776 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [U décembre 1789.] produit de la contribution des ci-devant privilégiés, pour les six derniers mois de cette année, et dénonce à l’Assemblée nationale la coupe blanche du bois de haute futaie, situé dans ladite communauté, dépendant de l’abbaye de Ville-Dieu; elle prend des mesures pour empêcher l’enlèvement du bois encore non exporté. Adresse du même genre de la communauté de Marsolan , sénéchaussée de Condom; elle ratifie l’abandon de tous ses privilèges , et donne à ses députés des pouvoirs illimités ; elle supplie l’Assemblée de préférer la ville de Condom à celle d’Auch et d’Agen pour y établir l'administration de département. Adresse de la ville d’Exmes en Normandie, contenant l’expression des sentiments de respect et d’amour de ses habitants pour le Roi-, elle fonde ses espérances de bonheur sur l’union intime qui existe entre l’Assemblée nationale et le monarque; elle demande avec instance la conservation de son bailliage royal, assurant que c’est le seul moyen de faire subsister ses habitants. Adresse de la ville et communauté du Croisic en Bretagne , qui adhère à tous les décrets de l’ Assemblée nationale; annonce qu’elle avait fait parmi les habitants une souscription qui avait produit une somme de 1,160 livres, destinée d’abord aux besoins de l’Etat; que d’après des lettres pressantes qu’ils ont reçues du contrôleur général des finances et de l’intendant de la province, pour les engager à procurer des travaux et du pain aux ouvriers pendant l’hiver, ils prient l’Assemblée de permettre que la destination première de cette somme soit changée et appliquée à des ateliers de charité. Adresse de la commune de Caudebec qui, dirigée par les principes du plus pur patriotisme, exprime à l’Assemblée nationale sa plus respectueuse adhésion aux décrets rendus et à rendre et l’assure en outre de son empressement à exécuter ses lois. On donne lecture de la lettre suivante adressée à M. le président par les comédiens français : « Paris, ce 24 décembre 1789. « Monseigneur, les comédiens français ordinaires du Roi, occupant le théâtre de la Nation, organes et dépositaires des chefs-d’œuvre dramatiques, qui sont l’ornement et l’honneur de la scène française, osent vous supplier de vouloir bien calmer leur inquiétude. « Instruits par la voix publique qu’il a été élevé, dans quelques opinions prononcées dans l’Assemblée nationale, des doutes sur la légitimité de leur état, ils vous supplient, Monseigneur, de vouloir bien les instruire si l’Assemblée a décrélé quelque chose sur cet objet, et si elle a déclaré leur état incompatible avec l’admission aux emplois et la participation aux droits de citoyen. Des hommes honnêtes peuvent braver un préjugé que la loi désavoue ; mais personne ne peut braver un décret, ni même le silence de l’Assemblée nationale sur son état. « Les comédiens français, dont vous avez daigné agréer l’hommage et le don patriotique, vous réitèrent, Monseigneur, et à l’auguste Assemblée, le vœu le plus formel ne n’employer jamais leurs talents que d’une manière digne de citoyens français, et ils s’estimeraient heureux si la législation, réformant les abus qui peuvent s’être glissés sur le théâtre, daignait se saisir d’un instrument d’influence sur les mœurs et sur l’opinion publique. « Nous sommes, etc., Les comédiens français ordinaires du Roi. « Signé : DaziNCOURT, secrétaire. » M. l’abbé Maury se plaint de ce que les comédiens ont écrit à M. le président. Il dit qu’il est de la dernière indécence que des comédiens \ se donnent la licence d’avoir une correspondance directe avec l’Assemblée. M. le Président rappelle formellement à l’ordre M. l’abbé Maury. M. l’abbé Maury. Nos séances sont publiques; demain vingt journalistes en rendront peut-être un compte infidèle. Eh bien ! je n’ai point à me rétracter, mais à expliquer ce que j’ai dit. Je ne me suis pas plaint de ce que les comédiens avaient écrit à M. le président; j’ai seulement observé qu’ils pouvaient se passer de lui écrire, pour savoir s’il y avait un décret pour ou contre eux; c’est sur cette ignorance affectée de leur part que portent mes réflexions. Il s’élève un grand tumulte et des réclamations de la part d’une partie de l’Assemblée, sur la question de savoir si M. le président peut rappeler M. l’abbé Maury à l’ordre ; mais cette affaire n’a aucune suite. L’Assemblée décide ensuite que la lettre des comédiens ne sera pas transcrite au procès-verbal ainsi que le demandaient plusieurs membres. M. le Président annonce que M. le garde des sceaux vient de lui envoyer un mémoire sur le décret de 1 Assemblée concernant le prévôt général de Provence d’où il résulte que ce prévôt n’a manqué à aucun de ses devoirs de citoyen et de juge. L’Assemblée renvoie ce mémoire au comité des rapports et met l’affaire de Toulon à son ordre du jour de ce soir. M. le Président présente à l’Assemblée l’expédition sur parchemin de la proclamation du Roi sur le décret de l’Assemblée nationale pour la constitution des municipalités et de l’instruction sur leur formation ; il a de plus annoncé que Sa Majesté donnerait incessamment des lettres patentes sur le même objet, à l’effet d’ordonner la transcription du décret sur les registres des tribunaux et des municipalités, ainsi que son exécution dans tout le royaume. M. le marquis de Foucault-Ijardinalie. Je propose à l’Assemblée de prendre deux jours de vacances outre le dimanche et le jour de Noël. (Cette proposition mise aux voix est rejetée.) M. de Fumel. Je demande que l’Assemblée reprenne immédiatement la suite de son ordre du jour. M. le comte de Mirabeau. Je fais la motion expresse de décider que dans tout appel nominal chaque membre soit tenu de rester en séance jusqu’à la fin de l’appel, et que pendant les séances publiques il ne puisse y avoir ni réunion de comité, ni conférence particulière. M. le marquis de Foucault. J’adopte la motion du préopinant à la condition de nommer 777 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 décembre 1789.] un comité qui, aux termes de nos cahiers, présentera à l’Assemblée le terme de la législature actuelle. La motion de M. de Mirabeau est ajournée après le moment où l’on aura terminé la circonscription des départements et des districts qui obligent les députés des différentes provinces à se réunir encore pendant quelques jours pour accélérer ce travail. La demande faite pour que les décrets de l’Assemblée fussent envoyés à MM. les curés de Paris, à l’effet de les publier au prône de leurs paroisses, est renvoyée aux quatre commissaires chargés de veiller à l’exécution de ces décrets. M. le Président. L’Assemblée passe à son ordre du jour et reprend la discussion de la motion concernant l’admission des non catholiques à toutes les fonctions municipales et provinciales et à tous les emplois civils et militaires. M. Hell, député de Haguenau et Wissembourg. Messieurs, voici un extrait des cahiers dont je suis porteur (1). « Art. 39. Que le3 juifs contribueront à toutes les impositions à l’instar des autres habitants ; qu’ils ne feront plus corps, qu’ils n’auront plus de syndics ni d’agents, ni d’autres tribunaux que ceux des chrétiens; enfin, qu’ils ne pourront se marier que sur la permission des états provinciaux, laquelle permission sera gratuite et ne pourra être accordée que dans les cas prévus parle règlement que feront lesdits états, dans la vue de réduire une population devenue déjà trop onéreuse à la province. « Art. 40. Que les juifs ne pourront contracter avec les chrétiens que pour argent comptant, sous peine de nullité de tous contrats ou actes obligatoires, sans préjudice aux billets de commerce entre négociants ; que les créances que les juifs ont sur les Alsaciens, soient converties en constitution de rente. » Messieurs, je vais puiser dans le projet de rè-leinent, sur les lettres patentes du 10 juillet 784, enregistrées au conseil souverain d’Alsace, le 26 août de la même année, que j’ai été chargé par arrêté de la commission intermédiaire de cette province, du 22 janvier 1788, de rédiger, et que je lui ai présenté le 10 mars suivant (2). Je vais puiser, dis-je, dans ce projet, et vous exposer ce que je crois le plus propre à faire participer cette nation malheureuse au bonheur que vous assurez à la France. Je vous supplie, Messieurs, de me permettre de commencer par poser quelques-unes des bases sur lesquelles je fonde l’opinion dont j’ai toujours été pénétré. Les siècles d’ignorance, les temps malheureux (1) L’opinion de M. Hell n’a pas été insérée à vl Moniteur. (2) Le 11 octobre 1788, la commission intermédiaire d’Alsace a fait passer des copies de ce projet aux six districts de la province, qui l’ont approuvé. Le 15 décembre, M. H... en a donné copie aux préposés des juifs, en les invitant de lui fournir leurs observations... Ils ne lui ont rien réponrlu. Le 11 mars 1789, M. H... en a donné copie à M. le maréchal de Stenville, commandant pour lors en Alsace. La déclaration des droits de l’homme étant depuis venue au secours de tous ceux qui sont dans l’oppression, le plus grand nombre des articles de ce projet tombe avec les lettres patentes du 10 juillet 1784. et l'intérêt particulier, ont enfanté des privilèges et des exemptions de corps, de congrégations ou d’ordres, qui ont fait connaître que dans un même empire il ne doit y avoir aucune réunion d’hommes qui aient un régime et des juges autres que ceux de l’Etat, et que tout ce qui tend à isoler ou à distinguer de certaines classes d’hommes est contraire à la félicité publique. Toutes les fois que des hommes qui ne s’occupent ni de la production, ni de la façon d’aucune denrée, et qui ne vivent que dans l’intérêt de leur argent, se multiplient au point d’acquérir des créau ces assez considérables sur la classe productive, pour que ses denrées et son travail ne puissent plus suffire a ses charges et à son entretien, leurs bras s’énervent, leur nombre diminue, et l’économie rurale va en dépérissant vers la révolution inévitable qui doit la régé-géner. Cette révolution est accélérée par l’usure et la chicane, lorsque le laboureur n’est plus en état de s’en préserver, ou que le gouvernement ne l’en préserve pas (1). Sous peu il est réduit à abandonner ses biens, et le créancier, devenu propriétaire des terres, devient cultivateur, s’il est en état d’exercer cet art précieux. Quoique ce changement de propriétaire paraisse indifférent à l’Etat, la gradation qui l’amène est très-funeste à l’agriculture, surtout lorsque le créancier ne peut prendre la charrue qu’il arrache des mains de son débiteur. C’est ce qui arrive lorsque le créancier est juif; car les juifs ne peuvent pas encore devenir cultivateurs en grand parmi nous. Esclaves de leurs fêtes, et forcés d’observer les nôtres, les jours ouvrables qui leur restent sont insuffisants pour un peuple agricole. L’observance machinale et superstitieuse du sabbat et de leurs fêtes (2), est un obstacle qui ne sera surmonté que lorsque la raison les éclairera, et lorsqu’ils seront dépouillés des malheureux préjugés et des pratiques religieuses indifférentes au culte. Plus il serait dangereux pour l’Alsace et pour les juifs eux-mêmes de les déclarer dès à présent habiles à parvenir à toutes les places, plus l’Assemblée doit prendre de soins à les y préparer (3). Ils sont hommes, ils doivent jouir des droits de l’homme; ils s’en rendront dignes si vous leur en décrétez l’espérance. Les prophéties n’arrêtent pas mon opinion ; je croirais blasphémer l’Etre suprême, si je disais quelajustice divine poursuit tous les descendants (1) Voyez ce que je dis de la chicane, dans mon projet de réforme de l’administration de la justice, imprimé chez Knapen. (2) 11 y a longtemps que je propose aux juifs de faire un changement dans leur almanach. Il faut espérer que la saine philosophie et le désir de se réunir sincèrement à nous, les engageront à porter leur sabbat sur le dimanche, et leurs fêtes sur les nôtres, qu’il nous imiteront en ne conservant qu’un très-petit nombre de fêtes ; qu’ils remplaceront par une morale pure tout le mécanisme servile de leur culte, et par un régime utile, leur nullité absolue pendant le quart de l’année, et qu’ils sentiront que Româ, Romano opportet vivere more. (3) Si dès à présent les juifs étaient déclarés éligibles à toutes les places, ils forceraient leurs débiteurs de leur donner leurs voix, et de les mettre à la tête de l’administration de tous les lieux qu’ils habitent en Alsace : l’humanité les y appelle, mais l’humanité exige qu’ils soient mis en état de remplir dignement ces places, et la prudence, que les préjugés ne soient pas heurtés de front.