incohérents en politique, des déclarations audacieuses, de l’amender parla voix de la sagesse et de la raison, et par le sincère aveu de leurs erieurs, substitué à cette généreuse indignation contre tous ceux qui ne reçoivent pas la loi de leur philosophie. Les législateurs de la France ont proclamé tous les droits; ont poursuivi tous les abus. Ils ont fait des lois pour régler et modifier les uns, et pour proscrire à jamais les autres. Tel était dites vous, l'objet de vos plus chères espérances. Si malgré leur sollicitude le saint nom du patriotisme a été prostitué à la scélératesse, la licence a marché en triomphe sous les enseignes de la liberté, voire douleur, Ravnal, est jusm et fondée. Mais pouvez-vous indiscrètement, et sans injustice attribuer aux représentants de la nation, l’inexécution des lois, et l’impuissance momentanée de l i force active, pour rénrimer la licence? Pouvez-vous ignorer,vo >s penseur profond, politique accompli, que les longs et vio ents combats des abus contre les droits, que les regrets si actifs de la cupidité et de la vengeance, que les folles espérances et les sourdes intrigues des adorateurs aveugles de l’ancien régime, que l’intérêt personnel déjoué et irrité, qu’enfin l’insidieuse politique d’une cour aussi légère qu irréfléchie et des anciennes autorités depuis longtemps aussi nulles qu’inconséquentes, ont, par les fautes les plus grossières, par l’impéritie la plus téméraire, fait passer le sceptre des lois dans les mains de la multiiude; ont entretenu dans tout l’Empire, et principalement dans la capitale, cette dangereuse méfiance entre deux partis, dont l’un, formidable pour la masse, a voulu, à quelque prix que ce fût, conserver ses droits qu’il avait conquis; et l’autre, puissant encore par les anciens préjugés et par les prestiges de son antique domination, s’est laissé enlever de vive force, ce qu’il devait abandonner avec loyauté; ont excité continuellement, par cette lutte terrible, ces commotions effrayantes, ces insurrections fréquentes qui, trop souvent, ont environné les travaux des législateurs, des orages les plus alarmants, et qui, malgré leurs soins et leur consiante sollicitude, ont toujours trop bien servi les traîtres et les factieux de tous les partis, ont exalté et égara le peuple, onttrompé, inquiété et alarmé le plus vertueux des monarques, qui devait, surtout dans ce moment de crise politique, fixer l’admiration des philosophes; ont armé dés hommes méchants et souvent féroces, contre la tranquillité publique, et la sûreté individuelle; et ont enfin, dans plusieurs circonstances graves, paralysé les pouvoirs constitutionnels que l’Assemblée nationale s’efforce, journellement, de réintégrer et de soutenir, et qui, certainement reprendront toute leur vigueur et leur activité, lorsque la liberté, mieux appréciée, ses dogmes mieux connus, ses bienfaits mieux sentis auront dissipé les orages, anéanti les factions, et aboli la licence, en ramenant les vertus sociales. Vous avez médité , dites-vous, toute votre vie , les idées de régénération, par la promulgationdes-quelles vous prépariez tous les Empires et toutes les insiitu lions humaines à des changements les plus hardis . Et c’était pour vous un rêve consolant que de voir changer au gré de vos systèmes la face de tout l’univers. Vous avez sans doute eu la bienfaisante intention de servir l’humanité souffrante et avilie, dans les gouvernements qui comptaient pour trop peu les hommes arbitrairement asservis : mais vous avouez n'avoir jamais pesé les inconvénients terribles attachés aux abstractions , ni combiné les éléments des passions humaines : c’est avouer autrement que votre génie, fécond en spéculations, a plané avec complaisance sur l’horizon d’un monde idéal, et qu’en conséquence, ses productions philosophiques ont dû être plus dangereuses qu’utiles aux sociétés déjà policées, et à des hommes livrés à de vieilles passions. Ainsi, entraîné par la chaleur de votre imagination, vous avez abusé de vos talents , pour égarer la crédulité des hommes. Avez-vous pu penser que ce qu’un philosophe froid, studieux, que rien ne distrait, n’avait ni pu combiner, ni su prévoir, pourrait être prévu et combiné par un peuple ardent, léger, irréfléchi, livré depuis tant de siècles à la nullité politique, et, ce qui est encore pis, à la corruption des mœurs, qui 666 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 mai 1791.) cependant pourrait s’enthousiasmer de vos idées séduisantes ? Daignez donc avouer que vos écrits, tout sublimes qu’ils sont, n’offraient à la faiblesse et à l’ignorance humaine, qu’un venin dangereux ; semblables aces remèdes dont l’essence première est un poison subtil, dont les principes sont morbifiques, et, qui ne peuvent être salutairement employés que lorsque l’art de la chimie As a décomposés, préparés, modifiés, et lorsqu’une main habile les administre et sait les appliquer à la maladie à laquelle ils sont propres. Ignorez-vous que les poisons, longtemps avant d’avoir acquis les qualités précieuses de la préparation, n’ont été employés qu’en tremblant par la médecine, et qu’ils ont conduit au tombeau, avec des douleurs cruelles, tous les malheureux sur lesquels des médecins ignorants ont osé en faire les essais. Vos idées étaient sublimes, sans doute, mais vous avez négligé de les adapter à l’usage et aux mœurs des hommes de ce siècle. Vous avez livré ces remèdes politiques à l’ignorance des peuples dont le gouvernement était vicié, sans prendre la peine de les instruire sur les moyens de les préparer, de les décomposer, de s’en servir sans danger; et votre art empirique a offert à des malades, dont vous n’avez pas étudié le tempérament susceptible d’inflammation, un poison dangereux dont ils ont usé sans mesure et sans ménagements; vous l’avez livié à leur inexpérience, sans vous mettre nullement en peine de ses effets : le peuple s’en est enivré par la plus fâcheuse confiance ; et cYst à vous qui l’avez séduit, qu’on peut faire le reproche que vous adressez aux législateurs qui n’ont point vicié leur ouvrage, mais qui ont administré des remèdes politiques à une nation attaquée dans une longue maladie dont vos rêves séduisants, tout consolants qu’ils étaient pour Je philosophe, devaient augmenter le danger pour des hommes simples et peu éclairés, Le conseil que vous donnez aux représentants de la nation de revenir sur leurs pas , pour toutes les institutions qu’ils ont créées, n’est-il pas encore un remède empirique plus dangereux qui, en paralysant pour quelque temps tous les pouvoirs, en mettant encore en jeu toutes les passions et tous tes intérêts, en ranimant de nouveau les intrigues et )e3 espérances, exposerait aujourd’hui le corps politique à une crise alarmante, qu’il n’est pas en état de soutenir , et le conduirait à la dissolution par les angoisses les plus cruelles ? Et c’est encore ici que j’ai le droit de vous renouveler le reproche de jeter au hasard vos idées conçues, sans doute avec hardiesse, mais exposées sans réflexion et sans vous inquiéter des effets qu’elles doivent, ou du moins quelles peuvent produire. Plus sages que vous ne le croyez, les législateurs n’exposeront pas la nation à d’aussi dangereux essais, n’emploieront pas des remèdes si irritants : ils laisseront le corps politique, dont ils ont assuré la convaleso nce après une longue et terrible maladie, se reposer de la fatigue qu’une si douloureuse crise lui a fait souffrir ; ils donneront le temps à ses organes de se fortifier, à ses mouvements de se régler, à ses facultés physiques de reprendre cet équilibre qui doit faire sa force; ils ont étudié son tempérament; ils reconnaissent que s’il doit être du plus grand danger de changer ses principes régénérateurs et le régime de sa nouvelle Constitution, il est certain aussi que le temps seul et l’expérience peuvent en corriger les imperfections et donner à ceux qui les suivront daos leur glorieuse et pénible carrière les moyens de préparer des remèdes simples, doux, bienfaisants, qui, sans crise, sans commotion, lui assureront une existence heureuse forte et immuable, D’après de telles réflexions, il devient inutile de réfuter, dans tous les détails, les reproches que vous faites à l’ouvrage des représentants de la nation, reproches pleins d’exagerations, de fausses applications et dont il serait bien facile de démontrer l’injustice. Et, fussent-ils aussi fondés que vous osez le prétendre; fût-il aussi juste, que vous le croyez, d’attribuer aux imperfections de la nouvelle Constitution les maux dont vous l’accusez d’être la cause, et qui ne sont, au contraire, que les effets des circonstances fâcheuses qui contrarient, depuis 2 ans, son établissement, j’aurais encore à vous reprocher avec bien plus de fondement, qu’en analysant avec soin les caractères vicieux que vous lui trouvez, aucun moyen de les amender; car je vous ai démontré que celui que vous conseillez, le seul qui vous paraisse salutaire, celui de rétrograder sur tout ce qui s'est fait , de reprendre l’édifice par ses bases, de revenir sur nos pas , est aussi dangereux qu’tl est impraticable, aussi nuisible qu’in-consé ment, aussi effrayant que destructeur, et qu’il nous conduirait certainement à cette cruelle anarchie, par l’effroi de laquelle vous voulez acquérir la funeste célébrité d’avoir entraîné, dans l’espace de 2 ans, le plus bel empire de l’univers, dans les dangers de deux révolutions. Tel est le langage austère de la vertu que j’ose tenir à Thomas Raynal, et que tout citoyen ami de l’ordre et de la paix lui tiendra comme moi ; telles sont les réflexions qu’il aurait dû faire lui-même, avant de s’engager à la démarche indiscrète qu’il s’est permise , en présentant son adresse à l’Assemblée nationale. Quinze mois plus tôt, sans doute, les conseils du célèbre Thomas Raynal eussent été salutaires; ils eussent alors servi de préservatif; ils ne peuvent être employés comme remède. Et qu’il ne vienne pas nous dire qu’il ne pouvait alors prévoir les suites de nos travaux : les principes de notre régénération étaient fixés, les hases étaient posées. Toutes les lois faites depuis n’en sont que les conséquences; il pouvait les calculer; et c’eût élé dans la con Action de ces mêmes lois que sus conseils auraient été accueillis, ses lumières utiles, et qu’elles auraient servi à modifier l’exagération ou l’extension des principes de tous ceux des rep; ésentants de la nation qu’il considère comme ses disciples en philosophie et en législation. Pour quoi donc Thomas Raynal n’a-t-il para sur notre horizon politique qu’au moment où l’Assemblée nationale touchait au terme de ses travaux, lui qui, jusqu’à l’instant où elle s’est constituée, toujours armé du flambeau de la vérité et rayonnant des lumières de la philosophie, avait pris le soin bienfaisant de réformer tous les gouvernements et d’instruire l’univers. Pourquoi, avec une telle tâche à remplir, son génie, qui semble aujourd’hui vouloir jouer un rôle tutélaire, a-t-il donc dormi d’un sommeil léthargique, jusqu’au moment où il se croit obligé d’annoncer, avec une voix effrayante, la mort politique de ce grand Empire, si l’on ne croit pas à ses prétendues vérités. S’il a pu, s’il a dû, il y a longtemps, saisir des circonstances plus favorables au succès de ses remontrances; s’il les a laissées volontairement [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. échapper, sans doute le rôle qu’il vient jouer aujourd’hui ne convenait pas plutôt à sa gloire mal entendue et à ses vues particulières. Peu avant l’époque présente, Mirabeau, qui, bien avant d’être élu député, avait concerté avec lui ses premiers projets ; Mirabeau qui savait son secret politique, et qui, sans doute, connaissait ses manoeuvres préparatoires de la Révolution, vivait encore au commencement d’avril; mais le législateur célèbre, qui a joué le premier rôle dans l’Assemblée nationale, avait, en politique profond, abandonné, depuis longtemps, les systèmes particuliers du ministre, du philosophe son ami et de leurs sectaires; il avait su éclairer sans eux l’opinion de l’Assemblée, de la capitale et du royaume. Thomas Raynal, malgré tout le courage qu’il affecte, n’eut pas osé, pour sa propre gloire, du vivant de Mirabeau, a dresser aux représentants de la nation des reproches aussi amers dont il aurait dû recueillir pour lui sa principale part. Mirabeau n’aurait pas souffert, sans impatience, des conseils qui exposent la France entière à une seconde révolution. L’éloqu1 nce du législateur eût arraché sans ménagement le masque du philosophe; divisés depuis longtemps de projets, Thomas Raynal n’eût pas osé combattre Mirabeau vivant, et l’intérêt de sa réputation, l’amour de la célébrité, et peut-être le succès de quelques nouveaux projets qu’il n’a pas voulu laisser pénétrer, réclamaient de sa sage politique qu’il n’attaquât un tel rival, qu’après sa mort : car, quelle erreur Thomas Raynal peut-il reprocher à l’Assemblée nationale qui ne soit principalement une erreur de Mirabeau. On pourrait prêter les mêmes calculs au ministre ami de Thomas Raynal; en effet, son livre volumineux contre l’Assemblée nationale, et dont l’adresse de Raynal est un petit extrait, n’a paru aussi qu’après la mort de Mirabeau. Se set aient-i Is flattés de gouverner de concert l’opinion publique qui les a si longtemps servis, et de parvenir, en effrayant le peuple français sur l’avenir, en l’irritant contre ses représentants, par déclamations combinées contre leur ouvrage, de diriger irrésistiblement le vœu de la nation vers un changement favorable à leurs anciens projets, et que de nouveaux combats de passion et d’intérêts amèneraient une autre révolution, dont la marche rétrograde serait confiée à leurs soins? Mais le régime des révolutions est trop dangereux sans doute, il coûte trop à l’humanité; il dénature trop le caractère moral des peuples, il égare trop leurs passions; il nuit trop enfin à leur tranquillité, pour que dans l’espoir d’un mieux idéal, et qu’il est presque physiquement, impossible de réaliser, le plus adroit, le plus profond politique puisse le faire a cepter comme un remède nécessaire à un grand Empire, que les suites d’une crise douloureuse exposent encore à des dangers que la prudence seule peut détourner. Et que propose-t-on donc aux législateurs, par cette marche rétrograde, qu’on leur prescrit comme une nécessité absolue, si ce n’est une seconde révolution? Quel moyen prend-on pour la déterminer et la provoquer, si ce n’est celui de là déclaration contre les législateurs, et de la critique la plus sévère contre leur ouvrage et cdntre les lois? Mais, a-t-on su calculer les terribles résultats du choc des opinions vivantes, des passions qui sont en opposition, et les effets que doit nécessairement produire ce mouvement rétrograde, [31 mai '1791.J 667 qu’on veut donner aux travaux presque complets des législateurs? Le génie hardi qui inspire ces déclamateurs, a-t-il pris la peine d’étudier l’esprit national et l’amour idolâtre du peuple Français pour cette liberté, qui lui est d’autant plus chère qu’il sait qu’il l’a conquise, et son inquiète sollicitude pour le maintien absolu d’une Constitution dont il croira toujours que sa liberté dépend, qui flatte son orgueil, exalte son âme? Ou si tous les calculs politiques, si toutes ces combinaisons morales n’ont point frappé le ministre génevois, et le philosophe son ami, voudraient-ils se rendre tous deux garants et responsables des désordres qu’une nouvelle commotion doit faire naître indubitablement dans l’état actuel de licence qu’ils déplore il ; de ce qu’il doit résulter des ressources quais offrent si facilement aux factieux, qui quoique aujourd’hui déjoués, rentreraient bientôt en activité, et des occasions qui se présenteraient bientôt aux ennemis de la patrie, qui s’agitent dans tous les sens et sur tous les points au fanatisme implacable; enfin aux passions irritées qui peuvent, de concert, incendier ce bel Empire et le livrer à la plus cruelle anarchie, à la faveur de laquelle, après avoir consommé toute la masse des maux qui peuvent affliger une nation, le despotisme le plus accablant, du chef de parti le plus coupable, mais le plus heureux, viendrait certainement établir son empire sur les ruines de la liberté? Si toutes ces considérations politiques n’ont point encore frappé ces esprits, plus présomptueux que sages, plus audacieux que prévoyants, plus métaphysiciens que législateurs, qu’ils rentrent un instant en eux-mêmes; qu’ils réfléchissent sur l’état actuel de la France entière, sur les opinions dominantes, sur les formidables. coalisations de ces sociétés politiques qu’ont enfantées l’inquiétude de la Révolution et l’enthousiasme de la liberté; qu’ils veulent bien enfla calculer les effets des conseils qu’ils nous donnent, et les moyens de les mettre à exécution dans ces moments où ils nous présentent une alternative douloureuse; mais qui ne laisse aux législateurs et à leur sagesse qu’un choix en faveur duquel il est bien facile heureusement de se décider. Ah I s’ils aiment sincèrement la patrie, qu’ils se méfient de ces conceptions si hardies qui méprisent les combinaisons politiques, de ces idées métaphysiques qui égarent presque toujours la raison, de cette théorie audacieuse qui contraste toujours avec la pratique; qu’ils jugent de la France et de ses ressources par l’état où elle est et non par ce qu’elle doit être, d’après leurs idées abstraites et leurs sophismes dangereux; qu’ils compatissent aux maux de la nature humaine, aux faiblesses, aux passions, aux erreurs des hommes, aux maladies dont les corps politiques peuvent être atteints; qu’ils instruisent les peuples par des leçons de sagesse, par leur propre intérêt, par la nécessité toujours impérieuse de leur bonheur; qu’ils n’irritent point leurs opinions dominantes, lors surtout qu’elles sont les fruits précoces de leurs ouvrages philosophiques; qu’ils n’essayent pas d’élever le faible génie des hommes et leurs facultés, encore trop bornées, à la hauteur de ces trop sublimes conceptions; et faisant généreusement un retour sur eux-mêmes, qu’ils avouent enfin l’exagération de leurs principes; qu’ils descendent de cette région lumineuse d'où ils planent, depuis si longtemps, sur l’horizon d’un monde idéal, dans 668 [Assemblée nationale.) AHCHIYES PARLEMENTAIRES. [31 mai 1791.) ces contrées souvent ombragées par l’ignorance qu’habite la partie la plus nombreuse et la moins contemplative des humains; et se ru et an t ainsi à leur portée, abjurant ouvertement toute ambition, tout orgueil, toute pas-don, qu’ils apprennent au peuple à être heureux, non en provoquant en lui cet amour inconsidéré et toujours dangereux des changements et des commotions politiques, mais en leur inspirant le respect pour les lois légitimement établies, la religion bien entendue, les bonnes mœurs, le désir de la paix, l’amour de son semblable, la probité, enfin cette unique et sage passion de l’homme de bien, du bon citoyen, qui modifie et règle tous les autres; le pur patriotisme, qui commande tous les sacrifices pour le maintien de l’ordre, de la confiance et de la tranquillité; qui fait aimer toutes les autorités légitimes, et qui se soumet, avec une résignation religieuse aux volontés de l’Être suprême, qui prescrit à tous les mortels l’obéissance aux lois, comme leur premier devoir. C’est sur ces sages principes que doit être composée une adresse, non à l’Assemblée nationale, ni telle que celle de Thomas Raynal, qui ne tend qu’à déprécier, dans l’opinion publique, son ouvrage, puisque le rétablissement de l’ordre si justement désiré, ne peut dépendre que de son heureuse influence sur l’esprit public; mais à tous les Français qui peuvent encore respecter la célébrité de ces philosophes qui ont voulu les éclairer. Puissent-ils, ces auteurs célébrés, user avec sagesse de la confiance de leurs concitoyens; et que Thomas Raynal leur dise enfin, avec le courage et le dévouement d’un homme de bien, qui se voit à la fin d’une brillante carrière : Français, j’ai publié des écrits philosophiques, mais abstraits; ils ont été le fruit d’une longue théorie conçue dans l'étude et dans le silence, dont j’ai cru faussement les principes trop faciles a être appréciés par des hommes trop novices encore dans l’art de les appliquer à leur bonheur. Voué par goût aux sciences métaphysiques, mon génie, facile à s’exalter en faveur de l’humanité, a cru ne devoir respecter aucun des antiques contrats qui formaient les liens des gouvernements, aucune des institutions qui attachaient les citoyens à leur vieille patrie, aucune des autorités qui réclamaient leur obéissance. Les abus des pouvoirs qui, dans tous les Empires, pèsent injustement sur les peuples, m’ont irrité contre l’autorité, et m’ont enflammé pour la liberté, j’ai prêché des. dogmes abstraits, peu à portée encore de l’intelligence des nations, depuis trop longtemps asservies par l’ignorance, les préjugés et les passions. Entraîné par les concepiions hardies que m’inspirait l’amour de la liberté. Je n’ai pas conçu l’idée de préserver les peuples de fa fausse interprétation de mes principes et de leur propre exagération; j’ai cru que la théorie d’un philosophe pouvait s’appliquer à la pratique des gouvernements, et les abstractions du génie aux lois politiques des sociétés. J’ai lancé les traits de mon indignation contre l’autorité arbitraire ou absolue; mais sans réfléchir que la licence pouvait se saisir de ces armes dangereuses que je lui présentais; que le peuple, encore peu versé dans la science de la liberté sociale, pouvait se blesser lui-même dans le premier usage qu’il en ferait; que l’intrigue, la politique, les factions, la trahison, l’hypocrisie pourraient s’en servir contre les citoyens trompés et égarés par leur propre exaltation ; enfin, j’ai conçu l’homme, non tel qu’il est, mais tel que je désirais qu’il fût pour son bonheur; je l’ai pris dans l’état de nature pur et parfait, et non dans l’état malheureusement vicié de la société. Adoptant mes principes, qui n’étaient rigoureusement applicables qu’à l’être pur sortant des mains du Créateur, je n’ai point su les modifier et les mettre à la portée des hommes en faveur desquels je les promulguais. Voilà mes erreurs, l’expérience m’instruit : je les avoue. Une révolution à jamais mémorable m’éclaire à la fin de mes jours ; elle m’apprend à mieux connaître les hommes dont j’ai jugé les facultés intellectuelles, d’après les seules conceptions de mon génie, sans avoir étudié leurs passions, parce que ma tendre sollicitude n’avait envisagé que leurs maux. Mon amour pour l’humanité s’est accru à la vue des erreurs, des excès, des faiblesses même qui gouvernaient les peuples ; j’ai caressé leurs plus chères affections, en offrant à leurs vœux et à leurs espérances l’image de la liberté ; je leur ai indiqué les moyens de la conquérir, sans les préserver des abus de leur conquête ; et les maux que souffrent mes concitoyens et ceux dont ils peuvent être menacés, affligent ma vieillesse qui n’a point affaibli mes tendres affections pour eux, mais dont l’expérience a mûri mes réflexions; et d’après la pureté des sentiments qui m’inspirent, et le patriotisme qui m’anime, je recueille aujourd'hui toutes mes forces pour ajouter à mes ouvrages incomplets, les leçons de sagesse, de modération, de justice et de politique bienfaisante qui manquent à mes écrits ; leçons que j’aurais dû présenter depuis longtemps aux nommes comme la mesure rigoureuse de leur application à mon pays, d’après son étendue, sa population, sa richesse, et à mes concitoyens, d’après leur caractère moral, leur génie et leurs intérêts. Les législateurs de la France ont suppléé, autant qu’ils l’ont pu, à l’iûi perfection de mes systèmes exagérés sur la liberté : ils sont au moment de compléter leur sublime ouvrage. Les orages dont ils ont été sans cesse environnés, altèrent peut-être encore la légitime confiance qui est due à leurs institutions, et c’est l’unique cause des malheurs qui affligent encore ma patrie, suite funeste, mais inévitable du choc terrible des opinions, des intérêts, des passions. Prophète courageux de la liberté, j’ai le bonheur, avant de descendre au tombeau, de la voir naître sur l’horizon où Dieu permet que je respire encore; j’ai la satisfaction, moi qui n’ai cessé de combattre le pouvoir arbitraire, de voir régner en France un roi vertueux qui, le premier, a eu le courage de faire le sacrifice de ses antiques prérogatives royales, aux lois nationales ; qui n’a eu cette ferme volonté que pour le bonheur des Français; qui, désirant être éclairé par la nation, a éloigné pour jamais les coupables intrigues qui repoussaient loin de lui la vérité, en environnant son trône des ténèbres de l’erreur et de l’intérêt; qui n’a vu que des abus dans tout ce qui n’était pas prescrit par la loi, que déprédation dans tout ce qu’on lui demandait, comme munificence, qu’exaction arbitraire et injuste dans tout ce que la cupidité fiscale lui arrachait comme la dette du peuple envers l’Etat ; que vexation arbitraire dans tout ce qu’on cherchait à obtenir de lui à titre de précaution réclamée par la sûreté publique ; qui a appelé [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES; [31 mai 1791-1 069 courageusement la réforme de tous les abus, sans aucun regret pour ses antiques droits et pour ses jouissances personnelles ; qui, comme un rocher inébranlable, au milieu d’une mer orageuse, a résisté, pendant toutes les crises de la Révolution aux inductions dangereuses qui pouvaient compromettre le sort de l’Etat, et le détourner de l’accomplissement de ses vues bienfaisantes ; et qui enfin, par tant de sacrifices et par tous les efforts magnanimes de sa vertu, a mérité l’amour des Français, le respect des philosophes et les hommages de l’univers et de la postérité. Mais comme le dernier souffle de ma vie est à ma patrie et à mes concitoyens, je viens remplir un devoir sacré, en les invitant, pour leur bonheur, à l’oubli absolu des haines politiques, à la confiance envers les législateurs, au respect pour tous les pouvoirs constitutionnels, à l’exacte obéissance aux lois ; eu leur recommandant les sentiments d’humanité, sans lesquels nulle société ne peut exister, nul bonheur ne peut être durable ; et la tolérance paisible et respectueuse des opinions sur lesquelles le régime de la liberté ne peut exercer des persécutions sans se rendre coupable des crimes du despotisme; en les rappelant enfin à l’idée si consolante et régénératrice de toutes les vertus, qui offre sans cesse aux vœux de tous les mortels, la justice, la protection, la bienfaisance de l’être suprême qui veille sur les destinées des Empires, et qui seul peut assurer et perpétuer leur bonheur. Puissent mes concitoyens, dociles à la voix d’un vieil ami de la liberté, oublier les premiers égarements de son génie, pour ne se rappeler que ses dernières leçons ; et prophétisant aujourd’hui la prospérité immuable de ma patrie, comme j’ai osé annoncer la conquête de sa liberté, si, dans les derniers jours de ma vie, je vois sa félicité se réaliser, j’oserai me glorifier d’y avoir contribué, et, satisfait d’en jouir un instant, mes yeux se fermeront sans remords et sans regrets, en contemplant l’aurore de cette liberté qui va régner dans l’univers ; et j’entrerai dans la nuit de l’éternité, avec cette joie pure, la seule dont mon cœur puisse s’enivrer, qu’inspire le sentiment du vrai patriotisme, à la vue du bonheur à jamais durable de ses concitoyens. Telles auraient dû être, Raynal, vos dernières paroles. C’est par ces vérités réelles, toujours utiles, jamais abstraites, que vous auriez préparé les douces jouissances des bienfaits de la Constitution ; qu’usant avec sagesse de votre célébrité, vous auri' z pu inspirer des sentiments que la pure morale de la vertu et la politique des âmes honnêtes doivent sans cesse prêcher. Il vous eut resté encore assez de temps à vivre, pour voir naître les beaux jours de la régénération de votre patrie et en calculer l’immense durée ; et si Dieu, qui vous réservait peut-être une aussi douce jouissance, vous eut alors appelé dans le séjour de l’éternité, la reconnaissance de tous les Français vous y aurait accompagné et aurait accordé à vos cendres les honneurs immortels qui sont dus à votre génie, et qu’auraient encore mieux mérités votre patriotisme et ses bienfaits. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. MERLIN, EX-PRÉSIDENT. Séance du mardi 31 mai 1791, au soir (1). La séance est ouverte à six heures du soir. Les membres composant les six tribunaux criminels établis à Paris par la loi du 44 mars 1791, sont admis à la barre . Ce sont : MM. Cahouet, Cousin, Thirria, Le Maître, Gosnard Salladin, Eude, Petil, Roussel, Huran, d’Obsen, Aubert, Grandidier.Dugué, Boucher, de Plane, Boulanger, Lorrin, Brière, Pioche, Allou, Sellier, Robert, Sallé, Fouénet-üubourg, Pelletier, Pulleu, Marquis, Bidault, d’Herbetot, Gusnier, Piot, Moreau, Huilliard, Le Tavernier, Grangier, Legendre, Chalumeau, Silly, Poullin, Hua. L’un d’entre eux prend la parole et dit : « Messieurs, l’état effrayant des prisons de Paris vous a déterminés à demander des juges aux départements voisins. Convoqués par la loi du 14 mars, nous sommes venus pour donner à la justice une activité nécessaire, pour arrêter les désordres du crime par l’application prompte et rigoureuse des lois. Cependant les lois n’auront point repris leur vigueur, la justice n’aura pas recouvré son empire, si vous ne levez les obstacles qui nous entravent, qui nous arrêtent à chaque pas. « Daignez nous entendre avec attention; car ce sont des motifs graves qui nous animent, et c’est sur le salut public que vous allez prononcer. « Nous avons à juger douze ou quinze cents procès, dont l’instruction est plus ou moins avancée. Vos décrets n’ont point été rigoureusement suivis ; ici, les adjoints ont signé l’information et chaque déposition de l’information, mais ils n’en ont pas exactement coté et signé toutes les pages ; là, il n’est pas dit que leurs signatures aient été données à l’instant même et sans désemparer ; tantôt on a omis de déclarer à l’adjoint les noms du plaignant et de l’accusé ; tantôt on ne l’a point averti de l’obligation dans laquelle il est de se récuser, au cas prévu par la loi. On a même constamment omis de nommer les adjoints qui ont signé l’ordonnance sur la plainte et les actes subséquents. Ges vices se reproduisent, ou dans la plainte, ou dans l’information, ou dans le décret. Enfin, il n’y a peut-être pas une procédure qui ne porte, pour ainsi dire, avec elle son germe de mort, sa nullité. « Dans cette position, que doivent faire des juges qui révèrent la loi, mais qui aiment le bien public, le but essentiel de toutes les lois ? Faut-il prononcer généralement toutes les nullités? C’est, en d’autres termes et dans la circonstance particulière où nous sommes, anéantir toutes les procédures qui existent depuis dix-huit mois, effacer les preuves de tous les crimes, entasser, refouler dans les prisons les malheureux dont elles regorgent et qu’elles peuvent à peine contenir ; c’est dire que, pendant six mois, il y aura des juges, mais point de justice, ou que la justice laborieusement occupée à recomposer ses formes, aura négligé pour longtemps le moyen de justifier, et perdu pour toujours le moyen de condamner et de punir. . (1) Cette séance est incomplète au Moniteur ,