[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]5 janvier 1791.] 23 M. Bion. Les faits qui viennent de vous être énoncés par le préopinant ne sont que trop vrais et, depuis même la sanction du décret du 27 novembre, de nouveaux mandements, de nouvelles instructions pastorales ont été envoyés dans les diocèses. Dans le mien, notamment, le 1er janvier, le mandement d’un membre de l’Assemblée a été remis avec une lettre aux prêtres à l’hôtel de ville, avec ordre de le publier à l’instant. Il n’y a eu qu’un seul curé à qui il soit parvenu assez à temps pour pouvoir le lire au prône où il en a commencé la lecture : mais le lendemain, la municipalité a arrêté cette lecture. Les décrets de l’Assemblée y étaient désignés d’une manière outrageante et je ne doute pas, Messieurs, qu’incessamment vous ne receviez la dénonciation précise de ce fait. J’appuie donc la motion de porter dans le jour à la sanction le décret d’hier. M. l’abbé Gouttes. En appuyant la motion, je demande que le président soit chargé en même temps de prier le roi de faire exécuter la loi de la résidence. C’est de Paris ou d’un pays étranger, lorsqu’ils sont absents de leurs diocèses, que les évêques envoient leurs mandements; c’est en abandonnant la résidence, qui est de droit divin, qu’ils résistent à la loi civile qui est de toute justice. Ils violent la loi divine, parce que l’autorité civile les invite à l’exécuter. {On applaudit.) M. d’André. Je loue le zèle du préopinant; mais je prie l’Assemblée de me permettre de lui observer que ce serait faire un exemple bien dangereux que d’envoyer le président devers le roi pour lui demander de faire exécuter les décrets. Le devoir du pouvoir exécutif est de le faire; nous ne devons pas avoir besoin d’envoyer chez le roi pour faire exécuter un dé-cret.Les ministres sont responsables; s’ils ne font pas exécuter les décrets, il faut les poursuivre, et j’en suis d’avis; mais je vous prie de remarquer de quelle conséquence il serait que vous envoyassiez pour demander au roi de faire exécuter un décret. Si jamais les ministres pouvaient être dans le contresens de la Révolution, il s’ensuivrait de là que toutes les fois que le président n’aurait pas fait une seconde visite au roi, on s’imaginerait que l’exécution n’est pas pressée, qu’on pourrait la différer. Il ne doit pas y avoir d’arrangement avec la loi; la loi existe quand la sanction est portée; c’est aux ministres, au pouvoir exécutif à lafaire exécuter. Nous n'avons pas d’autre manière à prendre que de poursuivre les ministres quand ils ne le feront pas. Ainsi je vous prie de croire que le Corps législatif ne doit jamais s’écarter des principes qu’une première démarche fausse peut en entraîner de très dangereuses; et je n’ai pas besoin de vous exposer ici tous les inconvénients qui peuvent en résulter. Je m’oppose donc à la motion, non que je ne désire très fort qu’on demande pourquoi le décret n’e3t pas exécuté. Qu’on le demande, en mandant le ministre à la barre, mais pas en envoyant au roi; c’est une démarche inconstitutionnelle, j’ose le dire. M. le Président. Dès que les extraits des procès-verbaux seront achevés, je promets que je ne perdrai pas un instant pour me rendre chez le roi. Si mon zèle ne rassure pas suffisamment, je vais mettre la motion aux voix. (L’Assemblée, consultée, passe à l’ordre du jour.) M. l’abbé Simon. Je demande si l’Assemblée nationale veut insérer dans son procès-verbal l’explication que je lui ai donnée lundi dans mon serment civique. Je déclare à l’Assemblée nationale. . . Plusieurs voix : L’ordre du jour! (Une grande agitation se produit du côté droit.) M. l’abbé Simon quitte la tribune et porte un papier au bureau. Le secrétaire le rejette. M. de Bois-Rouvray. Je demande si un secrétaire a le droit de jeter un papier au nez d’un membre de l’Assemblée. On réprime la personnalité; je demande si les voies de fait ne sont pas plus punissables; on sera obligé de se faire justice soi-même. M. le Président rappelle M. de Bois-Rouvray à l’ordre. (L’Assemblée décrète qu’elle passe à l’ordre du jour.) M. le Président. Je viens de recevoir une lettre signée par M. l’abbé Pous, curé de Mazamet, ainsi conçue : « Je déclare que je n’ai fait mon serment que dans l’intention énoncée par M. l’évêque de Clermont; si l’Assemblée l’a pris d’une autre manière, ce n'est pas ma faute, et je le rétracte dans ce sens. » {Il s'élève des murmures.) Plusieurs membres ecclésiastiques se disposent à venir prêter le serment. Plusieurs voix à droite : Non ! non ! M. Forest de Masmoury, curé d'Ussel , demande à faire une déclaration concernant le serment qu’il a prêté. M. d’André. Messieurs, je m’oppose très formellement à ce qu’on donne la parole à qui que ce soit lorsqu’il ne sera pas dans l’ordre du jour. L’ordre du jour est la discussion sur les jurés ; je demande que cette discussion commence. Il y a dix décrets de l’Assemblée qui disent que l’on ne peut interrompre l’ordre du jour, qu’on n’intercalera rien à l’ordre du jour. Comme il peut y avoir des fonctionnaires publics qui aient envie de prêter leur serment, je demande qu’avant de monter à la tribune, ils aillent vous déclarer à vous, Monsieur le Président, s’ils veulent donner leur serment purement et simplement; dans lequel cas, vous leur donnerez la parole; dans tout autre cas, vous la leur refuserez. Et je vous observe que vous ne devez point mettre aux voix ce que j’ai l’honneur de vous dire, parce que c’est l’exécution des décrets et que le président est spécialement chargé de veiller à leur exécution. Je demande, Monsieur le Président, que vous veuilliez bien appelersur-le-champ,et sans aucune interruption, le premier qui a la parole sur les jurés. L’Assemblée reprend la suite de la discussion sur l'institution des jurés. Plusieurs voix : A l’ordre du jour ! M. de Follcville. Tout le monde a été témoin 24 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 janvier 1791.] du peu d’altenlion qu’on a donné hier à M. Goupil, et des murmures d’impatience qui s’élevaient dans l’attente de la discussion qui devait suivre. Il a parlé pendant deux heures sans que j’aie pu l’entendre autrement qu’à la dérobée. Cependant son discours m’a paru très intéressant. Je demande qu’il soit invité à le recommencer ou que l’Assemblée en ordonne l'impression. L’institution des jurés est comme la fosse aux lions : si nous tombons dans l’erreur, l’Etre suprême ne fera point de miracles pour nous en tirer comme il a tiré Daniel de la fosse. M. Goupil de Préfeln. 11 n’est pas besoin de solliciter votre attention dans la discussion d’une question de l’importance de laquelle nous sommes tous pénétrés. 11 s’agit de la sûreté de tous et de chacun... J’avoue que je n’aurais jamais cru qu’on pût mettre en question un projet d’après lequel un nomme sera condamné, exécuté et pendu, sans qu’il existe aucunes traces, aucuns vestiges des charges. Vous avez vu les efforts qu’on a faits our justilier un plan que j’ose accuser de bar-arie. On a essayé d’invoquer ce qui se passe en Angleterre, et l’on vous a dit que l’institution qu’on vous proposen’est que le perfectionnement de la pratique anglaise , qu’elle contient des moyens d’exécution plus simples et plus faciles. J’ai reconnu que véritablement, chez nos voisins, les dépositions faites par devant jurés ne sont pas écrites. C’est aussi cet abus qui a donné aux écrivains anglais l’occasion de dire que la procédure par jurés offre de très grandes imperfections. Il n’est pas difficile de remonter à l’origine de celte disposition. Dans le commencement des sociétés, lorsqu’on ne savait pas écrire, il fallait bien qu’on se passât de l’écriture dans tous les actes extrajudiciaires ; on y suppléait par d’autres pratiques, Les Anglais, religieusement et scrupuleusement attachés aux anciens usages, ont conservé cette imperfection dans la procédure des jurés. Mais jetez vos regards sur les institutions qui la corrigent en Angleterre. La maxime de l’unanimité des jurés y est consacrée, tandis qu’on vous propose de n’établir que la nécessité de huit voix sur douze. En Angleterre, le jury ne prononce jamais de décision irrévocable comme le fatum ; le juge a le droit, et par conséquent le devoir, d’ordonner un nouveau jury toutes les fois qu’il trouve que l’accusé a été condamné d’une manière opposée à la justice. Vos comités, au contraire, ne vous proposent que des simulacres de juges. Le droit qu’ils accordent à l’accusé d’obtenir un nouvel examen de jugement est illusoire, puisqu’ils exigent l’unanimité des juges et du commissaire du roi. En Angleterre, l’accusé a la pleine liberté de se défendre jusqu’au dernier moment :1e projet de vos comités, au contraire, le prive du bienfait du conseil; il leur enlève, non pas le nom, mais la chose. Vingt-quatre heures après l’audition des témoins, les accusés seront traduits devant le juré du jugement ; ils seront jugés à la hâte, sans que leurs conseils aient le temps de réfléchir. Encore est-ce le seul momentpassager où l’accusé pourra jouir de l’assistance de son conseil; car le juré ayant délibéré de déclarer l’accusécoupable, on vous propose d’in-terdireau condamnéde plaider pour obtenirla révision du jugement. Il aura, à la vérité, le droit de demander cette révision ; mais on a eu soin d’entrelacer une foule d’obstacles contre l’exercice de ce droit, en exigeant l’unanimité des juges. Or , comment les juges pourront-ils être unanimes, comment pourront-ils connaître s’il y a lieu à un nouvel examen, lorsque l’accusé ne pourra plaider devant eux, et qu’il n’aura pas le droit de faire valoir les raisons? Exiger cette unanimité, ce serait accorder à l’accusé une faculté dérisoire, et donner aux juges un pouvoir métaphysique... Pourquoi fait-on tant d’efforts pour vous persuader que la révision des jugements des jurés ne peut avoir lieu ? c’est parce qu’en effet, avec des témoignages non écrits, la révision est impossible. La révision, vous a-t-on dit, a deux objets : le premier, lorsqu’il y a une erreur dans l’application de la peine ; dans ce cas, la révision sera attribuée au tribunal de cassation. Jusqu’ici tout va fort bien, et nous sommes d’accord. Mais il est un autre cas où je ne crois pas avec vous que la révision soit une chose utile, c’est lorsque les jurés auront jugé contre les preuves légales ou sans leur assistance; en un mot, lorsque l’accusé aura été condamné sans avoir été convaincu. Or, c’est ce genre de révision qu’on ne veut pas admettre, parce que l’on sent bien qu’il ne peut exister sans les témoignages écrits. S’il faut, a-t-ou dit, faire rappeler tous les témoins devant le tribunal chargé de la révision, voyez quel embarras! Eh bien, si cet embarras vous effraye, admettez les preuves écrites... Ici je dois répondre à une objection à laquelle on a paru donner plus d’importance. Les preuves écrites, vous a-l-on dit, sont des copies collationnées des témoignages; or, l’original est préférable à la copie. J’adopte votre expression ; mais je vous prie de remarquer qu’une copie collationnée est équivalente à l’original. Il est vrai qu’uutrefois l’original n’était connu que du juge et du greffier qui fabriquaient cette copie collationnée d’une manière plus ou moins inexacte; mais aujourd’hui le témoignage sera copié et collationné en présence des parties intéressées à la fidélité de ces copies, et qui auront eu l’original sous les yeux. Je demande si, suivant tous les principes de la raison et du sens commun, cette méthode ne présente pas une certitude parfaitement égale à celle des dispositions originales prononcées par les témoins? J’avais aussi hier l’honneur de vous présenter une grande vérité. Mon profond respect pour cette Assemblée ne me permet pas de supposer qu’elle puisse trouver des contradicteurs : cette vérité c’est que ie pouvoir suprême u’a pas et ne peut avoir le droit de faire des lois injustes ; ce droit ne peut pas exister dans la nature. Vous ne pouvez donc pas interdire à un accusé, dont la vie et l’honneur sont compromis, la faculté de faire constater par écrit les témoignages qui lui ont favorables. Lui direz-vous que dans le Xe siècle, lorsque la barbarie avait fait disparaître la science de l’écriture, les témoignages ne s’écrivaient pas? Laissez-moi, vous dira-t-il, me conformera la situation dans laquelle nous vivons ; vous faites écrire les contrats dans lesquels il s’agit de la fortune d’un homme, ou même des objets les plus minutieux, et vous ne voudriez pas que je fisse constater les paroles d’où dépendent ma vie et mon honneur!... Toutes les lois, vous a ajouté le rapporteur de vos comités, qu’un fait doit être constaté immédiatement après qu’il s’est passé, ou qu’une déposition doit être jugée immédiatement après qu’elle a été faite, l’écriture est inutile; le juré prononcera sur-h-champ, et sa délibération ne peul pas être très longue. Voilà, certes, un argument bien spécieux. Elle ne peut être longue, dites-vous? Eh I mais, pensez donc que [5 jauvier 179l.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. s’il y acenttémoinsd’unfail,il y aura deuxheures après cent relations différentes. Il faudrait donc faire juger un accusé à l’instant même que l’on dépose contre lui; il faudrait que dans quinze minutes un homme fût accusé, condamnéet mis à la potence ; car il me semble que vous avez un grand goût pour les expéditions promptes. Prendrez-vous le parti de refuser les témoignages des témoins absents qui ne pourront être de retour que dans huit ou quinze jours? Si vous ne voulez prendre ce parti, il faut que les jurés gardent pendant quinze jours, dans leurs mémoires, les premières dépositions, ou bien il faudrait que les mêmes témoins déposassent plusieurs fois, c’est-à-dire qu’ils fussent continuellement aux oreilles des jurés... On vous a dit : si vous admettez les preuves écrites, il faudra abandonner les jurés. Ces lins de non-recevoir, ces subterfuges sont-ils digues de la majesté et de l’importance de la matière? Si je voulais tirer parti de pareils arguments, ne pourrais-je pas vous rappeler l’un de vos décrets sanctionnés, qui prescrit provisoirement, comme l’une des formes delà procédure criminelle, que les témoignages seront écrits devant un juge et deux assesseurs ?. . . On a cherché à démontrer que des preuves légales étaient impossibles à établir. Rappelez-vous ce que c’était que les preuves légales dans les lois romaines, et ce qu’elles sont dans la loi de la nature. Elles n’étaient que des règles sans lesquelles il n’était pas permis aux juges de condamner; mais jamais la loi n’a rendu le juge tellement esclave de ces règles, qu’il fût forcé de condamner contre sa conscience. Le système des preuves légales s’était établi tout entier en faveur de l’accusé. Il ne pouvait être condamné sans les preuves légales, il pouvait être absous sur la seule condition du juge. Si vous supprimez les preuves légales, vous le privez de la protection des lois... Je conclus, Messieurs, à ce que les dispositions soient rédigées par écrit. M. Briois-Beaumetz (1). Messieurs, sur une malière qui intéresse particulièrement la liberté et la sûreté des citoyens, lorsqu’il s’agit de porter une loi sur laquelle tout le monde doit se reposer du soin de son honneur et de sa vie, il serait à désirer que la confiance nationale eût appelé les instructions que nous avons proposées, ou plutôt il serait à désirer que la nation, en appelant l’institution des jurés, eût mieux connu peut-être et avec plus de détails les formes qui conviennent à cet établissement et surtout l’esprit qui doit le diriger ; il paraît qu’il n’est pas utile dans les circonstances actuelles, puisque les lumières ne sont pas généralement répandues, de rappeler à l’Assemblée nationale elle-même sur quels principes et sur quelle moralité repose le jugement parjurés. On a osé taxer ce jugement de lin de non-recevoir, et qualifier de métaphysiques les raisonnements dont nous nous sommes servis pour démontrer l’incompatibilité de certaines formes avec l’établissement des jurés. Lorsque nous avons démontré qu’il y avait une implicanee absolue entre la rédaction du témoignage par écrit et le jugement par jurés, on a dit que nous nous renfermions dans une feinte : certes on a bien peu connu notre idée. Si vous ne croyez pas (1) Nous empruntons ce discours au journal l’Assemblée nationale ou journal logographique , t. XIX, p. 305 et suiv, 25 que la liberté repose sur cet établissement, si vous croyez que la liberté puisse exister sans cet établissement, vous pouvez encore révoquer l’article que vous avez prononcé; mais il est impossible que la liberté, soit publique, soit civile, soit individuelle, puisse exister sans l’établissement d’un jugement par jurés, sans que le jugement des accusations ne soit confié à nos égaux, à des citoyens pris dans différentes classes'de la société. Aujourd'hui juges et demain sujets à être jugés. Si telle est l’essence de cet établissement, nous avons bien fait d’agir dans le sens même du décret par lequel vous avez dit qu’il y aurait des jurés. Deux objets particuliers constituent les jurés : 1° la séparation du fait et du droit; 2° que le jugement du fait soit rendu par nos pairs, par des citoyens qui ne fassent pas habituellement les fonctions de juges. Si l’on réfléchit sur cette dernière raison, on verra que l’écriture est impossible. De deux choses l’une : ou l’Assemblée établirait que les charges seraient entièrement écrites en présence du juré, ou que les charges seraient écrites non en présence du juré pour [tasser ensuite sous ses yeux. Or, ni l'une ni l’autre hypothèse ne peut avoir lieu avec le juré. En effet, en prenant les choses telles qu’elles doivent être, peut-on attendre du civisme et du zèle des citoyens qui composeront le juré, qu’ils viendront siéger 8 à 10 jours de suite comme jurés, au préjudice de leurs affaires, de leurs professions? Quand on le ferait d’abord, le patriotisme se refroidirait bientôt. La peine que l’on a eue à trouver des adjoints prouve assez que j’ai raison. En prenant une autre marche que celie indiquée par le comité, vous réduiriez les citoyens les plus zélés à 1 impossibilité d’exercer les fonctions publiques; car enfin cette fonction-là est impossible, qui anéantit toutes les professions et qui arrache les hommes à leur foyer pour de longs intervalles, au préjudice du soin de leur famille et de leur fortune. De là naîtrait l’idée de rétablir des juges, et vous arracheriez au peuple le droit, inaliénable tant qu’il peut l’exercer par lui-même, d’ètre jugé par ses pairs; vous n’auriez plus de jurés. En vain auriez-vous décrété le contraire : le fait détruirait l’institution. Vous n’auriez plus de liberté civile, car je n’en puis concevoir sans jurés. En second lieu, quand les citoyens se mettraient au-dessus de tous ces obstacles, quand même ils seraient tenus d’y assister 8,12, 15 jours à rédiger ces procédures, je dis qu’il n’y aurait pas encore une idée exacte de la vérité: car l’examen du témoin est précieux, surtout lorsque, placé entre l’accusateur et l’accusé, le juge, le juré qui l’écoute avec une sévère attention, et le conseil qui l’interroge, il est obligé de rendre compte de ce qu’il dénonce, il est impossible que sa déclaration ne soit pas la vérité même. Il n’est personne, quelqu’ingénieux qu’il fût, qui osât se soumettre à un pareil examen sans que sa conscience ne l’avertisse que son crime sera nécessairement dévoilé. 11 est de fait qu’il n’est point de mensonge qui puisse soutenir un long examen, lorsqu’avec le désir le plus certain d’arriver à la vérité, on oblige un témoin de circonstanciée les faits, de concilier tout ce qu’il dit, et qu'une confrontation active et animée fait réfléchir de toute part la vérité sur des yeux attentifs qui la cherchent. Or, tous ces éléments qui doivent conduire à la connaissance de la vérité deviennent nuis dès que dans le froid de la nar- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 janvier 1791. j ration longuement et tranquillement recueillie par un greffier, le témoin est le maître de consigner la totalité de ses dires sans interruption, et qu’il peut se contenter de dire comme autrefois : je m’en réfère à ma déposition. A la confrontation, si un témoin est interpellé par l’accusé, il répond froidement que sa déposition est vraie et qu’il s’y réfère. S’il en était ainsi, les jurés ne prendraient aucune forme, ils exigeraient que le témoin discutât avec l’accusé, et que le conseil expliquât ce qu’il a dit : vous n’auriezplus qu’un squelette de procédure et la vérité disparaîtrait. M. Malonet. Je demande à M. l’opinant la permission d’interrompre pour lui faire une observation. Vous venez de dire que, dans la confrontation suivant l’instruction ancienne, lorsque l’accusé interpellait le témoin, celui-ci se contentait de dire : je m’en réfère à ma déposition. Certes, un pareil abus doit être proscrit ; mais dans l’espèce présente, dans Je débat de vive voix, je demande ce qu’il y aura à gagner pour l’accusé. Je demande si, au contraire, l’ancienne institution n’était pas préférable à la nouvelle pour l’accusé, puisqu’il avait au moins pour lui les preuves écrites? M. Brlofs-Beaumctz. Je réponds à l’interpellation qui m’est faite : Il y aura pour l’accusé deux grands avantages dans la nouvelle institution. La première, c’est que le témoin ne sera pas dans la terrible nécessité de se constituer lui-même faux témoin pour donner une explication favorable à son témoignage; que, n'étant pas obligé de mettre sa tête en compromis, s’il n’est contraire à l’accusé, il sera moins soigneux de se renfermer dans sa déclaration sèche, et il se permettra plus souvent de revenir sur ses dires. M. Malonet. En sera-t-il moins faux témoin ? (Murmures.) M. Thouret. Le projet de décret porte que, s'il est convaincu de faux, il sera poursuivi. M. Briois-Beamnetz . Je réponds en second lieu qu’il y a une très grande différence entre l’impression que produit l’interpellation faite à un témoin de s’expliquer tant par l’accusé que par son conseil, et l’impression qu’éprouve le même juré lorsque, lisant une confrontation écrite, il trouve simplement sur le papier que le témoin s’en est référé à sa déposition, parce qu’alors le juré ne peut pas juger du degré d’instance avec lequel on a réduit notre témoin à l’impossibilité de s’expliquer; au lieu que si le juré est témoin lui-même de ce refus, il peut interpréter s’il peut le mettre dans l’impossibilité de prouver et de sortir des contradictions dans lesquelles il s’engage. Alors le juré est convaincu qu’il ne doit avoir aucun égard pour un témoin qui a déposé ainsi, il le rejette absolument; et s’il ne peut trouver dans cette déposition de quoi le convaincre de faux témoignage, il sent au moins qu’il est tel qu’il ne doit y accorder aucune confiance. Voilà ce qui constitue une grande différence entre les preuves mortes et les preuves écrites, entre l’ombre de la vérité et la vérité elle-même, lorsqu’elle jaillit pour ainsi dire de la bouche de témoins soumis à une preuve irrésistible. Je reviens à la question que j’avais ainsi divisée : ou la procédure se fera en entier en présence des jurés, ou hors leur présence, pour être rapportée ensuite et jugée sur leur instruction. Au reste, l’objection qu’on m’a faite se rapportait à cette seconde partie et c’est véritablement là qu’il est impossible de réduire les jurés à faire le métier que faisaient nos anciens juges; car il ne faut pas croire que ce soit une chose facile de trouver dans une procédure morte des traces et des signes certains de la vérité. Cet art est plus difficile que l’on ne croit, et demande une longue expérience. Les lois romaines en ont posé les bases; mais les plus habiles criminalistes, après avoir passé leur vie dans cette étude, conviennent encore qu’il est difficile de s’en former une idée juste. Certes, s’il a fallu tout l’échafaudage d’un plan embarrassant pour remplacer tous les moyens que la nature avait donnés aux hommes d’arriver à la recherche de la vérité, c’est qu’il avait fallu se faire à soi-même des vérités qui ne fussent pas la vérité, mais qui en fussent l’image. Il n’est personne qui n’ait souvent entendu dire en parlant de justice criminelle : comme homme, je pense ainsi; et comme juge, je pense autrement. Pour établir cette distinction, il faut qu’un juge soit autre chose qu’un homme, c’est-à-dire qu’il faut qu’il soit formé à l’étude et à la science du juge; et lorsque vous appelez à juger d’un fait des hommes qui n’y portent que leur probité, le désir de la vérité, à qui ces études préliminaires sont nécessairement étrangères, on leur demanderait à tort de substituer la conviction déjugé à cette intime conviction de l’honnête homme sur laquelle est fondé tout jugement par juré-Qu’il me soit permis de vous rappeler une formule bien précieuse, l’institution anglaise, qui me paraît renfermer en peu de mots le grand secret de cette institution. Le juge demande à l’accusé qui comparaît devant lui : Comment voulez-vous être jugé? Sur mon crime, répond l’accusé, c’esf-à-d ire que la société a droit de me punir, si j’ai offensé la société ; mais pour ce, elle doit juger elle-même; car elle le peut: que l’on interroge l’opinion de ceux qui m’entourent; qu’ils viennent écouter les témoignages, qu’ils les discutent, qu’ils se pénètrent de la vérité de mes assertions ou de celles de mes accusateurs ; lorsqu’ils auront pour ainsi dire saturé leur conscience de preuves pour ou contre moi, je m’en rapporte à leur bon sens, à leur probité, à la persuasion où ils sont, qu’aujourd'hui juges, ils peuvent être demain jugés; qu’ils exercent le ministère d’un jour; que demain, rentrés dans la société, ils auront besoin de la même impartialité, de ce même bon sens, de cette môme conviction dans laquelle aujourd’hui toute mon espérance est fondée. (On applaudit.) L’opinion publique, Messieurs, entoure les jurés, les même preuves dont l’examen passe sous leurs yeux, le public les entend et les juge. Sortis de la chambre où ils sont renfermés pour y méditer et rapporter leurs déclarations, les jurés doivent rentrer dans la société; et là, si leur déclaration est injuste, ils sont l’exécration et l’horreur de leurs concitoyens. Voilà, Messieurs, l’espèce d’acte qui constitue le juré, et qui n’est certainement pas propre à faire concorder les présomptions, les semi-preuves, les quarts de preuves avec les aveux, à les combiner avec la bonne ou mauvaise défense, et à scruter jusqu’à la mauvaise physionomie de l’accusé. Je reviens à la partie de mon opinion relative à la rédaction des témoignages devant les jurés : je dis qu’il m’a paru impossible de faire écrire devant eux en les arrachant pour 8,10 ou 12 jours [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 janvier 1791.] 27 de leurs foyers pour les détails d’une procédure d’autant plus volumineuse que le conseil, étant présent, a le droit d’interroger tous les témoins. Telle est, Messieurs, l’essence du jugement par jurés : je ne saurais trop le répéter, que c’est dans la nature même de cette institution, dans la moralité qu’elle renferme, qu’il faut chercher la réponse à toutes les observations subtiles sur lesquelles on a cherché à défavoriser notre projet. On objecte à la procédure qui n’est point écrite de tirer ses accessoires des temps d’ignorance et de barbarie. Quoi! croirait-on que les peuples civilisés, qui font le plus grand cas de leur liberté individuelle et civile, aient négligé d’appliquer l’écriture à ce qui les intéresse le plus, lorsqu’ils l’ont employée dans les actes de la société les moins importants? Croit-on qu’ils auraient négligé de faire écrire les dépositions, s’ils n’avaient pas cru devoir plutôt les confier à une preuve plus vraie, à la preuve non écrite ? Mais, dit-on, la procédure anglaise rachète par d’autres avantages ces défauts; mais ces avantages vous ne nous les faites pas partager. Et que sont-ils donc? Est-ce l’avantage de l’unanimité? Ceux qui pensent ainsi n’ont certainement pas envisagé toutes les faces de la question. Ils ne l’ont vue que de ce côté : il faut que tous les juges soient unanimes pour condamner. Mais ils n’ont pas examiné que, par cela même, il faut que tous les jurés soient unanimes pour condamner. La solution de la question ainsi posée est extrêmement facile à trouver. La manière des Anglais, j’ose le dire, ne peut convenir à un peuple civilisé ; car pour que le juré soit unanime, il faut qu’il finisse par s’entendre. Quel est lemoyen qu’emploient les Anglais? C’est de renfermer les jurés, sans feu, sans lumière, sans nourriture, jusqu’à ce qu’ils soient d’accord. De là, qu’arrive-t-il ? c’est que celui qui peut supposer plus longtemps la faim, la soif, est toujours le maître d’amener la pluralité des jurés à son avis. Vous voyez, Messieurs, qu’une pareille institution ne peut être réclamée comme précieuse. Dans le fait, en Angleterre, h s jurés conviennent entre eux que la majorité sera l’unanimité ; d’où il résulte que la majorité de sept contre cinq suffit pour la condamnation ; au lieu que, dans la proposition que nous avons donnée, il faut une majorité de dix contre deux, puisque trois jurés peuvent empêcher la condamnation : d’où il suit que la procédure que nous vous proposons est beaucoup plus humaine, beaucoup plus favorable à la raison que ne le serait cette unanimité, qui n’est qu’un être de raison en morale. On reproche à notre procédure de n’avoir pas accordé au conseil de l’accusé connaissance des témoins qui doivent déposer contre lui, plus de vingt-quatre heures avant leurs dépositions. Je ne m’attendais pas qu’on fît un reproche de n’avoir pas donné au conseil le temps de pratiquer les témoins. Il fallait aller plus loin et demander un mois, afin qu’il eût soin d’aller trouver les témoins qui doivent déposer contre lui, et d’obtenir, soit par menaces, promesses ou autrement, qu’ils ne le feraient pas. On se plaint encore de ce que, lorsque le juré a prononcé sur le fait, nous ne permettons plus à i’accufé de plaider, devant le juge, que le fait n’est pas vrai. A-t-on donc oublié que l’essence même du jugement par juré est de déférer aux jurés, et non pas aux juges, le jugement du fait ? Et lorsque le fait est une fois jugé par ceux qui en ont le droit, je demande à quoi bon plaider encore sur un jugement rendu? Est-ce pour faire appeler du juré au juge? Si vous avez plus de confiance en celui-ci, faites-lui juger le fait; mais si vous n’en avez pas plus que dans le juré, ne laissez donc pas plaider, lorsqu’il n’y a plus rien à juger. Vous voyez que celte objection implique conlradiction avec la nature même du juré. Vous voyez, comme je l’ai déjà dit, que c’est dans la nature de cette institution qu’il faut chercher la solution de toutes les difficultés. L’est, faute de s’être pénétré de cette vérité, que l’on cherche dans les anciennes habitudes des formes de bailliages, de parlements, et des routines, pour venir en infecter l’institution d’un peuple libre, qui veut retirer à lui le droit de se juger, qui ne veut confier ni aux agents du pouvoir exéculif ni même aux magistrats qu’il s’est donnés, le droit de prononcer s’il est, ou non, innocent; qui, sachant qu’il faut qu’il paraisse devant un juge, après avoir été déclaré coupable, ne doit néanmoins y être traduit sans que ses concitoyens aient déclaré qu’il l’est. C’est à eux qu’il veut s’en rapporter; à eux qui ne connaissent ni les procédures, ni les présomptions, ni les titres des preuves, ni le digeste, ni nos criminalistes; à eux qui étaient effrayés des formes des anciens criminalistes que l’on veut faire revivre dans toutes les parties de notre institution. Ou il faut s’en rapporter à la conviction intime du citoyen honnête qui nous juge, ou il faut chercher, dans la science de juger, des preuves légales. Or, comme je l’ai déjà dit, la conviction intime du citoyen porte un caractère plus naturel, plus sage que la science de juger sur preuve écrite, de dépouiller les procédures, de rapprocher les dires d’un récolement. Je me résume, et je dis qu’il est impossible de concevoir une institution par jurés, si l’on veut l’entraver de formes judiciaires ; car il est impossible de ne pas en admettre, dès le moment qu’on se livre aux dépositions par écrit. Je conclus à ce que le projet de décret soit adopté sans amendement. M. Tronchet. Messieurs, je ne sais pourquoi l’on vous a annoncé que j’avais un système particulier à vous présenter. A Dieu ne plaise que je me permette d’inventer et de créer, et de vous proposer un système, quand il s’agit de votre part, de prendre un parti sur un point qui intéresse aussi essentiellement la sûreté publique et la sûreté individuelle de tous les citoyens; quand il s’agit d’organiser la force publique, la plus importante de la société, celle qui tend à protéger l’innocence, à punir le coupable, à assurer la tranquillité publique ! Je viens, au contraire, combattre un système, parce que ce n’est qu’un système, parce qu’il pré sente des inconvénients intolérables, parce qu’il change sans nécessité ce qui a été pratiqué de tout temps en France, et presque chez tous les peuples, parce qu’il supprime ce qui est nécessaire et indispensable pour la bonne administration de la justice criminelle; ce qui n’est pas incompatible avec l’institution des jurés; ce qui, loin d’en détruire les avantages, ne fera qu’en rectifier les inconvénients. Voilà les considérations importantes, les vues de bien public, qui m’entraînent, après tant d’orateurs, à la tribune, que je n’ai jamais ambitionné d’occuper, que quand les motifs les plus imposants m’ont commandé d’y monter. L’instruction criminelle, devant le jury de ju- 28 JAssemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 janvier 1791.) gement, sera-t-elle écrite, ou non? Voilà la question que je me propose de discuter, et que je généralise et particularise en même temps en la posant ainsi. Je la particularise en ce que je sépare l’instruction, devant le jury de jugement, des actes relatifs à l’arrestation et à l’accusation, actes dont les formes peuvent être susceptibles de principes tout différents. Je généralise la question, en ce que je l’étends à tous les actes qui appartiennent à l’instruction devant le jury de jugement ; et en cela, je suis moi-même le plan du comité, qui a réuni tous ces actes dans la question indivisible qu’il vous a présentée. Je pose donc ainsi la question : L'instruction, devant le jury de jugement , doit-elle être écrite, ou non? et j’entre en matière. Proposer cette question, c’est évidemment demander quelle est celle des deux formes qui est la plus propre à éclairer la justice.à protéger l’innocence et à procurer la punition du coupable? Je ne sépare point ces deux idées, parce qu’elles sont indivisibles. La loi doit la protection la plus ample à l’innocence : mais elle doit aussi la protection entière à la société et à tous les individus qu’elle renferme. Si la loi n’établit que des moyens d’échapper à sa vengeance, elle sacrifie la propriété et la vie des individus à la scélératesse du coupable qu’elle invite, par l’impunité, à de nouveaux forfaits. Lorsque je réduis la question au point de savoir quelle est la forme la plus propre à éclairer la justice, je suis parfaitement d’accord avec les principes du comité. En disant avec lui que la méthode d'instruction est le moyen d’assurer la vérité ; j’ajoute avec lui « que rien n’est plus digne d’une sérieuse atten-« lion, puisqu’il s’agit ici principalement d’em-« pêcher les erreurs de la justice, erreurs qui « deviennent des crimes, lorsqu’on a pu les pré-« venir ». Nous participerions donc, Messieurs, à ces crimes, nous nous en rendrions les premiers coupables, si nous prenions une fausse route, si nous tracions aux juges, qui vont exercer, au nom de la nation, le terrible pouvoir du glaive, des règles qui, loin de prévenir les erreurs dont elles doivent les garantir, ne feraient qu’envelopper leur intégrité dans des pièges et des embarras inextricables. Vous avez applaudi, Messieurs, avec grande raison, à l’un des membres du comité, lorsque, à l’occasion de la police de sûreté, il vous a dit que, sans une police sévère et rigoureuse, il n’y avait plus de Constitution. Mais la police d’arrestation est bien peu de chose en comparaison de la méthode et des règles du jugement. Inutilement aurez-vous pris les précautions les plus sages pour assurer l’arrestation des prévenus, si vous n’y ajoutez pas les précautions les plus propresàassurer la punition descoupables, comme l’absolution de l’innocence. C’est ici qu’il est encore plus vrai de dire qu’il n’y a plus de Constitution, s’il n’y a pas une bonne organisation de la procédure criminelle. Je soutiens, non seulement qu’une instruction non écrite n’est point la meilleure forme pour assurer la vérité; mais qu’une instruction écrite est une forme nécessaire et indispensable pour parvenir à cet objet, une forme sans laquelle vous enveloppez l’accusé dans les blets de la calomnie; vous mettez Je plus souvent la conscience des jurés dans une perplexité dangereuse, et vous donnez au coupable d’autant plus de moyens d’échapper, qu’il sera plus audacieux. Pour établir cette proposition, je n’ai besoin que de parcourir successivement toutes les raisons qui ont été déduites dans le rapport du comité, avec plus d’art que de solidité, en faveur du système que je combats. Cette forme de discussion n’est peut-être pas la plus méthodique et la plus simple; mais je suis obligé de l’adopter : 1° parce que je ne peux naturellement combattre un système que par l’examen des motifs sur lesquels on a cru devoir l’appuyer; 2° parce qu’il m’est impossible de prévoir ceux que l’attachement à ce système pourrait, dans la suite, faire substituer à ceux que l’on a seuls présentés. Lu question générale, que je me propose d’examiner, embrasserait naturellement les trois actes principaux, qui jusqu’ici avaient été regardés comme les bases fondamentales d’une instruction criminelle : je veux dire l’interrogation de l’accusé, la déposilion des témoins et la discussion de ces dépositions contradictoires contre l’accusé et les témoins. Je crois cependant devoir encore séparer de la discussion actuelle ce qui concerne l’interrogatoire. La question de sa forme dépend d’une question préliminaire, qui est celle de l’effet que les réponses de l’accusé pourront produire quant au jugement. C’est la solution préliminaire de cette question, qui, en fixant l’importance de cet acte et l’objet qu’il peut avoir, emportera nécessairement la solution de la question sur sa forme. Cette question préliminaire est très importante, et mérite à elle seule une discussion séparée. Il est d’ailleurs évident que ce que vous aurez décidé sur l’écriture, ou non-écriture, des deux autres actes, influera considérablement sur l’écriture, ou non-écriture, de l’interrogatoire, selon les effets que vous aurez cru devoir y attribuer. Par ces raisons, et afin de simplifier, autant qu’il est en moi, la grande question soumise à la discussion actuelle , je la réduis aux deux derniers actes de l’instruction : la déposition des témoins et l’examen de ces dépositions. C’est sous ces deux points de vue que je vais parcourir successivement les diverses réflexious qui vous ont été présentées dans le rapport fait, au nom du comité, pour appuyer la théorie qu’il vous présente. Dans ces réflexions, il y en a que je pourrais rigoureusement me dispenser de discuter, parce qu’elles ne présentent évidemment que des paralogismes, ou parce qu’elles sont absolument hors de la question. Mais j’aime mieux être un peu plus long et ne rien laisser sans réponse. Dans le nombre des raisonnements, qui ne présentent que des paralogismes ou qui sont hors de la question, je place le premier que je rencontre dans le rapport. On suppose que l’usage de l’écriture pour les déposilion s a eu pour unique fondement l’éloignement des juges d’appel, qui étaient, dit-on, les seuls juges. Ceux de première instance instruisaient, les juges d’appel jugeaient. Ce motif ne subsiste plus, donc l’usage de l’écriture doit être aboli. Mais comment n’a-t-on pas senti toute la fausseté de la majeure de cet argument? N’esl-il pas notoire que les cours souveraines jugeaient quelquefois en première instance? N’est-il pas notoire que plusieurs tribunaux jugeaient eu première et dernière instance? Cependant l’instruction s’y faisait également par écrit. Donc le motif que vous donnez à cet usage n’est pas le [5 janvier 1791.] 29 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] vrai. Quel était ce motif? N'est-ce pas parce que rôti avait jugé celte forme nécessaire pour assurer la vérité? Ce motif était-il juste ou non? C'est ce que j’examinerai dans un moment. Il me suffit, quant à présent, de répondre à ce premier argument par celui-ci : L’écriture des dépositions avait été jugée nécessaire pour assurer la recherche de la vérité : donc cet usage doit encore subsister, s’il est vrai que la méthode des jurés rend cet usage également nécessaire. C’est sur un semblable paralogisme que roule le second argument proposé dans le rapport. On suppose que l’usage des dépositions secrètes n’avait pour fondement que de procurer au témoin une plus grande liberté; et l’on s’appesantit beaucoup pour prouver que les actions secrètes sont en général moins morales que les actions publiques. Le secret des premières dépositions avait un tout autre motif : c’était celui de ne pas avertir l’accusé que le bras vengeur était près de se lever sur lui. C’est par cette raison que dans votre décret provisoire vous aviez également exigé le secret des dépositions jusqu’à l’arrestation de l’accusé. C’est par cette raison que, encore aujourd’hui, le comité rend secrète l’information prise avant l’arrestation, et exige le secret des jurés d’accusation. Mais pourquoi m’appesantirais-je sur la fausseté de la majeure de cet argument ? j’ai un moyen bien plus simple pour l’écarter. Son principal vice consiste en ce que toutes les déclamations, auxquelles on s’est livré sur les dépositions secrètes, sont absolument étrangères à la question actuelle. Nous ne prétendons point que les dépositions qui seront reçues devant le jury doivent être faites secrètement. Nous consentons qu’elles soient reçues publiquement. Les inconvénients d’une déposition secrète n’ont rien de commun avec la question de savoir si la déposition publique doit être écrite ou non. Donc toutes vos dissertations sur le danger du secret des dépositions et sur les prétendus motifs de ce secret sont étrangères à la question actuelle, et ne présentent qu’un vrai amas de paroles, qui détourne du véritable point de la difficulté. Je peux rapprocher ici de ce paralogisme, écrit dans le rapport, un paralogisme de même nature, qui a été proposé hier par l’un des opinants. L’écriture d’une déposition n’est pas, a-t-il dit, le témoignage même, mais le témoignage du témoignage qui peut être altéré. Mais il n’a appliqué cette objection et 'il ne pouvait l’appliquer qu’à l’ancienne forme de procédure, que nous sommes bien éloigné de réclamer, que vous aviez déjà réformée par votre décret provisoire, et que je proposerai de réformer d’une manière encore plus complète, puisque j’entends que toute l’instruction se fasse publiquement et en présence des jurés. Cette observation répond d’avance à un autre argument du rapport, qui s’écarte encore évidemment du vrai point de la question. « Il n’y a, dit-on, aucune comparaison à faire « entre l’effet que peut produire sur le juge une « déposition qui est faite en sa présence et sous « ses yeux, et celui d’une déposition qui ne lui « est présentée qu’écrite. » Cela peut être : mais vous êtes encore bien loin de la question. Nous voulons, comme vous, que la déposition soit faite publiquement et eu présence du juré. Nous ne différons qu’en ce que nous voulons que cette déposition, faite en présence du juré, soit de plus écrite, et puisse lui être remise et consultée par lui, lorsqu’il s’agira de prononcer, et lorsqu’il croira nécessaire d’y revenir. Alors toute la question entre vous et moi se réduit à ce seul point: l’écriture de la déposition nuira-t-elle à l’effet que son audition aura produit? N’ajoutera-t-elle pas, au contraire, une nouvelle facilité à la détermination du juge? Ne sera-t-elle pas souvent indispensable pour faciliter cette décision ? Ne donnera-t-elle pas un grand avantage à l’accusé contre les témoins? Voilà ce qu’il s’agit d’examiner : voilà le véritable et unique point de la question. Vous soutenez la négative de toutes mes propositions; et en vous suivant pas à pas, ceci m’amène aux grands motifs sur lesquels vous appuyez votre système, et qui sont communs à la déposition, quoique dans votre rapport vous paraissiez ne les appliquer qu’à la discussion entre l’accusé, les témoins et l’accusateur. Je suis d’accord avec vous lorsque vous dites « qu’il n’existe pas de moyen plus efticace de « connaître la vérité que le combat qui s’engage, « sous les yeux du juge, entre l’accusateur, les « témoins, l’accusé et ses conseils». Aussi cette partie de la procédure criminelle a-t-elle été toujours regardée comme la plus importante, comme la seule qui pût compléter la recherche de la vérité, qui pût réparer l'inconvénient de la déposition secrète; et il ne manquait peut-être à cette procédure que d’être publique. « Mais, dites-vous, cette confrontation dans « l’ancien état des choses venait trop tard. Le « témoin était lié par une déposition écrite, il se « compromettait en se rétractant. L’innocent de-«< venait la victime de la position où la loi l’avait « mis vis-à-vis du témoin. » C’est ici que nous ne sommes plus d’accord. Vous ne voulez pas que l’innocent soit exposé à devenir la victime du lien qui paraît engager le témoin. Mais aimez-vous mieux que cet innocent soit exposé à être la victime dn faussaire qu’il lui sera, dans votre système, toujours impossible de convaincre de faux témoignage? Voilà cependant l’inconvénient terrible dans lequel vous vous précipitez quand vous voulez éviter le premier, et c’est ce qui exige un développement. C’est avec grande raison que vous avez observé dans votre rapport combien il était en général difticlle de prouver le crime de faux témoignage. Eb bien! retranchez de votre méthode l’écriture de la déposition et de la confrontation, et vous donnez un brevet d’impunité à tous les faux témoins, et vous ouvrez la porte au commerce le plus infâme et le plus dangereux dans la société. C’est dans la déposition même du témoin que se trouve presque toujours le premier indice, et souvent la preuve complète du faux témoignage. (Applaudissements.) Peu de personnes ignorent ce fameux procès dans lequel deux scélérats accusaient un innocent d’un assassinat. Tous deux l’avaient vu commettre le crime, tous deux citaient le jour et l’heure : c’était au clair de la lune. Mais un almanach consulté prouva qu’il n’y avait point de lune ce jour-là; et voilà le faux prouvé par la déposition même. On pourrait citer mille autres exemples de faux témoignages prouvés par la déposition même. 30 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 janvier 1791.] Maintenant retranchez la déposition écrite, et dites-moi comment vous convaincrez le faux témoin, et comment vous serez autorisé à le punir ? Vous opposerez à son témoignage de visu son alibi; il vous répondra, ou qu’il n’a pas indiqué le jour que vous supposez, ou que la rapidité de sa déposition non écrite et non relue, l’embarras d’une déposition que vous paraissez permettre de couper et d’interrompre par des interpellations, l’a fait tomber dans une erreur; que cela ne serait pas arrivé si on lui eût relu sa déposition. Et voilà ce faux témoin enhardi par l’impunité à commettre une seconde fois le même crime, dont il a éprouvé qu’il est si facile d’échapper à la punition. Ce sera bien pis, si vous placez l’accusé dans une position encore plus critique. Il est de ces crimes simples et non compliqués, dont la preuve n’exige que peu de témoins, et dont l’instruction et le jugement, suivant votre méthode, pourra se faire en une séance. Deux faux témoins prétendent m’avoir vu commettre le crime à tel jour, à telle heure, en tel endroit. La moralité des témoins n’aura point affaibli l'autorité de leur déposition : il est bien facile à un fripon d’emprunter le masque d’un honnête homme. Les deux dépositions seront tellement combinées dans leurs détails, qu’il sera impossible d’y remarquer la moindre raison pour en altérer l’autorité. La précipitation du jugement ne m’a point permis de prendre aucun renseignement sur ces mêmes témoins, dont je ne pouvais prévoir les dépositions. Me voilà condamné. J’ai subi la peine, et cependant je découvre un mois, trois mois, six mois après, que le même jour, à la même heure à laquelle les témoins ont dit m’avoir vu commettre le crime en tel endroit, ces témoins étaient en tel endroit. J’en rapporte la preuve par écrit; qu’arrivera-t-il? Poursuivrai-je ces témoins en faux témoignage? ils sont déjà bien loin. Je les ai atteints, mais comment leur prouverai-je leur faux témoignage? Il y avait six témoins entendus; quatre n’avaient aucune connaissance : ne prévoyez-vous pas la défense des deux scélérats ? Vous supposez que c’est nous qui vous avons chargés, cela n’est pas vrai. Quelle preuve aurai-je à leur opposer? ferai-je entendre le public qui était présent? où le retrouverai-je? Aurai-je le droit de faire entendre le juré qui m’a jugé? mais il se sera passé six mois, et vous croyez que des jurés, après cet intervalle, oseront se lier assez à leur mémoire pour assurer que c’étaient tels ou tels qui ont fait ces dépositions, plutôt que tels autres? J’ai donc prouvé inutilement le faux témoignage, et je n’ai pu en obtenir la réparation. Mais voici quelque chose de bien plus terrible encore et de plus désolant pour l’humanité. J’ai subi une peine afflictive, ou même celle de mort, et la loi ne me donnera, ni à ma famille, aucun recours contre un jugement dont une découverte postérieure démontrera l’erreur. Je pourrai recourir à ce remède que la sagesse de nos lois avaient réservé aux malheureux innocents, condamnés sur une erreur de fait, par un jugement en dernier ressort, et ma famille ne pourra avoir la triste consolation de purger ma mémoire, parce que n’y ayant rien d’écrit dans mon procès, il sera toujours impossible de prouver que j’ai été condamné par une telle erreur de fait, ni même de prouver sur quoi a pu porter le jugement. Ici, Messieurs, j’ai entendu faire des raisonnements bien étranges sur la révision en matière criminelle, et qui sembleraient supposer que celui qui les a proposés aurait ignoré ce que c’étaitque la révision, qui était si sagement admise par nos lois en matière criminelle. On a paru n’envisager la révision que comme une espèce de voie d’appel, dont l’objet pouvait être de soumettre à une revue un jugement accusé de mal jugé. G’est méconnaître les règles les plus certaines et les plus notoires. L’appel est une voie de droit, qui ne peut être refusée en aucun cas, et qui ne peut avoir lieu contre un jugement souverain. La révision est, au contraire, une voie de justice, mais préliminaire, qui, comme la cassation, ne peut être admise que par un jugement préliminaire, et dont le fond ne peut être jugé par le même tribunal qui en admet la demande. Au fond, un simple mal jugé allégué n’a jamais été reconnu pour un moyen légitime de révision. La révision n’a eu lieu et ne doit avoir lieu que quand on articule une erreur qui porte sur des faits qui ont élé inconnus au juge, et qui auraient dû empêcher la condamnation; sur des faits ou que l’on n’a découverts que depuis le jugement, ou qui n’ont été ignorés des juges que parce qu’ils ont négligé de faire ce qui était nécessaire pour les connaître. La révision avait encore lieu sur des pièces nouvelles trouvées depuis le jugement, ou la découverte du faux de celles produites. Voilà quels étaient les vrais principes de la révision, selon tous les auteurs qui ont écrit sur cette matière, selon le témoignage même des magistrats du conseil. La révision avait lieu et était admise en tout temps, parce qu’il ne peut y avoir aucune fin de non-recevoir, qui empêche un innocent de prouver qu’il a été condamné paruue erreur de fait. Maintenant je demande ce que deviennent tous les raisonnements que l’on a faits, pour faire rejeter cette action, commandée par l’humanité? Si vous aviez fait attention à ce que c’est que la révision, vous n’auriez pas dit qu’elle était impossible, parce que pour revoir ce qui a été vu il faudrait remettre toutes les choses au même état où elles étaient lorsque l’on a vu la première fois, et par conséquent replacer les mêmes témoins devant le même juge. Indépendamment de ce que cela ne serait pas impossible, n’est-il pas évident que quand j’articule qu’il y a eu une erreur résultant d’un fait qui était inconnu, c’est un nouveau procès à juger ; qu’il ne s’agit que de juger : 1° si c’est un fait nouveau, s’ilaété inconnu; 2° s’il était décisif, et dès lors que presque tout ce qui s’est fait devient indifférent? Si vous connaissez bien maintenant ce que c’est que la révision, il faut que vous conveniez que vous ne pouvez sans barbarie en refuser le secours, ni même en limiter le délai. Et si vous êtes forcés de reconnaître que vous ne pouvez refuser ce secours, avouez que vous en rendez l’usage impossible, si l’instruction n’est point écrite. En effet, sans cela il m’est impossible de faire connaître quelles étaient les charges qui ont pu me faire condamner, de prouver que tel fait a été ignoré, que tel témoin avait dit cela et était un faussaire. Tout ce que je viens de dire sur la révision s’applique à la procédure pour purger la mémoire d’un défunt. [5 janvier 1791.) 31 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Je ne sois point étonné de ne point trouver dans votre Gode la révision et la procédure pour purger la mémoire d’un défunt; vous avez senti que ces deux ressources étaient inadmissibles après une procédure non écrite; mais je vous conseille aussi de retrancher de votre Gode pénal la peine du faux témoignage, et ce sont ces retranchements qui seuls prouvent le vice de votre méthode; c’est ce qui prouve qu’au moment où vous accusez l'ordonnance de 1670 de barbarie, vous êtes encore plus inhumains qu’elle; vous l’êtes en ôtant à l’accusé presque tous les moyens de se défendre d’un faux témoignage; vous l’êtes en ôtant la faculté de la révision à l’accusé condamné par une erreur de fait; vous l’êtes quand vous enlevez à sa famille éplorée la faculté de purger sa mémoire; en un mot, vous dévouez à la proscription votre système, quand vous ne pouvez le disculper de produire ces trois inconvénients. ( Applaudissements .) Ils ne sont pas les seuls, j’en développerai bientôt d’autres ; mais je veux vous suivre pas à pas, et je reviens sur les miens. Ge n’est pas sans un grand étonnement que j’ai entendu prêcher cette doctrine étrange, qu’avec les jurés il devient moins nécessaire de punir le faux témoignage; qu’il n’y a plus le même intérêt, parce que le juré est maître de rejeter le témoignage . Le juge a toujours été maître de rejeter d’office un témoignage : je le prouverai dans la suite. Mais ce n’est pas ici le point de la difficulté. Ou j’aurai prouvé le faux témoignage, ou j’aurai échappé au piège qui m’a été tendu, ou je n’aurai acquis la preuve du faux témoignage qu’après avoir été condamné. Oseriez -vous dire que dans le second cas le témoin ne mérite aucune autre punition ? Oseriez -vous même le dire dans le premier cas? Quoi ! un scélérat aura eu l’audace de compromettre ma vie et mon honneur et je n’en aurai aucune réparation! J’y ai peu d’intérêt, dites-vous, parce que le juré peut rejeter le témoignage, quoique je n’en aie pas prouvé la fausseté. Mais qui me garantira que le juge n’en sera pas touché? Et qui rue garantira du péril que peut me faire courir un faux témoin, si la loi ne s’arme pas contre lui en ma faveur de sa plus grande sévérité? On ne se rend pas facilement quand on s’est fortement prévenu d’un système, et j’entends d’avance que l’on revient à la charge par ce nouvel argument; « Vous voulez donc qu’un témoin, lié par une « déposition écrite, ne puisse plus varier sans « s’exposer à être jugé faux témoin; et alors « comment ne sentez-vous pas le double incon-« vénient de compromettre le témoin ou l’ac-« cusé? » Voici ma réponse ; elle est simple : Il faut un moment où le témoin ne puisse plus varier (bien entendu dans des circonstances décisives) sans un danger quelconque. Il faut une époque où le témoin ne puisse plus varier sans danger, parce que sans cela vous appelez à vos tribunaux tous les faux témoins. Ge que je demande ne présente plus, dans votre propre système, les inconvénients que vous craignez; en voici la preuve : Vous avez mis vous-mêmes une grande différence entre la moralité d’une action secrète et celle d’une action publique; vous avez attaché à la déposition secrète et au récolement secret l’inconvénient de faciliter le faux témoignage. Eh bien, d’après vos propres principes, sentez donc combien vous devez vous armer d’une plus grande sévérité contre le scélérat qui, appelé à déposer en face de l’accusé, de ses conseils, de l’accusateur, des jurés et du public; qui, averti de l’importance de son action, aura persisté dans sa déposition relue, y aura persisté après l’examen ; convenez qu’alors vous n’avez aucun prétexte pour ne pas vouloir que ce témoin soit lié et responsable envers moi. Convenez en outre que, s’il n’est pas lié par une déposition écrite, votre loi est impuissante, et que sa menace ne peut retenir le faux témoin; car souvent je n’aurai pas même, au moment de l’examen, les renseignements nécessaires pour prouver le faux témoignage, et après le jugement il me devient impossible d’obtenir aucune réparation, puisque, sans l’écriture de la déposition, je n’ai plus aucune preuve du délit commis envers moi. Sans doute, tout témoignage non exact n’est pas criminel. Il y a une mesure pour déterminer l’effet de ces variations vis-à-vis du témoin; tantôt elle ne fait que le rendre suspect, tantôt elle le rend criminel; et quand le témoin est criminel, il doit être puni. Je n’avais à répondre qu’à l’objection de l’inconvénient pour l’accusé d’être mis vis-à-vis d’un témoin lié par une déposition écrite, et je crois y avoir répondu en prouvant : 1° que cet inconvénient devient bien moins considérable dans la déposition publique ; 2° que l’on ferait courir à l’accusé un péril bien plus grand en n’écrivant point la déposition. Mais ce n’est pas seulement pour l’accusé, c’est encore pour les juges qu’il devient nécessaire et indispensable d’écrire et les dépositions et les examens des témoins, en un mot toute l’instruction. G’est ce qui m’amène à la dernière partie du rapport, laquelle contient trois objections : « Toute écriture, dit-on, est inutile dans la « nouvelle méthode d’instruction, elle est même « impossible; enfin elle est dangereuse et destruc-« tive de l’institution des jurés, s Toute écriture devient inutile! Gomment appuyez-vous cette étrange proposition ? Par ce dilemme encore plus étrange. « Si nous la deman-« donspourle jugement, elle est inutile, puisque « le juré voit tout, entend tout, et prononce surfe le-champ ; si vous la désirez pour l’époque qui « suit la décision, elle est inutile, puisque le juif gement est sans appel. » J’ai répondu d’avance à la seconde partie du dilemme; vous pouvez bien, Messieurs, déléguer aux jurés l’autorité de juger sans appel; mais il n’est pas en votre puissance de leur déléguer l’infaillibilité ; il est encore moins en votre puissance de les garantir de ces erreurs involontaires qui résultent de faits qui ne se découvrent qu’après le jugement, et qu’il était impossible aux jurés de prévoir; ce sont ces erreurs de fait qui ont si sagement fait admettre la voie de la révision et de la purgation de la mémoire du défunt; ou il faut refuser ces secours à l’innocent, ou il faut convenir qu’une procédure écrite est indispensable et nécessaire. Les Anglais, malgré leur extrême attachement à leurs formes, sont bien éloignés de croire à l’infaillibilité du jugement par jurés. Lisez leurs auteurs, et vous n’en trouverez pas un seul qui ne convienne, non seulement que ce jugement 32 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |3 janvier 1791.] {Assemblée nationale.] peut être susceptible d’erreurs involontaires, mais même, en plusieurs circonstances, de prévention et de partialité. Il y a plus; les lois anglaises ont cru par cette raison devoir établir un remède contre le faux jugement; mais ce secours même de la loi est devenu impuissant en Angleterre, précisément par une suite nécessaire du vice de la non-écriture. Ceci demande un développement: La loi anglaise admet contre le jugement du juré deux sortes d’actions, qu’ils appellent atteintes. Il y a l’atteinte pour les défauts de forme, qui répond à la transaction qu’on vous demande ; il y a l’atteinte pour le faux juré, c’est-à-dire pour un jugement évidemment faux. La loi, comme c’est un remède extraordinaire, veut qu’on ne puisse l’exercer qu’après la voie d’appel (ce n’est plus la voie d’appe-l, c’est à peu près la révision), qu’on ne puisse, dis-je, exercer cette seconde action qu’aulant qu’on y est autorisé par le jugement du roi. Mais quelles bases auront ou peuvent avoir les juges du banc du roi pour permettre l’accusation de faux juré, dans une affaire où ils ne connaissent pas ce qui s’est passé ? De là, il est arrivé que cette permission pouvant être accordée à la faveur et refusée à la justice, on en a senti l’inconvénient et cessé de l’octroyer. Mais, dans le cas même où on l’accorderait, comment pouvoir prouver le faux jury? Voici la seule ressource admise par la loi anglaise. 11 fallait faire un nouveau jury, rappeler devant ce jury les mêmes témoins qui n’existaient plus, et, peut-être, si le nouveau jury jugeait comme l’ancien, le jugement conforme au premier était bon, était vrai ; mais si le second jury jugeait autrement, on devait préjuger que le premier jugement était faux. Vous sentez l’absurdité d’une pareille législation; car, comme rien ne peut garantir que les nouveaux témoins que vuus appelez avaient dit devant le premier juré précisément la même chose que devant le second, il était impossible raisonnablement d’appliquer une peine, car les lois en décernaient une aux faux jurys. Aussi, Messieurs, qu’est-il arrivé? C’est qu’en Angleterre, les auteurs, en convenant que cette loi existe et n’a point reçu d’atteinte, conviennent cependant qu’elle est sans exécution, et ce, à cause du vice essentiel de la procédure anglaise. Ain ï i, Messieurs, voilà en deux mots l’usage que l’on emprunte d’une nation étrangère, et que l’on vous propose d’imiter. Une loi formelle y déclare que le jugement des jurés n’est point infaillible, et accorde une action en réiormation; et cette loi est impuissante, parce que le defaut d’écriture la rend impraticable. JNe croyez pas au surplus, Messieurs, que tous les Anglais tiennent aussi fermement à la forme de la déposition orale. Blackstone est un de ceux qui en a le plus loué ies avantages. Ecoutez ce qu’il dit au même chapitre xxiii du livre 111, où il relève naïvement les inconvénients du jugement par jurés : « Un autre défaut résulte de ce que les cours « (de la commune loi) n’ont pas le pouvoir d’exa-« miner les témoins au dehors, et celui de rece-« voir leurs dépositions par écrit dans le lieu du « domicile des témoins; ce qui serait souvent « nécessaire, notamment lorsque le fait, qui « donne lieu à l’action, s’est passé dans un comté « différent du lieu où s’est passé le fait. C’est « un vice pareil de ne pouvoir pas examiner les « témoins qui sont âgés, ou en voyage, afin de « pouvoir lire leurs dépositions et les admettre « en preuve, si le jugement se trouve dans le « cas d’être renvoyé à un temps postérieur à * leur décès ou à leur départ. « Cependant aujourd’hui l’usage de l’écriture, « dans ces cas, est fréquemment admis, lorsque « les parties y consentent. On le pratique aussi « dans les cours d’équité; mais cela ne peut « point être admis dans les cours delà commune « loi, si ce n’est dans le cas d’un procès né dans « l'Inde, et dont la poursuite se fait dans les « cours du roi à Westminster. » Il ne vous a point échappé, Messieurs, de faire vous-mêmes deux observations bien importantes sur ce paragraphe de l’auteur. La première est l’aveu qu’il fait de l’inconvénient du défaut d’écriture; la seconde est le fait qu’en Angleterre môme, il y a des cas et des tribunaux où l’écriture est admise dans la procédure par jurés. M. Duport, rapporteur. Au civil. (Bruit.) M. Tronchet. Avez-vous oublié que la théorie du jugement par jurés est essiniiellemeut la même en matière civile et en matière criminelle? Le juré ne prononce que sur un fait dans l’un et l’autre cas. Il n’y a pas deux moyens différents dé juger un fait sur la preuve testimoniale. Si le défaut d’écrire est un vice pour juger eu matière civile un fait sur la preuve testimoniale, je ne conçois pas comment ce n’en serait pas un pour juger un fait en matière criminelle. Peut-on donc s’imaginer qu’il y ait moins de précautions à prendre pour prononcer sur la vie et l’honneur d’un citoyen, que pour prononcer sur sa propriété? Je reviens à la première partie du dilemme que je discutais. Le pouvoir de juger sans appel ne peut être un motif pour déclarer inutile l’écriture, dès lors que vous ne pouvez pas donner aux jurés l’infaillibilité; dès lors surtout que vous ne laouvez pas les garantir de ces erreurs involontaires qui résultent de l’ignorance d’un fait, lequel ne se découvre qu’après le jugement; genre d’erreur qui nécessite le double secours de la révision et de la purgation de la mémoire d’un défunt. Quant à la première partie du dilemme, je pourrais me dispenser d’y répondre directement. S’il faut qu’il y ait une procédure qui subsiste après la décision, il faut qu’elle ait existé avant. Mais pourquoi donc cette procédure serait-elle inutile avant? Elle n’est nécessaire, dit-on, que quand il y a un moyen entre le fait qui est écrit et le juge qui ne l’a point vu; elle ne l’est que pour conserver la mémoire d’un fait qui peut s’échapper. Ici le juré voit tout et juge sur-le-champ. On raisonne comme si les jurés ne devaient jamais avoir à juger que des procès simples, sur un fait non compliqué et qui n’exige que l’audition de trois, quatre ou six témoins. N’y a-t-il pas des crimes compliqués, tels que le poison, l’incen lie et l’assassinat prémédités, qui présentent des circonstances très compliquées, et sur lesquelles il faut combiner un grand nombre de faits et entendre un grand nombre de témoins? La même complication de faits et de circonstances se rencontre, quand il y a un grand nombre de complices et d’accusés, à i’égard desquels il faut entendre beaucoup de témoins et diviser les faits qui s’appliquent à chacun d’eux. Celui-ci 33 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 janvier 1791.] est coupable du fait capital, quand celui-ci n’y a coopéré qu’indirectement, ou par conseils, ou comme recéleur. N’arrivera-il pas souvent, dans l’instruction, des incidents qui ne permettront pas de juger sur-le-champ ? de nouveaux témoins indiqués et qu’il faudra l'aire venir de loin ; de nouveaux complices indiqués; des faits justificatifs allégués; dts reproches de témoins découverts ; des subornations alléguées, etc., etc.? Je ne parle pas du cas où l’instruction dénoncera de nouveaux faits, parce que je n’ignore pas que le système du comité est de vouloir que l’on n’instruise que sur un seul fait et sur le plus grave; et que tous les autres soient abandonnés a l’oubli, si i’aceusé est condamné sur le fait capital. C’est une proposition qui vous est faite, mais qui n’est pas encore décrétée; elle méritera bien unediscussion particulière, et je la laisse, quanta présent, pour ne point surcharger la discussion actuelle. J’ai indiqué un assez grand nombre de cas où le juré ne pourra pas prononcer sur-le-champ, et où il aura un grand nombre de faits à combiner. Non seulement, dans ces cas, la procédure écrite n’est pas inutile; elle est indispensablement nécessaire pour soulager la mémoire. Vainement se récrie-t-on que les jurés auront la faculté de prendre des notes. Je mets en fait que des notes prises séparément par douze jurés ne s’accorderont jamais. Celui-ci aura gris note d’un fait qu’il aura cru plus important, et aura négligé un autre fait qui aura paru plus difficile à un autre ; et qui ai cordera ces jurés, quand il s’agira de savoir si tel fait, auquel plusieurs n’auront pas fait assez d’attention, a été prouvé ou non ? Mais, dit-on, l’écriture est une chose impossible; le greffier ne peut pas écrire avec ta rapidité nécessaire pour suivre une discussion animée. De quel acte entend-on parler ici ? Est-ce de la déposition? Loin qu’elle doive avoir ce caractère de rapidité et de précipitation qu’on lui suppose, je veux qu’elle soit faite avec la gravité, la reflexion qu’exige un acte de cette importance. Il ne sera pas possible, a dit un des préopinants, d’écrire les dépositions de 20 témoins. Qui les écrira ? qui en garantira l’exactitude ? J’avuue que je ne conçois point comment il serait plus difficile d’écrire demaiu les dépositions de 20 témoins, qu’il ne l’a été jusqu’ici d’en écrire quelquefois 50. Qui les écrira ? Celui qui l’a toujours fait ; le greffier. Qui garantira la fidélité de la rédaction? Le public présent, le juge et les jurés, qui pourront relever une inexactitude quelconque. N’avez-vous entendu parler que de la discussion, qui représentera la confrontation ? On ne peut pas dire que ce qui s’est fait pendant des siècles soit impossible. Pour discréditer les confrontations écrites, on s’est permis de les représenter comme des actes précédemment faits avec une indifférence qui en anéantissait toute l’utiiité. Ou a supposé que le témoin se contentait de répondre: Je persiste , et qu’une pareille répon-e laissait subsister 1a déposition dans toute sa force. Mais il y a ici équivoque et erreur de fait. Quand l’accusé se contente de nier, sans discuter la déposition, il est évident que le témoin n’a rien autre chose à répondre, sinon : Je persiste. Mais il serait absurde de supposer que les lre Série. T. XXII. juges aient jamais dû accorder une autorité à une déposition, qui aurait été contredite par des observations sérieuses , lorsque le témoin se serait contenté de répondre sèchement : Je persiste. Voila l’équivoque. L’erreur de fait consiste à avoir paru supposer que c’était là à quoi se réduisaient presque toutes les confrontations écrites. Ouvrez les archives criminelles; vous y verrez des confrontations qui présentent des discussions très vives, très animées, qui ont duré six ou sept heures, qui ont convaincu le témoin de faux témoignage, ou confondu l’accusé qui se défendait avec audace ; elles ont été écrites. Donc la chose n’est pas impossible. Pour juger de cette prétendue impossibilité, il ne s’agit que d’approfondir comment le comité entend procéder à ce genre de discussion. Entend-il que tous les acteurs soient présents à la scène? que tous parlent, s’interrompent, s’interpellent sans ordre, sans méthode? — Il sera certainement impossible de décrire une pareille discussion ; ce sera une cohue qui ressemblera à une querelle des halles. Si c’est de cette manière que vous entendez faire votre instruction orale, je conviens qu’il est impossible de l’écrire; mais je vous réponds qu’il sera impossible déjuger, et qu’il n’est pas un homme d’une conscience exacte et scrupuleuse qui puisse se permettre de prononcer sur la vie et i’honneur d’un citoyen, d’après une instruction aussi monstrueuse. Mais je rends plus de justice au comité. Son article 5 du titre VII suppose que chaque témoin dépose tranquillement, et que l’accusé, ou ses conseils, lui font ensuite leurs observations et interpellations. — Alors tout devient possible et aussi praticable que par le passé. Il est vrai que l’article 7 semble supposer que tous les témoins, tous les acteurs sont ensemble et perpétuellement sur la scène ; — mais c’est une chose non encore décrétée, qui présente les plus grands inconvénients, et sur laquelle je reviendrai. En deux mots, l’écriture de la di cussion ne sera pas plus impossible pour l’avenir, qu’elle ne l’était par le passé; elle ne le sera pas plus en présence de douze jurés, qu’elle ne l’a été depuis votre réglement provisoire en présence du public et de deux adjoints. Gela ne deviendra impossible, qu’autant que l’on introduirait une forme qui dégénérerait en cohue; — mais alors c’est un jugement sain et éclairé que \ous rendez impossible. Répondrai-je sérieusement à ces objections que j’ai entendu faire. « 11 est impossible, dii-on, « d’admettre l’écriture avec les jurés, parce que « cela rendrait plus longue l’instruction, il fau-« drait payer les jurés ; iis ne se détermineraient « pas facilement à se déplacer pour longtemps « d’un coin du département à l’autre. » Voici mes réponses ; Vous craignez les longueurs, moi je crains eûcore plus la précipitation. Vous vous méfiez mal à propos d’une nation qui s’est régénérée en un instant avec tant d’énergie, lorsque vous paraissez douter du civisme de ceux que vous honorerez de la fonction de juré. Faites tout ce que vous voudrez, écrivez, n’écrivez pas, vous n’empêcherez jamais qu’il n’existe un assez grand nombre d’affaires qu’il sera impossible de juger avec la rapidité qu’une fausse théorie vous fait concevoir. Considérez qu’une partie des difficultés qui 3 34 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 janvier 1791,] vous alarment naissent de la trop grande complication de votre plan. Pourquoi, par exemple, un seul tribunal pour un département? N’est-il pas évident que la fonction des jurés serait moins onéreuse , si les déplacements étaient moins éloignés ? M iis la dépense ! j’ignore si vous ferez payer les jurés comme en Angleterre, si cette dépense sera à la charge de l’accusé, ou de l’accusateur privé qui succombera, à titre de dommages et intérêts, et si par cet expédient on pourra soulager le Trésor public. Mais je dis qu’un calcul mesquin, lorsqu’il s’agit d’un établissement aussi important pour toute la société, supposerait des vues bien courtes à des législateurs a’une grande nation. Avançons, et continuons de suivre, pas à pas, les motifs sur lesquels le rapport appuie son système. Il finit par supposer l’écriture possible (et il faut bien qu’il convienne que ce qui s’est fait, depuis des siècles, chez presque tous les peuples, est possible). Le comité suppose donc l’écriture possible ; mais, selon lui, cette forme est dangereuse; elle est destructive de l'institution du juré. C’est ici que le rédacteur a rassemblé toutes ses forces et réuni toutes les ressources de son génie; c’est ici qu’il se croit inexpugnable. J’ai pourtant la hardiesse de penser qu’il est très facile de renverser ce dernier rempart. D’abord, séparons les deux idées que réunit l’objection, quoiqu’elles n’aient absolument rien de commun. L’écriture est, dites-vous, une forme dangereuse. Pourquoi donc? « Parce que, dites-vous, « un second témoin peut combiner et composer « sa déposition sur ce qu’il entend dire au pre-« mier ; et parce que, par là, on donne trop « d’avantage aux faux témoins ; ou même on « facilite la prévention d’un témoin honnête, « mais susceptible de s’affecter. » Eh quoi ! pour répondre à vos objections, n’aurai-je donc jamais rien aulre chose à faire que de vous prouver que vous vous placez toujours à côté de la difficulté? Vous avez à prouver que l’écriture est dangereuse ; et vous lui attribuez un inconvénient qui ne résulte pas de l’écriture, mais d’un autre vice de votre méthode et d’un vice qui est de votre création. Oui, sans doute, l’inconvénient que vous relevez existera, si vous placez tous les acteurs de l’instruction ensemble sur la scène, si vous y rassemblez tous les témoins, pour les faire déposer et examiner en présence les una des autres. Mais pourquoi faites-vous ce rassemblement, qui, non seulement n’est pas nécessaire, mais est encore évidemment très dangereux et contraire à l’essence de la preuve testimoniale? Un témoin ne doit dire que ce qu’il sait. Il n’a donc pas besoin de savoir ce qu'a dit un autre avant lui. Ce n’est point l’écriture qui tend un piège au témoin susceptible de prévention, et un secours au faux témoignage ; c’est la présence que vous supposez de tous tes témoins aux dépositions les uns des autres. Avez-vous donc oublié le péril qu’a couru la chaste Suzanne ? Ignorez-vous qu’elle allait périr victime de la calomnie de deux scélérats vieillis dans le crime, si le jeune prophète, inspiré par l’esprit divin, n’avait pas séparé devant le peuple ces calomniateurs, et ne les avait pas convaincus de faux par Ja diversité même de leur témoignage sur un seul et même fait, dont ils se prétendaient conjointement témoins ? Ne rassemblez donc pas vos témoins, ne les rendez pas présents à leurs dépositions respectives, et vous n’attribuerez pas à l’écriture un danger qui n’existe que dans la fausseté de la méthode que vous adoptez pour la déposition des témoins. Mais la déposition écrite est essentiellement destructive de l'institution des jurés ; elleanéantit tous les avantages que cette institution présente, et qui doivent donner au jugement une prohabilité de perfection que n’avait pas la forme ancienne. Voilà une prétention bien affirmative; voyons si elle a autant de solidité qu’elle est proposée avec confiance. Je cherche la preuve de cette assertion, et quand j’ai analysé tous tes mots qui ont été accumulés, je la trouve réduite à cette seule observation : « Il est un genre de conviction morale, effet « du sentiment, plus facile à éprouver qu’à défi— « nir, laquelle est infiniment supérieure à celle « qui ne résulte que de l’opération de l’esprit. Ce « genre de conviction n’existe que dans la dépo-