218 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [S août 1*791.] sur les formes d’après lesquelles l’acte constitutionnel, aussitôt qu’il aura été définitivement décrété, sera présenté, au nom du peuple français, à l’examen le plus indépendant, et à l’acceptation la plus libre du roi. » (Ce décret est adopté.) M. le Président annonce l’ordre du jour de la séance de demain. La séance est levée à trois heures et demie. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU VENDREDI 5 AOUT 1791. OBSERVATIONS de M. Bonchotte, député à l'Assemblée nationale , sur la nécessité de joindre deux titres à la Constitution : l'un sur l'état des personnes; l’autre sur le culte religieux. J’admire le travail des rédacteurs du projet de la Constitution française; mais après l’avoir examiné et lui avoir rendu justice, je me suis dit que le comité, en vous proposant de revenir sur quelques articles déjà décrétés, et notamment sur les conditions de l’éligibiité, auraitpu vous proposer également l'addition de deux titres qui m’ont paru bien intéressants. Le premier eût fixé l’état des personnes. Le second eût traité du culte religieux. Je rapporterai succinctement les causes sur lesquelles je fonde mon opinion ; et j’oserai offrir un projet de ces deux titres. Si mes motifs sont trouvés justes, il ne sera question que de savoir si quelque membre n’a pas de rédaction, préférable à proposer, et je me féliciterai de lui avoir fourni l’occasion de la présenter. DE L’ÉTAT DES PERSONNES. L’état des personnes est la première partie du droit de chaque nation. Les principes qui fixent l’état des personnes ont été pour plusieurs peuples, une véritable Constitution. C’est effectivement, non seulement, l’existence civile et politique dii citoyen, mais c’est principalement son existence domestique qui forme la Constitution d’un Etat libre. Vous avez bien ôté aux ministres et aux exécuteurs des ordres arbitraires, le droit de disposer des personnes; mais vous n’avez rien fait et vous n’avez donné à chaque citoyen le droit de disposer de lui-même d’une manière conforme à l’intérêt de société. Ce ne sont point des lois que je propose de faire, ce sont des principes inhérents à votre Constitution que je vous propose de décréter. Le droit de disposerde sa personneestlepremier des droits de l’homme, soit qu’il soit parfaitement libre, soit qu’il soit en société. Le citoyen ne peut être gêné dans l’exercice de ce droit, que lorsque le mode d’en user est nuisible à la société. Les bases générales de cette partie du droit tiennent essentiellement à la Constitution. Il est donc à désirer que l’Assemblée nationale constituante les fixe C’est pour le bonheur du genre humain que les régi s du droit ont été créées. Les lois ne traitent des choses que relativement aux personnes; elles ne traitent des actes par lesquels les hommes s’engagent entre eux, que relativement aux promesses etauxehoses; et quand elles s’occupent de ces dernières, l’intérêt des personnes est le seul qu’elles doivent envisager. Ces bases posées, les Assemblées législatives qui nous succéderont, dicteront les lois qui doivent faire le complément du bonheur des Français, que vous avez fondé. Mais s’il était possible que vous laissiez à ces Assemblées législatives, le droit de disposer des personnes, sous le prétexte de lois qui les auraient pour objet, craignez, Messieurs, que ce portique de la législation ne sape la véritable liberté, celle que le citoyen doit respirer dans ses foyers, celle qui augmentera son goût pour la liberté que vous lui avez créée. Et si vous prenez ce parti, quel embarras pour vos successeurs? Les lois à faire sur les successions, les testaments, les donations, seront-elles assises sur le principe que tous les enfants sont égaux entre eux, ou qu’il est libre au père de détruire cette égalité ? Les lois à réformer sur la faculté d’exhéréder conserveront-elles le principe, que les enfants majeurs qui se sont mariés sans le consentement de leur père et mère, sont dans le cas de l’exhérédation, parce qu’ils ont épousé une femme ou un mari d’une famille moins illustre, ou parce qu’ils ont préféré une alliance vertueuse et pauvre à celle que l’avarice de leurs parents leur offrait ? Les lois sur les conventions matrimoniales, sur la dissolution de la communauté entre époux, sur les douaires, les préciputs, etc., demandent pour préliminaire indispensable que vous décidiez si le divorce sera remis en usage, d’après les lois civiles qui l’établirent ; lois en vigueur pendant 12 siècles du christianisme; lois qui n’ont jamais été révoquées. Cette question décidée lixera l’opinion des législatures suivantes sur ces questions secondaires qui lui resteront à décider : comment l’adultère sera-t-il puni? Qui accusera de ce délit? Quelles sont les autres causes de dissolution du mariage? La séparation de corps ne doit-elle pas être prescrite comme impoliiique et immorale ? j’ajouterai de plus comme illégale? Les lois qui doivent réformer celles relatives aux secondes noces, attendent également la décision, de cette première question, pour que les prochaines législatures déterminent si les noces sub-équentes au divorce seront plus ou moins favorisées que celles qui suivent la mort de l’un des conjoints. Des droits des maris et des femmes, je passerai à ceux des pères et mères et des enfants. Que de lois à faire sur cette matière ! Existe-t-il une puissance paternelle que des enfants mal instruits s’entendront dire avoir été anéantie par vos décrets? Laissez, laissez aux législatures qui vous suivront, le soin de faire les lois pour fixer l’exercice de cette jouissance, mais dites qu'elle existe, et que le code des droits de l’homme contienne encore cette moralité. Légitimez les enfants qui ne sont pas cause du vice de leur naissance, et que le préjugé n’ose plus prétendre, que de ce que vous n’avez pas prononcé pour eux, vous avez laissé subsister [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 août 1791.] gjQ les lois qui leur étaient contraires et que vous n’avez pas abolies nommément. Que vos successeurs fixent le mode de l’adoption, mais en décrétant qu’elle pourra être mise en usage par celui dont les fils sont morts au service de la patrie, par celui qui aura sacrifié au service public la jeunesse qui lui promettait une postérité, faites de cette institution une récompense à laquelle applaudisse même la famille du père adoptif. Comparez les inconvénients d’une majorité trop tôt accordée, trop tard refusée, surtout pour le sexe, et fixez l’époque à laquelle le majeur pourra disposer de sa personne, et les moyens par lesquels le mineur pourra disposer de la sienne pour le bonheur de la société. Tels sont, Messieurs, les motifs d’après lesquels j’ose vous présenter le premier titre de l’état des personnes. TITRE. De l'état des personnes. Les principes d’après lesquels doivent être rédigées les lois qui restreigent le droit que chacun a de disposer de sa personne tiennent à la Constitution française. L’état des personnes peut être considéré sous les différents rapports : 1° Des maris et de leurs femmes; 2° Des pères et mères et de leurs enfants ; 3° Des majeurs et des mineurs. Chapitre Ier. Des maris et des femmes. ARTICLES PROPOSÉS. Art. lor. Le mariage est un contrat naturel, soumis aux lois civiles (t). Il ne peut se dissoudre que par le divorce ou le veuvage (2). Art. 2. Nul engagement particulier ne peut priver les veufs ou les divorcés de recourir à des noces subséquentes (1). La loi qui les leur interdirait serait tyrannique et contraire à la Constitution. Art. 3. Nulle possession, nul emploi, nul état ou fonction publique (1), ne peut ôter à un citoyen le droit naturel et inaliénable de contracter mariage. Art. 4. La puissance maritale doit être établie, fixée et bornée par la loi de l’Etat. Art. 5. Dans nos lois, la condition des femmes doit être égale à celle des hommes (1), autant que le permet la différence des sexes (2). Art. 6. Les noces contractées d’après les lois, attestent quel est le père des enfants procréés pendant que le mariage subsiste (*). OBSERVATIONS. (1) Cette définition répond à toutes les objections tirées des extravagantes distinctions adoptées dans les écoles de théologie. (2) Matrimonium autem dissolvitur aut divorcio aut morte. Droit Romain. (1) L’article de la Constitution, qui ne reconnaît plus de vœux, est aussi sage que celui que je propose, mais celui-ci est aussi nécessaire que l’était le premier. (1) D’estimables auteurs ont déjà prouvé que l’ordination des prêtres catholiques ne pouvait les soumettre à un célibat dangereux sous tous les rapports. Si cette puissance n’était pas bien réglée, elle serait la pire de toutes les tyrannies. (1) Les lois romaines portent au contraire, « dans nos lois, la condition des femmes n’est pas égale à celle des hommes » ; et Saint-Cré-goirede Nazianze disait, avec raison, à ce sujet : « Ceux qui ont fait cette loi étaient des hommes; voilà pourquoi ils l’ont faite contre la femme ». (2) Cet amendement est peut-être nécessaire pour expliquer la différence des droits politiques des deux sexes, et pour ne pas contrarier la loi naturelle d’après laquelle le mari est le chef de la famille. {*) Si vous n’admettez le divorce comme les Romains l’avaient admis, cette loi, tirée de leur code, sera absurde dans le vôtre. Car, l’enfant né après 10 ans de séparation absolue, serait encore celui du mari.