104 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1791. Section Y. De la réunion des représentants en Convention nationale. « Les nouveaux représentants nommés dans chaque département pour former la Convention se réuniront au Corps législatif dans le lieu de ses séances le 8 du mois de juillet. « Le président du Corps législatif quittera le fauteuil, et tous les représentants réunis se formeront provisoirement sous la présidence du doyen d’âge, pour vérifier seulement les pouvoirs des représentants additionnels. « Au 14 juillet, quel que soit le nombre des membres présents, ils se constitueront en Convention nationale. « Les représentants prononceront tous ensemble, au nom du peuple français, le serment de vivre libre ou mourir. « Ils prêteront ensuite individuellement serment de maintenir de tout leur pouvoir les bases fondamentales de la Constitution du royaume, décrétée par l’Assemblée constituante aux années 1789, 1790 et 1791, de ne porter aucune atteinte à la distribution des pouvoirs publics , et de se borner à statuer sur les objets énoncés dans Vacte proclamé par l’Assemblée législative (de telle année). « La Convention nationale entrera dés lors en pleine activité. « Elle ne sera réputée Convention que dans les actes relatifs à l’objet de son rassemblement. « Ils seront acceptés par le roi purement et simplement. « Mais tous les actes de pure législation qu’elle pourrait faire pondant la durée de son exercice, sont soumis à la sanction. « La Convention nationale ne peut se prolonger au delà du terme désigné pour le retour de lu législature. « Mais elle peut se dissoudre avant cette époque, aussitôt qu’elle a rempli l’objet de sa mission. « Dans ce cas, les représentants additionnels se retirent et le Corps législatif se remet au même état qu’il était le jour de la réunion. Section VI et dernière. De la réunion des représentants en Corps constituant. « Les nouveaux représentants nommés dans chaque département pour former le corps constituant, se réuniront au Gorps législatif dans le lieu de ses séances le 8 du mois de juillet. « La vérification des pouvoirs des représentants additionnels, sera faite de la manière indiquée dans la section précédente. « Au 14 juillet, quel que soit le nombre des membres présents, ils se déclareront Assemblée nationale constituante. « L'Assemblée nationale constituante aux années 1789, 1790 et 1791, déclare qu’ici est le terme de sa prévoyance et la fin de ses pouvoirs. Le corps constituant ne peut prendre de règles que de lui-même, elle n’a rien à lui prescrire ; il trouvera tout dans cette devise qu’elle lui transmet : égalité, vivre libre ou mourir. » {Applaudissements répétés.) M. I�avie. Ce discours me paraît digne de l’ami de Mirabeau ; j’en demande l’impression. (Oui! oui!) (L’Assemblée, consultée, ordonne à l’unanimité l’impression du discours de M. Frochot.) M. Salle. Messieurs, nous sommes au moment de Unir, et jamais nous n’avons eu plus besoin de sagesse. L’impatience nous presse vers le but ; le dégoût des longues discussions, le besoin d’établir enfin notre ouvrage, tout tënd à nous détourner d’une méditation abstraite et difficile : et cependant ce qui nous reste à faire exige les plus savantes combinaisons ; jamais question plus délicate ne s’est présentée dans cette Assemblée. L’édifice est élevé , mais il faut en poser le faîte, et les longs travaux de l’architecte ne l’excuseront pas s’il ne couronne dignement son ouvrage. Faut-il donner à la nation des moyens constitutionnels pour avoir quand elle voudra des conventions nationales? Quels doivent être ces moyens? Tels sont les deux problèmes qu’il s’agit de résoudre. Si je ne consultais, Messieurs, que mon amour pour la Constitution ; si je m’en rapportais à cette voix intérieure qui me pénètre de respect et d’admiration pour l’ouvrage de l’Assemblée nationale, je n’hésiterais pas; je me dirais : « Cet ouvrage est fondé sur la nature; il doit durer autant qu’elle. Au lieu de chercher des moyens propres à changer un jour cette Constitution sublime, environnons-la plutôt d’une triple enceinte, éloignons d’elle les novateurs. Occupons-nous à la faire aimer de ceux qui s’obstinent à la méconnaître, et répondons surtout à ceux d’entre nous qui, ayant eu taDt de part à son établissement, ont aujourd’hui la coupable imprudence de la calomnier, parce que quelques décrets leur déplaisent ; répondons-leur, dis-je, en la jurant de nouveau, et terminons ainsi notre ouvrage. » Mais, Messieurs, c’est d’après les principes qu’il faut nous conduire, et la Constitution elle-même nous en fait un devoir. Rien de contradictoire ne doit la souiller ; et s’il découle de sa nature même qu’elle puisse être un jour légalement réformée, il importe de le prononcer, quelles que soient nos affections paticulières, car la vérité vaut encore mieux qu’elles. Le premier point qui se présente à examiner, c’est de savoir quel peut être le pouvoir d’une Convention nationale. Deux systèmes sont proposés : les uns, effrayés des secousses que peut donner à l’Etat un corps constituant investi de la plénitude de la souveraineté, demandent qu’une Convention nationale ne puisse jamais être chargée de revoir la Constitution dans son entier, mais seulement d’en corriger les points défectueux qui leur seront indiqués dans des mandats spéciaux ; les autres prétendent que cette forme est destructive de toute délégation de pouvoir et de toute réforme raisonnable ; qu’une Convention nationale, en un mot, est et doit être un corps constituant avec des pouvoirs illimités. Le premier système est séduisant : il offre un moyen terme propre à flatter les esprits modérés. On aime à prévoir que, si des réformes sont nécessaires, ce ne sera pas du moins au milieu d’une destruction générale qu’elles s’opéreront; et ce sentiment si naturel aux amis de la paix se renforce encore de tous ceux qu’ont fait naître en nous les circonstances actuelles. Mais, quand on examine froidement ce système, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1791.] 105 on trouve qu’il n’est plus soutenable. Tous les arguments victorieux faits à Versailles contre les mandats impératifs se reproduisent pour l’anéantir. Le résultat d’une délibération peut-il être prévu et posé avant d’avoir délibéré? Une section du peuple, sans communiquer avec le reste de la nation, décidera-t-elle, en connaissance de cause, que la Constitution est bonne à l’exception de tels ou tels points? Quel embarras d’ailleurs ce système ne jetterait-il pas dans les assemblées élémentaires? Avant de donner le mandat spécial, il faudrait le discuter : il faudrait savoir si le point qu’on trouve défectueux l’est par lui-même ou par ses rapports avec le système entier de la Constitution. De telles discussions peuvent-elles convenir au peuple? Le système qui les appellerait ne serait-il pas destructeur de la Constitution elle-même ? La délibération doit être laissée au corps qui se forme au centre, et c’est pour cela que ce corps doit avoir une faculté illimitée. En effet, je suppose que ce corps délibérant soit gêné dans son action ; qu’on lui ait donné, par exemple, le mandat spécial d’examiner la loi du marc d’argent. La première vérité qu’il aurait reconnue, c’est que cette loi n’était mauvaise que par ses rapports avec le système entier de la représentation nationale; ainsi donc avec un mandat spécial, une Convention nationale, dans l’impossibilité de changer ce système dans son entier, n’aurait pas pu toucher à la loi du marc d’argent. Mais supposons cependant que le mandat ait été étendu à cet égard, et que le corps délibérant ait établi les mêmes bases que vient d’adopter l’Assemblée elle-même ; ne sera-t-il pas possible de penser encore que la Convention nationale aurait pu reconnaître que ces nouvelles lois m’étaient plus en concordance avec le reste de la Constitution ? et, par exemple, avec la loi de la non-rééligibilité; que pouvaient donner des députés plus instruits peut-être, mais sans responsabilité personnelle, il était devenu nécessaire pour les avoir purs, qu’ils ne pussent être élus même à deux législatures de suite. Ainsi, la Convention se trouvant de nouveau liée par son mandat, s’il lui eût été démontré qu’elle ne pouvait établir une loi sans l’autre, elle se serait vue forcée une seconde fois d’abandonner son ouvrage. Il est aisé de sentir jusqu'où ce raisonnement peut être porté : la difficulté se réduit en entier à ce qu’une bonne Constitution forme un tout dont les parties se correspondant. Si un des principaux points porte à faux, tout ce qui lui est subordonné marche irrégulièrement; et cependant le peuple, qui n’est touché que par les derniers résultats, ne remonte pas à la source du mal. S’il lui est donné d’indiquer impérativement h s points défectueux, il s’arrêtera à ce qui frappera ses sens et empêchera ainsi lui-même la réforme qu’il désire ; semblables à ces médecins ignorants qui s’arrêtent aux symptômes, et appliquent à l’extérieur des palliatifs, lorsque le siège du mal est au cœur, et que la masse des humeurs est corrompue. L’hérédité du trône, par exemple, est suivant moi, la loi la plus sage parmi nous. Cependant cette opinion à laquelle je suis inviolablement attaché peut n'être qu’une erreur : il se peut que nulle forme d’administration ne soit capable d’en détourner les inconvénients et de rendre en effet cette loi salutaire. Or, dans le système des mandats spéciaux, qu’arriverait-il ? C’est que le peuple, ne pouvant combiner des conceptions aussi abstraites et remonter jusqu’aux conséquences de la loi de l’hérédité du trône, demanderait sans cesse que les institutions qui le touchent immédiatement, c’est-à-dire que les tribunaux, les municipalités, les départements fussent perfectionnés ; et s’il arrivait qu’une Convention nationale se démontrât à elle-même que ces institutions sont bonnes, qu’elles ne sont énervées que par la seule loi de l’hérédité du trône, elle serait cependant enrayée et il lui serait interdit de faire le bien de son pays. Ce n’est pas tout, Messieurs, et les réflexions qui me restent à vous présenter sont d’une bien plus haute importance. Nous devons prévoir que la Constitution se dépravera, c’est-à-dire qu’il s’introduira des abus dans le sein des autorités constituées. Si le système des mandats spéciaux prévalait, une Convention nationale pourrait doue être un jour formée uniquement pour réformer ces abus. Eh bien, Messieurs, je dis qu’avec de telles limitations une Convention nationale ne réformerait rien. Imaginez le ministère , par exemple, luttant d'autorité avec cette Convention nationale, usant du droit de gouverner qui lui serait laissé, pour susciter, dans tous les points de l’Empire, des résistances à une réforme partielle ; disputant à la Convention sa compétence, lorsque, pour établir sou ouvrage, elle croirait devoir recourir, suivant les circonstances, à quelques moyens d’exécution. En effet, si un pouvoir s’est corrompu , il faut que le souverain, pour le réformer, puisse le rappeler à sa source et le départir de nouveau ; mais s’il n’a pu se corrompre sans se liguer plus ou moins directement avec tous les autres (chose qui doit toujours être, puisque l'administration est essentiellement une) de quelle force, de quel moyen coactif sera donc investie cette Convention, limitée par ses mandats, pour rétablir l’ordre, régénérer les pouvoirs, et, s’il le faut, chasser les administrateurs mêmes ? La souveraineté est entière, ou elle est nulle ; carie système qu’elle doit établir, réformer ou conserver, est un et indivisible. L’Assemblée nationale ne l’a que trop éprouvé elle-même. Elle a délégué, par exemple, à des tribunaux le droit de punir les ennemis de la souveraineté nationale dont elle est investie ; elle a, de cette manière, posé elle-même une limite à son pouvoir. Eh bien, cette seule délégation a pensé la renverser. Sans l’opinion publique, plus forte que les prévarications du Châtelet, l’Assemblée nationale n’existe-raii plus. La souveraineté ne peut être limitée que parla nature des choses, parce qu’en effet c’est pour ordonner les choses suivant leurs convenances naturelles qu’elle existe : la moindre portion de pouvoir qui lui échapperait lui serait bientôt supérieure : il faudrait qu’elle puisse dominer jusqu’aux opinions même, non pas les opinions des citoyens, mais celles des autorités constituées, attendu qu’elle ne peut établir de bonnes institutions avec de mauvais instruments. Une dernière considération non moins importante qu’il me reste à vous présenter, c’est que dans le système des mandats spéciaux, la Convention nationale est forcée de laisser exister en même temps qu’elle l’Assemblée législative, et c’est en effet le plan des comités. Or, je ne connais rien de plus funeste que cette existence simultanée des 2 Assemblées nationales. Que de troubles, que de factions un tel ordre de choses ne pourrait-il pas engendrer! |00 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1791. Une Assemblée nationale n’existe que pour déclarer la volonté de la nation : elle a, dans le corps politique, la faculté de vouloir. Cette faculté peut-elle se diviser? Je ne le crois pas. Je conçois que celle d’agir peut se déléguer à des agents divers, et nous en avons l’exemple dans notre gouvernement; mais, je l'ai déjà dit, la faculté de vouloir est essentiellement une et indivisible. Cette difficulté se lèverait peut-être si les lois constitutionnelles pouvaient se distinguer très exactement des lois réglementaires ; mais l’Assemblée vient d’éprouver cette impossibilité : eh bien, Messieurs, cette difficulté insoluble entraînerait les plus terribles conséquences. Des disputes de compétence s’élèveraient bientôt entre les 2 Assemblées. La Convention nationale, qui, par sa délégation, aurait toujours nécessairement le droit de rappeler à l’esprit de leur institution les pouvoirs constitués, prétendrait, par exemple, que telle ou telle loi réglementaire, faite par l’Assemblée législative, touche la Constitution en quelques points ; elle voudrait la rétablir dans ses limites. L’Assemblée législative, de son côté, non seulement la taxerait d’incompétence, mais elle réclamerait même la confection des lois qui se déduiraient des points constitutionnels réformés par la Convention ; elle lui disputerait peut-être le droit d’en tirer les conséquences les plus immédiates. Je demande quel serait ie résultat de ces interminables disputes. Il me paraît naturel que l’opinion publique, pour faire finir cette lutte, se rangerait du parti de la Convention nationale : car ce serait un pouvoir nouveau, et la nouveauté aura encore longtemps son prix parmi nous. D’ailleurs, malgré la limitation de son attribution, la supériorité dont elle sera investie dans les points qui lui compé-teront, lui donnera tous les moyens pour dominer absolument ; elle finira donc par subordonner, dans toutes les rencontres, la puissance de la législature à la sienne. Quelle sera maintenant la manière dont elle exercera sa domination? Ce sera, Messieurs, en arrêtant l’activité de la législature, c’est-à-dire qu’elle appliquera un veto absolu sur ses décrets. Dans cet état de choses, c’est-à-dire lorsque cette Assemblée de révision se trouvera investie de l’opinion publique, et surtout si elle n’est que le tiers de l’Assemblée législative, et qu’elle puisse conséquemment être précipitée dans sa marche par tous les moyens de corruption et de séduction : qu’arrivera-t-il? Le voici, Messieurs, c’est que la forme du gouvernement se trouvera changée avant peu. En effet, le peuple, qui se sera passionné pour ce nouveau pouvoir, dira : « La principale tâché d’une Assemblée de révision est de remettre les pouvoirs constitués dans l’ordre que leur assigne la Constitution; mais la nature des choses, en l’absence de cette autorité, entraînera sans cesse les pouvoirs hors des limites ; et cependant lorsque cernai aura cru, il sera bien plus difficile à guérir : il vaut mieux le prévenir que d’avoir à le réprimer. Eh bien, que l’Assemblée de révision soit permanente, qu’elle délibère librement les décrets de l’Assemblée législative, qu’elle ait le droit de les arrêter par un veto , qu’elle veille sans cesse à ce que celle-ci ne fasse aucune entreprise sur la Constitution, nous serons dispensés d’employer des formes lentes et douteuses pour la créer quand il en sera besoin. » Un tel raisonnement, Messieurs, et vous le voyez assez, conduirait rapidement à l’institution des deux Chambres. Je ne dirai pas que ce soit là l’intention secrète des comités; je ne puis cependant m’empêcher d’observer que leur assemblée de révision, formée dans la proportion du sénat de M. Mounier, serait très propre, par l’activité de ses délibérations et l’intensité de son pouvoir, à déterminer un pareil changement. Ajoutons qu’au désir si naturel à tout corps politique d’augmenter son pouvoir et de perpétuer son existence, se joindraient l’activité malfaisante, les intrigues, les séductions, tous les moyens enfin que pourrait employer une faction humiliée qui médite hautement la destruction de nos droits, qui soupire après ses vains privilèges, et qui saisirait avidement, n’en doutons pas, l’occasion d’introduire dans l’Etat ce germe funeste d’inégalité pour le cultiver au gré de son orgueil et de toutes ses passions. Qui sait même, si vous adoptiez une assemblée quelconque de révision, dont l’existence fût simultanée avec celle de l’Assemblée législative, qui sait si quelque officieux opinant, zélateur des principes des comités et partisan des dis tinctions chevaleresques, ne se hâterait pas de venir à cette tribune établir ces conséquences, et s’il n’aurait pas l’impudeur de vous proposer de les établir vous-mêmes en loi dès aujourd’hui? A la vérité, votre décret de l’unité de Chambre s’y opposerait; mais ces conséquences peuvent, suivant moi, se déduire si naturellement du plan des comités, et l’on vous a tant tourmentés déjà pour revenir sur vos décrets qu’on pourrait bien faire encore cette tentative. Je conclus qu’une Convention nationale ne doit être gênée par aucun mandat spécial, qu’elle doit être constituante, c’est-à-dire qu’elle doit être investie de la plénitude de sa souveraineté. Si ma conséquence est juste, les amis de la paix qui craindront les effets d’une aussi terrible autorité, regretteront peut-être qu’il soit fait mention . des Conventions nationales dans la Constitution, dans la crainte d’en voir un jour quelqu’une se former, et j’avoue que leurs appréhensions ne sont pas sans fondement. En effet, quoi de plus terrible qu’un corps investi d’un pouvoir sans limite? Si ie peuple pouvait se réunir et faire sa Constitution lui-même, il ne serait pas exposé à perdre ses droits; mais des représentants qui peuvent prévariquer et que rien ne contient !... Un tel état de choses dispose nécessairement le peuple aux insurrections et donne aux factieux toutes les chances en leur faveur. Cet argument, Messieurs, que je ne me dissimule pas, quelque puissant qu’il soit, s’anéantit pour moi devant les principes; et d’abord j’observe que si, nous avons préféré les avantages d’un vaste Empire, d’une immense réunion de force et de volonté, si le besoin d’obtenir ces avantages nous a fait une loi d’établir une constitution représentative, nous avons dû nous soumettre à en supporter les inconvénients; et, par exemple, nous devons souffrir toutes les conséquences de l’hérédité du trône et de l’inviolabilité du monarque, parce qu’un trône héréditaire et un roi inviolable sont nécessaires à cet ordre de choses. Avons-nous le droit de refuser à la nation des Conventions nationales? Voilà le véritable point de la question. Or, je soutiens que l’Assemblée n’a pas ce droit. La nation est souveraine, avons-nous dit. Eh bien, Messieurs, si nous voulons être conséquents, il faut que la nation puisse exercer sa souveraineté ; autrement le décret qui l’a reconnue serait dérisoire* Dire à quelqu’un : [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [31 août 1791.] vous pouvez vouloir souverainement, et cependant j’enchaîne votre volonté, ou, ce qui est la même chose, je lui refuse tout moyen d’agir : c’est faire une absurdité. Mais, dira-t-on, la nation exerce sa souveraineté tous les deux ans dans les assemblées primaires; cela serait vrai si une législature émit en effet souveraine, mais les comités sont aujourd’hui revenus de cette erreur. Une législature est un pouvoir constitué, une pièce principale du gouvernement : sa puissance est plutôt de surveillance que d’action ; elle est une espèce de magistrature. Or, de la même manière que la nation n’exerce pas sa souveraineté en élisant, dans ses assemblées primaires, ses juges de j)aix qui sont aussi des pouvoirs constitués; de même aussi, elle n’est pas souveraine en élisant une législature; et, en effet, les assemblées primaires n’existent que par l’étendue du pouvoir qu’elhs délèguent; or, le pouvoir qu’elles délèguent tons les deux ans est limité, et la souveraineté ne peut pas l’être. Il n’y a de souveraiu qu’une convention nationale; les assemblées primaires n’existent comme éléments du souverain que quand elles sont autorisées par la loi à nommer le corps politique qui va exercer, au nom de la nation, la souveraineté, c’est-à-dire la plénitude du pouvoir national. L’Assemblée nationale dépouillerait donc la nation de sa souveraineté, si elle ne lui donnait pas les moyens de former quand elle voudra des Conventions nationales, c’est-à-dire, tranchons le mot, que l’Assemblée nationale prévariquerait. Cette théorie s’éclaircit surtout par l’application. Quelque bonne que soit notre Constitution, nous ne pouvons pas nous flatter de l'avoir parfaite. Le temps, d’ailleurs, changeant les circonstances et nos mœurs, rendra peut-être un jour nos lois inapplicables. Enfin les abus naîtront d’eux-mêmes au sein de nos plus belles institutions. De quel droit pourrions-nous priver la nation des moyens de parvenir à faire ce qui lui conviendra le mieux? Notre sagesse est-elle supérieure à celle de tous les hommes et de tous les siècles ? et pouvons-nous croire que nos neveux ne vaudront pas mieux que nous? Ajoutons que, s’il est désirable de ne jamais avoir de Convention nationale, c’est une raison de plus d’établir des moyens pour en obtenir. En effet, les pouvoirs constitués qui verront constamment devant eux la possibilité de la réunion de ce corps politique supérieur à tout, et dont l’existence peut un jour se réaliser et subordonner leur puissance â la sienne, les corps constitués, dis-je, auront intérêt d’éloigner un tel état de choses. Ils gouverneront sagement afin de ne pas voir un jour le gouvernement leur échapper; et la Convention nationale ne se formera jamais peut-être, précisément parce qu’il y aura des moyens légaux pour la former quand elle sera nécessaire. « Nous ne nions pas, disent quelques partisans du système contraire, le droit de la nation de se constituer quand et comme elle le veut; mais n’est-il pas plus sage, puisque ce droit existe et que rien ne peut le détruire, de garder le silence à cet égard? Lorsqu’une Constitution nouvelle sera nécessaire, une insurrection la déterminera; et comme ce remède est extrême, il sera par sa nature une garantie suffisante pour la nation, qu’elle n’aura jamais de Convention que quand le plus impérieux besoin l’exigera. » L’insurrection, Messieurs, pour remède à une nation souveraine contre ses propres lois, c’esf-à-dire contre elle-même!... cela paraît bien absurde. Il est certain qu’en cela un peuple libre ne différerait pas d’une nation esclave : des esclaves secouent le joug de leurs mauvaises lois par des insurrections. J’avais toujours pensé que, chez un peuple libre, la loi devait tout faire et la violence rien : mais puisqu’on peut supposer qu’il est nécessaire de décréter constitutionnellement l’insurrection en ce qui concerne la formation des Conventions nationales, j’examinerai en peu de mots ce système. J’observe d’abord que la nation française a été opprimée pendant 1300 ans, avant qu’elle songeât à récupérer ses droits; encore a-t-il fallu la convocation des Etats généraux pour donner un centre à l’insurrection et la rendre profitable. J’observe, en second lieu, que, s’il est nécessaire de n’avoir des Conventions nationales que le moins possible, il ne faut cependant pas porter cette difficulté à l’extrême, car un tel remède ne vient alors que quand tout est perdu; et, en effet, malgré l’insurrection du 14 juillet, que serait devenue la France saus les biens ecclésiastiques. Les députés du peuple ne se seraient réunis que pour déclarer la plus honteuse banqueroute et voir l’Etat entier périr dans leurs mains. J’observe enfin qu’une insurrection n’est légitime que quand elle est générale, que quand elle est unanime; l’unanimité seule peut légitimer l’emploi de la force : un seul opposant ne peut être contraint sans oppression, car ses motifs, qu’il ne peut pas donner lorsque l’insurrection est la raison décisive, ses motifs, dis-je* auraient peut-être triomphé de la volonté des insurgents* s’il avait été permisde délibérer, s’il avait eu des moyens légaux et paisibles de parvenir à la formation d’une Convention nationale. Mais de plus grandes inconséquences encore résulteraient d’un tel système. Imaginez, Messieurs, la nation entière mécontente de sa Constitution, la jurant cependant dans ses assemblées primaires, et prenant le lendemain les armes pour détruire cette même constitution, c’est-à-dire se parjurant... Quoi donc, une nation qui va se constituer par le serment du pacte social sera forcée, par la Constitution, à faire précéder par le parjure cet acte si important!... quelle immoralité! Et l’on appellerait libre une telle Constitution!... L’insurrection fera tout, nous dit-on ; mais y a-t-ilune théorie pins propre à conduire les homtüés à la révolte? Le premier fou qui sera persuadé que ses idées en politique sont préférables à la Constitution, croira aisément que la nation pense comme lui : il voudra faire cette insurrectiondont on nous parle, et il ne sera qu’un rebelle et son crime cependant sera celui de la loi. Mais il y a plus; cette insurrection pourrait être devenue nécessaire et ne pas réussir. Le moyen en effet que tout un peuple se donne le mot pour faire une explosion générale! Semblable, ainsi que ledit Rousseau, à une traînée de poudre qui prend feu grain à grain, les effervescences populaires ne produisent jamais d’effet; et cependant les insurgents, contenus par la force publique, malgré leurs excellentes raisons, seront traités en criminels, parce que la voix du peuple n’aura pas pu se faire entendre. Enfin, il pourrait arriver que la guerre civile la plus sanglante déchirerait l’Etat, et que cependant la nation aurait besoin d’une nouvelle constitution ; il suffirait, pour établir cette hypothèse, de (08 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1791.] supposer que les plus ardeDts auraient pris les armes un peu trop tôt, que les plus modérés voudraient faire encore un moment respecter les anciennes lois. Que deviendrait l’Etat avec un pareil germe de dissension? Je me résume. Lorsqu’un peuple libre est bien constitué, l’insurrection ne doit plus être permise, parce que la loi a tout prévu. Un peuple quia besoin d’une insurrection pour se constituer, est esclave, et nous ne voulons pas rendre esclave le peuple français. L’insurrection établie en règle dans un point aussi important que la formation des Conventions nationales, est un germe éternel de révolte et d’anarchie, et nous voulons faire régner les lois. J’ajouterai encore qu’il n’y aurait rien de plus propre à déterminer les législatures à outrepasser leurs pouvoirs : elles commenceraient par corriger quelques points qui auraient déplu à la nation, et en cela elles seraient bénies d’abord, parce qu’elles auraient épargné de grands maux. Insensiblement l’amour du pouvoir les porterait au delà des bornes; elles toucheraient à tout et principalement aux décrets qui les gêneraient; elles se déclareraient septennales peut-être, perpétuellement rééligibles; elles renverseraient tout. Sans doute, on ne veut pas que la seconde législature soit constituante, et cependant tous ces maux-là pourraient arriver dès la seconde législature. Je conclus qu’il faut à la nation des moyens constitutionnels pour obtenir, quand elle en aura besoin, des Conventions nationales. Maintenant, quels sont les moyens d’obtenir des Conventions nationales? Faut-il qu’elles soient périodiques? Faut-il qu’on ne puisse les former qu’au besoin ? Suivant Rousseau, le souverain, c’est-à-dire les Conventions nationales, doivent se réunir périodiquement, mais, suivant lui aussi, il doit être possible d’obtenir au besoin des assemblées extraordinaires. Si nous n’avions pas des assemblées populaires périodiques pour nommer nos administrateurs, je voterais pour l’adoption d’un tel système : mais, puisque le peuple peut se réunir périodiquement, puisqu’il est possible de lui donner le droit d’émettre un voeu dans ces assemblées, je trouve qu’il nous suffit d’établir que nous pourrons avoir des Conventions lorsqu’elles nous seront nécessaires, nous évitons par là les dangers de la périodicité en en conservant tous les avantages. En effet, une crise politique aussi terrible que celle qui résulte de la nature d’une autorité illimitée etqui règne souverainement sur une grande nation, est une institution qui me paraît absurde. Si elle était déclarée périodique, une telle autorité se croirait nécessaire par cela seul qu’elle existerait; elle voudrait agir même quand elle n’aurait rien à faire; elle finirait par renverser l’Etat. En laissant, au contraire, à la nation le soin de créer une telle autorité lorsqu’elle le voudra, cette faculté existera pour elle périodiquement, et cependant elle n’en usera qu’au besoin, et par là même elle aura une garantie suffisante contre l’activité dangereuse de ce pouvoir illimité. Cependant une question se présente ici : c’est celle desavoir si, parmi nous et dans les circonstances où nous sommes, il ne convient pas de déterminer une époque avant laquelle il soit interdit à la nation de demander une Convention nationale. Après avoir mûrement examiné cette question, et quoique l’affirmative paraisse contraire aux principes, je me suis déterminé pour ce parti; je demanderai même que cette époque soit de 20 ans; voici mes raisons : Sans doute une nation peut, quand elle veut, revoir sa Constitution; mais, avant de vouloir, il faut se résoudre, il faut délibérer, il faut avoir les éléments de sa délibération. Or, comment la nation pourra-t-elle délibérer sur la Constitution avant de l’avoir éprouvée? Les éléments d’un tel vœu doivent être puisés dans l’expérience. De plus, aujourd’hui, une foule d’hommes s’acharnent contre la Constitution; tous veulent la détruire : tous en entravent la marche le plus qu’ils peuvent; il faut que la machine soit débarrassée de tous frottements étrangers, avant de pouvoir apprécier au juste le jeu de ses rouages. Tel la juge détestable aujourd’hui parce que la mauvaise volonté de ceux qui exécutent en font manquer les plus sûrs effets, qui en penserait autrement si tous les Français étaient également citoyens : il faut une génération d’hommes pour purger cette terre de liberté des esclaves qui la foulent encore; il faut que le sein de la patrie ne soit plus déchiré par ses ennemis, pour qu’elle puisse nous montrer toute sa sérénité, toute sa dignité, tous ses charmes. Ainsi donc je pense qu’il ne faut pas que la nation puisse émettre aucun vœu pour la formation d’une Convention nationale avant 20 ans. Mais comment ce vœu doit-il être émis? Trois moyens se présentent. Ou bien quelques corps constitués, tel que la législature, le roi, les départements, ou même les municipalités auront te droit de l’émettre; ou bien ce sera les communes elles-mêmes ; ou enfin les assemblées primaires. On pourrait dire encore que les citoyens émettront leur vœu par la voie des pétitions. Avant d’examiner ces moyens, il faut d’abord fixer ses idées sur le caractère que doit avoir un tel vœu : « On ne saurait en pareil cas, dit Rousseau, observer avec trop de soin toutes les formalités requises pour distinguer un acte régulier et légitime d’un tumulte séditieux, et la volonté de tout un peuple des clameurs d’une faction. » Il faut donc que ce vœu sôit certain, constant, non équivoque. Or, je trouve que des pétitions ne réunissent pas ce caractère : les signatures ne sont pas constatées; les signataires peuvent être surpris, et rien ne prête plus aux factieux que cette forme dont on peut si facilement abuser. Les réunions par communes sont un peu plus authentiques ; mais elles ont cela de mauvais qu’elles ne se forment périodiquement que pour l’intérêt de la commune, pour la nomination des officiers municipaux. Ce serait d’ailleurs les détourner de leur objet, que de les faire délibérer sur l’intérêt national. Les éléments de la grande commune font les assemblées primaires; c’est vraiment là qu’est la majesté nationale. Quant aux autorités constituées, je pense bien qu’elles doivent avoir leur action sur un tel vœu : elles doivent surtout le constater et même l’éclairer; mais elles ne doivent pas l’émettre. En effet, ce ne sera presque jamais que contre elles qu’il faudra appeler la force d’une Convention nationale. Une bonne Constitution ne se déprave que par les abus, c’est-à-dire par la corruption des pouvoirs. Est-il naturel de penser que ces pouvoirs ainsi corrompus appelleraient le souverain pour les renfermer dans leurs limites? La législature elle-même ne pourrait-elle pas, comme le Parlement d'Angleterre, dévier des principes de la Constitution? 11 ne faut, pour réaliser cette hypothèse, qu’une guerre un peu longue, qu’une [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1791.] 109 calamité publique, qu’un engourdissement de la nation, occasionné par des malheurs momentanés ; donnera-t-on le droit de convoquer le souverain à ceux qui auront le plus grand intérêt de l’éloigner? Je reviens, Messieurs, et je dis que c’est aux seules assemblées primaires que ce droit peut appartenir; et qu’on ne dise pas que la Constitution leur défend de délibérer; car d’abord ce vœu peut s’émettre en conséquence du malaise général résultant d’une Constitution qui se serait corrompue ; en second lieu, des assemblées primaires doivent bien s’abstenir de délibérer tant qu’elles veulent la Constitution ; mais cette faculté doit leur être rendue lorsque la Constitution, qui prononce cette défense, est devenue oppressive et qu’il s’agit de s’enaffranchir. Encore un coup, nous n’avons pas le droit d’enchaîner la nation. Si les assemblées bailliagères n’avaient pas délibéré nous n’aurions pas reçu le mandat de faire une Constitution. Je trouve, Messieurs, dans les assemblées primaires un moyen de constater tes suffrages ; mais je n’y trouve encore ni le moyen de les rendre certains, ni surtout celui de les éclairer. Il me semble, quant au premier objet, qu’il convient d’exiger d'abord que les suffrages soient recueillis individuellement, et que les trois quarts des voix de la nation entière soient requises pour former un vœu. Ceci paraît encore contraire aux principes, tâchons de l’expliquer. Lorsqu’une Convention nationale se forme, tout va s’examiner jusqu’au pacte social : nul intérêt ne peut être plus grand? Nul intérêt ne peut occasionner plus de résistance et de division. Sous le premier point de vue, j’observe que la loi qui se contente dans les tribunaux de la majorité des voix au civil, demande au criminel les quatre cinquièmes des suffrages. Le plus grand intérêtsocial serait-il compté pour moins de chose que la vie d’un homme ? Sous le second point de vue, j’observe qu’en politique où la force, en dernière analyse, sert de base aux Conventions, on peut bien, dans les matières de législation, c’est-à-dire lorsque la nation est constituée, n’exiger que la majorité des voix; parce que, s’il doit y avoir du trouble, les opposants, liés au culte de la loi par le pacte social qu’ils ont juré, quoique égaux en nombre aux votants, sont vaincus par le cri de leur conscience, et que la force publique reste en effet au parti de la loi. Mais, lorsqu’il est question de renouveler même le pacte social, chaque parti se trouve dégagé envers l’autre : la fureur et la force sont égales des deux côtés ; de telle sorte que, si vous supposez une guerre civile, comme elle aurait lieu immanquablement, et que vous considériez que les citoyens peuvent se prendre corps à corps, vous trouverez que la nation s’entre-détruirait en effet ; et la Convention nationale, formée d’après le vœu de la simple majorité, ayant à constituer un peuple qui n’existerait plus, se trouverait par le fait un corps politique absurde. Ainsi, donc, ici il y a un principe antérieur à celui qui fonde le privilège de la simple majorité, et ce principe est la nécessité de l’existence de la nation pour laquelle une constitution va se faire. Je demande donc les trois quarts des suffrages individuels de tous les votants, pour former à cet égard un vœu national. Mais cela ne suffit pas encore, car ce vœu ainsi émis n’a pas été suffisamment éclairé : les assemblées opposantes, quoiqu’en minorité, pourraient avoir raison; et si elles avaient pu se faire entendre des autres, le vœu peut-être aurait été contraire : il faut une délibération au centre. Et d’ailleurs pour s’assurer que la nation veut en effet, et que des partis n’ont pas mis leur volonté à la place de la sienne, il y a un principe qu’il faut établir, c’est que la vérité d’un tel vœu ne se trouve que dans sa constance. Je pense donc qu’il faut d’abord que le temps puisse agir sur les esprits, et je demanderai que ce premier vœu recensé et déclaré purement et simplement par la législature ne soit que préparatoire; qu’il soit comme la première lecture d’une motion faite dans l’Assemblée nationale, laquelle ne peut être décrétée qu’après trois lectures consécutives. Pendant ces 2 années de suspension nécessaire, les esprits pourront s’éclairer sur un si grand intérêt, et cette sorte de délibération préparera d’une manière efficace la délibération au centre dont je vais parler. Si lors de la formation de. la législature suivante, la nation persistait dans son vœu, elle l’émettrait comme la première fois : la législature le déclarerait de nouveau, et elle serait tenue d’en délibérer. Si les raisons des opposants, quoiqu’en minorité, étaient prépondérantes, et que la négative prévalût, la législature recueillerait toutes les opinions diverses prononcées dans son sein, et livrant tous les éléments de cette délibération centrale à la nation, elle suspendrait de 2 années encore la convocation. Je continue à suivre mon hypothèse pour développer mon système, et je suppose la persistance du vœu national : la législature suivante le déclarerait alors purement et simplement; et, quoique le dernier moyen dont je vais parler puisse encore paraître contraire aux principes, je l’établirai cependant, parce que je le crois indispensable. Je voudrais donc que la législature fût tenue de porter sa déclaration au roi, auquel j’accorde un dernier examen. Je fais intervenir ici le pouvoir royal, et il ne faut pas s’en étonner. Le roi est aussi un citoyen, et déplus, il est, par ta nature de son pouvoir, intéressé au maintien de la Constitution. Lorsqu’il va être question de tout examiner, de tout changer peut-être jusqu’à la forme monarchique même, il serait imprudent et injuste de ne pas l’entendre. D’ailleurs tous les fils de l’administration sont dans ses mains; et quoiqu’il soit plus naturellement tenté d’abuser, l’on doit croire, lorsqu’il va être question de la formation d’un pouvoir supérieur au sien, qu’il en discutera la nécessité avec soin ; et si quelques raisons, tirées du jeu d’une machine que l’administrateur suprême doit connaître mieux que personne, avaient échappé, ne sera-t-on pas heureux qu’il puisse les faire valoir dans une cause qui intéresse aussi puissamment tous les individus? En un mot, la délibération d’un tel acte appartient à la nation, mais les conseils appartiennent aux pouvoirs constitués. Je voudrais donc que le roi eût encore le droit, en rendant également ses motifs publics, de suspendre de 2 années, c’est-à-dire d’une législature, la formation du corps constituant. Après toutes ces épreuves, la persistance du vœu en démontrerait à mes yeux la réalité, et je demanderais alors que le corps constituant se formât de plein droit. Ainsi mon système admet nécessairement des délais : les plus courts ne peuvent pas être 140 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1791.} moindres de 2 années ; les plus longs ne peuvent pas aller au delà de 6. Il y a des délibérations suffisantes, et le vœu est vraiment national. Je termine en demandant que ces sortes d’ Assemblées soient aussi solennelles qu’elles doivent l’être, et conséquemment plus nombreuses qu’uue législature ordinaire. Je demanderais, en conséquence, que les départements envoyassent la moitié en sus des députés qui leur seraient attribués, ce qui en porterait le nombre à 1,200. Telles sont les idées que je voulais présenter à vos réflexions; en voici le résultat : Point de Conventions nationales périodiques. Faculté à la nation d’avoir des conventions nationales quand elles seront nécessaires. Néanmoins nécessité de n’émettre aucun vœu à cet égard avant 20 ans. Faculté d’émettre ce vœu dans les assemblées primaires individuellement. Caractère du vœu national dans sa masse, en exigeant les 3 quarts des suffrages ; et dans sa constance, en établissant une suspension nécessaire de 2 années. Délibération au centre dans la législature et dans le conseil du roi : faculté à ces deux pouvoirs constitués de suspendre chacun de 2 années encore. Enfin, après ces épreuves, convocation de plein droit du corps constituant : Plusieurs membres : Votre projet ! M. Mougins-Roquefort. L’opinant nous donne des développements de 2 heures ; ce n’est là ni l’esprit ui la lettre de la motion de M. Camus qui fut accueillie avec enthousiasme hier par l’Assemblée Je crois que ce n’est pas ici le moment de discourir, mais bien d’agir. (. Applaudissements .) M. Camus. Je demande que toute personne qui voudra présenter un plan sur l’objet qui est actuellement à la discussion , soit ten ue d’abord et avant tout de lire ce plan; car il est inutile d’entendre des discours de 2 heures, s’ils ne doivent être suivis* que d’un mauvais projet. Lorsqu’une fois un opinant aura lu son plan, on écoutera la discussion si on le juge nécessaire. ( Applaudis semen ts . ) (L'Assemblée, consultée, décrèteque chaque opinant commencera son opinion par la lecture de son projet de décret.) M. Salle. Voici mon projet de décret : *Art. 1er. L’expérience seule pouvant apprendre à la nation si sa Constitution a besoin d’être réformée, nul vœu pour la formation d’une Convention nationale ne sera légal et suffisant avant 20 ans. « Art. 2. Nulle Convention nationale ne pourra être instituée que dans les formes ci-après déterminées. « Art. 3. Après le terme de 20 années, cha-ue assemblée primaire, lors du renouvellement e chaque législature, est autorisée à émettre son vœu sur le point de savoir si la Constitution doit être réformée. « Art. 4. Lorsque, dans une assemblée primaire, les citoyens demanderont que les voix soient prises sur cet objet, le président sera tenu de le faire, et les suffrages seront recueillis individuellement. « Art. 5. Le résultat de ces suffrages sera porté par les électeurs des assemblées primaires aux assemblées électorales ; ils y seront recensés, et les députés à la législature en seront chargés. « Art. 6. Le vœu général de la nation sera définitivement constaté dans le sein de la législature à l’ouverture de sa session ; et si les trois quarts des citoyens actifs de tout l’Empire sont pour l’affirmative, le vœu sera déclaré suffisant; mais il ne sera que préparatoire. « Art. 7. Si lors de la formation de la législature suivante il s’émet un semblable vœu dans les assemblées primaires, les suffrages seront recensés comme la première fois, et la législature sera tenue d’en délibérer à l’ouverture de sa session. « Art. 8. Si le résultat de la délibération est pour la négative, la législature sera tenue de publier les opinions diverses qui auront servi d’éléments à sa délibération, et elle aura la faculté de suspendre de 2 années la convocation de la Convention nationale. « Art. 9. Si la nation persiste, ce troisième vœu sera déclaré de nouveau purement et simplement par la législature et elle sera tenue de porter sa déclaration au roi, qui aura la faculté d’en délibérer dans son conseil. « Art. 10. Dans le cas où le roi aurait quelques raisons de penser que la nation a été surprise ou qu’elle se trompe, il sera tenu de publier les motifs, et il aura la faculté de suspendre encore de 2 années. « Art. 11. Si, après les 2 premières années de suspension, la législature ët le roi avaient adhéré au vœu national, la Convention nationale serait immédiatement convoquée par une proclamation du roi. « Art. 12. Si la législature avait usé de son droit de suspendre, et que le roi n’eût pas jugé à propos de faire usage du sien, la Convention nationale serait convoquée de la même manière, immédiatement après le second délai. « Art. 13. Si la législature et le roi ont l’un et l'autre usé de leurs délais, et que la nation persiste dans son vœu, la Convention nationale se formera de plein droit. « Art. 14. Il est de J’essence d’une Convention nationale d’avoir des pouvoirs généraux, en conséquence la Convention nationale, convoquée ou formée de plein droit, remplacera la législature qui se dissoudra à l’instant. « Art. 15. Les assemblées électorales, éliront, pour former une Convention nationale, la moitié en sus des députés qui leur sont attribués pour la formation des législatures; l’augmentation de ceux qui auront un nombre impair ae députés sera de la plus grande moitié. » M. de Tracy. D’après la décision qu’a prise l’Assemblée de ne permettre simplement que la lecture des plans, dans une question qui me paraît à moi si neuve et si crue et dont la profondeur m’effraye, je craindrais de ne pouvoir en aucune manière faire goûter ce que j’aurais à dire : au moyen de quoi, je renonce à parler. M. Goupilleau. Il me semble que le plan de M. Frochot a fait beaucoup d’impression sur l’Assemblée. Ce plan peut être susceptible de beaucoup de modifications. Cependant je crois qu’il tient essentiellement aux bases du gouvernement représentatif que vous avez adopté. Je crois encore qu’il évite les commotions dangereuses qui pourraient résulter de toutes les assemblées primaires telles qu’on vient de le proposer tout à l’heure à la tribune. Si les comités de Constitution et de révision ont connaissance du plan de M. Frochot, je prierai quelqu’un des membres de ces comités