30 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE et mes collègues savent que j’y suis resté environ jusqu’à 2 heures et demie. Une indisposition, aggravée par le travail et les veilles, m’empêcha d’y rester davantage. Puisse ce détail, aussi vrai qu’il est simple, éclairer, satisfaire le public et la Convention ! Tous mes efforts, depuis que je puis penser et écrire, n’ont été que pour faire abhorrer les tyrans; et croire que je n’eusse pas eu un poignard pour celui qui, par une scélératesse dont les annales des crimes n’offrent point d’exemple, avait formé l’horrible projet de vous faire égorger, d’assassiner la liberté; penser que j’eusse pu l’épargner, citoyens, ce serait me supposer dans une contradiction aussi lâche qu’elle est impossible. J’adjure ici mes collègues qui m’ont entendu, et que j’ai cités, de déclarer si j’en impose. Lavicomterie (1). [LAVICOMTERIE prend la parole pour répondre à diverses inculpations qui lui ont été faites dans la séance du 13 au soir. Il entre dans des détails pour prouver qu’il a été présent soit à la convention, soit au comité de sûreté générale, depuis le 9 à 7 heures du soir jusqu’à 6 heures du matin du 10 thermidor. Il cite plusieurs membres qui attesteront les faits qu’il avance, et conclut à la fausseté de la dénonciation faite contre lui d’avoir été absent pendant la nuit fameuse où le tyran fut renversé. Il présente ensuite des observations dans lesquelles il proteste de son attachement à la liberté et de l’horreur qu’il avoit conçue depuis long-tems pour la tyrannie de Robespierre. Dubarran déclare que le fait est vrai, pour ce qui le concerne (2)]. [BENTABOLE demande que la convention passe à l’ordre du jour, motivé sur ce que le remplacement d’un membre d’un comité quelconque n’est pas une inculpation pour le membre déplacé. JAGOT succède à Lavicomterie pour répondre aux faits allégués contre lui. Après avoir cité plusieurs autres faits contraires, et présenté des réflexions analogues, il fait observer qu’il ne seroit pas naturel de le regarder comme le partisan de Robespierre, parce que ce tyran l’avoit mis sur la liste de proscription (3)]. [JAGOT répond à un reproche pareil, de n’avoir pas assisté à la nuit du 9 au 10. Vous ne pouvez pas m’en faire un crime, dit Jagot, à moins de me faire un reproche d’avoir été malade. — L’ordre du jour, s’écrie un membre. — Renvoyé au comité de santé, dit Goupilleau. (1) Moniteur ( réimpr.), XXI, 381; Débats, n° 681, 253-254. (2) J. Sablier (J. du soir), n° 1 472. Selon J. Fr. (n° 676); Dubarran assure « qu’il a vu Lavicomterie dans la nuit du 9 au 10 ». (3)J. Sablier, n“ 1 472; J. Mont., n° 95; Ann. R. F., n° 244; J. Jacquin, n° 733,bis|; C.Eg., n° 713; F.S.P., n° 393; J. Lois, n° 675; C. Univ., n° 944; J. Paris, n° 579; Audit, nat., n° 677; J. Perlet, n° 678; Rép., n° 225. Mention in Mess. Soir, n° 712; J.S. -Culottes, n° 533; J. univ., n° 1 712. — Jagot répond à d’autres inculpations, et l’assemblée passe à l’ordre du jour sur le tout (1)]. 9 BARÈRE : Citoyens, depuis 3 jours tout est heureusement changé autour de nous. Un orage terrible a subitement éclairci l’horizon politique de la France. Le tyran renversé nous a découvert tous les fils de cette conjuration infernale contre la représentation nationale et les droits du peuple. Nous avons vu dans les débris de cette contre-révolution dès longtemps préméditée, nous avons vu des autorités constituées tyranniques ou ignorantes; la force de l’opinion publique égarée par les manœuvres des hypocrites en patriotisme et des tyrans déhontés; les intérêts d’une faction prévalant sur le bien général; l’esprit public changé en esclavage et en censure; le véritable patriotisme mis patriotiquement en servitude; l’énergie nationale comprimée avec une atroce violence; la morale publique transformée en superstition religieuse, et la réputation de trois hommes changée en fanatisme politique; le peuple était trompé; la Convention nationale les a combattus un instant; elle s’est levée, et ils ont disparu. C’est à la sagesse publique de recueillir les bienfaits de votre énergique vertu; c’est à vous de les fortifier encore en faisant disparaître tous les vestiges de cette usurpation de l’autorité nationale; en détruisant les décrets qu’ils avaient surpris par des circonstances forcées et préparées par eux-mêmes; en faisant rentrer dans le domaine de la représentation nationale des droits qui, confiés à elle seule par le peuple français, ne devaient jamais sortir de ses mains; en brisant les liens d’oppression civile qui garottaient tous les citoyens et effrayaient toutes les consciences; en rendant aux patriotes la liberté et la confiance qu’on leur avait ravie par des manœuvres réduites en système; en substituant la justice inflexible à la terreur stupide; en rappelant la véritable morale à la place de l’hypocrisie, et en restituant à la tombe des suppliciés les agents corrompus et les âmes cadavéreuses qui pèsent à une terre libre. La terreur fut toujours l’arme du despotisme; la justice est l’arme de la liberté. La superstition fut l’instrument de tout ambitieux de régner; la morale est le moyen qu’emploie le vrai républicain. La tyrannie de l’opinion, la censure des écrits, les réputations usurpées et excessives furent dans tous les temps les symptômes qui annoncèrent la perte de la liberté; le droit indéfini de penser, d’écrire et de croire ce qu’on veut, la modestie des fonctionnaires publics, et la confiance mutuelle des représentants et des citoyens sont les signes auxquels on va recon-(1) J. Fr., n° 676; Ann. Patr., n° DLXXVII (selon cette gazette, la 2e partie de la justification de Jagot aurait paru « un peu longue », ce qui aurait motivé le renvoi à l’ordre du jour). Décret n° 10 193 pris sur le rapport de Bentabole. Voir séance du 13 therm. II (soir), n° 1.