[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1789.] M. l’abbé de Montesquiou termine son discours pardes observations sur les doubles emplois, etc., et sur toutes les causes qui doivent rendre infidèles les calculs ou aperçus faits sur la valeur des biens du clergé. On crie de toutes parts : Aux voix! aux voix! M. le comte de Mirabeau propose un ajournement fixé à lundi. Il en donne pour raisons la réponse qu’il doit faire au défi de M. l’abbé de Montesquiou ; la demande des provinces bel-giques dont les députés veulent parler sur la question, et qu’on ne peut refuser d’entendre; et la difficulté d’opiner la nuit, même par appel nominal. Le oui et le non, dit-il, apportent-ils avec eux la figure de ceux qui opinent? M. Briois de Beaumetz annonce qu'il doit parler pour sa province, et demande acte du refus qu’on ferait de l’entendre. Beaucoup de membres s’élèvent pour exprimer le même vœu. M. d’Estourmel (1). Messieurs, dans la séance du soir du 4 août, j’ai eu l’honneur de vous annoncer que la noblesse entière, tant celle entrant aux Etats que celle qui n’y est point admise, m’avait choisi pour son représentant; que les trois ordres de la province du Cambrésis ont été soumis dans tous les temps à une contribution égale entre eux, et que j’étais convaincu qu’ils ne pouvaient qu’acquiesciér de nouveau aux vues de justice de l’Assemblée nationale. C'est cette justice, Messieurs, dont je réclame, dans ce moment, l’effet pour cette province. Son clergé, ainsi que celui des autres provinces belgiques (2), n’a jamais fait partie du clergé de France. Les lettres patentes du 21 mai 1777, accordées à la demande du corps administratif des états de la province, ont remis les gens de mainmorte, du pays et comté du Cambrésis, dans l’état où ils étaient lors de l’expédition des lettres patentes du 9 juillet 1738, qui interdisent au clergé de Flandre et de Hainaut la faculté de faire des acquisitions. * Le parlement de Flandre, auquel ressortit le Cambrésis, est en possession d’y fixer la quotité des portions congrues. Votre sagesse vous a fait décréter, Messieurs, qu’aucune province ne pourrait s’assembler jusqu’à ce que vous ayez réglé le mode de convocation dans lequel elles s’assembleront. La sagesse qui dirigeait les délibérations de la noblesse du Cambrésis l’a portée à charger son député de demander (son cahier n’ayant jamais été impératif) que les pensions sur les abbayes , à la mutation des abbés réguliers , soient, par préférence , appliquées aux ecclésiastiques de la province et que , dans aucun cas, la commende ne puisse y être introduite, même en faveur des cardinaux, Cette demande me paraît contraster avec le principe qu’on vous propose de décréter sur la propriété des biens du clergé. Le Cambrésis a le plus grand intérêt à ce que (1) Le Moniteur se borne à mentionner le discours de M. d’Estourmel. (2) On comprenait sous la dénomination de provinces belgiques: le Cambrésis, l’Artois, la Flandre et le Hainaut. 629 le revenu de ces biens soit consommé dans la province. Je fais donc la motion expresse au nom du Cambrésis (je crois pouvoir dire au nom de toutes ies provinces belgiques), que le jugement de la question soit renvoyé après l’organisation des assemblées provinciales, dont il est de la plus grande importance de s’occuper sans délai, pour que les provinces belgiques puissent former un vœu que leurs députés s'empresseront de transmettre à l’Assemblée nationale. M. le Président propose, à cause de l’heure avancée, de continuer la suite de la discussion à lundi prochain, à onze heures du matin. Cette proposition est adoptée et la séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CAMUS. Séance du lundi 2 novembre 1789 (1). M. le Président annonce que M. Delettre, curé de Berny-Riviôre, député de Soissons, donne sa démission. M. le Président dit ensuite qu’il a reçu la lettre suivante, dont il donne lecture : De Saint-Germain-en-Laye, le 10 oclobre 1789. « Monsieur le président, « Voulez-vous bien avoir la bonté de prévenir l’Assemblée que je me démets de l’emploi qui m’avait été confié de député aux Etals libres et généraux de la France. « Je suis avec respect, monsieur le présiden t, votre, etc. '< Signé : LALLY-ToLLENDAL (2). » M. le Président. J’invite le comité des recherches à s'assembler sur-le-champ pour des affaires urgentes. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur les motions relatives à la propriété des biens ecclesiastiques. M. le Président demande si l’intention de l’Assemblée est que les députés des provinces belgiques soient particulièrement entendus. Il est décidé par un décret qu’ils le seront. M. Briois de Beaumetz. Je ne viens point ici développer des maximes particulières à ma province, mais des maximes nationales. La nation n'est pas propriétaire, le clergé ne l'est pas non plus. Le premier principe, en fait de propriété, est que celui qui n’est pas possesseur prouve sa propriété ; or, la nation ne possède pas : donc elle doit prouver et produire ses titres. On a dit : Le clergé n’est pas propriétaire ; donc c’est la nation. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. (2) Voy. annexée à la séance de ce jour la lettre de M. de Lally-Tollendal à ses commettants. 630 [Assemblée nationale.] Ce n’est pas là une preuve. Ce n’est pas à ceux qui disent que la propriété n’appartient pas à la nation à prouver qu’elle n’a point de titre. La propriété est le droit d’user et d’abuser. Or, la nation n’a jamais usé des biens du clergé; elle n’a donc pas le droit d’en abuser; elle a imposé les biens du clergé. On n’impose jamais sa propriété. On a dit : La nation a jusqu’ici salarié les ministres avec des fonds de terre; elle peut user d’un autre mode. Cela n’est pas exact. La nation n’a pas salarié les ministres; elle les a trouvés suffisamment dotés, et ne leur donne rien. La dîme était un salaire; vous l’avez supprimée; le reste n’en est pas un : il est le fruit des libéralités particulières. On a dit ; Des particuliers ont doté les ministres à la décharge de la nation. Je suppose que je suis débiteur d’une somme de 300 livres; un tiers la paye pour moi, puis -je prétendre que ces 300 livres sont à moi? La nation, sous aucuns rapports, n’est donc propriétaire des biens du clergé. Le clergé ri est pas non plus propriétaire. Le clergé, comme tous les corps, ne peut avoir qu’une existence précaire; il n’a donc droit qu’à une jouissance. La propriété est le droit d’user et d’abuser. Si un corps pouvait abuser il se détruirait lui-même. Tout corps moral a donc une incapacité d’aliéner inhérente à son existence. Le clergé n’a pas même le droit de consommer ses revenus comme il lui plaît. Il est assujetti à en faire un emploi déterminé. A qui appartiennent donc les biens du clergé? Quel en est le propriétaire ; Personne ? ils sont res sacrce , res religiosœ , res nullius. Les biens confisqués sur les criminels condamnés par les lois sont destinés à enrichir le fisc; ils ont été consacrés afin que le gouvernement ne devînt pas trop puissant. Toute donation faite à l’Eglise est faite Domino Deo, non alteri ..... Si je voulais vous mettre sous les yeux les actes par lesquels nos pères ont confié à notre protection les dons qu’ils faisaient à l’Eglise, vous verriez quel intérêt ils y attachaient; ils vouaient à l’anathème quiconque toucherait à ces dons. S’agit-il de la destination? Elle est indiquée par la fondation. C’est un contrat, on ne peut violer les clauses. La destination des biens est le culte qui consiste dans la prière, l’aumône et l’entretien du ministre. Mais à qui confierez-vous le soin de veiller à cette destination ? Les provinces belgiques ont la moitié de leurs terres entre les mains des ecclésiastiques; en décidant que la propriété est à la nation, vous nuiriez infailliblement à ces provinces, puisque vous changeriez nécessairement la destination de ces biens. En effet, si vous décrétez la vente, il est évident qu’un très petit nombre de propriétaires indigènes acquerra ces propriétés, qui passeront dans des mains étrangères. Si vous ne les vendez Pas, et que vous les déléguiez aux créanciers de Etat, les provinces belgiques feront une perle plus grande encore. Le créancier indifférent ne retirera que son revenu, pour le consommer ailleurs, tandis que si des étrangers avaient acquis, nous conserverions l’espérance de les attirer parmi nous, par le charme certain que la terre a pour celui qui la possède. Cette réclamation n’est pas celle d’un privilège, mais du droit naturel qui prescrit que le revenu soit consommé à l’endroit d’où il sort. Les provinces belgiques renferment très-peu d’abbayes en commende; et, si vous les privez de cette consommation, vous les livrez à la plus grande pénurie. Je demande que la question soit ajournée jus-[2 novembre 1789 1 qu’à ce que les assemblées provinciales aient donné leur avis. M. La Poule. La question de savoir si les biens de l’Eglise appartiennent à la nation est suffisamment discutée. J’ajouterai seulement des observations qui n’ont pas été faites. L’Evangile prescrit aux successeurs des apôtres le détachement des biens temporels, et les lois de l’Eglise établissent que les fidèles consacrés à Dieu ne doivent rien posséder en propre. Le clergé ne serait donc propriétaire que contre son institution ; la loi devrait donc faire cesser cet abus. Les fondateurs ne pouvaient donner qu’à ceux qui pouvaient recevoir ; on invoque inutilement le droit des fondateurs. On doit cependant distinguer les donations faites aux curés par les communautés des lieux où les cures sont établies. Je fais de cette distinction l’objet précis d’un amendement. (Ici l’orateur tire de sa poche un gros volume dont la vue excite de l’agitation parmi les membres du clergé.) M. La Poule. Ce livre que je tiens en main contient les institutions ecclésiastiques. Voici une maxime fondamentale que je tire du chapitre ..... « Les ecclésiastiques ne peuvent rien posséder en propre. » Rappelons donc le clergé à ses premières institutions ; rappelons-nous le chef de l’Eglise donnant l’exemple de la pauvreté et de l’humilité ; l’égoïsme et l’intérêt ont perverti l’esprit et l’intention des fondateurs ; le clergé, à son gré, s’était attribué le droit de fondre ensemble plusieurs fondations, d’en supprimer, etc. Passant aux intérêts civils, nous sentirons les inconvénients qu’il y aurait à laisser entre les mains de ces grandes familles stériles, qui ne se soutiennent qu’au détriment de la génération présente, des biens immenses, condamnés par l’esprit ecclésiastique à une éternelle stagnation. Je crois devoir aussi réfuter l’objection de M. l’archevêque d’Aix et de l’abbé de Montes-quiou, qui ont prétendu que le clergé était propriétaire, parce que le clergé avait reçu des donations de citoyens aptes à les faire. Il est certain qu’un propriétaire peut donner; mais, dans une donation, il faut que le donateur et le donataire soient aptes, l’un à donner, l’autre à recevoir. Or, le clergé, par son institution, ne pouvait recevoir, puisqu’il devait par état, en suivant l’exemple des chefs suprêmes de la religion, renoncer à l’éclat des richesses et s’enorgueillir, non de ses biens, mais de sa pauvreté. Le clergé, en possédant des biens-fonds, a donc interverti l’ordre des choses, foulé aux pieds sa première institution, qui lui défendait de posséder des richesses. Donc il ne pouvait, sous quelque prétexte que ce soit, s'approprier des terres, et encore moins abuser de la crédulité des fidèles pour les spolier, non en faveur des églises, mais constamment en faveur de leurs individus. De là, et c’est moi qui tire cette conséquence conforme aux principes de justice, de vérité, dont je ne m’écarte jamais, au moins de gaîté de cœur ; de là ces abus, ces scandales, ces infamies, qui auraient renversé notre divine religion, si elle n’eut été assise sur les immuables bases que loi a posées Jéhova. Non, je ne vois pas de preuves plus frappantes de la solidité et de la divinité de la chrétienté que le libertinage du clergé, et l’abus incommensurable qu’il a fait du texte même de l’Evangile, tantôt pour asservir les peuples et les ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1789.] rois sous Je joug du despotisme ecclésiastique, � tantôt pour faire briller à leurs yeux le glaive flamboyant de la puissance temporelle et spirituelle. De là, depuis l’usurpation de Pépin, qui se servit de l’ambition des prêtres pour affermir r son usurpation, nos rois ont dépendu plus ou moins de l'orgueil des prêtres et de leurs chefs qui, se couvrant du voile de serviteurs des serviteurs, ont été les plus orgueilleux des humains, v et ont poussé le fanatisme de l’orgueil jusqu’à déposer les têtes couronnées et les fustiger à la porte de nos temples. Le pauvre Louis le Débonnaire en a été un exemple frappant. ► M. ISesse, curé de Saint-Aubin. Je vais parler conformément à ma conscience, je ne dirai rien d’outré. Je suivrai, à quelque chose près, les principes de M. de Beaumetz. Ni la nation, ni le > clergé ne sont propriétaires; la nation, comme souveraine, a la grande main sur les biens ecclésiastiques; elle en est la gardienne ; c’est à elle à pourvoir à ce que les fonds du clergé soient � sagement administrés ; mais elle ne peut s’en attribuer la possession : ces fonds sont tels que nul ne peut s’en arroger la propriété ; mais cette possession sans propriétaire est sacrée, Domino Deo. > Ainsi la propriété n’est à personne, l’usufruit est au clergé, la serveillance à la nation. Je conclus à ce que l’on réduise les chapitres, que l’on supprime les abbayes en commende a entièrement et sans réserve,' mais je demande grâce pour quelques communautés; en élaguant l’arbre de la religion jusqu’à sa dernière branche, on pourrait faire mourir le tronc. * M. ©arche. Je dis hardiment au préopinant que ses craintes sont paniques ; la religion a de fermes soutiens et des soutiens inébranlables > dans le clergé utile et laborieux ; et cette classe du clergé n’est ni les moines, ni les abbés, ni les prélats. J’en excepte quelques-uns qui, dans un siècle éclairé, ont secoué le joug des préjugés ; mais les autres, et malheureusement c’est ïe plus grand nombre, sont de ces fastueux sulpiciens à qui la grande Gateau (le docteur Lefèvre, sur-� nommé ainsi par dérision, mais dont le nom doit être consacré à l’immortalité) disait hautement en pleine Sorbonne : In angulis sordes,etex sordi-bus nascuntur episcopi. Ce grand homme, si son âge lui permettait encore d’exercer la théologie, ne tiendrait plus le même langage. La sagesse de l’Assemblée nationale a détruit aujourd’hui ce préjugé qui faisait élever à l’épiscopat des prêtres qui n’avaient d’autre mérite que celui d’appartenir à de grandes maisons, et qui n’obtenaient la divine hiérarchie d'être les serviteurs des serviteurs que pour écraser dans leur insolente ignorance les personnes de mérite du bas clergé, terme honteux consacré jusqu’aujourd’hui : époque fameuse où le clergé sera ce qu’il doit être, où la religion reprendra ses droits ; où le curé de village, s’il > est un homme de mérite, s’il a des mœurs pures, parviendra à l’épiscopat.... M. Sien net. Je prends la parole pour déclarer ► que l’effroi des provinces belgiques n’est pas tel qu’on a voulu le présenter. Le cahier d’Avesnes, dont je suis porteur, en est une preuve, puisque le Hainaut me charge par ses instructions de demander la vente des biens du clergé. Je m’oppose à l’ajournement. M. Le Koux, curé de Saint-Pol. Mon cahier 631 m’impose la loi de m’élever contre cette vente, et c’est pour y obéir que je prends la parole. La propriété des biens ecclésiastiques n’appartient ni au clergé, ni à la nation. Le clergé n’est qu’administrateur ; il ne doit compte qu’à Dieu de son administration. La nation n’a que la surveillance ; elle doit réprimer les abus, détruire ce qui nuit, mais conserver ce qui est utile. M. Bêcher el, curé de Saint-Loup, au nom de plusieurs députés du Cotentin, s’exprime en ces termes (1) : Messieurs, la propriété des biens que l’on appelle biens ecclésiastiques, n’appartient ni à la nation, ni aü clergé: elle appartient à la chose à laquelle ils ont été destinés ; et cette chose est: 1° L’entretien du culte ; 2° Le soulagement des pauvres. Les ecclésiastique en sont et en doivent demeu* rer les administrateurs et les dispensateurs, ainsi qu’ils ont été constitués par la volonté des donateurs de ces biens; mais ils doivent rendre compte de cette administration à la nation, qui a le droit de la surveiller et de la diriger. Les fondateurs ont eu en vue d’entretenir l’exercice de la prière et le soin des pauvres. En donnant aux ecclésiastiques, ils ont fait entre leurs mains un dépôt au profit d’un tiers. Les ecclésiastiques, en ajoutant aux biens qui leur ont été donnés des biens acquis par leur travail, leurs soins et leur économie, ont acquis au bénéfice de la chose remise à leur administration. Ils ont fait valoir en serviteurs fidèles le talent qui leur avait été confié. Les ecclésiastiques n’ont jamais eu droit d’user, pour leur commodité personnelle, de ces biens, au delà de ce qu’on entend par ces mots : victum et vestitum.lls ont toujours dû remettre le surplus à sa véritable destination. S’ils ne remplissaient pas en cela leur devoir, il serait juste qu’ils eussent dès ce monde un juge au-dessus d’eux qui les y contraignît. Ce juge est la nation. Les représentants de la nation sont ses mandataires pour faire rendre le compte. S’il eu était autrement, qui procurerait les réformes d’abus et les redressements de griefs ? Ce ne serait certainement pas ceux qui en devaient être l’objet, ni les pauvres, qui n’ont point de procureurs particuliers pour réclamer ce qui leur est dû. La nation n’a donc pas le droit d’aliéner à son profit les biens ecclésiastiques ; mais non-seulement elle a le droit, mais même le devoir de ses représentants est de veiller à ce qu’ils soient employés à leur véritable destination. La nation a donc le droit d’en ordonner une répartition juste qui sera : 1° De donner à chaque ministre du culte un victum et vestitum convenable sous les différents rapports de la société dans l’état actuel et de l’essence de l’état apostolique : première partie de l’entretien du culte; 2° D’en attribuer une partie à l’entretien des bâtiments, ornements et autres objets matériels: seconde partie de l’entretien du cuite; 3° De pourvoir à ce que tout le surplus après que ces biens auront acquitté en gros avec tous les autres biens du royaume indistinctement la taxe proportionnelle de contributions qu’ils (1) L’opinion des députés du Cotentin n’a pas été un sérée au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1789.] 633 acquitteraient s’ils étaient encore possédés par les donateurs (lesquels n’ont jamais pu les soustraire par aucun fait au devoir de la contribution générale) ; pourvoir, dis-je, à ce que tout le surplus soit emp'oyé en établissements de charité. Sous ce rapport, il est incontestable que ces biens sont sacrés et inaliénables; qu’ils sont la propriété, non de la nation, mais d’une portion de la nation, sous la garantie et la tutelle de la nation entière. Et cette portion de la nation ce ne sont point les ecclésiastiques, ni les riches propriétaires de toutes les religions oui la composent ; mais ce sont les fidèles catholiques, quant au culte, dont l’exercice gratuit leur est dû, et les pauvres de toutes les sectes, quant aux soulagements que l’humanité réclame. On propose donc cette motion : 1° La propriété des biens ecclésiastiques appartient à la chose à laquelle ils ont été destinés, et cette chose est l’entretien du culte et le soulagement des pauvres. Ils sont inaliénables (1). 2° Les ecclésiastiques doivent en être et demeurer les administrateurs, sous la surveillance et la tutelle des représentants de la nation. 3° Le devoir des représentants de la nation est de régler la distribution de ces biens tellement qu’une partie soit affectée à l’entretien décent des ministres, une autre à l’entretien des bâtiments et autres objets matériels du culte, et le surplus à des établissements utiles au soulagement du peuple. 4° Ces biens doivent contribuer aux charges de l’Etat, de la même manière que s’ils étaient encore possédés par les citoyens qui les ont donnés aux églises. 5° Lorsque tous les biens des particuliers sont taxés à un degré tel qu’une plus forte taxe nuirait à leur existence, il est raisonnable de demander à ces biens publics, dans les moments de besoin extraordinaire, une plus forte contribution momentanée, parce que c’est pourvoir utilement au soulagement des pauvres, que de prévenir leur multiplication, effet nécessaire des tributs excessifs. M. le comte de La Galissonnîère. (2). Messieurs, plusieurs orateurs ont agité de grandes questions sur les propriétés de la couronne, du clergé et de tous les établissements de mainmorte. Je me permettrai d’examiner leurs principes, de discuter les conséquences qu’ils en tirent, d’en présenter les avantages ou désavantages, afin de parvenir à des résultats quelconques. Cette discussion est d’autant plus nécessaire, qu’il ne s’est pas encore présenté de question d’une plus grande importance, et dont la décision est telle qu’elle aura une influence majeure, tant sur les opinions religieuses que sur lé droit public du royaume. On a posé pour principe que la nation était propriétaire de tous les biens du domaine et du clergé. Si ce principe était admis, elle doit l’être de toutes les autres propriétés ; il ne peut y avoir d’exception à un principe. Je rejette donc celui des préopinanls comme destructif du pacte social et les conséquences qui en découlent. Une nation est souveraine et n’est pas pro-(1) Vendre les biens ecclésiastiques pour acquitter les dettes de la nation, ce serait payer les dettes des riches avec le patrimoine des pauvres. (2) L’opinion de M. le comte de La Galissonnière n’a pas été insérée au Moniteur. priétaire : les individus qui composent cette nation sont les seuls propriétaires. Une nation est un corps fictif , un être moral. Un être moral n’a et ne peut avoir de propriété. Une nation est la réunion d’hommes gouvernés par la loi : la loi est l’expression de leurs volontés. La nation constituée souveraine fait exécuter la loi; et jamais des hommes réunis pour se donner des lois n’ont dit ni voulu dire que leur assemblée, appelée depuis nation, eût le droit de disposer des propriétés particulières : la nation est donc constituée pour les conserver, et non pour en disposer. Tel est son droit de souveraineté, d’où dérivent toutes les lois qui tendent à la garantie des personnes et des biens. D’après ce principe, je vais examiner d’abord les propriétés appelées domaines du Roi, ou de la couronne, et je passerai ensuite à ceux du clergé, et des gens de mainmorte. Domaine du Roi. On a posé pour vérité incontestable, que les domaines du Roi ou de la couronne étaient les biens de la nation ; surtout depuis que, par des subsides, la nation se charge de pourvoir non-seulement aux dépenses du service public et aux dettes du gouvernement, mais encore aux frais de la liste civile pour la personne du Roi et pour sa maison. Je pense qu’il est aisé de prouver qu’il y a plus de spécieux que de vérité dans cette prétendue propriété. Il ne s’agit que de remonter à l’origine des choses, que je fixe à la dynastie régnante. Hugues Gapet est arrivé au trône avec des domaines très-considérables. Ces domaines, tantôt augmentés, tantôt diminués, et en quelque état qu’ils soient aujourd’hui, ne peuvent pas tous indistinctement appartenir à la nation ; ils ont passé de mâle en mâle par une substitution perpétuelle, et sont le patrimoine de la maison régnante, comme une terre est le patrimoine d’une famille. Les rois sont toujours mineurs : la substitution est graduelle et perpétuelle. N’existe-t-il pas dans le royaume quelques familles qui en ont de pareilles ? Ainsi je base l’inaliénabilité du domaine, non sur le droit de la couronne, mais sur le droit d’une propriété substituée dans la race masculine des Capétiens. Les domaines sont donc improprement appelés de la couronne, ils sont domaines des rois; ce sont des biens patrimoniaux: les descendants de Hugues Capet en sont propriétaires, indépendamment de la souveraineté. Si la nation les aliénait, elle renverserait de fond en comble tous les principes qui assurent l’inviolabilité de la propriété. On croit fortifier ce système en l’étayant de ce que la nation se charge des dépenses du service public, des dettes du gouvernement et des frais de la liste civile. Il est facile d’effacer ces trois objections. 1° Les dépenses du service public. Les rois, n’étant que les dépositaires delà force publique, ne pourraient être tenus aux dépenses qu’entraîne la garantie des personnes et des biens qu’en raison de leurs intérêts personnels. Leurs propriétés n’y seraient donc assujetties que par une contribution proportionnelle à leur valeur. [2 novembre 1789.] [Assemblée nationale.| ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 2° Les dettes du gouvernement. Elles sont présumées n’avoir été contractées que pour la chose publique, c’est-à-dire pour les frais de la guerre, et pour ceux que nécessitent une grande administration et un vaste empire : tels que des arsenaux de terre et de mer, des ponts, des grands chemins, et des établissements de tous genres, dont une nation puissante ne peut se passer. 3° Les frais de la liste civile. Cet article est personnel au Roi et à la famille royale ; mais il fait naître aussi la question de la valeur des domaines. Ou ces domaines suffisent, ou ils ne suffisent pas pour l’acquit des frais de la dépense personnelle du Roi. S’ils sont suffisants, et ils le seraient si, en vertu de la substitution perpétuelle et du principe de l’aliénabilité consacré par les anciens Etats généraux du royaume, la nation décrétait que le Roi y rentrera enremboursant le prix des aliénations; si, dis-je, le revenu des domaines suffit à la dépense personnelle du Roi, pourquoi le souverain n’en jouirait-il pas comme tous les usufruitiers substitués? Dans le cas d’insuffisance, pourquoi vendre ces mêmes domaines? Quel bénéfice y ferait le trésor public? Pourquoi grever les peuples par une augmentation plus Considérable d’un subside perpétuel? Mais des raisons politiques et d’utilité publique ne s’opposent-elles pas à cette aliénation? Les domaines du Roi consistent, pour la majeure partie, en forêts dehaute futaie. Le reste, en terre, est à peine du revenu annuel de 160,000 livres, suivant M. Necker. Ces forêts sont une ressource précieuse pour la marine. C’est de là qu’on tire presque tous les bois de construction et même de charpente. Pour les aliéner, il faudra les diviser, ou, si on les vend entières, des compagnies pourront seules en faire l’acquisition. Dans l’un et l’autre cas, ces forêts seront exploitées, et la plupart réduites en taiilis. En vain voudra-t-on prescrire des conditions conservatoires aux acheteurs : ce serait les écarter, parce que toute spéculation dans ce genre n’a pour but qu’une vente prompte et rapide qui puisse faire rentrer les capitaux. Ainsi le résultat de l’aliénation des domaines du Roi sera de priver le royaume de la ressource des bois de construction indispensables pour l’architecture navale et civile. Les raisons les plus fortes d’utilité publique et de justice s’opposent donc à l’aliénation des domaines du Roi; l’administration doit en être confiée aux assemblées provinciales. Je pourrais citer les assemblées soleunelles, dont la première est de 1279, les Etats généraux tenus à Paris en 1401 , qui ont déclaré que le domaine royal ne pourrait être aliéné à perpétuité. Je passe sous silence les ordonnances, édits, Etats généraux de 1358, 1366, 1380, 1402, 1483, 1517, 1519, 1521, 1529, 1539, 1543, 1559, 1566, 1667, 1717, qui tous ont confirmé ce principe, au point qu’il fait partie de notre droit public. Nos rois, à leur sacre, en renouvellent ef consacrent l’observance; Louis XVI, à son sacre, en a confirmé les dispositions : la nation peut-elle le délier de son serment? Ce serment est obligatoire pour l’un et pour l’autre ; la prévoyance prescrit à l’Assemblée de maintenir les décrets des précédents Etats généraux; il serait impolitique de les anéantir ; ce se-633 rait exposer les siens au danger d’éprouver un jour le même sort. Une nation que l’on accoutumerait à des changements fréquents de principes finirait par les recevoir avec indifférence. Après avoir prouvé, je pense, que les domaines du Roi, du moins les anciens, appartenaient à la maison régnante et non à la nation, il me reste à parler des propriétés du clergé et de ce qu’on appelle gens de mainmorte. Ces propriétés sont mises en question : leur aliénation et leur vente sont proposées. On est parti de ce principe : que toute corporation religieuse existant dans un Etat n’existait que du consentement de la nation ; que cette nation, étant maîtresse de la supprimer et de disposer d’une manière quelconque de ses jouissances, pourrait conséquemment disposer de ses fonds ; donc la propriété des biens de cette corporation appartient à la nation. En adoptant et en étendant ce principe, la nation est propriétaire des biens du clergé; ses membres n’en sont que les administrateurs ; je dis simplement les administrateurs, et non les usufruitiers, puisque de leur vivant on agite et on propose la vente des fonds. Ainsi, dans le système moderne, la nation est constituée propriétaire de tous les biens du clergé. Je ne crains pas de répéter qu’un être moral n’a pas de propriétés, et que c’est confondre les idées de créer en droit positif ce qui est en droit négatif. Quel est donc le propriétaire des biens du clergé? ce sont les pauvres et le culte divin. Quel est le but, quels sont les motifs des donations, des fondations et des dotations? L’entretien des temples, les pensions des ministres des autels, la nourriture des pauvres. Ges établissements sont à perpétuité, et la plupart sans clause de réversion dans le cas même que ces établissements fussent détruits. Les principes des donateurs ou des acquéreurs ont donc été d’assurer à jamais le patrimoine des pauvres et la dépense du culte public. A l'égard des établissements avec clause de réversion dans le cas de leur suppression, il est hors de doute que les ayants cause des fondateurs n’aient le droit d’en revendiquer les fonds. Un exemple récent en fournit la preuve. Le roi de Sardaigne a réclamé, en 1784, l’hôtel de Savoie dans la ville de Lyon, légué aux célestins par Emmanuel 1er, duc Re Savoie, qui avait réservé par l’acte de donation à ses héritiers le droit de rentrer dans la propriété de cet hôtel, si les célestins l’abandonnaient. Lors de la suppression des célestins, le roi de Sardaigne revendiqua juridiquement l’hôtel de Savoie, qui lui fut adjugé nonobstant l’opposition du syndic du diocèse de Lyon. La nation n’est donc pas propriétaire. Il ne s’ensuit pas qu’une nation n’ait pas le droit de supprimer une corporation religieuse, et ce droit a été exercé ; mais la conséquence n’est pas qu’elle ait le droit de disposer des fonds pour un usage contraire à la volonté des donateurs. On ne manquera pas de demander : que deviendraient les biens de toutes les corporations religieuses, si la nation voulait les supprimer? L’emploi en est facile et conforme aux vues primitives de leur destination : le culte public et le soulagement des pauvres. Ainsi, la nation peut ordonner une répartition plus égale entre les ministres des autels, et réformer des établissements publics, tels que des maisons d’éducation nationale, et des hospices de bienfaisance ou de justice. Ce n’est pas là * disposer des fonds, c’est disposer des revenus. JAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1789.] 634 On a fort bien défini le droit de la propriété par son usage : user , abuser ; mais je pense aussi qu’on a abusé de la définition, quand, en l’appliquant au clergé, on a tiré la conséquence qu’il n’était pas propriétaire de ses biens. Sans doute les ecclésiastiques ne sont que des usufruitiers, et, sous ce rapport, ils ne peuvent qu’user des biens de leurs bénéfices; ils n’en peuvent abuser, puisque la vente leur en est interdite. D’après cette définition de la propriété appliquée au clergé, considéré comme corps moral, une nation qui ne peut être considérée que sous le même rapport n’est donc pas propriétaire, elle ne peut qu’user et jouir, mais elle ne peut abuser, puisqu’il y a impossibilité morale et physique qu’elle aliène jamais hors de son sein la masse collective de ses propriétés. La propriété ne réside donc pas exclusivement dans la seule faculté de pouvoir aliéner ; elle réside spécialement dans une possession non interrompue et fondée sur le principe de l’union politique qui a garanti les droits respectifs de toutes ses parties. C’est dans ce sens que les corporations laïques de toute espèce, les communes des villes, les pères de famille enchaînés par des coutumes locales, et généralement toutes les personnes à qui la loi refuse le droit d’aliéner, ne sont pas moins propriétaires et ne peuvent être dépouillées que par l’infraction du contrat social. Ce principe doit être adapté au clergé : il est propriétaire. N’a-t-il pas le droit d’emprunter, et tout emprunt n’est-il pas une aliénation déguisée? Le clergé pouvait vendre autrefois : une sage prévoyance lui en a ôté le droit ; et ce n’est que depuis” 1749 qu’il a perdu celui d’acquérir, quoique depuis, le gouvernement lui ait restitué la faculté de placer sur le Trésor royal et sur les maisons fondées. Les caractères de la propriété sont de pouvoir affermer, discuter, transiger, vendre, aliéner, échanger, inféoder, emprunter, acquérir. Or, le clergé a exercé tous ces droits. Il exerce encore tous ceux relatifs à l’administration ; et, quoiqu’il ne puisse vendre ni aliéner, non-seulement l’édit de 1749 n’a point prononcé d’incapacité , mais au contraire le législateur lui en a conservé la faculté, avec la seule formalité des lettres patentes. Sa propriété est donc réelle, puisqu’elle en a tous les caractères primitifs et tous les droits constitutifs. On a dit que le clergé n’était qu'un corps fictif, qu'un être moral, et que, sous ce rapport, il ne pouvait être propriétaire; mais une nation est-elle autre chose qu’un être fictif, qu’un corps moral? L’un et l’autre sont composés d’individus. On a dit encore que les ecclésiastiques ne sont pas dans un état ae nature; qu’un ecclésiastique n’est pas un individu réel ; que c’est un être fictif , un être idéal, et qu’il n’a de droits civils que ceux dont la nation lui donne communication. J’avoue que de pareilles distinctions sont tellement sophistiques qu’il faut en demander l’explication à M. Thouret. Si les individus qui appartiennent à des corps moraux sont ainsi définis, et que cette définition soit appliquée, comme elle peut l’être, au corps de la magistrature, au corps d’une armée, un magistrat, un militaire, seront étonnés de n’être pas dans un état de nature, de n’être pas des individus réels, de ne plus se trouver que des êtres fictifs, que des êtres idéaux. Il m’est permis de douter que M. Thouret les persuade, et même qu’il persuade personne. En vain dit-on que les membres du clergé ne composent qu’une classe stérile. 11 ne faut pas considérer les individus, c’est leur destination ; et, sous ce point de vue, le clergé doit être regardé comme propriétaire des biens qui, jusqu’à ce jour, lui ont appartenu. Je n’invoque pas une possession de plus de quatorze siècles, quoiqu’elle soit d’un grand poids ; je n’invoque pas cette possession sanctionnée par nombre de tenues d'Etats généraux : je m’en tiens au principe. Le clergé possède, c’est un corps toujours subsistant : il est propriétaire collectivement, usufruitier individuellement. La nation, par son droit de souveraineté, a l’administration suprême des biens ecclésiastiques, comme un tuteur a l’administration des biens de son pupille ; mais le clergé n’en est pas moins propriétaire réel et incommutable, comme ce dernier. Le clergé n’a usurpé les possessions de personne ; les siennes lui appartiennent à titre de donation ou d’acquisition. Ce n’est point la nation qui a donné ; ce n’est point la nation qui a reçu : ce sont des propriétaires, et les donataires ont accepté pour subvenir aux dépenses des ministres du culte, de l’entretien des autels, et du soulagement des pauvres. Voilà les trois propriétaires, et dont les titres ont pour base la religion, la morale et l’humanité. Ces propriétaires, toujours subsistants, sont toujours mineurs. Et comment dépouiller les pauvres sans les entendre ? Gomment vendre leur patrimoine ? Les pauvres sont nos frères, sont nos concitoyens, ils font partie du peuple, de ce peuple qui nous a réunis pour améliorer son sort, pour assurer son bonheur, et nous ferions des malheureux! Non, Messieurs : l’Assemblée ne rendra pas, au nom de la nation, un décret aussi immoral. En vain me parle-t-on d’une taxe pour les pauvres : leur soulagement est plus assuré par la charité active des pasteurs qui, rapprochés d’eux, connaissent leurs besoins. Ces pasteurs savent à quelles conditions ils jouissent de leurs biens ; ils n’ignorent pas que les pauvres en sont les co-propriétaires. La nation ne peut y avoir d’autres droits que ceux d’enclave, dé souveraineté, de la même manière qu’elle peut en exercer dans les provinces. Qui oeut répondre, Messieurs, que les provinces, que es paroisses ne forment opposition à l’exécution de votre décret; que chacune d’elles ne veuille conserver pour les frais du culte, pour le soulagement de ses pauvres, ces mêmes propriétés, au lieu de les voir passer dans les mains de capitalistes, souvent étrangers au royaume, et à coup sûr étrangers à la province ou à la paroisse? La propriété du clergé est antérieure à la conquête des Gaules : lorsque Clovis s’en empara, il trouva le clergé doté, et sa richesse était peut-être supérieure à celle qu’on exagère tant aujourd’hui. Le droit prétendu de la nation sur les propriétés ecclésiastiques ne peut exister avant celui de conquête, puisque la nation, comme nation française, n’existait pas avant cette époque. On connaît la fameuse pétition du peuple français à l’empereur Charlemagne : son peuple demandait que les évêques ne vinssent plus à la guerre, qu’ils restassent dans leurs diocèses, non qu’il voulût enlever les biens du clergé, mais pour en confirmer la propriété, et suppliait l’empereur de la sanctionner. Cette pétition nous a conservé la formule de la donation, qui porte que son objet est destiné à perpétuité à la dépense du culte divin, à l’utilité [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES . [2 novembre 1789.] 63» I de J’Eglise, et à la nourriture des pauvres et des w clercs, et non à un autre, non alteri. Le peuple français assemblé par convention nationale reconnut et ratifia de nouveau, dans trois r sessions successives, les propriétés du clergé (1), et l’on voudrait au nom de la nalion, attaquer une pareille propriété! Gomment! la nation, qui n’a pas donné, à qui l’on n’a. pas donné, qui depuis quatorze siècles reconnaît cette propriété, qui * a demandé et non ordonné des secours qu’elle a déclaré recevoir du libre et pur consentement du clergé; comment! l’Assemblée, qui n’est pas une convention nationale, décréterait au nom de la nation et contre les anciennes sessions convoquées ad hoc, que la nation est propriétaire des biens du clergé! Un pareil décret serait illusoire : une déclaration d’un fait qui n’est pas vrai, ne > donne pas des droits ; le fait peut suivre la déclaration, mai-s le droit ne suivrait ni l’un ni l’autre. Le principe de cetté prétendue propriété nationale est renfermé dans un cercle si vicieux de r sophismes et de paradoxes, que la discussion ne peut soutenir les regards de la justice et du raisonnement. II me reste à examiner, si l’Assemblée pronon-, çait contre mon opinion, quel intérêt aurait la nation à la vente des biens du clergé. C’est de la balance des avantages et des désavantages qui peuvent en résulter, que je vais tirer de nouveaux i arguments pour lui en conserver la propriété. L’Assemblée nationale a décrété la suppression des dîmes ecclésiastiques. Elle a eu en vue de soulager les peuples, et de vivifier l’agricullure. Les dîmes ne peuvent pas être considérées cora-me les autres propriétés foncières du clergé. Les dîmes n’étaient qu’une prestation libre dans le principe, consacrée par les temps. La nation pouvait donc faire cesser cette prestation. Elle a usé * dans la rigueur du principe de son droit; mais elle n’a pas celui de s’emparer des propriétés foncières, parce que ces propriétés n’étant pas un impôt ne grèvent personne. Les biens-fonds du clergé sont estimés par M. l’évêque d’Autun à 70 millions de revenu ; je crois ce revenu fort supérieur ; mais enfin, quel (1) M. Le Chapelier a avancé le 2 novembre, en par-i lant des capitulaires, qu’il a liés mal à propos avec les Etats de Blois et d’Orléans, que c’était le clergé qui, abusant de sa prépondérance, avait fait reconnaître par la nation la propriété de ses biens. Il y a dans cette assertion une confusion d’ordres et de choses. , Il n’existait point d’ordres distincts du temps de Charlemagne; la pétition que j’ai citée est celle du peuple français assemblé à Worms en 803, cette pétition fut sanctionnée par l’empereur et confirmée depuis par son petit-fils Charles le Chauve, sur la demande des * assemblées générales et conventions nationales de 863. 873 et 877. M. Le Chapelier avança encore que laisser au clergé la propriété de ses biens, ce serait faire renaître la distinction des ordres. Si j’avais pu obtenir la pa-N rôle, j’aurais démontré facilement que cette crainte n’était fondée que sur un sophisme; en effet les autres citoyens n’ont-ils pas une propriété? et dès que le clergé n’a plus de mode particulier d’administration ► et que scs membres doivent être établis sur les rôles des contribuables, les ecclésiastiques auraient paru dans les assemblées politiques comme les autres citoyens. Ce sophisme cependant fit impression, et fit changer d'avis a beaucoup de députés, à ce que j’ai appris de quelques députés mêmes. M. Le Chapelier parla le dernier, il parla contre. On ne permit pas de réplique, et c’est dans cette disposition que l’Assemblée a prononcé. qu’il soit, il doit suffire à tous les frais du culte public. Je pense que la motion de ce prélat ne peut être admise, et si jamais elle est discutée, il me serait aisé d’en montrer les dangers, comme les erreurs de calcul, et l’immoralité. L’objet de cette motion est : 1° De continuer la perception de la dîme, et en cela c’est éluder l'exécution du décret. J’observe que cette perception serait onéreuse et souvent vexatoire, en la confiant aux agents du fisc ; 2° De vendre les biens-fonds du clergé du produit de 70 millions, estimés au denier 30, 2 milliards. J’observe qu’en joignant ces 2,100 millions des biens du clergé à un capital de 600 millions qui représente constamment les fonds à vendre, il en résultera une baisse si considérable dans le prix général des fonds, qu’au lieu du denier 30, on serait heureux d’en trouver le denier 20; 3° De rembourser, soit en argent, soit par la cession des biens, partie des rentes viagères et partie des rentes constituées, et enfla les charges de judicature. J’observe d’abord qu’il faut supposer que les rentiers viagers à qui l’on destine en remboursement un capital de 500 millions, pour extinction de 50 millions de rentes viagères, se réduiront volontairement du denier 10 au denier 30, ce qui n’est pas à présumer. Si on les croit aussi disposés à un pareil sacrifice, n’est-il pas plus simple de transformer les rentes viagères en rentes perpétuelles au denier 20? L’Etat y gagnerait, sur la totalité des rentes viagères montant à 105 millions, 52,500,000 livres, et en employant cette moitié bénéficiée en amortissement, ces capitaux seraient remboursés dans la quinzième année. IL en est de même des rentes perpétuelles. payées sur le pied du denier 20 sans retenue. Les propriétaires de ces rentes, acquéreurs des biens du clergé sur le pied supposé du denier 30, devenus propriétaires fonciers, et soumis comme tels aux subsides de toute espèce, verraient l’intérêt de leur capital réduit à 2 1/2 0/0. Le résultat de pareilles ventes serait de faire passer le patrimoine des pauvres dans les mains des capitalistes, des banquiers, des financiers. À l’égard du remboursement des offices de judicature, ce n’est pas sérieusement que M. l’évêque d’Autun le propose du produit de la vente des biens du clergé, Ou ue peut croire qu’il veuille en faire une opération de finance dont le résultat est tel que pour 6 millions d’intérêts au capital de 5 à 600, l’Etat perdrait 20 à 24 millions d’intérêts annuels, indépendamment de 10 à 12 millions d'honoraires, ce qui augmenterait la surcharge des peuples de 30 à 36 millions. 4° De grever les peuples d’une prestation annuelle de 20 millions, afin que, joints aux 80, produit estimé de la dîme, la dépense du clergé prolôe à 100 millions soit acquittée. Je demande de quelle utilité il serait pour l’Etat de vendre d’une part les biens du clergé, et de l’autre de grever les peuples de 50 millions ? On répond qn’il faut que les dettes de l’Ehl. soient payées. Sans doute il le faut, mais il faut aussi que les propriétés soient respectées, que les pauvres soient nourris; et comment le seront ils quand leur patrimoine aura été vendu? il faut donc se borner à corriger les abus, et nonobstant la suppression de la dîme, j’estime que les autres [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2. novembre 1789.J 636 biens du clergé seront plus que suffisants pour l’entretien des temples, le service des autels, les maisons d’éducation nationale et les hospices de charité. La vente de ces biens consommée, la perception de la dîme cessée, il faudrait remplacer par un impôt sur les peuples un revenu de 80 à 100 millions pour les frais du culte divin. Cet impôt pourrait rendre ses ministres odieux, ou du moins fort à charge. Une calamité générale, une guerre désastreuse compromettraient leur subsistance, le subside qui y serait destiné serait employé aux besoins du moment : le nombre en serait diminué, on s’habituerait à s’en passer, et bientôt sans ministres, la religion ne serait plus respectée. Ces puissantes considérations ramènent donc à sanctionner de nouveau la propriété réelle des biens du clergé, sauf à prononcer sur une répartition proportionnelle aux fonctions relatives de ses membres. L’Assemblée ne doit jamais perdre de vue qu’elle n’est pas une convention nationale; qu’elle n’est que le pouvoir constitué et non le pouvoir constituant; et, en effet, comment pourrait-elle s’attribuer le pouvoir constituant, puisque les députés qui la composent ont été envoyés par les provinces avec des cahiers, des mandats, des pouvoirs la plupart formels? Aucun bailliage, aucune sénéchaussée n’a dit à ces députés : Nous nous en rapportons entièrement à vous ; vous êtes libres et maîtres de prononcer dans votre sagesse sur les lois fondamentales du royaume, sur les propriétés des corps politiques qui forment V union de l'Etat, en un mot de transiger, établir, supprimer et créer, comme si la France était un peuple nouveau et n’avait aucunes lois. Les bailliages, au contraire, ont limité les pouvoirs de leurs députés à telles et telles clauses, sous peine de désaveu. La limitation d’une clause quelconque exclut l’idée de pouvoir constituant. L’Assemblée est donc conditionnelle et non conventionnelle : elle ne peut donc rendre des décrets contraires aux ordres de ses commettants, qui ont prescrit à leurs députés la conservation des lois fondamentales du royaume et le respect absolu des propriétés. Le clergé doit payer comme les autres citoyens sans aucune distinction; son administration particulière doit cesser. Eh bien! que l’Assemblée le fasse payer ; qu’elle lui demande au nom de la nation un secours extraordinaire de 50, de 100 millions, et plus s’il le faut ; qu’elle l’impose fortement pendant un certain nombre d’années; qu’elle corrige les abus ; qu’elle ordonne une répartition plus égale entre les ministres des autels : mais qu’elle garantisse et confirme de nouveau la propriété de ses biens, comme le gage des dépenses du culte divin et du soulagement des pauvres : que l’Assemblée ne perde pas de vue six millions de propriétaires dans les personnes des pauvres, auxquels elle ne pourrait enlever le patrimoine sans autant de danger que d’injustice. J’ai l’honneur de proposer à l’Assemblée nationale d’arrêter les points suivants : 1° Le clergé séculier et régulier et tous les corps et établissements de mainmorte continueront à jouir en toute propriété administrative des biens-fonds qu’ils possèdent aujourd’hui, sauf les restrictions, réductions, modifications et suppressions, tant pour les personnes que pour les choses qui vont être dites ci-après. Le clergé sera assujetti au même mode d’administration et d’imposition que tous les autres citoyens du royaüme, sans aucune espèce de distinction. 2° Les dîmes ecclésiastiques et de gens de. mainmorte, dont la suppression a été décrétée le 11 août dernier, et la perception néanmoins continuée jusqu’à leur remplacement, cesseront d’être acquittées par les peuples, dès qu’il aura été pourvu aux dotations et établissements jugés nécessaires, tant pour les frais du culte divin que pour ceux d’utilité publique. 3° La nationusant.de son droit de souveraineté se réserve de prononcer sur la répartition de toutes les propriétés foncières du clergé ainsi que sur les suppressions ou changements de diocèses; en conséquence de fixer le nombre des évêchés, cathédrales, chapitres, collégiales et séminaires qu’elle croira utile de conserver, soit qu’elle adopte la division de la France en quatre-vingts départements qui pourraient former quatre-vingts archevêchés ou évêchés, soit qu’elle conserve la division des provinces telle qu’elle existe aujourd’hui. 4° Chaque évêché, chaque cure et chaque établissement public ayant pour objet l’entretien du culte et le soulagement des pauvres seront dotés en biens-fonds d’un revenu calculé d’après les localités et les charges qui leur seront imposées. 5° Les maisons religieuses de l’un et de l’autre sexe, dont la suppression n’aura pas été ordonnée, seront réunies de manière à ce qu’il y ait dans chacune d’elles un nombre suffisant de religieux ou de religieuses pour le service divin, et pour remplir les fonctions de leur institut et celles dont l’emploi pourrait leur être confié 6° Les ordres mendiants seront supprimés, si on ne juge plus utile de les rétablir ; l’ordre des capucins, mérite par son zèle et ses services multipliés, une distinction particulière. Néanmoins, les consciences devant être libres, et chacun ayant la faculté de vivre sous un mode que la loi avait approuvé, les religieux de ces ordres seront les maîtres de se réunir en certain nombre, pour y vivre en communauté, ou de se faire séculariser. Les maisons et terrains abandonnés seront vendus pour le produit être appliqué à la pension alimentaire de ces religieux. Après l’extinction de ces ordres, le produit successif de la vente de leurs biens sera employé à former aux curés et vicaires de chaque paroisse un domaine suffisant pour leur entretien, déterminé en raison des dépenses, des charges et des lieux. 7° Les ordres religieux, qui seront conservés et dont le nombre des maisons sera diminué, seront employés à l’éducation nationale de l’un et de l’autre sexe. Les fonds et les revenus des maisons supprimées, et ceux des maisons réduites, seront employés à doter les évêchés qui en auraient besoin, ainsi que les cures, chacun dans leur arrondissement autant qu’il sera possible, et s’il y a un excédant, il sera employé à des établissements d’écoles gratuites de tous les arts et métiers. 8° L’émission des vœux n’aura lieu qu’àvingt-cinq ans révolus, et les vœux ne seront plus que simples. 9° Les menses des abbayes et des prieurés commendataires seront réunies aux menses claustrales. 10° Les suppressions, réunions et changements ne pourront être effectués quant aux évêques, aux abbés et prieurs commendataires, qu’après leur mort, à moins que les revenus de leurs bénéfices ne fussent remplacés ; et pour y parvenir [Assemblée nationale J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1789. J 637 plus promptement, le Roi sera supplié de ne F nommer à aucun évêché ou abbaye qui pourraient venir à vaquer, jusqu’à ce que le nouveau plan ait été présenté à la sanction de Sa Majesté. * M. le comte de La Marck (1). Messieurs, élu par une des provinces belges pour un de ses députés aux Etats généraux, je dois veiller aux intérêts de mes commettants : occupé du plus Y grand bien de tous, je désire que tous concourent également à ce but, et je dois mon opinion sur ce qui me paraîtrait une injuste distribution de charges pour la province qui m’a honoré de > son choix. Tel serait, pour les provinces belges, l’effet du projet d’envahissement des biens du clergé (2). Je n’entrerai point dans l’examen de la ques-. tion de la propriété ; je n’envisagerai l’objet que ’ sous l’aspect de la justice distributive, et de l’intérêt des propriétaires et cultivateurs journaliers des provinces belges. r Est-il juste que ces provinces acquittent 300 millions, plus ou moins, de la dette publique, tandis que des provinces aussi considérables ne contribueraient qu’à la plus petite partie de cette dette ? L’exposé seul de cette question la décide en faveur des provinces belges. Je pusse à l’intérêt des possesseurs, cultivateurs, fermiers, journaliers, et par conséquent à 9 celui de ces provinces et du royaume, puisqu’elles en font une partie considérable et qu’elles en augmentent la richesse, le commerce et la prospérité. ». La transmission des biens du clergé en d’autres mains tarirait, pour les provinces belges, les sources de la production, enlèverait aux pauvres les secours abondants, ruinerait l’industrie . et le commerce ; c’est ce que je vais tâcher de démontrer. Si on demande quelles sont dans une province les sources de richesse et de bonheur, la réponse est facile. Une province est riche lorsqu’elle a un sol fertile, bien cultivé, des moissons abondantes et * une population proportionnée à son étendue. Elle est heureuse lorsque ses richesses ne sont appliquées qu’à ses besoins, à ses jouissances ; elle est heureuse et riche lorsque ses propriétés k foncières sont bien administrées par des possesseurs qui n’étendent pas au dehors leurs dépenses et leurs fantaisies, qui répandent dans le sein même de la province le numéraire échangé v contre les fruits de leurs terres ; Par des possesseurs pour lesquels la bienfaisance, la charité éclairée sont une habitude autant qu’un devoir; qui, par l’esprit même qui * les anime, ne sont pas portés à tourmenter les campagnes, pour en forcer les revenus, en disputant même aux cultivateurs, l’absolu nécessaire ; Par des possesseurs enfin pour lesquels, dans v leur éloignement extrême de tout luxe de choses (1) L’opinion de M. le comte de la Marck, député du bailliage du Quesnoy, n’a pas été insérée au Moniteur. (2) Nicodème, député de Valenciennes, auteur de V Exercice des commerçants et de plusieurs autres ouvrages, compare le clergé à une poule qu’il faut laisser vivre parce qu’elle pond des œufs d’or pour le carême ; à une éponge qu’il faut pressurer sans la déchirer ; à un arbre qui fournit des pommes pour la soif qu’on doit cueillir sans abattre l’arbre au pied. étrangères, les établissements publics, les maisons d’instruction et de charité, sont des dépenses nécessaires, et chez lesquels la province, dans un moment de disette et de calamité, peut trouver des greniers toujours pleins et des secours presque inépuisables. Un pareil tableau paraîtrait chimérique ; car comment supposer un grand nombre de riches propriétaires sans luxe? Gomment supposer des richesses sans jouissances? Gomment supposer l’utilité sans cesse préférée à l’agrément ? Eh bien ! ce tableau est cependant l’histoire exacte des provinces belges, qui trouvent dans ’les biens ecclésiastiques qu’elles renferment les sources de richesses et de bonheur qu’on vient de développer; et il est incontestablement prouvé qu’entre toutes les provinces de l’Europe, les plus riches et les plus heureuses sont les provinces belges, tant autrichiennes que françaises. Pourquoi ? Une très-grande partie du territoire de ces provinces appartient au clergé, aux hôpitaux et collèges; les fermiers de ces terres, tranquilles sur la durée de leurs baux, sur le prix très-modéré, presque invariable de leur fermage, s’accoutument à regarder cette terre louée comme une propriété ; ils n’épargnent rien pour la culture et la fertilité du sol qu’ils occupent: ils en recueillent des richesses pour leurs familles nombreuses ; et cette abondance à laquelle leurs maîtres semblent les inviter, ils la répandent eux-mêmes sur tous ceux qui les environnent et qui partagent leurs travaux. Le pins grand nombre de ces possesseurs, les religieux, les chapitrés, consomment leurs richesses sur la terre même qui les produit: ils n’ont aucune idée de ces objets de luxe et de curiosité qu’on va chercher au loin et qui transportent le numéraire d’un pays dans un autre. Leurs revenus, bien supérieurs à leurs besoins, sont en partie employés à construire ou entretenir d’immenses bâtiments, et en partie aux frais de l’éducation publique, et toujours aux secours éclairés versés sur les indigents. Gette source de richesses et de bonheur, dout plusieurs siècles attestent les preuves et semblaient avoir affermi les hases, va se tarir, si l’Assemblée nationale, d’après le décret qu’elle a rendu le 2 novembre, dispose de ces biens, soit pour le payement de la dette nationale, soit pour tout autre usage commun à tout le royaume. Pour affecter ces biens à la nation, il faudra expulser les possesseurs actuels, soit en vendant ces biens, soit eu les livrant à des administrateurs. Il paraît que tous les esprits raisonnables sont pénétrés de l’inconvénient, et même, il faut le dire, de l’extrême difficulté et du danger de vendre dans le moment actuel les biens du clergé. Gette vérité paraîtra incontestable en réfléchissant que la vente ne serait avantageuse aux vendeurs que par la concurrence des acheteurs; et il ne faut pas croire, lorsqu’il y a déjà un aussi grand nombre de terres à vendre, que les biens du clergé, dont l’achat présentera toujours quelques incertitudes, soient aussi recherchés qu’on le suppose; les capitalistes, accoutumés à jouir des biens qui ne demandent aucun soin, ne seront pas empressés de faire des acquisitions ; leur nombre sera en disproportion avec celui des vendeurs, et dès lors, la valeur des biens sera considérablement diminuée, et le bas prix seul sera un motif déterminant pour les acheteurs. Enfin les évaluations de ces biens seront fauti- 638 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1789.] ves, ils seront vendus lentement et seront dégradés avant que la vente n’en soit opérée. M. l’abbé Maury a dit : Les propriétaires ne résideront pas , ils exploiteront par des fermiers, ils consommeront tout dans la capitale. M. de Mirabeau a répondu : Et les prélats, que font-ils? Sont-ils plus assidus dans leurs résidences? Cette réponse n’est pas juste, puisqu’il n’y a pas et ne peut pas y avoir de commende dans les provinces belges. Il s’agit au contraire d’abbayes régulières, de chapitres, de maisons conventuelles, de religieux qui les habitent, qui consomment sur les lieux, qui ne portent pas leurs désirs et leurs besoins au delà de leur territoire, qu’ils améliorent sans cesse ; ils répandent enfin l’aisance autour d’eux, et par les mains de leurs fermiers, dont ils ne jalousent pas les bénéfices. Les nouveaux propriétaires, les administrateurs intéressés feront précisément le contraire; la consommation en un mot ne sera plus locale, en supposant même, ce qui n’est pas possible, des propriétaires résidants, parce qu’un propriétaire, quel qu’il soit, ne bornera pas ses besoins aux productions de sa ferme, et ses fantaisies aux œuvres grossières des. artisans de son village ; et on peut affirmer que, dans les provinces belges, anéantir une abbaye, c’est anéantir un et plusieurs villages, et appauvrir tout le canton qui les environne. Une partie de la noblesse pourrait gagner à cette vente, en faisant des acquisitions de biens qui sont à sa portée ; mais dans quelques mains que passent les propriétés du clergé, on peut dire que cette transmission sera un coup mortel porté aux communes et à leurs nombreuses familles. Les provinces en outre se trouveraient entièrement privées du produit des biens situés en pays étrangers ; le clergé de la Flandre possède des biens considérables dans le Pays-Bas, dont il consomme les revenus dans le pays (1): ces biens seront vendus, et c’est une Voleur perdue pour la France ; et les peuples seront privés d’un numéraire considérable qui se répand chez eux, sert d’échange à leurs denrées et anime leur culture. Qu’on observe, au surplus, que ce désastre sera le résultat d’une cruelle injustice; surtout si c’est pour payer les créanciers de l’Etat. Qu’ou accumule dans le Trésor national le prix ou le produit des biens ecclésiastiques que renferment les provinces belges; car n'est-il pas de la plus étroite équité que la dette nationale doit être acquittée proportionnellement par tous? Et quelle proportion pourrait-il exister entre toutes les provinces si elles donnaient pour cette libération générale tous les biens ecclésiastiques qu’elles possèdent sans aucune proportion? Les provinces belges seraient appauvries, ruinées, quand la privation serait à peine sensible, et même nulle, peut-être même avantageuse pour d’autres provinces, pour des localités différentes. 11 faut observer encore qu’indépendamment de la violation des traités et des capitulations, cette injustice serait d’autant plus grande que le clergé belge a toujours été soumis aux contributions publiques, dont le clergé de France a été jusqu’à présent affranchi. Ces importantes considérations doivent faire présumer que les provinces belges s’opposeraient (1) Le clergé français des provinces belges a beaucoup plus de biens dans les Pays-Bas que le clergé autrichien n’en possède en France. à des conséquences du principe qui consacre que la disposition des biens ecclésiastiques appartient à la nation. Cette résistance est du droit naturel ; elle est conforme aux principes de la justice et à ceux qui, dans toutes les nations, assurent la propriété. Substituer par force aux possesseurs actuels des propriétaires d’un autre genre, c’est anéantir tous les avantages dont jouissent ces provinces ; et ce ne sont pas des privilèges odieux, des dérogations au droit commun, ce sont des avantages que le royaume entier partage et qui constituent la force d’une des parties intégrantes du tout. Rien ne peut obliger une province à s’épuiser, à perdre son numéraire, à sacrifier toutes ses facultés pour libérer ou enrichir les autres provinces. A l’appui de ce que je viens d’établir, je citerai le sentiment des administrateurs de la Flandre. Depuis qu’elle est sous la domination française, ils ont tous fait, lors des vacances d’abbayes, les plus fortes représentations pour écarter les com-tnendes, et pour engager le ministre à ne pas établir de trop fortes charges en pensions sur ces abbayes; ils ont pensé avec raison et constamment que la prospérité de ces provinces n’était due qu’à ce genre de possesseurs, qui fécondaient la terre par leurs avances et consommaient utilement sur les lieux. Qu’on ne dise pas que les provinces doivent se considérer comme les parties indivisibles d’un môme tout; qu’une province ne peut pas récla* mer des avantages locaux en particulier; que l’empire français enfin n’est plus qu’une grande machine, une grande terre, dont toutes les richesses doivent également se confondre. On aura raison, si l’on entend que la France entière doit être soumise à la même puissance, aux mêmes lois et aux mômes impositions proportionnellement réparties ; mais si l’on veut forcer cette vérité et l’appliquer à une distribution de possessions territoriales, cette vérité devient alors une raillerie qui peut fournir des conséquences tout aussi justes et tout aussi ridicules. Tous les Français ne sont-il pas enfants d’une même famille, enfants bien inégalement traités par la nature et la fortune? Proposerait-on de remettre en masse tous les biens de la famille, pour en faire une répartition plus égale ? Mais à présent je vais plus loin et je dirai : l’expérience des temps et des hommes nous prouve assez que ce qu’on appelle des principes ne sont pas des vérités de tous les temps, que toutes les institutions humaines sont toujours soumises à des révolutions, seulement plus ou moins éloignées. N’est-il pas possible que le système d’unité et de fusion entre toutes les parties de la monarchie soit suivi d’un système tout opposé, et peut-être non moins favorable aux peuples ? celui par exemple, de plusieurs petits Etats administrés chacun séparément et différemment, d’après le génie de ses habitants, et cependant réunis sous un gouvernement général pour se prêter mutuellement des secours: dans ce cas les provinces de Flandre et de Hainaut, chacune divisées par moitié, sous deux dominations différentes, ne penseront-elles pas à se réunir comme elles l’ont été, et ne serait-ce pas y établir un obstacle que de priver certaines parties de ces provinces de leurs richesses ecclésiastique quand les autres les conservent? Je conclus donc par dire que, si les biens ecclésiastiques des provinces belges sont vendus, J Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1789.] 639 le produit en doit appartenir à ces mêmes pro-w vinces, pour être appliqué à des établissements ' et avantages publics sur les lieux, et jamais, dans aucun cas, n’être employé comme hypothèques pour la créance de l’Etat ¥ Mais si ces biens, dira-t-on, ne sont pas vendus, nepeuvent-il pas être administrés par des assemblées provinciales pour le plus grand bien de la province? Tout ce que j’ai établi en faveur du clergé s’applique également à cette question, * puisque j’ai prouvé que la prospérité de la province dérivait de l’administration des religieux possesseurs : l’expérience apprend que ces possesseurs seuls administrent leurs biens de la ma-r nière la plus utile, et que l’intérêt est le plus sûr garant des efforts qu’on fait pour le maintien et l’augmentation des produits d’une possession. 11 est facile de combiner les plus beaux plans d’ad-� ministration et de gestion ; mais ils échoueront tous, quand on les comparera à la simplicité des moyens d’un possesseur : toute surveillance serait inférieure, et ne pourrait être comparée aux * soins éclairés et animés d’un possesseur modéré. Les dépenses de l’administration de ces biens, la multitude des agents, l’infidélité des uns, l’impéritie des autres, absorberont les produits ; les dépenses accroîtront et le revenu tarira ; et cette �portion du peuple indigent, secourue mutuellement, et par des dons en argent et par des avances en denrées, sera abandonnée à la rigueur des saisons: et les greniers fondés sur l’abon-* dance et l’économie cesseront d’exister, et le peuple sera privé d’une ressource assurée dans un temps de disette. Ce n’est pas la cause du clergé que je soutiens : ►c’est celle du peuple, celle de la province qui m’a choisi ; c’est celle de la justice: il n'y a d'utile que ce qui est juste; et eu considérant l’union de tou les les parties dans l’ordre politique, c’est » celle du royaume. M. le Chapelier. Je m’étonne d’avoir entendu rapporter avec tant de confiance, au milieu de cette Assemblée, ces expressions: nos adversaires, nos biens ..... Je m'étonne d’avoir vu quelques-uns de nos collègues se réunir, faire cause �commune, se défendre comme un particulier indépendant de nous qui serait traduit à notre tribunal, et je sens combien il est important d’achever de détruire ces idées de corps et d’ordre * qui renaissent sans cesse. La nation peut-elle déclarer les gens de mainmorte inhabiles à posséder des biens ? Voilà la question. v On a souvent divagué dans la discussion ; je réponds par deux propositions: , Premièrement, les gens de mainmorte, respectivement à la nation, n’ont jamais eu de propriété. Tous les établissements, depuis le plus révéré jusqu’au moins respectable, ont reçu leur existence de la nation pour le plus grand bien de , l’Etat. Ils ont été chargés d’une mission quelconque ; des moyens d’exécution leur ont été confiés ; ils ont dû administrer avec ces moyens, mais ils ne sont pas devenus propriétaires de ces moyens. Le clergé est un de ces établissements. * Secondement, le clergé n’a donc jamais été propriétaire, mais seulement administrateur. Je ne puis, en effet, reconnaître la propriété dans l’usufruitier, dans celui qui n’a pas même ►la totalité de la jouissance de cet usufruit : je n’y vois que l’administrateur. Eût-il été propriétaire, le clergé le serait-il encore? Gette corporation, cet ordre, n’a-t-il pas cessé d’exister? Je ne le vois plus que parmi les superbes débris d’une immense révolution, il est devenu le patrimoine de l’histoire. La nation est-elle propriétaire? Pour qui les églises retentissent-elles de prières? Pour la nation. A qui a-t-on donné? Aux individus? Vous ne le pensez pas ; au culte ? Vous avez raison; mais le culte à qui appartient-il? A la nation. Dans des besoins pressants on a pris une partie de votre revenu ; et vous dites que c’est de votre consentement I Quel droit auriez-vous eu de faire ces dons d’un revenu qui ne vous appartenait pas en entier? Le Roi en a disposé pour la nation, parce que la nation était propriétaire, parce que le salut du peuple est la première loi. Quand on a dit que la nation était propriétaire, vous avez répondu qu’il était dangereux qu’elle le fût ; et c’est le sort des grandes vérités d’ctre contestées. Celle-ci a été défendue par les raisonnements, par les faits, par des autorités respectables. On a rappelé le sentiment de M. Tur-got : citer ce ministre, c’est attester la vertu même. Vous avez parlé des droits des fondateurs, mais les fondations existent-elles autrement que parla loi? mais les fondateurs ont-ils pu enchaîner la loi?... Hâtons-nous de décréter le principe, une foule d’intérêts l’exigent la Constitution le réclame : elle n’est pas faite, s’il n’est consacré. Vous avez voulu détruire les ordres, parce que leur destruction était nécessaire au salut de l’Etat: si le clergé conserve ses biens, l’ordre du clergé n’est pas encore détruit. Vous lui laissez nécessairement la faculté de s’assembler, vous consacrez son indépendance, vous préparez la désorganisation du corps politique que vous êtes chargés d’organiser. On dira que vous empêcherez ces assemblées ; vous ne le pourrez pas, car vous avez supprimé les dîmes. Les curés ne sont pas dotés; pour remplacer ces dotations, il faudra des répartitions; pour faire ces répartitions, il faudra des assemblées ..... Que les individus qui composent le clergé ne soient donc à l’avenir que des citoyens. 11 me semble que si j’avais l’honneur d’êlre ministre des autels, j’aimerais mieux recevoir de la nation que d’une assemblée de prélats et d’abbés ..... Le clergé offre des dons ; mais de quel droit, mais à quel titre ? 11 les prendra sur le patrimoine du culte, sur le patrimoine des pauvres _____ Redoutez ce piège ; il veut sortir de sa cendre pour se reconstituer en ordre : ces dons sont plus dangereux que notre détresse. On nous parle des pauvres ; mais ne dirait-on pas qu’ils sont une caste dans l’Etat, comme le clergé? Doit-on laisser le soin de leur subsistance aux ecclésiastiques? Que peut un bénéficier? (Jne stérile et dangereuse charité, propre à entretenir l’oisiveté. La nation, au contraire, établira dans ces maisons de prière et de repos des ateliers utiles à l’Etat, où l’infortuné trouvera la subsistance avec le travail... 11 n’y aura plus de pauvres que ceux qui voudront l’être. Je conclus à ce qu’on décrète le principe conformément aux vues de M.Thcuret, avec l’amendement que la dotation annuelle de 1,200 livres donnée aux curés sera payée en grains, etc. On demande d’aller aux voix. M. le comte de Mirabeau. L’excellent esprit deM. Le Chapelier a prévu tout ce que je me proposais de dire. Je voulais cependant répondre au déü de M. l’abbé de Montesquiou. 640 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES . Vous allez décider une grande question. Elle intéresse la religion et l’Etat; la nation et l’Europe sont attentives, et nous nous sommes arrêtés jusqu’à présent à de frivoles, à de puériles objections. C’est moi, Messieurs, qui ai eu l’honneur de vous proposer de déclarer que la nation est pro-priélaire des biens du clergé. Ce n’est point un nouveau droit que j’ai voulu faire acquérir à la nation; j’ai seulement voulu constater celui qu’elle a, qu’elle a toujours eu, qu’elle aura toujours ; et j’ai désiré que cette justice lui fût rendue, parce que ce sont les principes qui sauvent les peuples, et les erreurs qui les détruisent. Supposez qu’au lieu de la motion que j'ai faile, je vous eusse demandé de déclarer que les individus sont les seuls éléments d’une société quelconque, personne n’aurait combattu ce principe. Si je vous avais proposé de décider que des sociétés particulières , placées dans la société générale, rompent l’unité de ses principes et l’équilibre de ses forces, personne n’aurait méconnu cette grande vérité. Si je vous avais dit de consacrer ce principe : que les grands corps politiques sont dangereux dans un Etat, par la force qui résulte de leur coalition, par la résistance qui naît de leurs intérêts, il n’est aucun de vous pour qui ce danger n’eût été sensible. Si je vous avais transportés à l’époque de la société naissante, et que je vous eusse demandé s’il était prudent de laisser établir des corps, de regarder ces agrégations comme autant d’individus dans la société, de leur communiquer les actions civiles, et de leur permettre de devenir propriétaires à l’instar des citoyens, qui de vous n’aurait pas reconnu qu’une pareille organisation ne pouvait être que vicieuse? Si, vous peignant ensuite le clergé tel qu’il est, avec ses forces et ses richesses, avec son luxe et sa morale, avec son crédit et sa puissance, je vous avais dit : Croyez-vous que si le clergé n’était pas propriétaire, la religion fût moins sainte, la moralité publique moins pure, et les mœurs du clergé moins sévères? Pensez-vous que le respect du peuple pour les ministres des autels fût moins religieux ou que sa conlianceen eux fût moins ébranlée, s’il n’était plus forcé de comparer leur opulence avec sa misère, leur superflu avec ses besoins, et ses travaux avec la rapidité de leur fortune ? Vous imaginez-vous qu’il soit impossible de supposer le clergé respectable, stipendié par l’Etat comme sa magistrature, son gouvernement, son armée, et même comme ses rois, ayant des revenus et non des propriétés , dégagé du soin des affaires terrestres, mais assuré d’une existence aussi décente que doivent le comporter ses honorables fonctions? Si j’avais continué de vous dire : Ne voyez-vous pas que les trois quarts du clergé ne sont réellement que stipendiés des autres membres du même corps, et qu’autant vaut-il qu’ils le soient de l’Etat? ne voyez-vous pas que toutes les grandes places du clergé sont à la nomination royale, et qu’il est indifférent pour celui qui en est l’objet que cette nomination donne un revenu fixe, ou des possessions territoriales? il n’est certainement aucun de ces principes que vous n’eussiez adopté. Enfin, Messieurs, si je vous avais dit : Le clergé convient qu’il n’y a que le tiers de ses revenus qui lui appartienne; qu’un tiers doit être consaerê à l’entretien des temples, et un autre tiers au sou-[2 novembre 4789.] lagemeutdes pauvres : établissez donc trois caisses de revenu de ces biens; déclarez que le tiers qui sera destiné aux ministres des autels sera chargé p de toutes les dettes du clergé, et supportera encore une portion proportionnelle des impôts ; Si je vous avais dit : Les ministres des autels ne doivent pas même avoir le tiers des revenus de ’ l’Eglise, parce que les besoins publics auxquels ces biens étaient destinés sont beaucoup moindres que dans le temps où les fondations ont été faites, et que tandis que ces besoins ont diminué * par l’effet inévitable de la perfection sociale, les biens se sont accrus par l’effet non moins inévitable du temps ; Si j’avais ajouté qu’il ne faut pas comprendre , dans le tiers des biens destinés aux ministres des autels les domaines que les ecclésiastiques ont acquis du produit des autres biens, parce que ce produit ne leur appartenait point, d’après leurs propres principes ; qu’ils n’auraient rien épargné * s’ils s’étaient contentés du simple nécessaire que leur accordent les canons de l’Eglise, et que c’est à la nation, protectrice des pauvres et du culte, à surveiller si les fondations ont été remplies ; 1 Si j’avais dévoilé comment le clergé, depuis plus d’un siècle, a grevé les biens de l’Eglise d’une dette immense, en empruntant au lieu d’imposer, en ne payant que les intérêts de sa contribution� annuelle, au lieu de payer cette contribution sur ses revenus, à l’instar de tous les autres citoyens, et que j’eusse demandé qu’il fût forcé d’aliéner sur le tiers qui lui appartient, jusqu’à la concur-* rence de ses dettes; Si je vous avais dit : Que le clergé soit propriétaire ou qu’il ne le soit pas, il n’en est pas moins indispensable de distinguer ses possessions légitimes de ses usurpations évidentes; une foule de* bénéfices existent sans service, un grand nombre de fondations ne sont pas remplies; voilà donc encore des biens immenses qu’il faut retrancher du tiers qui doit rester au clergé. Vous avez dé-’ claré qu’une foule de droits seigneuriaux n’étaient que des usurpations, et d’après ce principe vous les avez supprimés sans indemnité. N’y aura-t-il d’inviolable que les usurpations de l’Eglise? Si j'avais encore observé que beaucoup d’abbayes ne sont que de création royale; que beau---, coup de sécularisations d’ordres religieux ne permettent plus d’exécuter la volonté des premiers fondateurs, pour laquelle on voudrait aujourd’hui nous inspirer tant de respect; que plusieurs corps < ecclésiastiques ont été détruits du consentement du clergé ; qu’il est très-facile, sans nuire au service des églises, de diminuer le nombre des évêques ; que les richesses ecclésiastiques sont trop inégalement distribuées pour que la nation puisse� souffrir plus longtemps la pauvreté et la chaumière d’un utile pasteur à côté du luxe et des 1 palais d’un membre de l’Eglise souvent inutile, u n’est aucune de ces réflexions qui ne vous eêr paru digne d’attention et susceptible de quelque loi. Eh bien ! Messieurs, ce n’est rien de tout cela que je vous ai dit. Au lieu d’entrer dans ce dé-v dale de difficultés, je vous ai proposé un parti plus convenable et plus simple. Déclarez, vous ai-je dit, que les biens de l’Eglise appartiennent à la nation; ce seul principe conduira à mille ré-< formes utiles, et par cela seul tous les obstacles sont surmontés. Mais non : s’il en faut en croire quelques membres du clergé, le principe que je vous propose de4 déclarer n’est qu’une erreur. Le clergé, que j’avais cru jusqu’ici n’être qu’un [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1789.] � simple dispensateur, qu’un simple dépositaire, ne doit pas seulement jouir des biens de l’Eglise, il doit encore en avoir la propriété; et la religion, la morale et l’Etat seront ébranlés si l’on touche * à ses immenses richesses. Permettez donc, Messieurs, que je vous rappelle encore quelques principes, et que je réponde à � quelques objections. La nation a certainement le droit d’établir ou v de ne pas établir des corps; je demande d’abord que l’on admette ou que l’on nie ce principe. Si on le nie, je prouverai que les corps ne peuvent pas être des éléments de l’ordre social, puisqu’ils n’existent point dans l’instant où la société se forme, puisqu’ils n’ont que l’existence morale > que leur donne la loi, puisqu’ils sont son ouvrage, et que la question de savoir s’il faut permettre .. des sociétés particulières dans la société générale, ne peut certainement être décidée que par la société entière, lorsqu’elle se trouve déjà formée. Admettre d’autres principes, ce serait admettre T des effets sans cause. , M, l’abbé Maury prétend que les corps peuvent * s’établir sans le concours de la loi, et par la seule volonté des individus auxquels il plaît de former une agrégation politique. * Mais' il est facile de lui répondre que ce n’est point la réunion matérielle des individus qui forme une agrégation politique; qu’il faut pour cela qu’une "telle agrégation soit regardée comme * un individu dans la société générale; qu’elle ait une personnalité distincte de celle de chacun de ** ses membres, et qu’elle participe aux effets civils ; or, il est évident que de pareils droits intéressant fc la société entière ne peuvent émaner que de sa puissance; et, à moins de supposer que quelques individus peuvent faire des lois, il est absurde de soutenir qu’ils puissent établir des corps, ou que - les corps puissent se former d’eux-mêmes. Ayant une fois prouvé, Messieurs, que la sociélé a le droit d’établir ou de ne pas établir des corps, je dis qu’elle a également le droit de décider si les .a, corps qu’elle admet doivent être propriétaires ou �ne l’être pas. La nation a ce droit, parce que, si les corps n’existent qu’en vertu de la loi, c’est à la loi à modifier leur existence; parce que la faculté d’être , propriétaire est au nombre des effets civils, et qu’il dépend de la société de ne point accorder * : tous les effets civils à des agrégations qui ne sont ' que son ouvrage; parce qu’entin la question de v savoir s’il convient d’établir des corps est entièrement différente du point de déterminer s’il con-vient que ces corps soient propriétaires. M. l’abbé Maury prétend qu’aucun corps ne peut , exister sans propriété. Je me bornerai à luideman-der quels sont les domaines de la magistrature etdc > ‘ l’armée; je lui dirai: Quelle était donc la propriété s du clergé dans la primitive Eglise: Quels étaient les domaines des membres des premiers conciles? On peut supposer un état social sans propriétés, même individuelles, tel que celui de Lacédémone, pendant la législature de Lycurgue. Pourquoi donc ne pourrait-on pas supposer un corps quelconque, et surtout un corps de clergé, sans propriété ? Après avoir prouvé, Messieurs , que la nation a le droit d’établir ou de ne pas établir des corps; '! que c’est encore à elle à décider si ces corps doivent ► être propriétaires ou ne pas l’être, je dis que, partout où de pareils corps existent, la nation a le » droit de les détruire, comme elle a eu celui de les établir , et je demande encore qu’on admette ou que l’on nie ce principe. Je dirai à ceux qui voudraient le contester, qu’il lre Sérié, T. IX. 641 n’est aucun acte législatif qu’une nation ne puisse révoquer; qu’elle peut changer, quand il lui plaît, ses lois, sa constitution, son organisation et son mécanisme; la même puissance qui a créé peut détruire, et tout ce qui n’est que l’effet d’une volonté générale doit cesser dès que cette volonté vient à changer. Je dirai ensuite que l’Assemblée actuelle n’étant pas seulement législative, mais constituante , elle a, par cela seul, tous les droits que pouvaient exercer les premiers individus qui formèrent la nation française. Or, supposons pour un moment qu’il fût question d’établir parmi nous le premier principe de l’ordre social : qui pourrait nous contester le droit de créer des corps ou de les empêcher de naître, d’accorder à des corps des propriétés particulières, ou de les déclarer incapables d’en a< quérir? Nous avons donc aujourd’hui le même droit, à moins de supposer que notre pouvoir constituant soit limité, et certes nous avons déjà fait assez de changements dans l’ancien ordre de choses pour que la proposition que j’ai l’honneur de vous soumettre ne puisse pas être regardée comme au-dessus de votre puissance. Je crois donc, Messieurs, avoir prouvé que c’est à la nation à établir des corps, que c’est à elle à les déclarer propriétaires, et qu’elle ne peut jamais être privée du droit de les détruire. Or, de là je conclus que, si les corps peuvent être détruits , les propriétés du corps peuvent l’être. Je demande encore, Messieurs , que l’on admette ou que l’on nie cette conséquence. Je dirai à ceux qui voudraient la nier, que l’effet doit cesser avec la cause , que le principal emporte l’accessoirej qu’il est impossible de supposer des propriétés sans maîtres, et des droits à ceux qui n’existent plus. Appliquons maintenant ces principes au clergé. Certainement, ou tous les principes que j’ai établis sont faux, ou la nation a le droit de décider que le clergé ne doit plus exister comme agrégation politique ; elle a ce droit, à moins qu’on ne prétende qu’une nation est liée ou par la volonté de quelques-uns de ses membres, ou par ses propres lois, ou par son ancienne constitution ; or comme rien de tout celane peut enchaîner une nation, elle peut donc exercer le droit que je viens d’admettre. Supposons maintenant qu’elle l’exerce, je demande ce que deviendront alors lesbiens du clergé? Retourneront-ils aux fondateurs? Seront-ils possédés par chaque église particulière? Seront-ils partagés entre tous les ecclésiastiques, ou la nation en sera-t-elle propriétaire? Je dis d’abord qu’il est impossible que les biens retournent aux fondateurs, soit parce qu’il est très-peu de fondations qui portent la clause de réversibilité, soit parce que ces biens ont une des-stination qu’il ne faut pas cesser de remplir , et qu’ils sont irrévocablement donnés, non point au clergé, mais à l’Eglise, mais au service des autels, mais à l’entretien des temples, mais à la portion indigente de la société. Je dis ensuite qu’ils ne peuvent pas appartenir à chaque église en particulier, parce qu’une église, une paroisse, un chapitre, un évêché sont encore des corps moraux qui ne peuvent avoir la faculté de posséder que par l’effet de la loi ; et de là je conclus que M. l’abbé Maury tombe dans une véritable pétition de principe, lorsqu’il prétend que si les fondateurs n’on pas pu donner irrévocablement à l’Eglise, en général, ils ont pu donner irrévocablement à chaque église. Il n’est pas moins évident , Messieurs, que le 41 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1789.} 042 [Assemblée nationale.] clergé n’existant plus comme corps politique, les ecclésiastiques sauraient pas le droit de se partager ses immenses dépouilles. L’absurdité d’une telle prétention se fait sentir d’elle-même. Tous les biens de l’Eglise n’ont pas des titulaires; les titulaires mêmes ne sont que détenteurs , et il faut nécessairement que des biens qui ont une destination générale aient une administration commune. Il ne reste donc, Messieurs, que la nation à qui la propriété des biens du clergé puisse appartenir; c’est là le résultat auquel conduisent tous les principes. Mais ce n’est point assez d’avoir prouvé que les biens de l’Eglise appartiendraient à la nation , si le clergé venait à être détruit comme corps politique ; il suit également des détails dans lesquels je viens d’entrer, que la nation est propriétaire, par cela seul qu’en laissant subsister le clergé comme corps, nous le déclarerions incapable de posséder. Ici reviennent tous les principes que j’ai établis. La capacité de posséder à titre de propriétaire est un droit que la loi peut accorder ou refuser à un corps politique, et qu’elle peut faire cesser après l’avoir accordé, car il n’est aucun acte de la législation que la société ne puisse pas révoquer. Vous ne ferez donc autre chose , Messieurs, que décider que le clergé ne doit pas être propriétaire, lorsque vous déclarerez que c’est la nation qui doit l’être. Mais ce n’est pas assez, il reste encore une difficulté à résoudre. Ne sera-ce que de l’époque de votre loi que la nation sera propriétaire, ou l’aura-t-elle toujours été? Est-ce une. loi que nous allons faire, ou un principe que nous allons déclarer ? Faut-il, comme dit M. l’abbé Maury, tuer le corps du clergé pour s’emparer de ses domaines? Ou bien est-il vrai que l’Eglise n’a jamais eu que l’administration, que le dépôt de ces mêmes biens? Cette question, Messieurs, qu’on n’a peut-être pas suffisamment traitée dans les précédentes séances, est encore facile à résoudre par la seule application des principes que j’ai établis. En effet, Messieurs, si tout corps peut être détruit, s’il peut être déclaré incapable de posséder, il s’ensuit que ses propriétés ne sont qu’incertaines, momentanées et conditionnelles ; il s’ensuit que les possesseurs des biens dont l’existence est ainsiprécaire, ne peuvent pas être regardés comme des propriétaires incommutables, et qu’il faut par conséquent supposer pour ces biens un maître plus réel, plus durable et plus absolu. Ainsi, Messieurs, s’agit-il d’un corps dont les biens, s’il vient à être détruit, peuvent retourner à chacun de ses maîtres? Dans ce cas, on peut dire à chaque instant, même lorsqu’un tel corps existe, que les individus qui le composent sont réellement propriétaires de ses biens. S’agit-il, au contraire, d’un corps dont les biens ont une destination publique, qui doit survivre à sa destruction, et dont les propriétés ne peuvent retourner dans aucun cas aux membres qui le composent? On peut dire alors, à chaque instant, d’un pareil corps, que les véritables propriétaires de ses biens sont ceux à qui ils sont principalement destinés. Dans le premier cas, la loi qui a permis à un corps d’être propriétaire, ne lui a donné ce pouvoir que pour l’exercer au nom de ses membres. Dans le second cas, la loi n’a accordé cette faculté que pour l’exercer au nom de la nation. En effet, Messieurs, ne vous y trompez pas : c’est pour la nation entière que le clergé a recueilli ses richesses ; c’est pour elle que la loi lui a permis de recevoir des donations ; puisque, sans les libéralités des fidèles, la société aurait été forcée elle-même de donner au clergé des revenus, dont ces propriétés, acquises de son consentement, n’ont été que le remplacement momentané. Et c’est pour cela que les propriétés do l’Eglise n’ont jamais eu le caractère de propriété particulière. M. l’abbé Maury fait encore une objection sur ce point. « Une société, dit-il, ne peut avoir que l’empire et la souveraineté sur les biens de ses membres, et non point le domaine sur les mêmes biens. On opposa, continue-t-il, cette distinction à des empereurs romains, à qui de lâches jurisconsultes voulaient attribuer une propriété immédiate : et une grande pensée sauva le genre humain d’une grande calamité. Le même système, dit-il encore, a été renouvelé par le chancelier Duprat, par M. de Paulmy, et plus récemment par M. de Puységur ; mais' il a constamment été rejeté comme tyrannique. » U est facile de répondre à M. l’abbé Maury, qu’il ne s’agit point ici du droit du prince, mais du droit de la nation ; qu’il est très-vrai que le prince n’a sur les biens de ses sujets, ni domaine, ni empire ; mais qu’il n’est pas moins certain que la nation française jouit d’un droit de propriété sur une foule de biens qui, sans qu’elle les possède ostensiblement, sont destinés à ses besoins et administrés en son nom : et pour le prouver sans réplique, je n’ai besoin que de demander à M. l’abbé Maury si la nation n’a pas la propriété du domaine de' l’Etat, qu’on appelle si improprement le domaine de la couronne? si elle ne le possède pas à l’instar des propriétés particulières? si ce n’est pas en son nom que le prince en a joui jusqu’à présent? enfin, s'il ne serait pas en son pouvoir de l’aliéner, d’en retirer le prix, et de l’appliquer au payement de la dette ? Il est donc vrai qu’outre” la souveraineté, la nation en corps peut avoir des propriétés particulières : il ne s’agit donc plus que de savoir si c’est au nom de la nation que l’Eglise jouit de4 ses biens, comme c’est pour la nation que le Roi possède ses domaines. Or, pour décider cette question, il suffit de comparer les propriétés de l’Eglise avec toutes les autres propriétés qui nous sont connues. Je distingue cinq sortes de propriétés : les propriétés particulières, qui sont de deux espèces, selon qu’elles appartiennent à de simples individus ou à des corps autres que l’Eglise. Les fiefs de la noblesse, qui sont également des propriétés particulières, mais qu’il est à propos de considérer séparément pour répondre à quelques objections de M. l’abbé Maury ; les domaines de l’Etat et les biens de l’Eglise.” Si je considère les propriétés des individus dans leur nature, dans leurs effets, et relativement à la sanction de la loi, je découvre : 1° Que chaque individu possède en vertu du droit de posséder qu’il a donné aux autres, et que tous ont donné à un seul; or, ce premier caractère ne convient point aux propriétés de l’Eglise, ni aux propriétés d’aucun corps ; 2° Que le droit sur lequel les propriétés particulières sont fondées est, pour ainsi dire, coexistant avec l’établissement des sociétés, puisqu’il prend sa source dans la faculté qu’a tout individu de participer aux avantages qu’auront tous les autres membres avec lesquels il va former une agrégation politique : or, ce second caractère ne convient pas non plus aux biens du clergé ni d’aucun corps; n’ayant été établis 643 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1789.] „ qu’après que la société a été formée, ils ne peuvent avoir aucun droit coexistant avec elle, et qui en quelque sorte fait partie du pacte social; 3° Qu’il ne faut point de lois distinctes pour r assurer le domaine des propriétés particulières ; car, à moins d’ordonner dès le principe une com-munauté de possessions, l’établissement et la � garautie des biens propres aux individus sont une suite nécessaire de la fondation même de la v société : or, ce troisième caractère est encore étranger aux biens du clergé et d’un corps quelconque. Il est évident qu’à leur égard la capacité d’acquérir ne pourrait être que l’ouvrage de la législature et de la loi. Enfin, je découvre que chaque individu jouit .?■ de son bien, non à' titre d’engagement, puisqu’il peut l’aliéner; non comme dépositaire, puisqu’il > peut le dissiper ; non comme usufruitier, puisqu’il peut le détruire ; mais en maître absolu, mais comme il peut disposer de sa volonté, de son bras, de sa pensée. Or, aucun de ces carac-- tères ne convient encore au clergé : il ne peut aliéner ses biens, il n’a pas le droit de les trans-v mettre; il n’en est que le dispensateur plutôt que le véritable usufruitier. Lorsque les propriétés particulières appartiennent, non point à des individus, mais à des corps non politiques, une partie des caractères dont je viens de parler cesse alors de leur con-4 venir, mais elles en conservent encore assez pour les distinguer des biens de l’Eglise. Les propriétés des corps ne peuvent pas être fondées sur ce droit qu’apporte tout homme qui entre dans une société, d’avoir des possessions * exclusives, s’il permet, et si tous permettent d’en posséder; car les corps ne sont pas comme les individus, les premiers élémen ts de la société; ils n’en précèdent pas l’existence, ils ne peuvent pas avoir des droits dans l’instant même qu’elle est formée. Il est encore vrai que les propriétés particulières des corps non politiques ne dépendent pas � de la primitive organisation donnée à l’état so-cial ; qu’elles ne dépendent pas de l’établissement „ des autres propriétés ; qu’elles n’en sont pas la suite nécessaire, et qu’elles ne peuvent être l’ouvrage que d’une loi particulière. Mais, à cela près, de pareils corps possèdent , avec la même puissance, avec le même domaine que de simples individus. Ils peuvent aliéner ; ils disposent des fruits ; ils transmettent les fonds; ils agissent en maîtres : or, le clergé n’a ni les fruits ni les fonds de ses domaines. Il ne * peut prendre que sa dépense personnelle sur les biens de l’Eglise; il arrive meme très -rarement que le titulaire qui possède ait le droit de choisir le dispensateur qui devra le remplacer. 4 Si des propriétés particulières dont je viens de parler je passe à celles de la noblesse, qui sont connués sous le nom de fiefs, il est facile de montrer qn’elles ont tous les caractères des pro-> priêtés des simples individus. Si on considère les fiefs comme ayant été acquis par ceux qui les possèdent, ce sont là de véritables propriétés individuelles qui méritent toute la protection de la » loi. Si on regarde les fiefs comme ayant été formés dans l’instant même de la première conquête y du sol du royaume, ils ont dès lors la même ori-' gine que tous les alleux et que toutes les propriétés. Si l’on suppose au contraire qu’ils ont * été donnés ou établis par le Roi, une foule de caractères les distinguent encore sous le rapport des biens de l’Eglise ; les fiefs n’ont pas été donnés à la noblesse pour remplir une destination publique ; ils n’ont pas été donnés à titre d’engagement ni à titre de dépôt-Ceux qui les ont reçus n’ont pas été regardés comme les simples dispensateurs de leur produit; ils les ont obtenus comme une récompense ou comme un salaire ; ils en sont devenus les véritables maîtres; ils ont pu les transmettre à leurs descendants. Or, je demande si l’on peut dire la même chose des biens de l’Eglise ; ils n’ont pas été donnés à des individus, mais à un corps; non pour les transmettre, mais pour les administrer; non à titre de salaire, mais comme un dépôt ; non pour l’utilité particulière de ceux qui devaient les posséder, mais pour remplir une destination publique et pour fournir à des dépenses qui auraient été à la charge même de la nation. Les biens de l’Eglise n’ont donc rien de commun avec ceux de la noblesse ; l’intérêt personnel, l’intérêt qui cherche à accroître ses forces et à se donner des auxiliaires, cherche en vain à prouver que des propriétés si différentes ont la même origine et doivent craindre le même sort. La noblesse ne sera point effrayée par ces vaines menaces, et tout intérêt personnel disparaîtra devant la suprême loi de l’Etat. 11 ne reste donc plus, Messieurs, qu’à examiner ce que c’est que le domaine de la couronne, et à le comparer avec les biens de l’Eglise. Ce domaine est une grande propriété nationale. Les rois n’en sont ni les maîtres, ni les possesseurs, ni même les détenteurs ; c’est le gouvernement qui l’administre au nom de la nation; ses produits sont destinés au service public , ils remplacent une partie des impôts ; et l’Etat sous ce rapport en a tout à la fois la propriété et la jouissance. Or, ne retrouve-t-on pas évidemment la même origine, la même destination, les mêmes effets dans les possessions de l’Eglise? Ses biens, comme le domaine de la couronne, sont une grande ressource nationale. Les ecclésiastiques n’en sont ni les maîtres, ni même les usufruitiers; leur produit est destiné à un service public ; il tient lieu des impôts qu’il aurait fallu établir pour le service des autels, pour l’entretien de leurs ministres ; il existe donc pour la décharge de la nation. Voilà, Messieurs, deux sortes de biens entièrement semblables, et dont l’un appartient certainement à l’Etat ; voilà deux sortes de biens qui n'ont rien de commun ni avec les propriétés des individus, ni avec les propriétés individuelles des corps non politiques, ni avec les fiefs de la noblesse: or, delà je tire plusieurs conséquences. La première, qu’il n’est pas plus incompatible que la nation soit propriétaire des biens de l’Eglise, qu’il ne l’est qu’elle soit propriétaire des domaines de la couronne. La seconde, que c’est pour son intérêt personnel, et, pour ainsi dire, en son nom, que la nation a permis au clergé d’accepter les dons des fidèles. La troisième, que si le clergé cesse de posséder ces biens, la nation peut seule avoir le droit de les administrer, puisque leur destination est uniquement consacrée à l’utilité publique ; or, comme je l’ai déjà démontré, celui-là seul qui doit jouir des biens d’un corps lorsque ce corps est détruit, est censé en être le maître absolu et incom mutable, même dans le temps que le corps existe ; le possesseur ne peut avoir qu’un titre précaire et absolument subordonné à la loi. Enfin, Messieurs, dans les observations que j’ai eu l’honneur de vous présenter dans les pré* [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1789.] 644 édentes séances, j’ai établi la propriété de la nation sur les biens de l’Eglise, en considérant ces biens sous un autre point de vue. Je vous ai dit: le clergé ne peut avoir acquis ses biens que de quatre manières différentes ; il les tient de nos rois, des agrégations politiques, c’est-à-dire des corps et communautés, ou des particuliers, ou de lui-même. S’il les tient de nos rois, tout ce que le prince a donné pour remplir une destination publique est censé donné par la nation qui, sans la munificence de nos rois, aurait été forcée de doter elle-même les églises ou leurs ministres. La nation est donc propriétaire sous le premier rapport ; elle peut reprendre des biens qui lui appartenaient, qui n’ont été donnés que par son chef, en son nom et pour elle. Si l’Eglise tient ses biens des agrégations politiques, ces agrégations n’ont fait en cela que payer leur contingent d’une dette publique et solidaire entre toutes les communautés et tous les individus du royaume ; elles n’ont fait que devancer et rendre inutile, un impôt général qu’il aurait été indispensable d’établir. Sous ce nouveau rapport, la nation est donc encore propriétaire des biens de l’Eglise. Si elle les tient de la libéralité des individus, ceux-ci n’ont pas dû ignorer qu’aucun corps politique ne pouvait être incommutablement propriétaire; ils ont dû savoir que la nation pouvait déclarer un tel corps incapable de posséder ; et puisqu’ils ont donné des biens pour une destination publique, ils ont dû s’attendre que ce serait la nation qui les administrerait elle-même, lorsqu’elle jugerait à propos de faire une telle loi. Il suit de là, que leur véritable intention, celle du moins qu’il faut leur supposer dans l’ordre des lois, ne peut pas être trompée, quoique la nation se déclare propriétaire. Enfin, si l’Eglise tient ses biens d’elle-même et des acquisitions que ses revenus lui ont permis de former, il est évident que si de telles acquisitions sont contraires à la volonté des donateurs, elles n’ont procuré aucun nouveau droit à l’Eglise, et que si les donateurs sont censés les avoir approuvés, il faut dès lors appliquer à ces biens tout ce que j’ai dit de ceux que l’Eglise a reçus directement des fondateurs. Vous avez dû être étonnés, Messieurs, delà manière dont M. l’abbé Maury a cru répondre à ces principes. D’un côté, a-t-il dit, je n’ai parlé que des fondations, et l’Eglise possède des biens à d’autres titres ; d’un autre côté, tous les biens donnés à l’Eglise n’ont pas été destinés au culte, ni par conséquent à l’utilité publique ; en troisième lieu, aucun fondateur n’a traité avec l’Eglise en généra], mais seulement avec chaque église en particulier. Il est facile, Messieurs, de répondre à ces trois objections. J’ai nécessairement parlé de tous les biens de l’Eglise, lorsque j’ai parlé de ceux qu’elle avait reçus de nos rois, désagrégations politiques et des simples particuliers ; car ces donations, ces fondations, ces legs, ces héritages, ne peuvent avoir d’autre source. D’un autre côté, les biens donnés à l’Eglise, à quelque titre que ce soit, n’ont pu avoir que ces cinq objets : le service du culte, l’entretien des temples, le soulagement des pauvres, la subsistance des prêtres, et les prières particulières pour les familles des fondateurs. Certainement les quatre premiers objets ne tiennent qu’à une destination publique. Je pourrais dire du cinquième, qu’il est facile de croire que dans les siècles d’i - gnorance, la plupart des fondateurs ont confondu le véritable culte avec les objets religieux qui ont été le motif de leurs fondations, et qui ont déterminé leurs libéralités; mais il suffira de répondre que les fondations particulières ne seront pas moins remplies, soit que le clergé soit propriétaire, soit qu’il ne le soit pas ; et d’ailleurs, les membres du clergé n’ignorent point que toutes les prières de l’Eglise, lors même qu’elles ont une destination particulière, tournent encore à l'utilité commune de tous les fidèles. Il me suffira de faire observer, sur la troisième objection, que les principes que j’ai établis restent les mêmes, soit que les fondateurs aient traité avec le clergé en général, ou avec chaque église en particulier. Ce n’est jamais en faveur d’un ecclésiastique que les fondations ont été faites. Si c’est en faveur d’une église, chaque église est un corps moral, et dès lors les fondations ne sont pas individuelles, comme on voudrait le prétendre ; l’on sait d’ailleurs que le christianisme ne s’est pas établi tout à la fois dans tout le royaume, et ce n’est qu’en dotant chaque église en particulier qu’on a pu fonder le corps entier de l’Eglise. A présent, Messieurs, que me reste-t-il à discuter? Quelles objections me reste-ilà résoudre? M. l’abbé Maury prétend que le clergé de France existait avant la conquête du royaume; si cela est ainsi, nous permettons au clergé de conserver les domaines qu’il possédait avant cette conquête. Ou plutôt, Messieurs, puisqu’une nation a même le droit de changer son premier pacte social, quelle puissance pourrait l’empêcher de changer l’organisation du clergé, quand même elle l’aurait trouvé formé, tel qu’il est aujourd’hui, au milieu des Gaules idolâtres ? M. l’abbé Maury dit encore qu’il existe des lois dans les capitulaires de Charlemagne qui décident que les propriétés du clergé doivent être conservées. Je n’examinerai point si le mot pro-prietas, qui se trouve dans les lois, est synonyme de dominium, et signifie jouissance ou domaine.� Je ne m’attacherai pas non plus à vérifier si les lois ont été faites simplement par le monarque avec le conseil de ses leudes, ou si elles ont été proclamées dans les champs-d-emars. Je négligerai toutes ces preuves, les plus faibles de toutes, précisément parce que l’on prouverait tout avec elles, et qu’à un monument de prétendu droit public, il est presque toujours un monument contradictoire à opposer (1). Mais je répondrai à M. l’abbé Maury que ces lois particulières n’assuraient la propriété du clergé que vis-à-vis les individus, tout comme il existe des lois qui (1) Cherchez dans les Capitulaires, Bal. tome II, page 825, vous y lirez que la nation disait en 742 : « Statuimus quoque, cum consi lio servorum Dei et populi chrisliani, propter imminenlia bella et perse-culiones cæterarum gentium quæ in chcuitu nostro sunt, ut sub præcario et censu aliquam partem eccle-sialis pecuniæ in adjulorium exercitûs nostri cum in-dulgentiaDei aliquonto lempore retineamus, eâconditione ut annis singulis de unaquaque casata solidus, id est, duodecim denarii ad ecclesiam vel monasterium reddan-tur, eo modo ut si moriatur ille cui pecunia commodala fuit, ecclesia cum proprià pecunià revestita sit; et iterum, si nécessitas cogat, aut prioceps jubeat, preca-rium renovelur et rescribatur novum, et omnino obser-vetur ut ecclesia et monasteria penuriam et paupertatem non patiantur quorum pecunia in precario præslita sit; sed si pauperlas cogat, ecclesiæ et domi Dei reddatur integra possessio. » D’où je conclus : 1° qu’à cette époque on savait très- 645 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1789. avaient établi ses dîmes ; mais que, fût-il vrai - qu’il eût été déclaré propriétaire par une loi nationale, la nation française n’en aurait pas moins conservé le droit de révoquer une telle loi. M. l’abbé Maury nous dit encore que le clergé ' possède comme tous les autres individus; qu’il n’est aucune propriété sociale qui ne soit plus ou moins modifiée; que si l’édit de 1749 a défendu au clergé d’acquérir, il est plusieurs lois qui v renferme la même prohibition pour d’autres classes de citoyens ; enfin, que si le clergé n’a pas le droit d’aliéner, ce n’est là qu’un nouveau moyen qu’il a de conserver. Je me dispenserai de répondre aces sophismes, parce que M. l’abbé Maury lui-même ne peut pas v les regarder comme de sérieuses objections. Certainement, si l’obligation de ne pouvoir pas aliéner est un moyen de plus de conserver, ce ' n’est pas du moins un moyen de montrer que l’on peut disposer d’une chose en maître. M. i’abbé Maury croirait-il prouver bien évidemment que le Roi est propriétaire des domaines de la couronne, parce que le Roi n’a pas le pouvoir de les aliéner ? ’ Je ne m’arrêterai point, Messieurs, à répondre à ceux qui ont attaqué la motion que j’ai faite � d’après les suites qu’elle peut avoir ; je ferai seulement sur cela deux observations qui me paraissent importantes. La première, qu’il ne s’agit pas précisément de >■ prendre les biens du clergé pour payer la dette de l’Etat, ainsi qu’on n’a cessé de le faire enten-dre. On peut déclarer le principe de la propriété de la nation, sans que le clergé cesse d’être l’ad-k ministrateur de ses biens ; ce ne sont point des trésors qu’il faut à l’Etat, c’est un gage et une hypothèque, c’est du crédit et de la confiance. La seconde, c’est qu’il n’est aucun membre du clergé dont la ‘fortune ne soit de beaucoup augmentée par l’effet d’une répartition plus égale, à l’exception de ceux qui ont dix fois plus qu’il ne leur faut, et qui ne doivent redouter aucun sacri-. fice, puisque, même après les réductions les plus •,r‘ fortes, ils auront dix fois plus encore qu’il ne leur faudra. C’est assez, Messieurs ; je ne me suis proposé, en prenant la parole, que de ramener la question à son véritable objet, et je crois avoir rempli ce but. M. l’abbé Maury se plaindra sans doute encore de ce que j’ai employé de la métaphysique ; pour > moi, je lui demanderai comment l’on pent, sans métaphysique, définir la propriété de l’empire, le domaine ; fixer les rapports de l’état naturel à k l’état de société ; déterminer ce que c’est qu’un corps moral ; distinguer les propriétés des individus de celles des corps, et les droits civils des droits politiques. Lorsqu’on n'a que des termes abstraits à mettre en œuvre, lorsque l’objet d’une discussion est métaphysique, il faut bien l’être soi-même, ou se trouver hors de son sujet ; mais j’ai tort de faire ces observations à M. l’abbé >- Maury ; il nous a déjà montré deux fois dans cette cause comment l’on peut répondre à des objections métaphysiques sans métaphysique. bien faire la différence d’un bénéfice ecclésiastique et d’un bénéfice militaire ; 2° Que si cette commutation ne se faisait qu’à vie, c’est qu’alors les fiefs n’étaient qu’à vie ; 3° Qu’on se réservait de renouveler l’opération, et qu’on se réservait le principe qu’il faut pourvoir au culte. ( Note de M. de Mirabeau.) M. de Cazalès demande qu’on aille aux voix sur le principe avant de s’occuper des diverses exceptions. Divers membres demandent à développer des amendements. D'autres membres insistent pour aller aux voix. M. Malouet, obtient enfin la parole pour développer un amendement (1). Messieurs, j’entre dans la discussion qui vous occupe sans égard à aucune des circonstances qui nous environnent. J’examinerai non -seulement ce qui est utile, mais encore ce qui est juste ; car une Assemblée législative ne possède pas comme les conquérants, par le droit du plus fort. Ses principes sont ceux de la plus austère équité; et si, dans des temps malheureux, le salut du peuple en exige la violation, ce ne sont pas des principes, mais la nécessité impérieuse qu’il suffit d’exposer. Nous ne sommes point réduits, Messieurs, à cette nécessité funeste: des combinaisons sages et mesurées, des plans sévères mais équitables peuvent concilier les droits et les intérêts de l’Eglise avec les droits et les besoins de l’Etat. C’est dans l’espoir d’y parvenir que j’ai pris la parole, et je crois avoir trouvé la vérité en la cherchant de bonne foi, en ne compliquant point la question, en laissant à leur place les faits et les principes. Je considère d’abord d’où proviennent les propriétés appelées biens du clergé, qui est-ce qui a donné, qui est-ce qui a reçu, qui est-ce qui possède. Je trouve des fondateurs qui instituent, des Eglises qui reçoivent, des ecclésiastiques qui possèdent sous la protection de la loi. Je trouve que le droit du donateur n’est point contesté, qu’il a stipulé les conditions de sa donation avec une partie contractant l’engagement de les remplir ; que toutes ces transactions ont reçu le sceau de la loi, et qu’il en résulte diverses dotations assignées aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres, et au soulagement des pauvres. Je trouve alors que ces biens sont une propriété nationale, en ce qu’ils appartiennent collectivement au culte et aux pauvres de la nation. Mais chaque bénéficier n’en est pas moins possesseur légitime, en acquittant les charges et conditions de ia fondation. Or la possession, la disposition des revenus, est la seule espèce de propriété qui puisse appartenir au sacerdoce, c’est ia seule qu’il ait jamais réclamée. Celle qui donne droit à l’aliénation, à la transmission du fonds pour héritage ou autrement, ne saurait lui convenir, en ce qu’elle serait destructive des dotations de l’Eglise ; et parce qu’elle a des propriétés effectives, il fallait bien qu’elles fussent inaliénables ; pour qu’elles ne devinssent pas excessives, il fallait bien en limiter l’étendue ; mais comme l’incapacité d’acquérir n’est pas celle de posséder, l’édit de 1749 ne peut influer sur la solution de la question présente; et j’avoue qu’il me paraît extraordinaire qu’on emploie contre le clergé les titres même conservateurs de ses propriétés, ainsi que toutes les raisons, tous les motifs qui en composent le caractère légal. Un des préopinants a dit que les corps étaient (1) Le discours de M. Malouet n’a pas été inséré au Moniteur . £|0 [Assemblée nationale.] aptes à acquérir, à conserver des propriétés, mais qu’elles disparaissent avec leur existence ; qu’ainsi le clergé ne formant plus un ordre dans l’Etat, ne pouvait être aujourd’hui considéré comme propriétaire. Mais il ne s’agit point ici de biens donnés à un corps : les propriétés de l’Eglise sont subdivisées en autant de dotations distinctes que ses ministres ont de services à remplir. Ainsi, lors même qu’il n’y aurait plus d’assemblée du clergé, tant qu’il y aura des paroisses, des évêchés, des monastères, chacun de ces établissements aune dotation propre, qui peut être modifiée par la loi, mais non détruite autrement qu’en détruisant l’établissement. C’est ici le lieu de remarquer que plusieurs des préopinants établissent des principes contradictoires, en tirant néanmoins les mêmes conséquences. Tantôt, en considérant le clergé comme un être moral, on a dit : Les corps n’ont aucun droit réel par leur natiire, puisqu’ils n’ont pas même de nature propre ; ainsi le clergé ne saurait être propriétaire. Tantôt ou le considère comme dissous en qualité de corps, et on dit qu’il ne peut plus posséder aujourd’hui de la même manière qu’il possédait pendant son existence politique, qui lui donnait droit à la propriété. Enfin un troisième opinant a dit, dans une suite de faits, que le clergé n’a jamais possédé comme corps ; que chaque fondation avait eu pour objet un établissement et un service particulier, et cette assertion est exacte. Mais je demande si l’on peut en conclure qu’il soit juste et utile que cet établissement, ce service et ceux qui le remplissent soient dépouillés de leur dotation? Or c’est la véritable et la seule question qu’il fallait présenter, car celle de la propriété pour les usufruitiers n’est point problématique. Le clergé possède: voilà le fait. Ses titres sont sous la protection, sous la garde et Ja disposition de la nation, car elle dispose de tous les établissements publics, par le droit qu’elle a sur sa propre législation, et sur le culte même qu’il lui plaît d’adopter; mais la nation n’exerce par elle-même ni ses droits de propriété, ni ceux de souveraineté ; et de même que ses représentants ne pourraient disposer de la couronne qui lui appartient, mais seulement régler l’exercice de l’autorité et des prérogatives royales; de même aussi iis ne pourraient saas un mandat spécial anéantir le culte public et les dotationsqui lui sontassignées, mais seulement en régler mieux l’emploi, en réformer les abus, et disposer pour les besoins publics de tout ce qui se trouverait excédant au service des autels et au soulagement des pauvres-Ainsi, Messieurs, l’aveu dû principe que les biens du clergé sont une propriété nationale, n’établit point les conséquences qu’on en voudrait tirer. Et comme il ne s’agit point ici d’établir une vaine théorie, mais une doctrine pratique sur les biens ecclésiastiques, c’est sur ce principe même que je fonde mon opinion, et un plan d’opérations différent de celui qui vous est présenté. ; Le premier aperçu de la motion de M. l’évêque d’Aulun m’a montré plus d’avantages que d’in-convénienis: j’avoue que dans l’embarras où nous sommes, 1,800 millions disponibles au profit de l’Etat m’ont séduit; mais un examen plus réfléchi m’a fait voir à côté d’une ressource fort exagérée, des inconvénients graves, des injustices inévitables ; et lorsque je me suis rappelé le jour mémorable où nous adjurâmes, au nom du Dieu de paix, les membres du clergé de s’unir à nous comme nos frères, de se confier à notre [2 novembre 1789,] foi, j’ai frémi du sentiment douloureux qu’ils pouvaient éprouver et transmettre à leurs successeurs en se voyant dépouiller de leurs biens par un décret auquel ils n’auraient pas consenti. Que cette considération, Messieurs, dans les temps orageux où nous sommes, soit auprès de vous de quelque poids. C’est précisément parce qu’on entend dire d’un ton menaçant : il faut prendre les biens du clergé, que nous devons être plus disposés à les défendre, plus circonspects dans nos décisions. Ne souffrons pas qu’on impute quelque jour à la terreur, à la violence, des opérations qu’une justice exacte peut légitimer, si nous leur en imprimons le caractère, et qui seront plus profitables à l’Etat, si nous substituons la réforme à l’invasion et les calculs de l’expérience à des spéculations incertaines. La nation, Messieurs, en nous donnant ses pouvoirs, nous a ordonné de lui conserver sa religion et son Roi ; il ne dépendrait pas plus de nous d’abolir le catholicisme en France, que le gouvernement monarchique; mais la nation peut, s’il lui plaît, détruire l’un et l’autre, non par des insurrections partielles, mais par un vœu unanime, légal, solennel, exprimé dans toutes les subdivisions territoriales du royaume. Alors les représentants, organes de cette volonté, peuvent la mettre à exécution. Cette volonté générale ne s’estpoint manifestée sur l’invasion des biens du clergé : devons-nous la supposer, la prévenir? Pouvons-nous résister à une volonté contraire, de ne pas ébranler les fondements du culte public? Pouvons-nous tout ce que peut la nation et plus qu’elle ne pourrait ? Je m’arrête à cette dernière proposition, parce qu’en y répondant, je réponds à toutes les autres. S’il plaisait à la nation de détruire l’Eglise catholique en France, et d’y substituer une autre religion, en disposant des biens actuels du clergé, la nation, pour être juste, serait obligée d’avoir égard aux intentions expresses des donateurs, comme on respecte en toute société celle du testateur; or, ce qui a été donné à l’Eglise est, par indivis et par substitution donné aux pauvres : aussi, tant qu’il y aura en France des hommes qui ont faim et soif, les biens de l’Eglise leur sont substitués par l’intention des testateurs, avant d’être réversibles au domaine national; ainsi la nation en détruisant môme le clergé, et avant de s’emparer de ses biens pour toute autre destination doit assurer dans tout son territoire, et par hypothèque spéciale sur ses biens, la subsistance des pauvres. Je sais que ce moyen de défense de la part du clergé, très-légitime dans le droit, peut être attaqué dans le fait. Tous les possesseurs de bénéfices ne sont pas également charitables, tous ne font pas scrupuleusement la part des pauvres. Eh bien ! Messieurs, faisons-la nous-mêmes. Les pauvres sont aussi nos créanciers dans l’ordre moral comme dans l’état social et politique ; le premier germe de corruption dans un grand peuple, c’est la misère ; le plus grand ennemi de la liberté, des bonnes mœurs, c’est la misère ; et le dernier terme de l’avilissement pour un homme libre, après le crime, c’est la mendicité. Détruisons ce fléau qui nous dégrade, et qu’à la suite de toutes nos dissertations sur les droits de l’homme, une loi de secours pour l’homme souffrant soit un des articles religieux de notre Constitution. Les biens du clergé nous en offrent les moyens, en conservant la dîme qui ne peut être aban-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1789,] 647 donnée dans le plan même de M. l’évêque d’Autun, _ et qui cesserait d’être odieuse au peuple, lorsqu’il y verrait la perspective d’un soulagement certain dans sa détresse. Je ne développerai point ici le plan de secours r pour les pauvres, tel que je le conçois dans toute son étendue ; je remarquerai seulement qu’en M réunissant sous un même régime, dans chaque ' province, les aumônes volontaires à des fonds assignés sur la perception des dîmes, on pour-* rait facilement soutenir l’industrie languissante, prévenir ou soulager l’indigence dans tout ie royaume. Et quelle opération plus importante, Messieurs, peut solliciter notre zèle? Cet établissement, de première nécessité, ne manque-t-il pas à la > nation? Les lois sur les propriétés remontent à la fondation des empires, et les lois en faveur de v ceux qui ne possèdent rien sont encore à faire. Je voudrais donc lier la cause des pauvres à celle des créanciers de l’Etat, qui auront une hypothèque encore plus assurée sur l’aisance r générale du peuple français que sur les biens-fonds du clergé, et je voudrais surtout que les , sacrifices à faire par ce corps respectable, fussent tellement compatibles avec la dignité et les droits de l’Eglise, que ces représentants pussent y consentir librement. Ces sacrifices deviennent nécessaires pour satisfaire à tous les besoins qui nous pressent, et je , mets au premier rang de ces besoins le secours urgent à donner à la multitude d’hommes qui manquent de travail et de subsistance. Ces sacrifices sont indispensables sous un autre rapport. Si la sévérité des réformes ne s’étendait * que sur le clergé, ce serait un abus de puissance révoltant; mais lorsque les premières places de l’administration et de l’armée seront réduites à des traitements modérés, lorsque les grâces non méritées, les emplois inutiles seront réformés, le clergé n’a point à se plaindre de subir la loi commune; loi salutaire si nous voulons être libres. Enfin, ces sacrifices sont justes, car au nombre ■4- des objections présentées contre le clergé, il en est une d’une grande importance, c’est la compensation de l’impôt, dont il s’est affranchi pen-� daut nombre d’années. La liberté, Messieurs, est une plante précieuse qui devient un arbre robuste, sur un sol fécondé par le travail et la vertu, mais qui languit et périt entre le luxe et la misère. Oui certes, il faut réformer nos mœurs, encore plus que nos lois, > si nous voulons conserver cette grande con-quête. * Mais s’il est possible, s’il est raisonnable de faire dès à présent dans l’emploi des biens ecclésiastiques d’utiles réformes, de dédoubler les riches bénéfices accumulés sur unemême tête, de ‘ supprimer les abbayes à mesure qu’elles vaqueront, de réduire le nombre des évêchés, des chapitres, «► des monastères, des prieurés et de tous les bénéfices simples, l’aliénation générale des biens du clergé v me paraît absolument impossible. J’estime qu’elle neseraitni juste, ni utile. Si l’opération est partielle et nécessaire à mesure des extinctions ou des réunions, je n’entends pas comment elle remplirait le plan de M. l’évêque d’Autun, comment pourrait s’effectuer le remplacement de la gabelle, . le remboursement des offices de judicature, celui' des anticipations, des payements arriérés qui exigent, pour nous mettre au courant une somme * de 400 millions. J’estime que toutes les ventes partielles nécessaires ne pourraient s’opérer en moins de trente années, en ne déplaçant pas violemment les titulaires et les usufruitiers actuels, et en observant de ne pas mettre à la fois en circulation une trop grande masse de biens-fonds, ce qui en avilirait le prix. L’opération sera-t-elle générale et subite? Je n’en conçois pas les moyens, à moins de congédier à la fois tous les bénéficiers, tous les religieux actuels, en leur assignant des pensions. Eh! qui pourrait acheter? Gomment payer une aussi grande quantité de biens-fonds? On recevra, dit-on, les porteurs de créances sur le Roi ; mais on ne fait pas attention qu’aussitôt que la dette publique sera consolidée, il n’y aura point de capitaux plus recherchés, parce qu’il n’y en aura pas de plus productifs ; ainsi, peu de créanciers se présenteront comme adjudicataires. Croit-on, d’ailleurs, que la liquidation des dettes de chaque corps ecclésiastique n’entraînera pas des incidents, des oppositions et des délais dans les adjudications, et que l’adoption d’un tel plan n’occasionnera pas très-promptement la dégradation de ces biens, par le découragement qu’éprouveraient les propriétaires, fermiers, exploita-teurs actuels. Si dans ce système il n’y avait ni difficulté, ni injustice relativement au clergé, c’en serait une, Messieurs, que de faire disparaître le patrimoine des pauvres, avant de l’avoir remplacé d’une manière certaine. Qu’il me soit permis de rappeler ici toute la rigueur des principes; pouvons-nous anéantir cette substitution solennelle des biens de l’Eglise en faveur des pauvres? Pouvons-nous, sans être bien sûrs du vœu national, supprimer généralement tous les monastères, tous les ordres religieux, même ceux qui se consacrent à l’éducation de la jeunesse, au soin des malades, et ceux qui, par d’utiles travaux, ont bien mérité de l’Eglise et de l’Etat? Pouvons-nous politiquement et moralement ôter tout espoir, tous moyens de retraite à ceux de nos concitoyens dont les principes religieux, ou les préjugés, ou les malheurs leur font envisager cet asile comme une co nsolation ? Pouvons-nous et devons-nous réduire les évêques, les curés, à la qualité de pensionnaires? La dignité éminente des premiers, le ministère vénérable des pasteurs n’exigent-ils pas de leur conserver, et à tous les ministres des autels, les droits et les signes distinctifs de citoyen, au nombre desquels est essentiellement la propriété ? Je crois, Messieurs, être en droit de répondre négativement à toutes ces questions. 1° L’aliénation générale des biens du clergé est une des plus grandes innovalions politiques, et je crois que nous n’avons ni des pouvoirs, ni des motifs suffisants pour l’opérer. On vous a déjà représenté qu’une guerre malheureuse, une invasion de l'ennemi pourrait mettre en péril la subsistance des ecclésiastiques, lorsqu’elle ne serait plus fondée sur des immeubles, et cette considération doit être d’un grand poids relativement à l’Eglise, et relativement aux pauvres qui lui sont affiliés. On objecte que l’état ecclésiastique est une profession qui doit être salariée comme celle de magistrat, de militaire; mais on oublie que ces deux classes de citoyens ont généralement d’autres moyens de subsistance ; que les soldats, réduits à ieur paye, n’en sauraient manquer tant qu’ils sont armés. Mais quelle sera la ressource des ministres des autels, si Je trésor public est dans l’impuissance de satisfaire à tout autre en- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1789.] 04g [Assemblée nationale.] gageaient qu’à la solde de l’armée ; et combien de choses malheureuses peuvent momentanément produire de tels embarras ! 2° En vendant actuellement tous les biens du clergé, la nation se prive de la plus-value graduelle qu’ils acquerront par le laps de temps, et elle prépare, dans une proportion inverse, l’augmentation de ses charges. 3° le doute que l’universalité du peuple français approuve l’anéantissement de tous les monastères sans distinction. La réforme, la suppression des ordres inutiles, des couvents trop nombreux, est nécessaire, mais peut-être que chaque province, et même chaque ville, désirera conserver une ou deux maisons de retraite pour l’un et l’autre sexe. 4° Il est impossible que chaque diocèse ne conserve au moins un séminaire, un chapitrent une maison de repos pour les curés et les vicaires qui ne peuvent continuer leur service. Si on ajoutait à toutes ces considérations celle de l’augmentation nécessaire des portions congrues, et enfin, s’il vous parait juste, comme je le pense, de ne déposséder aucun titulaire, non-seulement la vente des biens du clergé devient actuellement impossible, mais même dans aucun temps il ne serait profitable d’en aliéner au delà d’une somme déterminée que j’estime éventuellement au cinquième ou au quart, et le remplacement de cette aliénation doit être rigoureusement fait au profit des pauvres, dans des temps plus heureux -, car, selon tous les principes de la justice, de la morale et du droit positif, les biens du clergé ne sont disponibles que pour le culte public ou pour les pauvres. Si ces observations sont, comme je le crois, démontrées, il en résulte: 1° Que, quoique les biens du clergé soient une propriété nationale, le Corps législatif ne peut, sans mandat spécial, convertir en pensionnaires de l’Etat une classe de citoyens que la volonté antérieure et spéciale de la nation a rendus possesseurs de biens-fonds, à des charges et conditions déterminées. 2° Que l’emploi de ces biens peut être réglé par le Corps législatif, de telle manière qu’ils remplissent le mieux possible leur destination, qui est le culte public, l’entretien honorable de ses ministres et le soulagement des pauvres. 3° Que, si par la meilleure distribution de ces biens et par une organisation mieux entendue du corps ecclésiastique, les ministres de l’Eglise peuvent être entretenus, et les pauvres secourus de manière qu’il y ait un excédant, le Corps législatif peut en disposer pour les besoins pressants de l’Etat. Maintenant, Messieurs, la transition de ces résultats à une opération définitive sur les biens du clergé, est nécessairement un examen réfléchi des établissements ecclésiastiques actuellement subsistants, de ce qu’il est indispensable d’en conserver, de ce qu’il est utile de réformer. Il faut ensuite fixer les dépenses du culte et de l’entretien des ministres, proportionnellement à leur dignité, à leur service , et relativement encore à l’intention qu’ont eue les fondateurs des divers bénéfices. Cette fixation déterminée doit être comparée aux biens effectifs du clergé, leur produit en terres, rentes, maisons, et à leurs charges d’après des états authentiques. Alors , Messieurs, après un travail exact et un classement certain des rentes et des dépenses, des individus , des établissements conservés , après avoir assigné dans de justes proportions ce qu’il est convenable d’accorder aux grandes dignités et aux moindres ministères de l’Eglise, ce qui doit être réservé dans chaque canton pour l’assistance des pauvres ; alors seulement vous connaîtrez tout ce que vous pouvez destiner aux besoins de l’Etat ; mais ils sont actuellement si pressants , que j’ai cru pouvoir , par des opérations provisoires, déterminer une somme de secours, soit pour les pauvres, soit pour les dépenses publiques. Eu estimant à 161) millions, y compris les dîmes, le revenu du clergé, je pense que les réformes , suppressions et réductions possibles permettent de prélever une somme annuelle de 30 millions pour les pauvres, et une aliénation successive de 400 millions d’immeubles qui serait, dès ce moment-ci, le gage d’une somme pareille de crédit ou d’assignations. Cette ressource étant estimée suffisante d’après le rapport du comité des finances, pour éteindre toutes les anticipations et arrérages du payement et la balance étant ainsi rétablie avec avantage entre la recette et la dépense, la vente des domaines libres et la surtaxe en plus-value de ceux engagés, faciliterait tous les plans d’amélioration dans le régime des impôts et suffirait en partie au remboursement des offices de judicature. Je résumerai donc dans les articles suivants les dispositions que je crois actuellement praticables relativement aux biens du clergé. J’observe que je n’entre dans aucun des détails qui doivent être l’objet du travail de la commission ecclésiastique, tels que l’augmentation indispensable des portions congrues ; mais on concevra qu’elle ne peut s’effectuer actuellement que par des réductions sur les jouissances des grands bénéficiers. La manière d’opérer ces réductions ne doit point être arbitraire ni violente ; il me semble que sans déposséder aucuns titulaires, on peut établir des fixations précises de revenus pour toutes les classes du ministère ecclésiastique et tout ce qui excéderait cette fixation, sera payé en contribution, soit pour le Trésor public, soit pour toute autre destination. Articles proposés. Article 1er. Les biens du clergé sont une propriété nationale dont l’emploi sera réglé conformément à sa destination , qui est le service des autels, l’entretien des ministres, et le soulagement des pauvres. Art. 2. Ces objets remplis, l’excédant sera consacré aux besoins de l’Etat, à la décharge de la classe la moins aisée des citoyens. Art. 3. Pour connaître l’excédant des biens du clergé disponible et applicable aux besoins publics, il sera formé une commission ecclésiastique , à l’effet de déterminer le nombre d’évêchés, cures, chapitres, séminaires et monastères qui doivent être conservés , et pour régler la quantité de biens-fonds , maisons et revenus qui doivent être assignés à chacun de ces établissements. Art. 4. Tout ce qui ne sera pas jugé utile au service divin , et à l’instruction des peuples , sera supprimé, et les biens-fonds, rentes, mobiliers et immeubles desdits établissements, seront remis à l’administration des provinces dans lesquelles ils sont situés. [2 novembre 1789.] 649 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Art. 5. En attendant l’effet des dispositions précédentes et pour y concourir, ii sera sursis à la nomination de toutes les abbayes , canoni-cats, et bénéfices simples, dépendant des col-lateurs particuliers, jusqu’à ce que le nombre des chapitres et celui des prébendes à conserver soit déterminé. Art. 6. Il est aussi défendu à tous les ordres religieux des deux sexes, de recevoir des novices jusqu’à ce que chaque province ait fait connaître le nombre des monastères qu’elle désire conserver. Art. 7. La conventualité de chaque monastère de l’un et de l’autre sexe, sera fixée à douze profès, et il sera procédé à la réunion de toutes les maisons d’un même ordre, qui n’auront pas le nombre de profès prescrit par le présent article : les maisons ainsi vacantes par réunion, seront remises à l’administration des provinces. Art. 8. Tous les bâtiments et terrains autres que ceux d’habitation, non compris dans les biens ruraux des églises, monastères , hôpitaux et bénéfices quelconques seront, dès à présent, vendus par les administrations provinciales , et il sera tenu compte de leur produit à raison de 5 0/0, à ceux desdits établissements qui sont conservés : le prix des immeubles ainsi vendus sera versé dans Ja caisse nationale ; et lors de l’extinction des rentes consenties pour raison desdites aliénations, la somme en sera employée à la décharge des contribuables de la môme province qui auront moins de 100 écus de rente. Art. 9. Aucun autre bien vacant par l’effet des dispositions ci-dessus, ne pourra être mis en vente jusqu’à ce qu’il ait été pourvu dans chaque province à la dotation suflisante de tous les établissements ecclésiastiques, à l’augmentation des portions congrueset à la fondation dans chaque ville et bourg, d’une caisse de charité pour le soulagement des pauvres. Art. 10. Aussitôt qu’il aura été pourvu à toutes les dotations et fondations énoncées ci-dessus , les dîmes dont jouissent les différents bénéficiers, cesseront de leur être payées, et continueront jusqu’à nouvel ordre, à être perçues par les administrations provinciales et municipales , en déduction des charges imposées aux classes les moins aisées des citoyens. Arl. 11. Il sera prélevé sur le produit des dîmes et des biens du clergé qui seront réunis aux administrations provinciales, une somme annuelle ue 26 millions, pour faire face aux intérêts de la dette ancienne du clergé, et d’un nouveau crédit de 400 millions, lequel sera ouvert incessamment avec hypothèque spéciale sur la totalité des biens ecclésiastiques. Art. 12. Ledit emprunt s’effectuera par l’émission de 400 millions de billets du clergé , portant intérêt à 5 0/0. lesquels seront donnés et reçus en payement, même pour les contributions et seront admis par préférence en payement lors de l’adjudication des biens ecclésiastiqueset des biens domaniaux qui seront mis en vente. Telles sont les dispositions que je crois praticables sur les biens du clergé. Mais quelle que soit, Messieurs, votre décision à cet égard, je vous demande la permission de vous rappeler ma motion du 19 août pour un établissement national en faveur des pauvres, et je vous prie de trouver bon que je la propose à la discussion. M. le comte de Mirabeau réclame la priorité pour sa motion, qui a été présentée la première ; il la lit, et y fait successivement des corrections. Plusieurs membres demandent, les uns l’appel nominal ; d’autres, la division de la motion ; d’autres, l’ajournement ; d’autres enfin, îa question préalable. L’Assemblée arrête qu’on procédera sur-le-champ à l'appel nominal. M. le comte de Mirabeau lit sa motion, en y réunissant quelques-uns des principaux amendements proposés dans le cours des débats. On demande l’appel nominal sur cette rédaction. L’Assemblée décide qu’il aura lieu. M. le Président fait connaître le résultat de l’appel nominal : Pour l’adoption ...... . 568 voix. Pour le rejet, ... ....... 346 voix. Voix nullés ............ 40 M. le Président dit, qu’en conséquence, l’Assemblée nationale a rendu le décret suivant : « 1° Que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir, d’une manière convenable, aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres, sous la surveillance et d’après les instructions des provinces. * 2° Que dans les dispositions à faire pour subvenir à l’entretien des ministres de la religion, il ne pourra être assuré à la dotation d’aucune cure moins de 1,200 livres par année, non compris le logement et les jardins en dépendant. » M. le Président a annoncé, immédiatement après, que la séance était levée, et l’a renvoyée à demain mardi 3 novembre, heure ordinaire. ANNEXE à la séance de l’ Assemblée nationale du 2 novembre 1789. OPINION DE M. DE TALLEYRAND,, évêque d’au-TUN (1), SUR LA QUESTION DES BIENS ECCLÉSIASTIQUES (2). Messieurs, je suis presque seul de mon état qui soutienne ici des principes qui paraissent opposés à ses intérêts. Si je monte à cette tribune, ce n’est pas sans ressentir toutes les difficultés de ma position. Comme ecclésiastique, je fais hommage au clergé de la sorte de peine que j’éprouve ; mais comme citoyen, j’aurai le courage qui convient à la vérité. Insensible à des interprétations qui ne m’atteignent pas et que je m’abstiens même de qualifier, je ne répondrai ni aux paroles, ni aux écrits de quelques personnes trop dominées par (1) J’ai désiré extrêmement parler à la séa,nce du 2 novembre. Je n’ai pu obtenir la parole, mais je crois devoir rendre public ce que je mo proposais de dire (Note de M. Talleyrand). (2) Cette opinion n’a pas été insérée au Moniteur. Un grand nombre de voix : La clôture!