250 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 juillet 1789.] Thomassin est à genoux d’un côté, les députés y sont de l’autre-, c’est dans cette attitude suppliante que nous demandons inutilement la vie de la malheureuse victime. On le conduit au pied d’un mur où sont fichés des anneaux pour attacher des bêtes de somme. Thoraassin y est attaché; dans cet intervalle on va chercher la potence et le confesseur. C’est là l’heureux événement qui l’a sauvé. Les habitants de Poissy écoulent les cris de leur conscience, ils s’intimident, le remords les saisit, ils ne veulent pas que le crime souille leur ville; les habitants de Saint-Germain et de Poissy se divisent; Thomassin se réfugie dans la prison. La discorde augmente, et Ton consent que Thomassin parte avec nous, mais en nousisommant de le remettre dans les mains de la justice, en nous menaçant de nous pendre nous-mêmes s’il n’était pas exécuté. Une pareille menace ne nous épouvante pas; Thomassin monte dans la voiture de M. de Chartres, et c’est à ce prélat qu’il doit la vie; c’est à son éloquence persuasive que nous devons la victoire que nous avons remportée sur des furieux. A peine sommes-nous en marche, que l’on nous épouvante, que l’on nous fait craindre que le peuple ne tire sur la voiture de M. l’évêque de Chartres. Plusieurs habitants de Poissy nous accompagnent et nous font prendre par des chemins détournés, pour éviter Saint-Germain. Après une marche très-lente, très-pénible, et surtout après bien des alarmes, et non pas sans des rencontres de quelques femmes qui voulaient nous accabler de pierres, nous sommes enfin arrivés à Versailles. Nous avons été déposer Thomassin à la prison; le juge a été appelé, et nous y avons fait notre déclaration. A peine avions-nous terminé cette opération, que quelques furieux sans armes sont venus nous trouver pour nous rappeler notre parole et nous sommer de la tenir. Nous leur avons fait donner un extrait de notre déclaration, en les assurant que la justice allait en décider. M. Camus dépose un extrait des minutes du greffe de la prévôté de l’hôtel du Roi, et grande prévôté de France, au siège de Versailles. Cette pièce est ainsi conçue : « L’anmil sept cent quatre-vingt-neuf, le samedi dix-huit juillet, six heures et demie du soir, sont comparus en la Chambre du Conseil de la prévôté de l’hôtel, sise à Versailles, enclos de la geôle, et par-devant nous Claude-Joseph Clos, chevalier, conseiller d’Etat, lieutenant général civil, criminel et de police de ladite prévôté de l’hôtel assisté de notre greffier en chef, III. et Rév. seigneur, Mgr Jean-Baptiste-Joseph de Lubersac, évêque de Chartres ; messire Jean-Baptiste Massieu, curé de Sergy, près Pontoise ; messire Louis-Charles de Latouche, capitaine des vaisseaux du Roi, et chancelier de S. À. S. Mgr le duc d’Orléans; messire Edme de Rancourt de Villiers, écuyer; messire François Peteau de Maulette, chevalier de Saint-Louis ; Me Armand-Gaston Camus, ancien avocat au Parlement, et de l’Académie des inscriptions et belles-lettres; Me Marin-Gabriel-Louis -François Périer, avocat en Parlement, ancien notaire au Châtelet de Paris, et Me Augustin Ulry( avocat du Roi au bailliage royal de Bar-fe-Duc, tous députés à l’Assemblée nationale, lesquels nous ont fait la déclaration suivante : ;que ce matin, à l’ouverture de la séance, il a été exposé par M. Périer qu’il y avait émeute à Saint-Germain-en-Laye , contre plusieurs fermiers accusés d’avoir accaparé et emmagasiné des grains ; que dans le cours de cette émeute, le sieur Sauvage avait été massacré sur la place publique dudit Saint-Germain, et que, suivant les avis qu’il venait de recevoir, la vie du sieur Thomassin, fermier à Puiseux, près Pontoise, était actuellement dans le danger le .plus imminent; sur quoi lesdits sieurs comparants, et avec eux MM. Ghoppier, curé de Flins; Schrnits, avocat à Château-Salins ; Hell, avocat, procureur-syndic de l’Assemblée provinciale d’Alsace, et Millon de Montherlant, avocat à Beauvais, pareillement membres de l’Assemblée nationale, ont demandé à ladite Assemblée qu’elle les autorisât à se transporter à Saint-Germain, pour apaiser, s’il était possible, le trouble qui paraissait y exister, et sauver la vie au sieur Thomassin, en le remettant entre les mains de la justice; qu’étant arrivés à Saint-Germain sur les onze heures et demie, ils ont appris que ledit sieur Thomassin était actuellement à Poissy, où ils se sont transportés; qu’y étant arrivés sur le midi, ils ont été à la prison, où on leur avait dit que le sieur Thomassin était renfermé, et à la porte de laquelle ils ont trouvé un grand nombre d’hommes, dont la plupart étaient armés, et de femmes, lesquels hommes et femmes on leur a dit être partis de Poissy, de Saint-Germain, et des environs, qui demandaient que ledit sieur Thomassin leur fût livré, pour être à l’instant pendu; qu’ils sont entrés dans la geôle, ont trouvé dans l’escalier plusieurs personnes armées; que s’étant assemblés dans la salle d’audience, après avoir délibéré sur ce qui était à faire, ils se sont rendus dans la rue à la porte de la prison, où M. l’évêque de Chartres a fait au peuple les discours les plus pathétiques, pour le calmer et apaiser sa fureur, en demandant que le sieur Thomassin fût remis entre les mains de la justice, pour lui faire son procès; et se flattant de l’avoir calmé, ils se sont retirés dans la salle d’audience, où ledit sieur Thomassin a été conduit, et M. l’évêque de Chartres, M. de Villiers et M. Périer se sont retirés avec lui en la Chambre du conseil; après quoi les sieurs comparants et leurs collègues sont descendus une seconde fois dans la rue, les clameurs ayant repris avec plus de fureur que précédemment; cependant M. l’évêque de Chartres ayant parlé de nouveau au peuple, et plusieurs des comparants s’étant répandus dans la foule, ils se flattaient d’avoir obtenu un sursis de deux jours ; qu’en conséquence, ils se retiraient vers la porte de la ville, lorsqu’on vint leur annoncer que le sieur Thomassin venait d’être arraché de sa prison, et qu’on le traînait dans la place publique pour y être pendu ; les comparants et leurs collègues s’ôtant aussitôt jetés dans la foule, ont vu le sieur Thomassin qui avait les mains liées, et que l’on traînait à la mort ; qu’ils se sont précipités à genoux aux pieds du peuple, pour demander qu’il fût livré à la justice, et qu’au moins on lui accordât un délai de vingt-quatre heures; maisils ont été refusés, avec menaces d’attenter à leur propre vie. Le sieur Thomassin a été conduit au pied d’un mur, et l’on s’apprêtait à le pendre : le peuple, à cet effet, avait mandé le curé de la ville, pour le confesser. Ledit sieur Thomassin, les comparants, et leurs collègues, avaient été forcés par le peuple de se retirer , il ne leur était resté d’autres ressources que de conjurer les {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 juillet 1789,] 251 gens de Poissy, les larmes aux yeux, d’épargner la vie d’un homme qui n’était pas jugé coupable, lorsqu’un des habitants de Poissy, s’est écrié : ne souillons point notre ville d’un crime aussi horrible; cependant plusieurs autres qui étaient près des portes de la ville se préparaient à fermer les barrières, pour tomber en colonne sur les habitants de Saint-Germain, et invitaient plusieurs des comparants de se mettre à leur tête, lorsqu’on leur a représenté qu’ils avaient à craindre une représaille terrible; et que dans la nuit, des habitants dudit lieu de Saint-Germain pourraient venir en force, pour mettre tout à feu et à sang dans leur ville ; que celte considération les a retenus, et les barrières presque fermées, ont été ouvertes. Pendant ce moment de tumulte, le sieur Thomassin a pris la fuite, et s’est réfugié dans la prison. Les comparants et leurs collègues, en ayant été avertis, se sont reportés à l’entrée de la prison, où les habitants de Poissy ayant exigé, avec de grandes clameurs, que le procès fût fait au sieur Thomassin, ont enfin consenti de le remettre entre les mains de M. l’évêque de Chartres et de ses collègues, pour être transporté dans les prisons de Versailles. M. l’évêque de Chartres, et plusieurs des sieurs comparants, étant montés dans la prison, ont emmené le sieur Thomassin, qui a été placé dans la voiture de M. l’évêque de Chartres, et à côté de lui , qu'il était alors trois heures ; qu’aussitôt M. l’évêque de Chartres est parti avec ceux des comparants qui étaient dans sa voiture, suivis d’environ trente personnes armées, et qui les ont conduits par des routes détournées jusqu’auprès de Roquen-court, où ils se sont retirés, pour retournera Poissy; et que plusieurs desdits comparants, qui étaient dans d’autres voitures, se sont en allés de Poissy par la ville de Saint-Germain, où le corps municipal les attendait, pour conférer sur la manière de rétablir le calme, d’où lesdits sieurs comparants se sont rendus, comme dit est, èn ladite Chambre du Conseil à Versailles, pour y faire la présente déclaration, laquelle a été rédigée en la présence de M. le marquis de Tourzel, grand prévôt de France, lesdits jours, lieu et an que dessus ; et ont lesdits sieurs comparants signé avec nous et notre greffier. Signé sur la minute, J. -B. deLubersac, évêque de Chartres, le comte de Latoucbe, de Rancourt de Villiers, le chevalier de Maulette, Massieu, curé de Sergy, Camus, Périer, Ulry, Gros, et Tertre, greftier. « Signé TERTRE. » « Délivré par nous greffier en chef de la prévôté de l’hôtel, soussigné, conforme à la minute étant en nos mains. "à Versailles, ce dix-neuf juillet mil sept cent quatre-vingt-neuf. « Signé TERTRE. » M. Goupil de Préfeln. A Rome on décernait une couronne civique à celui qui avait sauvé la vie à un citoyen ; je demande que l’Assemblée vote des remercîme'nts à M. de Lubersac, évêque de Chartres et aux autres députés. — L’Assemblée applaudit unanimement à cette proposition. M. le Président est chargé de remercier, au nom de l’Assemblée, M. l’évêque de Chartres et les autres députés, et de donner les éloges mérités à leur zèle intrépide et à leur dévouement généreux. M. Camus avait passé un fait très-étonnant, et un membre en a fait part. La multitude s’est plainte de ce que l’Assemblée voulait sauver Tho-massin en faveur de ses richesses. L’Assemblée, méprisant cette vile calomnie, passe à l’ordre du jour. On reprend, la discussion sur le rapport fait il y a quelques jours par M. Merlin sur la députation et les pouvoirs de MM. les évêques d'Ypres et de Tournay. Plusieurs membres soutiennent la validité de leur élection. M. Simon de Voel la défend par des faits historiques, par des principes du droit public et féodal, concernant les pairies, et par une ordonnance du royaume donnée sous François Ier en faveur des habitants de la Flandre. M. Bouche. Ces deux députés n’étant point habitants ni naturels français, prêtant un serment à un souverain étranger, et ne le prêtant qu’à lui, ne doivent et ne peuvent pas être admis à l’Assemblée des représentants de la nation pour coopérer à des lois qui ne seraient pas obligatoires pour eux. Après une discussion assez longue, on va aux voix : 408 voix contre 288 prononcent l’exclusion de ces deux évêques. M. le premier pr sident du grand Conseil fait demander d'être introduit dans l'Assemblée , pour parler au nom de sa compagnie et présenter un arrêté. Il s’élève des débats sur la manière dont il convient dé le recevoir. M. Bouche. Ce magistrat ne pouvant parler que comme député d’un corps, il doit être debout et découvert. M. Fréteau. Quand un individu se présente devant l’Assemblée nationale, il paraît devant ses législateurs, et doit y être dans une altitude qui exprime le respect ; mais des grands corps de magistrature qui représentent le Roi méritent quelques égards de plus que de simples individus. Il est arrêté que le premier président parlera debout, et qu’ensuite on lui offrira un siège à la droite et au-dessous du président de l’Assemblée. M. de Faucresson, président du grand Conseil, est introduit, et après avoir déposé sur le bureau un arrêté de sa compagnie, il dit. Messieurs, le grand Conseil m’ayant chargé de porter au Roi les témoignages de sa reconnaissance pour les preuves que Sa Majesté vient de donner à son peuple, de sa sensibilité, de sa confiance et de son amour, on m’a imposé l’honorable devoir de remettre aux représentants de la nation l’arrêté que la compagnie a pris à ce sujet. Quel nouvel ordre de choses et de prospérités, Messieurs, ne nous annonce pas la déclaration vraiment paternelle que le Roi a faite au milieu de vous, qu’il ne veut plus faire qu’un avec la nation ! Cette prospérité nous est donc assurée, puisque nous l’attendons du concours de cette auguste Assemblée, du zèle patriotique qui l’anime ; zèle dont l’heureux effet a été de faire succéder presqu’en un instant, et comme par un espèce de prodige, la confiance et le calme au plus effrayant orage. M. le Président à l'orateur. L’Assemblée nationale reçoit avec plaisir, Monsieur, les témoi-