40 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 novembre 1789.] calmes, à une législature moins traversée, des représentations qui seront toujours entendues; et qu’ils se gardent bien, pour des intérêts qu’ils s’exagèrent peut-être, et pour leur avantage particulier, de troubler l’organisation générale, et de s’exposer à en perdre eux-mêmes les fruits. Tel est cependant l’avantage de la nouvelle division, qu’il n’est point de ville un peu importante, qui n’y ait obtenu quelque administration, ou qui n’ait ‘lieu d’espérer quelque établissement propre à réveiller son activité. Quatre-vingt-cinq villes porteront incontestablement le titre de chefs-lieux de département. Les localités ou l’égalité des avantages feront peut-être accorder à quelques autres la faculté d’alterner. La liberté de ne pas placer les autres établissements dans les mêmes lieux, appellera plusieurs villes à les recevoir. Cinq ou six cents autres villes moins importantes, deviendront chefs lieux de district ; quelques autres recevront des sièges de justice ; les communautés réunies en cantons auront vraisemblablement des juges de paix ; et l’administration et les lois faisant couler leur influence jusque dans les campagnes, tous les citoyens utiles qui les cultivent, s’apercevront qu’ils ont été l’objet de l’attention de l’Assemblée, et que c’est d’eux précisément qu’on a voulu se rapprocher. Peuples, jetez les yeux derrière vous, rappelez-vous ce que vous étiez naguère, et voyez si vous voulez profiter' des avantages qu’on vous destine ; et jugez ceux qui, par des insinuations artificieuses, chercheraient à vous en priver 1 4e ANNEXE. Opinion de M. le duc d’ Aiguillon sur l’affaire de la Chambre des vacations du parlement de Rouen (1). Messieurs, avant d’examiner le parti que doit prendre l’Assemblée dansl’affaire qui nousoccupe, il me semble qu’il faut se rendre un compte exact des faits. Lundi dernier, M. le président reçut une lettre de M. le garde des sceaux, qui, de la part du Roi, rendait compte à l’Assemblée que la Chambre des vacations du parlement de Rouen, en enregistrant notre décret relatif aux parlements, s’était permis des expressions peu convenables ; que le Roi avait sur-le-champ assemblé son conseil et cassé l’arrêté de la Chambre des vacations. L’Assemblée désira le connaître : M. le président le demanda à M. le garde des sceaux. Ce ministre, pendant la durée de la même séance, l’envoya à M. le président. La lecture en fut faite, et l’on peut dire qu’il excita une juste indignation dans tous les bons esprits. La discussion fut commencée sur le parti que devait prendre l’Assemblée en cette circonstance, et fut continuée au lendemain. Elle fut reprise en effet le mardi. Elle dura longtemps ; ceux qui voulurent parler furent entendus : on écouta quelques magistrats du (1) Cette opinion n’a pu être prononcée. Au milieu du tumulte qui agitait les esprits, j’ai demandé vingt fois la parole sans pouvoir être entendu. Malheureusement je n’ai point été le seul à subir la rigueur de l’Assemblée. Beaucoup de ses membres avaient certainement de meilleures choses à dire que moi; mais ainsi que moi, ils n’ont pu se faire entendre. Je crois en conséquence devoir rendre compte au public et surtout à mes commettants, de mon opinion sur une affaire qui me semble importante. (Note de M. le duc d' Aiguillon.) parlement de Rouen. Enfin l’Assemblée nationale décréta « que le Roi serait remercié ; que l’arrêté de la Chambre des vacations du parlement de Rouen serait envoyé au tribunal chargé de poursuivra les crimes de lèse-nation, pour le procès être fait aux magistrats auteurs d’un tel arrêté; que le Roi serait supplié de nommer une autre Chambre des vacations à Rouen, afin que le cours de la justice ne fût pas interrompu. » Je ne me rappelle pas précisément, Messieurs, les termes du décret de l’Assemblée; mais il me semble qu’on y trouve des expressions qui indiquent combien vous avez cru coupables les magistrats du parlement de Rouen, qui composaient la Chambre des vacations. Aujourd’hui, Messieurs, vous venez de recevoir une lettre du Roi, qui contient de nouvelles assurances de la confiance de Sa Majesté pour l’Assemblée; qui vous annonce qu’il a nommé une autre Chambre des vacations à Rouen, et vous invite, en vous assurant que l’arrêté des magistrats du parlement de Rouen n’a pas été publié, à user, en cette occasion, de clémence et d’indulgence. Je ne suis point étonné de l’elfet que la lecture de cette lettre a produit parmi vous. Vos sentiments pour la personne du Roi, le premier mouvement de l’humanité, le bonheur de pouvoir faire grâce, ont excité en vous un enthousiasme bien naturel et que tous les membres de cette Assemblée ont partagé ; mais devons-nous nous abandonner à ce premier mouvement? devons-nous suivre cette impulsion? Législateurs impassibles, la voix de l’indulgence doit-elle dicter nos décrets? je ne le pense pas, Messieurs; un devoir rigoureux nous commande, nous devons lui obéir sans réserve. Je crois que nous écarter, dans ce moment, d’un de nos décrets, d’une de nos résolutions les plus sages, ce serait compromettre notre caractère et transgresser tous nos pouvoirs. Je vais entreprendre de le prouver. Personne ne peut nier que pour suivre en cette circonstance les projets de décret proposés par plusieurs honorables membres de cette Assemblée, il faut revenir sur vos pas, il faut détruire par un décret contraire celui que vous avez rendu avant-hier, et cela vous est impossible, Messieurs. Vous avez déjà décidé que, dans le cours de cette session, aucune de vos décisions ne pourrait être annulée par une décision opposée. Votre marche est donc invariablement tracée; vous ne pouvez en cette occasion ni revenir sur une résolution déjà prise, ni en éluder l’effet. Gela me paraît démontré jusqu’à l’évidence et je ne m’étendrai point sur un principe que je regarde comme incontestable. Mais en supposant que vous pussiez revenir sur vos décrets précédents, n’y aurait-il pas un danger évident aie faire? Ne serait-il pas possible que les ennemis du bien public (et malheureusement il en est encore beaucoup) , abusassent de cette dangereuse facilité pour jeter quelques doutes sur les lois sages que vous avez faites, et dont l’immuable consistance peut seule assurer le bonheur de la patrie Cette considération est d’un grand poids, et je vous prie, Messieurs, de la peser aans votre sagesse. Je suppose pour un moment, et que vous puissiez altérer vos décrets, et qu’il n’y ait aucun inconvénient à le faire, il me semble que dans cette circonstance vous ne le pouvez sans compromettre votre caractère de représentants de la nation, et sans passer les bornes de votre pouvoir. En effet, de quoi est-il question dans ce moment? Des magistrats sont prévenus d’un crime de lèse- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 novembre 1789.] 41 nation ; vous les avez renvoyés au tribunal que vous avez commis pour rendre ces jugements. Jusque-là vous avez rempli strictement les fonctions qui vous appartiennent. Vous êtes (passez-moi l’expression, je n’en connais point d’autre pour rendre cette idée), vous êtes les procureurs généraux de la nation. Obligés de poursuivre en son nom ceux qui se rendent coupables envers elle, votre devoir est de nommer un tribunal pour examiner leur délit, et de les y poursuivre. On vous demande aujourd’hui de leur faire grâce; vous ne le pouvez point. Ministres rigoureux de la loi, vous devez la faire exécuter dans sa sévérité, et la natio i entière réclamerait contre une clémence nuisible à ses intéièts. D’ailleurs, il faut le dire, personne n’a le droit d’user d’indulgence pour les criminels de lèse-nation . Le pouvoir exécutif n'en a pas la faculté ; et vous-mêmes, Messieurs, ne l’avez pas davantage. La nation entière, si elle pouvait s’assembler, aurait seule le droit suprême de pardonner les injures qui lui sont faites. Ce raisonnement me paraît tellement évident, qu’il me semble impossible de l’éluder. Un honorable membre nous a dit qu’au mois de juillet dernier l’Assemblée avait demandé grâce au Roi pour quelques coupables; que celle grâce avait été accordée; que dans ce moment il était juste que l’Assemblée accordât celle que demandait le Roi. Ce raisonnement me paraît plus spécieux que solide. Pour s’en convaincre, il faut se rappeler les faits. L’Assemblée nationale demanda, au mois de juillet dernier, au Roi la grâce de quelques citoyens qui avaient forcé les prisons de l’abbaye Saint-Germain. Je n’examine point si cette démarche de l’Assemblée, dictée par son humanité, était conforme aux principes austères qui doivent guider sa conduite; mais enfin, le crime de cette insurrection populaire ne fut point considéré comme un crime de lèse-nation ; et, soit que vous attribuiez ou non, à l’avenir, au pouvoir exécutif le droit de faire grâce sur les délits ordinaires, certainement le Roi en avait alors le pouvoir. Dans ce moment il s’agit d’un forfait national; et, dans mon opinion, il me semble que ni Sa Majesté, ni l’Assemblée nationale, ne peuvent user d’indulgence. L’évidence de ces faits, étayée de raisons qui me paraissent invincibles, me déterminent à répéter que l’argument par lequel on a cherché à émouvoir votre sensibilité, me semble plus spécieux que solide. Il me reste encore à entretenir l’Assemblée d’une considération bien importante. Le peuple a toujours dit, pendant que l’aristocratie pesait sur sa tête, que les petits coupables étaient seuls punis, et que les grands échappaient à la rigueur des lois. 11 a bé«ni la sagesse de vos décrets, qui rétablissaient parmi les hommes cette heureuse égalité de droits que Je despotisme des monarques, l’ascendant de leurs ministres, la puissance des corps privilégiés, l’abus de pouvoir des corps de magistrats, avaient anéantie. Rendez donc au peuple cette justice impartiale, que vous lui devez : qu’aucun rang, qu’aucune place ne dérobent un coupable à la sévérité des lois, et affermissez, par un grand exemple, la plus sage, la plus consolante de vos résolutions, celle qui décrète la précieuse égalité des droits de tous les hommes. Enfin, Messieurs, il faut le dire, prenons garde que les ennemis du bien public n’essayent en ce moment, en voulant ravir à la classe la plus nombreuse des citoyens, la consolation de voir que la justice est rendue à tous sans distinction, n’essayent dis-je, de l’indisposer contre vos résolutions. Rien n’est aussi important que cette réflexion, et je prie l’Assemblée nationale d’y apporter l’attention la plus sérieuse. On nous parle toujours, Messieurs, de complots contre la félicité publique. Aucune preuve ne nous est encore offerte; mais il est difficile de nier la vraisemblance de pareils attentats. Peut-être l’affaire que vous avez renvoyée avant-hier au tribunal chargé des crimes de lèse-nation, portera quelque lumière dans ce labyrinthe inextricable de complots, de forfaits et d’atrocités? Je l’ignore; mais cette supposition peut se présenter à l’esprit de tout homme raisonnable, et vous ne devez pas, ce me semble, laisser échapper un des fils qui peuvent guider votre comité des recherches, dans les poursuites que vous lui avez ordonné de faire. Je ne répondrai point, Messieurs, à l’objection qui vous a été soumise, que l’arrêté de la Chambre des vacations de Rouen n’avait aucune publicité. Il est vrai qu’il n’a point été envoyé dans les bailliages du ressort de ce parlement, mais il a été lu deux fois dans l’Assemblée nationale ; la France entière en a connaissance, elle n’ignore pas combien ses expression sont coupables, sout incendiaires : elle sait qu’il a été marqué du sceau de votre réprobation ; ainsi l’on ne peut avancer que cet arrêté n’a aucune publicité. N’usons pas d’un subterfugeaussi vain. Employons toujours les lumières de la raison, et non les fausses lueurs des sophismes, Je me résume donc, Messieurs : il me semble (et c’est avec regret, mais la sévérité des principes m’en fait une loi), il me semble que vous ne pouvez point user d’indulgence dans cette occasion, sans manquer à ce que vous prescrit l’intérêt de la nation ; que vous ne pouvez point exercer l’acte de clémence qui vous est demandé, sans manquer à vos devoirs; enfin, que vous n’avez ni ne pouvez avoir le droit de faire grâce pour les crimes de lèse-nation. En conséquence, je suis d’avis que M. le président se retire par-devers le Roi, pour assurer Sa Majesté du regret de l’Assemblée nationale, de ne pouvoir obéir à la voix bienfaisante du monarque, et accorder la grâce qu’il sollicite ; mais que la rigueur des devoirs, la sévérité des principes des représentants de la nation, les empêchent de se livrer à l’indulgence, et les forcent de n’écouter que la justice. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. THOURET. Séance du vendredi 13 novembre 1789 (1). La séance est ouverte par la lecture du procès-verbal de la veille. M. Bouche. Je demandeque ma motion tendant à faire écouter les députés des provinces sur la division du royaume, soit mentionnée au procès-verbal. Un membre : La motion ne doit pas être insérée au procès-verbal parce qu’elle a été rejetée. M. Boy. Je réclame contre le procès-verbal en (1) Cette séance est fort incomplète au Moniteur..,