[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 mai!790.] 439 M. de la Caille, à cinq pieds huit pouces cinq | lignes un quart. M. l’évêque d’Àutun, en présentant les avantages de cette mesure élémentaire, en a fait voir aussi les imperfections. Il vous a prouvé qu’elle manquait de cette exactitude rigoureuse qu’il est nécessaire de chercher, et peut-être possible d’atteindre, en se livrant aux méditations qui nous occupent. Nous ne répéterons pas ce qu’il a dit, parce que nous présumons que vous le connaissez ; et nous ne nous permettrons pas d’ajouter nos réflexions aux siennes, parce que nous craindrions de ne pas aussi bien dire. Nous nous contenterons de vous annoncer, qu’ainsi que lui, nous nous sommes déterminés en faveur du pendule qui bat les secondes sous la latitude de 45 degrés. Sa longueur a été calculée et estimée à 36 pouces 8 lignes 52 centièmes : mais nous pensons, ainsi que M. l’évêque d’Àutun, qu’il serait nécesssaire de la déterminer de nouveau. Nous adoptons pour cette opération les moyens sages qu’il propose. Nous croyons être informés d’ailleurs que l’Angleterre est prête à se joindre à nous pour en assurer le succès, et nous mettons le plus grand prix à cette association de travaux èt de lumières. Nous croyons que lorsque deux nations, qui ne peuvent presque avoir de rivales qu’elles-mêmes, auront adopté de concert une mesure générale et commune, cette mesure ne tardera pas à devenir celle de! l’Europe et celle de tous les peuples commerçants de la terre. Cette heureuse uniformité sera un lien déplus entre les hommes. Un plus grand nombre d’entre eux pourront se livrer aux entreprises du commerce. Les calculs du négociant seront simplifiés, ses résultats plus certains, ses spéculations moins vaeues. Mais, Messieurs, quelque séduisante que soit cette perspective, osons la laisser encore dans le lointain qu’elle occupe à nos yeux; sachons calmer nos désirs pour mieux èn atteindre le but ; entamons avec vivacité cette grande entreprise, mais suivons-Ia avec lenteur et patience : gardons-nous de rien précipiter. La vérité ne doit jamais s’offrir brusquement aux hommes; et, peut-être que le bonheur lui-même a besoin de trouver des cœurs préparés à le goûter. Votre comité, Messieurs, pour les détails de l’exécution du plan auquel il s’est fixé, a cru devoir vous renvoyer au Mémoire déjà cité de M. l’évêque d’Àutuh. Vous y verrez qu’une opération qui, par sa na-turp, est du domaine des sciences, est presque entièrement confiée à l’Académie des sciences de Paris, et à la Société royale de Londres; c’est-à-dire aux 'deux compagnies les plus savantes du monde savant. Vous y verrez que ce projet, si vous daignez l’adopter, doit être mis en dépôt entre les mains de ces hommes aussi distingués par leur zèle que par leurs lumières, et qu’il doit s’v mûrir en silence, pour ne reparaître dans l’Assemblée législative que lorsqu’il aura atteint toute sa perfection, et que des instructions préalables, universellement répandues, en auront fait désirer partout l’accomplissement. Vous y verrez combien de précautions sont indiquées, soit pour préparer graduellement les peuples à jouir du bienfait que vous leur destinez, soit pour prévenir les dépenses trop fortes qui pourraient en résulter pour le pauvre, soit pour empêcher les secousses qui pourraient naître d’un changement subit. Vous y verrez enfin que le décret préparatoire que vous pouvez rendre à l’instant même, vous acquitte de toutes vos obligations, satisfait à tout ce que l’on attend de vous� et vous conserve cependant la gloire d’une entreprise dont l’exécution sera renvoyée à vos successeurs. Votre comité, en finissant son rapport, croit qu’il est de son devoir de vous avertir que le parlement d’Angleterre touche à la fin de sa session et de vous représenter que, si vous daignez adopter les idées qu’il a eu l’honneur de vous soumettre, il serait extrêmement instant que l’Assemblée nationale voulût bien adopter le projet de décret suivant ; il ne diffère presque en rien de celui qui vous a déjà été proposé par M. l’évêque d’Autun : PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale, désirant faire jouir à jar mais la France entièrede l’avantage quidoit résulter de l’uniformité des poids et mesures, et voulant que les rapports des anciennes mesures avec le? nouvelles soient clairement déterminés et facile? ment saisis, décrète, que Sa Majesté sera suppliée de donner des ordres aux administrations des divers départements du royaume, afin qu’elles se procurent, et qu’elles se fassent remettre par chacune des municipalités comprises dans chaque département, et qu’elles envoient à Paris, pour être remis au secrétaire de l’Académie des sciences, un modèle parfaitement exact des différents poids et mesures élémentaires qui y son en usage. Décrète ensuite que le roi sera également sup-plié d’écrire à Sa Majesté Britannique, et de la prier d’engager le Parlement d’Angleterre à convenir avec l’Assemblée nationale à la fixation de de l’unité naturelle de mesures et de poids: qu’en conséquence, sous les auspices des deux nations, des commissaires de l’Académie des sciences de Paris pourront se réunir en nombre égal avec des membres choisis de la Société royale de Londres, dans le lieu qui sera jugé respectivement le plus convenable, pour déterminer, � la latitude de 45 degrés, ou toute autre latitude qui pourrait être préférée, la longueur du pendule, et en déduire un modèle invariable pour toutes les mesures et pour les poids ; qu’après cette opération, faite avec toute la solennité né-* cessaire, Sa Majesté sera suppliée de charger l’Académie des sciences de fixer ayec précision, poup chaque municipalité du royaume, les rapports de leurs anciens poids et mesures avec le nouveau modèle, et de composer ensuite, pour l’usage de ces municipalités, des livres usuels et élémentaires, où seront indiquées avec clarté toute? les proportions. Décrète, en outre, que ces livres élémentaires seront adressés à la fois dans toutes les municipalités, pour y être répandus et distribués; qu’en même temps, il sera envoyé à chaque municipalité un certain nombre de nouveaux poids et mesures, lesquels seront délivrés gratuitement pap elles à ceux que ce changement constituerait dans des dépenses trop fortes. Enfin, que six mois seulement après cet envoi, les anciennes mesures seront abolies et seront remplacées par les nouvelles. M. le Président donne la parole à M.Bureaux de Pusy qui la demande. 4�0 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 mai 1790.] M. Bureaux de Pusy (1). Messieurs, la question qui, dans ce moment, est soumise à l'Assemblée nationale, est digne de toute l’attention d’un législateur. Liée à l’intérêt des sciences, du commerce, de l’agriculture, de l’industrie, son influence s’étend jusque sur les mœurs. Frappé de l’utilité, même de la nécessité de réformer, à cet égard, notre organisation civile, j’avais rassemblé quelques matériaux sur cet important objet ; je me suis applaudi en reconnaissant dans la motion que M. l’évêqued’Autun vous a fait distribuer, ainsi que dans le rapport de votre comité, les vues, les principes, les moyens que j’avais projeté de votre soumettre. Encouragé par ce premier succès, j’aborde avec plus de con-tiance la carrière que d’autres ont ouverte, et je ne m’attacherai, en la parcourant rapidement, qu’à donner au travail estimable de mes précurseurs quelques développements dont il m’a paru susceptible. Ce n’est point une idée nouvelle que celle de rendre les poids et les mesures uniformes dans tout le royaume. Depuis longtemps, tous les bons esprits désirent et attendent cet utile et sage établissement; nos pères en avaient senti la nécessité ; plusieurs fois, il a fait partie des instructions données par les peuples à leurs représentants aux Etats-Généranx : mais l’intérêt public et la raison même ont toujours été arrêtés par des intérêts particuliers, par des préjugés, peut-être par le défaut d’instruction nécessaire pour opérer utilement cette réforme: la diversité gothique de nos mesures s’est perpétuée, elle rend étrangères, les unes à l’égard des autres, les provinces d’un même empire, les villes, les campagnes d’une même province, quelquefois jusqu’aux différents quartiers d’une même cité; et, clans un âge de lumières, nous sommes encore gouvernée par des institutions absurdes, humiliantes, dont nos aïeux avaient déjà commence à rougir dans des siècles d’ignorance et de grossièreté. 11 est temps d’effacer cette tache: il appartient à l’Assemblée nationale, qui n’a d’autre but que Futilité commune, de faire disparaître tous les obstacles qni s’opposent à l’entière régénération de l’ordre public, et, sans doute, elle ue souffrira pas que dans le champ qu’elle prépare avec tant d’activité à la prospérité et à l’abondance, une ronce stérile et parasite échappe seule à la moisson des abus. Pour faciliter la solution de cette question, je dois d’abord écarter les principales objections qu’opposent à ce projet l’erreur ou le préjugé. La première difficulté consiste en ce que, dit-on, plusieurs citoyens n’ayant d’autre existence que celle que leur procure un commerce fondé sur la diversité des mesures et des poids, et sur la faculté d’acheter dans un lieu où la mesure est plus grande, pour revendre dans un autre où la mesure est plus petite, si l’on vient à leur ôter ci tte ressource, ces hommes tomberont dans la misère, et peut-être ils deviendront dangereux à la société, dont ils étaient des membres utiles. Pour détruire ce raisonnement, il suffit de le traduire sous cette forme : un petit nombre d'hommes de mauvaise foi vit aux dépens de l'ignorance d’un grand nombre d’hommes abusés : si l’on éclaire les dupes, que deviendront les fripons ? En effet, qui ne voit au premier coup d’œil que les avantages d’un tel commerce sont fondés uni-(1) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire du dis cours de M. Bureaux de Pusy. quement sur l’abus delà foi publique, et qu’ils ne résultent que d’une falsification réelle des mesures en usage ? car c’est fafsifier une mesure, que de vendre sous son nom une quantité moindre que celle que ce nom rappelle à l’esprit. Quel est l’homme assez peu éclairé pour ne pas sentir que l’acheteur doit payer au vendeur, non seulement la valeur intrinsèque de sa marchandise, mais encore le prix de ses peines, de ses avances et des hasards du commerce? La diversité des mesures n’est donc pas nécessaire au marchand pour se procurer, ni pour justifier le héuélice légitime qu’il a droit d’attendre de ses soins et de son activité; elle n’est donc qu’une complication nuisible des éléments d’une machine qui ne saurait avoir trop de simplicité, un obstacle réel à la circulation des matières nécessaires ou agréables à la vie; enfin une occasion de fraude, par la facilité qu’elle donne aux vendeurs, d’ajouter au gain permis que leur commerce doit leur procurer, le profit illicite qu'ils trouvent en trompaut le peuple ignorant, qui, séduit par la ressemblance des mots, paye, sous une dénomination qui l’abuse, une quantité moindre que celle qu’il croit acheter. Trafic immoral, honteux, qui blesse également la confiance publique, l’honnêteté, les bonnes mœurs, et que l’équité, et, par conséquent, l’Assemblée nationale doivent réprouver. On dit ensuite que les titres qui constatent l’étendue des propriétés et les redevances en nature sont relatifs aux mesures usitées dans chaque lieu; que, par conséquent, on ne pourrait altérer celles-ci sans bouleverser, sans confondre toutes les idées, toutes les notions reçues, sans troubler la tranquillité des propriétaires, sans les alarmer sur leurs propriétés. Cette inquiétude serait fondée, si l’Assemblée nationale, se bornant à décréter qu’une mesure unique aura lieu pour toute la France, elle négligeait de donner en même temps au peuple les moyens de connaître les rapports de la mesure ancienne à la nouvelle; mais si, à l’aide d’un tarif, d’un tableau comparatif, tout individu peut, sur-le-champ et presque sans calcul, sans embarras déterminer la relation de chacune de nos mesures actuelles à celle qui sera adoptée pour les suppléer toutes, on conçoit qu’alors, loin d’avoir compromis les propriétés des citoyens, en répandant l’incertitude sur les actes publics ou particuliers qui en sont les garants, on aura, au contraire, affermi, en les éclaircissant, les titres de leur fortune; on leur aura facilité les moyens de la déplacer ou de l’étendre sans crainte de surprise, et, par conséquent, l’objection s’évanouit. L’on paraît craindre aussi la secousse, l’éuran-lement que l’introduction subite de nouvelles mesures peut produire dans l’ordre civil. Je réponds que cette crainte n’est pas fondée, puisque non seulement la réforme des poids et mesures est prévue, mais puisqu’on l’attend, qu’elle est désirée, que le vœu d’un grand nombre de provinces, à cet égard, est consigné dans les cahiers de leurs députés; et quand même ces circonstances favorables n’existeraient pas, l’inquiétude serait encore exagérée. En effet, en ne mettant la loi nouvelle en activité que lorsqu’on en aurait facilité l'application par des tables comparatives, telles que je les ai indiquées ci-dessus, l’inconvénient de l’innovation, se réduirait, pour chaque individu simplement, à la nécessité de connaître le rapport de la nouvelle mesure aux mesures anciennes de son canton, et observez que cette étude, bien simple, bien facile, lui 441 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 mai 1790.] donnerait en même temps la connaissance des mesures de tout le royaume; tandis qu’aujour-d’hui, cette même étude exige un travail long, pénible, fastidieux, et dont il est presque impossible de se promettre un succès entier, à cause de la bigarrure ridicule et barbare de nos mesures actuelles. Loin donc que la substitution d’une mesure unique à la multiplicité des mesures anciennes produise un ébranlement dangereux, elle n’occasionnera qu’une commotion utile, et dont l’effet peut se comparer à celui d’un rayon de soleil qui, introduit dans un lieu où règne une obscurité profonde, y distingue, y classe les objets, et établit leurs relations réciproques de forme, de couleur, de volume ou de situation: c’est l’ordre et la lumière qui chassent le chaos. Je dis plus : c’est que, même en supposant que les nouvelles mesures occasionnassent quelque embarras, quelque gène momentanée dans le commerce, cet inconvénient passager serait un faible prix des grands avantages que cette disposition doit procurer. Considérez, Messieurs, qu’en simplifiant ainsi les premiers éléments du commerce, en les mettant à portée d’un plus grand nombre d’individus, vous augmentez nécessairement son activité, vous multipliez les relations, les causes et les moyens de rapprochement entre toutes les parties d’une grande nation; vous étendez ses ressources et vous ouvrez de nouveaux débouchés à la prospérité publique. Songez surtout que l’agriculture y gagnera presque autant que le commerce; car la facilité de comparer , sans recherches ni calculs, le produit des différents terrains, augmentera les spéculations des cultivateurs, et fixera leur attention sur Jes diverses cultures les plus convenables aux cantons qu’ils habitent, relativement au débit qu’ils pourront en avoir, et l’administration générale, acquérant une connaissance plus exacte des diverses productions du royaume, sera plus en état de détermiuer le rapport dans lequel elles devront être transportées des lieux où elles abondent à ceux où elles sont plus rares. Il est encore une considération qui nous intéresse plus particulièrement dans la circonstance actuelle. Le système que vous avez adopté pour la nouvelle division du royaume et pour le régime des départements, est un principe d’économie dans les dépenses, de simplicité et d’activité dans les moyens d’administration; mais peut-être n’est-il pas sans inconvénient relativement à l’esprit public que vous voulez former; peut-être devons-nous craindre que les départements ne tendent a s’isoler, à se regarder comme des masses particulières indépendantes du grand ensemble, et, dans cette supposition, quel moyen plus capable de rapprocher les esprits, les intérêts divers, et de mener à cette unité si précieuse qui fait la force des gouvernements, qu’un idiome commun, des signes communs, des règles identiques pour tous les objets nécessaires ou utiles aux besoins journaliers de tous les individus, et combien ['uniformité des mesures ne tend-elle pas à remplir cette indication ! En un mot, tout ce qui peut faciliter les relations de connaissances, de secours de commerce entre toutes les parties d’un grand peuple, est digne d’occuper la sollicitude des hommes chargés de préparer son bonheur, et doit fixer toute leur attention. Les anciens avaient reconnu cette grande vérité (1). L’Asie, l’Egypte, la Grèce avaient des mesures constantes, fondées sur un module immuable, la circonférence de la terre ; et l’un des plus beaux monuments de leur sagesse, c’est ce type antique de leur mesure fondamentale qui existe encore sur le Nil et qui, depuis plus de trois mille ans, sert à constater les variations de ce fleuve. (2) Les Romains eurent aussi un grand soin de conserver leurs mesures, tant que l’empire fut florissant; elles s'avérèrent dans sa décadence, car le propre du despotisme est d’engendrer le désordre et de s’accroître par ce fléau. (3) Nos premiers rois firent des lois pour la conservation et 1 uniformité des mesures; leur étalon, du temps de Charlemagne, était conservé au palais du roi, comme un attribut de la souveraineté ; mais dans les progrès du régime féodal, les seigneurs particuliers s’arrogeant les droits du souverain, ils les exercèrent sur les mesures (4) pour les affaiblir ou les augmenter selon leurs caprices, et quelquefois selon leurs intérêts ; car il pouvait n’être pas juste, mais certai-(1) Les anciens législateurs n’avaient pas négligé l’avantage de l’uniformité des mesures : les peuples de l’Asie et d’une partie de l’Afrique se servaient de la même mesure, dont le type général était la grande coudée, qui existe encore sur le Nilomètre du Caire ; elle a été mesurée très exactement de 20 pouces 504 mi lièmes, et Freret a prouvé la haute antiquité de ce monument. ( Mém . de l’Acad. des Inscr. T. 24.) 400 coudées formaient un stade de 114 toises 13 centièmes ; et suivant Possidonius, la circonférence de la terre était de 180,000 stades, ce qui donne pour un degré du méridien, 57,063 toises. Celui qu’on a mesuré en France entre le 49e et le 50° degrés de latitude, est de 57,075 toises, preuve certaine que l'ancienne coudée était liée à une mesure très exacte d’un degré du méridien. Il y avait dans l’antiquité d’autres longueurs de coudéas et de stades, mais dérivant de cette mesure primitive, et donnant les mêmes résultats. ( Bailly , Hist. de l’Astr. mod. T. /.) (2) Les mesures des Grecs et des Romains, quoique différentes, étaient liées aux mesures de l’Asie, ibid., et conservées avec le plus grand soin. Elles se détériorèrent lors de la décadence de l’empire romain. Les empereurs Julien, Justinien et Honorius renouvelèrent les lois pour la conservation des mesures, qui s’altéraient. {Métrologie de Paneton, Introduc.) (3) En France, sous les rois de la première et de la seconde race, les mesures furent uniformes, et leurs étalons conserves dans le palais des rois. C’est prouvé p-sr un titre de la vingtième année du règne de Dagobert pour l’abbaye de Saint-Denis. Cette loi est renouvelée dans les Capitulaires de Charlemagne, années 803, {Hist. de France, par Yelly, T. I, p. 504,) 800 et 806 {Ancienne loi des Français, Houard, T. 2, p. 20,) 789 et 813, ( Métrologie de Paneton, Introduc.) (4) Les Capitulaires de Charles-le-Chauve, en 864, prouvent que cette loi commençait à s’altérer à l’occasion des cens et autres droits seigneuriaux qui s’établissaient par des inféodaùons. {Ibid ) Le droit de régler les poids et mesures a toujours été regardé comme inhérent à la souveraineté. Les seigneurs s’emparèrent de l’un et de l’autre, à mesure que le régime féodal s’établit. Les différentes coutumes qui se formèrent consacrèrent l’abus du droit qu’ils s’étaient arrogé de fixer les poids et mesures. Quelques-unes, comme celles de Melun, de Sens, d’Anjou, de Tours, etc. ne le donnent qu’au châtelain, ou tout au plus au seigneur haut-justicier, c’est ainsi que le règlent les établissements de saint Louis, liv. ], chap. 28. D’autres coutumes reconnaissent ce droit même au seigneur qui n’a que la moyenne justice, comme en Flandre, en Poitou, etc. (Encyclop. mélh. dict. de jurisprud. art. Mesures.) Les barons avaient le droit d’établir des arpenteurs, ce qui leur fut défendu par une ordonnance de 1575, pour ne reconnaître que les arpenteurs du roi. {Ibid. art. arpenteur.) 442 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. neraent il était utile d’atténuer les mesures linéaires et superficielles, lorsqu’on avait beaucoup de terrains à vendre, et d’augmenter les mesures de capacité, lorsqu’on avait des droits à percevoir. Si nous n’avons plus à craindre aujourd’hui ces altérations arbitraires, nous devons, au moins, chercher à nous garantir de celles qui peuveut être l’effet ou de l’inexpérience des artistes, ou de l’inattention des dépositaires, ou des accidents qui détruiraient les étalons primitifs. La manière la plus certaine d’y parvenir, c’est de puiser le module fondamental de nos mesures dans la nature elle-même ou dans quelques-uns de ces phénomènes qui ne peuvent cesser qu’avec elles. Certains de l’y retrouver toujours, les révolutions les plus désastreuses n’empécheront jamais d’en renouveler le type. Cette idée, aussi grande que simple, est un des fruits les plus heureux des lumières et de la philosophie de ce siècle-Ne laissons pas échapper le moment de le cueillir. Le Parlement d’Angleterre s’occupe du même objet, et cette conformité de vues entre deux peuples éclairés, libres et rivaux, est au moins une présomption favorable à l’opinion que l’uniformité des mesures ne peut être qu’un bienfait pourles nations qui l’auront adoptée. Ne vous exagérez point, Messieurs, le temps que doit coûter cette entreprise, et les difficultés qu’elle entraîne. Une expérience simple, répétée assez de fois pour en constater le résultat, vous donnera l’élément des mesures linéaires, qui ser-virq à estimer toutes les longueurs depuis l’aunage des étoffes jusqu’au mesurage des plus grandes distances; ce module primitif, une fois déterminé, vous en verrez dériver sans difficplté toutes les mesures destinées à estimer les superficies, les solidités et les capacités. L’unité des mesures de capacité, remplie d’eau distillée, ou de mercure pur, ou de toute autre substance bien dense et bien homogène, prise à une température déterminée, donnera l’unité de mesure de tous les poids. Le point fondamental de l’opération consiste donc à fixer le module primitif linéaire, et sur cet objet je n’ai rien à ajouter à ce que vous ont proposé M. l’évêque d’Autun et votre comité. Cette idée présentée par M. de La Condamine, il y a plus de 40 ans, élaborée, mûrie par l’expérience, est devenue l’opinion presque universelle de tous les hommes instruits (1). Je me bornerai donc à vous soumettre encore quelques réflexions que je ne crois pas sans importance. Premièrement, quelque soit le module qui sera choisi, on pourrait désirer que les monnaies y (1) La longueur du pendule qui bat la seconde ou la double seconde, n’est pas exactement la même à toutes les latitudes et à toutes les hauteurs ; mais l’exactitude assez rigoureuse d’une théorie confirmée par l’expérience, offre le moyen de conclure la longueur du pendule simple à une latitude quelconque, lorsqu’on la connaît à une autre latitude déterminée ; d’où il suit que si les nations s’accordaient, je suppose, à prendre pour module le pendule à l’Equateur au bord de la mer, elles retrouveraient cet étalon en répétant l’expérience, sans sortir de leur latitude. La longueur du pendule qui bat les secondes à l’Equateur, est de 36 pouces 7 lignes Si centièmes de ligne. (Fig. de la terre, pas Bouguer, p. 342.) Celle du même pendule, à Paris, est de 36 pouces 8 lignes 67 centièmes de ligne. (Mém. de V Acad, des sciences, 1735.) [8 mai 1790.] fassent assujetties (1); mais cornme cet article est infiniment délicat, je sens qu’il ne peut être permis de prendre une détermination à cet égard, sans avoir rapproché et concilié les avis des savants et des officiers des monnaies. Dans ce moment, je ferai seulement observer que la valeur des métaux variant selon leur plus ou moins grande abondance, ils ne peuvent, étant monnayés, conserver à la fois le même poids et la même valeur numéraire, à moins de faire une compensation par l’alliage; et comme cet alliage est toujours plus difficile à vérifier que le poids, il conviendrait peut-être de fixer invariablement le titre le plus convenable aux métaux fins monnayés, afin que, dans aucun cas, on ne pût les faïre'varier que par le poids. Je remarque, de plus, que l’on permet une faible diminution sur le poids et sur le titre des monnaies, d’où il suit, que les pièces n’ont presque jamais ni le poids, ni le titre prescrits; peut-être serait-il à dësirerque cette différence, qu’on appelle remède, fût toujours en dehors, de manière à ne jamais produire de pièces qui eussent moins de poids et de titre que ce qui serait rigoureusement fixé par la loi. Secondement, après la détermination du module primitif de toutes les mesures, il se présente une autre question à résoudre : c’est celle de l'échelle numérique de leur division. Conservera-t-on celles qui existent aujourd’hui, ou adoptera-t-on la dévision décimale? Dans mon opinion particulière, celle-ci mérite la préférence à tous égards. Rien ne saurait remplacer la facilité et la simplicité qu’elle porterait dans les calculs; et, pour en donner une idée à ceux qui peuvent n'être pas au fait de cette matière, il suffira de leur dire que des calculs, qui aujourd’hui supposent beaucoup d’attention et exigent plusieurs minutes de travail, se réduiraient alors souvent à la suppression ou à l’addition de quelques caractères, et quelquefois à la simple transposition d’une virgule. Je n’ajouterai plus rien, Messieurs, à ces réflexions ; il ne ne me reste qu’à appuyer, autant qu’il est en moi, une des plus intéressantes et des plus -précieuses motions qui vous aient été soumises, convaincu que le décret qui l’adoptera sera un élément essentiel de la Révolution. Je propose d’ajouter au projet de décret du comité ces mots : « Décrète de plus que l’Académie, après avoir consulté les officiers des monnaies, proposera son opinion sur la question de savoir, s’il convient de fixer invariablement le titre des métaux monnayés, de manière que les espèces ne puissent jamais éprouver d’altération que dans le poids, et, s’il n’est pas utile que fa différence tolérée dans les monnaies, sous le nom de remède , soit toujours en dehors, c’est-à-dire qu’une pièce puisse bien excéder le poids prescrit par la loi, mais que jamais elle ne puisse lui être inférieure. » Enfin, que l’Académie indiquera l’échelle » de division qu’elle croira la plus convenable, (1) Quelques personnes ont paru surprises que j’aie proposé, par amendement au décret, de consulter l’Académie sur ies modifications dont le régime des monnaies peut être susceptible. Elles n’ont pas remarqué que, dans l’ordre civil, il n’est point d’objet qui exige plus délicatement et plus essentiellement la précision des mesures ; le titre, le poids, tout doit être rigoureux; et enfin, les monnaies ne sont elles-mêmes que la mesure universelle de tous les échanges qui refont dans lq sqcjété. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (8 mai 1790.] 443 » tant pour les poids que pour les autres mesures » et pour les monnaies. Plusieurs membres demandent l’impression du discours de M. Bureaux de Pusy. L’Assemblée ordonne que ce discours sera imprimé à la suite du rapport de M. le marquis de Bonnay. On demande à aller aux voix sur le projet de décret et sur l’amendement présenté par M. Bureaux de Pusy. M. le duc de La Rochefoucauld dit qu’on ne peut assez hâter un décret qui doit établir des rapports fraternels entre la France et l’Angleterre. M. Démeunier ajoute que le projet anéantit un reste de féodalité. Il demande qu’au lieu des commissaires du roi, on charge les districts et les administrations de département d’envoyer les mesures et étalons. Un membre pense qu’il y a tout avantage à voter séparément sur le projet du comité et sur la motion de M. Bureaux de Pusy. Il propose de faire deux décrets distincts. Cette proposition est adoptée. M. le President met aux voix la motion principale dont il fait une nouvelle lecture, et l’Assemblée rend le décret suivant : « L’Assemblée nationale, désirant faire jouir à jamais la France entière de l’avantage qui doit résulter de l’uniformité des poids et mesures, et voulant que les rapports des anciennes mesures avec les nouvelles soient clairement déterminés et facilement saisis, décrète que Sa Majesté sera suppliée de donner des ordres aux administrations des divers départements du royaume, afin qu’elles se procurent et qu’elles se fassent remettre par chacune des municipalités comprises dans chaque département, et qu’elles envoient à Paris, pour être remis au secrétaire de l’Académie des sciences, un modèle parfaitement exact des différents poids et des mesures élémentaires qui y sont en usage. « Décrète ensuite, que le roi sera également supplié d’écrire à Sa Majesté Britannique, et de la prier d’engager le Parlement d’Angleterre à concourir avec l’Assemblée nationale à la fixation de l’unité naturelle de mesures et de poids ; qu’en conséquence, sous les auspices des deux nations, des commissaires de l’Académie des sciences de Paris pourront se réunir en nombre égal avec des membres choisis de la Société royale de Londres, dans le lieu qui sera jugé respectivement le plus convenable, pour déterminer, à la latitude de quarante-cinq degrés, ou toute autre latitude qui pourrait être préférée, la longueur du pendule, et en déduire un modèle invariable pour toutes les mesures et pour les poids; — Qu’après cette opération faite avec toute la solennité nécessaire, Sa Majesté sera suppliée de charger l’Académie des sciences de fixer avec précision, pour chaque municipalité du royaume, les rapports de leurs anciens poids et mesures avec le nouveau modèle, et de composer ensuite, pour l’usage de ces municipalités, des livres usuels et élémentaires, où seront indiquées avec clarté toutes ces proportions. « Décrète, en outre, que ces livres élémentaires seront adressés à la fois dans toutes les municipalités , pour y être répandus et distribués ; ou’en même temps, il sera envoyé à chaque municipalité un certain nombre des nouveaux poids et mesures, lesquels seront délivrés gratuitement par elles à ceux que ce changement constituerait dans des dépenses trop fortes; — Enfin que, six mois seulement après cet envoi, les anciennes mesures seront abolies et seront remplacées par les nouvelles. » M. le Président relit l’article concernant le titre des monnaies proposé par M. Bureaux de Pusy. Il est décrété ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale décrète que l’Académie, après avoir consulté les officiers des monnaies, proposera son opinion sur la question de savoir, s’il convient de fixer invariablement le titre des métaux monnayés, de manière que les espèces ne puissent jamais éprouver d’altération que dans le poids, et s’il n’est pas utile que la différence tolérée dans les monnaies sous le nom de remède, soit toujours en dehors, c’est-à-dire qu’une pièce puisse bien excéder le poids prescrit par la loi, mais que jamais elle ne puisse lui être inférieure; « Enfin, que PAcadémie indiquera l’échelle d e division qu’elle croira la plus convenable, tant pour les poids que pour les autres mesures et pour les monnaies. » M. le Président quitte la salle des séances et se retire par devers le roi pour présenter des décrets à la sanction de Sa Majesté. M. le marquis de Bonnay, ex-président , prend le fauteuil. Le comité des rapports demande à être entendu pour une affaire pressante. L’Assemblée décide que le rapporteur de ce comité aura la parole. M. Pongeard du Limberf, rapporteur. Votre comité des rapports me charge de vous rendre compte des réclamations de M. Le Gorgne, sénéchal d’Âuray, en Bretagne, ainsi que de beaucoup de citoyens, contre la municipalité de cette ville. Il règne, depuis longtemps, une grande mésintelligence entre les officiers de la sénéchaussée et cette municipalité ; de misérables querelles de préséance en sont la cause. Les officiers municipaux d’Auray ont fait éprouver à M. Le Gorgne tous les genres de persécution; ils lui avaient d’abord refusé le droit d’éligibilité aux fonctions municipales; peu de jours après, M. Le Gorgne eut une dispute avec un officier de la garde nationale : cet officier se prétendant insulté par lui, l'attaque l’épée à la main ; M. Le Gorgne pare avec une canne les coups qui lui sont portés, désarme l’officier et le conduit au corps de garde; là, M. Le Gorgne, au lieu d’obtenir justice, est iui-mêtne détenu pendant vingt-quatre heures; ensuite on le conduit à la citadelle du Fort-Louis, sous la garde de quinze soldats de la milice nationale et de quinze soldats du régiment de Rouergue. La municipalité du Fort-Louis, plus éclairée et plus sage, ayant refusé de donner l’ouverture de la citadelle, M. Le Gorgne revient à son domicile, où les officiers municipaux d’Auray lui ordonnent les arrêts, et exigent sa soumission de s’y conformer. Sur son refus de la donner par écrit, douze hommes viennent, par leur ordre, au domicile de M. Le Gorgne , l’enlèvent et le conduisent dans les prisons de sa propre sénéchaussée, où il est resté deux mois. Il n’y a jamais eu ni