(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES : {19 février 1191. | méat cette lettre officielle pour appreDdre à l’Assemblée que les électeurs du Puy-de-Dôme sortent à l’instant de la messe, après la proclamation de i’evêque. « Le temps ne me permet pas de vous envoyer le procès-verbal; j’aurai l’honneur de vous l’adresser le plus tôt possible. « Je suis, etc. » M. le Président. J’ai également reçu du président de l’assemblée électorale du département de Saône-et-Loire la lettre suivante : « Monsieur le président, j’ai l’honneur de vous annoncer la nomination de àl. l'abbé Gouttes, membre de l’Assemblée na'ionale, à l’évêché de Saône-et-Loire. ( Vifs applaudissements) . « Le corps électoral que j’ai eu l’honneur de présider, a cru donner par celte élection une preuve distinguée du désir qu’il a et qu’il aura constamment de se conformer à la sagesse des vues de l’Assemblée nationale. « Je joins à ma lettre le procès-verbal de l’élection de ce prêtre respectai >le par ses vertus morales, chrétiennes et patriotiques. » L’ordre du jour est un rapport des comités des rapports et des recherches sur l'affaire de Nîmes. M. Aiqnîer, rapporteur (1). Messieurs, les événements qui se sont passés à Nîmes ont, depuis longtemps, fixé les regards de l’Assemblce nationale. Les deux partis qui divisent la vife de Nîmes ont répandu, avec une profusion qu’ils ont cru vraisemblablement utile à leur défensp, une foule de mémoires, de récits, de lettres, d’exposés et d’adresses, où la véri é, il le faut avouer, est presque toujours défigurée par les préventions de la haine, et où chaque parti accumule des accusations graves et terribles, dont on cherche à justifier la vraisemblance, soit en les liant à des événements passés et consacrés par l’histoire, soit en les rapprochant du tableau des événements présents. Mais en admettant, si l’on veut, beaucoup d’exagération de part et d’autre, dans ces récits, il test ra toujours cette affligeante vérité, que nulle ville sans exception, ddus le royaume, n’a éprouvé, depuis la Révolution, ni de si grands, ni de si longs malheurs. Ce sont les détails de ces malheurs que je viens vous présenter au nom de vos comités des recherches et des rapports. J’ai donc à développer la cause des troubles de Nîmes; et c’est avec regret qu’en remontant à leur source, je me verrai forcé d’examiner si, comme on l’a publié, ils doivent en effet leur origine à cette haine cachée, mais toujours aigrie, qui, survivant aux guerres de religion, n’attendait, dit-on, pour éclater, que de-ci i constances favorables, soit à l’ambition, soit fanatisme d’un parti, dont les lois de l’État avaient toujours déconcerté les projets et réprimé la violence. — C’est avec regret, je le répète, qu’obligé de suivre l’un des partis dans son plan de défense, je me verrai forcé de nommer les catholiques, les protestants, et de rappeler ainsi ces distinctions odieuses que vos décrets ont si sagement abolies. J’aurai aussi à examiner si, comme l’avance le parti contraire, le zèle de la religion n’a été qu’un prétexte employé avec art par les ennemis du (1) Le Moniteur ne donne que des extraits de ce rapport. 999 bien public pour échauffer l’imagination du peuple, et si, par des alarmes adroitement suggérées sur ['anéantissement prochain du culte catholique, on vou ait en effet conduire le peuple à devenir l’instrument aveugle d’un projet i npor-tant d’une contre-révolution, enfin, qui devait, dit-on, s’opérer dans les départements du midi, et e mbraser successivement toutes les parties de l’Empire. C’est au milieu de ces assertions également graves, et soutenues avec une égale chaleur, que j’ai à découvrir la vérité. — Mais, pour vous conduire à l’évidence qui peut seule, et qui doit seule déterminer votre décision, une longue discussion sera nécessaire ; et, peut-être, je dois d’avance justifier la trop grande étendue que l’on pourra me reprocher d’avoir donnée à mon rapport, en vous prévenant que vos comités n’ont point encore été occupés de l’examen d’une affaire aussi chargée de faits, et aussi compliquée; qu’il y a 700, tant dépositions, que déclarations ; des procès-verbaux immenses ; près de 100 interrogatoires ; que des volumes énormes d’écriture ont été produits, et qu’il a fallu lire et souvent extraire un nombre considérable d’ouvrages imprimés. Je vais donc présenter à l’Assemblée nationale : 1° le récit des événements qui se sont passés à Nîmes depuis l’époque des premiers troubles; 2° Rechercher les causes et les auteurs de ces trouble-; 3° Enfin, lui rapporter l’avis de ses comités. Les divisions survenues dans la garde nationale de Nîmes ayant été la cause ou le prétex e des premiers troubles, je dois vous parler de l’organisation de ce corps et de l’époque de sa formation. Le 19 juillet 1789, les citoyens de ce qu’on appelait alors les trois ordres se réunirent en présence des officiers municipaux; et arrêtèrent de former une milice bourgeoise. 12 commissaires furent charges de la rédaction d’un plan d'organisation et de régime» Le lendemain, le plan présenté par les commissaires fut adopté par l’assemblée générale, et la nouvelle milice, composée de 1,349 hommes répartis en 24 compagnies, prit le nom de légion nîmoise. Le plan d’organisation était sage, et on y avait p>évu tout ce qui pouvait assurer la tranquillité publique dans la ville, et le bon ordre dans la légion. La seule distinction admise pour les légionnaires, consistait, aux termes de l’article 16 du règlement, dans une cocarde bleue et blanche. Au mois d’octobre, il se forma quelques compagnies composé *- entièrement de citoyens catholiques ; le sieur Froment, avocat et receveur du chapitre, était un des chefs : trois de ces nouvelles compagnies se présentèrent le 15 octobre au comité permanent, pour être admises à la prestation du serment ; le comité voulut remettre au lendemain cette cérémonie, mais la proposition de ce délai fut rejetée avec violence; Froment fit fermer les portes de Dhôtel de ville, et le comité, intimidé par cette audace, admit les compagnies à la prestation du serm nt. Il existait dès lors à Nîmes une fermentation sourde que rendirent bientôt plus apparente et plus active quelques écrits qu’on répandit avec profusion. Il est impossible de ne pas reconnaître des intentions coupables dans les auteurs de ces ouvrages, et ils avaient incontestablement pour but de diviser les catholiques et les protestants* en montrant 300 [Assemblée nationale*] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [19 février 1791*] ceux-ci comme redoutables, par des projets de domination, et en les accusant d’avoir tout préparé pour exécuter des attentats énormes. Les cruautés commises dans les guerres de religion, sont retracées avec une affectation perfide, dans un ouvrage intitulé : Pierre Romain aux catholiques de Nîmes. Il faut vous citer quelques passages de cet écrit : « Fermez aux protestants la porte des charges et des honneurs civils et militaires; qu'un tribunal puissant, établi dans Nîmes, veille jour et nuit à l’observance de ces importants articles, et vous les verrez bientôt abandonner le protestantisme. « Ils vous demandent de participer aux avantages dont vous jouissez, mais vous ne les y aurez pas plutôt associés, qu’ils ne penseront plus qu’à vous en dépouiller, et bientôt ils y réussiront. « Vipères ingrates que l’engourdissement de leurs forces mettait hors d’état de vous nuire, réchauffées par vos bienfaits, elles ne revivent que pour vous donner la mort. « Ce sont vos ennemis nés ; vos pères ont échappé, comme par miracle, de leurs mains sanguinaires; ne vous ont-ils pas raconté les excès de cruauté qu’ils ont exercés contre vos aïeux ? C’était peu pour eux de leur donner la mort, s’ils ne la leur eussent donnée par les tourments les plus inouïs. Tels ils ont été, tels ils sont encore. » Tel est, Messieurs, l’esprit qui règne dans cette lettre de Pierre Romain aux catholiques de Nîmes; bientôt d’autri s ouvrages suivirent celui-ci, et répandirent le même poison. Dans une lettre écrite à Pierre Romain, l’auteur, sous le nom de Charles Sincère , examine s’il serait avantageux d’expulst-r les protestants du royaume, et il se décide pour l’affirmative. « Il prédit que si l’Assemblée nationale leur accorde le droit de parvenir aux charges, elle donnera naissance à des divisions, à des troubles éternels, à une Révolution peut-être. « En conséquence, l’auteur conseille aux habitants du Languedoc de révoquer les députés protestants, et notamment M. Rabaut; de désarmer les capitaines et les soldais protestants; de doubler la milice bourgeoise, et de se lier avec toutes les communautés catholiques circonvoi-sines. » J’ai cru devoir fixer votre attention sur ces ouvrages; peut-être jugerez-vous, par la suite de mon rapport, qu’il était indispensable de vous les faire connaître, et qu’ils ne sont pas étrangers aux événements dont je dois vous rendre compte. Le temps approchait où l’on devait élire à Nîmes une nouvelle municipalité, d’après le mode constitutionnel, et l’intrigue ne resta pas oisive. Les deux partis s’accusent mutuellement d’avoir employé des séductions de tout genre pour dominer dans les élections, et pour former ehacun à son gré le nouveau corps municipal. J*- reviendrai sur cette imputation ; ce n’est pas ici que je dois vous donner les lumières que j’ai puisées dans l’information : je reprends la suite des faits. La nouvelle municipalité fut élue, et M. Marguerites, nommé maire, obtint, le 13 mars, de l’Assemblée nationale, un congé pour se rendre à Nîmes, où sa présence était nécessaire; ce sont les termes du congé. Le dimanche 28 mars, la municipalité fut installé0 en présence de tous les corps de (a ville, invités à cette cérémonie. M. Marguerites prononça un discours, et je dois rendre ce témoignage, qu’il est impossible de parler de la Constitution avnc plus de noblessp, plus d’énergie, j’ai presque dit avec plus d’enthousiasme; ce discours respire le patriotisme le plus pur, et recommande, dans les termes les plus pressants, l’union entre les citoyens, et la soumission à vos décrets. Vous savez déjà qu’il existait à Nîmes une garde nationale formée le 20 juillet 178 >. L’admission des nouvelles compagnies, accordée par le comité permanent, ou plutôt extorquée par la violence de Froment, l’un de leurs chefs, avait excité des mécontentements dans la légion. Le colonel proposa un nouveau projet de règlement qui fut rejeté par la majorité des volontaires. Le 13 avril, la municipalité, sur le réquisitoire du procureur de la commune, fit aussi un règlement provisoire. Toutes les compagnies y adhérèrent quelques jours après; mais cette adhésion fut rétractée lorsqu’on s’occupa de la nomination d’un état-major, qui, aux termes de l’art;cle 3 du règlement, devait être faite par le conseil général de la commune et par les officiers de la légion. Une partie des officiers s’opposait à ce qu’on procédât à l’élection ; d’autres l’exigeaient. D’après cette contrariété d'opinions, la mu dci-palité arrêta qu’elle rend ait compte à l’Assemblée nationale, et qu’on attendrait ses ordres. U y eut dès lors une division ouverte daas la garde nationale ; l’un des partis s’attacha à la municipalité, et en fut protégé; l’autre lui a été constamment opposé. Je n’examinerai pas en détail le règlement fait par les officiers municipaux, j’observerai seulement qu’ils avaient outrepassé la limite de leurs pouvoirs, qu’ils exigeaient un serment qui n’était pas le serment constitutionnel, et que quelques-unes des dispositions qu’ils arrêtèrent, ont contribué à propager les troubles, en favorisant la réunion, dans les mêmes compagnies, des gens exagérés ou malintentionnés de l’un des deux partis. Ge règlement excita les réclamations d’un grand nombre de citoyens formant à Nîmes une société nommée par eux Club des amis de la Constitution. Cette société présenta, le 16 avril, à la municipalité, une pétition pour obtenir un sursis à l’exccution de la totalité du règlement, jusqu’au moment où l’Assemblée aurait prononcé sur sa validité. Le 17, elle vous dénonça ce même règlement comme une violation de vos décrets. Trois jours après, les amis de la Constitution devinrent eux-mêmes l'objet d’une pétition adressée à la municipalité par un grand nombre de citoyens actifs réunis dans l’église des pénitents blancs. Les pétitionnaires demandaient la suppression de la société, et que les portes du lieu de ses séances fussent incessamment fermées, à cause, est-il dit dans la pétition, de l’insubordination scandaleuse des membres de ce club. Le même jour, les mêmes personnes, , dans cette même église de pénitents blancs, prirent cette fameuse délibération, si connue depuis en France sous le titre de délibération des catholiques de la ville de Nîmes. Des alarmes très vives sur les dangers qui menaçaient, dit-on, la religion et la monarchie, sur les changements annoncés dans le régime ecclé- (Assamblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (19 février 1791.( QA[ siastique, et sur le séjour du roi à Paris, paraissent avoir dicté cette délibération. En conséquence, les délibérants demandent que la religion catholique, apostolique et romaine soit déclarée religion de l’Etat; qu’il ne soit rien innové dans la hiérarchie ecclésiastique, sans le concours d’un concile; que le pouvoir exécutif soit rendu au roi dans toute son étendue, et que le roi discute dans sa sagesse tous les décrets qu’il a sanctionnés depuis le 19 septembre, et qu’il les sanctionne de nouveau, s’il le juge nécessaire. On rédigea aussi une adresse au roi, et on énonça que la délibération avait été signée par 3,127 personnes, parmi lesquelles se trouve, observe-t-on, un très grand nombre de légionnaires, et que 1,560 autres personnes avaient déclaré y adhérer. Le 22, la municipalité démentit, et réprouva par une délibération rendue publique, un libelle vendu alors dans les rues de Pans, ayant pour titre : Complot découvert. Le 27, le club des amis de la Constitution adresse aux officiers municipaux une pétition signée de 162 citoyens actifs. « Nous croyons, disent-ils, de notre devoir de citoyens de ramener sur dos libelles qui infestent nos foyers votre attention fixée sur une brochure publiée à Paris. Les cœurs sont divisés, les esprits sont aigris, les troubles se fomentent ..... Des qualilications contraires désignent les enfants d’une même patrie, les adorateurs d’un même Dieu, des Français, des chrétiens. » En conséquence, la société dénonce plusieurs ouvrages anonymes et incendiaires, parmi lesquels se trouvent ceux que je vous ai cités. Les ouvrages dénoncés sent ceux que je vais nommer : Pierre Romain aux catholiques de Nîmes; Charles Sincère à Pierre Romain; Réponse à la lettre de M. le duc de Melfort; François , réveillez-vous; Paul Romain à Pierre Romain; et enfin Avis important à l’armée française , qu’on répandait chaque jour avec profusion parmi les soldats du régiment de Guyenne. « Egarés dans leurs principes et dans leurs intentions, disent encore les membres du club, quelques légionnaires se permetient de substituer à la cocarde nationale un nouveau signe de ralliement. » Le samedi, 1er jour du mois de mai, des citoyens connus à Nîmes sous le nom de Cebets, ou Travailleurs de terre, et soldais de la compagnie Froment, se rendent vers les 9 heures du soir à la porte de M. Marguerites, et y plantent un mai. Cet hommage est suivi d’une sérénade qui dura une partie de la nuit. Le lendemain, les mêmes légionnaires prennent les armes, et se réunissent en grand nombre pour faire la garde du mai qu’ils avaient planté la veille. Ils avaient des cocardes blanches, et paraissaient eu fête. On les vit souvent entrer dans la maison pour boire et pour manger ; on les vit aussi manger à la porte, et aller prendre du vin dans une es-fièce de remue qui appartient au maire, et dans aquelle, à cette époque, il en faisait vendre eu détail. Ges légionnaires criaient souvent; Vive le roi! Vive la croix! A bas la nation! Ils tenaient des propos incendiaires et relatifs à la religion ; les cocardes blanches ne devaient être laissées, di-saieut-ils, que lorsqu’elles seraient rougies du sang des protestants. Et ce n’est pas à cette occasion seulement que ces clameurs ont été entendues ; les témoins déposent que, dans plusieurs autres circonstances, quelques compagnies passant en armes sous les fenêtres du maire, criaient : « Vive le « roi! Vive la croix I A bas les noirs! Vivent les « blancs! À bas la nation! » La cocarde blanche arborée par les volontaires qui étaient à la porte du maire, donna lieu à d’autres faits dont je dois vous rendre compte. Des légionnaires avaient été, dès le matin, au quartier du régiment de Guyenne, pour demander au tambour-major de permettre qu’un tambour vînt avec eux, et les précédât jusqu’au village de Bouillargues. Cette demande fut accordée. Peu de temps après, le sieur Ramond, sergent-major de la compagnie à laquelle ce tambour étau attaché, dit que ceux qui l’avaient demandé étaient de mauvais citoyens, puisqu’ils portaient la cocarde blanche. Le tambour-major qui n’avait pas remarqué cette distinction, court après les légionnaires, les rejoint à peu de distance de la ville, et ramène le tambour, sous prétexte qu’il était rappelé par son service à la compagnie. Sept légionnaires à cocarde blanche se présentent avec un officier à la porte des casernes, le sergent de garde les arrête, et leur demande pourquoi ils portent une cocarde qui n’est pas la cocarde nationale : G’est la royale, dit l’officier; le serg-nt répoud que ce n’est pas celle que porte le roi, et qu’il a fait prendre aux troupes, et renvoie les légionnaires. P usieurs autres sont expulsés des bâtiments et de la place des casernes, sur le même motif. A midi, une sentinelle placée à la porte de l’église Saint-Charles, où se célébrait la messe du régiment, refuse l’enirée à des 1 gionuaires qui avaient la cocarde blanche, et leur dit : « Vous n’entrerez pas avec la cocarde bianche, c’est le signe de la révolte. » Ce> paroles sont entendues par un fourrier qui approuve la sentinelle, et qui ajoute : « Le moment est arrivé où les ennemis de la Constitution exécutent leur plan. » Ramond, sergent-major, dit à haute voix : « Nous ne voulons pas laisser entrer les cocardes blanches, » et il promet qu’il les ôtera dans le jour; un de ses camarades répond : Oui, nous les ôterons. Le soir, entre 5 et 6 heures, Ramond et quatre autres sous-»fliciers vont à la promenade du cours, où les citoyens s’étaient aussi rendus en grand nombre. Ramond aperçoit un homme portant la cocarde blanche, il lui ait de la laisser, et sur son refus, il la lui arrache : cet exemple est à l’instant suivi par les quatre autres sous-officiers, par quelques soldats qui étaient à la promenade, et plusieurs cocardes blauches sont arrachées avec violence. A l’instant les légionnaires se réunirent, prirent des pierres, et attaquèrent les sous-officiers et soldats : ceux-ci mirent le sabre à la main pour écarter la foule ; plusieurs volontaires à cocarde nationale se réunirent à eux ; mais ne pouvant résister à une grêle de pierres dont on les accablait, les soldats gagner* nt la citadelle. Quelque temps après ils virent entrer au cuurs des volontaires à cocarde nationale, et les joignirent, pour qu’ils protégeassent leur retour aux casernes; mais ils furent encore charges avec tant de violence, qu’ils entrèrent précipi- 302 [Assemblée nationale.] tamment dans une maison voisine, et s’y barricadèrent. La maison fut attaquée à coups de pierre, et les portes en auraient bientôt été brisées, si le maire et quelques officiers municipaux, qu’on avait, é.é avertir dès le commencement de Ja qm relie, ne fussent parvenus, par leurs exhortations et leurs eflorts, à calmer et à éloigner les assaillants. Un légionnaire était entraîné par plusieurs autres tiès animés, et il allait périr, lorsque le maire parvint à l’arracher de leurs mams, et à lui sauver la vie. Ou place une garde à la maison où les soldats s’étaient réfugiés, et pour rendre cette précaution plus imposante, on y laissa un oflicier municipal. Enfin le tumulte se dissipa, et les officiers municipaux se retirèrent à t’hôtel de ville. Une nouvelle compagnie y arriva pour renforcer la garde, le maire la passa en revue, et ayant aperçu un homme qui portait une cocarde blanche, il la lui fit laisser ; dans le même moment, un autre légionnaire ôta aussi de son chapeau une cocarde blanche, et la mit dans sa poche. Le lieuienant-colont-1 du régiment avait fait battre la générale, et les officiers municipaux attestent que, dans moins de dix minutes, presque tout le régiment se trouva rassemblé avec une subordination incroyable : ce sont Durs ex-pre sious ; la retraite fut battue, et les soldats rentièrent dans leur quartier. Les patrouilles fuient redoublées, et on renforça les corps de gaide; les officiers municipaux parcoururent les uiliéreuis quartiers de la ville, et la nuit fut tranquille. Le 3, une fermentation très vive se manifesta; dès le matin il y eut des attroupements dans plusieurs quartiers de la ville. Des hommes aimés, les uns de haches, de sabres, d’autres de baïonnettes et d’épées, parcoururent les rues. ils paraissaient très animés contre les protestants, et plusieurs citoyens ue cette clause furent insultés, poursuivis et giièvemeni blessés. Dt s tiavailieurs ue terre traînaient une corde, et criaient : « C’est pour pendre L s protestant; » ils soupçonnèrent que quelques-um s’etuiem réfugies dans une maison, ils attaquèrent la maison à coups de pierre. A midi, la place, les cours, les escaliers et quelques salles de l’hôtel de ville étaient remplis u'une foule considérable de travailleurs de terre. Deux jeunes gens s’y étaient rendus pour voir donner l’ordre ; on les reconnut pour protestants : ih turent injuriés et maltraités. Un soldat passa devant les fenêtres de l’hôtel de ville, il fut attaqué par les légionnaires; deux de leurs officiers lui sauvèrent la vie : le maire parut et apaisa le dé ordre. L’atirou, ement devint si considérable et si tumultueux, que les boutiques furent fermées dans les rues voisines de la maison commune, 1 1 qu’on fut obligé d’aller à la Salamandre, pour prendre l’ordre qui se donnait chaque jour à l’hôiei de ville. 1 Le maire parcourut différentes rues : l’animosité dis travail eurs de terpe était violente, et il eut beaucoup oe peine à se faire obéir, lorsqu’il leur ordonna de se retirer. Les soldats du régiment de Guyenne étaient aussi l’objet de la fureur de ces légionnaires. U u soluat fut blessé d’un coup de sabre, en revenant de faire son service. [19 février 1791.] Un grenadier, nommé Langier, fut assassiné d’un coup de fusil, par Mathieu Froment, et mourut quelques jours après de sa blessure. La ville éluit alors divisée en deux partis : on se réunissait, on marchait en grand nombre; les uns criait nt : Vive le roi! à bas la nation ! les autres : Vivent le roi et la nation! et ces différentes a clamatious, révélées et soutenues avec opiniâtreté, occasionnaient toujours des rixes, et souvent des violences. A 6 heures, des soldats se promenaient au cours : des légionnaire-! passent devant eux, s’arrêtent, et crient : Vive le roi! les soldats répondent : Vivent le roi et la nation! — Vive le roi ! reprennent les travailleurs, la nation ne te fait pas manger, c’est le roi; ils ajoutent; Au diable la nation, attaquent les soldats à coups ne pierre, et les obligent à fuir du côté des casernes. Les soldats du régiment de Guyenne, irrités enfin de ces outrages réitérés et des violences exercées contre prieurs d’entre eux, prennent les armes et viennent en grand nombre au cours avec la garde du quartier, pour venger leurs camarades ; ils se font ouvrir de force une maison où on leur avait dit que les agresseurs s’étaient retirés, mais biemôt ils rentrent aux casernes, au premier ordre de leurs chefs. Au milieu de et s désordres, la municipalité fit publier une proclamation , portant défense de s'attrouper et de sortir avec des armes. Pendant la nuit, il n’y eut point d’attroupement, mais on entendit ces mêmes clameurs dont je vous ai parlé. Le 4, la ville élait tranquille ; la loi martiale fut publiée, et le soir il y eut une réconciliation générale entre les soldais du régiment de Guyenne et la partie des citoyens qui s’étaient armés contre eux. Le 11, M. Marguerites, qui avait demandé une prolongation de comté, et qui n’avait reçu aucune réponse de l’Assemhlée.naiionale, partit de Nîmes pour vonir reprendre ses fonctions do député. Le même jour, vous le mandiez à la barre pour y rendre compte de sa conduite et de celle ue la municipalité.' Le 14, la société des amis de la Constitution dénonça aux officiers une fabrication considérable de fourches que l’on transportait en grand nombre et eu plein jour. Le 19, la municipalité ordonna à tous les officiers et volontaires de la légion, de faire rapporter dans 24 heures, au greffe de la commune, toutes les fourches destinées à leur servir. Le 22, la municipalité arrêta de faire sa soumission pour acquérir les biens nationaux situés dans son territoire; elle détermina dans ta même séance de faire acheter et distribuer des cocardes nationales aux membres de la légion qui n’en portaient aucune depuis l’interdiction des cQcardes blanches; cette deliberation fut exécutée, et on distribua 94 douzaines de cocardes nationales. Les divisions qui régnaient entre les ci oyen3 devenaient chaque jour plus alarmantes ; enfin elles éclatèrent si ouvertement, et i| fut si bien démontré, même pour les villes voisines, qu’il y avait à Nimes un p�rti contraire au bien public, et prêt à déployer toutes les ressources du fana-tispQe et de la révolte, pour défendre des intérêts paiticuliers, que le district de Summières arrêta, le 25 mai, de proposer aux autres districts du département, de former une fédération pour protéger la sûreté et la liberté des électeurs du département du Gard, qui devaient se réunir â Nimes; le quartier général devait être établi à ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 303 (Assemblée nationale. | ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (19 février 1791.] Boissière , .et les troupes cantonnées dans les villages voisins. La municipalité, par sa délibération du 31 mai, rejeta la proposition du district de Sommières, et détendit à tous ceux qui faisaient partie du camp de Boissière, de paraître armés et attroupés sur le territoire de Nîmes, sous peine d’ètre poursuivis comme perturbateurs du repos public. Les événements qpi s’étaient passés à Nîmes, dans les journées du 2 et du 3 mai, étaient trop graves pour ne pas exciter la vigilance du ministère public, et le 10, le procureur du roi, au présidial , présenta plainte au lieutenant criminel. Le même jour il fit assigner les témoins; l’information commença dès le lendemain et fut suivie sans interruption. Les officiers municipaux s’étaient aussi occupés de recueillir des renseignements et ils avaient déjà entendu un grand nombre de témoins, lorsque, le 13 mai, le conseil général chargea le procureur de la commune de faire sa dénonciation au procureur du roi. Cette dénonciation fut faite par un acte, en forme légale, en date du 15 mal. Le procureur du roi, d’après l’usage constant de son siège, exigea que le procureur de la commune se rendît garant des faits. Cette garantie fut refusée et le procureur du roi consulta le garde des sceaux. Ce ministre répondit le 28 qu’aux termes de l’article 7 du litre 111 de l’ordonnance de 1670, la garantie était de droit et qu’il était inutile de l’établir par une stipulation particulière. D’après celte décision, le procureur de la commune renouvela sa dénonciation le 7 juin. Le procureur du roi la reçut, et, le même jour, il rendit plainte. Le 8, le procureur de la commune présenta une liste de 21 témoins ; ils lurent assignés le 10 à la requête du procureur du roi. Le même jour, le lieutenant criminel commença l’information et deux témoins furent entendus. L’information devait être continuée le 11, lorsque le procureur du ioi apprit que le 9 les officiers municipaux avaient arrêté, par une délibération, qu’ils n’avaient jamais entendu devenir plaignants et poursuivants dans cette affaire, mais seulement aider le ministère public à découvrir les auteurs et adhérents des troubles. Le procureur du roi demanda au lieutenant criminel de suspendre l’audition des témoins; il écrivit le 11 au garde des sceaux, l’informa de la nouvelle délibération de la municipalité et demanda des ordres. J’ai dû vous faire connaître ce qui s’était passé entre le procureur du roi et la municipalité, parce que, dans les mémoires publiés par les officiers municipaux, ce magistrat est accusé d’avoir constamment refusé de faire entendre les témoins présentés parle procureur de la commune. Vous voyez que cette accusation n’est pas fondée, que la dénonciation a été reçue d’après la décision du garde des sceaux ; que les témoins administrés ont été assignés ; que deux ont été entendus, et que si l’audition des autres n’a pas eu lieu, c’est que, d’après la délibération prise le 9 jujn par la municipalité, le procureur du roi ne pouvait pas prudemment ne pas rendre compte de ce nouvel incident et ne pas consulter le ministre de la justice. Observez, d’ailleurs, que le zèle du ministère public avait même devancé la vigilance de la municipalité, puisque l3 plaiqtp, rendue d’offjçe par le procureur du roi , est antérieure de cinq jours à la uénpm iation du procureur de la commuqe et que l’informatipu se suiyait avec rapidiié. Déjà 96 témoins avaient été entendus, lorsque voire comité des recherches, iufprmé des faits relatifs aux troubles de Nîmes, vous représenta que l’ordre public exigeait que la preuve dp ces faits fût acquise; en conséquence vous rendîtes, Je 17 juin, un décret, par lequel vous ordonnâtes que votre président se retirerait par devers le roi, pour le prier d’ordonner qu’il fftt informé de ces faits, circonstances et dépendances, dev�Pt le présidial de Nîmes. D’après ce décret, le garde des sceaux n’avajt plus à s’expliquer sur l’arrêté pris le 9 juin par les officiers municipaux; il adressa au procureur du roi l’état des faits présentés par le pumité des recherches et sur lesquels devait porter l’information. La proclamation du roi fut enregistrée le 6 au présidial, et le 7 le procureur du roi présenta sa pl dote en addition. Je crois, Messieurs , devoir interrompre ici le récit des autres événements que présentera cette affaire et l’arrêter à l’époque du lw juin. La nécessité d’être clair, si toutefois il est possible de l’être dans un rapport aussi chargé de faits, me prescrit cette marche. En vous parlant des troubles qui put eu lieu, à Nîmes, dans les journées du 2 et du 3 mai, je me suis attaché à yous faire connaître les principaux détails; je dois maintenant fixer votre attention sur la première époque de cette grande affaire. Je vous ai dit qu’il y avait deux partisà Nîmes, et sans doute vous avez suivi leur marche à travers les faits que je viens d’établir. Il est temps de vous les faire connaître d’une manière plus précise et d’assigner à chacun d'eux sou caractère distinctif, afin qu’ils ne se confondent pas dans la foule des événements et qu’ils n’échap-r peut pas à votre attention, q m pourrait rebuter ou distraire la multiplicité des details. On vous a dénoncé la municipalité de Nîmes; elle est accusée d’avoir été liée d’oninions et de projeis avec ceux qui voulaient, dit-on, opérer une contre-révolution dans le midi déjà Franco. L’élection de cette municipalité est même attaquée comme ayant été l’effet de l’intrigue et de la corruption. D’après les faits rapportés le 11 mai par votre comité des recherches, yous avez regardé les officiers municipaux comme suspects, et même comme répréhensibles, puisque vous avez mandé à la barre M. Marguerites, maire de Nîmes et l’un de vos collègues, pour rendre compte de sa conduite et de celle de la municipalité, Il faut doQc remonter à l’origine de cette municipalité, examiner quelle a etc sa formation, connaître sa condui'e avant les troubles et pendant les troubles, enfin observer ses rapports avec ceux qui avaient, dit-ou, le projet d’opérer une contre-révolution. La population de la ville de Nîmes s’élève à 54,000 habitants, parmi lesquels on compte à peu près 12,000 protestants. Il semble qu’une infériorité de nombre aussi marquée ne devait pas rendre les citoyens de cette classe très redoutables dans les élections. Mais la situation des protestants à Nîmes leur assurait une cousistance publique propre à contrebalancer les avautages de cette majorité qu’ils 304 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 février 1791.] n’avaient pas, et à déterminer peut-être pour quelques-uns d’entre eux le choix ou la faveur des électeurs. Les protestants forment à Nîmes la classe la plus riche ; ils sont à la tête du commerce : les manufactures sont dans leurs mains; ils font vivre près de 30,000 ouvriers répandus dans un nombre infini d’ateliers, et il n’était pas difficile de prévoir quelle prépondérance ils trouveraient dans la nature et l'étendue de ces relations, et dans cette dépendance à jamais irrémédiable de celui qui est payé à celui qui paye. 11 fallait donc, pour anéantir ces avantages poli tiques, employer des moyens extraordinaires, et ils furent mis en usage avec une activité qui vous fera juger de l’importance qu’on attachait à réussir. L’élection des officiers municipaux commença au mois de janvier. Dès le mois de décembre, on s’était préparé, dans des assemblées tenues secrètement, à influencer les nominations. L’abbé de Rochemaurtj, grand vicaire du diocèse et grand archidiacre de la cathédrale, fut invité par l’abbé Glémenceau, curé de Saint-Castor, à assister à l’entrée de la nuit à une assemblée de catholiques, pour prendre des arrangements sur la lormation de la municipalité. Le 8 décembre il reçut du même curé une nouvelle invitation : cette fois, l’assemblée était très nombreuse ; elle se tint dans l'église des pénitents. Le curé montait eu chaire, proposait des sujets pour chaque place et disait : « Qui voulez-vous pour président, pour secrétaires, pour scrutateur des différentes sections? • On proposa l’abbé de Rochemaure pour président d’une section; l’assemblée applaudit; mais cet ecclesiastique fit prudemment cesser les applaudissements, parce que, observa-t-il, on pouvait être entendu de la rue. Je dois cependant rendre ce témoignage à l’abbé de Rocnemaure, qu’il votait pour que l’on composât indistinctement la nouvelle municipalité de catholiques et de piotestants. Mais on était bien éloigné d’adopter une epiuion aussi sage et aussi modérée ; on voulait opiniâtrement exclure les protestants, et l’exclusion s’étendait même jusqu’aux catholiques que leur éiat ou leurs liaisons part cu-lières rapprochaient des citoyens de celte classe. Dans une des assemblées tenues aux pénitents, on porte à la présidence d une section le sieur Léveque, chirurgien; un médecin nommé Razoux s’oppose à sa nomination : on insiste sur ce que le sieur Lévêque est catholique. Il est chirurgien de l’hôpital des protestants, dit Razoux ; il faut n’avoir rien de commun avec ces gens-là : Lévêque ne fut pas élu , mais Razoux est officier municipal. L’information prouve que des prêtres surtout excitaient cet acharnement terrible contre les protestants; et l’abbé Bragouse, curé de Saint-Paul, est désigné comme un des principaux auteurs de ces funestes divisions. D 'S ecclésiastiques se réunissaient publiquement pour concerter la nominatioa des catholiques. Chez l’abbé Cabanel, l’abbé Mitier et l’abbé Gervais emploient six copistes, pondant deux jours, à faire des listes, et l’abbé Gabauel est étu membre du conseil de la commune. L’abbé Glavières faisait et distribuait des listes : on lui représente qu’il serait prudent de donner le tiers des places aux protestants. Nous n’en voulons point, répondit-il. Mais, ajouta-t-on, cela occasionnera peut-être des malheurs; cela fera une révolution. Il faut qu’il y en ait une de toute nécessité, reprend l’abbé Glavières ; cela ne peut pas être autrement. Quairas, chantre de la cathédrale, fait des listes par ordre de Laurent, procureur : cette précaution ne suffit pas au zèle de Laurent; il envoie ses clercs dans differentes maisons pour copier des listes : Laurent est officier municipal. Le sieur Vidal assistait à des assemblées tenues pour les élections chez l’abbé Glémenceau; le sieur Vidal est procureur de la commune. Mais le chef de cette vile intrigue, l’instigateur le plus ardent de ces honteuses manœuvres, c’est l’abbé La Pierre, théologal de la cathédrale. Il parcourt les campagnes du territoire de Nîmes; il excite le zèle des curés par des exhortations insidieuses, et leur représente que le bon ordre exige que les catholiques seuls soient élus. Dociles à ses insinuations, les curés s’empressent de favoriser ses projets. C’est au nom de la religion que le curé de Rodilhan exhorte ses paroissiens à suivre les dispositions fûtes par l'abbé La Pierre. Il monte en chaire pour leur recommander de se conformer exactement aux listes qui ont été distribuées. Le curédeBouillargues, le curé de Courbessac deviennent auri les agents du théologal, et le vicaire de Bouillargues fait circuler les listes que lui a données le nommé Gas, revendeur de vin à Nîmes. L’information m’apprend que quelques citoyens annoncèrent des scrupules, et refusèrent de se prêter à ces honteuses cabales. On s’aperçut alors de i’insulfisaoce des ressources qu’on avait employées, et l’intrigue changea de manœuvre : ce qui manquait au fanatisme pour abuser, l’art de la corruption le suppléa, et l’argent fut répandu avec profusion. G’est encore l’abbé La Pierre qui le distribue. 11 porte lui-même cet argent aux différents curés, et pour que ses intentions ne soient pas déçues, il recommande très expressément de ne le donner q t’aux citoyens actifs. Le curé de Bouillargues se charge même, outre le soin de sa distribution particulière, de faire part des sommes qu’il recevait, à son collègue le curé de Garons, et de lui en indiquer l’emploi. Le curé de Courbessac, importuné par des répartitions journalières, se débarrasse de ce soin sur le nommé Benhezène, sou neveu, et Berthezène paye les votants de la paroisse. Le prix était fait, et chaque paysan recevait 24 sous de sa journée pour le payement lorsqu’il avait été porter son suffrage à la ville. Ges faits sont évidemment démontrés par l’information, et rien n’égale la franchise avec laquelle les curés avouent qu’ils ont réparti l’argent de l’abbe La Pierre, si ce n’est la loyauté que mettent les électeurs à reconnaître que cet argent leur a été en effet distribué. Cependant l’abbé La Pierre ne se reposait pas tellement sur le zèle des curés qu’il n’employât au-si des exhortations particulières. Ne manquez pas de venir, disait-il aux gens de la campagne lorsqu’il les rencontrait ; soyez tranquilles, disait-il aux autres, vous serez payés, l’argent ne manquera pas ; et en effet les électeurs s’adressaient 305 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 février 1791. J souvent à lui, et ils attestent qu’ils ne l’ont jamais vu infidèle à sa promesse. Si le théologal de Nîmes employait tant de soins et tant d’activité pour réussir dans ses projets, de même son parti ne négligeait aucun moyen. Outre les distributions dont je vous ai parlé, on se réunissait dans différentes maisons, et notamment, le soir après souper, chez le sieur Michel, conseiller au présidial ; on y faisait des listes qui étaient ensuite répandues dans le public par le sieur Velut, capitaine de la garde nationale. Le nombre des agents était immense, et quelques dames de Nîmes ne dédaignèrent pas même de favoriser les élections ; on prévit que quelques omissions avaient pu échapper au zele de l’abbé La Pierre : on eut soin, aux jours destinés pour les élections, de placer aux portes de la ville, dans les rues, sur les places, dans les cabarets, des hommes sûrs, qui donnaient des listes aux électeurs, et la cour du palais fut le poste confié à l’abbé ûespérandieu. Le nommé Gas, revendeur de vin, était l’un des plus ardents distributeurs ; son zèle et l’accès facile que trouvait ce citoyen auprès d’un grand nombre d’électeurs qui venaient boire chez lui, fixèrent l’attention des sieurs Gaujoux, greffier du présidial, et Blachier, avocat; ils remirent à Gas des listes mi-partie ne catholiques et de protestants, et le prièrent de les répandre : Gas promit, mais il ne tint pas parole, et ne tit circuler que les listes qui devaient assurer la nomination exclusive des catholiques Tant de soins ne pouvaient pas être infructueux, et à l’exception d’un seul protestant, la nouvelle municipalité fut telle que le voulaient l’abbé La Pierre et son parti, et telle qu’elle existe aujourd’hui. L’abbé La Pierre fut nommé membre du conseil de la commune. Vous connaissez, Messieurs, la formation du corps municipal : voyons quelle a été sa conduite. La municipalité est installée le 28 mars. La compagnie du sieur Froment, receveur du chapitre, et avocat, paraît, armée de fourches, à la cérémonie. Le sieur du Gaylard, lieutenant de roi de la place et commandant de la garde nationale, fait des représentations au capitaine sur cet étrange armement, et refuse d’admettre la compagnie dans la ligne. Ce refus excite une grande rumeur, Froment tient des propos injurieux ; et, sans égard poulies ordres de son chef, fait rester sa compagnie. Le sieur du Gaylard, outré de cette insubordination, charge un officier major de prévenir la municipalité qu’il donne sa démission. Cependant, à la sollicitation du maire, la démission est retirée. On avait été effrayé de l’appareil des fourches ; le lendemain quelques légionnaires cherchent querelle à un travailleur de terre, que la veille ils avaient vu armé d’une fourche. Un tonnelier nommé Al lien crie à la lanterne. Le soir une foule de travailleurs de terre se réunissent devant la maison d’Allien, cherchent à enfoncer sa porte en criant qu’ils veulent le pendre à la poutre de sa maison. On s’était en effet muni ne cordes, et les témoins déposent qu’on avaiteu soin de les enduire de savon. La maison allait être forcée, lorsqu’une patrouille parut, et divisa l’attroupement. lre Série. T. XXIII. L'homme qui portait les cordes, et qui paraissait le plus déterminé à en faire usage, fut arrêté par la garde; le sieur Laurent, officier municipal, le fit relâcher. Ce De fut pas seulement contre Allien qu’éclata la fureur des travailleurs de terre; le nommé Porcher, simple spectateur, et qui n’était pour rien dans la querelle, fut grièvement blessé, et courut risque de perdre la vie. Allien et Porcher étaient protestants : ceux qui les attaquèrent n’annoncèrent que trop que cette qualité ajoutait à leur animosité, et ils ne dissimulèrent pas leurs projets contre les non catholiques, que d’après la dénomination vulgaire du pays, ils appelaient gorges-noires. Les fourches portées la veille à l’installation du maire avaient inquiété le peuple et causé l’émeute dont je vous ai parlé. Une municipalité sage et soigneuse de maintenir la paix se fut hâtée de proscrire cette arme pour jamais, et d’ôter au moins ce prétexte à la méfiance et à l’aigreur qui se manifestaient. La municipalité garda le silence, les fourches furent tolérées, une fabrication énorme s’ensuivit, et ce ne fût qu’un mois et demi après que leur proscription fut enfin décidée. Une municipalité, sage et soigneuse de rétablir l’union entre les citoyens, aurait mis toute sa sollicitude à étouffer le germe des divisions, et à repousser tout ce qui pouvait alimenter la haine. Il semble, au contraire, que la municipalité de Nîmes se fût étudiée à conserver Je rôle le plus impassible au milieu des circonstances les plus alarmantes, et qu’elle eût intérêt de laisser une pleine sécurité aux mauvais citoyens qui s’efforçaient de troubler l’ordre public. Nîmes était infecté de libelles, et les officiers municipaux ne l’ignoraient pas. On répandait avec une impunité vraiment scandaleuse des écrits incendiaires, où la nécessité de la guerre civile était mise en maximes, où le fanaiisme promulguait des exhortations sanguinaires, où les soldats étaient excités contre les gardes nationales, où les citoyens étaient appelés au meurtre, et où tous les genres de forfaits étaient recommandés et justifiés d’avance, s’i’ls avaient pour but de venger le clergé et de renverser la Constitution. C’est ainsi qu’on vendait, qu’on distribuait publiquement la lettre de Paul Romain à Pierre Romain ; l'Adresse aux Languedociens ; l’Adresse aux représentants de Nîmes; les Républiques fédératives ; le Comité des finances dévoilé; l’Adresse aux Assemblées de Châlons ; la Feuille des Erreurs et de la Vérité: les Nouvelles de Paris , aux Soldats , par un Soldat ; Français , réveillez-vous ; Avis important à la véritable Armée française , et tant d’autres libelles, tous faits pour entraîner aux crimes. L’information ne laisse pas de doute sur le lieu choisi pour être l’arsenal de ces infâmes productions; c’était la maison des capucins. Le frère Modeste en était le plus zélé distributeur. On l’a vu sortir de son couvent chargé de ces feuilles affreuses, les donnant aux passants dans la rue, les portant de maison en maison ; il en tenait bureau public, et pour en obtenir, il suffisait d’envoyer aux capucins un domestique, ou même un inconnu , et ce scandale public était toléré par la municipalité! On jugerait mal de l’importance de ce délit, si on voulait justifier l’indifférence des officiers municipaux par le dédain que l’Assem-20 306 lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [19 février 1791.] blée témoigne pour les libelles qui se vendent et se reproduisent chaque jour aux portes de cette enceinte. On conçoit sans peine que des hommes dont le patriou.'me est éprouvé par tous les genres de courage, souffrent en paix d’être poursuivis et calomniés dans une foule de journaux et de gazettes qui s’amortissent et s’éteignent bientôt dans la honte et dans l’oubli ; mais il n’en était pas ainsi des libelles répandus à Nîmes : la municipalité n’a pu se méprendre sur l’intention de leurs auteurs, ni se dissimuler les succès qu’ils avaient déjà obt nus. La plupart de ces feuilles, présentées au peuple de Nîmes, étaient préparées pour lui : les circonstances locales, les événements historiques du pays, propres à exciter ses ressentiments, y étaient rappelés; les massacres commis pendant les guerres de religion dans le Languedoc étaient retracés à son souvenir et offerts à sa vengeance, et rien n’était omis de ce qui pouvait ranimer la haine des catholiques contre les protestants. Rien ne peut justifier la coupable tolérance des officiers municipaux; car ils ne s’excuseront pas en vous présentant leur insignifiante et trop tardive proclamation du 4 mai, qui encore, arrachée à leur indifférence par la pétition des amis delà Constitution, réunissait, par un bizarre assemblage, la défense de la chasse dans les terres ensemencées, la prohibition des qualifications injurieuses, des libelles et des cocardes blanches. Il est d’autres délits dont je dois aussi convaincre les officiers municipaux. Ce n’est plus par des ouvrages faits dans les ténèbres, que les ennemis du bien public suivront leurs projets, ifs vont se montrer au grand jour ; et c’est à front découvert que des factieux vont, sous les auspices de la municipalité de Nîmes, appeler hautement les peuples à la révolte. Vous pressentez, Messieurs, que je veux parler de la trop fameuse dél bération prise le 20 avril dans l’église des pénitents blancs, par des citoyens qui se disaient les catholiques de Nîmes. Cet acte fit enfin éclater des complots depuis longtemps ourdis, et dont je vous ai fait constamment suivre la trace. Des assemblées tenues secrètement précéderont cette délibération. A l’une de ces assemblées, tenue, pendant la nuit, dans une église où l’on s’introduisait par la cour du chapitre, vinrent en grand nombre des travailleurs de terre avec M. Deseombiès, membre du conseil de la commune. L’orateur chargé de porter la parole promettait aux auditeurs que la délibération produirait le plus grand effet. « Les Parisiens, disait-il, sont bien leurs maîtres, ma s ils ne le sont pas de nous. Tout gît dans le premier pas; si nous le faisons, toutes les communautés sont prêtes à nous imiter : il faut le faire. On eut recours, pour faire signer la délibération prise par les catholiques, aux mêmes agents et aux mêmes moyens qui avaient été mis en usage pour faire élire la municipalité. Les curés des environs de Nîmes montrèrent le même empressement ; leur zèle parut même plus actif encore. Ils ne s’en tenaient pâ§ seulement à des exhortations particulières. Le turc de Gourhessac montait en chaire : C’était, disait-il à ses parôissîens, un devoir sacré de signer la délibération. Le curé de Sudilhan assemblait les siens au son de la cloche, et les faisait signer. Le curé de Bouillargues employait aussi ses soins avec succès, et il était secondé parle sieur Henri, chirurgien de son village. Des hommes inconnus parcouraient les campagnes, sollicitaient et recevaient des signatures. Des femmes étaient employées à distribuer la délibération. Mais c’était à Nîmes que le fanatisme et la sédition s’agitaient avec plus d’activité; c’était surtout dans la classe des artisans, et notamment dans celle des travailleurs de terre, que la séduction avait un effet plus sûr et plus prompt. On s’invitait mutuellement à aller signer la délibération; les ouvriers se rendaient en foule à l’église des pénitents : un grand nombre ne savait pas signer, mais des gens apostés exprès signaient pour eux. Un homme venait, et signait pour les gens de sa connaissance; un autre, pour toute la famille. La minute fut écrite par Viala, commis de Froment, et on allait signer dans son bureau. Presque tous les signataires déclarent qu’ils ignoraient ce qu’on leur faisait souscrire, et qu’on ne leur en donnait pas lecture. D’autres déposent qu’ils ont signé, parce qu’on leur a dit qu’ou voulait supprimer la religion catholique; que le roi était en captivité; que tout ce qu’il sanctionnait était nul, et qu’il fallait une autre Constitution. Ce fut par ces moyens infâmes qu’on parvint à obtenir plus de 3,00U signatures. On se hâta de donner la plus grande publicité à cette délibération, et des commissaires l’adressèrent aux municipalités. Voici la lettre qui accompagnait l’envoi (1). La plupart des municipalités repoussèrent avec mépris la délibération incendiaire qui leur avait été adressée, et elles se hâtèrent de vous la dénoncer. Il serait trop long de citer ici les villes qui ont donné en cette occasion une preuve de leur patriotisme et de la juste indignation que leur inspira la conduite de ces soi-disant catholiques. La municipalité de Nîmes fut plus calme, et elle vit avec indifférence éclater le projet des factieux. On avait exprimé, dans la délibération, qu’on était persuadé que le zèle du conseil général de la commune pour la religion3 et son amour pour le roi, le porteraient à y adhérer, et des commissaires avaient été nommés pour en adresser copie à la municipalité. La délibération y fut présentée le 1er mai, avec demande d’y adhéier. Le sieur Vincent Valz, officier municipal, a déposé que la municipalité tint à ce Sujet un comité particulier; qu’il en témoigna son indignation; que M. Margueriies était à ce Comité, mais qu’un y prit aucun arrêté, et que l’affaire fut portée au conseil général. Un autre témoin dépose que plusieurs officiers municipaux et notamment l’abbé de Belmond étaient d’avis d’adhérer à la délibération, mais que le maire s’y opposa. Rien ne prouve que les officiers municipaux aient donné, par un acte public, l’adhésion qu’on leur demandait; mais leur silence n’était-il pas une adhésion formelle, et ne devaient-ils pas s’empresser de pioscrire hautement cette délibération séditieuse qui tendait à troubler les consciences, à calomnier les intentions de l’Âs-(1) Cette lettre et toutes celles dont la lecture sera indiquée, sont renvoyées à la fin du rapport. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (19 féTrier 1791,] semblée nationale, et à répandre des bruits faux, mais alarmants, sur la véritable situation du roi? Pourquoi n’ont-ils pas démenti cette espérance annoncée par les délibérants, que la commune adhérerait à leurs principe?? Comment ont-ils pu laisser s’accréditer cette opinion si honteuse pour eux, mais trop bien justifiée en effet par leur conduite et leur silence? Mais, surtout, comment M. Marguerites, averti, et par les obligations qui lui sont imposées comme maire, ei par les devoirs les plus pressants encore attachés à son titre de député à l’Assemblée nationale, ne s’' st-il pas élevé, de toute la force de i’auiorité et de la raison, contre cette entreprise audacieuse? Pourquoi n’a-t-il pas repoussé des assertions mensongères sur les projets supposés à l’Assemblée naii male? pourquoi, enfin, lui, qui avait été témoin de ceite séance mémorable du mois de février, où le roi vint parmi nous, n’a-t-il pas dissipé les alarmes qu’on voulait faire naître sur la liberté du monarque? Si les officiers municipaux, sescollègues, étaient assez mauvais citoyens pour applaudir à des factieux, seul il uevait élever la vuix pour défendre la Constitution qu’on attaquait, et qu’il avait juré de maintenir; il devait vous dénoncer la municipalité : c’était lui, c’était le maire de Nîmes, c’était le député à l’Assemblée nationale, qui, le premier, devait invoquer votre sévérité contre cette coupable délibération, répandue dans toute la France pour tenter la fidélité des municipalités, et que le cri de l'exécration publique vous a dénoncée de toutes les parties de l’Empire. Et quelle sera votre ju?te indignation, lorsque vous saurez qu’un officier municipal a osé s’annoncer comme le principal promu Igateur de cet acte incendiaire! Le sieur Boyer, substitut du procureur de la commune de Nîmes est propriétaire et rédacteur d’un journal : le 29 avril, il y inséra la délibération, et cette publicité scandaleuse eut ainsi pour agent t n homme à qui ses fonctions imposaient le devoir de la réprimer. Ce n’était pas la première fois que cet officier municipal devenait complicedes mauvais citoyens intéressés à troubler l’ordre public: dan? “son journal du 15 du même mois, il avait apporté un prétendu fragment d’un sermon prêche à Marseille, le 6 mars, dans l’église de Samt-Ferréol, par le père Bouchon, jacobin. Cette citation calomnieuse servit de prétexte à une déclamation incendiaire que des motifs religieux devaient rendre plus persuasive et plus funeste encore : le père Bouchon a démenti, dans un écrit signé de lui, le fragme t qu’on lui attribuait, et les oificiers municipaux ont toléré ces délits du substitut du procureur de la commune. Les maximesdela révolte avaientété hautement annoncées à Nîmes; il neresiait plus aux factieux qu’à arborer le signe de la contre-révolution, et ce dernier excès fut encore toléré par la municipalité. La cocarde blanche avait été la cause de l'émeute du 2 et du 3 mai. On reproche aux officiers municipaux d’avoir permis qu’on arboiât le signe ü’iusunection : ils attestait que la cocarde blanche a toujours été portée à Nîmes jusqu’à l’époque du 2 et du 3 mai, et citent, à l’appui de leur assertion, un certificat signe par 60 officiers et sous-officiers de la légion, dont voici la teneur: « Nous soussignés, capitaines, lieutenantsel bas-officiers de la légion nlmoise, déclarons, à qui il appartiendra, que les légionnaires, jusqu’à l’époque du 2 et du 3 du présent mois, ont porté iu-distinctement la cocarde blanche et la cocarde aux trois couleurs, sans croire, jusqu’à ladre époque, que cette distinction entre les légionnaires pût tirer à conséquence, personne ne l’ayant jamais improuvée. Fait à Nîmes, le 25 mai 1790. Signé: Froment, Velut, Melquiond, etc. » Voilà une déclaration bien précise qui établit que les légionnaires n’ont pas cru que la distinction des cocardes pût tirer à conséquence, et que personne ne l’a jamais imprimée. J’ai peine à concilier cette assertion avec celle de M. Marguerites; il nie que les légionnaires qui élaient chez lui le 2 mai portassent la cocarde blanche quoique la preuve de ce fait soit de toute évidence, et voici la raison sur laquelle il fonde sa dénégation. « Les légionnaires, dit-il, page 3 de son exposé sommaire, savaient que le maire ne souffrait pas chez lui des cocardes de cette sorte, et que du moment de son installation, il n’avait cessé de déclarer hautement que la Dation et le roi ne faisaient qu’un, et étaient inséparables, et que le roi lui-même ne portait que des cocardes aux couleurs de la nation ». D’après une déclaration si positive du chef de la municipalité, comment les officiers de la légion ont-ils pu croire que la cocarde blanche ne tirait pas à conséquence, et comment n’en ont-ils pas vu la désapprobation la p us formelle dans le refus constant que faisait le maire d’eu recevoir chez lui de cette sorte? — Mais plutôt, comment le maire tolérait-il qu’on portât dans la légion, qu’on arborât, dans la ville une cocarde qu’il ne voulait pas souffrir chez lui ? L’exemple du roi qu’il citait hautement, dit-il, ne devait-il donc être rappelé que pour imposer le devoir de porter dans une maison privée une distinction devenue parmi nous, et l’attribut de la liberté, et un des gages de la tranquillité publique? Et le poids de ce grand exempte du roi était-il si indifférent au maintien de l’ordre, qu’il ne dût pas exciter la surveillance du maire et des officiers municipaux, et leur faire proscrire un signe de division réprouvé par le roi même ? Le maire ne souffrait pas, dit-il, la cocarde blanche chez lui; mais il la tolérait dans l’intérieur de l’hôtel de ville, d’oû, sans doute aussi, l’exemple et i’autorité du roi auraient dû la faire bannir. Le sieur Vihcént Val2, officier municipal, témoigne au maire qu’il est surpris de voir dans l’hôtel de ville une foule de légionnaires à cocardes blanches; le maire répond que cela ne tire pas à conséquence. J’ai rapproché la déclaration des officiers de la légion de celle du maire, et, je le dis nettement: il y a ici contradiction, au moins. On avait arboré à Nîmes la cocarde blanche, la municipalité l’a toléhéë ; les légionnaires qui, le 2 mai, se rendirent chez le maire, la portaient. Ces fai s sont démontrés, et ou explique difficilement comment M. Marguerites, que de grands et de douloureux souvenirs devaient éclairer sur le danger d’une telle distinction, a négligé ce que son devoir et la prudence exigeaient de lui, et comment il a toléré qu'on ait, audacieusement, adopté sous ses yeux un signe de ralliement et de révolte, qui devait nécessairement conduire à uu éclat funeste pour la tranquillité publique. On conçoit difficilement encore comment M. Marguerites u’a pas profité, pour prévenir les troubles, d’un avertissement qui lui a été donné. 808 [Assemblée nationale.] Chevalier, procureur du présidial, lui écrit qu’il sait que des troubles vont avoir lieu; que Froment a chez lui un amas de fourches, et que la presse de l’imprimeur Baume est un foyer qui recèle et qui produit d< s monstruosités : ce sont les termes de la déposition. D’après cet avertissement, nulle précaution n’est prise; mais dès le lendemain Froment est instruit que Chevalier a écrit à M. Marguerites, et il s’exhale en injures et en menaces contre l’auteur de la lettre : ce qui surprit d’aulant plus Chevalier, a-t-il dit dans sa déposition, qu’en confiant cet avis àM. le maire, il ne se serait pas attendu que la connaissance en parvînt jamais à Froment. M. Marguerites convient avoir reçu la lettre de Chevalier, qu’il l’a remise aux officiers municipaux, et qu’il ignore ce qui a été fait à ce sujet. Vous jugez que cette réponse n’est pas satisfaisante, et que le maire de Mmes est repréhensible pour n’avoir pas pris des mesures propres à empêcher les troubles, quand il a été prévenu qu’on devait en exciter ; pour n’avoir pas vérifié un amas d'armes prohibées qu’on lui dénonçait; enfin pour n’avoir pas recherché des libelles incendiaires dont on lui indiquait la source et le dépôt. La municipalité avait donné lieu aux troubles, en tolérant la distinction qui les lit naître, et ou l’accuse avec raison de n’avoir pas mis en usage, pour les faire cesser, tous les moyens que la Constitution lui confie. La nuit qui succéda aux événements du 2 mai fut tranquille, mais le 3 l’émeute recommença dès le matin. Les officiers municipaux parcoururent assez inutilement plusieurs quartiers de la ville : que ne faisaient-ils publier la loi martiale? Ils prétendent que les circonstances n’étaient pas favorables, et que le régiment de Guyenne, qui devait être appelé à cette proclamation, était lui-même en insurrection. Cette allégation n’est pas exacte : les officiers municipaux annoncent eux-même dans leur procès-verbal, que le 2, à huit heures du soir, le régiment ayant entendu battre la generale, rentra au quartier en moins de dix minutes, avec une subordination incroyable. Le lendemain la troupe fut consignée jusqu’à cinq heures du soir, et les soldats ne se portèrent à des violences que vers sept heures, lorsqu’ils apprirent les voies de fait exercées contre plusieurs d’entre eux, et l’assassinat d’un de leurs camarades; encore leur ressentiment céda-t-il à la subordination, et rentrèrent-ils aux casernes, au premier ordre de leurs officiers. Si, comme le devait; si, comme le pouvait faire la municipalité, la loi martialeeût été publiée dès le malin, plusieurs citoyens n’auraient pas été attaqués, poursuivis et grièvement blessés ; un soldat n’eùt pas été frappé avec son sabre qu’on lui arracha; d’autres n’auraient pas été assaillis à coups de pierre ; un grenadier n’eût pas été assassiné, dans Faprès-midi, d’un coup de fusil, dont il est mort trois jours après ; enfin on aurait prévenu, entre une partie des citoyens et la garnison, une animosité qui pouvait devenir funeste, sans l’exceilent esprit qui règne au régiment de Guyenne. Quelques-unes des déclarations reçues par les oflicit rs municipaux tendent à prouver que les sous-officiers du régiment de Guyenne avaient été payés par les protestants pour arracher la cocarde blanche. J’avoue qu’ayant sous les yeux uue informais février 1791.] tion légale, je n’ai pas cherché la vérité dans les déclarations produites par la municipalité : trop de raisons ont dû me les faire rejeter. La forme y est incomnléte et abusive, et le défaut des interpellations d’usage dans une information me fait douter si les déclarants ne soot pas intéressés personnellement dans les faits, ou liés de parenté ou de domesticité, soit avec les plaignants, soit avec les coupables. D’ailleurs, l’information fait juger qu’on doit être en garde contre ces déclarations; le secrétaire de la municipalité dépose de la partialité du procureur de la commune, et de la sollicitude qu’il a mise à inculper les soldats du régiment de Guyenne et à prouver qu’ils avaient été corrompus par l’argent des protestants. H existe, à l’appui de cette déposition, un fait consigné dans un procès-verbal de la municipalité. Le 16 mai, le procureur de la commune, le ci-devant baron de La Baulme, autre officier municipal, accompagnés du secrétaire greffier, précédés du capitaine du guet et de trois valets de ville, se transportèrent chez la demoiselle Benoît, qui, leur avait-on dit, menait une vie scandaleuse avec le sieur Ramond, sergent-major au régiment de Guyenne; après quelques interpellations assez insignifiantes, on fait sommation à la lille Benoît d’ouvrir une armoire; on y trouve un portefeuille qu’elle déclare appartenir au sieur Ramond : c’était très vraisemblablement ce que cherchaient les d> ux oflieiersmunicipaux;et sans aucun nroit, contre tontes le» règles de la justiceetde laraison, les papiers renfermés dans le portefeuille sont lus, examinés et parafés. Il y avait entre autres papiers, dans le portefeuille, la minute d’uDe lettre signée Ramond, écrite à un président de l’Assemblée nationale, apparemment M. Rabaut, pour le féliciter sur son élection à la place de président; la lettre contenait aussi quelquesdéiailssurl’avan-cement militaire, et l’assurance positive de n’avoir jamais contribué à exciter des troubles soit dans la ville, soit dans le régiment, et ce qui était fort étranger au prétendu scandale qui avait motivé la visite des officiers municipaux chez la fille Benoît, la lettre fut insérée dans le procès-verbal. On aperçuit, dans le détail où je viens d’entrer, la confirmation du témoignage du secrétaire-greffier contre le procureur delà commune, et on juge facilement que le transport des officiers municipaux avait moins pour objet de constater et de réprimer le scandale que de s’emparer d’une correspondance qu’on croyait réceler des faits importants, et qu’on disait exister entre M. Ramond et M. Rabaut. Un homme qui ne doit pas être suspect aux officiers municipaux, le sieur Froment, avoue, dans son mémoire, que la municipalité avait le système (ce sont ses termes) de faire des notes et de réunir des preuves contre les protestants et le régiment de Guyenne. Vos comités ont donc été fondés à se défier des déclarations produites par la municipalité, et ils n’ont cherché de preuves que dans une information légale faite par le lieutenant criminel, au présidial, d’après différentes plaintes du procureur du roi. Au reste, il est inutile de réfuter les calomnies publiées par la municipalité contre le régiment de Guyenne et de chercher bien loin les motifs des querelles suscitées pour la cocarde blanche : elles ont pris leur source dans l’indignation tiès énergique qu’ont éprouvée les soldats en voyant arborer impunément à Nîmes une distinction de-ARCH1VES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 février 1791.) venue odieuse parmi nous depuis la Révolution, et qui devait leur paraître d’autant plus alarmante que, d’après les ordres du roi, ils portaient la cocarde aux couleurs de la nation. Je viens de citer le nom du sieur Vidal, procureur de la commune. L’information le désigne comme le protecteur le plus zélé des auteurs des troubles qui ont affligé la ville de Nîmes. La municipalité avait fait proclamer, le 3 mai, une défense de s’attrouper. Plusieurs dépositions prouvent qu'% dans la nuit du 5 au 6, le procureur de la commune, sans respect pour son titre, qui lui imposait le devoir de donner l’exemple; sans respect pour le règlement rendu sur son réquisitoire, tint dans sa maison une assemblée nombreuse, où près de 80 personnes se rendirent armées, et où l’on s’introduisit avec des précautions qui semblaient présager les manœuvres criminelles qui s’y tramaient. Get officier municipal était le détracteur le plus ardent des décrets ae l’Assemblée nationale, et, ne gardant aucune mesura, il ne rougissait pas d’associer à ses déclamations incendiaires !e nommé Rabanis, concierge de la prison, dont les propos violents n’ont pas peu contribué à entretenir, dans la classe des artisans, l’animosité de quelques catholiques contre les protestants. Rien n’égale l’indécente fureur avec laquelle le procur eur de la commune, l’abbé de Belmond, grand vicaire et officier municipal, et le sieur Descombiès, notable, se déchaînaient contre la Constitution, qu’ils avaient juré de maintenir; c’était à la municipalité même, dans leurs fonctions et en présence des subalternes attachés à leur administration, qu’ils se permettaient cette scandaleuse conduite; ce fut à l’hôtel de ville que l’abbé de Belmon i dit publiquement que l’Assemblée nationale voulait exciter la guerre civile. Les dépositions de plusieurs témoins ne permettent pas de douter que l’acharnement des sieurs Vidal, Bel nond et Descombiès contre les protestants n’ait fortement contribué à faire éclater les divisions et les malheurs qui ont fait périr tant de citoyens à Nîmes. Leur animosité contre les non catholiques était si fortement prononcée, qu elle obligeait à des ménagements particuliers, les citoyens que leurs fonctions mettaient dans la dépendance des officiers municipaux, et que le secrétaire greffier crut que son intérêt particulier exigeait qu’il renvoyât du greffe un commis qui y travaillait depuis trois ans, et par cela seul que ce commis était protestant. Ces trois officiers municipaux accueillaient, au contraire, avec une faveur particulière les légionnaires connus sous le nom de travailleurs de terre, tous catholiques, et que l< ur ignorance et leur pauvreté rendaient plus propres à être séduits et à seconder des projets dont on leur cachait la perfidie sous le voile de la religion. Ils venaient souvent à l’hôtel de ville, et, sûrs d’être agréables à leurs protecteurs, ils faisaient entendre les cris de: Vive le roi! Vive La croix! A bas la nation! Ët les mêmes acclamations se répétaient lorsque quelque événement particulier obligeait les compagnies à se réunir. Ces légionnaires étaient du nombre de ceux à qui l’on avait fait prendre la cocarde blanche, et ils faisaient difficulté de la laisser, même après la proclamation des officiers munici paux ; « Faites-le pour le bien de la paix, leur dit le président de la commune, vous n’en aurez pas moins dans 309 le cœur la même façon de penser. — Oh I oui, pour la vie, » répondirent les légionnaires. Il était essentiel, pour les chefs du parti, que ces trop dociles soldats, en laLsant la cocarde blanche, adoptassent une autre distinction; aussi, à la distribution des cocardes, faite par ordre de la municipalité, Descombiès et Froment leur recommandèrent-ils expressément de porter un pouf rouge. Ce signe devint, dans quelques compagnies de la légion, le �igne de la catholicité et le rallieme t de la faction d� la cocarde blanche. Les sieurs De-combiès, Vidal et Belmond, continuèrent de donner à ces légionnaires des marques de prédit, ction, dont les particularités devenaient frapparitespour ceuxquien étaient témoins. Le sieur Descombiès, surtout, ne tarissait point sur leur éloge; il vantait continuellement leur courage, il les appelait les compagnies de confiance, et disait qu’il les regardait comme très propres à un coup de main. La préférence donnée par ces trois officiers municipaux aux compagnies à pouf rouge devint si exclusive, qu’un commis de la municipalité s’abstint, craignant de perdre sa place, de faire son service dans la compagnie n° 13, qui n’avait pas adopté cette distinction. Je dois déclarer à l’As.-emblée nationale que deux témoins, attachés par des fonctions publiques à la municipalité, déposent que M. Marguerites parlait toujours avec prudence et avec respect des décrets de l’Assemblée nationale, et qu’ils n’ont vu en lui que beaucoup de zèle pour l’exécution des lois et pour les affaires de la commune. J’ai discuté les dénonciations faites contre les officiers municipaux, et je vous ai exposé quelle avait été leur conduite. Vous les avez vus permettant l’armement, et tolérant pendant pins d’un mois la fabrication des fourches qui avaient occasionné l’émeute du 31 mars, et qui inspiraient à une partie des citoyens les plus vives alarmes. Vous les avez vus négligeant les moyens de rétablir la paix dans une ville où tout annonçait qu’un parti semait la division : Laissant imprimer, vendre et distribuer publiquement des écrits incendiaires, source de tous les malheurs de Nîmes : Recevant des mains des commissaires la délibération des catholiques, la discutant en conseil général, et ne proscrivant pas cet acte séditieux, quoique avertis par le cri de l’indignation publique. Vous les avez vus ne réprimant pas ces clameurs du fanatisme et de la révolte : Vive la croix ! à bas la nation ! dont la ville entière a souvent retenti : Permettant qu’une partie de la légion arborât la cocarde blanche qui a causé l’émeute du 2 et du 3 mai : Ne faisant pas publier la loi martiale dans la journée du 3, quoique les troubles eussent éclaté dès le matin, et occasionnant par cette négligence les voies de fait exercées contre des citoyens et des soldats, et la mort d’un grenadier assassiné d’un coup de fusil. Vous avez vu que M. Marguerites à qui son titre de chef de la commune, de député à l’Assemblée nationale, recomman lait plus de zèle et plus d’exactitude, n’a pas fait ce que la prudence exigeait de lui pour prévenir les troubles; qu’il a notamment toléré la cocarde blanche, signe de division, et que sa conduite vraiment répréhen- 310 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 lévrier 1791.] sible justifie ]e décret du 1] mai, qui le mande à la barre. Vous avez remarqué de combien d’infractions à l’ordre publ c et aux devoirs attachés à son titre s’est rendu coupable le procureur de la commune ; qu’il a souffert chez lui, dans la nuit du 5 au 6, une assemblée très nombreuse de gens armés; qu’il a favorisé les troubles ; qu’il a tenu publiquement et fréquemment des propos séditieux, et que l’information vous le désigne toujours comme excitant ou protégeant les factieux; enfin, en rapprochant la conduite du corps municipal des manœuvres pratiquées pour sa formation, vous ave3 jugé qu’il est devenu l’instrument ou le complice du parti dont il était l’ouvrage, et qu’une si honteuse élection présageait bien tous les maux qu’a produit, et qu’on voulait que produisît en effet cette détestable municipalité. Pour me livrer à l’examen des accusations intentées contre les officiers municipaux, j’avais arrêté le récit des faits à l’époque du 1er juin; je vais en reprendre le cours. J’ai encore à vous présenter des détails fort étendus ; ils paraîtront peut-être pénibles à votre attention, mais ils sont indispensables pour vo're justice. Il était difficile qu'avec une municipalité telle que celle dont j’ai développé la conduite, Nîmes pût jouir longtemps du calme apparent qui y régnait depuis le 3 mai ; bientôt le fanatisme ranima ses efforts, car c’était toujours la religion qu’on feignait de vouloir défendre. Le frère Modeste continuait la distribution des libelles, et une foule de témoins attestent que le gardien des capucins, le père Alexandre et le père Saturnin déclamaient publiquement et avec violence contre les nouvelles lois; dans leurs assertions les opinions politiques devenaient des cas de conscience ; et c’était, disaient-ils, être impie ou mauvais catholique que d’approuver les décrets de l’Assemblée nationale. L’ubbé Tempië dissuadait les citoyens de payer la contribution patriotique; et, armé de toute l’influence que lui donnait le caractère sacré dont il est revêtu, il se livrait même, dans les saintes fonctions du sacerdoce, aux déclamations lus plus séditieuses. C’est lui qui, monté sur le marchepied de l’autel dans la chapelle du saint-sacrement à la cathédrale, faisant, un dimanche après vêpres, une exhortation à des congréganistes et à d’autres personnes rassemblées en grand nombre, prêchait que l’épître du jour annonçait aux catholiques qu’ils doivent se soutenir jusqu’à la dernière goutte de leur sang, et qui, après avoir ainsi égaré l’esprit de ses auditeurs par cette coupable profanation de la morale des apôtres, donna lecture d’une délibération tendant à réclamer la liberté du roi, et proposa de la signer. Cette exhortation eut tout le succès que l’orateur s’était promis; plusieurs personnes donnèrent leur signature, et la précaution ordinaire de faire signer ceux qui savaient écrire, pour ceux qui ne le savaient pas, fut encore mise en usage. Cet ecclésiastique est, Messieurs, membre du conseil général de la commune. Les soi-disant catholiques de Nîmes n’avaient point été rebutés par la réclamation générale qui s’était élevée contre leur délibération du 20 avril; et le premier juin, dans l’église des Jacobins, ils en prirent une nouvelle, confirmative de la première. Tout ce que des intentions perfides peuvent suggérer d’amertume et de calomnie éclate daus cet ouvrage ; les séditieux ne manquèrent pas de se rallier à une espèce de protestation contre un de vos décrets, faite, dit-on, par la minorité de cette Assemblée; ils arrêtèrent aussi d’adhérer aux délibérations prises par les villes d’Albi, d’Uzês et de Montauban. Cette coalition parut agrandir les espérances des factieux, si j’en juge du moins par leur audace et par l’activité qu’ils mirent à répandre dans le royaume leurs nouvelles maximes d’insurrection. Les signatures obtenues par la délibération du 1er juin furent encore les fruits honteux des mêmes manœuvres qui avaient été pratiquées pour la délibération du 20 avril, mais lus moyens d’en assurer la publicité et la circulation dans les départements furent préparés avec plus d’artifice. L’horreur qu’avaient té soignée les municipalités par la délibéra lion du20avril, laissait peu d’apparence de succès pour une nouvelle tentative. Les agents des soi-disant catholiques crurent qu’ils assureraient l’effet de leurs complots, s’ils cherchaient des complices dans la classe la moins instruite de la nation, et la plus étr ngère en apparence aux principes de l'ordre public ; aussi, dans les principales villes du royaume, et même dans les campagnes, l s maîtres maçons, serruriers, charpentiers, taiHeuis, cordonniers, enfin les ouvriers de toute classe, reçurent-ils l’envoi de la délibération du 1er juin, avec demande d’y adhérer. Mais là où les ennemis de la Constitution fondaient leurs espérances sur l’ignorance et la crédulité, ils trouvèrent cet excellent esprit public, cette raison innée, ce sens exquis du neuple, qu’on n’abuse jamais ni sur ses vrais intérêts, ni sur ses vrais amis : partout, les citoyens de la classe estimable et précieuse de9 artisans ou déférèrent à leurs municipalités, ou dénoncèrent à l'Assemblée le coupable écrit qui leur avait été adressé ; et je regrette que la trop grande étendue de ce rapport ne me permette pas de vous faire connaître avec quelle énergie s’exprimait leur patriotisme, et combien leur attachement invincible à la Constitution les rend dignes en effet d’être heureux et libres. De toutes les parties de la France on vous dénonçait les soi-disant catholiques de Nîmes; leurs excès ne pouvaient plus rester impunis, et votre juste sévérité éclata enfin: vous mandâtes à la barre, le 17 juin, ceux qui avaient signé, comme résident et commissaires, la délibération du 0 avril et celle du 1er juin. L’assemblée électorale du département du Gard s’était formée le 4 à Nîmes. Le même jour, deux électeurs, se retirant le soir à leur logement, furent attaqués par un légionnaire à pouf rouge : cet homme avait le sabre à la main ; il poursuivit longtemps les deux électeurs, les menaça de son sabre, en disant que des étrangers n’étaient p: s faits pour venir gouverner la ville, et qu’on était fâché de n’avoir pas été au-devant d’eux pour les tuer. Ainsi se justifièrent, dès l’ouverture de l’assemblée électorale, les alarmes et la prévoyance du district de Sommières, qui avait proposé de former un camp sur les limites du territoire de Nîmes, pour protéger la sûreté des électeurs: proposition sage qui pouvait prévenir de grands malheurs, et qui lut rejetée par la municipalité avec les expressions qu’on emploierait pour réprimer une sédition. L’attentat commis contre deux électeurs, détermina les commissaires du roi à demander aux [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 février 1791.] 3[[ officiers municipaux de prendre les plus grandes précautions pour la sûreté de l’assemblée électorale. En conséquence, on ordonna des détachements nombreux du régiment de Guyenne, et des patrouilles à cheval d’une compagnie de dragons qui faisait partie de la légion. Des attroupements considérables de légionnaires à pouf rouge se formaient chaque jour au palais où était réunie l’assemblée électorale, et chaque jour ils étaient dispersés par les patrouilles de dragons. Ges dragons, je dois vous le faire observer, étaient, dans la garde nationale, du parti opposé aux légionnaires à i ouf rouge, c’est-à-dire au parti de la municipalité. Quelques-unes des compagnies, que je désigne par la distinction du pouf rouge, s’étaient considérablement accrues par la réunion de la presque totalité des portefaix et des travailleurs de terre. Le sieur François Froment avait même fait, pour celle dont il était capitaine, des dépenses très considérables, qui parurent disproportionnées à sa fortune ; il acheta une très grande quantité de sabres, de baudriers et de fusils, et on fut frappé à Nîmes de l’affectation qu’il mit à donner à ses volontaires des habits verts doublés de rouge, quoique le bleu et le blanc fussent les couleurs uniformes de la légion. Les travailleurs de terre étaient, de tous les légionnaires à pouf rouge, les plus animés contre le parti contraire de la garde nationale, et leur acharnement redoubla parla contrariété que leur causaient les patrouilles à cheval en dissipant les attroupements qui se formaient aux portes de l’assemblée électorale. Le dessein fut pris d’insulter les dragons et de tourner leur service en ridicule. Les travailleurs de terre convinrent de se réunir en grand nombre, de monter sur des ânes, et le sabre au poing, de faire aussi des patrouilles par la ville. Cette cavalcade fut annoncée au son du tambour; la municipalité eut beaucoup de peine à empêcher l’exécution du projet, et l’aigreur augmenta entre les deux partis. Enfin les murmures éclatèrent dans la classe du peuple à laquelle tenaient les légionnaires: quelques personnes annoncèrent que les chevaux les avaient effrayées; d’autres qu’elles avaient été blessées, et le 11 les patrouilles à cheval f ment interdites; on établit seulement à l’évêché un poste de vingt dragons chargés de fournir une ordonnance placée à la porte de l’assemblée électorale. Le dimanche 13 juin, il y eut une assemblée de légionnaires à pouf rouge dans l’église des Jacobins; on y prononça un discours, après lequel on reçut des signatures pour la délibération des catholiques. A cinq heures, un homme à pouf rouge se présente à l’évêché, et demande au portier de le laisser entrer et de faire sortir les dragons. Sur le refus du portier, cet homme se retire en jurant. Il revient un quart d’heure après accompagné de deux autres légionnaires , et présente au portier un billet qu’il lui recommande de remettre au commandant des dragons. Ce billet remis au sieur Paris, lieutenant, commandant le poste, était ainsi conçu : « Le suisse de l’évêché est averti de ne plus laisser entrer aucun dragon à pied ni à cheval, passé ce soir, sous peine de la vie. — Ce 13 juin 1790. » Le lieutenant fit au porteur de ce billet quelques représentations sages, et l’engagea à s'éloigner. « L’évêché, répond le légionnaire n’est pas fait pour servir de corps de garde. >» Alors l’officier demanda au porteur du billet de venir avec lui devant la municipalité ; ils étaient en chemin pour s’y rendre, lorsqu’ayant entendu un grand bruit sur la place de l’évêché, le lieutenant retourna sur ses pas et revint avec le légionnaire. Les dragons étaient encore à la porte de l’évêché, et il y avait dès lors sur la place un attroupement de légionnaires à houpe rouge, d’autres du même parti arrivaient successivement armés les uns de sabres, de pierres, d’autres de fusils. Ils firent des menaces aux dragons et leur lancèrent des pierres; les dragons ne répondirent point et se tinrent tranquilles. Des vingt hommes dont le poste était composé, douze seulement se trouvaient au corps de garde. L’officier ordonna au trompette de sonner pour rassembler ceux qui étaient épars. Le nommé Enaud s’avança pour exécuter cet ordre jusqu’au coin dit «des portefaix »,au commencement de la rue qui conduit au cours, il est saisi par des légionnaires qui lui arrachent sa trompette et la brisent. Dans le même moment, deux de ces hommes à houpe rouge tirent chacun un coup de fusil aux dragons; d’autres s’avançaient le sabre à la main, et lançant des pierres , lorsqu’un dragon nommé Constant tira un coup de mousqueton qui fut suivi de la décharge entière du piquet et du feu que donnèrent et reçurent également les deux partis. Le commandant du poste avait envoyé un dragon à l’hôtel de ville pour avertir la municipalité; deux officiers ne tardèrent pas à paraître. Le combat était déjà très opiniâtre; il y avait plusieurs blessés ; les portes et les fenêtres des maisons situées sur la place étaient fermées, et les coups de fusil partaient des trois rues qui sont vis-à-vis de l’évêché. Les deux officiers municipaux firent tous leurs efforts pour faire cesser le feu, et ils parvinrent à faire rentrer les dragons dans l’évêché; mais craignant que quelques-uns des leurs ne fussent restés sur la place, exposés à la furie des agresseurs , ces volontaires rouvrirent la porte, et à l’instant les coups de fusil recommencèrent et furent dirigés contre eux. Alors le commandant se détermina à aller rejoindre le pos'e de l’hôtel de ville; il s’y rendit à la tête d'un piquet et avec un des officiers municipaux; pendant leur retraite, ils furent poursuivis à coups de pierre et à coups de fusil ; ils ripostèrent et tuèrent un homme. Lorsque les deux officiers municipaux étaient venus à l’évêché, ils avaient été escortés par un détachement de la compagnie n° 1, de garde à l’hôtel de ville, et du parti contraire aux légionnaires à pouf rouge; ce détachement occupa le poste que les dragons venaientde laisseretse porta sur la place; il fut attaqué à coups de fusil ; mais malgré le feu des légionnaires, auquel il répondit vivement, il s’empara des avenues, après avoir eu un homme tué et un autre blessé. Le parti contraire perdit aussi quelques hommes. L’officier municipal partit de l’évêché avec les dragons; trouva en arrivant à l’hôtel de ville, à la tête de plusieurs légionnaires qui étaient venus se réunir à la compagnie de garde, le sieur de Saint-Pons, major de la légion ; cet officier dit en l’apercevant, et voulant parler des officiers municipaux : « Vous l’avez voulu, vous èt s cause de tout, f ..... , vous marcherez, vous ne nous quitterez pas, il y en aura pour tout le monde. » En effet, cet officier donna ordre aux troupes de le suivre sur la place où il voulait porter du se- 312 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 février 1791.] cours, et le sieur Ferrand, c’était l’officier municipal, fut obligé de marcher; mais la troupe ne fut pas conduite à la place comme l’avait résolu le major, et elle rentra bientôt avec lui à l’hôtel de ville. Les troubles les plus violents avaient éclaté dans différents quartiers. Un légionnaire à pouf rouge, après avoir été blessé au bras, revint dans le canton des Jacobins. A la vue de sa blessure, ceux de son parti coururent aux armes; les uns prirent des fusils, des sabres, d’autres des fourches dont il y avait un amas si considérable chez Froment. Ils s’emparèrent de différents postes, notamment des approches de la place des Carmes, de la maison Froment, et de la partie des remparts sur laquelle cette maison est ouverte, et qui domine le quartier appelé les Calquières. Tandis que les légionnaires à pouf rouge s’occupaient de ces préparatifs alarmants, les dragons qui s’étaient retirés à l’hôtel de ville avaient requis que le drapeau rouge fût déployé. Une émeute qui s’annonçait avec tant de furie rendait trop urgentes les dispositions propres à la calmer, pour qu’il fût possible de suivre exactement toutes les formalités prescrites pour la publication de la loi martiale, et l’abbé de Belmond fut pressé de sortir avec le drapeau, sans qu’on eût dressé de proclamation. Il opposa quelque résistance, et allégua son caractère; on lui répondit que d’après ce caractère même il était, plus qu’un autre, fait pour en imposer aux malveillants, et on le força de sortir avec une escorte composée de quelques légionnaires, de quatre dragons, et d’une patrouille du régiment de Guyenne. L’officier municipal observe que ce n’était pas à lui à porter le drapeau rouge; ce n’était guère le temps de s’occuper d’une vaine formalité, et la marche fut continuée. On sortit par la porte de la Couronne, et le cortège, augmenté d’un détachement du régiment de Guyenne, passait sur les Calquières, lorsque de la partie des remparts qui touche la maison Froment, et d’une tour qui l’avoisine, des hommes à houpe rouge, dont quelques-uns avaient l’uniforme vert, firent feu sur l’escorte. On riposta, mais le feu de la tour et des rem ¬ parts étant plus vif et plus soutenu, l’escorte fut dissipée. Alors des hommes à houpe rouge, armés de fourches et de fusils s’avancèrent : l’abbé de Belmond alla au-devant d’eux, le drapeau ronge à la main ; il les conjura de se retirer; je me jetai même à leurs genoux , dit-il dans son procès-verbal, mais ils l’en traînèrent par la porte des Carmes, enlevèrent le drapeau, le portèrent chez Froment, et conduisirent l’abbé de Belmond dans une maison voisine. Des témoins déposent que le sieur Descombiés était avec les légionnaires qui vinrent enlever le drapeau rouge. Un des dragons qui accompagnait l’officier municipal fut saisi par des légionnaires ; ils lui donnèrent plusieurs coups de fourche, lui arrachèrent son épée, et croyant l’avoir tué, ils le jetèrent dans un fossé. M. Laurent, membre de la municipalité, et qui s’était réuni à l’escorte, fat blessé à la main, en détournant un coup de sabre dirigé contre M. Paris, lieutenant des dragons, et il se mit à genoux pour sauver la vie à cet officier, que quatre hommes à houpe rouge voulaient massacrer. Nîmes présentait alors le spectacle le plus terrible. Des hommes armés parcouraient la ville, s’embusquaient au coin des rues, et faisaient feu sur ceux qui passaient : on s’attaquait à coups de sabre et coups de fourche, et dans les deux partis la fureur était sans borne. Un citoyen nommé Astruc, revenant de la porte de la Couronne, est poursuivi par des légionnaires à houpe rouge, et reçoit un coup de fourche dans le dos et plusieurs coups de sabre : il passe, en fuyant, auprès d’un aqueduc, il y est précipité; on l’y assomme à coup de pierre, et un légionnaire, portant l’uniforme vert, lui tire un coup de fusil. La maison de Jalabert est enfoncée, il en est arraché par une quinzaine d’hommes à houpe rouge, et reçoit une blessure dont il meurt quelques jours après. Boudon , volontaire de la compagnie de dragons, suivait, près la porte de la Couronne, une patrouille du régiment de Guyenne : il fut attaqué par des légionnaires à pouf rouge; l’un enlève son casque, l’autre lui arrache son mousqueton, et le couche en joue à quatre doigts de la tête : le coup ne part pas. Descombiés fait les plus grands efforts pour lui sauver la vie, et pour le faire entrer dans les rangs de la patrouille du régiment de Guyenne, qui s’était approchée pour le garantir, mais effrayé du danger qu’il venait de courir, Boudon s’élance et prend la fuite; il est poursuivi par les légionnaires, reçoit deux coups de baïonnette dans le dos, tombe et est massacré à coups de sabre; son corps est jeté dans l’aqueduc, où était déjà le cadavre d’Astruc, et ses armes sont portées chez Froment par des légionnaires qui les montrent comme un trophée, en disant : Voyez le sabre, voyez le casque , voyez le fusil du dragon. Quelques heures après, ils vinrent fouiller ses habits, volèrent son argent, ses montres, et une paire d’éperons d’argent : le procès-verbal de vérification du cadavre porte qu’ils lui coupèrent un doigt. Un jeune homme de 17 ans, nommé Bouchon , regardait par une fenêtre de la maison de Durand, papetier, on le tue d’un coup de fusil. Deux hommes, portant le pouf rouge, dont les noms me sont inconnus, furent massacrés dans les rues. Trois membres de l’assemblée électorale furent frappés à coups de pierre et de baïonnette, et l’un d’eux reçut quatre coups de sabre, dont il fut dangereusement blessé. Les commissaires du roi pour le département s’étaient rendus à l’hôtel de ville, où ils avaient arrêté, avec MM. Ferrand et Pontier, les seuls officiers municipaux qui fussent alors à leurs fonctions, que la loi martiale serait proclamée. La réquisition pour la troupe de ligne était rédigée, et on allait l’adresser au commandant de la place, lorsqu’on amena un homme, accusé, par ceux qui le conduisaient, d’être du nombre des agresseurs. Les officiers municipaux se hâtèrent de le faire entrer, pour l’envoyer en prison et lui sauver la vie, mais fortement pressés, par la foule des volontaires, de sortir avec le drapeau rouge, ils ne purent mettre cet homme en sûreté : il fut égorgé dans la salle du conseil, et son corps, traîné dans l’escalier, fut laissé dans la cour. Les deux officiers municipaux et le sieur Griolet, commissaire du roi, escortés par des légionnaires que renforça une nouvelle compagnie s’étaient mis en marche, faisant porter le ara-peau rouge par un des valets de ville. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [19 février 1791.] Ils prirent la même route qu’avaient suivie l’abbé de Belmond sortant par la porte de la Couronne : ils arrivaient aux Calquières, drapeau déployé et trompette sonnante, lorsqu’il partit un coup de fusil de ces mêmes remparts d’où les légionnaires à pouf rouge avaient déjà fait feu sur le cortèse du premier drapeau porté par l’abbé de Belmond. L’escorte riposta, malgré les instances des officiers municipaux, mais il partit delà tour une décharge de mousqueterie si vive qu’elle fit faire un mouvement rétrograde aux légionnaires de l’escorte. L’un d’eux fut grièvement blessé. Alors MM. Poniier et Griolet marchèrent avec précipitation vers les casernes où devait se rendre le détachement afin de se joindre à la troupe de ligne pour la pub ication de la loi mariiale. Le valet de ville qui portait le drapeau les suivit, mais à la porte des Carmes, il fut arrêté par des légionnaires à houpe rouge, qui le saisirent et lui arrachèrent le drapeau qu’ils emportèrent encore chez Froment. Un de ces légionnaires dit au valet de ville, en lui montrant le corps d’un dragon qui était dans le fossé : Vois , comme il boit. M. Ferrand, resté seul en face de la tour d’où le feu était parti, faisait des exhortations aux rebelles (c’est le mot consacré dans le procès-verbal de la municipalité), enfin, se voyant abandonné, il prit le chemin des casernes et fut aussi arrêté à la porte des Carmes par les mêmes légionnaires qui avaient enlevé le drapeau rouge. 11 les pressa inutilement de mettre bas les armes : ils l’entraînèrent de force sur le rempart, et de là, par un petit pont de bois, dans la maison Froment. M. Ferrand demanda avec instance qu’on se soumît, qu’on mît bas les armes et fit de vifs reproches à Froment et à Descombiès de ce qu’ils se trouvaient réunis en si grand nombre. « Désespéré, dit-il, dans son procès-verbal, de « se trouver dans cette maison, M. Ferrand veut « absolument en sortir, on s’y oppose ; des sen-« tinelles sont placées aux portes et un légion-« naire se saisit des clefs. Les efforts redoublés « de M. Ferrand, et le mécontentement qu’il témoi-« gne, avec force, de cette odieuse conduite, pa-« raissent convaincre les uns, mais irritent les « autres au point qu’il est menacé de coups de « sabre. « Froment, dans un moment de rage, prend « son chapeau, le jette avec violence sur la table, * et dit en jurant : F ..... . si la municipalité en « avait agi autrement avec nous, si elle ne les « avait pas autant ménagés, si elle nous avait « armés comme ils le sont et que nous devrions « l’être, nous ne serions pas exposés à périr; il « ajouta que les officiers municipaux étaient tous « des J. . . F ..... » M. Ferrand indigné de se voir parmi les rebelles, éérività M. Portier qu’il était retenu chez Froment avec le drapeau rouge et qu’il demandait avec instance qu’on l’en retirât. Enfin, après beaucoup de temps, il obtint la liberté de sortir, mais on retint le drapeau. Le commissaire du roi et l’officier municipal qui s’étaient rendus aux casernes après avoir été abandonnés par le détachement, demandèrent que la troupe prit les armes : l’ordre lui en fut donné à l’instant, et elle se mit en bataille avec six compagnies de la légion; mais le feu des remparts ayant cessé au bruit des tambours du régiment de Guyenne, et le calme paraissant se rétablir, la troupe rentra dans les casernes et les 313 compagnies de la légion se retirèrent peu de temps après. Les légionnaires qui occupaient la tour de la partie des remparts contiguë à la maison Froment, et qui avaient enlevé les deux drapeaux rouges, n’appartenaient qu’à trois compagnies connues sous le nom des compagnies de travailleurs de terre : les chefs qui la commandaient étaient François Froment, avocat et receveur du chapitre; Pierre Froment, son frère; Folacher, leur beau-frère et Descombiès membre du conseil de la commune et capitaine delà légion. 15 autres compagnies, portant aussi le pouf rouge, ne prirent aucune part à l’action et ne contribuèrent en rien aux crimesde cettejournée et à ceux qui la suivirent. 45 hommes passèrent la nuit chez Froment, mais un bien plus grand nombre avait tiré de la tour et des remparts. Froment, d’après le conseil de Descombiès, plaça des sentinelles pendant la nuit, et les deux chefs travaillèrent ensuite à fortifier leur parti, et à se procurer des secours pour le lendemain. Ils s’adressèrent à M. de Bouzol, commandant en second dans le département et qui était alors à Montpellier. Voici les lettres qu’ils lui écrivirent (1). Ges dépêches portées par deux volontaires, munis d’un certificat dans lequel on énonçait qu’ils allaient remettre une lettre à M. le commandant pour les affaires du roi et de l’Etat, furent interceptées par la garde nationale d’Uchaud et portées à l’assemblée électorale. Voici les termes dans lesquels cette assemblée constata dans son procès-verbal la remise de ces lettres : « L'Assemblée a vu avec indignation que ces « hommes (Descombiès et Froment), privés de « tout caractère, rejetaient sur les victimes de « leur agression, et sur celles de leurs compli-« ces, le coupable projet d’insurrection dont ils « sont eux-mêmes les auteurs, et que, d’après un « exposé aussi infidèle, ils osaient solliciter l’un et « l’autre le secours du régiment de dragons en « garnison à Sommières. » On sollicita aussi des secours dans les campagnes voisines. Des légionnaires à houpe rouge et armés, présentèrent à minuit au curé de Cour-bessac, une lettre décachetée qui portait qu’on avait tué un capucin, qu’il fallait donner du secours, et en réclamer d’ailleurs : on voulut exiger que le curé signât la lettre pour la porter dans les paroisses voisines, mais il refusa. L’ordre fut donné à la garde nationale de Cais-sargue d’arriver à Nîmes à la pointe du jour, d’entrer par la porte des Carmes, et de se rendre à la tour : le maître d’école empêcha l’exécution de cet ordre. A Boissières, des hommes inconnus vinrent à minuit demander un renfort ; la générale battit, et le village prit les armes. Dans l’intérieur de la ville, la nuit ne fut pas tranquille : les légionnaires de garde à la maison commune reçurent quelques fusillades, et d’une terrasse attenant la maison Froment on lit plusieurs décharges. A4 heures du matin une partie de la légion se porta à l’esplanade, et se mit en bataille. Les gardes nationales des environs de Nîmes arrivèrent successivement, et prirent leur rang. « Ges troupes, di-ent les électeurs dans leur procès-verbal, manifestaient hautement l’ardeur de venger le sang des citoyens versé la veille, de (1) Voyez à la fin du rapport. 814 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [19 février 1*791.1 rappeler autour de l’assemblée électorale la sûreté dont elle ne jouissait déjà plus, et leurs cris éclatants répétés de : vive la nation ! vive le roi ! offraient un spectacle à la fois terrible et consolant. » Pendant la nuit, 6 officiers municipaux, qui la veille avaient été dès le matin à la campagne, se rendirent à la municipalité. Au point du jour, un drapeau rouge qui venait d’être fait d’après l’enlèvement rie ceux de la ■veille, fut arboré à l’hôtel de Ville. Le peuple se rassembla en foule, et annonça par ses cris l’arrivée des troupes auxiliaires. Un comité, nommé par l’assemblée électorale, se concerta avec les officiers mnnicipaux pour assurer la subsistance des gardes nationales étrangères ; il fut aussi décidé qu’on engagerait les troupes, qui venaient à Nîmes, à s’arrêter aux approches de la ville, et deux membres de la municipalité se rendirent à l’esplanade pour prévenir les chefs. Cette démarche faillit leur coûter la vie ; à peine ils parurent, qu’ils furent entourés et pressés de toute part ; qu�lqu�s officiers eurent beaucoup de peine à les retirer du milieu de la foule, et à les conduire dans la maison du sieur Mazel; mais ils furent bientôt obligés d’en sortir. Ce citoyen leur représenta qu’il ne répondait pas d’eux, parce qu’à l’instant, et malgré ses efforts, le nommé Bataille venait d’être égorgé sous ses yeux dans cette même maison où il s’était aussi réfugié. Les deux officiers municipaux se sauvèrent dans la campagne, après avoir escaladé les murs de plusieurs jardins. La tour et les remparts n’avaient pas été désemparés par Descombiés, les frères Froment et Folacher. Dès le matin, à 5 heures, d’autres légionnaires du même parti vinrent se joindre à ceux qui y avaient passé la nuit, et le nombre s’augmenta successivement par les renforts que Froment envoya réclamer auprès de son frère, capitaine au canton des Bourgades, et par la réunion de quelques hommes de la compagnie Lamy. Ce capitaine avait distribué des cartouches à des légionnaires qui passèrent la nuit dans sa maison. D’autres apportèrent des fusils dans la tour, et on reprit les postes occupés la veille à la porte des Carmes et en deçà du pont. Descombiés, qui avait aussi passé la nuit chez Froment, était à la pointe du jour sur les remparts; l’habit uniforme gênait son activité; il prit une veste blanche et fit toutes les dispositions nécessaires pour l’attaque et la défense. Ou l'entendait crier: sentinelles à vos postes! puis s’adressant à des légionnaires qui buvaient : modérez-vous, leur disait-il, réservez-vous pour quand il faudra faire feu. D’autres préparatifs se faisaient chez Froment : on fondait des balles, on faisait des cartouches ; et pour n’en pas manquer, Froment en envoya chercher chez Descombiés. Des légionnaires s’écartaient dans la ville pour attaquer les gens qui n’étaient pas de leur parti. Souvent aussi ils étaient attaqués, et les rencontres étaient toujours suivies de coups de fusil, lorsqu’on était distingué par le pouf rouge on la cocarde nationale. On s’embusquait au coin des rues; on tira des fenêtres de quelques maisons, et ces différentes agressions, souvent répétées, coûtèrent la vie à plusieurs citoyens. Mercier, l’un des meurtriers du jeune Boudon, eut la tête coupée. La plus grande fermentation régnait dans les villages voisins. Le vicaire de Bouillargues avait répandu l’alarme à Rodilhan ; de toute part on sonnait le tocsin; on battait la générale; les habitants de Manduel, de Redessans et de Marguerites formèrent une troupe très nombreuse, armée de fusils, de fourches et de faux : le sieur de Montval, maire de Manduel, fut choisi pour chef; il annonça qu’il fallait porter la paix à Nîmes, et non y faire la guerre. La troupe campa au pont de Quart ; mais elle oublia bientôt les exhortations de son commandant, et elle se livra aux plus affreux excès. A 7 heures du matin le procureur du roi fit constater l’état et le nombre des cadavres qui étaient alors dans différentes rues. Le lieutenant criminel avait déjà fait 4 vérifications, lorsque les soldats du régiment de Guyenne, qui servaient d’escorte, lui annoncèrent qu’on tirait des coups de fusil dans les rues voisines : le péril devint si imminent, que ce magistrat fut forcé d’interrompre son opération et de se retirer sans vérifier le nombre, déjà considérable, des cadavres. D’après le procès-verbal, le procureur du roi rendit plainte. Le nombre des gardes nationales étrangers, campés à l’esplanade, avait considérablement augmenté : M. de Saint-Pons, major de la légion nîmoise, qui les commandait, fit visiter le couvent des capucins qui dominait l’esplanade. Cette visite se fit avec décence et tranquillité, et l’officier qui en fut chargé ne remarqua rien d’alarmant. Les arènes, que l’on pouvait occuper avec avantage, furent aussi visitées. Les troupes étaient toujours en bataille vis-à-vis les capucins, lorsque, vers une heure, elles furent assaillies de plusieurs coups de fusil. Le quatrième témoin, jardinier des capucins, dépose qu’étant dans l’église, il entendit 4 coups de fusil qui lui paraissaient partir du couvent, qu’il monta dans les corridors, et ne découvrit personne. Le quatorzième, que des coups de fusil furent tirés des fenêtres des capucins. Le quarante-troisième voit, d’une fenêtre de la maison du sieur Bourbier, l’éclat d’une arme à feu dans un corridor des capucins, donnant sur l’esi lanade, et en même temps il entend plusieurs autres coups de fusil, qu’il juge partir de ce corridor. Le soixante-troisième, major de la légion, voit faire feu du couvent des capucins. Le trentième voit à ses côtés un sapeur blessé par un coup de fusil, qu’on lui dit à l’instant même avoir été tiré des capucins. Le quarante-quatrième vit, de la fenêtre du dernier étage d’une maison située rue Notre-Dame, vis-à-vis l’auberge du Luxembourg, un homme sans chapeau, et ayant un fusil à la main, dans le clocher des capucins : il voit aussi un autre fusil, et ne peut pas apercevoir l’homme qui le tenait. Le quarante-cinquième voit, de la fenêtre du second étage de la maison du sieur Nougarède, rue Notre-Dame, un homme armé d’un fusil dans le clocher des capucins. Le cinquante-sixième voit deux coups de fusil partant du clocher des capucins : un officier municipal étranger est tué de l’un de ces coups de fusil. Enfin le curé de Boissière, cent dixième témoin, dépose que les troupes furent assaillies de plusieurs coups de fusil, mais que la frayeur [Assemblée n»M.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (19 février 179LJ qu’il éprouva, et le soleil qui donnait à plomb, l'empêchèrent d’apercevoir d’où provenait le feu. Je me suis attaché aux détails de ce fait, et j’ai cru important de mettre dans tout son jour la preuve, que du couvent des capucins on avait tiré sur les troupes campées à l’esplanade, parce que cet événement est un de ceux que les instigateurs, soit connus, soit cachés, des troubles de Nîmes, ont présenté, de la manière la plus fausse et la plus perfide, pour échauffer l’imagination du peuple, et pour rendre vraisemblable, par des crimes commis dans un premier mouvement de raye, le projet insensé du massacre général des rêtrt s et des catholiques, qu’ils feignent d’attri-uer aux protestants. Lorsque les troupes furent revenues de la surprise que leur eau a cette attaque imprévu elles coururent avec fureur vers le couvent des capucins, et la porte fut attaquée à coups de hache. Le père vicaire parut à la fenêtre qui est au-dessus de c ’-tte porte, et fort imprudemment il traita les assaillants de canaille, et leur demanda ce qu’ils voulaient du couvent : nous voulons l’abaitre, r pondirent-ils ; alors le père vicaire ordonna de sonner la cloche. La porte céda bientôt sous les coups de hache, et on se précipita dans le couvent. Cinq capucins, les seuls qui ne se fussent pas évadés ou cachés, furent impitoyablement massacrés, ainsi que 3 laïcs que l’on trouva dans le couvent. Après ce crime affreux vous croirez sans peine aux plus grands excès. La maison fut entièrement dévastée, les portes et les meubles brisés, la bibliothèque, la pharmacie ravagées : on enfonça les armoires et les placards de la sacristie; les ornements furent bouleversés, et d* ux ostensoirs fracassés; il paraît même que quelques vases ont été enlevés; l’église seule fut respectée, on n’y commit pas le plus léger dégât : le procès-verbal du lieutenant criminel, les dépositions des témoins et notamment celle de 1 abbé Glémenceau dém-ntent à cet égard les imposteurs qui, pour exciter les ressentiments du peuple, ont osé dénoncer de prétendues profanations qui n’ont pas eu lieu. Un témoin dépose que, lorsqu’on frappait à coup de hache à la porte des capucins, il vit un homme à houpe rouge se sauver par les toits en se baissant, pour être moins aperçu. Un de ceux qui avaient travaillé à enfoncer la porte, entre dans le jardin; on lui tire un coup de fusil d'une fenêtre du couvent, et dans le moment il voit descendre un homme qui fuit à travers le jardin ayant un fusil à la main. Get homme jette son fusil et gagne le mur qu’il escalade; un autre homme qui le poursuit ramasse ie fusil et veut le tirer; le fusil ne se trouve pas chargé, et le témoin croit avec vraisemblance, que c’était celui dont le coup l’avait touché. Pendant que ces scènes d’horreur et de vengeance (dont vous n’auriez à pas gémir, si la veille on n’avait pas enlevé deux fois le drapeau rouge; si deux fois on n’eût pas empêché, à coups de fusil, la proclamation delà loi martiale); pendant, dis-je, que ces scènes d’horreur et de vengeance se passaient aux capucins, les 1> gionnain §, commandés par les frères Froment, Descombiès et Folacher, faisaient un feu continuel des remparts qu’ils occupaient. Pour mieux diriger leurs coups, il firent démolir une communication anciennement murée $18 qui donnait de la tour du Poids-de-la-Farine dans celle des Jacobiug. j Descombiès, à la tête de 30 hommes, se présenta à la porte du monastère qui touche aux fortifications, et demanda la clef d’une autre porte pour gagner la partie des remparts située vis-à-vis la place des Carmes, où des gardes nationales étaient postées. Les religieux observèrent que ce qu’on exigeait d’eux les exposait à être égorgés ; malgré leurs instances, la porte fut ouverte : Froment accompagna Descombiès, qui plaça chacun à son poste, et le feu fut dirigé sur la place du quartier. Descombiès recommanda aux légionnaires de mettre leurs chapeaux à houpe rouge sur le bord de la muraille, pour y attirer les coups de fusil, et de se tenir à côté pour tirer après les décharges î dans cette position , disait-il, vous pouvez en tuer 400. Un des Froment avertissait qu’iZ fallait tirer bas. Un légionnaire tira un coup de fusil à quelqu’un qui était placé à une fenêtre de l’île de l’Orange. Un autre ajusta un homme aussi placé à une fenêtre, et un des témoins croit qu’il 1 atteignit, car les légionnaires dirent, après le coup : il l’a touché, il doit être mort dans sa maison. Froment s’était occupé d’avoir dn secours : il envoya deux fois chez le sieur Michel, capitaine à pouf rouge; 3 hommes seulement de sa comoagnie se présentèrent et ne re?tèreot pas longtemps. Il s’adressa aussi à un de ses parents, capitaine d’une compagnie des bourgades ; la lettre qu’il lui écrivit fut portée par le domestique de Descombiès, qui la cacha uans son soulier. Le capitaine proposa à ses légionnaires d’envoyer deshommes debonne volonté ; une vingtaine se rendit au rempart ; il en vint aussi trois autres de la compagnie de Descombiès; et de l’aveu de François Froment, le nombre des hommes retranchés ‘dans la tour et sur les remparts, s’élevait au moins à 120. Les troupes postées près du quartier répondaient au feu de la tour et des remparts : on se battait à la place de la Comédie; on tirait des fenêtres, on s’attaquait, on se poursuivait dans les rues; ceux que l’on arrêtait étaient, ou égorgés, ou conduits à la municipalité, accablés des plus mauvais traitements. Les maisons des citoyens n’étaient même pas un refuge contre ces horribles excès : plusieurs furent forcées , celle du sieur Chalvidan, capitaine à pouf rouge, fut dévastée. Le nommé Àberlême voit enfoncer sa porte, il se sauve sur les toits, et y e t tué d’un coup de fusil. Les assassins passent par la maison voisine, dont ils obligent le propriétaire à donner la clef, vont chercher le corps d’Arbelême, et le pendent en l’attachant avec un clou. La femme d’Arbelême s’était évanouie de frayeur en voyant enfoncer sa porte. On pille la maison pendant son évanouissement : le lendemain on lui montre le cadavre de son mari encore suspendu; elle le détache; et aidée par une de ses voisines, elle l’emporte chez elle. A 4 heures, Froment envoya le domestique de Descombiès porter une lettre à l’officier de garde du régiment de Guyenne, qui commandait le poste de la porte de la Couronne, et lui remit un mouchoir blanc, en lui donnant l’ordre de le faire voltiger chemin faisant en signe de paix. Voici la lettre écrite par Froment (1). (i) Voyez à la fin du rapport. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 février 1791.] 316 L’officier de garde renvoie le porteur de la lettre au commandant du poste des capucins, et celui-ci le fit conduire à l’assemblée électorale. A 5 heures, M. du Roure, membre de la municipalité, fut requis de conduire aux casernes 200 hommes de la garde nationale, pour renforcer le détachement commandé par M. Aubry, capitaine au corps royal de l’artillerie, et pour protéger la sortie des canons. L’officier municipal requit le lieutenant colonel du régiment de fajre mettre sa troupe en bataille pendant que la garde nationale se rangerait à sa droite; cet ordre fut donné. M. Aubry était alors occupé dans l’arsenal à faire préparer 6 pièces de canon pour faire évacuer les postes où les légionnaires, commandés par les Froment, Folacher et Descombiès, étaient retranchés, et d’où ils tiraient à couvert et avec le plus grand avantage sur des troupes que rien ne garantissait. Vers 6 heures, le canon fut amené; il fut mis en batterie sous le feu le plus vif de la tour et des remparts, et on battit en brèche. Ce fut alors que des commissaires de l’assemblée électorale, précédés d’un drapeau blanc et du trompette de la ville, marchèrent vers la rue du Collège, et firent avertir François Froment et Descombiès de venir leur parler. Ces rebelles eurent l’audace de faire dire aux commissaires-conciliateurs de se rendre dans la maison Froment; cettre offre fut rejetée, et on exigea que les chefs s’avançassent dans la rue. Ils parurent enfin, consentirent de mettre bas les armes, de les faire porter au palais, et de se rendre à l’assemblée électorale, pour se mettre sous sa sauvegarde. Les commissaires retournèrent aux casernes pour faire part de ces propositions; elles furent rejetées par les troupes, et on demanda la tête des chefs. Cependant, du consentement des uns, et contre le gré des autres, on arrêta que les conciliateurs se joindraient à M. du Roure, et qu’ils iraient de nouveau proposer la capitulation. Ils repartent, précédés d i drapeau blanc, et font avertir, par le trompette, Froment et Descombiès : M. du Roure presse en particulier Descombiès de se rendre à l’instant à l’assemblée électorale ; Descombiès s’excuse sur son costume, qui était une veste et une gibecière dn chasse ; M. du Roure insiste, et lui observe qu’il n’a pas un instant à perdre. Les propositions sont acceptées, et l’un des commissaires retourne aux casernes, fait voltiger le drapeau blanc, et annonce la paix. Froment et Descombiès se disposaient à exécuter les conditions et à se rendre à l’assemblée électoiale, lorsque des coups de fusil, paitis des remparts, firent évanouir tous les projets de conciliation. Descombiès n’avait point donné l’ordre de tirer, il le défendit même expressément : après avoir entendu le premier coup, il cria que la paix était faite, et dit à un garçon boulanger qui venait de tirer, qu’il le ferait pendre, s’il en était le maître. Au premier coup de fusil tiré de la tour, le feu de l’artillerie avait recommencé avec plus de furie : le peuple redemande à grands cris les chefs et leurs légionnaires; les troupes s’avancèrent pour investir la maison de Froment ; des écht lies furent dressées et les tours furent emportées d’assaut ; les assiégés se dispersèrent et furent poursuivis ; ou massacra tous ceux que l’on put joindre, et Pierre Froment fut précipité du haut des remparts après avoir été égorgé. La maison fut entièrement dévastée. Le couvent des Jacobins communiquait aux remparts d’où le feu était parti, on crut que les rebelles s’y étaient réfugiés, et on les y chercha. Le couvent fut mis au pillage, la bibliothèque, les caves, les appartements furent ravagés : on respecta l’église, la sacristie, un Christ dans l’intérieur de la maison, et même quelques estampes représentant des sujets pieux. Les fuyards furent aussi poursuivis dans le collège, où, à l’insu du recteur, ils avaient pénétré par les remparts. 3 hommes que l’on y trouva furent massacrés, le recteur lui-même courut risque de la vie : des légionnaires étrangers l’accusaient d’avoir favorisé la fuite des rebelles : et il ne dut son salut qu’à l’intrépidité deM. du Roure ; mais cet officier municipal ne put empêcher qu’on n’égorgeât 3 autres hommes arrêtés à la porte du collège. Enfin, il fut jugé convenable pour ramener le calme, est-il dit, dans les procès-verbaux de la municipalité, d’enjoindre à tous les capitaines à poufs rouges qui n’avaient pas pris part à l’action, de remettre les fusils qu’ils avaient chez eux : M. du Roure en fit la réquisition et les armes furent mises en dépôt. La journée du lendemain fut plus affreuse encore, et il me serait impossible de recueillir les détails de toutes les atrocités que fit commettre la vengeance, et dont se souilla le parti vainqueur. Dès le matin, l’assemblée électorale, précédée d’un drapeau blanc, se rendit sur la place, où les troupes nationales étaient en bataille ; elle les exhorta à la paix, recommanda d’arrêter les séditieux, et les conjura de s’abstenir de toute effusion de sang ; mais ces recommandations furent bientôt oubliées. De tous côtés il arrivait à Nîmes des troupes de légionnaires é rangers. Ce furent quelques-uns de ces légionnaires qui se livrèrent aux plus grands excès. Cette vérité est également attestée, et par les procès-verbaux de la municipalité et par l’information. Les citoyens soupçonnés d'avoir pris parti la veille avec les légionnaires à pouf rouge étaient recherchés et massacrés. Sous prétexte de fouiller les maisons suspectes pour enlever les armes, on pillait, on dévastait ; ce qui ne pouvait être enlevé était brisé. Quelques maisons forent totalement démeublées ; celles du sieur Carrayon, ancien négociant; de l’abbé Bragouze, curé de Saint-Paul ; de l’abbé Cabanel, notable, éprouvèrent les plus grands dommages ; les registres de l’hôpital général, trouvés chez ce dernier, furent ou déchirés ou emportés. Le bruit se répandit que des hommes à pouf ronge étaient cachés dans le collège : quelques officiers municipaux s’y transportèrent, et à chaque fois, malgré leurs instances, les pillages et les dévastations se renouvelèrent. Plusieurs fuyards s’y étaient en effet réfugiés ; quelques-uns furent égorgés, d’autres se sauvèrent sur les toits, et s’y voyant poursuivis et menacés d’une mort certaine, ils sautèrent sur les maisons voisines, en franchissant une rue assez large. Le nommé Gas, revendeur de vin, fut égorgé dans la cour du palais : les sieurs Laurent, officier municipal, et Vidal, procureur de la com- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (19 février 1791.] 317 mune, s’étaient d’abord réfugiés chez lui ; mais l'animosité qui éclatait contre Gas, ne leur faisant pas juger cette retraite a-sez sûre, ils sortirent par une fenêtre, et allèrent S“ cacher dans une maison inhabitée, -près les arènes. Ils y furent découverts dans un grenier, par le sieur Marc-Antoine Ribot, capitaine de la légion nîmoise : cet officier cacha soigneusement aux légionnaires de son détachement les noms des deux oflficiers municipaux, et après avoir fait travestir le procureur de la commune, il le conduisit, ainsi que Laurent, à l’assemblée électorale, où il déclara qu’il les mettait sous la sauvegarde de la loi : la nuit suivante ils s’évadèrent. Les meurtres et les pillages continuaient, et les citoyens qui échappaient à la mort, étaient traînés sanglants à l’hôtel de ville et entassés dans les prisons, lorsque la garde nationale de Montpellier arriva. « M. de Serres qui la commandait se rendit à l’assemblée électorale; il annonça que la ville de Montpellier, alarmée sur les événements fâcheux arrivés à Nîmes, les avait envoyés au secours du corps électoral et des bons patriotes; que sa légion était déterminée à verser son sang pour soutenir les defenseui� de la cause publique, à repousser les mal intentionnés, à combattre et à mourir pour le soutien de la Constitution. » Gjtte troupe, bien mieux disciplinée que les autres légionnaires étrangers, lit cesser les dévastations et les meurtres. Il y avait alors près de 15,000 hommes de troupes à Nîmes ; le m' rcredi 16 au matin, on tint un conseil de guerre; M. Aubry, capitaine au corps royal d’artillerie, fut nommé commandant général, et l’armée, en présence de l’assemblée électorale, prêta un serment civique et fédératif. Les troupes forent congédiées, et on ne garda à Nîmes que 3,000 hommes d’infanterie, en y comprenant la légion nîmoise et 400 hommes de cavalerie. La nuit fut parfaitement calme : le lendemain le corps électoral et la municipalité firent publier une proclamation, pour annoncer que la religion et la diversité des opinions religieuses n’avaient pas occasionné les tioubles qui avaient agité la ville, et que ces troubles avaient été causés par une querelle entre les compagnies de la légion. Cette proclamation, signée par les commissaires de l’assemblée électorale, et par cinq officiers municipaux, arrêta la marche d’un corps nombreux de troupes dont on ignorait les projets, et dont l’approche avait alarmé la ville entière. Pendant que les habitants de Nîmes étaient livrés aux horreurs dont je vous ai présenté le tableau, des crimes plus atroces encore se commettaient dans les campagnes voisines. A Nîmes du moins des agressions multipliées avaient provoqué la fureur, et des crimes avaient fait commettre d’autres crimes. Mais dans les campagnes, où le peuple était trompé sur la vraie cause des troubles de la ville ; où des insinuations perfides lui annon-çaientque la religion catholique était en danger; où il croyait devoir la venger en versant le sang des protestants, des forfaits exécrables fuient commis avec un sang-froid qui glace d’épou-vanie. Je vous ai dit que dans la nuit du 13 au 14 on avait sonné le tocsin dans les campagnes, et que les habitants s’étaient réunis au pont de Quart, sous les ordres du sieur Montval, maire de Man-duei. Plusieurs citoyens qui fuyaient Nîmes furent arrêtés par les patrouilles de cette troupe, répandues sur les différentes routes, et à chaque fois il fallait, pour sauver leur vie, qu’ils fissent preuves de catholicité. Les sieurs Barnier et Buchet, arrêtés par une patrouille, ne durent leur salut qu’au zèle et à l’humanité du sieur Montval. On chercha le sieur Rat pour le tuer; heureusement on ne le trouva pas, mais sa maison fut pillée. Le nommé Hugues , commis de la maisou Maigre, fut tué auprès deManduel. M. et Mm8 Noguier étaient à leur métairie de Courbessac ; on en brise les portes, et ils sont massacrés dans leur appariement : la maison est dévastée. Un vieillard de 70 ans, le sieur Blancher, est reconnu pour être protestant, il est massacré à coups de faux, malgré les efforts et les supplications de M. Montval. Le jeune Peyre, âgé de 15 ans, portait à manger à son père, il passe devant une troupe postée au pont des îles; un homme lui demande : Êtes-vous catholique ou protestant? Le jeune homme répond : Je suis protestant. Aussitôt un homme lui tire, à quinze pas, un coup de fusil, et l’enfant tombe mort. Il aurait autant valu tuer un agneau, s’écrie un des compagnons du meurtrier. J’ai promis de tuer quatre protestants pour ma part , répond-il, et celui-là comptera pour un. Le sieur Maigre, homme vénérable, âgé de 8? ans, fuit de sa maison de Trois-Fontaines, ayant dans sa voiture son fils, la femme de son fils, et deux de leurs enfants; deux servantes accompagnaient cette famille, et la voiture suivait le chemin de Beaucaire, lorsqu’elle fut arrêtée par une pitrouille sur la route de Mon-frin : Maigre exhibe un passeport qui est trouvé en règle. Deux postillons revenaient de Beaucaire, l’un crie à la patrouille .-quoi! vous laissez pis-er ces gens-ià? ils sont protestants; l’autre ait : Monsieur Maigre, si vous ne vous êtes pas confessé, vous pouvez le faire, car votre vie sera courte. A l’instant la voiture fut arrêtée et entourée d’une foule de paysans des villages de la Foux, de Cromps, de Saruhac et de Jonquières. Il faut les tuer parce qu’ils sont protestants, criait-on, et que les protestants ont fait tuer les capucins et les catholiques; dans ce moment, Maigre découvre, au milieu de la foule, André Castan, qui a été domestique au service de sa famille. Quoi, lui dit-il, André, tu ne me reconnais pas? tu ne t’intéresses pas pour moi? Alors c’était un autre temps, répond André, aujourd’hui c’en est un autre, et il porte un coup terrible à ce vieillard. Comment, vous ne les avez pas encore tués? s’écrie alors un des postillons; eu même temps il se jette à bas de sou cheval, passe un licol au cou de la plus jeune des demoiselles Maigre, et veut l’étrangler; Catheriue Galafrès court au secours de sa maîtresse, et devient, par cet acte de courage, l’objet de la fureur de ce monstre ; il lui passe le licol, et fait les plus grands efforts pour la pendre à un arbre; le licol se trouve heureusement trop court. On se décide à aller à Remoulins, et à y conduire les prisonniers ; en arrivant au village de � § [Assemblée nationale. ) la FoUx, ils sont accablés d’injures, de menaces et d’imprécations contre les protestants. Maigre, le tils, sa femme et ses tilles aperçoivent ün capucin ; elles s’approchent, et lui demandent avec instance de parler en leur faveur, et de leur sauver la vie : le capucin répond qu’il les connaît bien ; mais il refuse d’intercéder pour eux, et se renferme dans une maison voisine. On fait approcher la barque pour passer à Remoulins ; on y pousse, on y précipite la famille Maigre : Jetez-les à l’eau, crient ceux qui sont sur te bord de la rivière, il faut les noyer. Les témoins déposent qu’ils entendirent alors ces infortunés s’écrier : Nous sommes tous perdus, il faut nous embrasser, et qu’ils les virent se serrer mutuellement et s’embrasser tous. Un homme saisit Maigre, père, au travers du corps* et le jette dans l’eau : ce vieillard nagea vers le rivage, mais il en fut repoussé à coups de pierre ; et ayant bientôt perdu ses forces, il se noya. Son fils, plus vigoureux, fit plus de résistance; d’une main il saisit un des paysans, et de l’autre il se cramponna au mât de la barque : pour le vaincre on feignit de vouloir lui laisser la vie; il crut à cet e promesse, et lâcha prise ; mais à l’instant on le jeta à la renverse : il tomba dans ia rivière ; et se sauvant à la n ige, il prit terre. Le sieur Edouard Serre courut à son recours, lui donna la main pour l’aider à sortir de i’eaü, et s’empressa d’étancher le sang d’une de ses blessures. Un homme s’approche, un fusil à la main, et couche Maigre en joue. « Épargnez cet honnête homme, dit Edouard Serre, il n’est pas coupable des crimes dont on l’accuse : vous rendrez un service essentiel à toute la contrée. — Oui, reprit Maigre, nous sommes d’honnêtes gens, qui n’avons fait qi e du bien à tout le monde; nous différons en façon de penser, mais cela doit-il vous porter â nous arracher la vie : monsieur me coimaîi, demandez-lui. Serre, dont je copie ici la déposition, appuya avec chaleur ce qui venait d’être dit, et ajouta que ceite famille avait l’estime générale. — 11 faut que vous soyez un des siens, pour prendre ainsi son parti, dit le paysan. — Non, je suis catholique romain ; et pour vous Je prouver, voilà mes heures et une petite croix qui appartient a ma tille. — Eh bien, marchez en prison tous les deux, ajouta le paysan : alors Maigre, prenant la main d’Edouard, lui dit : Mon Dieu ! à quoi vous vous exposez en pienant ain-i mon parti. Et ils marchaient ensemble pour aller en prison, lorsqu’un jeune homme, armé d’un fusil à deux coup-, qui. appartenait à Maigte, s’avance en criant: Gare! que jele lue. Serre se précipite sur le fusil, tandis que Toussaint Mar. on couvre généreusement ne soü corps le malheureux dont les jours étaient menacés. Serre était aux genoux du jeune homme, il lui baisait les mains, et demandait la vie pouf Maigre ; mais cet homme atroce le repoussa avec férociié, eu lui disant : Retirez-vous si vous ne voulé'z pas que je vous en fasse autant , et il le couche en joue. Une femme ëlfrayee des dangers où Serre s’exposait âvec tant de cuürage, t’en-tralnâ oe force, et il t oufait, appelant du secours lorsque Maigre fut a sassiné d’un coup oe fusil, et jeié dans un ruisseau à côté du village. Un moissonneur le retira de l’eau avec sa faux, lui prit son argent, sa tabatière, sa montre et repoussa le cadavre dans la rivière. L’épouse et les biles de cet infortuné s’étalent réfugiées dans une auberge ; les meurtriers y lié février 1791.J coururent et annoncèrent à grands cris qu’ils voulaient les massacrer ; et cette résolution barbare eût été exécutée si l’aubergiste n’eût assuré, avec serment, que les dames Maigre s’étaient évadées dans la campagne et si ces furieux ne s étaient à l’instant dispersés puür les y chercher; enfin des cavaliers de maréchaussée, qui survinrent, mirent en sûreté ces femmes trop malheureuses, et les arrachèrent aux assassins de leur époux et de leur père. Tel est, Messieurs, le tableati trop étendu, tuais trop vrai, des malheurs de Nîmes; beaucoup o’autres crimes sans doute ont été commis; c’est une vérité qu’on entrevoit avec effroi; et les horreurs que je vous ai retracées ne rendent que trop vraisemblables tous les genres de forfaits. Je crois vous avoir démontre, dans la première partie de mon rapport, que la division qui régnait à Nîmes, que les troubles des 2 et 3 mai étaient l’effet des insinuations suggérées par un parti de factieux qui, en alarmant le peuple Sur l’anéantissement ou culte catholique et sur la prétendue captivité du roi, avaient pour but de soulever l’opinion publique contre les lois qui nuisaient à leur intérêt personnel. Les événements qui ont suivi, et dont les résultats ont été si douloureux, ont encore la même cause ; en effet, dahs l’histoire des malheurs de Nîmes, vous retrouvez partout les traces du fanati me et de la révolte. Au milieu des mouvements inséparables d’Une grande révolution, Nîmes avait joui de la plus parfaite tranquillité; toutes les opinions, tous les intérêts s’étaient rapprochés à une époque que je ne ferai que rappeler, la convocation des États généraux; les cahiers de la province avaient été rédiges en commun ; on ne s’était occupé des protestants que pour adoucir leur sort; ils étaient alors si peu suspects que plusieurs d’entre eux furent députés, et il semblait que rien ne pût a'térer la paix, dans un pays où toutes les opinions, soit politiques, soit religieuses, s’étalent confondt.es dans le zèle du bien public. Ce u’est qu’au mois de novembre et, il faut le dire, ce D’est qu’à l’époque de vos décrets sur les biens du clergé, que la fermentation se manifeste dans Nîmes; alors paraissent des écrits incendiaires; alors on alarme e peuple sur le sort de la religion ; on excite sa fureur contré les protestants, et sous le voile des alarmes religieuses, des projets sinistres Se manifestent; de tels desseins veulent être protégés dans leur accroissement; il ne Faut pas que dans leürs premiers développements ils éprouvent des contrariétés. La municipalité va èire formée, sa surveillance pourrait être funeste, il est important que des opinions contraires à celles des factieux n’y dominent pas, et des prêires s’empâtent des élections. Ils eraploieùt la religion pour abuser et l’argent pour corrompre; ils forment à leur gré le corps municipal et, forts de l’autorité de leürs créatures, ils ne mettent plus de borne à letir audace ; elle s’accroît bientôt par les troubles qu’occasionne, dans la légion, un règlement de la municipalité. Des assemblées nocturnes dans les églises, une délibération sédiiieuse ne sont point réprimées; nés moines colportent publiquement, impunément, des écrits affreux qui appellent la guerre civile; tout annonce nés préparatifs, les protestants Sont menacés, des armes prohibées sont fabriquées en grand nombre; la ville retentit des cris de : Vive la croix ! à bas là nation! Là cocarde blanche est arborée, elle occasionne une émeute; la cocarde blanche est ARCHIVÉS PàRLÈMEUÎÀIRES; (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [19 février 1791.] 319 laissée� mais on lui substitue une distinction particulière à laquelle se rallie le parti des factieux, parti ouvertement favorisé par trois municipaux dout les discours et la conduite ne laissent pas de doutes sur les motifs de cette protection. Une nouvelle délibération du l8r juin confirme celle du 20 avril ; plus coupable encore elle annonce une coalisation déjà formée, et la municipalité n’agit pas : la distinction de pouf rouge entretient l’animosité dans la légion; elle éclate le 13 juin, les dragons protestants sont attaqués, les chefs des factieux se retranchent dans les fortifications, ils tirent sur les officiers municipaux. Deux fois ils enlèvent le drapeau rouge, deux fois ils s'opposent à la publication de la loi martiale qui eût fait cesser le désordre, et donnent ainsi lieu à tous les forfaits qui se commettent, soit dans la ville, soit dans les campagnes voisines. Voilà, je le répète, l’ouvrage du fanatisme et de lu révolte, Voilà ce qu’auraient pu prévenir la sagesse, le zèle et le patriotisme des officiers municipaux, voilà ce qu’a produit leur faiblesse ou leur complicité. Rapprochez du tableau que je viens de vous présenter les événements qui, à la même époque, se passèrent dans quelques autres villes de la même contrée, vous verrez partout les mêmes agi -ms, les mêmes moyens, la même marche; partout les délibérations des soi-disant Catholiques deviennent les manifestes de la guerre civile, et la cocarde blancbe, le signe de l’insurrection ; rappelez-vous encore les troubles que dans le même temps on fomentait à Toulouse, ceux que l’on Craignait à Paris pour le mois de mai, et vous jugerez que les événements qui se sont passés à Nîmes tenaient à des projets plus vastes que la surveillance des corps administratifs et le courage des gardes nationales ont heureusement déconcertés. On a publié que les protestants avaient excité les troubles de Nîmes, et cette assertion s’est répétée dans 20 libelles; pour donner quelque vraisemblance aux projets que l’on a feint d’attribuer aux non-catholiques, on a rappelé des faits atroces, consacrés par l’histoire des guerres de religion, et c’est par ce rapprochement perfide qu’on est parvenu à persuader au peuple que les protestants devaient égorger tous les catholiques, établir des républiques fédératives en France et placer à Nîmes le centre des relations politiques et religieuses du calvinisme. II est, je crois, parfaitement inutile de répondre à ces absurdes accusations; je me contenterai de dire qu’il est faux que les protestants aient excité les troubles de Nîmes. Us ont été en butte à la haine d’un parti, aussitôt qu’un parti s’est formé contre laConstitution, à l’époque de Vos premiers décrets sur les biens du clergé; et, devenus l’objet d’un vil ramas de calomnies artificieusement pratiquées contre eux pour exciter des troubles et faire éclater une contre-révolution dans le midi de la France, ils n’ont eu d’autres ennemis que les ennemis de la Révolution même. Il est faux qu’ils aient été les agresseurs, dans la journée du 13. Les 20 dragons postés à l’évêché étaient tous protestants, 12 seulement étaient alors au poste lorsqu’ils furent provoqués par un billet, et attaqués par des hommes à houppe ro> ge. Ce furent les dragons qui réclamèrent la proclamation de la loi martiale, et qui contraignirent même les officiers municipaux à sortir avec le drapeau rouge; cette marche, il faut l’avouer, n’est pas celle des agresseurs. On les accuge d’uvoir expédié des courriers dans la nuit du 13 au 14 pour se procurer des secours ; j’ignore si le fait est vrai, mais il est vraisemblable, car les mêmes précautions furent prises pat le parti contraire. Froment et Des-combiès écrivirent à M. de Bouzol pour obtenir des troupes; on fit sonner le tocsin dans les villages voisins, on publia même, et c’était alors une insigne fausseté, que des capucins avaient été égorgés; et à la demande de plusieurs hommes à houppe rouge, envoyés de Nîmes, les habitants prirent les armeSi Il n’est donc pas vrai que les protestants aient excité les troubles de Nîmes et qu’ils aient été les agresseurs : cela n’est même pas vraisemblable. Je ne vous rappellerai pas l’infériorité de leur nombre, qui, comparativement à celui des catholiques, est, pour la ville de Nîmes, comme 1 est à 3, et pour le surplus du département, comme 1 est à 8 ; mais je demanderai quel intérêt avaient les protestants à exciter des troubles : qu’avaient-iis à regretter? que perdaient-ils? Ce n’était point aux protestants que la Révolution enlevait des privilèges flatteurs, des dignités éminentes, un rang éclatant dans la contrée, des richesses immenses : ils gagnent tout à la Révolution; ils devaient la bénir car ils étaient privés de tout sous l’ancien régime; ils recouvraient la plénitude des droits civils et, voués aux manufactures et au commerce, ils devaient désirer la tranquillité publique et voir avec transport s’établir parmi nous un gouvernement libre, dont l’heureuse influence devait ajouter à leur fortune en favorisant leür industrie et en agrandissant leurs relations commerciales : de tels hommes n’ont point excité les troubles de Nîmes, et cependant ils ont été accusés d’avoir prémédité les plus affreux attentats; et les crimes commis pendant la guerre qui a duré quatre jours à Nîmes ont été annoncés à la France entière comme Je fruit d’un projet longtemps réfléchi. En vous parlant des libelles faits pour exciter le peuple contre les protestants, je dois vous rappeler l’adresse qui Vous a été présentée par la veuve Gas. Cette femme, mère d’une très nombreuse famille, a perdu son mari dans les massacres de Nîmes; elle a déposé le 13 juillet devant le lieutenant criminel ; elle parle des lis'es distribuées pour la formation de la municipalité, du refus que fit Son mari de se charger de leur distribution, des menaces qu’il éprouva au sujet du sieur Blachier, avocat de Nîmes ; et elle ajoute qu’elle attribue à ce refus obstiné le meurtre de son mari : voilà en substance sà déposition. Mais elle ne retrace aucun de e nous avions eues de les en empêcher, sur la place des Récollets; la fermentation du peuple à ce sujet, et ses plaintes relatives aux effrois que ces patrouilles à cheval lui causaient, nous décidèrent, après en avoir conféré avec MM. les commissaires du roi, à les faire cesser, à laisser les dragons en activité dans leurs postes, pour les cas de besoin ; à placer un dragon de garde à la porte du palais, aux ordres du président de rassemblée électorale, et à ajouter au service une nouvelle patrouille des soldats de Guyenne. Tel était l’état des choses le dimanche 13 du courant, quand trois d’entre nous, occupés à des comptes dans la maison commune, fûmes instruits d’une émeute formée à l’évêché, à raison d’un billet portant que si les dragons ne quittaient l’évêché, ils y seraient attaqués. Deux de nous s’y rendirent, suivis d'un piquet de la compagnie de garde; peu après, l’abbé de Belmond, municipal, lut contraint par les autres légionnaires de proclamer la loi martiale. Il reçut des mauvais traitements pendant sa course; son drapeau fut même enlevé par des légionnaires à pouf rouge. N’ayant pu rétablir le calme entre les dragons et les légionnaires, ni obtenir des premiers qu’ils se tinssent renfermés dans la cour de l’évêché, nous revînmes dans la maison commune, au péril de nos vies. Peu après, M. Ferrand fut forcé, par la même compagnie de garde, d’en sortir sans attendre, pour la proclamation de la loi martiale, le régiment de Guyenne, alors au quartier des casernes, sous les armes. Le long des remparts et d’une tour en dépendant, il s'y trouva des gens retranchés, qui animés par un coup de fusil tiré, devinrent le signal d’un feu respectif soutenu, pendant lequel le drapeau fut enlevé au valet de ville qui eu était le porteur. Le lendemain, lundi, jour à jamais fatal, l’eût encore bien été pour M. le baron de La Baulme, municipal, rendu sur l’esplanade, eu vue de la paix, si un brave légionnaire ne l’eût garanti des coups que des volontaires étrangers voulurent lui porter. L’après-midi, ceux de la légion à pouf rouge cédèrent au canon qui tira sur eux, la plupart prirent la fuite ou se cachèrent; il en périt plusieurs; d’autres, poursuivis partout, pendant les jours suivants, ont été ou immolés pendant leur marche, ou mis en prison; d’autres courent les champs; plusieurs des membres de la municipalité, menacés et craignant pour leur vie, se sont vus obligés de se cacher, ou de s’éloigner de la ville, ou de se mettre sous la sauvegarde de l’assemblée électorale dont ils étaient membres. Dès lors, le poids des affaires est retombé sur un petit nombre d’entre nous ; il a fallu pas-er les jours et les nuits entiers dans la maison commune, pour suffire à tout, et pourvoir au logement des troupes étrangères arrivées sans réquisition, dès le lundi 14, de très grand matin, et accrues au nombre d’environ 20,000 hommes. Plongés dans une mer d’amertume, et à la vue des mas.- acres multipliés dans tous les quartiers de cette ville, y succombant malgré les suins que MM. les commissaires du roi et de l’assemblée électorale partageaient avec nous, nous avons été dans l’impossibilité absolue de présenter plus tôt aux augustes représentants de la nation le tableau de nos désastres et nos craintes. Quoique la paix ait été publiée par ordre du département, notre ville court toujours plus à sa perte, par le fait de la grande misère et de la stagnation du commerce; ses habitants la désertent; elle a fait des pertes énormes dans ses propriétés, dans ses citoyens, devenus coupables, qui ont péri; dans des innocents qui ont été immolés; dans la suite de ceux que la misère conduit au brigandage, en un temps où les moissons demandent des bras; dans la perte de notre collège, du couvent des capucins, dont il a péri cinq religieux, du couvent des jacobins, reudu désert, et de plusieurs objets précieux. Jamais position plus affreuse pour nous; elle a conduit M. Laurent, municipal, à nous envoyer sa démission ; elle ne permet p us au petit nombre d’officiers, qui tiennent encore aux fonctions de la municipalité, de supporter le poids énorme des affaires communes. Daignez donc, Monsieur le Président, nous permettre de vous offrir, et à l’auguste Assemblée nationale, la démission de nos places dans < ette municipalité, en exécution des décrets qui nous y autorisent. Nos vies sont en danger, surtout depuis que nous avons éprouvé ce que la calomnie a de plus déchirant pour des citoyens vrais patriotes, amis de la Constitution , ce qui nous conduit à désirer notre prompt remplacement. Nous sommes avec un profond respect, Monsieur le Président, vos très humbles et très obéissants serviteurs, Les officiers municipaux de la ville de Nîmes , La Baulme, du Roure, Ferrand de Missol, Gail-liard l’aîné, Gus, Lientier, Former, Razoux, Pontier, Murjas. (L’Assemblée ordonne l’impression de ce rapport et en renvoie la discussion à la séance de mardi.) M. le Président lève la séance à dix heures et demie. ANNEXES A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 19 FÉVRIER 1791, AU SOIR. Nota. Nous insérons ici diverses pièces relatives à l’affaire de Nîmes, qui servent de complément au rapport de M. Alquier. — Ce-pièces ayant élé imprimées, distribuées et renvoyées au comité des rapports, font partie des documents parlementaires de l’Assemblée nationale constituante.