258 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE fautes n’ont pas été commises ; moi-même peut-être j’en ai fait; mais je veux vous démontrer que, quand jour et nuit on travaille pour la patrie, il ne reste plus de temps pour intriguer et pour entretenir les passions qui font toujours le mal de la république. Je termine par un fait : c’est que toutes les délibérations du comité, autres que celles qui avaient rapport à la police générale, étaient prises à l’unanimité, et que les arrêtés de la police générale n’étaient signés que Robespierre, Couthon et Saint-Just. En dernier lieu Saint-Just voulait nous les faire approuver; mais nous refusâmes de le faire (on applaudit). VEAU : Il est un fait qui peut-être jettera quelque jour sur cette discussion ; le voici. Envoyé à l’armée de l’Ouest en qualité de commissaire de la Convention, j’appris à Luçon que les hôpitaux de La Rochelle manquaient de vivres depuis quatre jours. Je m’en plaignis à l’employé chargé des subsistances; il me dit qu’on n’avait pu délivrer de la farine aux malades, parce qu’on avait reçu un ordre signé Couthon qui le défendait, et qu’il devait lui-même arriver à La Rochelle trois jours après. Je dois dire aussi que toutes les lettres que j’ai reçues pendant ma mission étaient signées de Carnot et des accusés. On demande que Treilhard soit entendu. CLAUZEL : Le comité de Salut public est chargé de faire un rapport sur la conspiration qui a éclaté à Marseille. Je demande que la parole lui soit accordée (106). Un autre membre observe que l’intention de l’Angleterre est de perdre la Convention par la Convention elle-même; que le nouveau comité de Salut public ne tardera pas à faire un rapport sur les opérations et sur la conduite des membres du précédent comité ; il demande que la Convention nationale passe à l’ordre du jour sur la dénonciation et les diverses propositions qui ont été faites, et qu’elle entende son comité de Salut public qui a des vérités à dire, qui feront pâlir ses ennemis. Cette proposition est décrétée en ces termes : La Convention nationale passe à l’ordre du jour sur la dénonciation faite dans cette séance contre les représentons du peuple Barère, Billaud-V ar enne et Collot d’Herbois, ainsi que sur les différentes propositions auxquelles cette dénonciation a donné lieu (107). BRÉARD : Je ne viens point ici plaider la cause des individus, je viens plaider la cause de la patrie. Ne voyez-vous pas déjà percer le rire de l’aristocratie? {On applaudit). Citoyens, le projet de l’Angleterre, et les papiers qui passent journellement sous nos yeux (106) Moniteur, XXII, 142. (107) P.-V., XL VI, 249-250. C 320, pl. 1330, p. 26, minute de la main de Lozeau. Décret anonyme selon C* II 21, p. 5. me l’attestent, le projet de l’Angleterre est de perdre la Convention par la Convention elle-même. Quelle que soit l’épaisseur du voile dont les agents de Pitt et de Cobourg se soient couverts, il vient d’être déchiré. Le temps n’est pas éloigné où nous dirons : « Albion, tu nous as fait trop de mal pour que nous puissions te pardonner » {Vifs applaudissements). Bientôt le comité de Salut public vous fera un rapport sur les opérations et la conduite des membres qui nous ont précédés. En attendant ce rapport, ne donnons pas à l’aristocratie l’occasion de s’applaudir de nos divisions. Je demande que la Convention nationale, guidée par l’esprit de justice qui l’anime, passe à l’ordre du jour sur cette dénonciation et entende son comité de Salut public : il a des vérités à dire qui feront pâlir ses ennemis. {On applaudit) (108) 46 Un membre [TREILHARD], au nom du comité de Salut public, fait un rapport sur les avantages remportés par les armées du Nord et des Pyrénées-Occidentales; il fait ensuite lecture des lettres qui annoncent ces succès; il en résulte que l’armée du Nord a pris le Fort important de Crêve-coeur; que 500 hommes, 29 bouches à feu, 1 000 fusils neufs, armés de leurs baïonnettes, 10 fusils de rempart, et 30 milliers de poudre; et la terreur de Bois-le-Duc sont le résultat de la reddition de ce fort. A l’armée des Pyrénées-Orientales, le général espagnol Launion a voulu faire approcher 7 000 hommes de Bellegarde, lorsqu’il n’étoit plus temps ; l’ennemi a été vigoureusement repoussé par notre armée, nos chasseurs lui ont pris 4 pièces de canons : sa perte est évaluée à 600 hommes laissés sur le champ de bataille (109). TREILHARD, au nom du comité de Salut public fait le rapport suivant : Citoyens, Je viens fixer les regards de la Convention sur les nouveaux avantages remportés par les armées de la république. Nous vous avons annoncé hier la perte de (108) Pour ce long débat nous avons suivi Moniteur, XXII, 137-142, et signalé des variantes entre crochets; Débats, n°743, 198-206; Ann. Patr., n° 641; Ann. R. F., n" 13; C. Eg., n° 776; Gazette Fr., n° 1006-1007 ; F. de la Républ., n° 13; J. Fr., n” 738; J. Mont., n” 157-158; J. Paris, n 13-14; J. Per-let, n” 740 ; J. Univ., n° 1774; Mess. Soir, n" 776 ; M. U., XLIV, 187, 199-203; Rép., n° 14. (109) P.-V., XLVI, 250-251. Bull., 12 vend. ; Moniteur, XXII, 142-144; Débats, n” 743, 206-208; Ann. Patr., n° 641; Ann. R. F., n* 13; C. Eg., n” 776-777; Gazette Fr., n° 1007; F. de la Républ., n° 13; J. Fr., n“ 738; J. Mont., n° 157-158; J. Paris, n” 14; J. Perlet, n° 740; J. Univ., n” 1774-1775; Mess. Soir, n" 777, 779; M. U., XLIV, 188, 194; Rép., n° 13. SÉANCE DU 12 VENDÉMIAIRE AN III (3 OCTOBRE 1794) - N° 46 259 Kaiserlautern, surpris par l’ennemi dans la nuit de la le à la 2e sansculottide ; nous avons aujourd’hui la satisfaction de vous dire que ce poste est rentré au pouvoir de l’armée du Rhin. Mais nous avons un succès beaucoup plus important à vous annoncer : c’est la prise, par l’armée du Nord, de la forteresse de Crèvecoeur, dans le Brabant Hollandais, sur la rive gauche de la Meuse. Cette petite place très bien fortifiée est la clef des eaux de l’importante place de Bois-Le-Duc, et nous rend maîtres de la navigation du principal bras de cette rivière. Nous avons aussi quelques détails intéressants à vous donner sur les armées des Pyrénées-Orientales et Occidentales. Voici les nouvelles. [Les représentants du peuple, envoyés près des armées du Nord et de Sambre-et-Meuse, aux membres composant le comité de Salut public, d’ Heeswick, le 9 vendémiaire an III] ( 110) Nous vous annonçons, citoyens collègues, la prise importante du fort de Crèvecoeur, sur la Meuse, une des principale clefs de Bois-Le-Duc, avec laquelle nous serons maîtres de l’inondation. Nous joignons à notre lettre la capitulation ; cinq cents hommes, vingt-neuf bouches à feu, mille fusils neufs armés de leurs baïonnettes, dix fusils de rempart, trente milliers de poudre, et la terreur dans Bois-Le-Duc sont le résultat de la reddition de ce fort. Cette prise, importante par les suites qu’elle doit avoir, est principalement due à l’audace du général de division Delmas, qui a déployé avec beaucoup de supériorité les armes morales et physiques alternativement. Croiriez-vous qu’il a attaqué cette place avec des pièces de bataille ; aussi a-t-il ouvert la tranchée à quatre-vingt toises des glacis ; et le cheminement s’est fait avec l’audace répubhcaine dont il donne l’exemple aux troupes qu’il commande. C’est encore lui qui a pris un fort à deux-cent-cinquante toises du corps de la place de Bois-Le-Duc, dont il a franchi les palissades à cheval, suivi de huit régiments de hussards. Pitt, Cobourg, York et Guillaume n’approuveront sûrement pas cette manière de se rendre maître des places ; ils ne la trouveront pas dans leurs livres de tactique ; mais il n’est qu’à l’audace républicaine et française de franchir avec succès les règles de l’art. Bellegarde et J.-P. Lacombe (du Tarn). Capitulation du fort de Crèvecoeur Art. I. - La garnison sortira demain avec les honneurs de la guerre, déposera les armes, après avoir passé le glacis, et passera la Meuse en face du fort, après avoir prêté le serment de ne porter les armes contre la république française qu’après avoir été individuellement échangés. Art. II. - L’artillerie, les munitions, les magasins et les arsenaux seront inventoriés de-(110) Bull., 12 vend. ; J. Paris, n° 15. main matin, et livrés aux commissaires de la république, par ceux à qui l’administration en est actuellement confiée. Art. III. - Tous les papiers, plans et mémoires, existant dans ce fort, qui y sont relatifs, ou à toute autre place, seront également remis aux officiers de génie et artillerie, qui seront chargés de les inventorier. Art. IV. - Les troupes de la république entreront cette nuit dans l’ouvrage à cornes; à trois heures, une compagnie de grenadiers occupera l’issue principale du fort. Art. V. - Les commissaires des guerres et autres employés aux administrations, n’étant pas censés porter les armes pourront rentrer chez eux et vaquer à leur fonction sans être sujets à l’échange. Art. VI. - Ces officiers emporteront leurs effets et conserveront leurs épées. Les soldats emporteront leur havresac seulement ; le commandant pourra faire emporter les meubles qui lui appartiennent personnellement. Au quartier général, à Empel, le 6 vendémiaire, 27 septembre (vieux style), 3e année républicaine. Accepté les articles, d’après les pleins pouvoirs qui nous ont été donnés par le commandant du fort de Crèvecoeur. Signé ainsi : Lecolb-Tubac, le 27 septembre 1794; Delmas, général de division-, A.-J.-L. Stom de Grave, capitaine-, J. de Rochever, Uselmers. [Le général en chef au comité de Salut public, du quartier général de Lagullana, le 2 vendémiaire an III) (111) Citoyens représentans, La Union a voulu s’approcher de Bellegarde lorsqu’il n’était plus temps. Le cinquième jour des sans-culottides il fit avancer sept mille hommes sur notre avant-garde ; il porta également vers notre gauche de gros détachements d’infanterie et de cavalerie, et à la pointe du jour il nous attaqua pour s’emparer d’une position intermédiaire qu’il croyait avantageuse à son armée ; il trouva, pour son malheur, quelques bataillons de nos chasseurs, qui justifièrent bien leur dénomination, et qui après quelques heures d’engagement très chaud, mirent en déroute tout ce gibier espagnol. Les détachements de notre centre et de notre gauche eurent le même succès vis-à-vis des colonnes qu’ils combattirent. Nos chasseurs ont pris à l’ennemi quatre pièces de canon et quelques autre effets, et partout il a été repoussé dans ses retranchements jusque sous le feu de nos batteries. Sa perte, en général, est évaluée à six cents hommes laissés sur le (111) Bull., 14 vend.; Débats, n 744, 239; Ann. Patr., n” 643; Ann. R. F., n" 15; C. Eg., n° 778; F. de la Républ., n° 15; Gazette Fr., n° 1008; J. Fr., n° 740; J. Mont., n° 159; J. Paris, n 15; J. Perlet, n° 742; J. Univ., n” 1776; M. U., XLIV, 218; Rép., n” 15. 260 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE champ de bataille; nous avons eu cinquante blessés et quelques morts à proportion. Je ne dois pas vous laisser ignorer un trait qui fait honneur à l’humanité, et que je n’ai pas manqué de récompenser au nom de la république. Un garde wallone, Liégeois de naissance, déserte au milieu du combat, passe à côté d’un de nos frères blessés. « Viens, lui dit-il, camarade, avec moi ; ils te tueront si tu restes ici. » Il le charge aussitôt sur ses épaules, et le porte pendant plus d’une heure, pour gagner l’ambulance. Ce vertueux Liégeois est bien digne de la liberté que nous avons donné à sa patrie! Tous les déserteurs qui nous arrivent en très grand nombre, démontrent d’une manière bien touchante le plaisir qu’ils ont de se trouver avec des hommes libres; je crois qu’il ne resterait pas un soldat au tyran de Madrid s’ils voyaient tous l’accueil que nous faisons à leurs camarades. Salut et fraternité. Dugommier. 47 Le représentant du peuple Delcher écrit, qu’au lieu de 400 bouches à feu qu’on croyoit avoir pris sur les Espagnols, on en a pris 470, dont 110 sont déjà évacuées et entrées au parc d’artillerie de Bayonne; au lieu de 15 000 fusils, on en a pris 28 000. Ces nouvelles seront insérées au bulletin (112). [Copie de la lettre du représentant du peuple Delcher au comité de Salut public, de Saint-Sébastien, le 2 vendémiaire an III] (113) Je vous fais passer, citoyens collègues, différents états que je me suis fait fournir par le général en chef de l’artillerie de cette armée. Vous y verrez avec plaisir et ferez connaître à la république entière qu’au lieu de quatre cents bouches à feu que l’on croyait avoir prise à l’Espagnol, il y en quatre cent soixante douze, desquelles il y a déjà cent dix d’évacuées et rentrées au parc d’artillerie de Bayonne. Il résulte aussi, des ordres que j’avais donnés dès le moment de mon arrivée à l’armée, qu’au beu de quinze mille fusils pris sur les Espagnols, ou par eux abandonnés, il s’en trouve actuellement vingt-huit mille : chaque jour nous fournit de nouvelles découvertes en armes et en argent caché par nos ennemis fugitifs et vaincus. Salut et fraternité. Delcher. (112) P.-V., XL VI, 251. Ann. R. F., n“ 13; C. Eg., n” 777; Gazette Fr., n° 1007; J. Mont., n° 158-159; J. Paris, n° 14; J. Perlet, n° 740-741; J. Univ., n” 1775; M. U., XLIV, 188, 195; Rép., n' 13. (113) Bull., 12 vend. ; Moniteur, XXII, 143 ; Débats, n° 743, 208; J. Paris, n' 16. 48 Le même membre rend compte d’une dépêche reçue de Marseille; il annonce que le décret rendu le cinquième jour des sans-culottides a porté l’espoir et le calme dans l’âme des patriotes de Marseille ; les conspirateurs seuls et les fripons se sont agités pour rompre ces mesures ; l’énergie des représentans du peuple a tout comprimé, mais ce n’est pas sans de grands dangers pour leurs personnes; il fait ensuite lecture des pièces qui contiennent les détails; ces pièces sont une lettre des représentans Auguis et J.-J. Serres, un procès-verbal des événemens passés à Marseille le 5 vendémiaire, et une lettre du comité révolutionnaire de Marseille (114). TREILHARD au nom des comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation : Citoyens, je suis chargé de vous rendre compte d’une dépêche que nous avons reçue hier de Marseille. Le décret que vous avez rendu le 5e des sans-culottides a porté l’espoir et le calme dans l’âme des patriotes de Marseille; les conspirateurs seuls et les fripons se sont agités pour rompre vos mesures; l’énergie des représentants du peuple a tout comprimé, mais ce n’est pas sans de grands dangers pour leurs personnes. Je vais vous donner lecture des pièces (115) [Les représentans du Peuple dans les départe-mens des Bouches-du-Rhône, du Var et de l’Ardèche, à la Convention nationale, de Marseille, le 6 vendémiaire an III] (116) Citoyens collègues, Vive la République, vive la Vérité, périssent tous les imposteurs. Il est tems enfin de déchirer le fatal rideau qui a couvert jusqu’au jour des scélérats qui ont pesé sur la France, et qui sous le masque d’un patriotisme ardent, ne tendaient à rien moins qu’à plonger les vrais républicains dans les horreurs d’un despotisme pire mille fois que celui qui opprime les asiatiques. Arrivés à Aix, nous commençâmes à connoitre les monstres qui gouvernaient le midi, et le tenaient sous l’oppression de la terreur et du crime insolent. Dix députés de la société populaire de Marseille, armés chacun d’un sabre et de deux pistolets, vinrent nous faire entendre insolemment que nous ne devions rien faire que par les avis et sous la surveillance des sociétaires; l’indignation fut notre réponse. Ils signalèrent leur séjour par une audace sans exemple, mirent le trouble dans cette commune, forcèrent un poste, (114) P.-V., XLVI, 251. (115) Bull., 12 vend. ; Moniteur, XXII, 146; Débats, n° 743, 209-211. (116) C 321, pl. 1338, p. 7. Cette pièce n’est pas reproduite au Moniteur.