20 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ! fj décembre4" 793 verbal de la fête de la raison célébrée dans le département qu’il représente. Le Président répond et invite la députation aux honneurs de la séance. Un membre observe (1) que le département de la Charente, indépendamment de 30 bataillons qui combattent aux frontières et dans la Vendée, vient encore de fournir 250 hommes de cavalerie équipés, pour l’armée des Pyrénées. Sur sa motion, « La Convention nationale décrète que les ad¬ ministrateurs et les administrés du département de la Charente ont bien mérité de la patrie; « Décrète, en outre, que leur adresse sera men¬ tionnée honorablement au procès-verbal et in¬ sérée au « Bulletin » (2). » Adresse des commissaires du département de la Charente, à la Convention nationale (3). « Représentants du souverain, « Le département de la Charente nous a député vers vous pour différents objets utiles à la chose publique; il nous a également chargés de nous présenter à votre barre et de vous trans¬ mettre les principes que n’ont jamais cessé de professer les fidèles Charentais. « Représentants, depuis bien des siècles, les Français courbés sous les chaînes honteuses des tyrans gémissaient en secret sur leur vil escla¬ vage; la philosophie et la raison rendant à l’homme son énergie naturelle, lui ont fait reconnaître et sa force et ses droits : il a rompu ses fers, et les crimes accumulés des despotes, la perfidie et le mensonge des ministres des autels, enfin la ligue des tyrans qui, en apparence, fournissaient un mur d’airain indestructible, n’ont pu résister à son impétuosité, et une grande révolution annonça à l’univers étonné que les Français étaient libres. « En vain le despotisme a-t-il cherché à s’accrocher aux débris du trône renversé, en vain les dignes sujets de l’imbécile Pie VI ont-ils voulu lancer les foudres du Vatican et nous menacer d’un Dieu terrible auquel ils ne croyaient pas; en vain les intrigants, les fripons et les nobles se sont-ils associés, rien n’a étonné le Français, sa représentation veillait à son bonheur et, d’un seul mot, le peuple debout a livré sans distinction au glaive de la loi les têtes criminelles qui conspiraient contre sa liberté. « Représentants, entourés de conspirateurs, menacés des poignards des scélérats, vous avez, par votre courage, sauvé la patrie. Restez à votre poste, représentants, nous ne cesserons de vous le répéter, et ne descendez de la Mon¬ tagne qu’apres avoir mouillé l’ancre du vaisseau de la Révolution dans le port de la paix. (1) La minute du procès-verbal signée par Belle-garde et Harmand et rédigée par Harmand porte : * Sur l’observation de deux membres... etc... » (2) Procès-verbaux de la Convention, t. 27, p. 358. (3) Archives nationales, carton C 285, dossier 82C. « O vous ! martyrs de cette sainte Révolution, ombres de Marat et de Lepeletier qui résidez dans cet auguste sénat, vous qui, inspirés par le génie de la liberté, fîtes pâlir les tyrans sur leurs trônes, recevez ici notre respectueux hom¬ mage; si le fer perfide trancha des jours si pré¬ cieux à la patrie, il ne put éteindre le feu bouil-' lant du patriotisme dont vous étiez animé, et vos dignes collègues, recueillant votre sublime énergie et vos vertus, n’ont laissé aux tyrans que la honte ou la mort. « Quant à nous, représentants, qui faisons. notre gloire d’être vos émules, nous ne cesserons de propager vos principes et de répandre par¬ tout les sublimes leçons que nous avons puisées dans cette enceinte; nos frères les écouteront avec enthousiasme, et si quarante mille hommes de notre département qui sont dans nos armées n’étaient pas un gage suffisant de notre incor¬ ruptible amour pour la République, représen¬ tants, dites un mot, et tous les Charentais accourent à votre voix. « Nous déposons sur le bureau le procès-verbal de la fête de la Raison célébrée dans notre département; depuis ce jour, le fanatisme a expiré, ses autels Se sont écroulés et ses idoles ont été avec lui s’engloutir sous les ruines du prestige et du mensonge. « Le représentant Harmand, qui présidait cette fête, vous dira que les préjugés y sont aussi en horreur que la tyrannie, qu’ils sont voués par lui à l’anathème des nations, et que la liberté et la raison sont le seul culte qu’il professe. « L.-B. Prieur, commissaire; Jacques, commissaire; Marquet, commissaire. » Procès-verbal de l’inauguration du temple de la raison à Angoulênie (1). Du 1er décadi de frimaire, l’an II de la Répu¬ blique française, une et indivisible. Tandis que le flambeau de la raison paraissait s’éteindre dans quelques contrées de la France, que le fanatisme des prêtres reprenait un nou¬ veau degré d’atrocité, que la liberté menacée par les brigands avait à lutter contre une fac¬ tion impie qui ne demandait la République que pour l’étouffer à son berceau, une révolution sans exemple se préparait : la vérité, comme l’éclair dissipant les ténèbres de l’erreur et de la superstition, a ouvert tous les yeux à sa lumière; ce cri de la raison s’est fait entendre : plus de prêtres, plus de prêtres ! ils ont trop longtemps fait le malheur des nations; que les idoles du mensonge soient renversées, point d’autre culte que celui de la raison et de la vérité. «• Il fallait imprimer le mouvement qui devait détruire ces autels que le fanatisme religieux avait élevés; c’est ce qu’ont fait les citoyens de la commune d’Angoulême; le flambeau de la vérité, ont-ils dit, a répandu sa lumière bien¬ faisante dans toutes les âmes. Célébrons par une fête solennelle le triomphe de laphilosophie; achevons de dissiper les ténèbres dont les prêtres nous avaient environnés pour mieux nous rete¬ nir sous leur joug. L’administration, partageant les principes et (1) Archives nationales, carton C 285, dossier S2G. (Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j 30 les sentiments de ces vrais sans-culottes, arrêta qu’il serait célébré une fête pour l’inauguration du temple de la raison le premier décadi de frimaire, dans la ci-devant église de Saint-Pierre, et que chaque administration de dis¬ trict et de municipalité serait invitée à députer un de ses membres pour y assister. Le 10 frimaire, à onze heures du matin, le représentant du peuple Harmand, les autorités constituées revêtues de leurs marques distinc¬ tives, les députés des administrations de district et des communes, réunis dans la salle des séances du département, se mirent en marche, accompagnés du bataillon révolutionnaire, pré¬ cédés de la musique militaire jouant les airs chéris de la Révolution. Le cortège se rendit chez la jeune Aubert que l’opinion publique avait désignée pour représenter la Raison. Conduite par le représentant du peuple Har¬ mand, entourée d’un groupe de jeunes ci¬ toyennes vêtues de blanc, décorées d’écharpes et de rubans tricolores, la Raison prit la route de son temple. Sous le dôme s’élevait un autel simple et majestueux, au milieu de quatre piliers d’ordre corinthien , soutenant des vases antiques en¬ flammés : on lisait sur les piédestaux ces mots : Liberté, égalité, équité, humanité. Sur le premier pilier de droite était cette inscription : Les hommes sont égaux; ce n'est point la naissance, C’est la seule vertu qui fait la différence. Sur le second à gauche : A quoi bon, citoyens, ces nobles orgueilleux; Oui sert bien son pays n’a pas besoin d'aïeux. Au milieu de l’autel, sur un piédestal de quinze pieds de hauteur, était placée la statue de la Liberté; aux deux côtés étaient les bustes de Jean-Jacques et de Voltaire, et le flambeau de la raison, avec cette inscription : Le feu de la raison éclaire les mortels, Tombez, tyrans, tombez aux pieds de ses aulels. Un vase ardent où brûlaient des parfums, avec ces vers : Dans ce temple où l'on trouve enfin l'égalité, L'encens ne brûle plus que pour la liberté. Un dôme de verdure couronnait l’autel, au centre étaient ces vers : Loin de rien décider sur un Etre suprême, Gardons, en l’adorant, uti silence profond; Sa nature est immense et l’esprit s’y confond : Pour dire ce qu'il est, il faut être lui-méme. Devant, était placé un grand vase de forme antique, destiné à brûler les lettres de prêtrise et autres monuments de superstition. On y lisait ces mots : Le fanatisme expire. 21 La raison s’étant placée sur l’autel, le repré' sentant Harmand a prononcé le discours sui¬ vant : « Citoyens, « Il est enfin arrivé ce jour heureux, depuis si longtemps désiré par la philosophie et la raison, et pour l’avènement duquel nous combattons depuis quatre années l’orgueil et le fanatisme. Trop longtemps, ces deux tyrans de la terre appesantirent leur joug odieux sur le peuple français; trop longtemps dans cette tribune, l’hypocrisie et l’imposture se jouèrent de notre crédulité et de notre confiance; trop longtemps, le noble impudent et le prêtre orgueilleux et fourbe se partagèrent le fruit de nos sueurs et de nos travaux; trop longtemps, leurs crimi¬ nelles intelligences, appuyant leurs forfaits res¬ pectifs, désolèrent l’humanité, et dégradèrent nos crédules ancêtres. Oui, il est enfin arrivé le temps de la justice et de la raison, et leur règne ne passera plus. « Qu’il m’est doux, citoyens, de pouvoir vous annoncer cette vérité, dans cette même tribune où, naguère encore, la superstition et les préjugés préconisaient le mensonge et l’erreur! Qu’elle est honorable, ma mission, puisqu’elle doit con¬ sacrer à jamais, parmi vous, le retour de la rai¬ son et le signe de la vérité ! « Je ne vous dirai pas comme ces blasphéma¬ teurs impies qui, abusant du ciel et de la terré, vous criaient : « Nous venons au nom d’un Dieu « caché, d’un Dieu terrible et vengeur, voub « annoncer ses mystères, ses miracles et sa « colère. » Je ne viens pas, comme eux, vous pré¬ dire des malheurs temporels, et des supplices éternels et barbares après votre pénible car¬ rière. Je ne viens pas vous dicter la loi insensée de croire sans voir; je ne viens pas vous pré¬ senter la nature bouleversée, vos pères, vos épouses, vos mères, vos enfants, vos amis con¬ damnés à la mort et à la malédiction, pour avoir fait usage des dons et des jouissances que cette même nature nous a accordés; je ne viens pas enfin, comme ces charlatans déhontés, vous annoncer la nécessité d’une prétendue révéla¬ tion; je n’aurai pas comme eux, la sacrilège audace et l’impudence de vous entretenir d’une communication immédiate avec l’Auteur de la nature. « Mais je viens, au nom de la raison, je viens, au nom de cette sainte nature si longtemps outragée, vous rappeler les tendres et bienfai¬ santes leçons qu’elle a gravé dans le cœur de tous les hommes, et voub les présenter dégagées des misérables préjugés de notre éducation; c’est la nature qui a dit à l’homme : « Ne fais à « personne ce que tu ne voudrais pas qui te fût « fait. » C’est elle qui a dit à l’homme : « Fais « usage de ta raison et de tous les dons que je « t’ai accordés, pour ton bonheur et celui de « tes semblables. » C’est elle qui lui a dit : « Use « de tout, et n’abuse de rien. » C’est elle qui a dit à tous les hommes : « Je vous ai fait tous « libres et égaux en droits. » C’est elle enfin qui, dans la nuit des préjugés où nous étions tombés, a révélé cette imprescriptible vérité à vos repré¬ sentants. Voilà, citoyens, ce que je viens vous annoncer. « C’est au nom de la raison, que je prends possession de cette tribune; c’est aussi en son nom que vous allez sanctifier ce temple par les hymnes sacrés qu’elle vous a dictés. Laissons ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 30 frimaire an li 20 décembre 1793 <2- (Convention nationale.] aux fanatiques bilieux leur Pieu toujours armé de la foudre; leur cœur nourri de fiel et de haine, leur fit imaginer et désirer ce Dieu à leur image; cruels, ils osèrent le peindre cruel comme eux; colères, vindicatifs, ils lui prê¬ tèrent leur esprit de colère et de vengeance. Mais moi, citoyens, je vous dis, contemplez autour de vous ; la nature a tout fait pour vous, votre bonheur est le constant objet de ses soins; elle ne connaît ni haine, ni colère, ni vengeance; elle produit et détruit par les mêmes lois et pour les mêmes effets; elle a produit le méchant, comme elle a produit le serpent et la foudre; mais elle a produit l’homme juste et sensible, comme elle a produit l’air pur et la tendre rosée. La raison est son premier bienfait, la liberté et l’égalité en sont les résultats nécessaires à notre bonheur commun; mais nous ne les obtiendrons et nous ne les conserverons qu’en nous déga¬ geant entièrement des préjugés politiques et religieux. Les ci-devant grands ne nous parais¬ saient tels que parce que nous étions à genoux; nous nous sommes levés, et ils ont disparu. Les prêtres ne nous ont trompés que parce que nous fermions les yeux; osons les ouvrir, et ils fuiront plus promptement encore que ne l’ont fait nos tyrans politiques : qu’ils aillent se réunir à leur chef imbécile de Rome, comme les pre¬ miers sont allés se réunir aux tigres de l’Alle¬ magne, et bientôt nous jouirons tous des fruits de nos travaux et des bienfaits de la nature; bientôt des lois salutaires devenues l’expres¬ sion de la volonté générale, rétabliront dans l’ordre social l’équilibre que la secousse révolu¬ tionnaire a ébranlé, et que la malveillance de nos ennemis voulait lui faire perdre. Bientôt la morale et toutes les grandes vertus du républi¬ canisme vivifieront notre existence politique; bientôt en obéissant aux lois, chaque Français saura qu’il obéit à lui-même, et il sentira que sans lois et sans vertus, le monde moral ou la société seraient dans l’ordre des choses, ce que serait le monde physique supposé dans un vol¬ can continuel; il n’y aurait ni repos ni bonheur pour personne. « Vous ne l’eussiez pas pensé, citoyens, que l’un de ces représentants que la calomnie a peint si longtemps comme des monstres altérés de sang, et comme des désorganisateurs sans prin¬ cipes et sans morale, vînt aujourd’hui vous par¬ ler de lois, de vertus et de morale. Eh bien ! citoyens, ces mêmes représentants n’ont jamais voulu, n’ont jamais désiré rien autre chose que des lois, de la morale et des vertus. Mais ils n’ont pas voulu de cette morale et de ceB vertus abstractives que l’on voulait connaître dans le cerole étroit de quelques individus et qui n’eussent été que la substitution d’une aristo¬ cratie à une autre; ce qu’ils ont voulu, c’est la morale universelle, celle qui parle à tous les hommes, celle qui leur a dit à tous : « Vous êtes « égaux et libres »; voilà ce qu’ont voulu vos représentants de la Montagne; voilà ce qu’ils ont juré d’obtenir et de procurer aux Français, ou de mourir. « Et vous, sexe aimable et sensible, vous que l’homme sage oompte au nombre des premiers bienfaits de la nature, et que des imposteurs orgueilleux avaient osé exclure publiquement de leur association pour vous profaner en secret, vous sur qui ils osaient affecter une supériorité qu’ils n'eurent jamais, et qu’ils n’imaginèrent que pour mieux cacher leur faiblesse et masquer leurs oriminels projets, écoutez aussi la voix de la raison, c’est à vous seul qu’il appartient de la rendre aimable et d’en tempérer l’austérité. Que la délicatesse de vos organes et votre sensi¬ bilité ne soient plus désormais l’instrument du fanatisme et de l’imposture; la raison vous apprend que la nature ne vous a réparti ses dons précieux que pour le bonheur des hommes, et non pour les rendre coupables ; la sensibilité est due à la nature, mais les vertus sont dues à la raison, et sans son secours, ces dons si précieux et si touchants ne seraient souvent que l’instru¬ ment du malheur. C’est aux épouses sensibles et vertueuses que les hommes doivent leur bonheur et leur gloire; c’est aux mères tendres que la patrie doit ses législateurs et ses défen¬ seurs. Voilà quelles seront désormais vos heu¬ reuses destinées sous les auspices de la raison et de la nature, l’une et l’autre vous appren¬ dront qu’il n’est d’autres mystères que ceux qui naissent des limites de notre entendement, d’autres dogmes que la liberté et l’égalité, d’autre divinité que la vérité et les lois, et qu’il n’est de bonheur que dans le culte. » Dumoulin, membre du comité de surveillance, prend la parole et dit : « Citoyens, « La raison, cette souveraine de l’Univers, cette véritable et unique divinité des nations, établit enfin son empire. Le voile de l’erreur se déchire, la lumière a dissipé les ténèbres, et l’homme va enfin être homme. « Longtemps et trop longtemps sa dignité méconnue fut asservie à toute sorte d’escla¬ vage, tyrannie, fanatisme, aristocratie de tout genre. « La pesanteur du joug, loin de courber davantage le peuple français, n’a servi qu’à le redresser, et l’homme aujourd’hui à côté de l’homme, reprend ses droits, connaît sa dignité et abjure l’erreur dont il a été trop longtemps la victime. « Raison suprême, égalité, fille de la nature, liberté chérie, vous seules serez désormais les divinités du genre humain ; vous seules recevrez l’encens pur et sacré de l’homme régénéré. « Citoyens, quels jours heureux présagent à cette cité la maturité de l’esprit public, et votre empressement à offrir vos premiers vœux à la raison ! Puisse, l’inauguration de son temple, que nous célébrons en ce moment, élec¬ triser vos âmes, citoyens, et consacrer à jamais son culte, seul digne de l’homme libre. » Un groupe de musiciens et de musiciennes, placés dans une tribune, chantent l’Hymne de la Liberté, et un autre Hymne à l’Etre suprême, composé par Desprez, vice-président du département, et mis en musique par Renard. Hymne à l'Etre suprême * Ennemi de toute imposture, Toi qui règnes sur l’univers, Puissant auteur de la Nature Protège les Français 1 Ils ont brisé leurs fers. Esclaves sous le despotisme, Tu les as vus crédules, ignorants, Du trop perfide fanatisme, T’offrir le misérable encens. Ennemi de toute imposture, etc. [Couvemipn nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. déœX/iTS» 23 La Raison a parlé; de la philosophie Ils ont réconnu le pouvoir, I Abjurant toute idolâtrie, Ils brisent aujourd’hui le spectre et l’encensoir. Ennemi de toute imposture, etc, Leur culte impie ou du mensonge, Les nuages impurs voilaient la vérité, N’est plus à leurs yeux qu’un vain songe Dont l’hommage insultait à ta Divinité. Ennemi de toute imposture, Toi qui règnes sur l’univers, Puissant auteur de la nature, Protège les Français, ils ont brisé leurs fers. Trémeau, procureur général, monté à la tri¬ bune de la vérité, autrefois la chaire de l’erreur, a prononcé le discours suivant : « Citoyens, frères et amis, « La foudre qui renversa le trône pulvérise aujourd’hui l'autel. Ce double triomphe pou¬ vait seul rendre aux Français l'intégrité de leurs droits. Qu’il soit donc maudit, le barbare mor¬ tel qui osa, le premier, ordonner aux hommes de ne travailler que pour le bonheur d’un seul. Il enfanta les tyrans, et forgea les chaînes que nous venons de rompre. Bientôt la tyrannie, pour affermir son spectre de fer teint du sang des hommes, appela à son secours la superstition. Ce nouvel ennemi courba nos crédules aïeux sous le joug homicide de dieux imaginaires, dieux changeants, emportés, dominés par toutes les passions, forgés par des tyrans, ils en eurent tous les vices. Les ministres d’un pouvoir ar¬ bitraire, ceux d’un culte également insensé et tyrannique, se partagèrent tous les honneurs, toutes les richesses, toutes les jouissances. a Pour nous, citoyens, frères et amis, quoique vivant sous le plus beau ciej, quoique cultivant la taire la plus fertile, nous ne marchions que sur des épines; les prêtres et les nombreux agents du fisc étouffaient, dans leur germe, les plus riches présents de la nature. « Telle était la profondeur de l’abîme qu’avaient creusé sous nos pas dix-huit siècles d’erreur et d’iniquités. « L’aurore des plus beaux jours vient enfin de succéder à l’obscurité de cette longue nuit; et comme au printemps, le doux chant des oiseaux annonce le retour de la lumière, ainsi les hymnes dont retentissent aujourd’hui les voûtes du temple de la Raison, portent la joie dans les cœurs des citoyens, et le désespoir dans ceux des aristocrates, en annonçant aux uns et aux autres que le règne des ténèbres est passé; que les Français ne veulent plus d’autre maître que la loi; ni d’autre Dieu que la raison, la liberté et la vertu, « Ce sont ces divinités protectrices des répu¬ bliques et du bonheur des hommes, qui ont brisé le spectre de la tyrannie et l’encensoir de la superstition; c’est par elles aussi que nous raffer¬ missons l'édifice de notre courage, c’est aussi par elles que nos enfants, plus éclairés et plus heureux que leurs pères, augmenteront la gloire et la prospérité de la République. » Dans les intervalles des discours et des hymnes, les Droits de l’homme ont été lus à la chaire de la Vérité par Daval, secrétaire général du département. Les sons mélodieux de l’orgue se sont fait entendre; les cris de : Vive la Répu¬ blique! ont frappé par reprises réitérées les voûtes du temple. Un citoyen a fait apporter son enfant pou-veau-né « Sois, a-t-il djt à II arm and, le pair rain de cette jeune créature; sous quels plus heureux auspices peut-elle voir la lumière qu’à l’instant où l’empire de la raison commence. On a ensuite chanté les couplets suivants : Présent des Cieux-, auguste liberté, Viens épancher tes bienfaits sur la France, Et qu’avec toi la douce égalité Fasse de nous une famille immense. Peuples, crajgnez d'abuser de vos droits; Que la loi seule en dirige l’usage; Car l'insensé qui viole les lois, Est un tyran qui marche à l'esclavage. Présent des Cieux, etc. La liberté n’est donc que dans la loi, La loi de tous la volonté suprême; C’est mon ouvrage, elle est faite par moi Soumis aux lois, j’obéis à moi-meme. Présent des Cieux, etc. L'égalité, la balance à la piain, Pèse nos droits civils et politiques, Elle répand sur chaque citoyen Et les bienfaits et les charges publiques. Présent des Cieux, etc. Mais ira-t-elle ôter à l’ouvrier Les fruits heureux d une longue industrie? Et ce fuyard aura-t-il le laurier Du citoyen qui sauva sa patrie? Présent des Cieux, etc. Non, elle est juste aux vertus, aux talents, Pour nous servir, elle ouvrit la carrière; Elle préfère aux vices opulents L’humble vertu que couvre la chaumière. Présent des Cieux, etc, Qu’un magistrat me juge au tribunal, Des lois en lui j'honore l’interprète, Mais, hors de là, je" marche son égal, Et do la loi, le glaive est sur sa tefe. Présent des Cieux, etc. Si vous voulez garder la liberté, Français, prenez des mœurs républicaines; Respect aux lois, droiture, fermeté, Faites un choix des vertus au des chaînes. Présent des deux, etc. L’inauguration du temple étant achevée, le cortège s’est rendu sur la place de la commune. Devant l’arbre de la liberté, s’élevait un bûcher chargé de confessionnaux, de titres féodaux, de titres de noblesse, etc. La raison y a mis le feu, et les flammes ont dévoré ces antiques parche¬ mins, monuments d’ambition, de préjugés et d’erreurs. Cette journée, à jamais mémorable dans les fastes de la Charente, a été terminée par une danse qui a duré presque tqute la nuit, dans la salle du spectacle, où le peuple, faisant lui-même la police de la fête, a prouvé qu’il était digne de la liberté. fait et arrêté à Angoulême, le 10 fri rp aire, l’an II de la République française, une et indi¬ visible. Certifié conforme au registre des délibérations du conseil général du département de la Charente. Signé : Desprez, vice-président, et Duval, secrétaire général.