5�2 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU SAMEDI 10 SEPTEMBRE 1791, AU MATIN. Discours de M. Mirabeau, l’ainé, sur l’éducation NATIONALE (1). I De l’instruction publique ou de Vorganisation du corps enseignant. Messieurs, Quand les angoisses du despotisme, expirant de ses propres excès, vous ont appelés pour chercher des remèdes à tant de maux ; quand la voix d’une nation tout entière, où les sages commençaient à régénérer l’opinion, vous a confié le soin d’effacer jusqu’aux moindres vestiges de son ancienne servitude, vous avez senti que les abus formaient un système dont toutes les ramifications s’entrelaçaient et s’identifiaient avec l’existence publique ; que pour tout reconstruire, il fallait tout démolir ; qu’une machine politique avait besoin, comme toutes les autres de l'accord de ses parties ; et que plus votre ouvrage serait parfait, plus le moindre vice laissé dans ses rouages pourrait intervertir ou embarrasser ses mouvements. Ainsi donc, Messieurs, avant de mettre la main à l’œuvre, vous vous êtes environnés de mines et de décombres, vos matériaux n’ont été que des débris ; vous avez soufflé sur ces restes qui paraissaient inanimés : tout à coup une Constitution s’organise ; déjà ses ressorts déploient une force active ; la monarchie française recommence ; le cadavre qu’a touché la liberté se lève et ressent une vie nouvelle. Ce concert d’approbations et d’éloges, qui vous a constamment soutenus dans vos travaux� prouve assez que les principes dont vous êtes partis, sont à la fois les plus solides et les plus féconds. L’abolition de toutes les tyrannies qui pesaient surnostêtes : l’organisation du meilleur système de liberté que les penseurs aient encore imaginé dans leurs rêves bienfaisants ; l’établissement d’une véritable morale publique ; tels sont en résumé les dons inappréciables que la France a reçus de vous. La restitution des droits de la nature humaine, le germe impérissable du salut et de la félicité de l’espèce entière ; tels sont les biens que vous devront et tous les climats, et tous les siècles à venir. Car, Messieurs, malgré les résistances impies que le génie du mal vous oppose, ce grand ouvrage s’achèvera : l’imprimerie, dont la découverte a prononcé dès longtemps l’arrêt des tyrans et des imposteurs, ira promulguer partout vos lois philanthropiques ; toutes les langues les répéteront à toutes les nations ; et si le cours orageux des événements pouvait priver de leurs fruits le peuple auquel elles sont destinées, et qui s’en montre digne par son courage, croyez, et j’en atteste ici les progrès que l’homme a déjà faits dans tous les arts, dans toutes les sciences, et cette (1) La mort a empêché l’auteur de prononcer à la tribune de l’Assemblée ce discours dont le manuscrit, trouvé dans ses papiers , fut publié dans le courant de l’année 1791. perfection, sans doute indéfinie, dont il est susceptible, et les idées les plus douces à son esprit, et les passions les plus puissantes sur son cœur ; croyez que vos travaux, perdus pour nous, ne le seraient pas pour des contrées plus sages ou plus heureuses, et que du moins nos descendants recueilleraient bientôt cet héritage sacré pour le partager avec tous leurs frères. Mais non, tant d’espérances ne seront pas vaines ; nous ne laisserons pas échapper le fruit de tant de sollicitudes, de tant d’efforts, de tant de sacrifices : en léguant au genre humain le premier de tous les bienfaits, une organisation sociale fondée sur la nature et les vrais rapports des hommes, nous voudrons jouir nous-mêmes de notre ouvrage ; nous voudrons en jouir pour le perfectionner ; nous voudrons en jouir pour donner un grand exemple : et c’est encore vous, Messieurs, qui, après avoir été les organes de l’opinion publique, en établissant les grands principes de laliberté,hâterez,parl’influence activede quelques nouvelles lois, le développement ultérieur de cette même opinion ; c’est vous qui, après avoir créé la plus imposante de toutes les organisations politiques, et posé des principes dont le développement ne peut qu’améliorer de jour en jour le sort de l’espèce humaine ; c’est vous encore qui chercherez le moyen d'élever promptement les âmes au niveau'de votre Constitution, et de combler l’intervalle immense qu’elle a mis tout à coup entre l’état des choses et celui des habitudes. Ce moyen n’est autre qu’un bon système d’éducation publique : par lui votre édifice devient éternel ; sans lui, l’anarchie et le despotisme, qui se donnent secrètement la main, n’auraient peut-être pas de longs efforts à faire pour en renverser toutes les colonnes, et peut-être aussi vous auriez à vous reprocher cette perfection elle-même que vous ne perdez jamais de vue et à laquelle vous lâchez d’atteindre. Dans l’esclavage, l’homme ne peut avoir ni lumières ni vertus ; mais tant que la cruelle nécessité l’y retient, il n’a besoin ni des unes ni des autres, les lumières aggraveraient sa situation ; les vertus y seraient déplacées. Mais sous le régime de la liberté, ses rapports deviennent plus étendus, tous ses mouvements prennent une activité singulière, ses passions acquièrent une énergie qui veut être dirigée : ce n’est plus cet engourdissement et cette paix de mort que nous présentent de grands empires sous l’image de vastes tombeaux. Les peuples libres vivent et se meuvent : il faut qu’ils apprennent à se servir des forces dont ils ont recouvré l’usage. La science de la liberté n’est pas si simple qu’elle peut le paraître au premier coup d’œil; son étude exige des réflexions, sa pratique des préparations antérieures, sa conservation des maximes mesurées, des règles inviolables et plus sévères que les caprices mêmes du despote. Cette science est intimement liée à tous les grands travaux de l’esprit et à la perfection de toutes les branches de la morale. Or, Messieurs, c’est d’une bonne éducation publique seulement que vous devez attendre ce complément de régénération qui fondera le bonheur du peuple sur ses vertus et ses vertus sur ses lumières. Y II est inutile de vouloir faire sentir l’importance de l’éducation en général. L’on a vu dans tous les temps et l'on a dit dans toutes les langues que les habitudes gouvernent le genre humain. Or, l’art de l’éducation n’est que celui de faire prendre aux hommes les habitudes qui [Assemblée nationale.] leur seront nécessaires dans les circou stances auxquelles ils sont appelés. Tous les législateurs anciens se sont servis de l’éducation publique comme du moyen le plus propre à maintenir et à propager leurs institutions. Quelques-uns d’entré eux ont regardé la jeunesse comme le domaine de la patrie, et n’ont laissé aux pères et mères que la satisfaction d’avoir produit des citoyens. C’est dans le premier âge qu’ils ont voulu jeter les semences de la moisson sociale. Les sectaires de tout genre, pour effacer des opinions déjà reçues, ou pour étendre et perpétuer celles qu’ils prêchaient aux hommes, se sont adressés d’abord aux âmes mobiles, susceptibles, comme les enfants, de nouvelles impressions. Bientôt ils se sont emparés des enfants eux-mêmes, qu’ils ont façonnés d’après leurs vues, et plus ou moins habilement suivant les époques. a Mais les législateurs anciens cherchaient tous à donner à leurs peuples une tournure particulière, et ne prétendaient souvent à rien moins qu’à la dénaturer pour ainsi dire, et à leur faire prendre des habitudes destructives de toutes nos dispositions originelles. D'autre part, les sectaires, pour mettre leurs intérêts à l’abri de tout examen, et n’ignorant pas que leur empire, fondé sur les émotions superstitieuses, devait être maintenu par les mêmes moyens qui servaient à l’établir, se sont efforcés de prévenir tout développement de la raison ; et pour la retenir à jamais dans leurs chaînes, ont environné de prestiges cet âge tendre dont les impressions gouvernent la vie. Quant à vous, Messieurs, vous n’avez pas d’opinions favorites à répandre; vous n’avez aucune vue particulière à remplir; votre objet unique est de rendre à l’homme l’usage de toutes ses facultés, de le faire jouir de tous ses droits, de faire naître l’existence publique de toutes les existences individuelles librement développées, et la volonté générale de toutes les volontés privées, constantes ou variables, suivant qu’il plaira aux circonstances. En un mot, dans vos principes, lesV hommes doivent être ce qu’ils veulent, vouloir ce qui leur convient, et faire toujours exécuter ce dont ils sont convenus. Il ne s’agit donc point d’élever un édifice éternel (1), mais de mettre toutes les générations à portée de s’entendre facilement pour régler leurs intérêts comme bon leur semblera. Il ne s’agit point de faire contracter aux hommes certaines habitudes, mais de leur laisser prendre toutes celtes vers qui l’opinion publique ou des goûts innocents les appelleront. Or, ces habitudes ne peuvent manquer de faire le bonheur des particuliers, en assurant la�\ prospérité nationale. Ainsi, c’est peut-être un problème de savoir si les législateurs français doivent s’occuper de l’éducation publique, autrement que pour en protéger les progrès, et si la constitution la plus favorable au développement du moi humain , et les lois les plus propres à mettre chacun à sa place, ne sont pas la seule éducation que le peuple doive f attendre d’eux. Sous une bonne organisation so V ciale, on peut commencer, mais on n’achève point (1) S’il est fondé sur la nature de l’homme, l’on peut lui prédire une durée indéfinie ; car il n’y a plus que la, raison qui soit douée d’une force suffisante pour le détruire. S’il est imparfait, elle le perfectionnera ; et ces corrections, bien loin de l’ébranler, le rendront d’autant plus solide, qu’elles en feront le modèle de toutes les réformes politiques. (Note de l’opinant.) lre Série. T. XXX. [10 septembre 1791.] 5�3 d’élever les hommes : il faut alors qu’ils s’élèvent eux-mêmes, en résistant à de fausses impulsions sans cesse renouvelées. Daus une société bien ordonnée, au contraire, tout invite les hommes à cultiver leurs moyens naturels : sans qu’on s’en mêle, l’éducation sera bonne; elle sera même o d’autant meilleure, qu’on aura plus laissé à faire à l’industrie des maîtres et à l’émulation des élèves; et comme elle se proportionnera toujours aux facultés pécuniaires et aux talents, on verra moins de sujets perdre leur jeunesse à des études \ < au-dessus de leur portée, ou se préparer une existence douloureuse en aspirant à des profes-sions au-dessus de leur fortune. D’ailleurs, dans f\ ce système, l’éducation n’étant jamais gratuite, les maîtres d’un côté seraient toujours intéressés à perfectionner leur enseignement et à suivre l’opinion publique dans le choix des objets, alln d’attirer la foule autour d’eux; de l’autre, les élèves mettraient mieux à profit des leçons qu’ils auraient payées, et n’abandonneraient pas légèrement des études pour lesquelles ils auraient fait des avances. Ici, comme dans tout le reste, le législateur se contenterait de parler à l’intérêt individuel, de lui fournir tous les moyens de s’exercer et de le diriger invinciblement vers l’intérêt général, par le plus simple de tous les ressorts politiques. D’après cela, les principes rigoureux sembleraient exiger que l’Assemblée nationale ne s’occupât de l’éducation que pour l’enlever à des pouvoirs ou à des corps qui peuvent en dépraver l’intluence. Il semble que, pour lui donner plus � d’énergie, ce serait assez de la livrer à elle-même ; ou s’il paraissait disconvenable de retirer les fonds destinés à son encouragement, il faudrait du moins les employer en faveur des individus qui ont, par leurs lumières, payé déjà quelque tribut à la société, plutôt que de ceux qui cherchent encore seulement à s’instruire. Mais l’ignorance des peuples est si profonde, l’habitude de regarder les établissements pour l’instruction publique et gratuite comme le plus grand bienfait des rois, est si générale, et les idées que j’énonce se trouvent si peu conformes à l’opinion dominante, qu’en les supposant démontrées dans la théorie, il serait sans doute dangereux, peut-être même impossible de les mettre en pratique sans de grandes modifications. Dans les circonstances actuelles, si l’éducation v n’était pas dirigée d’après des vues nationales, il pourrait en résulter plusieurs inconvénients gra-T ves et menaçants pour la liberté. L’espoir de la A patrie réside surtout dans la génération qui s’élève ; et l’esprit de cette génération ne peut être regardé comme indépendant des maîtres qui l’instruisent, ou des écrivains qui vont s’emparer de leurs premières opinions. Ces écrivains et ces maîtres ne doivent jamais pouvoir se trouver en opposition avec la morale publique. En conséquence, il convient que la volonté toute-puissante de la nation les enchaîne à ses plans, leur indique son but, et forme partout des centres, soit par les académies, soit par les écoles, d’où les lumières iront se répandre au loin. D’ailleurs, il y a des études ainsi que des professions qu’il est du devoir des magistrats d’inspecter soigneusement ou d’encourager d’une manière spéciale : ces études seules exigeraient des établissements publics. L’Assemblée nationale portera donc ses regards sur l’éducation, pour lui donner de meilleures bases. Il serait indigne d’elle de toucher à cette partie, sans atteindre au degré de perfection dont 33 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] elle est aujourd’hui susceptible, et sans indiquer les améliorations qui pourront s’y faire par la suite. Le corps enseignant (qui ne sera pourtant plus un corps suivant l’acception commune) doit être organisé d’après un système qui satisfasse à tout, ou du moins qui prépare tout. C’est une machine dont il faut changer le mobile et le régulateur. Mais on ne peut la perfectionner qu’en la simplifiant; et ce serait l’indice d'un bien petit esprit de croire qn’il y a beaucoup de roues nouvelles à mettre, en jeu. Les législateurs français n’ont pas la manie de régler; ils aiment mieux que tout se règle de soi-même. Mais quelles sont donc les vues fondamentales d’après lesquelles on doit se conduire dans cette réforme ? La première, et peut-être la plus importante de toutes, est de ne soumettre les collèges et les académies qu’aux magistrats qui représentent véritablement le peuple, c’est-à-dire qui sont élus et fréquemment renouvelés par lui. Aucun pouvoir permanent ne doit avoir à sa disposition des armes aussi redoutables. C’est la plume qui conduit l’épée, et qui donne ou enlève les sceptres ; ce sont les instituteurs de la jeunesse, les philosophes et les écrivains de tous les genres qui font marcher les nations à la liberté, ou qui les précipitent dans l’esclavage. Il faut donc qu’ils soient toujours aux ordres de l’intérêt public. En conséquence, les académies et les collèges doivent être mis entre les mains des départements; et je crois utile de les reconstituer sous des formes nouvelles, ne fût-ce que pour les avertir qu’ils n’appartiennent plus au même régime. Si les académies continuaient à dépendre immédiatement du pouvoir exécutif, il est clair qu’il disposerait à son gré des membres dont elles seraient composées, et cela d’une manière directe; mais il disposerait aussi, quoique plus indirectement, des gens de lettres pour qui ces places seraient un objet d’ambition, c’est-à-dire de presque tous. S’il était chargé d’organiser et de surveiller les écoles publiques, l’éducation et l’enseignement y seraient subordonnés à ses vues, ou plutôt à celles de ses ministres, lesquelles (nous en avons assez de preuves; ne sont pas toujours conformes aux intérêts du peuple. Je veux bien croire que, dans ce moment de crise, les académies et les corps enseignants montrent beaucoup de patriotisme; mais il ne faudrait pas trop compter sur la durée de ces dispositions heureuses; et peut-être quelque jour, dans l’Académie française elle-même, qui servait naguère d’asile à la philosophie, verrait -on des philosophes repentants écrire ou parler avec indécence de la Révolution. En second lieu, l’on doit considérer toutes les dépenses publiques pour l’instruction comme pour les récompenses de travaux déjà faits, ou comme les encouragements de travaux à faire. Et même dans la sévérité des principes les encouragements ne sauraient être que des récompenses. La société ne fait aucune acception de personnes : entre ceux qui ne lui ont rendu aucun service, ou qui ne se sont distingués par aucun talent, elle ne prend point de parti ; elle ne leur doit pas plus aux uns qu’aux autres ; et ses faveurs seraient, dans ce cas, de véritables injustices. Mais quand elle vient au secours de celui qui a déjà donné des preuves de capacité, ou qui a bien mérité d’elle par son travail, elle fait une chose juste, elle fait une chose utile pour elle-même. Les places des académies doivent donc être acr cordées seulement à des hommes que l’opinion publique y désire ; c’est donc au peuple ou à ses représentants à désigner les sujets entre lesquels ils pourront être choisis. Je propose de faire tout le contraire de ce qu’on faisait sous notre ancien régime ; les académies présentaient des candidats, et le roi les agréait : dans mon système, ils seraient présentés par la véritable puissance publique, et choisis par les académies. On n’a pas besoin de prouver que les écoles militaires et les bourses nobles ne peuvent plus exister maintenant, et que les autres bourses doivent être distribuées sur de nouveaux principes. v' L’Assemblée nationale ne voit en France que des hommes et des citoyens. Ainsi, tant qu’un enfant ne s’est pas fait connaître comme plus intelligent et plus laborieux que ses camarades, du même âge ou à peu près, lui donner une bourse, c’est commettre une véritable iniquité envers tous ceux qui pourraient y prétendre comme lui. Je conclus qu’il ne faut point de bourses pour les premières études, et qu’elles doivent toujours être A le prix de quelque succès. Selon moi, ce principe s’applique encore aux chaires de professeurs. Tout homme a le droit d’enseigner ce qu’il sait, et même ce qu’il ne sait pas. La société ne peut garantir les particuliers des fourberies de l’ignorance, que par des moyens généraux qui ne lèsent pas la liberté. Enseigner est un genre de commerce : le vendeur s’efforce de faire valoir sa marchandise; l’acheteur la juge, et tâche de l’obtenir au plus bas prix : le pouvoir public, spectateur et garant du marché ne saurait y prendre part, soit pour l’empêcher, soit pour le faire conclure : il protège tout acte qui ne viole le droit de personne ; il n’est là que pour les laisser tous agir librement, et pour les maintenir en paix. Mais quand un homme se rend utile dans les arts de première nécessité ; quand il se rend célèbre dans ceux qui cultivent les mœurs et répandent du charme sur la vie, les agents publics peuvent, doivent même, afin de l’encourager et de lui procurer la confiance des parents, l’investir d’un litre, et lui donner des secours qui le mettent à portée de propager ses connaissances d’une manière aussi fructueuse pour lui qu’avantageuse à ses concitoyens. Une chaire est alors une véritable prime d’encouragement. Au premier coup d’œil, on peut croire l'éducation gratuite nécessaire au progrès des lumières ; mais en y réfléchissant mieux, on voit, comme je l’ai dit, que le maître qui reçoit un salaire, est bien plus intéressé à perfectionner sa méthode d’enseignement, et le disciple qui le paye à profiter de ses leçons. Les meilleures écoles de l’Europe sont celles où les professeurs exigent une rétribution de chacun de leurs disciples. Je voudrais que parmi nous ils ne fussent plus dispensés de mériter l’estime publique. L’intérêt est un aiguillon fort naturel du talent ; et c’est en général sur son influence que l’habile législateur compte le plus. En troisième lieu, tous les hommes employés à l’éducation, quels que soient d’ailleurs leur habit et leur genre de vie, doivent, quant aux fonctions d’instituteurs, dépendre uniquement des agents du peuple. Sous d’autres rapports, ils peuvent bien continuer à faire des corporations libres, telles que l’Assemblée les autorise; mais dans tout ce qui regarde l’enseignement et l’éducation de la jeunesse, ils ne seront plus que des individus, répondant de la tâche qu’on leur confie, et ne pouront être maintenus, inquiétés, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] destitués que parle même pouvoir dont ils tiennent leurs places. Il est peut-être utile que les collèges correspondent entre eux; mais il y aurait quelque danger à des liaisons étroites, fondées sur un institut, sur des règles, sur des chefs communs. Sans rejeter entièrement les congrégations, qui, sans doute, ont, à certains égards, plusieurs avantages, je voudrais les voir employer avec ménagements ; je voudrais qu’on se mît en garde contre l’esprit de corps, dont elles ne seront jamais entièrement exemptes. En quatrième lieu, si l’on opère les changements qui paraissent indiqués par les observations précédentes, il faut bien se garder de considérer ces changements comme des moyens d’économie. L’éducation publique est loin d’être trop richement dotée; mais l’emploi de ses fonds veut être dirigé sur d’autres principes. La société, je le répète, doit seulement récompenser et encourager : son intention ne peut être d’affaiblir le ressort de l’émulation. Voilà cependant ee qu’elle fait, en plaçant ceux qui enseignentou qui s’instruisent, hors des circonstances qui leur feraient sentir à chaque moment la nécessité du succès. Ce n’est donc pas une misérable économie que je conseille; c’est une meilleure répartition des revénus affectés à cet objet. s/ Depuis les petites récompenses des écoles de paroisse, jusqu’aux places des premières académies du royaume, il faut qu’il y ait des moyens d’avancement pour les hommes qui valent ou qui peuvent valoir : il faut que les paroisses, les cantons, les districts, les départements se chargent des frais ou d’une partie des frais qu’exige l’éducation dont se montrent susceptibles les enfants maltraités de la fortune. D’un autre côté, le maître qui forme un certain nombre d’élèves marquants, ou qui porte dans sa manière d’enseigner des vues utiles et neuves, mérite et des honneurs et des récompenses; celui que ses infirmités ou la vieillesse force d’abandonner ses travaux, a droit à des secours. L’Assemblée nationale doit assigner pour cela des sommes qui ne puissent être employées à autre chose. Les départements, ou les municipalités sous leurs ordres, en seront les distributeurs. La révolution actuelle est l’ouvrage des lettres et de la philosophie. La nation pourrait-elle ne pas respecter ses bienfaitrices? Qui ne sent aujourd’hui l’importance d’enchaîner les écrivains à la patrie, et uniquement à elle? Mais, d’ailleurs, la liaison de toutes les sciences et de tous les arts entre eux, et avec la prospérité publique, ne peut de nos jours être méconnue que des esprits superficiels. Aussi, philosophes, littérateurs, savants, artistes, la nation doit tout honorer, tout récompenser. Gardez-vous de croire les arts de pur agréments étrangers aux considérations de la politique. Le but de l’association est d’assurer les jouissances de l’homme. Gomment dédaigner ce qui les multiplie? Ne faisons point, comme nous le reprochent nos ennemis domestiques, une révolution de Goths et de Vandales. Songeons que les nations les plus libres et les plus heureuses sont celles où les talents ont reçu les récompenses les plus éclatantes. L’enthousiasme des arts nourrit celui du patriotisme; et leurs chefs-d’œuvre consacrent la mémoire des [bienfaiteurs de la patrie. Voudrions-nous que le génie pût regretter le temps du des-potime? Le despotisme l’enchaînait, l’avilissait en en faisant un instrument de servitude : mais il savait le caresser habilement; et ses faveurs allaient le chercher quelquefois dans [l’obscurité. La liberté fera mieux ; elle ne lui tracera que de nobles travaux ; elle lui rendra tout son essor, elle versera sur lui ses bienfaits de tous les genres, et elle ne le dégradera point en lui souriant. En cinquième lieu. Mais faudra-t-il que l’Assemblée nationale discute et trace les plans d’enseignement? Des méthodes pour toutes les sciences qui peuvent être enseignées, seraient-elles un ouvrage de sa compétence? Non, sans doute; ces méthodes vont se perfectionner par les progrès successifs des lumières publiques, et par l’influence indirecte des lois. En exigeant de l’instruction pour les places ambitionnées, vous aurez bientôt des hommes instruits ; en récompensant les bons livres élémentaires, vous en aurez bientôt dans tous les genres. Encore une fois , chargés de tout réformer, serait-ce à vous d’opérer par vous-mêmes toutes les réformes? Chargés de créer successivement chaque pièce de la grande machine politique, serait-ce à vous d’en produire à l’instant tous les effets? En réhabilitant une grande nation dans tous les droits de la liberté, vous vous êtes engagés à former des citoyens; vous vous êtes engagés en faisant des lois équitables, c’est-à-dire pour rendre à ce mot son sens originel, des lois fondées sur l’égalité, à leur donner des défenseurs éclairés et courageux; en préparant l’amélioration des hommes par celle des choses, à préparer aussi le perfectionnement des choses par celui des hommes. Mais comment exigerait-on que votre voix allât se faire entendre dans les lycées et dans les gymnases, pour y façonner la jeunesse ou pour y diriger ses maîtres? L’un et l’autre emploi me paraissent également étrangers à la mission du législateur. Sans doute, ils le sont bien plus encore à celle d’une Convention nationale, dont le devoir exclusif est la fabrication des ressorts sociaux, et qui ne doit agir elle-même sur les rouages qu’ils animent, qu’autant que son action devient absolument nécessaire, pour leur imprimer le mouvement. Je ne parle point ici des obstacles qu’un bon plan d’éducation publique rencontrerait dans l’ignorance même de la plus grande partie de la nation, dans les préjugés d’une autre partie plus dangereuse, quoique peut-être moins ignorante, et dans les débris de quelques institutions anciennes que vous avez été forcés de ménager, par égard pour les inquiétudes de l’opinion. Sans recourir à l’emploi des localités, il me suffit d’invoquer celui des principes. Un habile cultivateur ne prétend pas enfanter lui-même des fieurs et des fruits : il confie à la terre les semences qui les produisent; il plante et cultive les arbres qui les portent, attendant de l’influence des saisons et du cours régulier de la nature, ce que tous les efforts de l’art solliciteraient vainement. Il ne vous est pas donné, Messieurs, de faire éclore tout à coup une race nouvelle, ni même de tracer les moyens de détail qui doivent régénérer les habitudes de tout un peuple, comme vous avez régénéré sa Constitution. Vous devez donc vous borner à jeter patiemment les germes de tout le bien que la perfectibilité de l’homme nous promet; de créer la machine de l’éducation nationale d’après les mêmes motifs et dans le même esprit que toutes les autres ; je veux dire d’organiser le corps enseignant sur des principes simples, qui lui communiquent la plus énergique activité, qui préviennent les inconvénients, qui repoussent les abus, qui résistent même à l’action destructive du temps, et se prêtent à toutes les additions utiles. Tel est l’objet 51(> [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791. que notre devoir nous prescrit, que les circonstances nous permettent, que la plus saine raison nous indique; et c’est le seul vers lequel je me propose de tourner vos regards. Ce que l’Assemblée ne peut se dispenser de régler elle-même, c’est donc l’organisation de l’enseignement public en général; c’est à elle de constituer les écoles qui seront entretenues et encouragées aux frais de la nation ; de déterminer le genre d’instruction que les élèves doivent y recevoir, d’indiquer l’esprit dans lequel on y doit enseigner, etc., etc. Mais serait-il hors de propos u’elle examinât en même temps, si les écoles e théologie sont véritablement utiles à l’éducation des prêtres, qui doivent être à l’avenir bien plus des moralistes que des casuistes ; si tout ce qu’ils y apprennent ne s’apprendrait pas mieux sans elles ; si les chaires de droit, nécessaires avec des lois compliquées et barbares, ne deviendront pas inutiles avec des lois simples et peu nombreuses; si la nécessité de répondre dans des examens sévères en présence du peuple et de ses représentants, sur la Constitution et les lois, avant d’être mis sur la liste des éligibles aux emplois qui demandent cette connaissance, ne sera pas un plus sûr moyen d’en rendre l’étude générale, que toutes les écoles de droit imaginables? v II était peut-être impossible d’exiger dans la première formation des municipalités de campagne, que tous les éligibles sussent lire et écrire ; mais c’est une condition qu’il faut annoncer pour l’avenir ; il faut même déterminer dès à présent l’époque à laquelle on ne pourra plus sans cela prétendre aux moindres offices publics: cette loi seule fera beaucoup plus pour l’instruction, que les moyens coûteux qu’on a cent fois vainement employés. Dans les universités on enseigne beaucoup de / choses en latin. Je suis loin de vouloir proscrire l’étude des langues mortes; il est au contraire à désirer qu’on l’encourage; je voudrais surtout qu’on pût faire renaître de ses cendres cette belle langue grecque dont le mécanisme est si parfaitement analytique, et dont l’harmonie appelle toutes les beautés du discours. Pour bien apprécier sa propre langue, il faut la comparer avec une autre, et c’estles meilleures qu’il faut prendre pour objet de comparaison. Que le grec et le latin soient donc regardés comme propres à fournir des vues précieuses sur les procédés de l’es-prit, dans l’énonciation des idées, qu’on les estime, qu’on les recommande à raison des excellents livres qu’ils nous mettent à portée de connaître beaucoup mieux : rien de plus raisonnable sans doute. Mais je crois nécessaire d’or-J donner que tout enseignement public se fasse A désormais en français. Les hommes qui réfléchissent savent combien il est difficile de donner à la plupart des idées un certain degré de précision dans une langue étrangère; combien, au contraire, il est facile de la faire servir à jeter du vague sur les .notions les plus simples, et de la mettre aux gages des charlatans de toute espèce. Ils savent aussi que, sans le perfectionnement de la langue vulgaire, on espérerait en vain dissiper les erreurs du peuple, et que ce perfectionnement est l’ouvrage (l’une culture assidue et méthodique. A force d’exprimer toutes sortes d’idées, on apprend à chercher les formes qui les reproduisent le mieux, et à bien limiter le sens des signes. Les progrès de l’art de la parole amènent à leur suite ceux de l’art de penser; ou plutôt ces deux arts n’en font qu’un, parce que l’idée n’existe véritablement que lorsqu’elle est représentée dans notre esprit par des signes quelconques. Sixièmement; tous les travaux de la société doivent être libres. Ce principe est incontestable. Les hommes naissent avec des facultés et avec le droit de les exercer. Le législateur ne peut non plus attenter à ce droit, que leur enlever ces facultés. Les jurandes et les maîtrises sont d’un côté l’attentat le plus outrageant contre la liberté de l’industrie, et de l’autre, l’impôt le plus odieux sur les consommateurs qui les paient. En faisant acheter à l’artiste la permission de pratiquer sou art, vous commettez une criante injustice, vous étouffez le talent, vous renchérissez le travail. , Les six corps, leurs subdivisions, et toutes les cor-~v porations de commerçants et d’ouvriers quel-, conques, ne peuvent donc plus exister sous un régime libre. On n’aurait pas besoin d’une grande sagacité pour prédire la ruine prochaine de Paris, si le commerce s’obstinait à vouloir les conserver y\ dans sou sein. Mais il faut distinguer les professions en deux V classes : celles de la première exercent des travaux ou font des négoces, toujours appréciables pour le public, et sur lesquels ses erreurs ne sont nullement dangereuses ; elles doivent être livrées à toute la liberté possible; celles de la seconde, ou vendent au public des matières dont il ne peut évaluer la qualité, ou font pour lui des travaux qui passent la sphère de ses connaissances, et dans lesquels les méprises mettent souvent en péril la vie d’un très grand nombre d’individus; cette seconde classe est très bornée : c’est la seule qu’il soit nécessaire de mettre sous la vigilance immédiate du pouvoir public. Elle comprend les médecins, les chirurgiens, les apothicaires, les droguistes ; je pourrais ajouter les orfèvres , les A notaires, et peut-être aussi les boulangers. Les métaux, travaillés par les orfèvres ont un titre et un prix que la loi doit déterminer parce que l’acheteur est rarement en état de les fixer lui-même avec précision. Quant au prix de la main-d’œuvre, l’ouvrier est en droit ae la taxer comme il lui convient. L’acheteur, de son côté, doit en trouver le tarif dans ses goûts ou dans ses fantaisies; c’est à lui de bien évaluer l’argent qu’il donne et le travail qu’il reçoit : la société ne peut le mettre à l’abri de toute erreur à cet égard. Les notaires, chargés de recueillir et de réaliser les conventions, dépositaires de la confiance des citoyens et souvent de leur fortune, sans autre garantie que le caractère sacré de leurpro-fession, se trouvent dans une classe intermédiaire entre les fonctionnaires publics et le commun des hommes d’affaires. Us ne peuvent être choisis, comme les uns, par le suffrage du peuple ou de ses représentants ; ils ne doivent pas être abandonnés, comme les autres, à l’exercice libre de leur art sans aucune surveillance, sans formalité préliminaire qui constate leur morale scrupuleuse et leurs lumières. Voilà, dis-je, même dans le régime le moins V réglementaire, des genres de travaux dont la loi doit fixer le mode, que le magistrat ne peut perdre de vue, et dont il est absolument nécessaire de soumettre l’apprentissage et la pratique ultérieure à des formes de police invariables au-A tant que sévères. En parlant des boulangers ou des marchands de farine ou de blé, je n’ai pas prétendu décider affirmativement que le législateur soit tenu de faire fléchir encore à leur égard les grandes maximes de la liberté indéfinie. Cette question [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] 517 tient à plusieurs autres ; elle ne me paraît pas avoir été suffisamment débattue ; aussi, ne fais-je u’énoncer un doute, et ce n’est pas ici le lieu e le résoudre. Mais ceux qui veulent exercer quelques-unes de ces professions, seront-ils donc tenus de faire les mêmes avances? Pour que cela ne fût pas souverainement inique, il faudrait que cela fût indispensable : or, il n’en est rien. Assurez-vous de leur probité, de leur capacité; surveillez toutes leurs opérations, vous le pouvez facilement et à peu de frais ; mais voilà tout. Quand vous dirigerez, Messieurs, les regards du magistrat sur quelque genre d’industrie, ce sera, non pour en gêner l’exercice, mais pour en prévenir les fraudes et les contraventions. Gomme vous n’avez que cet objet en vue, vous vous en tiendrez aux moyens qu’il exige, et vous ne laisserez pas subsister des règlements par lesquels on prétend obvier à certains abus, mais qui réellement en produisent une foule d’intolérables. Si vous n’admettez aux emplois civils que des hommes instruits dans les lois; si vous donnez les places ecclésiastiques au concours, vous pouvez, dans le fait, vous passer d’écoles de droit et de théologie. On apprend aussi bien l'un et l’autre dans de bons livres, que dans les cahiers d’un professeur. Mais les sciences ou les arts, dont l’étude demande l’aspect de certains objets qu’on retrace mal dans les livres, ne peuvent être enseignés qu’en présence de ces mêmes objets, mis dans un ordre convenable pour la plus grande facilité de l’instruction. La législation de l’orfèvrerie et surtout du notariat sont des objets d’une haute importance; mais les considérations qu’elles présentent ne rentrent point immédiatement dans mon sujet, déjà trop vaste par lui-même. Quant à la médecine, la chirurgie, la pharmacie, et tout ce qui tient à l’art de guérir, c’est la partie la plus considérable des études que la loi doit surveiller, et des travaux dont le magistrat ne peut abandonner l’exercice au hasard ; j’ai dû principalement insister sur ce point. Dans toutes les autres parties de l’éducation nationale, on pourrait, à la rigueur, s’en rapporter à l’intérêt des maîtres, à l’émulation des élèves, à la surveillance des parents, à la censure publique. Il suffirait d’encourager, et le maître qui donne à son enseignement plus d’étendue et de perfection, et l’élève qui se distingue par des progrès rapides, par des succès multipliés. Dans celle-ci, le législateur a des abus criminels à prévoir, des formes régulières à leur opposer ; la police des lois à maintenir en vigueur, des négligences à prévenir, des fraudes à châtier ; et les partisans les plus zélés des franchises de l’industrie, admettent ici des règlements après les avoir bannis de pariout ailleurs. Vous ne serez donc point étonnés, Messieurs, ue la médecine occupe une place considérable ans mon plan d’instruclion publique. Les motifs sur lesquels je me fonde et les vues que je vais vous soumettre, n’exigent aucune connaissance du positif de cet art, qui m’est presque entièrement étranger. En me bornant à des considérations générales et philosophiques, j’ai pu croire que le raisonnement sévère guiderait mes pas avec quelque fidélité. Mais je ne m’en suis as reposé sur moi seul ; j’ai sollicité la censure e juges plus compétents ; et c’est leurs opinions autant que les miennes dont j’énonce ici le résultat. La médecine, la chirurgie, la pharmacie, s’apprennent par une suite d’observations et d’opérations qu’il faut faire soi-même. Si leur pratique, ou du moins les formes par lesquelles on acquiert le droit de s’y livrer, doivent être attentivement surveillées par le pouvoir public, leur enseignement, pour lequel il serait coupable de témoigner de l’indifférence, doit être encouragé, facilité par tous les moyens que l’expérience et la raison suggèrent. L’emploi du pharmacien est de préparer les remèdes; il a besoin de les bien connaître et de n’ignorer aucune des manipulations auxquelles on les soumet. Or, pour connaître les remèdes, il faut les avoir vus souvent, les avoir comparés, s’être fait des tableaux de tous les caractères extérieurs qui les distinguent. Pour bien savoir et pour bien pratiquer toutes les manipulations, il faut en avoir été fréquemment témoin, et s’être exercé soi-même à les répéter. Le sujet de la médecine et de la chirurgie est l’étude du corps humain, sain et malade. Leur but est la guérison de la maladie ou la conservation de la santé. Toutes les connaissances nécessaires pour remplir ce but s’acquièrent également par l’observation. C’est surtout au lit des malades qu’on les puise. Il est plusieurs sciences naturelles qui paraissent liées à l’art de guérir, mais qui n’y sont pas d’une grande utilité. Est-il raisonnable de leur donner plus d’importance qu’à celles qui le constituent essentiellement? Nous voulons faire des médecins utiles, et non des médecins propres à briller dans les cercles ou sur les bancs. D’après cela, l’Assemblée nationale ordonnera sans doute qu’il soit formé des écoles pratiques, partout où la médecine s’enseigne, c’est-à-dire des écoles dont les leçons se donneront dans les infirmeries. Elle constituera les collèges de médecine sur les principes d’encouragement qui peuvent seuls les perfectionner : elle les rapprochera comme les corps administratifs et les tribunaux, de tous les individus à qui leur voisinage est nécessaire pour en profiter. Il est injuste et absurde de forcer les jeunes gens à s’expatrier pour aller au loin chercher l’instruclion. L’homme, les maladies et les remèdes sont la matière première de l’éducation du médecin, du chirurgien et du pharmacien. Or, l’homme et les maladies se trouvent partout ; les remèdes, dont l’esprit philosophique a réduit et réduira considérablement encore le nombre, peuvent s’y trouver sans peine et sans grandes dépenses. Pourquoi chaque département n’aurait-il pas son collège de médecine ? Je crois utile de faire graduer par le même collège les médecins et les chirurgiens, d’y faire examiner les apothicaires, les droguistes et les médecins vétérinaires, que les départements seront invités à substituer par l’attrait des récompenses aux empiriques ignorants qui ravagent les campagnes. Je voudrais aussi que les sages-femmes fussent examinées dans le même collège, ou du moins par un nombre convenable de médecins et chirurgiens, préposés à cet effet dans chaque district. Toutes les parties de l’art de guérir, inséparables de leur nature, ont été distinguées pour la facilité des travaux ; mais comme elles s’éclairent réciproquement, comme elles sont même nécessaires l’une à l’autre, il est temps de les rejoindre, et d’en bannir toutes ces idées de prééminence, de subordination, source intarissable de débats entre ceux qui les cultivent. 518 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] Les graduations des médecins, chirurgiens, etc., doivent être seulement considérées comme une précaution sage pour mettre le public crédule à l’abri de l’ignorance et du charlatanisme, non comme un moyen de tyrannie et de vexation. Le législateur ne permettra point aux écoles de s’ériger en jurandes prohibitives. Quand un élève aura subi les examens convenables dans un des collèges du royaume, il aura le droit de pratiquer son art partout où bon lui semblera, sans autre formalité que de représenter ses grades aux directoires de département ou aux municipalités. Le prix des réceptions doit être fixé par la loi. Il est naturel que le récipiendiaire paye l’assistance de ses examinateurs, et les menus frais que peuvent exiger ses programmes ou l’expédition de ses grades; mais la somme ne doit pas être assez considérable pour exciter l’indulgence des collèges en faveur d’un sujet inepte, ou pour rebuter un sujet plein de talents, mais borné dans ses moyens pécuniaires. Les meiges et les charlatans sont un des plus grands fléaux du peuple ; il est indispensable d’en purger la société. Quand un homme prétend avoir découvert quelque remède nouveau, faites examiner ce remède par des gens instruits, qu’ils en constatent les effets; et s’il est véritablement utile, récompensez l’inventeur; mais exigez de lui de rendre sa recette publique. Tout remède secret doit être traité comme une imposture, et tout homme qui le débite comme un charlatan. La raison et l’humanité sollicitent la vigilance de l’administration sur cet important objet. En établissant les écoles pratiques, il faut obliger les professeurs, qui seront des médecins d’hôpital, à tenir des notes fidèles de toutes les maladies qu’ils auront observées, et des plans de traitement qu’ils auront suivis : le résultat de ces notes donnera le tableau des épidémies et des mortalités, enrichira la science d’une foule d’observations précieuses, et, devant servir de juge au médecin, le prémunira contre toute espèce de négligence dans l’exercice de ses pénibles devoirs. Les découvertes médicales, chirurgicales, vétérinaires, doivent être rendues publiques, dans chaque département, par la voie de l’impression. Il n’est pas moins nécessaire d’y encourager l’établissement d’un journal, qui tienne registre de ce qui peut intéresser le peuple. Agriculture, commerce, manufactures, politique, morale, sciences naturelles, littérature même; ce journal devrait tout embrasser et tout approprier aux circonstances locales. Partout où des sociétés savantes seraient formées, il en recueillerait les travaux ; il ferait jouir les campagnes des connaissances du siècle qui leur conviendraient le mieux ; il y porterait des germes que l’influence d’un régime libre ne manquerait pas de développer. Sans liberté, les lumières se concentrent dans les classes que leurs richesses dérobent à la verge des oppresseurs ; sans lumières, la liberté ne serait qu’un fantôme menacée tour à tour par le despotisme et par l’anarchie, elle succomberait bientôt après des luttes impuissantes, sous les intrigues de quelque ambitieux, on tiendrait la société dans des troubles continuels, plus redoutables peut-être qiie la tyran-y nie elle-même. Ceux qui veulent que le paysan ne sache ni lire ni écrire , se sont fait sans doute un patrimoine de son ignorance : et leurs motifs ne sont pas difficiles à apprécier. Mais ils ne savent pas que lorsqu’on fait de l’homme une bête brute, l’on s’expose à le voir à chaque instant se transformer en bête féroce. Sans lumières, point de morale. Mais à qui donc im-porte-t-il de les répandre, si ce n’est au riche? La sauvegarde de ses jouissances, n’est-ce pas la morale du pauvre? Par l’influence des lois, par celle d’une bonne administration, par les efforts que doit inspirer à chacun l’espoir d’améliorer le sort de ses semblables, hommes publics, hommes privés, efforcez-vous donc de répandre en tous les lieux les nobles fruits de la science. Croyez qu’en dissipant une seule erreur, en propageant une seule idée saine, vous aurez fait quelque chose pour le bonheur du genre humain ; et qui que vous soyez, c’est par là seulement, n’en doutez point, que vous pouvez assurer le vôtre. Je proposerai peu de choses sur l’éducation des femmes. Les hommes destinés aux affaires, doivent être élevés en public. Les femmes, au contraire, destinées à la vie intérieure, ne doivent peut-être sortir de la maison paternelle que dans quelques cas rares. En général le collège forme un plus grand nombre d’hommes de mérite que' l’éducation domestique la mieux soignée, et les couvents élèvent moins de femmes qu’ils „ n’en gâtent. / Jean-Jacques Rousseau, dont le souvenir et les' maximes se présentent sans cesse à l’esprit toutes les fois qu’on parle de liberté, de philosophie, de culture de l’homme ; Jean-Jacques, plus grand encore peut-être par la multitude d’observations morales de détail, ou de leçons applicables au bonheur journalier de l’individu, qui remplissent toutes les pages de ses livres, que par ses systèmes généraux, métaphysiques ou politiques, était fortement pénétré de cette vérité si familière aux peuples anciens, que l’homme et la femme, jouant un rôle entièrement différent dans la nature, ne pouvaient jouer le même rôle dans l’état social, et que l’ordre éternel des choses ne les faisait concourir à un but commun, qu’en leur assignant des places distinctes. La constitution robuste de l’bomme, et les habitudes actives, énergiques, hardies, persévérantes qui doivent en résulter, déterminent le caractère de ses travaux : tous ceux qui demandent une force considérable, des courses lointaines, du courage, de la constance, des discussions opiniâtres, le regardent exclusivement. C’est lui qui doit labourer , négocier , voyager , combattre, plaider ses droits et ceux de ses frères les autres humains dans les assemblées publiques, enfin régler toutes les affaires qui ne se traitent pas dans le sein même de la famille ; et c’est à cela que son éducation le prépare, lorsqu’elle est conforme à la nature. La constitution délicate des femmes, parfaitement appropriée à leur destination principale, celle de perpétuer l’espèce, de veiller avec sollicitude sur les époques périlleuses du premier âge, et dans cet objet si précieux à l’auteur de notre existence, d’enchaîner à leurs pieds toutes les forces de l’homme, par la puissance irrésistible de la faiblesse; cette constitution, dis-je, les borne aux timides travaux du ménage, aux goûts sédentaires que ces travaux exigent, et ne leur permet de trouver un véritable bonheur, et de répandre autour d’elles tout celui dont elles peuvent devenir les dispensatrices, que dans les paisibles emplois d’une vie retirée. Imposer à ces frêles organes des tâches pénibles, charger ces débiles mains de lourds fardeaux, c’est outrager la nature avec la plus lâche barbarie : enlever ces êtres modestes et dont la pudique retenue A \rA [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] 519 fait le plus grand charme, au cercle des habitudes domestiques, qui font éclore ou du moins perfectionnent toutes leurs aimables qualités; les transporter au milieu des hommes et des affaires, les exposer aux périls d’une vie, qu’elles ne pourraient apprendre à supporter qu’en dénaturant leur constitution physique, c’est vouloir oblitérer cette exquise sensibilité qui constitue pour ainsi dire leur essence, et devient le garant de leur aptitude à remplir les fonctions intérieures qu’un bon plan social leur attribue; c’est tout confondre, c’est, en voulant les flatter par de vaines prérogatives, leur faire perdre de vue les avantages réels dont elles peuvent embellir leur existence, c’est les dégrader et pour elles-mêmes et pour nous ; c’est, en un mot, sous prétexte de les associer à la souveraineté, leur faire perdre tout leur empire. Sans doute, la femme doit régner dans l’intérieur de sa maison, mais elle ne doit régner que là; partout ailleurs, elle est comme déplacée; la seule manière dont il lui soit permis de s’y faire remarquer, c’est par un maintien qui rappelle la mère de famille, ou qui caractérise tout ce qui rend digne de le devenir. La juridiction d’une femme respectable n’en est pas pour cela moins étendue ; au contraire, son époux l’honore autant qu’il la chérit; il la consulte dans les occasions les plus difficiles:- ses enfants ont pour elle la soumission la plus tendre et la plus religieuse ; elle maintient la paix parmi ses proches et ses voisins; le jeune homme vient lui demander une compagne qui lui ressemble; elle verse autour d’elle les avis les plus salutaires, avec les aumônes et les consolations. Ainsi, en interdisant aux femmes l’entrée des assemblées publiques, où leur présence occasionnerait des désordres de plus d’un genre, en les écartant des fonctions publiques qui ne leur conviennent sous aucun rapport, je regrette beaucoup qu’on ne les ait pas admises au conseil de famille dont elles me paraissent devoir être l’âme, et que l’on n’ait pas saisi cette occasion pour établir les différences qui doivent distinguer les citoyens des citoyennes dans un ordre de choses conforme à l’admirable plan de l’auteur de l’univers. Pardon, Messieurs, si je sors de mon sujet. Je me hâte d’y rentrer en concluant que l’éducation des jeunes filles doit être ordonnée de manière à faire des femmes telles que je viens de les peindre, non telles que les imaginent des philosophes égarés par un intérêt qui fait souvent perdre l’équilibre à la raison la plus sûre. La vie intérieure est la véritable destination des femmes ; il est donc convenable de les élever dans les habitudes qui doivent faire leur bonheur et leur gloire; et peut-être serait-il à désirer qu’elles ne sortissent jamais de sous la garde de leur mère. Je ne demande cependant pas la suppression de toutes les maisons d’éducation qui leur sont consacrées. Mais comme ces maisons ne peuvent plus être régies par des associations libres, je voudrais qu’on en confiât le succès à l’industrie et à la considération publique. Il suffirait d'ailleurs de conserver les écoles de lecture, d’écriture et d’arithmétique, qui existent pour les filles, et d’en former de semblables dans toutes lesmunicipalités qui n’en ont pas, sur les mêmes principes que pour celles des garçons. Pariout l’étude de la physique a précédé le règne des lumières et de la sagesse. La connaissance des lois de la nature porte des coups mortels aux opinions superstitieuses, prépare l’extirpation des erreurs, et fraie la route de la vérité. Le créateur de la philosophie moderne, l’immortel Bacon, qui, brisant le sceptre de l’école, et du milieu des fausses clartés de son siècle, prévenant, par une espèce de révolution, toutes les conquêtes de l’esprit humain, s’était élancé dans l’avenir pour y diriger notre marche et régler d’avance tous nous pas, nos offre sans cesse le génie des sciences naturelles comme la vraie colonne lumineuse qui devait nous conduire au sein des déserts, et le peint chassant devant lui la scolastique avec tous les fantômes dont elle avait peuplé l’empire de la raison. En effet, Messieurs, c’est à ce génie bienfaisant que la philosophie doit ses premiers progrès. Les nations les plus éclairées n’ont secoué leurs préjugés qu’à son flambeau ; les nations ignorantes ne se débarrasseront de leurs langes que par le même secours. Il importe donc d’encourager, de favoriser, de faciliter l’étude de la nature et d’en fournir partout les moyens aux hommes avidesA de s’instruire. Mais indépendamment des cabinets de physi-)( que, d’histoire naturelle, des laboratoires de chimie, des jardins de botanique dont il est du devoir de l’administration d’enrichir tous les départements, je voudrais aussi que les débris des bibliothèques des maisons religieuses supprimées servissent de fonds pour de bons recueils de livres à l’usage du public; je voudrais qu’on les multipliât de toutes parts, afin de les rapprocher du plus grand nombre des citoyens ; je voudrais encore que, dans chaque district, ou du moins dans chaque département, on formât une collection de tous les instruments des arts, en commençant par les plus nécessaires à la vie et , les plus appropriés aux localités. Les avantages� d'un semblable établissement se font sentir d’eux-mêmes. Combien l’émulation des jeunes gens ne serait-elle pas excitée par la présence de ces maîtres, muets, à la vérité, mais plus instructifs dans leurs leçons que la plupart de ceux qui parient? En étudiant des objets qui sont sous les yeux, ia méthode qu’on emploie peut être plus ou moins parfaite, mais il est impossible qu’elle soit mauvaise : l’on peut acquérir plus ou moins d’idées; mais on n’en acquiert jamais de fausses. De toutes les considérations ci-dessus, je tire une série de conséquences que je résume en forme de décret. J’ajoute seulement un mot sur ce plan ; c’est � qu’en resserrant l’éducation gratuite dans les bornes les plus étroites, il ne se prête pas moins que le système actuel à tous les encouragements dont la nation croira devoir faire les frais ; et je me propose moi-même d’indiquer à l’Assemblée, dans des articles additionnels, quelques établissements utiles, qu’il serait sans doute chi-<C~~~ mérique, du moins, quant à présent, d’attendre des tentatives de l’industrie et des spéculations�� de l’intérêt particulier. PROJET DE DÉCRET SUR L’ORGANISATION DES ÉCOLES PUBLIQUES. TITRE Ier. Art. 1er. « L’Assemblée nationale, conformément à des principes déjà discutés, établit que toute fondation quelconque ne pouvantavoir pourobjetque l’utilité publique, et n’étant garantie que parla loi qui représente la volonté de la nation, la nation, ï>20 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] seul juge naturel de cette utilité, reste toujours maîtresse de retirer sa garantie et de se mettre à la place des fondateurs pour expliquer leurs intentions. L’Assemblée considère, que la loi étant l'expression de l’opinion ou de la volonté publique, c’est aux organes de cette volonté à déterminer immédiatement tout ce qui peut influer sur sa formation à l’avenir, et qu’il est important que l’éducation publique soit organisée sur un plan vraiment social ; qu’elle soit soumise à des magistrats élus et fréquemment renouvelés par le peuple, lesquels la dirigent toujours d’après ses intérêts, et n’y laissent introduire aucun genre de corruption : considère, en outre, que les académies étant l’espérance des gens de lettres de toutes les classes, et faisant une partie essentielle des corps enseignants, elles doivent être soumises au même régime et tendre au même but, qui est la propagation des idées saines et des connaissances utiles. Art. 2. « En conséquence, à l’avenir, les départements seront chargés de l’administration des académies et des écoles publiques; et dans le Corps législatif, il sera nommé un comité d’éducation, destiné à lui rendre un compte exact de leur situation dans tout le royaume, à lui présenter des plans d’amélioration ou de réforme, et à surveiller d’une manière spéciale la conduite des corps administratifs relativement à cet objet. Art. 3. « Toutes les académies du royaume, et notamment les 3 grandes académies françaises, des sciences, des inscriptions et belles-lettres, sont anéanties dès ce moment. Il en sera fourni une seule à leur place, qui portera le titre d 'Académie nationale. Cette nouvelle académie sera divisée en 3 sections, dont la première, sera dite philosophique; la seconde, littéraire; la troisième, des sciences. Chacune de ces sections contiendra 40 membres, et n’en pourra contenir davantage. Nul membre ne pourra être de 2 sections à la fois. Il n’y aura plus de membres honoraires; il n’y aura que des philosophes, des littérateurs ou des savants. Ils seront dorénavant élus, pour chaque section, par les 3 réunies, et sur la présentation de 4 commissaires nommés par le département, de tous les membres composant le comité d’éducation, et d’un certain nombre de gens de lettres qu’ils s’adjoindront à cet effet, qui proposeront 4 personnes pour chaque place vacante. Art. 4. « Les membres des 3 académies supprimées, connus par des travaux dans la littérature, dans les sciences ou dans les matières philosophiques, recevront, à la place des jetons, et en supplément de traitement, une pension qui ne pourra être moindre de 1,000 livres, ni plus forte de 1,500 livres, et qui ne sera susceptible ni d’éprouver elle-même, ni de servir de motif à aucune réduction ultérieure. Art. 5. « Cette Académie sera formée de la manière suivante : le comité d’éducation, les 4 commissaires du département, et les adjoints qu’ils se seront choisis, nommeront 20 membres qui exerceront tous les droits de l’Académie, jusqu’à ce qu’elle soit complétée par des élections successives ; bien entendu que chaque nouveau membre entrera, dès sa nomination, dans le partage de ces droits. Art. 6. « Il sera formé une seconde Académie, dite des Arts , divisée en 5 sections; savoir, une de peinture , une de sculpture , une d'architecture , une de musique et une d'art dramatique. Le choix des membres s’en fera d’après les mêmes principes et suivant les mêmes formes. « On assignera des fonds pour la dépense de ces 2 Académies, et pour les prix que chacune de leurs sections sera chargée Je distribuer. < Le comité d’éducation et le département jugeront si la Société d’ Agriculture doit être fondue dans la section des sciences de l’Académie nationale, ou en rester séparée. Art. 7. « Il y aura 100,000 livres destinées à pensionner les membres de l’Académie nationale; ce qui fera 33,000 et quelques cents livres pour chaque section. Les pensions seront de 1,000 à 1,500 livres chacune, et les membres composant les 3 académies supprimées obtiendront ces pensions par droit d’ancienneté. « Il y aura 100,000 autres livres destinées à pensionner les membres de l’académie des arts, ou 20,000 livres pour chacune de, ses sections. Les pensions y seront également de 1,000 à 1,500 livres; et les membres qui composent les académies actuelles des arts à Paris, les obtiendront également par droit d’ancienneté. Ces pensions ne pourront être distribuées qu’à des artistes. « Il n’y aura point de jetons accordés pour les séances. L’assiduité des membres ne sera pas comptée pour des travaux; c’est sur leurs travaux seuls qu’ils seront jugés dignes de récompenses nouvelles. La publication de leurs mémoires ou des journaux, imprimés au nom des académies, fournira pour cela des fonds, auxquels, s’il est nécessaire, on ajoutera des sommes prises dans le Trésor public. « Gohimela section des sciences de l’Académie nationale peut entreprendre des recherches ou faire des expériences coûteuses, le département, de l’aveu du comité d’éducation, doit se prêter à ces demandes, après avoir vérifié l’utilité de l’objet que ces savants se proposent. Art. 8. «' Les fonds des prix établis sous l’ancien régime rentrent de plein droit dans les mains de la nation, ainsi que ceux dont les académies jouissaient pour leur entretien. Cependant, comme l’intention de l’Assemblée est de les employer dans le même esprit, elle déclare qu’ils ne pourront être appliqués à d’autres usages qu’à l’avancement des sciences, des lettres et des arts. Mais elle autorise le comité d’éducation, et le département de Paris à déterminer l’objet et la forme de tous les prix qui se proposeront. Ainsi, avant d’en indiquer les sujets, les académies seront tenues de soumettre leurs programmes au département, qui les communiquera au comité d’éducation. « Les mêmes principes régiront les académies qui pourront s’établir dans les différents départements, et les directoires régleront le sort des membres dont elles sont composées aujourd’hui. Art, 9. « L’établissement d’aucune académie fondée 621 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] ne pourra se faire que sur la réquisition des départements et avec le consentement du Corps législatif. Art. 10. « Les académies seront tenues de faire des journaux et des mémoires relatifs aux objets de leurs fondations. Le produit de ces ouvrages sera destiné à augmenter les pensions des académiciens, et, en particulier, de ceux qui auront fourni des travaux considérables. Art. 11. « La police intérieure des académies sera réglée par elles-mêmes; mais pour être mise à exécution, il faudra qu’elle soit approuvée par les départements. Art. 12. « Tout membre d’une académie du royaume exercera les droits de citoyen actif, et sera éligible à l’Assemblée nationale (1). » TITRE II. DES COLLÈGES ET ÉCOLES PUBLIQUES. Art. 1er. « A l’avenir, tous les collèges et écoles publiques seront soumis aux départements, et ces corps administratifs en surveilleront l’enseignement et la police. Art. 2. « Les écoles de théologie seront toutes reléguées dans les séminaires. L’Assemblée nationale enjoint aux professeurs de théologie d’enseigner à l’avenir en français. Art. 3. « L’Assemblée nationale ne prononce point sur le sort des écoles de droit, jusqu’à ce que la réforme des lois civiles et criminelles ait pu s’effectuer. En attendant, elle en abandonne la direction à la sagesse des départements ; mais elle invite ceux-ci à faire des réductions dans les appointements des chaires qui viendront à vaquer, sauf aux nouveaux professeurs à exiger de leurs élèves une rétribution convenable. « Ces écoles seront toutefois tenues, ainsi que celles de théologie, de donner leurs leçons, et de faire soutenir leurs actes en français. Art. 4. « Dans chaque département, il y aura au moins uu collège de littérature. Le département fera en sorte qu’il s’en établisse dans chaque district. Dans chaque endroit où l’organisation nouvelle du clergé conservera un curé ou un vicaire, il y aura une école d’écriture et de lecture, pour l’entretien de laquelle il sera affecté une somme depuis 100 jusqu’à 200 livres, payables chaque N �année sur les fonds du département. Le maître � d’école sera autorisé à recevoir une rétribution de ses élèves : il enseignera à lire, à écrire, à calculer, et même, s’il est possible, à lever des (1) Dans cet article, et dans plusieurs de ceux des titres suivants, le législateur établit un des principaux caractères de l’éligibilité. La confiance des commettants devrait, je crois, être le seul ; mais sitôt qu’on veut en admettre d’autres, l’instruction doit tenir la première place, f Note de l'opinant.) plans et arpenter. Il se servira, pour enseigner à lire, des livres qui feront connaître la Constitution, et qui expliqueront d’une manière simple et nette les principes de la morale. Tout maître a d’école qui se distinguera dans ce genre d’enseignement recevra des récompenses qui seront fixées et distribuées par le directoire du département. La nomination des maîtres d’école de paroisse se fera de la manière suivante : La commune présentera trois sujets au directoire de district, qui sera tenu d’en choisir un; et le sujet choisi ne pourra être destitué, sans que les motifs de Ja destitution aient été discutés et trouvés valables par le même directoire. Art. 5. « Partout où il s’établira des collèges, le département leur fournira une maison propre à loger les professeurs, et à contenir des pensionnaires, avec des salles convenables pour les classes. Les appointements des professeurs équivaudront à la dépense de la table, réglée sur le prix des denrées dans le lieu : la rétribution qu’ils pourront exiger de leurs élèves, soit pensionnaires, soit externes, sera le véritable fonds de leur aisance. Art. 6. « Lorsque des congrégations religieuses, conservées par la Constitution, se trouveront chargées des collèges, le pouvoir public considérera leurs membres comme de simples individus; et l’autorité de leurs chefs sera nulle dans tous les objets relatifs à l’éducation. Art. 7. « Dans les collèges actuellement existants, les titulaires des chaires qu’on supprimera recevront leurs appointements en retraite; ceux qui seront conservés recevront en gratification viagère toute la partie de leurs appointements qui se trouvera dans le cas d’être réduite. Art. 8. « Il sera établi dans chaque collège unechaire� de grec, une de latin, une d’éloquence, une de philosophie, une de physique. Toutes ces chaires seront données au concours, et adjugées suivant � les formes prescrites par le département. Art. 9. « Les jeunes gens ne pourront être reçus dans un collège avant l’âge de 10 ans. Ils seront examinés sur leurs précédentes études; et, pour être admis, il faudra qu’ils sachent bien lire, bien écrire, bien compter, et qu’ils puissent répondre sur les principes de morale enseignés dans les écoles primaires. Art. 10. « Ils suivront d’abord à la fois les deux profes-V seurs de grec et de latin; ils ne pourront les suivre moins de deux ans. Ils passeront ensuite aux leçons des professeurs d’éloquence et de poésie, lesquels, en leur faisant connaître les grands modèles antiques et modernes, leur démontreront les procédés de l’esprit humain dans la formation du discours, et l’art de convaincre par le raisonnement, ou de remuer les passions par le sentiment et par les images. Les élèves les suivront à la fois, et, comme les premiers, au moins pendant deux ans. « Les dernières leçons qu’ils recevront dans le collège seront celles des deux professeurs de m [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 4191 .3 philosophie et de physique. Le premier achèvera de leur faire connaître les méthodes par lesquelles on marche d’une manière sûre à la vérité ; il leur expliquera les rapports des hommes entre eux, le système social, les droits des citoyens et les devoirs de l'individu; en un mot, tous les principes généraux de la morale publique et privée. Le second leur enseignera la géométrie et les lois de la physique ; il leur donnera des notions sommaires et préparatoires d’histoire naturelle et de chimie ; sa manière \ d’enseigner sera toute expérimentale. « Les jeunes élèves suivront à la fois les professeurs au moins pendant deux ans. Art. 11. « Gela fait, leurs études littéraires seront regardées comme finies. On examinera les élèves dans les collèges mêmes sur toutes les parties de leurs études; et ils recevront des grades, d’après les formes et moyennant le prix réglé par les départements. Art. 12. « Les jeunes gens ainsi gradués, jouiront de tous les droits de citoyens actifs. Art. 13. X « Les écoles de la marine, du génie, des ponts et chaussées, seront organisées dans le même esprit par les départements où elles se trouveront situées. Art. 14. ? « Toutes les écoles militaires se trouvent sup-' primées de droit par les décrets de l’Assemblée, qui assurent l’égalité des hommes : elles le sont dés aujourd’hui de fait. � « Toute nomination à des bourses, dans quelque X; école que ce puisse être, est suspendue et la nation se réserve à elle seule le droit d’en disposer, sauf à dédommager les nominateurs dans les cas où les départements le trouveront convenable. Art. 15. « Toutes les bourses se donneront au concours. Art. 16. « Elles ne pourront être moindres que de 150 livres, ni plus considérables que 400 livres. Ges évaluations seront cependant changées quand le prix de consommation l’exigera. « Une partie de ces bourses sera fondée pour le temps des études littéraires ; le reste, pour les deux dernières années seulement; et les règles de leur répartition seront fixées par le comité d’éducation et le département, à Paris, et, dans chaque département, par le directoire assisté du conseil administratif. Art. 17. \J « Les universités ne forment plus de corps ; il n’existera entre les différents collèges ou les différentes écoles que les liaisons qui doivent se 4 former naturellement entre les dépositaires et A. les propagateurs des connaissances utiles. Art. 18. « On tâchera d’établir dans tous les grands collèges deux chaires du même genre, afin d’exciter l’émulation des professeurs. Art. 19. � « Les professeurs des collèges exerceront tous les droits des citoyens actifs ; et, quand ils se retireront, ils deviendront éligibles pour l’Assemblée nationale. Art. 20. « On assignera des fonds pour leurs pensions de retraite, lesquelles seront proportionnées à leur âge, à leurs besoins, mais surtout à la durée et à l’importance de leurs travaux. Art. 21. « Tant qu’on jugera à propos de conserver les écoles de droit, et si l’on en forme dans la suite de nouvelles, leurs professeurs exerceront aussi tous les droits de citoyens actifs, et deviendront, à l’époque de leur retraite, éligibles pour l’Assemblée nationale. Art. 22. « On n’assignera des pensions de retraite aux uns et aux autres, qu’autant qu’ils auront subi dans leurs appointements les réductions indiquées pour les professeurs ci-dessus : mais dans ce cas ils auront été de même autorisés à recevoir des rétributions de leurs élèves. Art. 23. « Les jeunes gens gradués dans les écoles de droit seront dès ce moment éligibles pour l’As-semblé nationale. « Les graduations se feront en présence des directoires de département, des municipalités, ou d’un certain nombre de commissaires, nommés pour cela par les corps administratifs. G’est eux qui fixeront le prix des graduations, sur le principe général qu’il faut payer le temps des examinateurs, l’impression des thèses, le parchemin des grades, et rien de plus. Art. 24. « Partout où il y a des écoles de lecture, d’écriture et d’arithmétique pour les jeunes filles, on les conservera, et l’on en créera de semblables dans toutes les municipalités. Les unes et les autres seront formées suivant les principes énoncés dans l’article 4 du présent titre. Art. 25. « L’établissement de toute école particulière pour les enfants de l’un et de l’autre sexe sera �■parfaitement libre. (1) » TITRE III. ÉCOLE DE MÉDECINE. Art. 1er. « 11 sera formé dans tous les départements des écoles de médecine, d’après les mêmes principes que les collèges littéraires. Art. 2. « Le département fournira le local convenable, (1) Si l’Assemblée nationale juge à propos d'employer des sœurs de charité dans les eampagnes pour soigner les pauvres malades, et diriger les ateliers charitables des femmes, ces sœurs pourront encore tenir les écoles des jeunes filles, et remplir ainsi plusieurs objets utiles. ( Note de V opinant.) 523 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] qui sera, s’il se peut, à côté dans le voisinage d’un hôpital; la plupart des leçons devront se faire dans les salles, dans l’amphithéâtre ou dans la pharmacie de l’hôpital même; les écoles n’exigeront pas de bâtiments considérables. Art. 3. « Les médecins, les chirurgiens et les apothicaires seront gradués dans ces écoles; les droguistes y seront examinés. Art. 4. « Il y aura dans chacune d’elles un professeur d’anatomie, d’accouchement, d'opérations chirurgicales ; un de matière médicale et de botanique; un de chimie et de pharmacie; un d’institutions de médecine et de chirurgie; un de médecine pratique. Art. 5 (1). « Le cours d’anatomie et d’opération chirurgicales se fera dans l’amphithéâtre de l’hôpital, ainsi que celui d’accouchement ; le cours de matière médicale et de botanique se fera en partie dans la pharmacie de l’hôpital comme celui de chimie et de pharmacie, et en partie dans un jardin de plantes qui sera formé à cet effet. « Le cours d’institutions de médecine et de chirurgie pourra se faire dans une salle des écoles; il embrassera les principes généraux de ces deux branches de l’art de guérir. « Le cours de pratique se fera au lit même des malades ou dans une salle voisine, c’est-à-dire que le médecin de l’hôpital fera sa visite suivi de ses élèves, et sa leçon roulera sur les maladies qu’ils auront observées ensemble. Art. 6. « Les appointements de ces chaires seront réglés comme ceux de toutes autres chaires publiques. Les professeurs auront un logement et la table, ou l’équivalent de cette dernière en argent; et la puissance publique les autorisera à recevoir des rétributions de leurs élèves. Art. 7. « Les chaires de médecine seront données au concours, ainsi que toutes les autres. Art. 8. « Les professeurs de médecine exerceront les droits de citoyens actifs; en se retirant, ils deviendront éligibles à l’Assemblée nationale. Art. 9. « Quand leurs travaux, leur âge ou leurs infirmités mériteront des récompenses, ils les recevront en pensions de retraite, pour lesquelles le directoire assignera des fonds. Art. 10. « Les détails relatifs à la police des écoles de médecine seront réglés, aussi bien que la forme des concours et la manière d’en obtenir le résultat, par les directoires de département, de concert avec les professeurs. • Art. 11. « Les jeunes élèves suivront au moins pen-(1) Cet article a pour objet d’indiquer l’esprit et le but général de l’institution : il cesse par là d’être minutieux dans la bouche du législateur. (Note de l’opinant.) dant 2 ans les différentes leçons de théorie, et pendant 3 celles de pratique. En se présentant aux examens, ils fourniront des attestations de tous ces professeurs; celles surtout des professeurs de pratique doivent être sévèrement exigées. Art. 12. « Tous les professeurs des écoles, réunis, examineront les candidats en public, et en présence d’un certain nombre de membres du département ou de son directoire. Leurs questions rouleront sur toutes les parties de la médecine, mais spécialement sur la connaissance des maladies, sur l’esprit méthodique des traitements, et sur l’emploi des remèdes. Art. 13. « Les formes et les frais des graduations seront déterminés par le directoire du département. Art. 14. « Les graduations des écoles de chaque département seront valables dans tous les autres, seulement quand un médecin viendra s’établir dans un département différent de celui dans lequel il aura été gradué, il sera tenu de représenter ses titres au directoire et au corps municipal, et de se faire inscrire sur les registres publics. Art. 15. « La faculté de médecine de Paris, et la société royale de médecine formeront deux écoles distinctes, dont la rivalité tournera tout entière au prolit de la science. Elles seront organisées sur les mêmes principes. L’on établira dans chacune deux chaires du même genre, afin de donner plus de ressort à l’émulation des professeurs et des élèves. Art. 16. « Tout médecin dont les grades seront en règle exercera les droits de citoyen actif, et sera éligible pour l’Assemblée nationale. Les médecins gradués jusqu’à ce jour dans nos différentes universités jouiront des mêmes droits, et pourront pratiquer librement leur art dans tout le royaume. Art. 17. « Partout où il y a des universités, leurs facultés de médecine formeront les nouvelles écoles. Les professeurs y conserveront, en pensions de retraite, la partie de leurs appointements qui se trouvera dans le cas de la réduction déterminée par le présent décret. Le surplus des revenus üesdites facultés sera partagé en pensions viagères entre les membres qui les composent. L’Assemblée nationale n’entend point comprendre dans ce partage les dotations pour l'encouragement des jeunes élèves, dont l’emploi peut être amélioré, mais non pas changé. Art. 18. « Toutes les fondations pour des chaires seront employées suivant l’intention des fondateurs, en tant qu’elle ne dérogera point au présent décret. Dans le cas contraire, leur usage sera déterminé par le directoire du département, suivant les principes exposés ci-dessus, et d’après la décision du comité d’éducation. Art. 19. « Les fondations pour les réceptions gratuites 524 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1191.] seront transformées en bourses d’encouragement, lesquelles ne pourront être de moins de 150 livres, ni de plus de 400 livres. Les départements assigneront des fonds pour en créer dans toutes les écoles. Ces différentes bourses seront données au concours. Art. 20. « Les chirurgiens prendront leurs grades dans les écoles de médecine. Pour se mettre sur les rangs, il faudra qu’ils soient déjà gradués dans les collèges littéraires. Ceux qui ne le seront pas, pourront cependant être admis aux examens ; mais ils n’obtiendront qu’une simple permission de pratiquer leur art. Art. 21. « L’enseignement de la médecine et de la chirurgie, ainsi que tous les examens pour les graduations, se feront en français. Les thèses ou dissertations des candidats seront écrites dans la même langue. Art. 22. « Les médecins vétérinaires qui viendront s’établir dans un département, et les élèves qu’ils y formeront, seront soumis à l’inspection des écoles de médecine, auxquelles ils pourront être adjoints dans les cas et suivant les formes qu’elles jugeront convenables. « On donnera dans chaque district une gratification d’encouragement à un ou plusieurs chirurgiens accoucheurs, pour instruire les sages-femmes des campagnes. Les sages-femmes seront examinées dans les écoles de médecine, ou par des médecins et chirurgiens préposés à cet effet dans chaque district; et, pour exercer leur profession, elles devront avoir des certificats qui constatent leur capacité, soit des écoles mêmes, soit des médecins préposés à cette censure. Art. 23. « Tous les charlatans, meiges ou vendeurs de drogues qu’on aura surpris exerçant la médecine parmi le peuple, seront sévèrement punis ou réprimés. Art. 24. « Les départements et les municipalités feront surveiller les marchands de drogues par les écoles de médecine elles-mêmes, dans la ville où. elles seront établies, et dans les autres lieux, par des collèges ou sociétés de médecins dont on encouragera l’établissement. Art. 25. « Tous les marchands qui, sans l’approbation d’une école de médecine, où des médecins préposés à cet effet, débiteront des drogues dans les villes ou dans les campagnes, seront punis comme infracteurs des lois de police, et leurs drogues confisquées au profit de l’hôpital ou de la commune du lieu. Art. 26. « Tout vendeur de remèdes secrets sera traité comme un charlatan; l’on saisira ses remèdes pour les faire examiner par les écoles de médecine et pour les anéantir ou les conserver au profit des hôpitaux, d’après le jugement qu’elles en auront porté. Art. 27. « Celui qui prétendra avoir découvert un nouveau remède, pourra demander à faire épreuve de ses vertus en présence d’un certain nombre de commissaires des écoles de médecine. Les expériences seront répétées par d’autres commissaires des 2 écoles de Paris ; et lorsqu’on aura suffisamment constaté leur succès, l’inventeur recevra les récompenses pécuniaires, ou les honneurs dont l’importance de sa découverte le fera juger digne ; mais il sera tenu de rendre publiques, et la formule de son remède et la manière de l’employer. Art. 28. « Les professeurs des écoles pratiques tiendront des journaux exacts de toutes ies maladies qu’ils auront observées, et de tous les traitements qu’ils auront employés dans les hôpitaux. Les jeunes élèves pourront consulter ces journaux en tout temps? et les directoires les feront imprimer quand ils le jugeront à propos. Art. 29. « Toutes les observations de médecine, d’histoire naturelle, de physique, d’agriculture, de médecine vétérinaire, d’économie domestique, d’économie publique, surtout celles qui se trouveraient d’une utilité plus particulière pour chaque département, y seront publiées, soit par le moyen d’un journal répandu jusque dans le fond des campagnes, soit par le moyen d’un almanach qui fera pénétrer les idées saines dans toutes les classes du peuple. « Il sera formé dans chaque école de médecine un cabinet d’histoire naturelle, destiné principalement à recueillir les productions rares de la contrée, et une bibliothèque de médecine qui contiendra le choix des observateurs les plus exacts et des meilleurs écrivains de pratique. TITRE IV. DU THEATRE. Art. 1er. « Le théâtre sera considéré comme faisant partie de l’instruction publique. En conséquence, les hommes et les femmes qui cultiveront l’art de la comédie ou de la tragédie avec succès, et qui se feront estimer par leur conduite morale, pourront prétendre aux récompenses et aux distinctions que la société doit aux grands talents dans tous les genres. Art. 2. <i On assignera des fonds pour les pensionner, et ces personnes obtiendront des places dans la section dramatique de l’académie des arts. Art. 3. « Le théâtre, en qualité d’école publique, doit être soumis à l’inspection de la police; mais il doit être parfaitement libre. Les écrivains dramatiques répondront, comme les autres, de ce qu’ils auront produit au jour, et les acteurs de ce qu’ils auront représenté. Art. 4. « La liberté du théâtre entraîne avec elle l’abolition de tout privilège exclusif : cependant il ne pourra s’ouvrir aucune salle de spectacle, qu’au préalable, le directoire du département, ou le corps municipal du lieu n’en ait été prévenu. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] S25 TITRE V. DU MUSÉE, DU IARDIN DE BOTANIQUE ET DES BIBLIOTHEQUES PUBLIQUES. Art. 1er. «Le musée projeté par quelques agents de l’ancien régime, et sollicité par tous les amateurs des arts, sera exécuté aux frais du public. L’on y placera, d’une manière convenable, les chefs-d’œuvre rassemblés depuis plusieurs siècles dans des magasins, où ils resteut enfouis. Ge musée sera doté de revenus suffisants, pour pouvoir acquérir chaque année les meilleures productions nouvelles. Art. 2. « Toutes les bibliothèques publiques, le cabinet d’histoire naturelle et le Jardin des Plantes, ressortiront aux mêmes magistrats que le présent décret charge de surveiller l’éducation. Les places de ces divers établissements pourront être données aux membres les plus distingués de l’Académie nationale, et leur tenir lieu des pensions ou des récompenses dont la voix publique les jugera dignes. v' « 11 sera formé dans chaque chef-lieu de département, et s’il est possible dans chaque chef-lieu de district, une bibliothèque et un cabinet de physique, indépendamment de celui d’histoire naturelle et du jardin de botanique, dont il est parlé dans le décret sur les écoles de médecine. Il y sera formé en outre une collection de tous les instruments des arts, en choisissant d’abord ceux qui sont de l’utilité la plus générale ou de l’application locale la plus journalière et la plus étendue. Le tout étant destiné à l’instruction du public, sera sans cesse offert à sa curiosité. Les livres des maisons religieuses réformées sur le territoire du département, serviront de fonds à � chaque bibliothèque. » Telles sont. Messieurs, les idées que j'ai cru devoir offrir à votre examen, sur un sujet dont vous sentez l’importance. Je ne prétends pas avoir fait un plan complet dans toutes ses parties; mais j’indique des vues dont profiteront peut-être ceux qui sont plus dignes de l’organiser. Je remarque seulement que l’on ne doit pas m’objecter l’imperfection ou le défaut de complément des accessoires, et surtout des accessoires pratiques. Mon intention, encore une fois, n’a pas été, et celle de l’Assemblée ne doit pas être de tracer dans des décrets généraux un système, ou des systèmes d’enseignements, ni d’énoncer toutes les idées subsidiaires que ces systèmes doivent embrasser: son but, quant à présent, doit se borner à l’organisation du corps enseignant; et je n’ai pu penser à lui présenter autre chose. Si vous adoptez, Messieurs, le projet d’un comité d’éducation, alors je vous demanderai la permission de lui faire part de mes vues sur plusieurs objets particuliers, ou sur les méthodes même d’enseignement. Quelle que soit d’ailleurs leur justesse ou leur importance, elles prouveront du moins que, si je me suis interdit de porter ici mes regards sur les détails, ce n’est pas faute d’en avoir fait le sujet de mes méditations, et d’y avoir mis l’intérêt qu’ils méritent. Sans doute, ce n’est pas vainement que l’Assemblée nationale a posé les bases d’une Constitution libre : ce n’est pas vainement que cette Constitution prépare dans le lointain toutes les lois réclamées par la raison des sages. Cependant, et je ne saurais trop le répéter, si l’éducation ne venait concourir à ses effets, et si les habitudes de l’enfance n’ouvraient les âmes aux habitudes sociales qui doivent remplir la vie entière du citoyen, il manquerait un ressort puissant à la législation; et ses résulats politiques et moraux seraient plus tardifs ou moins universels. Je regarde donc comme indispensable de surveiller avec attention, surtout dans ce premier moment, les écoles publiques, et d’augmenter l’énergie de leur influence par tous les moyens qui ne blessent pas la liberté naturelle. Ces moyens sont près de nous; ils sortent comme d’eux-mêmes d’un ensemble de bonnes lois, ou plutôt de l’application de quelques principes. D’ailleurs, encore une fois, il ne s’agit pas de façonner les hommes dans un certain esprit, mais de les inviter à se façonner à leur guise, de les placer dans toutes les circonstances les plus favorables pour cet effet? de ne laisser aucun prétexte à la paresse, ni aucun sujet de murmure au talent. Il s’agit de faire sentir dans toutes les lois la nécessité de l’instruction, de la mettre à portée de tous les individus, de les engager à puiser dans cette source de tout bien, d'encourager leurs efforts, de récompenser leurs succès. Il n’y a rien de si facile en législation que de faire beaucoup de choses qui paraissent bonnes au premier coup d’œil. Chacun n’a-t-il pas ses projets de bien public, ses règlements, ses statuts, qui feraient tout rentrer dans l’ordre? Est-ce de bonnes intentions, de vues partielles très spécieuses, de fertilité dans les mesures, qu’ont manquées les créateurs et les réformateurs des lois ? Non, sans doute. Les lois surabondent partout, et chacune d’elles prises séparément, ou considérées sous les seuls rapports qui l’ont déterminée, présente toujours unbututile. Cependant, presque tous les maux du genre humain tiennent à cette multitude d’institutions qui se sont nécessitées réciproquement, et dont la moins désastreuse substitue des milliers d’abus à quelque inconvénient léger qu’elle devait prévenir. Le difficile, Messieurs, est de ne promulguer y que des lois nécessaires, de rester à jamais fidèle A à ce principe vraiment constitutionnel de la société, de se mettre en garde contre la fureur de gouverner, la plus funeste maladie des gouvernements modernes. On vous présentera sans doute des plans d’éducation bien organisés, peut-être même philosophiques dans leur objet etdans leurs moyens.Enaltaquantréducationgratuite,etmême V une éducation nationale ordonnée suivant un système et tendant vers un but que le cours de l’opinion ne pourrait dans la suite changer qu’avec beaucoup de temps et de peine, je Sens que je choque des opinions consacrées par les autorités les plus graves. Rien de plus imposant, je l’avoue, que ces sources de lumières, où chacun peut venir puiser librement comme dans les réservoirs ou dans les fontaines publiques. Mais, quand une nation fait quelque dépense, cette dépense n’en est pas moins payée par les individus ; elle l'est souvent par ceux qui ne peuvent en retirer aucun avantage, ou qui dédaignent d’en profiter, ou qui ne croient avoir aucun intérêt à surveiller son emploi, toujours moins économique par la nature même de la chose. L’éducation gratuite est payée par tout le monde : ses fruits ne 526 [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791,] sont recueillis immédiatement que par un petit nombre d’individus: elle sort beaucoup d’hommes V-îf de leur place naturelle, elle favorise la paresse cies instituteurs, elle diminue le prix de l’instruction aux yeux des disciples, elle retarde les progrès des sciences. L’ignorance actuelle du peuple ne permet pas, à la vérité, d’attendre paisiblement que la nouvelle Constitution l’élève toute seule, et lui fasse sentir la nécessité de s’instruire. Le pouvoir public ne peut rester froid spectateur du long combat des lumières et des ténèbres : il est, sans contredit, obligé d’y prendre part, pour en accélérer la catastrophe. Mai§ que peut-il, que doit-il faire pour cela? Peu de chose en apparence, Messieurs : protéger, exciter, récompenser. C’est ici qu’on obtient par le moins, ce que l’on chercherait vainement à obtenir par le plus : et je crois avoir indiqué les mesures con-A venables. Ainsi donc, pour être admis aux places, qu’il soit nécessaire de donner des preuves de savoir ; que tout homme qui veut enseigner un art quelconque, le puisse librement et fructueusement; que celui qui veut l’apprendre n’en soit empêché ni par le trop grand éloignement, ni par la trop grande cherté des maîtres, ou par celle des grades qui doivent constater le fruit de leurs leçons : mais en payant une rétribution médiocre, qu’il soit averti chaque jour du prix du temps et de celui des connaissances auxquelles il aspire, tandis que ses maîtres, aiguillonnés comme lui par l’émulation et l’intérêt, donneront à leur enseignement plus de méthode et plus de perfection; que la police se borne à surveiller les professions dont les erreurs ou les fraudes, funestes dans leurs effets, ne peuvent être facilement reconnues du public; que, d’ailleurs, l’exercice de tous les talents soit absolument libre; que les arts d’une utilité première, et ceux qui, procurant de nouveaux plaisirs, forment une branche importante des créations sociales, obtiennent d’une nation généreuse, sensible, éclairée, des récompenses et des honneurs publics; enfin, que le but de l’éducation nationale se rapporte à celui des autres institutions; que, par conséquent, elle ne dépende d’aucun pouvoir, dont les intérêts particuliers puissent la faire tourner à son profit, et qu’elle ne soit jamais confiée à des mains qui, loin du regard des magistrats, puissent en dénaturer le caractère. v/ Mais il est encore un autre moyen d’agir puis-* samment sur les hommes en masse, lequel peut être regardé comme faisant partie de l’éducation publique; et, sans doute, l’Assemblée nationale ne le négligera pas : c’est les fêtes publiques, civiles et militaires. Chez les peuples anciens, elles ont enfanté des prodiges : dirigées vers un but plus conforme à la nature de l’homme, leur influence n’en sera que plus étendue. Après les grandes lois générales qui sont les fondements de la société, rien peut-être ne mérite plus l’attention ■"X du législateur. Il ne suffit pas, en effet, de considérer l’homme comme l’instrument de l’agriculture, du commerce ou des arts, instrument dont toutes les lois doivent protéger et favoriser les travaux; il faut aussi le considérer comme un être sensible, dont on peut étendre l’existence par de vives affections pour le pays qui l’a vu naître, pour les institutions qui le gouvernent, pour ses semblables qui vivent sous les mêmes institutions : il faut songer qu’en le sortant presque sans cesse de lui-même, pour le mettre sous les yeux de la patrie, et l’attacher à elle par ses plaisirs, v autant que par la douce liberté dont il doit jouir dans son sein, l’on augmenterait son bonheur de tout le bonheur public, et l’on nourrirait en lui toutes les vertus par les sentiments patriotiques et fraternels, dont les fêtes de la liberté remplis-du/\ sent les âmes. Ces fêtes ne pourraient-elles pas être à la fois le théâtre des récompenses publiques, celui des talents, le bien commun d’un grand peuple et l’école du citoyen? Quel effet n’y produiraient pas des couronnes de chêne, de laurier, d’olivier, distribuées aux hommes vertueux, aux guerriers patriotes, aux écrivains utiles, aux grands maîtres dans tous les arts; des hymnes composés par les poètes les plus célèbres, chantés par des chœurs de jeunes citoyens et de jeunes vierges, accompagnés de cette musique simple, mais touchante et majestueuse, qui porte l’ivresse dans les grandes assemblées ; des discours appropriés aux circonstances, prononcés par des orateurs dignes des hommes libres qui viendraient les entendre? Voyez comme l’enthousiasme gagne les cœurs les plus froids; comme les larmes coulent dans tous les yeux; comme l’amour de la patrie et celui des vertus utiles au genre humain, c’est-à-dire des seules vertus, s’empare de cette jeunesse sensible, qui du moins ne deviendra pas meilleure sans devenir plus heureuse! Des récits fidèles font partager cette émotion à ceux mêmes qui n’en sont pas les témoins : chacun bénit les lois qui lui procurent tant de jouissances inconnues; et les étrangers arrivent en foule pour voir ces jeux d’une nation qui mérite son bonheur, comme autrefois ils accouraient de toutes parts aux jeux olympiques de la Grèce. II Sur les fêtes publiques, civiles et militaires. Messieurs, En vous soumettant mes vues sur l’éducation publique, j’ai cru devoir diriger vos regards vers une question subsidiaire qui se liait étroitement à mon sujet, et dont le régime de la liberté nous apprendra bientôt à sentir la haute importance : je veux parler des fêtes nationales. A la suite d’un projet de décret dont l’ensemble était bien plus important encore, il eût paru déplacé d’en distraire votre attention, pour l’attacher à des détails que beaucoup d’hommes sages sont habitués à regarder comme des jeux d’enfants, ou qui du moins, quant à leur utilité reconnue, ne pouvaient guère soutenir le parallèle avec ce que vous veniez d’entendre. J’ai donc jugé convenable d’en faire un article à part ; j’ai remis à un autre moment la discussion que je me proposais d’entamer, et je vous ai demandé d’avance la parole pour cet objet. Ne croyez cependant pas, Messieurs, que je vienne avec un plan systématique et régulier, avec des formules de lois, propres à fournir, dans l’instant même, la matière d’une délibération, et dontj’entendsjustitieretdéfendreen tousses points le dispositif. Nos prétentions se bornent à vous rappeler en peu de mots les liens secrets qui unissent les fêtes des peuples libres à leurs institutions politiques, les sources de bonheur et d’enthousiasme que le législateur peut y faire trouver aux individus, les motifs qui sollicitent vos déterminations sur l’emploi d’un mobile puissant que vous ne devez pas livrer au hasard : je me borne [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] Kg7 à tracer, non ces déterminations elles-mêmes, mais l’esprit dans lequel elles doivent être préparées : car si j’ose en esquisser le modèle, c’est moins dans l’espoir de vous le faire adopter, que pour mieux expliquer mes idées par des exemples. Enfin, dans un sujet qui, présentant à l’esprit tant de grands tableaux, et réveillant dans l’âme tant d’émotions profondes, semble être tout entier du domaine de l’imagination et du sentiment, j’écarte à dessein tout ce luxe de pensées et d’expressions qu’il appelle, et je me hâte d’entrer en matière pour ménager un temps dont vous devez, de jour en jour, devenir plus avares. . L’homme a des besoins de plus d’un genre, qui veulent tous être satisfaits pour le complément de son existence. Les uns tiennent à la conservation de l’individu, à la propagation de l’espèce; ils constituent plus spécialement la partie physique de l’existence humaine : les autres résultent des rapports sociaux qui s’établissent nécessairement entre des êtres sensibles réunis ; ils constituent le moral de l’homme, en prenant ce mot dans son sens le plus étendu. Ces derniers besoins se divisent encore en deux classes, dont la première comprend tous ceux qui doivent nécessairement être satisfaits, sans quoi les rapports des individus sont dénaturés, ou les relations de chacun d’eux avec le corps social totalement interverties dans leur mode et dans leur objet ; elle sert de base aux lois de la justice, et c’est à elle que ces lois se rapportent. Les besoins de la seconde classe dépendent d’une faculté qui n’est pas exclusivement propre à l’homme, mais qu’il paraît avoir reçue dans un degré plus éminent que les autres animaux, j’entends celle de partager les affections de tous les êtres, et particulièrement de ses semblables. C’est de là que naissent tous les sentiments de bienveillance, l’enthousiasme de l'amitié, le dévouement à la patrie; enfin toutes les passions douces ou sublimes qui donnent son véritable prix à la vie, et qui, d’après l’admirable plan de l’auteur des choses, nous font trouver notre bonheur le plus pur dans ce qui peut augmenter celui des autres. Cette faculté, qui nous identifie avec toute l’espèce humaine, est peut-être encore plus que les premiers besoins, le principe de notre sensibilité; et comme, d’autre part, elle est également la cause de ce penchant à l’imitation qui nous rend susceptibles de toutes sortes d’habitudes nouvelles, et constitue l’extrême perfectibilité de notre nature, il s’ensuit que les lois mêmes de notre existence, après avoir déterminé la formation de la société, indiquent et préparent tout à la fois les principales jouissances que nous devons chercher dans son sein. Les besoins physiques sont impérieux, mais ils sont très bornés : leur satisfaction ne souffre aucun retardement, mais elle est extrêmement facile ; et pourvu qu’on les satisfasse, n’importe comment le bien-être réel qui en résulte est à peu près le même. Ce n’est donc point sur eux qu’on doit fonder l’extension du bonheur des hommes. Mettons ces besoins à couvert, parce qu’ils en sont une condition nécessaire; mais cherchons ailleurs une base qui lui fournisse plus de latitude; cherchons d’autres moyens de verser sur la vie tout le charme qu’elle comporte. La vie ne peut pas être regardée comme un bien par elle-même : elle n’est que la place des affections dont nous sommes susceptibles. C’est donc surtout par le côté qui les admet en plus grand nombre, et dans un degré d’énergie plus indéfini, qu’il faut agir sur nous, si l’ont veut que nous puissions dire en arrivant au terme fatal : nous avons vécu. Ou est obligé de convenir que l’accomplissement de ce but heureux ne dépend point uniquement du législateur; mais ce que le législateur ne fait pas en masse, le moraliste le fait en détail. Celui-ci vient porter dans le cœur des individus, ou dans le sein de la vie domestique, les mêmes principes salutaires que le premier a placés dans la grande association. Le moraliste corrige les maux dont le législateur n’a pu délivrer entièrement les choses humaines ; il confirme les biens que les institutions publiques ont augmentées; il augmente ceux qui se sont dérobés à leur influence. Quand ces deux fonctions se trouvent réunies dans les mêmes mains, ou quand elles sont dirigées par le même esprit, leurs effets sunt bien plus sensibles encore; alors paraissent ces grands phénomènes sociaux, qui nous montrent de quelles vertus l’homme est capable, à quelles jouissances la nature le destine; comme les absurdes législations et les gouvernements tyranniques prouvent jusqu’à quel point d’avilissement et de misère il est possible de ravaler de grandes nations qui couvrent les plus heureuses et les plus fertiles contrées. Voilà, Messieurs, ce qui fit jouer un si beau rôle à quelques petites peuplades de la Grèce, dont l’histoire est encore la seule véritablement instructive, je pourrais dire, la seule lisible. Les philosophes qui les avaient éclairées par leurs écrits, furent choisis pour rédiger leurs lois. La Crète doit les siennes à Minos, Sparte à Lycurgue, Athènes à Solon; les disciples de Pythagore organisèrent tous les petits Etats de la grande Grèce, et même cette fatale république romaine, qui devait donner si longtemps des fers à toute la terre, puisque Numa, son législateur, était sorti de la même école. Voilà ce qui promet encore de plus grands avantages à i’Empire français, dont les nouvelles lois ont été préparées par les travaux des sages, et prononcées par des hommes dont plusieurs recevront ce titre de la postérité. Mais entre ces institutions anciennes et le système philosophique dont vous avez tenté l’entière exécution, il existe plusieurs différences remarquables, dont les plus importantes attestent les progrès de la raison dans les derniers siècles, mais dont quelques-unes aussi, je l’avoue, me paraissent à l’avantage des premières époques de lumière et de liberté. C’est de nos jours seulement que les procédés de l’esprit ont été recherchés avec exactitude, ■démontrés avec précision; que la route des découvertes utiles dans tous les genres a été tracée d’une manière ineffaçable, pour rester à jamais ouverte aux hommes susceptibles d’une attention commune. C’est de nos jours qüe toutes les connaissances humaines ont commencé à se correspondre, à s’éclairer mutuellement; qu’elles se sont organisées en ensemble, et que l’intelligence, perfectionnée par ce grand travail lui-même, a laissé sur toutes les colonnes de l’édifice des moyens sûrs de les compléter, inscrits en caractères visibles à tous les yeux. C’est de nos jours principalement que toutes les parties de la morale et de la politique sont venues se rallier autour de quelques principes généraux qui vous ont servi de guide dans vos discussions, et qui fournissent une règle fixe pour apprécier à l’avenir toutes les lois. Les anciens s’étaient fait de bien fausses idées de la liberté, puisqu’ils avaient cru pouvoir la conserver en ayant des esclaves : ils avaient méconnu l’égalité naturelle des hommes, puis- 528 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] qu’ils la foulaient aux pieds d’une manière si outrageante, et que leurs philosophes même établissaient dans la nature une différence entre l’esclave et l’homme libre; leur ignorance des vrais principes de la propriété se montre de toutes parts; et plus d’une fois ils les violent légalement, sous prétexte de corriger la distribution trop inégale des fortunes; enfin, la sûreté publique n’avait point été perfectionnée parmi eux; et l’on voit que, dans les agitations populaires, dont leur histoire fournit tant d’exemples, la police avait eu peu de force pour contenir les violences, et que l’ostracisme, si nécessaire peut-être relativement aux opinions, allait frapper trop souvent sur les personnes et sur les propriétés. Mais dans la connaissance des hommes, dans l’art de les diriger, presque en se jouant, vers un but quelconque, de produire les plus grands effets par les plus petits moyens, aucun législateur, aucun gouvernement moderne ne peut leur être comparé. Zaleucus veut arrêter les progrès du luxe dans la ville de Locres ; il fait proclamer une loi qui permet aux baladins et aux femmes de mauvaise vie de porter de riches habits et des broderies d’or et d’argent. Des statues se trouvent souillées dans une place publique de Lacédémone; quelques étrangers, arrivés récemment de Ghio, sont convaincus d’être les auteurs du fait : le lendemain, paraît un édit des Ephores qui donne aux habitants de cette île le droit de commettre librement toutes sortes d’infamies. Léonidas, à la tête des 300 Spartiates, qui défendirent si héroïquement le passage des Ther-mopyles, ordonne à ses soldats de se parer et de se parfumer comme pour un jour de fête. Ces mêmes héros, avant de quitter leurs foyers, certains qu’ils allaient à une mort inévitable, avaient célébré d’avance leurs propres obsèques, par des jeux funèbres, en présence de leurs pères, de leurs mères et de leurs amis. Dans une circonstance calamiteuse, Fabricius part à la tête d’une petite armée, sur laquelle repose le salut de la République romaine : il fait jurer à ses soldats, non, de vaincre ou mourir; il leur fait jurer de revenir vainqueurs. y Jusqu’ici, Messieurs, vos institutions portent l’emblème de la froide sagesse, de la justice, de la vérité; mais il y manque peut-être encore ce qui saisit l’homme par tous les sens, ce qui le r passionne, ce qui l’entraine. Vous avez assuré ses premiers besoins en lui rendant l’usage libre de toutes ses facultés, en protégeant tous ses travaux, en créant des forces qui veillent à sa sûreté personnelle ; vous avez établi ses vrais rapports avec ses concitoyens; vous avez pourvu à ce que ces rapports ne pussent jamais être violés impunément. Par vous, la loi reprend tous ses attributs; ce bandeau qui lui voile les personnes, cette balance qui pèse indifféremment les faits, et dicte les jugements, ce glaive qui représente la force publique armée pour le maintien de l’ordre; en un mot, vous vous adressez à la raison sévère, à l’impossible équité; et vous en prenez le ton, le langage. Mais ce caractère, le plus essentiel à toute législation, n’en maintiendrait peut-être aucune durant une certaine suite d’années. V L’homme en sa qualité d’être sensitif, est mené bien moins par des principes rigoureux, qui demandent de la méditation pour être saisis sous toutes leurs faces, que par des objets imposants, des images frappantes, de grands spectacles, des émotions profondes. Ces émotions lui rendent toujours son existence actuelle plus chère, en la lui faisant sentir plus vivement, et par ce moyen, l’on pourrait le passionner pour une organisation sociale, entièrement absurde, injuste et même cruelle; je dis plus, lui faire trouver du bonheur dans ce misérable état de choses. (\ Les exemples viennent en foule à l’appui de cette assertion; mais l’abolition de la servitude monacale étant irrévocable, ce n’est plus ici le lieu de les rappeler. L’homme, dis-je encore une fois, obéit plutôt à ses impressions qu’au raisonnement. Ce n’est par assez de lui montrer la vérité; le point capital est dele passionner pour elle : c’est peu de le servir dans les objets de nécessité première sil’on nes’em-pareencoredesonimagination.il s’agit donc moins de le convaincre que de l’émouvoir ; moins de lui prouver l’excellence des lois qui le gouvernent, que de les lui faire aimer par des sensations.affec-tueuses et vives, dont il voudrait vainement effacer les traces, et qui, le poursuivant en tous lieux, lui présentent sans cesse l’image chère et vénérable de la patrie. Pardon, Messieurs, si je vous arrête aussi longtemps sur une considération dont les théoriciens ne semblent pas avoir tenu compie. Malgré leurs calculs sur le progrès de lumière, malgré les effets rapides et sûrs qu’ils leur supposent avec beaucoup de fondement, je persiste toujours à la regarder comme très importante, comme très féconde en vérités pratiques. Et si, dans le fait, elle est rigoureusement applicable aux individus, elle l’est bien plus encore aux nations prises collectivement, surtout à la nation française, qui, propre à la culture de tous les talents et capable de toutes les vertus, est en même temps, s’il m’est permis de le dire, douée d’une mobilité si grande, que, pour tenir à ses travaux, pour conserver ses goûts et ses meilleures qualités, elle paraît avoir besoin de les transformer en passions, et de les environner toujours de quelques prestiges. Or je dis, Messieurs, que vous ne pouvez vous dispenser de jeter un regard sur cette partie essentielle de votre mission; et j'ajoute que, par une bonne organisation des fêtes nationales, vous commenceriez à remplir utilement l’objet politique et moral dont je viens de vous parler. On n’ignore pas les effets extraordinaires que ces fêtes, dirigées dans un certain esprit, ont produits chez tous les peuples. L’antiquité la plus reculée nous en offre des exemples précieux. C’est par les fêtes de Jérusalem que le législateur des Juifs leur inspira ce fanatisme, tout à la fois religieux et national, qui survit encore à leur existence politique, et triomphe de leur dispersion, de leur malheurs et même de leur avilissement. Les Parsis, dans une situation très analogue, n’ont subsisté si longtemps qu’à la faveur de quelques rites particuliers qui les réunissaient de cœur, lorsque leur réunion positive devenait impossible. Les Chinois, ce peuple esclave et lâche, qui s’étonne de ne pas trouver le bonheur au milieu de ses rizières abondantes, et qui, malgré quelques fragments de la plus haute sagesse, épars dans ses institutions, rampe sous la tyrannie cérémonieuse de ses magistrats et de ses lois bizarres; les Chinois ne sortent guère de leur léthargie habituelle que dans quelques fêtes emblématiques, dans celle surtout où le chef de l’empirerend un hommage solennelà l’agriculture, et vient incliner le sceptre devant la charrue nourricière. En un mot, tous les anciens peuples de l’Asie, quelques-uns même de ceux du nord de l’Europe, tels que les premiers Russes, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] 529 les Scandinaves et jusqu’aux nations civilisées du nouveau monde, dont les religions amalgamées avec la politique, leur montraient, dans les chefs du gouvernement, les enfants du Dieu de l’univers, et qui, dans les temples magnifiques consacrés à ce Dieu, venaient chaque année resserrer les liens qui les enchaînaient à la patrie : tous ces peuples, dis-je, ont dû leur attachement aux lois par lesquelles ils étaient gouvernés, et le caractère propre qui les a distingués de tous les autres, à leur réunion dans certaines époques, à certain culte qui devenait le garant deleur intime fraternité, à des jeux puérils en apparence. Mais aucun législateur n’a tiré si grand parti de ce mobile puissant, et ne l’a dirigé d’après des vues si profondes, que ceux des Grecs et des Romains. Chez les Grecs surtout, ils avaient parfaitement senti combien les lois pouvaient en recevoir d’énergie, et combien son action pouvait concourir avec elles, à produire des peuples aimables et guerriers, libres et sociables, fidèles aux sentiments de la nature et susceptibles du plus généreux dévouement, exempts des besoins du luxe et passionnés pour les jouissances des arts : c’est-à-dire combien il était approprié à la nature du cœur humain, aux circonstances politiques dans lesquelles on invoquait leur génie, à ce climat heureux, dont l’influence, imprimant à toutes les passions une égale activité, fournissait tant de moyens de les balancer les unes par les autres, et d’en faire l’aliment de toutes les vertus. Cependant, Messieurs, en vous proposant ces vues générales comme des modèles, je suis loin de croire que vous ne deviez pas consulter, dans leur application pratique, la différence des temps, des lieux, des hommes. Les données des législateurs grecs n’étaient pas à beaucoup près les mêmes que les vôtres; leurs institutions ont dû s’y plier et profiter habilement de tout ce qui s’y trouvait d’avantageux. Des peuples presque neufs, la plus belle langue qui jamais ait été parlée chez les hommes, une religion riante qui les environnait partout de leurs dieux, et prêtait un nouveau charme aux bois, aux campagnes, aux sites les plus romantiques, par la présence de ces dieux indulgents et sensibles, qui n’étaient pas étrangers aux affections humaines : rien de tout cela n’existe pour nous ; nos fêtes ne doivent donc point ressembler à celles d’Athènes, de Corinthe ou de Syracuse. Les Grecs sortaient à peine de la barbarie, quoique, par des combinaisons d’événements que l’histoire nous fait mal connaître, ils eussent déjà le premier instrument de civilisation, cette langue dont je viens de parler, admirable presque dès sa naissance. Leurs forêts, infestées de brigands et de voleurs, en avaient été purgées par des hommes pleins de courage : leurs marais croupissants, remplis de reptiles venimeux, avaient été desséchés, assainis : d’industrieux cultivateurs avaient défriché les terres, et de vastes contrées avaient reçu d’eux les leçons du labourage, l’art d’augmenter par la culture les productions des arbres à fruit, celui d’élever la vigne et d’en tirer une boisson que ses effets étonnants faisait passer pour un présent spécial de la divinité. L’agriculture exigeait une exacte observation du cours des astres, dont les révolutions périodiques règlent la marche des mois, des saisons et des années; il fallait fixer les époques des divers travaux; plus ces travaux étaient importants, et plus on devait juger nécessaire de les honorer par des commémoraisons destinées à diriger l’habitant des campagnes. Enfin, Série. — T. XXX. la société venait de se former ; ses bienfaits venaient de tirer l’homme du fond des bois et du ereux des antres, pour l’amener dans de fertiles plaines : au lieu du gland dont il s’était nourri jusqu’alors, Ja société, secondée des premiers arts qu’elle enfante, commençait à lui fournir une nourriture plus saine, plus analogue à son organisation ; à la voix de ses bienfaisants instituteurs, elle avait fait descendre du haut des montagnes les tigres et les lions, c’est-à-dire les hommes sauvages; et la douce harmonie de la parole humaine avait créé des peuples, bâti des villes, établi des lois et quelque ombre de gouvernement. Voilà quels étaient les faits vers lesquels il fallait tourner sans cesse les regards de ces peuples encore grossiers ; voilà ce qu’il fallait offrir à leur vénération, à leur reconnaissance, et leur donner à la fois, comme objet des souvenirs les plus chers, comme un encouragement utile, et comme un guide dans tout ce que l’état social exigeait d’eux. Tels furent aussi les sujets que leurs législateurs adoptèrent pour les fêtes publiques, la formation de la société, ses premiers travaux, la fuite et le retour de certains astres, qui servent à mesurer le temps, et qui sont des agents d’une grande importance dans l’univers; et comme les phénomènes qui s’y manifestent, si dignes de l’admiration des êtres les plus éclairés, le deviennent facilement des hommages superstitieux de l’ignorance; comme le culte des forces de la nature, de ces forces bienfaitrices, auxquelles l’homme doit tous les éléments de ses jouissances et de son bonheur, mais qui, s’exerçant quelquefois d’une manière menaçante, laissent toujours dans son âme des terreurs secrètes; comme ce culte n’avait pas peu contribué à rapprocher les premiers humains, à fléchir leurs esprits indociles, à cultiver leurs mœurs sauvages, à donner à l’édifice social une base imposante, l’on fit entrer dans toutes les institutions politiques de cette même religion qui passait pour leur avoir donné naissance, et qui réellement avait fourni de grands moyens pour les établir. Les dieux et les lois, la magistrature et le sacerdoce se donnèrent donc mutuellement la main. Get accord se fit sentir partout, en paix, en guerre, dans la vie publique, dans la vie privée, mais particulièrement dans les jeux destinés à réunir les citoyens; et, bien qu’il soit tant de fois, depuis, devenu très funeste à la liberté des peuples, les législateurs le firent servir alors, au contraire, à nourrir tous les sentiments énergiques qui la conservent, et à remplir plusieurs autres objets d’une utilité générale. Vos circonstances, Messieurs, le but vers lequel vous devez tendre, les moyens que vous devez employer sont absolument différents. Depuis longtemps, une grande nation gémissait sous le triple joug du despotisme, du sacerdoce et delà féodalité; ces principales branches de tyrannie se subdivisaient dans un nombre infini de ramifications qui venaient atteindre l’homrne jusque dans les plus petits détails de la vie domestique. Partout ses droits étaient méconnus. S’il voulait agir, il sentait ses mouvements empêchés; s’il voulait suivre une route, à chaque pas des barrières injustes lui fermaient le passage, une ombre de société donnait à cet état cruel quelque chose de plus désolant, en lui donnant le caractère du système et de la règle. On parlait de lois, et la volonté publique n’avait jamais été recueillie; on parlait de gouvernement et les chefs du peuple n’avaient aucun compte à rendre ; on parlait de 34 g30 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791. j justice, et les magistrats n’en prononçaient les oracles que pour s’y soustraire, que pour exécuter quelquefois en grand les mêmes rapines qu’ils punissaient en petit; on parlait d’un Dieu, père de tous les humains, d’une religion de paix, destinée à les réunir par des sentiments fraternels, à perfectionner la morale; et ce Dieu, cette religion servaient de prétexte aux barbaries les plus révoltantes, d’aliment aux divisions les plus cruelles, d’instrument pour la violation de tous les droits de l’homme, sur lesquels sont fondés ses devoirs et la moralité de ses actions. Les forces publiques s’étaient concentrées dans un petit nombre de mains ; les fortunes avaient suivi la même pente. Dans ce beau pays où la nature a prodigué ses largesses, à peine pouvait-on compter quelques milliers d’opulents sur plusieurs millions de misérables. D’un côté se trouvaient le pouvoir, la richesse, le caprice furieux et le dégoût qu’ils enfantent; de l’autre, la pauvreté, l’abjection et l’effroyable état moral qu’elles nécessitent. Ainsi tout était tombé dans le dernier abîme de la corruption : les uns, par l’excès des jouissances sans désirs, par le défaut de rapport entre leurs circonstances et leurs moyens naturels; les autres, par l’excès des besoins, par leur avilissement extrême, par la distance incommensurable que le hasard avait mise entre eux et des êtres de la même espèce. Cependant, au milieu de ce désordre, et s’il faut le dire, par un enchaînement d’effets qui lui faisaient porter son remède avec lui, les arts avaient été cultivés, la culture des arts avait amené celle des lettres; les lettres nous avaient appris à nous mieux servir du raisonnement; et la philosophie ne s’était peut-être élevée à ce degré de perfection, qui rendait nos métaphysiciens, nos moralistes et nos écrivains d’économie politique les précepteurs des peuples même les plus libres alors, que par le sentiment sans cesse renouvelé des maux et des outrages qu’éprouvait parmi nous la nature humaine. D’autre part, les abus de tout genre, portés à leur comble, étaient devenus intolérables pour le peuple le plus patient qui fût jamais ; les déprédations du Trésor public affaiblissaient chaque jour l’autorité du monarque; l’excès des impôts en avaient rendu toute extension nouvelle absolument impossible, et, par un juste retour, les calamités delà nation commençaient à se faire sentir à leurs propres auteurs, à ceux dont elles avaient été jusque-là le patrimoine. Tout à coup une crise imprévue s’annonce; un déficit énorme dans ce qu’on appelait les finances du prince, se déclare; la Révolution comipence. Votre convocation, Messieurs, vos sages décrets, les fautes des ennemis du bien public et l’énergie d’un peuple déjà mûr pour la liberté, ont fait le reste. La Révolution, la Constitution: voilà ce que nos fêtes publiques doivent retracer, honorer, consacrer. Il n’y sera pas question d’une victoire remportée sur le sanglier d’Erymanthe, sur le lion de Némée, sur l’hydre de Lerne; mais de l’extirpation des abus féodaux, sacerdotaux, judiciaires, despotiques; vous y parlerez au peuple des événements qui ont amené les institutions nouvelles; et pour donner à ces institutions un accent plus animé, un aspect plus pittoresque et plus sensible, vous les attacherez à ces événements immortels. On pourrait dire à la vérité que l’état du territoire de la Grèce primitive est l’emblème fidèle de la situation politique d’où nous sortons; que la Révolution produite dans son sein, par les dé" frichements et par la destruction des êtres nuisibles, hommes ou bêtes sauvages, est l’emblème des travaux de cette assemblée et des efforts d’un peuple généreux que la voix de la liberté vient de faire sortir tout à coup de sa longue léthargie. J’en conviendrais sans peine : mais nous ne chercherons pas nos images si loin de l’objet dont elles doivent nous entretenir. Nous devons rappeler des faits importants, nous devons y lier des lois nouvelles qui en ont été la suite, et pour ainsi dire l’ouvrage. Fixer les uns dans la mémoire, imprimer le respect des autres dans toutes les classes de la société : tel doit être l’objet de nos fêtes ; et ces fêtes doivent à leur tour venir se mêler facilement à toutes uos habitudes antérieures. Par l’effet de plusieurs circonstances particulières, la religion des Grecs entrait assez naturellement dans leurs fêtes nationales. Une imposante sévérité ne lui interdisait point de se trouver au milieu des chants, des danses et des jeux : elle était pour ainsi dire plus profane qu’eux-mêmes : sa présence ajoutait à leur éclat tout le charme des illusions poétiques; et, fille de l’imagination, elle en nourrissait les élans, elle en étendait l’empire, elle en encourageait les travaux. Ajoutez à cela que, destinée à rendre la vie plus chère et plus douce aux hommes, cette religion (sans doute très imparfaite) ne les détachait pas de la terre pour les transporter dans les cieux; qu’elle resserrait au contraire tous les liens qui le3 unissaient à leur famille, à leurs concitoyens, à la patrie, et qu’elle se rapprochait par là du caractère et du but des institutions civiles. Mais la religion chrétienne, plus sublime dans ses vues, paraît avoir négligé tous les soins d’ici-bas. Elle prêche l’abnégation de soi-même, le renoncement aux objets de nos plus tendres affections : c’est un commerce intime et continuel de la créature avec la divinité : le tumulte, la joie, toutes les passions étrangères à la seule qu’elle proclame, altèrent sa pureté majestueuse; et son visage se voile à l’aspect des bruyants transports et des attachements humains qui les inspirent. Notre respect pour ses dogmes augustes et pour sa morale divine, se montrera bien moins dans une attention scrupuleuse à-ne pas la tirer de l’enceinte sacrée des temples, que dans un empressement aveugle à la transporter au milieu des spectacles, où tout ne peut être digne de ses regards. L’objet de nos fêtes nationales doit être seulement le culte de la liberté, le culte de la loi. Je conclus donc à ce qu’on n’y mêle jamais aucun appareil religieux; et je crois entrer ainsi dans les intentions que vous avez manifestées, et donner une preuve de ma profonde vénération pour la foi de nos pères. Quand des Grecs, après la bataille de Marathon, font prononcer l’éloge funèbre des guerriers morts pour la défense de la liberté; quand ils écoutent avidement aux jeux olympiques leur propre histoire, écrite et prononcée par Hérodote; quand ils s’animent aux chants de Pindare, ou qu’ils distribuent aux artistes célèbres, aux sages, aux grands citoyens, des couronnes, des applaudissements et des marques de respect, ils sont bien plus près de ce que vous devez faire ; ou plutôt ils vous fraient la route, et vous n’avez qu’a suivre leurs traces. En effet, Messieurs, vous voudrez sans doute, non seulement que les fêtes de la France célèbrent les jours heureux où des troupeaux d’hommes [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1101.] 53I sont devenus une nation, et qu’en faisant sentir l’esprit des lois à qui cette Révolution mémorable a donné naissance, elles en gravent l’amour dans tous les cœurs; vous voudrez aussi que les vrais patriotes, hommes d’Etat, guerriers, philosophes, y trouvent leur récompense dans des éloges qui consacrent leur mémoire; que les grands poètes, les orateurs éloquents y récitent leurs vers, y prononcent leurs discours, y recueillent les acclamations d’un peuple immense; que les grands peintres, les grands sculpteurs y livrent leurs ouvrages à son admiration passionnée; que les musiciens célèbres y fassent entendre des accents inconnus à des oreilles esclaves ; enfin, que les uns et les autres augmentent la pompe du spectacle et par leur présence même, et par les décorations que de si nobles circonstances pourront inspirer à leur génie. Je citerai aussi les triomphes des Romains et leurs saturnales, comme très conformes à l’esprit qui doit diriger nos fêtes, si ces triomphes n’avaient été destinés à nourrir la fureur avide d’un peuple conquérant, et si les saturnales, en rappelant d’une manière illusoire l’égalité primitive des hommes, n’avaient encore mieux attesté les différences oppressives et barbares que les lois de l’esclavage avaient mises entre eux. Mais revenons à l’état actuel des choses : voyons le parti qu’il est possible d’en tirer pour notre objet, et cherchons les moyens d’y mettre en pratique le résultat des considérations précédentes. Le citoyen et le soldat sont deux êtres distincts, qui se rapprochent à quelques égards, il est vrai, mais qui différent essentiellement à plusieurs autres. Par soldat, j’entends seulement ici les troupes de ligne; car, les gardes nationaux ne sont que des citoyens armés pour le maintien de l’ordre intérieur, ou de leurs droits menacés par quelque force entreprenante; et tous les citoyens, au premier signal de la patrie, deviendront gardes nationaux : mais ni l’esprit qu’il leur est permis, ou plutôt qu’il leur est ordonné de porter dans leur service, ni le genre d’obéissance que leur chef peut exiger d’eux, ni leurs rapports avec la chose publique, ni le point de vue sous lequel ils doivent envisager la loi, ne sont les mêmes que pour des troupes réglées. Enchaînés à la même Constitution, à la même autorité centrale, leurs liens sont différents : il faut donc des fêtes civiles et des fêtes militaires; il en faut aussi, je crois, qui servent de point de ralliement entre les citoyens et cette même armée qu’ils entre-tienneni pour leur défense extérieure. Les événements de la Révolution qui regardent plus particulièrement les citoyens, et les lois qui s’y rapportent d’une manière directe, feront le sujet des premières; les événements relatifs aux soldats, et les lois dont il est le plus essentiel de leur imprimer le respect, feront le sujet des secondes .- enfin, les troisièmes, ou la troisième, dis-je, renouvellera le pacte ou le serment qui lie les militaires au reste de la nation; et sans doute, en même temps, elle resserrera les nœuds politiques et fraternels qui réunissent toutes les parties de l’Empire autour d’un centre commun. Je vous propose donc, Messieurs, de décréter ce qui suit : je ne m’attache point à développer en détail les motifs de chaque article ; il ne peut rester aucun doute à cet égard. PROJET DE DÉCRET. Art. 1er. « L’Assemblée nationale, considérant que chez tous les peuples libres, les fêtes publiques ont été l’un des moyens les plus puissants d’attacher les citoyens à la patrie, de les unir entre eux par les liens d’une heureuse fraternité, de nourrir le respect des lois, de donner plus d’éclat aux récompenses dont les actions utiles, les grands talents et les grandes vertus sont jugés dignes par la nation ; considérant, en outre, que les rapports et les devoirs des troupes de ligne diffèrent essentiellement de ceux des autres membres de la société ; qu'il est nécessaire que la même différence se retrouve dans leur culte patriotique ; mais qu’il ne l’est pas moins d’instituer une cérémonie commune qui les rassemble tous sous les étendards de la Constitution ; décrète qu’il y aura chaque année 4 fêtes civiles, 4 fêtes militaires et une grande fête nationale, dans laquelle soldats et citoyens viendront se confondre à la voix fraternelle de Légalité, et renouveler, au nom de tous les départements et de toutes les fractions de l’armée, le serment de maintenir l’unité de l’Empire. Art. 2. « Les 4 fêtes civiles se célébreront aux 4 grandes époques de l’année, dans la huitaine qui précède ou dans celle qui suit les solstices et les équinoxes. La première se nommera la fête de la Constitution, en mémoire du jour où les communes de France se constituèrent en Assemblée nationale. La seconde se nommera la fête de la Réunion ou de V Abolition des ordres; elle sera destinée à rappeler l’un des plus grands événements de la Révolution, celui peut-être dont les résultats doivent devenir un jour le plus utile au peuple. La troisième sera dite la fête de la Déclaration , on y célébrera la déclaration des droits de l’homme sur laquelle est fondé tout le système des lois nouvelles et la Constitution elle-meme. La quatrième enfin s’appellera la fête de l’Armement ou de la Prise d'armes; son objet est de conserver le souvenir de l’accord admirable et du courage héroïque avec lequel les gardes nationales se formèrent tout à coup pour protéger le berceau de la liberté. Art. 3. « Ces 4 fêtes ne se borneront pas à rappeler les faits importants de la Révolution; elles consacreront aussi d’une manière plus spéciale le respect des lois qui s’y rapportent, et les discours ou les pièces de poésie que les magistrats v laisseront prononcer devront concourir au même but. « Elles seront célébrées par toute la France, dans les chefs-lieux de département, dans ceux de district, de canton, et dans les plus petites communes ; les communes enverront des députés à la fête de leur canton, les cantons à celle de leur district et les districts à celle de leur département. « On y prononcera l’éloge funèbre des hommes qui auront rendu des services à la patrie ou qui l'auront honorée par leurs talents ; on y distribuera toutes les récompenses publiques, les prix des académies, ceux mêmes des collèges ; on y représentera, aux frais du public, des pièces [Assemblée nationale. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] de théâtre, tragiques, comiques ou lyriques, analogues aux circonstances, et propres à nourrir à la fois l’enthousiasme de la liberté et le respect de la force publique qui la protège. Ou y exposera les nouveaux chefs-d’œuvre de peinture, de scuplture, de mécanique, enfin de tous les arts quelconques : et la musique, les chants et les danses viendront seconder l’effet de ces grands tableaux. « Les directoires de département et de district ou les conseils des communes régleront tout ce qui concerne la police de ces fêtes; c’est eux qui en fixeront le jour et la durée, qui en approuveront les plans, qui détermineront le sujet des éloges, des discours ou des ouvrages en vers qu’on y récitera ; c’est eux, en un mot, à qui l’exécution du présent décret est confiée, et à qui l’Assemblée nationale en recommande l’esprit, bien plus que l’observation minutieuse. Art. 4. « Il y aura chaque année 4 fêtes militaires qui se célébreront aux mêmes époques que les fêtes civiles. La première s’appellera la fête de la Révolution ; elle a pour objet de ramener les regards de l’armée sur ce grand changement qui vient de s’opérer dans les choses, lequel n’intéresse pas moins le soldat que les autres citoyen?.* La seconde s’appellera la fête de la Coalition en mémoire de la conduite des troupes de ligne pendant l’été de 1789, où la voix de la liberté les réunit autour de la patrie, et où les agents égarés du despotisme tentèrent en vain d’en faire les instruments de leurs vengeances et de l’oppression publique. La troisième sera dite la fête de la Régénération ; elle consacrera les nouvelles lois qui régénèrent l’armée, et qui, rapprochant son organisation du vrai système de l’égalité politique autant que le permet la discipline, rendent le soldat français digne du peuple libre, dont ses armes doivent protéger et les propriétés et la Constitution. La quatrième sera la fête du Serment militaire ; son but est de faire sentir à l’armée ses rapports particuliers avec la chose publique, de lui retracer ses devoirs en caractères sensibles, et de la pénétrer de respect pour l’indispensable sévérité des règles qui la gouvernent. Art. 5. « Ces fêtes seront célébrées par toutes les garnisons, par tous les régiments, ou par toutes les fractions de régiments en station dans un lieu quelconque. On y prononcera des discours ou des ouvrages de poésie, appropriés aux sentiments que la circonstance doit produire, mais surtout les éloges funèbres des guerriers dont la vie aura été consacrée à la défense de l’Etat et au maintien de la liberté publique; on y donnera des représentations théâtrales gratuites comme dans les fêtes civiles et d’après la même intention ; l’on y distribuera toutes les récompenses dont les membres des régiments ou delà garnison se seront rendus dignes ; enfin une musique guerrière, des danses et des décorations du même genre ajouteront à l’éclat et rendront plus ineffaçables les impressions de ces utiles spectacles. « Des commissaires nommés par le corps des jurés du régiment ou de la garnison régleront la police et l’ordre des fêtes militaires; ils en fixeront le jour et la durée ; ils détermineront le sujet des ouvrages qu’on y prononcera ; ils feront le choix dès pièces dramatiques qui seront représentées, et rien ne se passera sans leur approbation formelle ou sans leur aveu ; leurs soins entretiendront la décence au milieu de la liberté; et du sein de la joie et du plaisir, ils feront sortir des leçons profondes ou des tableaux propres à réveiller toutes sortes d’émotions patriotiques. Art. 6. « Il y aura de plus une grande fête nationale, dite la fête de la Fédération ou du Serment , laquelle a pour objet de renouveler le serment de fraternité qui lie tous les citoyens entre eux, et tous les départements du royaume à l’autorité centrale et à la Constitution. Cette fête se célébrera tous les ans, le 14 juillet, sous les yeux et sous les auspices du Corps législatif, qui chargera son comité d’éducation d’en ordonner le plan, d’en régler les détails et d’en faire surveiller la police par des commissaires du département et de la municipalité de Paris. Tous les districts du royaume enverront à la grande fête nationale un député qui sera pris indifféremment parmi les simples citoyens ou les hommes publics en fonction. Les corps militaires enverront un député par 1,000 hommes, lequel sera pris indifféremment parmi les simples soldats, les bas officiers ou les officiers supérieurs. « L’esprit d’après lequel cette fête doit être dirigée est parfaitement le même que celui des autres fêtes publiques ; seulement les vues en sont plus générales, et les moyens doivent répondre à la grandeur de ces vues. Art. 7. « La sévère majesté de la religion chrétienne ne lui permettant pas de se mêler aux spectacles profanes, aux chants, aux danses, aux jeux de nos fêtes nationales, et de partager leurs bruyants transports, il n’y aura désormais aucune cérémonie religieuse dans ces fêtes. Art. 8. « Le roi ne pourra jamais assister aux fêtes nationales sans être accompagné du Corps législatif ; le président du Corps législatif et le roi seront toujours placés à côté l’un de l’autre, sur deux sièges parfaitement égaux. Art. 9. « Les gens de lettres et les artistes sont invités à publier leurs idées sur la décoration des différentes fêtes instituées par le présent décret. L’adoption des meilleurs plans en sera le prix le plus désirable ; mais leurs auteurs recevront, outre cela, des récompenses ou des honneurs publics. » Encore une fois, Messieurs, j’insiste plutôt sur le sens et le but de ce décret que sur le décret lui-même. Il est facile de faire mieux ; mais ce n’est qu’en partant des mêmes principes ; ce n’est qu’en suivant la même route. Chez tous les peuples de la terre, les fêtes nationales peuvent produire les plus grands et les plus utiles effets ; chez les Grecs, elles ont enfanté des prodiges ; deux grandes expériences nous ont appris que les Français n’étaient pas moins susceptibles d’en éprouver l’influence que les habitants du Pélo-ponèse et de l’Archipel hellénique. Rappelez-vous ce jour mémorable où, de toutes les parties ne l’Empire, accourant dans une douce ivresse, les enfants de la Constitution vinrent lui jurer sous vos yeux une invincible fidélité ; rappelez-vous celte foule de scènes touchantes [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1191.] 533 ou sublimes, dont la capitale fut alors le théâtre, et qui se répétèrent comme par une sorte de sympathie ou d’inspiration, non seulement dans nos campagnes les plus reculées, mais jusque chez les nations les plus lointaines. Ce jour ne vous a-t-il pas montré l’homme sous des rapports nouveaux ? Ne vous a-t-il pas fait connaître des jouissances dont l’imagination ne peut deviner le charme, et que vous aviez entièrement ignorées? En vous rendant à cette salle, quel spectacle frappa vos regards dans tout l’espace occupé par la longue chaîne de cette phalange fédérale, dépositaire des vœux et des serments de la France entière 1 En vain l’horizon se couvre de nuages épais ; en vain ces nuages versent à grands flots une pluie presque continuelle, comme pour retracer dans cette fête l’image des obstacles que le patriotisme avait rencontré sur tous ses pas : l’ordre de la marche n’est jamais interrompu, la gaieté circule sans cesse de rang en rang ; des femmes délicates descendent au milieu des rues, apportent du pain, du vin, des aliments de toute espèce aux soldats de la liberté, et se plaisent à braver auprès d’eux les torrents du ciel. On marche aux acclamations d’une foule innombrable : on arrive dans un cirque immense qui semble renfermer tout un peuple. Ces spectateurs, que l’œil se fatigue à parcourir, sont là depuis l’aube du jour, se jouant, assis, de l’inclémence du temps. D’autres spectateurs couvrent les arbres, les maisons, le coteau qui domine le lieu de la scène. La pluie redouble : elle ne fait que rendre plus vifs et plus animés les chants, les ris et les danses. Mais qui peindra le moment où le drapeau sacré s’élève dans l’air, où l’engagement solennel se prononce, où le pacte de la grande famille sociale se consomme ? Pour espérer de tout reproduire, il faudrait n’avoir rien senti. Le désordre s’empare de toutes les âmes : un même sentiment les remplit, un même vœu s’exhale de toutes les bouches ; des larmes délicieuses roulent dans tous les yeux. Les foudres guerriers qui tonnent, ajoutent à l’émotion générale, des impressions dont on ne peut se rendre compte ; et tout cet appareil militaire prête un charme inexprimable à cette cérémonie de paix et de fraternité. Mais les travaux du Champ de Mars, qui l’avaient précédée, ne sont-ils pas plus impossibles à décrire ? Quel est donc ce peuple qui, secouant encore, pour ainsi dire, son esclavage, connaît déjà tous les mouvements de la liberté ; qui, prononçant à peine, depuis un an, le doux nom de patrie, sait trouver ses plaisirs les plus purs dans son dévouement à cette divinilé tutélaire ! Les philosophes ne le croyaient-ils pas eux-mêmes incapable de sortir, sans de longs efforts, de l’état d’abjection où l’avait précipité le despotisme ? Peuple sensible et généreux ! comblé de tous les bienfaits de la nature, ah ! qu’il jouisse enfin de tous les bienfaits des lois ! il les a mérités par ses vertus, il les a conquis par son courage. Je voulais, Messieurs, vous parler aussi de la fête funéraire célébrée peu de temps après dans le même lieu : mais je sens que je m’égare au milieu de tant de tableaux : mon cœur est oppressé de tant de sentiments divers. Deux de vos membres vous ont rapporté les impressions qu’ils avaient recueillies dans cette dernière fête. On vous a dit quel silence morne et religieux avait régné dans foute l’enceinte du cirque I Comme la marche des gardes nationales avait été grave et pensive ! Comme une consternation profonde, mais magnanime, s’était emparée de tous les spectateurs I Les accents prolongés d’une musique lugubre, des coups de canon tirés à temps égaux et par intervalle, les signes de la douleur sur tous les drapeaux, sur tous les habits, sur tous les instruments guerriers ; quelques cyprès épars autour de l’autel et du catafalque, des inscriptions simples, dont l’une peut être comparée à ce que l’antiquité nous a laissé de plus beau dans ce genre : tout, en un mot, portait dans l’âme et les regrets les plus sentis sur la perte qu’on venait d’éprouver, et le vœu le plus profond d’imiter ce vertueux dévouement, de mériter des larmes si honorables. Oui, sans doute, il est peu d’âmes, j’aime à le croire, soit dans les murs de la capitale, témoins de cette imposante cérémonie, soit dans les autres lieux de la France, qui la répétèrent ; il est peu d’âmes assez abjectes pour n’avoir pas alors désiré des occasions, mais, hélas 1 des occasions moins douloureuses, de se dévouer à la patrie. 0 saint amour de la patrie ! O amour plus saint encore de l’humanité I vous faites la véritable gloire, le véritable bonheur de l’homme. Régnez pour toujours chez une nation digne de ressentir vos nobles élans et votre inépuisable enthousiasme : enflammez les courages, élevez les âmes, épurez les mœurs, enfantez les plus grands exemples, resserrez tous les cœurs par les liens fraternels d’une égalité touchante ; et faites que chacun de nous trouve à jamais sa propre félicité dans l’aspect de la félicité publique, dans l’exercice de toutes les vertus, dans les sacrifices que les lois ou l’intérêt de nos frères pourront exiger, et dans le ravissement continuel des sentiments qui dictent ces généreux sacrifices. III Sur l’établissement d'un lycée national. Messieurs, Le grand objet de l’éducation publique, qui vous occupe dans ce moment, offre à l’espritune foulede points de vue nouveaux; il ouvre aux recherches de la philosophie des sentiers peut-être entièrement inconnus ; il attend des lumières du siècle d’importantes améliorations et dans son but et dans ses moyens. Mais, ni les discussions spéculatives auxquelles il peut donner lieu, ni le choix des plans d’enseignement, ni la méthode raisonnée qu’il faut suivre pour perfectionner et propager les bienfaits de la science, ne sont du domaine de cette Assemblée. Vous devez laisser faire librement à cet égard, comme à tout autre; vous devez préparer le bien possible, vous devez le nécessiter, en quelque sorte, en appliquant à l’esprit humain, s’il m’est permis de parler ainsi, cette chaleur vivifiante qui le féconde et qui hâte ses progrès. Mais, après avoir mis l’homme à l’abri de l’homme; après avoir replacé tous les individus dans les rapports mutuels d’indépendance, où les avait mis la nature ; après avoir assuré la permanence de ces rapports, par la protection et par le frein des lois; après avoir tracé dans ces lois mêmes, la seule route où chacun puisse trouver l’ampliation de son existence, en concourant à la prospérité générale, soit par d’utiles travaux, soit par les connaissances qui les enfantent ou 534 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] les dirigent; après avoir enfin répandu dans le sein de la société des principes d’encouragement et des centres de lumières : votre tâche est remplie ; et ce n’est même pas à vous qu’il convient de faire tous les bons établissements publics relatifs à l’éducation. Ceux qui se trouvent intimement liés à l’organisation du corps enseignant sont, je le répète, ici, les seuls qui vous regardent; ils ne regardent que vous; ils ne peuvent être déterminés que par vous ; et s’il en est qu’on doive considérer comme le complément de ce corps; s’il en est qui, nécessaires comme partie de la machine sociale, telle que vous l’avez organisée, soient réclamés encore par toutes les considérations politiques, philosophiques et morales, votre mission même vous impose le devoir d’en faire le sujet de vos délibérations etlamatièae de vos décrets. Le but général de l’association, Messieurs, est le perfectionnement du bonheur de l’homme; le but général de l’éducation est le perfectionnement des moyens par lesquels s’étend notre existence et peut s’accroître notre bonheur. L’homme est un être sensible, c’est-à-dire capable d’être averti qu’il existe, par une série de mouvements qui s’opèrent en lui, et par l’action des corps qui l’environnent, action que les lois delà nature font servir et rendent nécessaire au maintien de ces mouvements. L’exercice de nos organes est une suite de notre sensibilité; à son tour, c’est par lui qu’elle est reproduite, c’est par lui qu’elle est entretenue. 11 faut donc rapporter tous nos besoins à cette même sensibilité. Mais, d’autre part, les moyens qui nous été donnés pour les satisfaire, dépendent également de l’exercice de nos organes ; ou plutôt, ils ne sont que cet exercice considéré sous de certains rapports, et dirigé d’après de certaines lois, dont la nature surveille, à notre insu, l’exécution, ou d’après un plan que l’expérience et le raisonnement nous suggèrent; ainsi, nos besoins et nos moyens se réunissent et se confondent à leur source. Ils sont les uns et les autres des émanations de la sensibilité, dernier fait auquel on puisse remonter dans l’étude de l’homme ; et l’on voit en ceci, comme dans tous les ouvrages de la nature, par quelle simplicité de ressorts elle produit tant d’effets variés et si contraires en apparence, et comment tout s’y correspond, S’y compense et s'y nécessite dans une constante réciprocité. Au premier coup d’œil, l’éducation semble avoir uniquement en vue la culture des moyens dont l’homme fut doué par l’auteur de son être; mais dans le fait, elle tend à développer ses besoins à peu près dans la même proportion ; et, d’après ce qui vient d’être dit, l’on voit facilement pourquoi les uns concourent autant que les autres à l'augmentation de ses jouissances. L’important n’est pas de resserrer ses besoins en deçà des limites de la nature, ni de donner à ses moyens une extension forcée qui l’embarrasse et la fatigue; mais de les maintenir dans un état de balancement et d’équilibre, de manière qu’ils croissent et décroissent toujours ensemble. Maintenant, pour sortir de ces principes, qu’on peut qualifier d’abstraits, et dont l’immédiate application ne se fait peut-être pas sentir, je dis que l’éducation est la culture de l’homme; c’est le développement de tout ce qui concourt à son existence; c’est l’apprentissage de la vie, et l’art de la rendre plus complète et plus heureuse. Or, dans ce sens, l’homme est élevé par les lois mêmes qui le font vivre, parles phénomènes que ces lois produisent en lui, par cette chaîne non interrompue de sensations et de mouvements qui lui sont propres; il est élevé par les impressions successives et continuelles qu’il reçoit des objets extérieurs, et dont celles mêmes qui paraissent produites à son insu, déterminent toujours, dans les modifications de son être, des changements plus ou moins remarquables. / Mais ce n’est pas encore là ce qu’on entend proprement par éducation. Ce mot désigne la partie de la culture humaine, qui peut être soumise à l’art, et sur laquelle, les circonstances dépendantes des hommes, ont une influence certaine. Or, ces circonstances qui peuvent être changées ou dirigées, embrassent la vie presque-entière; elles s’étendent à nos rapports les moins appréciables; elles nous poursuivent jusque dans nos habitudes les plus infimes. Je veux dire que directement ou indirectement, il est presque toujours possible d’altérer, de corriger, jusqu’à un certain point, les relations de l’homme avec les objets qui l’environnent, ou d’affaiblir et de balancer les effets de ces relations; et, quoique la nature se soit exclusivement réservé l’empire de quelques-unes; quoique ses déterminations soient, à quelques égards, absolument invincibles; quoiqu’il fût absurde de prétendre la contrarier, et que d’elle-même, peut-être sans aucune participation de notre part, elle sache nous former au rôle que son plan nous destine; en un mot, quoique ses leçons qui parlent à tous nos sens, doivent servir de règle pour celles que nous voulons nous donner à nous-mêmes, ou que nous recevons d’autrui; l’éducation considérée comme un art, est incontestablement un art très étendu; son action sur l’existence physique et morale de l’homme, est à peu près indéfinie; les progrès méthodiques dont il est susceptible sont absolument incalculables; et je n’hésite point d’assurer hardiment que nulle part encore l’expérience n’a montré, même de loin, tous les avantages qui peuvent en résulter pour le bonheur des individus, et pour la prospérité des grands corps sociaux, qui seuls en garantissent la durée. L’homme est, dis-je, le disciple des forces vivantes qui l’animent, lesquelles produisent eu lui des mouvements dont il est averti, tantôt par des sensations immédiates qui les accompagnent, tantôt par d’autres sensations plus éloignées ou moins distinctes, mais qui cependant, dérivent de la même source. Il est également, et bien plus encore peut-être, le disciple de tous les objets de la nature avec lesquels il peut avoir quelque relation, c’est-à-dire qui peuvent agir sur ses organes. Mais le but immédiat de son éducation n’est autre chose que la connaissance de ces objets; ils en sont donc à la fois le terme et le moyen. 11 ne lui importe pas également de les connaître tous : plusieurs lui sont et lui resteront éternellement étrangers; c’est sans inconvénient qu’ils lui restent inconnus : il n’éprouve de la part de quelques autres qu’une action faible ou passagère; des notions superficielles à leur égard lui suffisent. Les seuls qu’il ait besoin de connaître sous toutes leurs faces, sont ceux qui doivent renouveler fréquemment sur lui leurs impressions, ceux avec lesquels il se trouve dans un commerce constant, ceux dont -les rencontres sont capables rie lui causer des dommages sensibles ou de lui procurer de notables avantages. Voilà sans doute la matière principale de ses observations et de ses éludes : mais aussi, voilà ce que la nature met toujours soigneusement à [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] Kgg sa portée, autant à peu près que ses besoins l’exigent. L’art ne consiste pas à dédaigner et repousser les sages dispositions de la nature; il consiste au contraire à le3 adopter avec choix, à les imiter avec adresse, à les combiner avec intelligence. De tous les objets dont l’homme doit vivre entouré, celui sans doute qu’il lui est le plus essentiel de bien connaître, avec lequel ses rapports sont les plus étendus et qui nécessairement, influe le plus sur son existence : c’est l’homme; c’est avec l’homme qu’ii commerce sans cesse, depuis le moment de sa naissance jusqu’à celui qui l’enlève de la scène du monde, susceptible de vivre dans autrui et par autrui, cette qualité distinctive qui l’incorpore, pour ainsi dire, avec toute son espèce, et qui fait la principale force de la chaîne sociale, lui défend de mener une vie isolée. S’il est perfectible, c’est par des communications de pensées; s’il est heureux, c’est par des communications de sentiments; et ses plus grands maux lui viennent des faux rapports qui s’établissent entre lui et ses semblables. Gela posé, l’art de coexister convenablement avec eux est la partie fondamentale de l’éducation et cet art, comme tous les autres, étant le v fruit de l’exercice, ne s’apprend qu’au milieu des hommes. Chez les nations simples, il est presque le seul moyen de jouissance ; chez les nations civilisées, il devient un besoin journalier et pressant; chez les peuples libres, il entre en quelque sorte dans les devoirs du citoyen. A toutes les époques de la vie du genre humain, sous toutes les institutions sociales, au fond des forêts et des déserts incultes ou dans les campagnes fertilisées par le travail, sous le chaume des hameaux ou dans le sein des grandes villes, l’homme ne s’élève point sans le concours des hommes : il serait absolument impropre à la plus importante de ses fonctions. Mais peut-il s’établir de véritables relations morales entre l’enfance et les périodes de la vie qui s’en éloignent considérablement? La société de l’enfant et de l’homme fait, de l’adolescent et du vieillard, peut-elle être fondée sur l’union de ces âmes si dissemblables dans leurs goûts et dans leurs passions ? Non, sans doute. L’enfant a besoin de son père pour le secourir et le défendre ; il a besoin de sa mère pour le nourrir, pour le soigner, pour le soulager dans les continuelles infirmités du premier âge ; mais les besoins de son cœur, le portent vers les enfants comme lui; un doux penchant le fait sourire à leur aspect; c’est avec eux qu’il aime à jouer; c’est avec eux qu’il aime à se développer et à vivre. Qu’y a-t-il de commun entre sa vie et celle des êtres dont il ne saurait partager les désirs, et qui ne peuvent plus s’associer à ses affections naissantes ? 11 semble qu’à l’entrée de la carrière, quand nous ne sommes pas en état de faire des choix raisonnés, l’instinct pat une espèce de plan machinal, nous rapproche, par préférence, des êtres qui peuvent faire route, et la terminer avec nous. y Mais il y a plus : l’instinct choisit ici comme l’instituteur le plus sage et le plus profond. Ce que nous apprenons des enfants -de notre âge, est d’une toute autre importance que ce que nous apprendrions des personnes plus expérimentées ; ou plutôt avec les premiers, nous nous élevons véritablement, nous acquérons des idées justes, la nature fait éclore dans nos cœurs tous les germes des sentiments droits, elle nous plie par degrés à toutes les habitudes de la morale au moyen de la mutuelle indépendance où nous laisse encore l’ignorance des chimères du monde: avec les autres, nous n’entendons que des choses au-dessus de notre intelligence, nous nous accoutumons à recevoir sans examen et répéter sans jugement des mots vagues, dépourvus pour nous de toute signification. Nos âmes se glacent et se dessèchent dans un commerce qui ne leur inspire rien, et, tandis que nous perdons un temps si précieux pour la culture de cette aimable qualité, qui, confondant notre existence avec celle de nos semblables, nous rend tout à la fois et plus habiles à les connaître, et plus propres à leur plaire, et plus susceptibles de goûter tout le charme des communications sociales ; nous perdons également les plus irréparables occasions de développer en nous ces sentiments bienveillants et expansifs qui forment la base de toutes les vertus, et qui sont comme les garanties de la fidélité des relations que la nature détermine ou que les conventions établisssent entre les hommes. v Ges réflexions, auxquelles je ne me permettrais pas d’attacher si longtemps votre attention, si je ne les croyais propres à répandre du jour sur l’importante matière qui s’agite maintenant, laquelle touche par tous les points aux vues métaphysiques les plus profondes et aux considérations morales les plus étendues ; ces réflexions, dis-je, nous ramènent à la nécessité de l’éducation publique, dont j’ai sommairement énoncé les motifs dans mon esquisse d’organisation du corps enseignant ; elles me rapprochent ainsi de l’objet particulier que je viens aujourd’hui vous soumettre et qui, je pense, ne s’y trouvera point étranger. Mais je sollicite encore un moment d’indulgence. Souffrez que je rappelle ici quelques idées générales d’où je suis parti dans cette esquisse : elles se confondent, d’une part, avec ce que vous venez d’entendre, et, de l’autre, se lient non moins naturellement à ce qui me reste à dire. J’observe d’abord en passant que l’éducation publique, bien que la meilleure pour les hom mes, bien que la seule propre à leur faire déployer toutes leurs forces, ne me paraît pas convenir y également aux femmes. Les femmes y contracte-A raient peut-être des qualités qu’elles n’ont pas et qu’on estime justement dans nous. Mais ce ne serait qu’en perdant celles qui font leur plus grand charme, et, par conséquent, auquel les tient leur bonheur. Elles doivent donc en général, à mon avis, être élevées sous les yeux maternels, ou du moins dans le sein de la vie domestique, et j’en ai dit les principales raisons. Je n’ajoute rien dans ce moment, mais je me propose de vous présenter avant que votre travail se termine, quelques considérations particulières sur cet objet ; j’y joindrai des vues pour amalgamer et fondre plus rapidement les habitudes des deux sexes dans l’esprit des nouvelles lois, et pour diriger vers le patriotisme, l’influence de celui des deux qui restera toujours en possession d’attacher un attrait puissant aux goûts qu’il inspire ou qu’il partage. Mais de ce que l’éducation publique forme desV hommes tels que l’éducation privée n’en formera jamais, il ne s’ensuit pas que la société soit en droit de la prescrire comme un devoir ; de ce que la société doit recueillir les fruits de l’éducation de chaque citoyen, il ne s’ensuit pas qu’elle en doive faire elle-même les frais. Cette question rentre dans toutes celles de l’industrie. Qui doute que les succès de l'agriculture et du commerce n’intéressent le public? Cependant le public croirait-il pouvoir en diriger à son gré les 536 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [10 septembre 1791. J entreprises, ou sera-t-il tenu d’en fournir les \ /avances? Les travaux des arts ne se font-ils pas x mieux pour lui-même, sans son intervention? • Quel genre d’encouragement pourrait en perfectionner les procédés, en multiplier les chefs-d’œuvre à l’égal des espérances, des libres calculs, ou même des spéculations jalouses de ceux qui les cultivent? Très certainement, il n’est pas r de son intérêt de troubler les individus dans l’exercice de leurs forces et de leur intelligence, ni de vouloir leur tracer des règles et les faire i agir selon ses vues. Pour mener à la fortune, à la considération, il faut nécessairement que leurs travaux lui soient utiles ou agréables : les avantages qu’il en retire sont la mesure de ceux qu’il peut s’en promettre. > Mais indépendamment de ce motif, dont la va-V lidité n’est plus contestable, je dis que la puissance publique n’a pas le droit de franchir, à l’égard des membres du corps social, les bornes de la surveillance contre l’injustice, et de la protection contre la violence; et par la même raison ce qu’ils ont droit d’en attendre à leur tour, se réduisant à la garantie de leur sûreté et de leur liberté personnelle les seules choses qu’un être isolé ne puisse s’assurer par lui-même, elle ne peut exiger de chacun que les sacrifices néces-a saires au maintien de la liberté et de la sûreté iV de tous. Au reste, ces sacrifices n’en méritent pas le nom, puisqu’ils sont de véritables avances publiques, destinées à consolider les droits et à protéger l’emploi des moyens que nous avons reçus de la nature. Je pourrais dire plus ; car l’existence sociale, qui tend à perfectionner et perfectionne en effet tous les donsde cette mêmenature, semble ne nous avoir placés si loin de l’état, auquel elle nous fait aspirer, que pour nous rendre , les artisans de notre propre fortune, pour offrir' un aliment éternel à l’insatiable activité qui nous dévore, et pour donner une extension presque indéfinie aux courts instants de la vie humaine, soit par les désirs qui la remplissent, soit � par le but qu’elle peut atteindre. > Mais ceci se rapporte encore à un principe plus général. La société n’existe que par les individus ; en conséquence, non seulement, elle doit exister -- pour et consacrer, s’il le faut, à la défense de chacun, la force de tous, et les moyens qu’ils ont mis en communauté; mais elle doit surtout respecter elle-même cette existence particulière, la seule qui soit de la nature, la seule dont aucun intérêt ne puisse légitimer la violation. Elle doit la mettre religieusement à couvert des atteintes dont les passions audacieuses ou les erreurs publiques la menacent; elle doit quand les unes ou les autres en ont altéré l’essence, la rétablir avec soin dans toute son intégrité, et lui fournir les moyens de se déployer, de s’étendre, de se multiplier, pour ainsi dire, sous toutes les formes, et dans tous les genres d’activité dont elle est susceptible. Il faut, saus doute, que les citoyens soient étroitement liés à l’intérêt national; mais ils ne peuvent l’être d’une manière durable, que par leur intérêt propre. Chacun d’eux en coexistant avec la nation, doit cependant rester dans sa sphère, et s’y mouvoir d’après les lois qu’il s’impose lui-même. Aiusi l’ordre social le plus parfait serait, si je ne me trompe, réciproquement dans les limites de la justice, et dont la surveillance simple et facile, comme celle de l’intelligence universelle qui gouverne le monde, garderait presque le même caractère d’invisibilité. Voilà des vérités également certaines sous tous les régimes et dans tous les systèmes d’économie publique; mais elles le sont bien plus encore dans nos sociétés modernes, dont la propriété fait la base, et dont les passions que son esprit enfante, deviennent le principal mobile. Les peuples chez lesquels le législateur avait fondé sur d’autres principes la durée de l’association semblent à l'inverse de nous, n’avoir existé que par elle et pour elle; la patrie n’était pas seulement le centre de ralliement des citoyens; c’était, en quelque sorte, la source de tout leur être, le seul point par lequel ils sentissent et goûtassent la vie. Tout devait être commun chez ces peuples; et les travaux, et les jeux, et les repas, et même les objets des affections les plus exclusives. Cette partie devant laquelle ils se dépouillaient de tous les droits de l’homme, leur devait, en dédommagement, une protection plus étendue, une satisfaction plus facile de leurs besoins, et des jouissances inconnues, qui devenaient d’autant plus vives, qu’étant peut-être entièrement factices, elles transportaient sans cesse l’âme hors de son assiette naturelle. C’est à quoi les lois de quelques hommes de génie avait très bien pourvu. / Quant à nous, il en est autrement. Nos institutions et celles de nos voisins, se rapportent presque uniquement à la propriété. C’est par la propriété que nous tenons au système social : nos habitudes ont suivi la direction que ce ressort devait leur imprimer ; et la fortune publique s’est fondée sur le libre développement des fortunes particulières. Il s’ensuit de là que parmi nous, tout ce quelles individus peuvent faire par eux-mêmes, ne doit être fait que par eux, et que le gouvernement ne doit prendre sur lui, que les entreprises dont l’exécution leur serait entièrement impossible. En appliquant ce principe à l’éducation, il m’a ,paru qu’on devait la regarder, relativement aux ijmaîtres, comme une simple branche d’industrie jet relativement aux élèves, comme l’essai, la culture et le premier développement de toutes les industries en général, sous ces deux points de vue, elle se refuse également à l’influence active \et directe du pouvoir public. L’expérience et la raison prouvent d’ailleurs que moins la société se mêle de ce qu’elle doit livrer à la liberté des spéculations, et plus elle en recueille elle-même de fruits. L’intérêt, l’émulation, la direction de l’opinion publique, le besoin tous les jours plus impérieux d’obtenir ses suffrages, la certitude des avantages réels qui doivent en résulter, feront plus pour l’éducation des hommes que le système de lois et de règlements le mieux combiné dans cet objet. J’ai donc établi que, suivant la rigueur des principes, le législateur ne devait d’autre éducation au peuple que celle des lois elles-mêmes et d’une administration libre et sage. Cependant, comme d’un autre côté, tous les travaux utiles ont droit à des récompenses et ceux qui peuvent le devenir à des encouragements ; comme l’ordre, la liberté, la prospérité publique sont évidemment fondés sur les lumières ; comme les besoins du peuple sont très urgents à cet égard et que les habitudes ou ses préjugés exigent de vous de grandes considérations, je n’ai cru ni prudent, ni convenable de consacrer ces .maximes sans les mitiger dans la pratique. 1 C’est là ce qui m’a conduit à considérer l’éducation, non seulement comme un art particulier qu’il faut laisser perfectionner librement, ainsi que tous les autres à raison de son importance ou des avantages qu’en retirent et ceux par les- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1191.] 537 quels il s’exerce, et ceux dont il devient la profession ; mais comme un art universel pour son influence, qui fait la destinée des individus et des Empires, et doQt par conséquent il importe le plus de hâter les progrès. Dans cette vue, mais toujours voulant rester le plus près possible des principes ci-dessus établis, lesquels me paraissent tenir essentiellement à la nature de l’homme et de la société,. je vous ai proposé de conserver encore, aux frais du public, des chaires de professeurs, des bourses, des emplacements de collèges ou d’écoles, pour en faire des primes d’encouragement, soit en faveur des hommes éclairés qui seront jugés propres à l’enseignement public, soit en faveur des jeunes élèves qui se seront dis-/V. tin gués dans leurs différentes études. J’ai pensé qu’il était important, surtout à cette époque, de multiplier les centres des lumières et de rapprocher ainsi l’instruction de tous les citoyens; mais j’ai cru qu’il valait mieux la faire payer, du moins en partie, immédiatement par ceux -mêmes qui vont la chercher, et dans le moment où ils la recueillent, que par ceux qui n’en partagent pas directement les avantages et sous la forme d’une imposition, qu’ils peuvent regarder comme très iniquement répartie. J’ai cru, en outre, que le vrai moyen d’exciter l’émulation du maître et du disciple, était d’attacher la progression du salaire de l’un au perfectionnement de sa méthode, et de faire sentir journellement à l’autre la nécessité de rendre profitables des leçons qui ne seront pas entièrement gratuites. Quoique ce système soit fondé sur d’autres motifs que sur votre esprit général d’économie, il produirait cependant avant peu quelques diminutions de dépenses, assez considérables peut-être : mais ce n’est pas de cela qu’il doit être ici question; ces économies vous paraîtraient sans doute mesquines et méprisables, si elles n’étaient liées à des mesures utiles, grandes, et, j’ose le dire, véritablement politiques; car voilà surtout comment le législateur peut être économe; voilà aussi comment il doit être libéral, quelquefois \ toucher jusqu’à la prodigalité. C’est, en effet, Messieurs, dans les mêmes vues, et d’après les mêmes principes, que je viens vous proposer un établissement pour lequel je sollicite toute la magnificence nationale. V L’objet de cet établissement est de procurer à l’élite de la jeunesse française les moyens de terminer une éducation dont le complément exige, dans l’état actuel, le concours des circonstances les plus rares et des secours les plus étendus. Son enceinte renfermerait une immense collection des produits de la nature, des chefs-d’œuvre du génie dans les sciences ou dans les arts, des machines par lesquelles leurs découvertes se démontrent ou leurs travaux s’exécutent. 100 élèves envoyés par tous les départements, d’après des formes prescrites, y seraient entretenus aux frais de la nation, chacun pour un temps déter-fSrniné : là se trouveraient réunis, en vertu des incorruptibles suffrages de l’opinion publique, les philosophes, les gens de lettres, les savants, les artistes les plus célèbres que la France a vus naître dans son sein, ou qu’elle s’est appropriés par une généreuse adoption. Tout ce qui peut faire éclore, agrandir, développer les facultés in-teliectuellt s, y serait enseigné par eux, dans un esprit et d’après une méthode générale, applicable à tous les genres, et que la concentration de tant de lumières, leur influence réciproque et le caractère même de l’institution rendraient de jour en jour plus parfaite; ou plutôt l’enseignement de la méthode formerait la base et serait le but le plus essentiel du Lycée national (car tel est le nom que je donne à cette école, dépositaire des plus riches espérances de la nation); c’est-à-dire que l’art de diriger l’entendement dans la recherche de la vérité, ou de l’appliquer aux différents objets de nos études doit être regardé comme la .partie fondamentale des vues que je me propose. Il s’agit de cultiver l’instrument universel, cet instrument dont le plus ou moins de perfection fixe la place des individus, et par eux celle des Empires dans la scène du monde; il s’agit de former des hommes propres à tout, qui puissent également, ou discuter les lois au milieu des représentants du peuple, ou tenir les rênes de l’État, ou doter les sciences de nouvelles découvertes, ou porter dans les arts le seul génie vraiment inventif, puisque lui seul nous met sur la route des inventeurs; il s’agit de créer ou de perfectionner pour le secours de l’esprit, des télescopes et des leviers semblables à ceux que l’optique et la mécanique ont créés pour le secours des yeux et des mains, et de les rendre également propres à lui soumettre tous les objets sur lesquels il peut vouloir diriger son attention. L’enseignement de cet art demande une chaire particulière, et cette chaire, un esprit capable de communiquer son impulsion à tous les autres professeurs ; car leurs leçons, quelque diverses qu’elles paraissent, ne doivent être qu’un développement expérimental de ses principes, abstraits et généraux par leur essence; elles doivent en offrir l’application usuelle sous toutes les formes, et contribuer à les rendre plus nettes, plus ineffaçables, plus familières aux élèves, par cet exercice continuel et varié, ou même répandre sur elles toutes les nouvelles lumières dont la pratique des sciences et des arts peut les enrichir. Pour sentir l’importance et les avantages d’un pareil établissement, il suffit d’un petit nombre de réflexions. Les hommes reçoivent de la nature les instruments nécessaires à la satisfaction de leurs besoins. Les différents âges de l’espèce humaine produisent des caractères et des esprits qui s’adaptent sans peine aux événements; les événements eux-mêmes les façonnent bientôt à leur guise; et s’il est généralement vrai que les circonstances ne manquent jamais aux hommes pris en masse, il l’est encore plus que les hommes, considérés individuellement, ne manquent jamais aux circonstances. Cette prodigalité des dons de la nature, cette sagesse surtout qui semble en avoir calculé le genre et la proportion, se manifestent également sous toutes les latitudes, et dans tous les climats de la terre. Chaque pays exige dans ses habitants certaines qualités particulières; ces qualités naissent avec eux, ou se forment rapidement par l’influence des causes physiques et par les habitudes qu’elles entraînent. On croirait que tout est prévu pour toutes les époques, pour tous les cas, pour toutes les localités particulières ; il est certain, du moins que nulle part la perfectibilité de l’homme ne se refuse à ses besoins, et qu’à moins que la société ne la paralyse par de perverses institutions, elle est susceptible partout, non des mêmes progrès, mais d’un accroissement qui n'y laisse rien à désirer pour celui du bonheur. Tous les climats produisent donc des hommes, et nul climat ne les dégrade. Il suffit pour qu’ils restent tels, c’est-à-dire pour qu’ils restent hommes qu’un régime social absurde ne les 538 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] transforme point en des animaux stupides ou féroces : il suffît, pour y donner à la nature humaine une grande existence morale, que les lois et les gouvernements tendent à lui faire sentir sa force, à l’encourager dans scs tentatives, à l’exalter par ses succès. Mais quoique sa i erfectibilité, prise dans ce sens général, soit commune à tous les hommes, il y a des différences notables entre les habitants des diverses parties du globe : dans chacune de ces parties, il y en a de peuple à peuple; et sur le territoire du même Empire, les provinces, les villes les plus voisines, souvent même les hameaux qui se touchent, ne se ressemblent pas. En vain sommes-nous soumis aux mêmes lois, régis par le même gouvernement, en vain parlons-nous la même langue : l’action de ces causes si puissantes ne saurait effacer entièrement le caractère que les causes physiques, propres à chaque local, nous impriment; et nous conservons, au milieu de tous les froissements de la société, ces traits originels et distinctifs, comme les animaux transportés dans nos ménageries ou les plantes que l’art fait vivre dans l’exil de nos jardins. L’Europe, que des hasards heureux ont arrachée d’assez bonne heure à la barbarie, mais que des hasards moins favorables retiennent encore dans un état de civilisation très incomplet et très inégal; l’Europe qui d’ailleurs renferme dans son sein presque tous les sols et tous les climats offre à l’observation, par l’effet de cette double circonstance, des exemples de presque tous les faits relatifs à l’homme et notamment une foule de variéiés dans le génie des nations dont elle est couverte. Depuis le pôle boréal jusqu’au détroit qui la sépare de l’Afrique, parcourez dans votre pensée la chaîne non interrompue de ces nations si différentes les unes des autres, et qui le seraient encore bien davantage sans le commerce continuel qni les mêle et sans les émigrations qui les confondent. Sur cette immense surface, quel séjour fortuné, quel sol favorisé du ciel arrêtera vos regards? Sur quelle région, sur quel peuple la nature a-t-elle versé tous ses présents, et s’il est permis de parler de la sorte, toutes ses préférences ? Mon intention n’est point, Messieurs, de faire l’éloge du beau pays dont nous avons l’immortel honneur de rédiger les premières lois : mais sans sortir de mon sujet, je crois pouvoir dire qu’il n’en est point de plus ferlile en grands talents dans tous les genres, en esprits flexibles et sûrs, hardis et mesurés, fermes et sagaces, propres aux sciences sévères autant et plus peut-être qu’aux arts d’agrément, et capables, malgré leur mobilité précieuse, d’une opiniâtreté d'attention qui paraît incompatible avec la légèreté dont on a longtemps accusé le caractère national, ou qui présage du moins que nous cesserons bientôt de mériter ce reproche, sous le régime grave que la conservation de Ja liberté nous commande. Nos chefs-d’œuvre multipliés ou reproduits vont porter en tous lieux les attestations vivantes du génie français. A la gloire des arts et des lettres pour laquelle le dernier siècle et le commencement de celui-ci ne laissaient rien à désirer, s’est jointe la gloire plus durable et plus influente de la philosophie et des progrès de la raison; notre langue enrichie par nos poètes, agrandie par quelques hommes éloquents, assouplie par une foule d’écrivains industrieux, a contracté dans les méditations de quelques esprits analytiques une marche rigoureuse et une précision qui mettent / enfin la vérité pour ainsi dire aux ordres de l’entendement humain. Devenue la langue commune des hommes cultivés de l’Europe, elle ne nous a procuré longtemps qu’une vaine primaulé : maintenant l’empire littéraire qu’elle nous conserve, et les lumières qu’elle ne cesse de répandre, agissent de concert pour assurer les salutaires effets du grand exemple dont tous les peuples opprimés nous seraient redevables. \ Ce n’est pas seulement à son heureux cmpat, aux impressions variées qui s’y recueillent par tous les sens, c’est encore à cette même langue dont les écrits vont secouer le flambeau d’une vie nouvelle sur les campagnes les plus reculées, que la France doit sa fécondité singulière en hommes propres à tout. La grande action des langues anciennes s’exerçait par la parole; celle des langues modernes s’exerce par les livres. Les premières, vivifiées par des accents pleins de passion, par une prosodie qui se prêtait à tous les effets, et même par une sorte d’intonation musicale dont on ne retrouve plus aucun vestige, même dans notre poésie, étaient surtout faites pour maîtriser ie cœur par les sons et les images, pour mouvoir une grande multitude au gré de l’orateur qui suivait avidement des yeux et des oreilles, pour causer de profondes émotions, ou propager l’ivresse contagieuse de l’enthousiasme. Les autres, peu susceptibles des grands mouvements de l’éloquence, sont douées en revanche de plus de clarté, de plus de précision, emploient des procédés plus sûrs, des formes plus méthodiques, et gagnent en véritable lumière ce qu’elles perdent en éclat de couleur, en séduction d’harmonie. Parlées, elles laissent presque toujours les auditeurs indécis et froids; écrites, elles s’emparent Lentement de la raison et gravent dans l’esprit une conviction durable. De toutes les langues modernes, la française est celle qui mérite le plus et ces reproches et ces éloges. Si elle règne maintenant chez les peuples les plus éclairés, c’est â ses livres qu’elle le doit, à ses livres qui sont devenus les principaux instituteurs du genre humain ; — et malgré la vigilance et les efforts du despotisme, la France n’est point restée étrangère aux bienfaits de cette �langue, perfectionnée par des sages, et qui sans doute peut un jour contribuer à les reproduire. Heureusement organisés par la nature et préparés aux développements o’une éducation philosophique, par quelques ouvrages répandus eu tous lieux, mais plus encore peut-être par la tournure que ces mêmes ouvrages ont donnée aux habitudes publiques, une foule de bons esprits existent dans les différentes parties de l’Empire. Il fallait que de grands changements politiques vinssent les tirer de leur léthargie; il fautaujour-d’hui que des encouragements, dispensés avec sagesse, les soutiennent dans leurs efforts et leur fournissent les moyens d’achever leur propre culture. Il faut les mettre en état d’enrichir la patrie de grands et d’utiles travaux en se procurant à eux-mêmes un accroissement d’existence, de bonheur et peut-être une gloire éternelle. Quelle moisson plus riche à préparer ! Quelle mine plus précieuse à mettre en valeur ! Que d’espérance à nourrir dans le cœur des individus 1 Quels présents à faire à la société ! Ici, comme dans une infinité d’autres cas, le législateur agit bien plus par le mouvement qu’il imprime, que par les effets directs que ses institutions produisent. Les places où le mérite peut conduire, n’ont pas besoin d’être nombreuses pour éveiller l’ambition d’une multitude de concurrents : un seul [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] §39 les obtient, 1000 s’en rendent dignes ; il ne suffit pas de considérer seulement les hommes qu’elles récompensent, il faut voir encore ceux qu’elles forment dont elles sont également par là les véritables bienfaitrices, et qui deviennent eux-mêmes à leur tour un grand bienfait de la législation. </ Songez, Messieurs, à tous les obstacles domestiques ou sociaux qui s’opposent à l’éducation des hommes les plus faits pour honorer leur pays et leur siècle. Si d’une part la médiocrité de fortune, et même un état inférieur qui s’en éloigne peu, conservent à l’âme toute son énergie, alimentent les passions nobles et droites, cultivent à la fois la justesse et la sensibilité; de l’autre, l’indigence flétrit le courage, dénature la raison, soit en l’irritant contre le sort, soit en la pliant aux moyens vils que le besoin suggère, et tarit également à la longue, la source des talents et celle des vertus. Combien de jeunes gens sont arrêtés tout à coup au milieu de leur carrière, par cet abattement mortel dont les frappe la stupéfiante main de la nécessité 1 Combien rentrent dans la foule obscure et souffrante, faute de pouvoir continuer des travaux dont leurs succès antérieurs garantissaient d’avance les heureux fruits! Combien restent au-dessous d’eux-mêmes, faute de moyens pour se surpasser 1 Ces moyens sont de plus d’un genre. Interrogez, examinez, je ne dis pas des hommes inconnus ou médiocres, mais ceux qui fixent les regards du public : en est-il un seul dont la gloire ne se ressente encore plus ou moins des vices de son éducation, surtout par rapport aux études qui la terminent ; vices qui tantôt, comme je viens de le dire, dépendent du défaut de ressources pécuniaires, mais tantôt et plus souvent de l’imperfection des établissements publics pour l’instruction de la jeunesse. Car dans un pays esclave, les choses ne pouvant aller sans l’impulsion factice et continuelle du gouvernement, il s’ensuit que le gouvernement déprave tout en agissant sur les hommes dans presque tous les détails de . la vie, et leur imprimant par là son propre caractère. Or, il faut éloigner ces obstacles et remédier à ces inconvénients ; il faut, je le répète, que les jeunes gens dont le premier essor annonce des talents et de l’énergie, aient devant eux un encouragement digne de leur ambition ; que l’es-Ïioir de ce prix qui les attend, les soutienne dans es travaux par lesquels ils peuvent l’obtenir; il faut que la société qui ne doit son attention (j’insiste sur ce point) qu’aux individus qui l’ont déjà servie, ou qui donnent des preuves non équivoques de leur aptitude à la servir un jour, s’empare avidement de ce précieux héritage, dont la fertilisation doit être regardée comme le plus impérieux de ses devoirs, le plus sage de ses calculs, la plus économique de ses avances. Il faut surtout que, d’un centre commun où toutes les lumières sout réunies, de ce véritable sanctuaire du feu sacré, dont la garde sera commise au génie créateur et conservateur, jaillissent des étincelles propres à le répandre en tous lieux, à dissiper les ténèbres de l’ignorance, à faire pâlir les clartés mensongères du faux savoir, en un mot à changer le cours de l’opinion publique dans sa source même, qui est l’éducation, et ré-ormer l’ensemble des mœurs nationales, par la réforme des procédés et des habitudes de l’esprit. w L’effet le plus immédiat de l’établissement que - je propose, sera de donner un grand mouvement à toutes les écoles, de mettre à leur place un grand nombre d’hommes qui n’y sont pas, d’en faire éclore sur-le-champ un nombre beaucoup plus considérable, également propres, les uns à reculer les bornes des sciences, les autres à porter dans les arts l’invention qui les enrichit, presque tous à remplir honorablement les diffé-* rents emplois de la société. � Cette espérance n’est point une chimère. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil sur l’histoire des peuples ou des siècles les plus fertiles en grands hommes, et sur l’histoire particulière de ces grands hommes eux-mêmes, surtout lorsque les circonstances qui les ont formés s’y trouvent peintes avec exactitude. Pour sentir tous les avantages qu’en peut recueillir la famille sociale, et, par suite, la grande famille du genre humain, l’imitatrice de tous nos efforts ou l’héritière de tous nos succès, il suffit encore d’arrêter un instant nos regards sur les siècles de prospérité, de gloire et de vertus dont les annales du monde nous ont conservé le tableau. Quelques esprits transcendants et quelques âmes grandes et fortes , n’y changent-ils pas la face des Empires? Si telle nation s’est illustrée par une suite de victoires, c’est souvent à un seul homme qu’elle le doit; c’est sous lui qu’elle a contracté des habitudes qui sont devenues la source de ses triomphes. Le génie d’un législateur transforme une horde obscure en un peuple respectable : les méditations d’un sage créent la philosophie et ses disciples éclairent l’univers. Chez les Grecs, on avait remarqué que, s’il naissait dans une ville ou dans un territoire quelque homme extraordinaire, sa réputation lui donnait bientôt des émules, et ses leçons ou ses exemples des successeurs. Plusieurs des anciens croyaient que les phénomènes du monde moral sont des espèces de germes qui tendent à croître et se développer, comme les semences de tout ce que la nature fait végéter ou vivre. Quoi qu’il en soit de cette opinion par laquelle ils cherchaient à se rendre raison d’un fait, ce fait est certain. Il est certain, d’ailleurs, que la liste des hommes véritablement grands est très bornée, même dans les époques les plus brillantes et chez les nations les plus favorisées de la fortune. Or, les circonstances par lesquelles ils peuvent se multiplier ne sont pas inconnues: ces circonstances sont susceptibles de se reproduire par de sages institutions, où la puissance de la loi seconderait les bienfaits de la nature et les faveurs quelquefois exclusives du hasard. Et maintenant, qui nous dira combien la plus faible augmentation dans le nombre des hommes supérieurs doit amener de chances nouvelles et favorables 1 Quel mouvement inconnu leur passage sur le théâtre du monde doit imprimer à l’émulation particulière, à l’esprit public, au perfectionnement de l’espèce humaine? Encore une fois, quelques têtes de moins, et toutes les données de l’histoire seraient entièrement changées; quelques têtes de plus, et les promesses de l’avenir deviennent incalculables. Mais il ne s’agit pas tant ici de créer une grande V quantité d’esprits de la première classe que de répandre en tous lieux, par leur moyennes véritables procédés philosophiques et les habitudes du bon sens. Peu d’hommes sont capables d’embrasser tous les objets et de se cultiver pour tous les genres; mais il n’en est point q ai ne soient propres à beaucoup plus de choses qu’on ne pense. Dans l’imperfection de notre éduca-A 540 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] tion présente, chacun trouve encore un rôle qui lui convient, lorsqu’il n’est pas trop contrarié par l’erreur des lois ou par ses erreurs particulières. Dans un système fondé sur la raison, les esprits s’égaliseraient presque entièrement, non sans doute relativement à la somme de l’instruc-tion, à la masse des idées; mais par l’effet de cette droiture et de cette justesse qui s’appliquent à tout, par l’effet de l’aptitude nouvelle. La grande différence d’homme à homme s’effacerait bientôt à cet égara, après avoir disparu tout à coup dans les rapports civils et politiques. L’on verrait les lumières suivre la même pente et prendre le même niveau que les richesses ou les distinctions; et ce nouveau genre d’égalité, tel du moins que le permet la nature, constaterait en grand l’opinion de l’illustre Veru-lam, qui, de cette hauteur où ses immortels écrits l’avaient placé si loin des autres hommes, convenait avec candeur qu’il devait tous ses succès à la méthode, à cette méthode qu’il avait créée, et dont il donnait, et les premières leçons, et les premiers exemples; laquelle, selon lui, pouvait combler, à peu de chose près, les intervalles qui séparent les esprits les plus distants en apparence. Methodus fere excequat ingénia. De semblables' propositions, j’en conviens, ne sont jamais vraies dans un sens absolu, et leur généralité même indique les restrictions et les exceptions qu’elies exigent. Mais dans les circonstances ordinaires, et pour l’ensemble des hommes, leur certitude est assez constante pour ne laisser aucun prétexte au découragement, et pour couvrir d’un opprobre ineffaçable les législateurs qui n’ont pas su donner à l’existence d’un peuple quelconque, l’extension morale que les lois éternelles destinent à tous, presque indifféremment. Tel est aussi le point essentiel vers lequel se dirigent mes vues dans l’établissement projeté du Lycée national. Destiné à compléter l’éducation d’une jeunesse choisie, par l’apprentissage raisonné de ce qu’on peut appeler l’art universel, cette école encyclopédique embrasse sommairement toutes les connaissances humaines; mais c’est surtout en allumant le flambeau qui les éclaire, en donnant à l’instrument qui les crée ou les perfectionne, toute la perfection que lui-même il peut atteindre. La chaire de méthode en sera donc la base ; les autres chaires s’y rapporteront comme à leur centre commun; elles lui resteront subordonnées, comme à leur régulateur ; et leurs leçons développeront, par des exemples variés et pratiques, ce qu’elle aura renfermé dans des maximes plus abstraites, plus générales. L’art de raisonner ou de conduire son esprit, n’est autre chose que l’art de bien voir, de bien entendre, de sentir juste. Relativement aux objets de première nécessité, la nature nous apprend cet art sans que nous y songions, et pour ainsi dire malgré nous. Le châtiment est si près de l’erreur, que l’erreur se corrige bientôt d’elle-même. Des sensations pénibles nous avertissent que nous avons mal jugé : des sensations agréables les remplacent, quand nous parvenons à juger mieux, et ne les remplacent qu’alors. Il est aisé de voir pourquoi nous devons multiplier les essais jusqu’à ce que nous ayons atteint ce but. Mais pour cela nous suivons une route déterminée, nous employons des procédés constants. L’observation nous apprend que celte route la seule bonne, est toujours la même, que ces procédés se ressemblent dans tous les cas : c’est ce que nous appelons la méthode de la nature; et la logique consiste à savoir l’imiter, au moyen de certaines règles qu’on se trace, ou plutôt d’après la connaissance exacte de celles que nous avons suivies presque automatiquement, dans les circonstances les plus simples où nous avons raisonné juste. Dans les circonstances plus compliquées, dans celles surtout où les faux jugements n’entraînent pas avec eux leur punition, l’erreur devient d’autant plus facile, que des passions étrangères et le besoin d’aller promptement aux résultats, nous portent à juger avec une précipitation funeste. Cette disposition de l’esprit, singulièrement accrue par les habitudes sociales, doit être considérée comme la principale source de ses écarts et de tous les maux qu’ils enfantent. Le but d’une bonne éducation sera donc toujours d’en corriger les effets, de l’étouffer, s’il est possible, dans son berceau, ou de lui substituer des dispositions toutes contraires; c’est-à-dire de nous accoutumer à mettre dans tous nos jugements, la même circonspection que la nature nous fait apporter dans ceux qui paraissent son ouvrage. Les objets au milieu desquels nous sommes placés, ou plutôt avec qui nous pouvons avoir des rapports, sont les seuls qu’il nous importe de connaître ; et l’arbitre suprême nous a donné tout ce qu’il faut pour acquérir cette connaissance. Tout objet que nous voulons étudier est un problème à résoudre: tout problème à résoudre n’est qu’un objet qu’il s’agit d’étudier dans chacune de ses parties, dans son ensemble et dans ses relations avec ceux qui nous sont déjà connus. Pour cela, il faut en quelque sorte le démonter pièce à pièce, le remonter de la même manière, et le mettre à côté de ce qui doit lui servir de terme de comparaison. Une idée s’analyse comme un corps physique se décompose et se recompose. Nous ne sommes les maîtres d’une idée, ou même elle n’existe véritablement, qu’a-près cette opération ; mais alors aussi quand nous venons à l’énoncer, nous savons avec exactitude ce que nous voulons dire; et si la manière dont elle est exprimée, reproduit fidèlement le travail qui s’est fait dans notre esprit pour nous en rendre compte, nous ne portons dans l’esprit des autres que des images nettes et précises. Plusieurs objets placés à côté les uns des autres se ressemblent ou diffèrent; nous les classons par leurs analogies ou leurs dissemblances: les qualités communes qui les réunissent, ou les qualités distinctives qui les séparent, nous servent également à les enchaîner dans un ordre qui soulage la mémoire, rend leur appel plus facile, et simplifie leur étude ultérieure, ou leur emploi, soit pour de nouvelles découvertes, soit pour l’étude de nouveaux objets. Cet acte de l’intelligence s’appelle généralisation. Les généralités sont bonnes, quand elles n’expriment véritablement que les qualités ou les faits communs aux objets qu’elles embrassent. La marche est absolument la même pour les idées. Les idées particulières se rallient entre elles par des rapports communs. L’énoncé de ces rapports forme ce qu’on appelle une idée générale; et lorsqu’ils sont réels et bien déterminés, elle est exacte et précise. Un objet connu nous sert de base et de moyen pour en étudier d’autres. Par gradations successives, nous marchons des objets les plus simples ou les plus faciles à connaître, jusqu’aux plus complexes, ou dont l’étude offre plus de diffi- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] 544 cultés, si la chaîne qui les lie ne souffre aucune interruption; s’ils s'éclairent et se démontrent l’un par l’autre ; s’ils vont tous se rallier à un chef ou à quelques chefs principaux, leur ensemble forme une série de connaissances incontestables, et leurs différents points de ralliement, des résultats aussi certains et d’une application féconde. Nous partons d’une ou plusieurs idées bien déterminées et bien précises, pour arriver par degrés à d’autres qui ne le sont pas encore. Le connu nous sert d’instrument pour découvrir l’inconnu, et de point de comparaison, de modèle, de preuve pour l’apprécier. De ces idées particulières, nous tirons deux axiomes qui, d’abord, n’en comprennent qu’un petit nombre, mais dont la sphère s’agrandit progressivement, ou qui plutôt vont se confondre dans d’autres axiomes moins circonscrits et moins bornés; lesquels, à leur tour, se rangent sous les plus étendus et les plus généraux. Toutes les fois que cette échelle est formée de degrés continus, sans interruption, sans lacune; toutes les fois (]u’on admet pour évident que ce qu’on a considéré sous toutes les faces, et qu’on n’enchaîne l’un à l’autre que les objets tjui se rapportent évidemment, l’on peut être sûr d’avoir suivi la véritable marche analytique, ou la méthode de la nature. Mais les opérations de l’esprit ont besoin d’être représentées par des signes : sa route a besoin d’être marquée par des espèces de pierres numéraires. Le raisonnement ne se forme qu’au moment même où ses termes sont exprimés dans une langue quelconque ; et nous ne sommes certains d’avoir bien raisonné, que lorsque nous avons par ce moyen, conservé l’empreinte de tous nos pas ; c’est-à-dire, lorsque chaque membre de nos idées, et les points de contact par lesquels elles s’enchaînent, ont été signalés avec la plus sévère exactitude. Sous un autre aspect, l’art de raisonner et l’art de parler sont donc une seule et même chose (par art de parler il faut entendre ici celui de fixer les idées par des lignes) : la nature nous en inspire les procédés, non-seulement pour communiquer avec nos semblables, mais aussi pour nous aider à discuter avec nous-mêmes, pour nous servir de guides dans tous dos jugements. L’est bien encore là sa méthode, puisque c’est très certainement celle de la raison. Pour connaître les procédés de l’esprit, il faut donc suivre pas à pas la formation du langage ; pour les rendre plus parfaits, il faut apprendre à le perfectionner lui-même, toujours d’après les lois que la nature lui trace, et selon la direction qu’elle lui imprime. Voilà ce qui faisait dire à l’abbé de Gondiliac, que les langues sont des méthodes analytiques et toutes les méthodes analytiques de véritables langues. Cette vérité fondamentale, qu’il a développée le premier dans toute son étendue, ouvre une nouvelle route à l’étude de l’entendement humain, et jette un jour singulier sur l’organisation systématique de nos connaissances. 11 résulte donc de tout ce qui précède, que la nature nous fait suivre une certaine marche dans nos jugements les plus faciles à rectifier, soit par la simplicité des objets sur lesquels iis se forment, soit par leur importance, qui nous y ramène jusqu’au moment de la conviction ; que cette marche est nécessairement bonne et la seule bonne ; que de sa connaissance dépend celle des principes du raisonnement ; qu’en la prenant pour modèle et pour règle, on peut le ramener de tous ses écarts, lui donner toute la rectitude dont il est susceptible, et préparer à l’esprit de l’homme des triomphes qu’on ne soupçonne même pas; qu’enfin tout cet artifice consiste dans la juste appréciation des signes de nos idées, dans leur parfaite exactitude, dans leur enchaînement naturel ou dans la bonne organisation du langage et dans la précision des termes. Ce!a posé, l’étude de la grammaire universelle doit être inséparable de celle de la méthode universelle; et même, à proprement parler, elles ne sont qu’une seule et même étude. Aussi, Messieurs, vais-je vous proposer de confier leur enseignement aux mêmes professeurs, à qui vous indiquerez par-là le point de vue sous lequel vous considérez leurs travaux, l’esprit philosophique qui doit Jes animer et le but où vous les faites tendre. Mais il ne suffit pas, pour familiariser les élèves avec la bonne méthode, de leur en donner des notions théoriques et générales; il faut encore leur en montrer l’application pratique dans l’étude des sciences et des arts; il faut faire voir que les objets peuvent être très divers, mais que c’est toujours le même instrument analytique, toujours la même manière de s’en servir. Par là, non seulement, ils le connaîtront mieux, mais ils apprendront à le marier avec plus de justesse et de facilité dans tous les cas, et chemin faisant, ils acquerront beaucoup d’idées nouvelles qui ne peuvent que multiplier pour eux les données et les moyens d’instruction. Car chaque science a son genre d’idées propres, chaque art ses procédés et son mode d’action, soit sur la nature, soit sur l’homme lui-même. Tout individu bien organisé recueille donc dans leur étude, ou dans l’examen réfléchi de leurs travaux, une foule d’impressions, d’où résultent même pour une tête médiocrement active, des combinaisons sans nombre. Outre cela, tous les arts et toutes les sciences sont liés par des rapports plus ou moins sensibles : la même chaîne les embrasse, ou plutôt ils forment séparément des chaînes particulières, entre lesquelles il s’étabit de fréquentes communications, et qui vont toutes s’attacher au même anneau principal. Totalement distincts dans un sens, ils se rapprochent singulièrement dans l’autre; certaines lois les sépare, mais certaines lois les réunissent. Ils se donnent la main, ils s’éclairent mutuellement, ils ont des vues et des principes communs. Et c’est sous ce dernier rapport que le Lycée national, pour remplir son objet, doit être une école encyclopédique. Ce n’est pas à dire qu’il faille y créer des chaires de tout ce qui peut être enseigné, y faire soutenir des thèses de tout ce qui peut être su, de omni scibili , comme dans les écoles du xve siècle; mais les grandes inventions de l’intelligence et de l’industrie humaine doivent s’y démontrer sommairement, et dans leurs ramifications principales. Ges procédés analytiques du raisonnement, auxquels je crois si nécessaire de ramener l’espèce humaine, déplaisent fort, je l’avoue, aux esprits superficiels que la moindre attention fatigue, et à ces dogmatiques si tranchants qui, jugeant de tout sans avoir réfléchi sur rien, épouvantent à chaque pas l’homme sage de leurs intrépides certitudes. Les uns et les autres pensent avoir suffisamment réfuté les vues de ce genre qui leur sont offertes, en les traitant d’idées abstraites ou métaphysiques : mais ils ne savent pas plus la valeur des mots dont ils se §42 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.} servent, que l’utilité du flambeau qu’ils rejettent ; et comme ses premiers effets seraient de leur apprendre à n’employer aucune expression vague, c’est précisément parce qu’il leur est tout à fait étranger, qu’ils en parlent comme de tout le reste, sans savoir ce qu’ils disent, ou même ce qu’ils veulent dire. À proprement parler, la métaphysique est le seul guide de l’homme : sans elle, il n’éprouverait que des sensations isolées, il ne les comparerait jamais, il ne tirerait aucun résultat de leur comparaison. La métaphysique de Locke, d’Helvétius, de Bonnet, de Condillac, n’est que l’art de juger, dont la nature nous enseigne elle-même les éléments. Toutes les fois que nous comparons et concluons, nous faisons de la métaphysique; nous en faisons lorsque, de plusieurs faits épars, nous composons des notions générales; que, de certaines observations individuelles, nous tirons des règles ou des principes ; c’est de la métaphysique que i’art de cultiver un champ, d’élever un troupeau, de construire une chaumière, en un mot de pourvoir au moindre de nos besoins, et c’est d’elle seule que le genre humain peut attendre l’agrandissement de son existence, sa perfection et son bonheur. Vous ne l’ignorez pas, Messieurs, vous dont les grands travaux ont été préparés par cette méthode créatrice, vous qui faites recueillir au peuple français le fruit des lumières qu’elle a répandues ; vous qui tant de fois avez pu remarquer par des exemples frappants et pris dans vos délibérations mêmes, quelle marche ferme et sûre elle donne aux esprits qui savent se la rendre familière, comme tour à tour elle prête des ailes au génie pour s'élancer sur des mers inconnues, ou le fixer au rivage, telle qu’une ancre immobile et conservatrice ; comme au contraire son oubli porte le désordre, la confusion, le vague, l’inconséquence dans les discours les plus étudiés d’ailleurs; comme en nourrissant ce torrent de paroles dont la facilité d’improviser inonde les assemblées délibérantes, il ne devient pas moins l’opprobre de l'éloquence que le fléau de la raison. D’autres personnes partant de ce point que l’art de raisonner réduit à ses termes les plus simples, ne fournit que des procédés dont la nature, sans aucun maître, leur a souvent inspiré l’usage, se récrient sur la puérile précaution d’enseigner à grands frais aux hommes ce qu’ils font sans peine et d’eux-mêmes, et de mettre tant d’appareil à cette méthode philosophique, qui n’est au fond que du bon sens. Quoi, disait-elle d’un air dédaigneux, n’est-ce donc que cela ? non vraiment : e’est du bon sens et voilà tout. Mais que pourrait-il y avoir de plus dans une direction de votre esprit? On se borne, j’en conviens à vous montrer ce que vous avez fait d’instinct quand vous avez raisonné juste, mais on vous donne aussi les moyens d’éviter ce que vous avez fait plus d’une fois sans doute quand vous avez raisonné faux : Il ne vous suffit pas d’avoir jugé sainement de quelques objets ; il faut apprendre à juger aussi de tout : il faut vous tracer des règles pour atteindre sans cesse le degré de certitude que chaque matière comporte ; il faut vous habituer à parcourir, le fil en main, les labyrinthes les plus embarrassés, pour en arracher de vive force au grand jour, les fantômes monstrueux qui les peuplent, �’est-à-dire les erreurs qui s’y cachent, et qui du fond de ces repaires travaillent les imaginations. Si cet art est si facile, pourquoi les fruits en sont-ils si rares? Toutes les fois que l’homme embrasse des chimères, n’est-ce pas pour avoir dédaigné ce guide? n’est-ce pas du moins pour l’avoir méconnu? Or, qui pourrait entreprendre de nier les écarts absurdes, les préjugés ridicules, les déplorables folies où les esprits, même les plus sages, sont tombés dans tous les temps, et tombent encore chaque jour? Ah! pour trouver amplement de quoi gémir sur cette disproportion, qui paraît exister entre l’exercice de nos facultés rationnelles et celui de nos autres facultés actives, on n’a pas besoin d’aller chercher les exemples loin de soi! Un lycée tel que je le projette, ne peut être exécuté que dans une grande ville. Là seulement se trouvent rassemblés tous les instruments et tous les objets de nos études ; de riches bibliothèques, des collections de ce que la nature offre de plus curieux, de ce que l’art a créé de plus grand ou de plus utile; à côté des excès effrénés du luxe et comme pour en expier le délire, une foule de précieux monuments des arts ; des théâtres perfectionnés par le génie de quelques poètes, sublimes, et par le goût d’un public éclairé; la réunion des philosophes, des savants, des littérateurs, des artistes les plus célèbres, qui sont venus eux-mêmes y chercher tous les éléments de leur instruction, et dans le commerce desquels l’on puise un grand nombre d’idées et de connaissances, que la lecture seule des livres ne dorme jamais. Indépendamment de ces secours, dont il serait très superflu de vouloir faire remarquer l’importance, c’est dans les grandes villes que les concours de tous les peuples nous présentent l’homme sous toutes ses formes extérieures, que le conflit de tous les préjugés les détruit ou les mitige les uns par les autres, et les force à se transformer en une raison universelle; que la lutte de tous les intérêts, de toutes les passions, développe tous les talents, dévoile, dans le cœur humain, de nouveaux replis, dont l’élude est indispensable à quiconque veut le bien connaître, et suggère de nouvelles combinaisons au moraliste qui le peint, au penseur qui le calcule, à l’orateur, au poète, à l’artiste qui cherche à l’émouvoir, ou veut en reproduire les émotions; au législateur qui doit en épier, en diriger les penchants, en respecter les besoins, et fonder sur celte base le système des lois et l’organisation des forces qui les maintiennent en activité. C’est dans les grandes villes, qu’avec l’élite des étrangers, arrivent de toutes parts les richesses du commerce, de l’industrie, des lumières; que, depuis la misère la plus délaissée, jusqu’aux formes les plus choquantes, Ton peut observer tous les états et toutes les scènes de la vie; qu’enlin, s’il est permis de le dire, la corruption même, résultat nécessaire de ces circonstances réunies, fournit au sage qui médite sur la nature-de l’homme et sur l'art social, des observations et des vues utiles au bonheur de l’humanité. Sans les villes, les relations de peuple à peuple, eussent été milles; celles d’homme à homme très bornées; sans les villes, l’espèce entière fût restée dans l’abjection, dans la servitude ; et son existence serait à jamais la proie de l’audace et du charlatanisme. Laissons donc les moralistes superficiels insister avec une complaisance pédanlesque sur la dépravation des grandes villes, et, s’il fautconvenir qu’elles entraînent, en effet, avec elles certains inconvénients, osons dire sans détour, que les lumières dont elles sont le foyer, et l’esprit de 543 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] liberté qui s’y fomente, les absolvent dignement aux yeux du vrai philosophe et qu’ils les ont déjà bien acquittées avec les champs et les hameaux. Parmi celles à qui je pourrais, au nom du genre humain, payer un juste tribut d’éloge et de reconnaissance, ne me serait-il pas du moins permis de citer Paris1? Paris, célèbre depuis tant de siècles par les mœurs aimables et hospitalières de ses habitants •, Paris, qui, dans les chaînes du despotisme, conservait une indépendance d’esprit, que les tyrans étaient forcés de respecter; qui, par le règne des lettres et des arts, a préparé celui de la philosophie et, par la philosophie, tous les triomphes de la morale publique ; Paris, qui, après en avoir créé les principes, après avoir enseigné aux campagnes et leurs véritables besoins et leurs droits impérissables, s’est armé le premier pour celles de son sany le signal qu’il donnait à l’Empire; Paris, qui, enfin, depuis le commencement de cette Révolution, déterminée par son courage, offre à l’Europe attentive le spectacle des plus persévérants et des plus généreux sacrifices. Eh bien, Messieurs, cette ville d’où sont parties tant de lumières, mérite d’en être toujours le foyer. Elle le mérite, non-seulement parce qu’elle leur a donné naissance, mais aussi parce qu’elle réunit dans son sein toutes les circonstances qui peuvent les accroître parce qu’aux motifs de la gratitude que lui doit le peuple français, se joignent ceux de l’utilité publique, et de la perfection même de toute grande école, commune et nationale. La nation n’a pas reçu de Paris tous les services qu’il peut lui rendre; c’est en lui fournissant les moyens de la servir encore, qu’elle peut les reconnaître dignement. Permettez-moi, Messieurs, de rappeler ici l’une de vos maximes les plus invariables, et de l’appliquer au sujet dont j’ai l’honneur de vous entretenir. Vous regardez et vous vous prescrivez comme un grand devoir, de maintenir l’intégrité de l’Empire, de multiplier les liens qui la garantissent, d’enchaîner les 83 fragments au centre commun, par toutes sortes de relations politiques. Le lycée peut donner une nouvelle énergie à cette force centrale, qui les retient dans l’harmonie et. dans l’unité. La noble émulation de tous les départements n’en sera pus le seul moyen; ils regarderont sans doute le droit d’envoyer à l’école de la nation leurs sujets distingués, comme un droit précieux; ils mettront dans le choix beaucoup de scrupule; ils tourneront souvent les yeux vers elle, comme vers une source publique d’instruction. Mais ce n’est pas <4 tout. Revenus dans leurs foyers, les jeunes élèves, c’est-à-dire l’élite des citoyens, y porteront des habitudes uniformes, des principes homogènes, des goûts peu dissemblables, l’esprit de la vraie fraternité sociale, fondée sur les grands principes qui la motivent; et cet établissement ' deviendra bientôt un puissant ressort politique. Mais je me hâte de terminer ees observations préliminaires. Entraîné par mon sujet, je sens que j’abuse de votre attention, et sa s la grandeur des objets que je viens de parcourir, je ne . /me pardonnerais pas l’étendue de ce discours. V J’ajoute seulement deux courtes réflexions. La première c’est que le lycée national n’est aucu-ment, comme je l’ai déjà dit, contraire à mes principes généraux , touchant l’éducation gratuite; puisque les chaînes des professeurs, et les places des élèves n’y seront que des récompenses ou des encouragements mérités ; la seconde, qu’en fondant cent places pour les élèves, il s’en trouvera d’abord une pour chaque département, et de plus, 17 à distribuer chaque fois, entre ceux qui auront fourni les meilleurs sujets dans les élections précédentes ce qui deviendra, pour la jeunesse un nouveau principe d’émulation, et pour les départements, un nouveau motif d’intégrité dans leurs choix. Voici, Messieurs, le décret que je vous propose. On reprochera, peut-être, à quelques articles d’exposer trop en détail les motifs qui les dictent, et le but vers lequel ils se dirigent; mais, si je ne me trompe, c’est ici l’un de ces cas particuliers, où le législateur doit faire lui-même le commentaire de la loi. PROJET DE DÉCRET. « L’Assemblée nationale considérant combien il importe de donner à l’éducation publique une grande activité; à la jeunesse studieuse des encouragements et des moyens d’instruction; à tous les départements la facilité de recueillir par des sujets de leur choix, et de faire répandre jusque dans le sein des campagnes les vérités utiles, et surtout l’esprit philosophique dont elles sont l’ouvrage ; aux hommes les plus célèbres du siècle dans les sciences, dans les lettres et dans les arts, un asile honorable, un point de ralliement, où leurs lumières accrues par cette réunion, et dirigées à la fois vers le même but, se transforment rapidement en propriété commune, entre les mains d’élèves choisis, dignes de tenir un jour eux-mêmes le flambeau sacré du devoir, et de lui donner plus d’éclat : « Décrète ce qui suit : Art. 1er. « Dans la ville de Paris, que toutes les circonstances appellent à rester toujours la patrie des talents et le théâtre de leurs progrès, Usera formé, sous le nom de Lycée national, une école encyclopédique, destinée à perfectionner l’éducation de 100 jeunes hommes choisis dans toutes les fractions de l’Empire, et par eux l’esprit public, qui seul peut conserver aux lois toute leur puissance. Les professeurs et les élèves seront également entretenus aux frais de la nation. Art. 2. « Le département et la municipalité de Paris seront chargés d’assigner, pour cet établissement, un local et des bâtiments convenables. Les bâtiments devront être propres à loger, avec décence, les 100 élèves énoncés ci-dessus, et les professeurs qui le seront ci-après, il faudra de plus qu’ils puissent fournir un nombre suffisant de vastes salles, soit pour l’enseignement, soit pour contenir ia bibliothèque et les autres collections d’objets d’études, d’instruments de sciences ou de modèle des arts. Art. 3. « Les 100 élèves seront envoyés d’abord, un par chaque département ; les 17 autres par autant de départements tirés au sort la première fois, et dans la suite, par les 17 qui auront envoyé les meilleurs sujets à l’élection précédente. « Les élèves seront logés dans le lycée même, et recevront une pension annuelle chacun de 1,200 livres, tant pour l’ameublement que pour 544 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES . [10 septembre 1791.] la table et l’entretien. Ils ne pourront être admis dans le lycée avant l’âge de 20 ans, ni passé celui de 30. « La durée du séjour qu’ils y feront sera de 3 ans. Les départements qui auront envoyé les 17 sujets les plus distingués du cours, et qui, par conséquent, auront le droit, au bout du terme, d’en envoyer chacun 2 nouveaux, pourront autoriser les auciens à recommencer leur trien-nalité. Art. 4. « Les élèves seront choisis par les électeurs des départements, à la pluralité absolue des suffrages, sur une liste d’éligibles fournie par les communes. Art. 5. « Les élèves pourront assister de droit aux leçons de tous les professeurs; mais il leur sera libre de choisir les études qui leur conviendront le mieux. Ils seront maîtres de les restreindre, autant qu’ils le jugeront convenable, au degré de force ou au genre de leur esprit; et l’on ne se servira jamais, à leur égard, d’autre mobile que de l’émulation. Art. 6. « Les premiers professeurs du lycée seront choisis par 5 commissaires de l’Assemblée nationale, 6 du département et 6 de la municipalité, lesquels s’adjoindront un certain nombre de gens de lettres, de savants et d’artistes. Les aspirants aux chaires s’inscriront ou se feront inscrire dans le lieu qui leur sera désigné par des avertissements publics ; et c’est sur cette liste, que les électeurs choisiront les sujets qui leur paraîtront les plus dignes. Dans la suite, le lycée en corps fera ce choix, lorsqu’il s’agira de remplacer quelques professeurs. Art. 7. « Chaque professeur sera logé convenablement dans le lycée, et recevra des appointements annuels de 4,000 livres, tant pour son ameublement que pour sa table et son entretien. Art. 8. « La première chaire sera celle de méthode, ou de l’art de diriger l’esprit dans tous les objets de nos éludes : le professeur ou les professeurs, à qui cette chaire sera confiée, enseigneront les procédés du raisonnement et le mécanisme du langage, ou la grammaire universelle, qu’on peut en regarder à la fois comme le principal instrument et comme le premier modèle. « La seconde sera celle d’économie publique et de morale. « La troisième sera celle d’histoire universelle, dont l’objet principal doit être la peinture des mœurs ei des gouvernements de tous les peuples de la terre. « Ces 3 chaires auront chacune 2 professeurs. « Celles des sciences exactes et des sciences naturelles se réduiront aux suivantes: « Une de géométrie et d’algèbre; « Une de mécanique et d’hydraulique; « Une de physique générale ; « Une d’histoire naturelle, dont les leçons embrasseront le tableau des 3 règnes; « Une de chimie, où se fera leur analyse; « Une de physique expérimentale. « Les prolèsseurs de ces 3 dernières chaires auront chacun un adjoint; les 2 premiers pour les opérations qu’exigent les expériences, le dernier pour le manuel des démonstrations anatomiques, les 3 adjoints auront chacun 1,200 livres d’appointement et un logement dans le lycée. Ils seront choisis par le professeur auquel ils seront attachés. v * Les chaires de langues seront: v « 1° 3 de langues anciennes: « Une d’hébreu et de ses dialectes; « Une de grec; « Une de latin. « 3 de langues orientales : « Une de turc ; “ Une d’arabe; « Une de persan. « 3° 4 de langues d’Europe . « Une d’Italie ; « Une d’espagnol; « Une d’anglais; « Une d’allemand. « Les professeurs de toutes ces langues ne se contenteront pas d’en enseigner les mots et la grammaire; ils mettront aussi dans les mains de leurs élèves les meilleurs ouvrages qu’elles ont produits; et ils s’en serviront comme du moyen le plus sûr de donner à leurs leçons de l’intérêt et du succès. s/ « II y aura 2 chaires de littérature : « Une d’éloquence; « Et une de poésie. « Les professeurs de ces 2 chaires développeront les procédés de l’art d'écrire ; leurs leçons offriront l’analyse raisonnée des chefs-d’œuvr*e de toutes les langues et de toutes les époques, desquels tous les personnages les plus remarquables seront récités avec un commentaire digne des modèles qui les auront fournis ; et ces riches exemples, non-seulement viendront animer l’aridité des préceptes, mais aussi feront passer dans l’âme des auditeurs le sentiment et l’enthousiasme dont ils seront l’ouvrage. / « Les chaires des arts seront au nombre de 4, savoir : « Une de peinture ; » Une de sculpture; « Une d’architecture ; » Une de musique. « Les professeurs de ces 4 chaires s’attacheront surtout à la démonstration des principes généraux ou de la métaphysique des arts qu’ils seront chargés d’enseigner. « Ceux de peinture et de sculpture donneront leurs leçons en présence même des chefs-d’œuvre dont elles doivent expliquer les secrets et faire sentir les beautés sublimes. « Celui d’architecture, en exposant les règles de cet art, fera connaître les grands monuments anciens et modernes ; il comparera l’esprit et le goût des différents siècles; il fixera les idées du beau, dans un genre dont les procédés et les effets ne paraissent pas tenir immédiatement à des sensations bien prononcées ou bien distinctes: il expliquera les différents systèmes de fortification et la pratique des ponts et chaussées. « Le professeur de musique en démontrera la formation, comme le professeur de méthode celle du langage. Il partira des lois physiques et des affections sensitives sur lesquelles cet art est fondé ; il le fera naître et se développer suivant d’autres lois, aussi simples en elles-mêmes, qu’admirables par leurs produits; il rendra compte de la manière dont on est parvenu à reproduire par des signes les sens modulés et harmoniques; [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] 545, il indiquera ce qu’il y a d’étonnant et ce qu’il y a de vicieux dans cette écriture; enfin, il enseignerai composition ou plutôt la métaphysique en grand, d’un art trop dédaigné de nos jours, mais dont les anciens avaient senti l’importance et qui jette de3 clartés nouvelles sur l’étude morale de l’homme. Art. 9. « Quand tous les professeurs seront nommés, ils se rassembleront pour régler leur police intérieure. Le plan qui sera rédigé par eux n’aura d’effet qu’après avoir été approuvé par l’Assemblée nationale, sur l'avis de sou comité d’éducation. Il ne s’y fera de changement, à l’avenir, que d'après des délibérations en corps. Art. 10. « Les professeurs pourront admettre à leurs leçons toute sorte d’auditeurs, autres que les élèves du lycée et recevoir pour cela telle rétribution qu’il leur plaira d’exiger. Art. 11. « Les professeurs qui se retireront au bout de 10 ans recevront la moitié de leur traitement, en possession de retraite; la retraite de ceux qui se retireront après 20 ans révolus sera de la totalité de leur traitement. Ceux qui, pour cas d’infirmité, se retireront avant l’une ou l’autre de ces époques, recevront une pension qui sera fixée par le Corps législatif, sur la demande du département et de la municipalité de Paris. Art. 12. « L’Assemblée charge le département et la municipalité de Paris de former sur-le-champ, dans le local du lycée, une bibliothèque, un cabinet d’histoire naturelle, un laboratoire de chimie, un cabinet de physique expérimentale, une collection de machines et d’instruments des arts, un musée ou choix des chefs-d’œuvre de peinture, de sculpture, de gravure et de modèles d’architecture. Les bibliothèques nationales, le cabinet du Jardin des Plantes, les statues, les tableaux ou gravures recueillis par l’ancien gouvernement et les autres objets de ce genre, appartenant à la nation, seront, de préférence, employés à cet effet. Les corps administratifs de Paris présenteront, dans 3 semaines au plus tard, à dater de ce jour, un plan pour l’exécution de toutes les parties du présent décret qui les concernent; et le comité d’éducation, auquel ce plan sera d’abord soumis, en rendra compte 8 jours après à l’Assemblée nationale. Art. 13. v « Il y aura un garde de la bibliothèque, un du cabinet d’histoire naturelle et du laboratoire de chimie, un du cabinet de physique et de celui des machines et instruments, un du musée ou des chefs-d’œuvre des arts. 11 y aura de plus un concierge ou garde général. Le choix de tous ces sujets se fera de la même manière que celui des professeurs, c’est-à-dire, la première fois, parla commission électorale, désignée article 6 du présent décret, et dans la suite par le lycée en corps. Art. 14. <; Le lycée sera composé de professeurs, des élèves, des 5 gardes énoncés dans l'article ci-lre Série. T. XXX. dessus, et des adjoints, lesquels auront le droit d’assister et de concourir aux délibérations. Art* 15. « Dans toutes les délibérations, les professeurs et les 5 gardes auront chacun 2 voix ; les élèves et les adjoints n’en auront qu’une. Art 16. « Les serviteurs quelconques, nécessaires au service public du Lycée national, seront alloués par les corps administratifs, sur les demandes des professeurs, lors de la rédaction du règlement de police, ou sur celle du lycée en corps, aussitôt qu’il se trouvera formé. » L’objet et l’utilité de la plupart des chaires que je propose, s’expliquent par la naiure même des connaissances dont elles sont destinées à répandre le goût et rendre l'enseignerne' t plus parfait. Les motifs qui leur assignent une place dans le lycée sont évidents et 1 alpables. J’en ai dit assez sur la chaire de méthode; la plus légère réflexion suffit pour montrer son importance et l’application presque indéfinie de l’art qui doit s’y trouver réduit en principes. La chaire d’économie publique et de morale n’a pas bes in d’apologie, dans un moment où la renaissance de la liberté ramène tous les citoyens à l’étude de l’organisation sociale, et où de bonnes lois rétablissent l’ordre dans les relations politiques et civiles, et préparent, par toutes les habitudes nationales, la régénération de la morale privée. L’on a beaucoup trop attendu de l’histoie. L’instruction véritable qu’on en retire est plus bornée qu’on ne pense. Indépendamment des fables qui la défigurent, du mauvais esprit dans lequel elle est écrite, de la monotonie des faits généraux qu’elle raconte, on y profite bien peu dans la seule connaissance qui pût lui donner un grand intérêt, celle de l’homme et des sociétés. Cependant les révolutions du globe et des différents peuples qui le couvrent, la peinture des gouvernements, des religions, des mœurs, des sciences, des arts, des penchants que les climats impriment, de ceux que les lois modifient; en un mot ta peinture du genre humain, dans tous les états physiques et sociaux, dans toutes les époques de la civilisation, dans tous les degrés d’ignorance et de lumières, sera toujours digne de la curiosité des savants, de l’examen des philosophes, de l’attention des citoyens courageux qui se vouent aux affaires publiques. D’ailleurs, l’histoire peut être considérée cous des points de vue absolument neufs. Le gén een tirera sans doute encore de grandes leçons ; et ne fût-ce que pour éterniser quelques scènes dont le souvenir seul enflamme l’imagination, é ève l’âme, inspire tous les nobles sentiments, et montre à quelle sublime hauteur l’humanité peut atteindre, les annales du monde devraient faire partie de la science. Une chaire d’histoire entre donc nécessairement dans tout projet d’école encyclopédique; elle en est une partie essentielle ; du reste, l’on peut assurer* que son utilité véritable étant plutôt exagérée que méconnue, l’opinion l’adopte et la sanctionne d’avance avec empressement. Dans mon plan général d’enseignement public, j’ai déjà parlé des services que les sciences naturelles ont rendus à la raison. Vous savez, Messieurs, qu’elles en rendent journellement aux arts enrichis par elle de nouveaux matériaux ou de procédés ingénieux ; vous savez quelles 35 5$ 0 ' [Assemblée nationale.] embellissent la vie d’une foule de jouissances, fruits de leurs decouvertes. Les sciences exactes sont, pour ainsi dire, la mesure, le poids et la règle de toutes les autres. Elles portent la précision partout où leurs calculs sont admissibles. Leurs formules accélèrent des opérations difficiles et le i tes, elles rendent exécutables plusieurs qui ne le seraient pas. ./Enfin ces sciences habituent l’esprit à la méthode, x«et le rayonnement à l’exactitude. Elles n’apprennent pas à raisonner sur les objets auxquels leur langue est étrangère, elles ne-font pas des esprits justes, dans le sens général et rigoureux qu’il faut donner à ce mot; mais elles cultivent la justesse dans les matières qui la rendent’ sensible ; elles en font en quelque sorte un besoin, qui se manifeste dans l’étude de toutes les autres. C’est encore une chose reconnue. Qui peut ignorer les obligation» que nous avo s aux langues anciennes? Ne sait-on pas qu’elles nous ont fourni nos premiers modèles de poésie, d’éloquence, de philosophie, de politique, et que nous leur devons les premières idées, ou si l’on veut, les premiers sentiments de liberté? Ces écrits ne sont-ils pas encore la base de nos co lecttons classiques? Et quoique nous n’y cherchions plus des guides dans les sciences, ou des maîtres pour la recherche de la vérité, nous les admirons encore dans la morale; ils nous enthousiasment, ils nous émeuvent, ils nous passionnent. L’utilité de-s langues modernes doit être considérée sous deux rapports très divers, mais très étendus l’un et l’autre. Le premier embrasse tout ce qu’ell s ont de relatif à l’étude même de l’entendement humain, et des modifications que ses procédés ou leurs signes éprouvent de la part des circonstances locales et politiques. Sous ce rapport,,, les langues modernes entrent dans les éléments de la véritable métaphysique, mais uniquement co urne les langues "anciennes, dont elles ne diffèrent point en cela. Le second rapport est fondé sur les connaissances qui se puisent dans leurs écrits, 8ur les relations commerciales dont elles peuvent devenir le moyen, sur les voyages savants ou diplomati tues qu’on ne saurait'entreprendre sans 'leurs secours, sur les échanges de lumières et de richesses qui doivent en ré-ulter : c’est le côté par lequel l’étude des langues vivantes est de l’application pratique la plus vaste, de l’application la plus immédiate et la plus sensible. Je crois également superflu de montrer combien la culture de l’éloquence importe dans un pays où les formes populaires vont exiger de tous les citoyens l’habitude de la parole, et de presque tous les fonctionnaires publics, le talent de mettre les passions humaines aux ordres de la raison. L’éloquence n’a pas toujours besoin de convaincre, pour produire de grands mouvements; et, lorsqu’elle porte avec elle la conviction, ses effets sont incalculables : elle peut changer pour ainsi dire, en un clin d’œil, l’état du monde moral. Mais il faut la considérer encore sous d?autres faces. Quand on se sert de ce nom pour désigner, ou la malheureuse facilité de tro ver des paroles, ou l’emploi banal de certaines formules ui se prêtent à tout, ou le reiou r symétrique e ces phases qui retentissent éternellement aux oreilles, et dont l’arrondissenn nt harmonieux couvre le désordre et l’impuiss nce du raisonnement, ne fait-on pas alors un étrange abus des mots? La véritable éloquence est sans doute [10 septembre1 KM-.] beaucoup moins; (les grands modèles en sont la preuve), dans le* choix industrieux des terme a et d ms; la cadence soignée des périodes, que dans l’enchaînement naturel ou la bonne déduction des idé s, dans la. vérité des mouvements*. dans la justesse de l’expression, qui, s’identifiant avec la pensée, doit en devenir comme inséparable, et ne faire que donner une apparence sensible, à sa véritable' forme intellectuelle. À cet égard, l’art oratoire rentre dans l’art de raisonner-, il devient l’organe de la vérité, l’instrument de la sagesse; et ces noblrs fonctions, lui prêtent une dignité qu’il n’avait pas de* lui-même. Voilàvdis-je, ce que tout le monde sait,, ou ce que personne ne conteste. Mais il n’en est pas de même des arts de pur agrément. Leurs connexions avec le système entier des sc enees sont beaucoup moins sensibles : leur influence sur le progrès des lumières et sur la prospérité publique, est encore loin d’être généralement sentie. Malgré ce que j’en ai dit en passant, dans mon plan général, et ce que j’ai cru devoir ajouter dans le projet de loi que vous venez d’entendre, on peut être étonné du rôle que je leur attribue, ma réponse serait cependant très facile. Les travaux de l’esprit doivent suivre un certain ordre, pour être portés au degré île perfection où nous pouvons le conduire. Pour arriver au dernier terme, il faut avoir fait le premier pas : pour exécuter un ouvrage, il faut en avoir d’abord trouvé les instruments. Si ion n’avait pas suivi la marche de la nature; c’est-à-dire, si la première étude des hommes n’avait pas été celle des sensations ; si l’art de les multiplier, de les varier, n’avait pas conduit à l’ait de les retracer de toutes les manières, et sous tous les aspects, de créer d’abord des signes qui rendent, en quelque sorte, plus vivantes les ; en-ées du cœur, ou de l’imagination ; jamais l’on n’aurait appris à poursuivre et à saisir, par la méthode perfectionnée les pensées, pour ainsi dire, moins corporelles du raisonnement : la nature voulait que l'homme commençât par sentir, et par s’occuper directement de ce qu’il avait sent1. Ces premières images étant les plus distinctes, étaient les plus faciles à retracer, les plus susceptibles de se revêtir de formes: animées et correctes, les plus propres, en un mot, à façonner le langage, ce grand iu.'lrument de l’esprit humain. Les arts d’agrément, qui sont la langue du sentiment et de l’imagination, devaient donc naîtle avant' les sciences et la philosophie. La poésie surtout, qui, peut-être, a seule formé toutes les langues, devait préparer le règne de la raison ; et quiconque eût voulu tracer un ordre différent à leurs essais graduels, aurait sans doute montré une profonde ignorance de l’homme. Mais ce n’est pas tout. H ne suffit pas que les arts aient été cultivés une fois, pour assurer les triomphes de la philosophie qui leur succède. Quand les objets qui font partie d’un tout, se trouvent réunis, on ne les sépare plus imounéy ment : enchaînés l’un à l’autre par de-< liens qui deviennent de jour en jour plus visibles, ils se prêtent des secours mutuels, ils s’éclairent d’une lumière réciproque, ils ne se' perfectionnent rapidement que par des efforts simultanés. Or, il est certain q -'aucun fragment des connaissances humaines n’est étranger à l’ensemble; que chacun u’eux est commé uri chiffre de plus, qu’on ajoute à des résultats arithmétiques; que tout homme, pour s’instruire véritablement, doit, au-ARCHIVES PARLEMENTAIRES.. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 17, 91.] tant qu'il est possible* suivre en abrégé dans ses-études la même marche: que le genre humain ; et que ie-objets qui tiennent imméd latte ment aux premières impressions seront à jamais une mine intarissable de nouveaux trésors. Chaque science ajoute à la masse de nos idées, parce que ehaqe® science repose sur des faits qui lui sont propres. De la comparaison de ces faits, ou de leur ordonnation systématique résultent des idées générales qui s’a p pelle �principes. De la comparaison de ces principes avec ceux des autres sciences, résultent des idées-plus générâtes encore, qui non seulement servent à ranger, sous un petit nombre de chefs communs,. tous les travaux de �entendement humain,, mais qui, transportés avec précaution d’un objet à l’autre, deviennent la source d’um grand nombre de combinaisons inconnues. L’esprit se cultive en s’appli tuant à des sujets de genres divers ; ses facultés acquièrent de la souple-se, de l’agir lilé, de là rectitude; ses procédés de la correction; et la méthode, par cet exercice constant et varié, s’agrandit, se simplifie et se transforme en habitude. D’ailleurs, dans cette succession de tableaux q >i passent devant lui, l’es prit recueille: beaucoup d’impressions nouvelles, qui sont autant de matériaux pour la recherche de nouveaux rapports. S s collections s’augmentent : la nature s’offre à lui sous mille faces ; il s’accoutume à la considérer en grand, dans toutes les relations qu’elles peuvent avoir entre elles : en un mot, il s’étend et s’enrichit. Ces avantages sont communs à l’étude des sciences et à celle des arts. Mais les arts ont encore un autre moyen puissant d’infiuer sur l’éducation de l’homme. Chacun d’eux, fondé sur les sensati ms agréables qu’il peut produire, fournit, par ces sensations mêmes, les éléments d’une classe précieuse d’idées. De là naissent les jouissances les plus douces, les plus propres à resserrer les liens sociaux; par là se développent plusieurs sentiments affectueux du cœur humain, et ces élans passionnés de l’âme que le législateur doit exciter avec soin, comme un instrument do bonheur et comme le principe des grandes choses. Mais de ces émotions que les arts portent jusqu’au fond du cœur, de l’e-pèce de culture qu’ils donnent à la sensibilité, de cette observation olus délicate et plus active à laquelle ils nous habitu-mt, résulte un nouvel! accroissement de perfections dan» l’être intellectuel. L’homme ne jouit de toute son existence que lorsqu’il reçoit toutes les sensations qui peuvent déployer ses facultés; il n’est complet que lorsqu’il existe dans tous les points qui l'unissent à la nature et à ses semblables, c’est-à-dire lorsqu’il sent tout ce qui peut augmenter ses connaissances, et connaît tout ce qui peut augmenter son bien-être. Or, ses affections et ses notions quelconques, en prenant ces deux mots dans-leur sens le plus général, sont étroitement liées les unes aux autres ; elles forment un système indivisible; rien n’est plus certain. Ce n’est donc pas sons des motifs puissants et raisonnés que, faisant . entrer les beaux-arts* dans toute bonne éducation publique, je leur donne une place importante dans le projet du lycée national. Je me proposais de revenir sur les effets moraux et politiques de ce grand établissement, lesquel», je: l’avoue, se présentent à moi dons le lointain, comme un des legs les plus précieux que nous puissions faire aux races futures; mais je me reproche même les détails que je crois ne pouvoir éviter, et j'évite tous ceux qui m paraissent pas indispensables. Permetiez-<noi seulement, Messieurs, de-vous faire entrevoir d’avance au milieu du prognès inévitable des lumières et de l’esprit publie,, au> milieu de cette foule d’hommes que le lycée peut faire éclore, presqqeen uifcmomeiit, pour laglhine et la prospérité de leur patrie, une jeunesse ayi (te de s’i struire, accourant sans cesse dans cas murs, de toutes les parties du monde ; les préjugé» des différents peuples se détruisant par degrés dans ce commerce studieux leurs liens se-resserrant par le zèle et la recherche de la vérité}) tous les talents, tous les travaux, toutes les découvertes, les richesses de la nature, celles dui génie, celles. même du luxe venant des: climats les plus éloignés, par toutes les portes de l'Empire, se réunir dans la ville de Paris; cette ville généreuse acquérant une splendeur qu’elle n’eut jamais, devenant la reine de l’univers p ir l’opinion, comme elle doit l’être par l’importance: politique de la France libre, répandant partout,, avec ses écrits et ses disciples, l’amour de la» science, l’enthousiasme de la liberté, le respect! de l’homme et l’art d’améliorer notre destinée; fugitive. Mais parmi tant d’heureux effets, dont grande confiance dans l'instruction bien dirigée,. pourrait encore m'embellir la peinture, celui que je prise le plus, celui qu’il est le moins pos* sible de révoq rer en doute, c’est, je le répète, la propagation rapide de ces habitudes du boa sens, de cette raison publique, sans laquelle-il ne saurait y avoir ni véritable vertu, ni véritable bonheur dans une nation. V s L’ancien régime avait non seulement dénaturé � les lois dans Lur essence même, corrompu tous les ressorts du gouvernement, anéanti presque jus� qu’aux dernières idées de vertu, dans tout ce qui tenait à l’administration : il avait encore porté le désordre dans le sein des familles, altéré les rapports les plus intimes des individus, fait prendre à leurs intérêts une p°nte vicieuse, et substitué dans leur cœur, aux passions douces et bienfaisantes que la nature destinait à vivifier la société, d’autœs passions factices, isolantes, cruelles qui la déshonoraient par l s scènes les plus hid uses, et faisaient regretter aux imaginations sensibles le creux des antres et le fond des bois où vivaient nos premiers pères. La rao-v raie publique était nulle, son nom même n’exis-K tait pas; et la morale privée se retrouvait à peine dans quel mes âmes assez fortes pour opposer constamment la raison à l’exemple, des sentiments droits aux habitudes générales; les jouissances intérieures d’une conscience pure aux jouissances théâtrales et fausses; consacrées par *\ l’opinion. C’est à vous, Messieurs, qu’il appartenait: de: réparer tant de maux. Les principes que vous. avez posés ont fait p endre aux lois un nouveL esprit; vos lois ont changé la face du couver-ne me ut. Déjà l’ordre1 existe dans les parties importantes de l’organisation sociale; déjà les rapports publics des citoyens se rapprochent du but de l'association, se conforment aux besoins de l’homme, sur lesquels elle se foude. Mais quoique les vices particuliers soient le pro luit inévitable d’une mauvaise législation, il ne s’ensuit pas que sa réforme les fasse disparaître iraraéf-dia ement ; peut-être même n’est-ilpas impossible! qu’ils subsistent longtemps dans un Etat où les mouvements poli iques seraient d’ailleurs bien ordonnés. Le sort des individus resterait, donc 548 [Assemblée nationale.] encore très à plaindre, malgré les imposants fantômes de la prospérité nationale. Vous ne devez pas attendre, Messieurs, de l’influence tardive des lois générales, la rectification des mœurs domestiques et des habitudes firivées. Ouvrage des premières impressions de ’enfance, et des intérêts auxquels les préjugés la façonnent, c’est dans leur source M ême qu’il faut les attaquer, c’est par des habitudes contraires qu’il faut <n effacer les vestiges. Sous l’empire des mauvaises lois, les mauvaises mœurs sont moins choquantes; on sait à qui s’en prendre; sous des lois sages, et dans un gouvernement libre, elles flétriraient la pensée de l’ami des hommes ; elles calomnieraient la nature humaine. D'ailleurs, il faut oser le dire, les meilleures lois préparent le bonheur individuel ; mais elles ne le font pas ; sans elles, les nations ne peuvent être heureuses; avec elles, les in lividus peuvent être encore très infortunés. Le compié-Vment de l’existence de l’homme et de l’existence du citoyen ne peut être dû qu’à la simplitication de l’une et de l’autre, à l’accord du bon sens des lois et du bon sens des mœurs, à l'union de la morale particulière et de la morale publique; union précieuse dont l’exemple est encore inconnu sur la terre, et qui doit constituer un jour la vraie perfection sociale. Après avoir jeté les fondements de l’édifice public, allez donc plus loin, Messieurs : servez-vous du grand instrument que l’éducation vous présente, pour ramener à la nature, c’est-à-dire à l’ordre, les penchants égarés de tant d’hommes, qui se laissaient entraîner au torrent des erreurs communes, et dont toutes les circonstances avaient mutilé le cœur. Qu’ils apprennent, ou fdutôt qu’ils sentent enfin cette vérité si conso-ante, inscrite dans chaque page de notre his->,/ toire la plus intime 1 Que la raison n’est que la 4 nature elle-même ; la vertu, que la raison mise en pratique, et l’art du bonheur, que celui de la vertu. IV Sur l'éducation de l'héritier présomptif de la couronne , et sur la nécessité d’organiser le pouvoir exécutif. Messieurs, Après vous avoir soumis mes vues sur l’éducation publique, et sur quelques objets que j’en regarde comme les principales dépendances, je me croirais répréhensible de ne pas donner dans ce travail une place à l’éducation de l’héritier présomptif de la couronne : importante question sur laquelle je n’ai cependant qu'un petit nombre de considérations à vous offrir, et de mesures à vous proposer; mais qui, nous ramenant à l’organisation constitutionnelle de l’autorité roya'e, restée encore imparfaite, ouvre un champ vaste aux discussions du philosophe législateur. Je sollicite un instant votre attention :mais je réclame aussi votre indulgence. C’est une sorte de justice dont nous avons peut-être tons également besoin de ce torrent des affaires, qui nous laisse à peine le temps de recueillir nos idées, et bien moins encore celui d’en perfectionner la rédaction. Pardonnez donc si tantôt je suis trop long, faute de temps pour me resserrer, et tantôt trop court ou trop incomplet, faute de certaines bases, qui ne sont pas encore dans vos lois, et que [10 septembre 1791.] j’aurais b soin d’y trouver pour pouvoir embrasser mon sujet dans toute son étendue. En consacrant le gouvernement monarchique, vous vous êtes imposé le devoir d’en contenir la force redoutable, par des lois sévères et vigilantes, et d’en faire inspecter l’exercice par tous les pouvoirs populaires dont vous avez décrété la formation. En plaçant sur la tête du prince une couronne héréditaire; en déclarant implicitement, par là, son héritier présomptif 1 enfant de la nation; en prenant, pour ainsi dire, po-session de lui au nom du peuple français, vous vous êtes imposé le devoir de diriger son éducation conformément aux fonctions imposantes que la volonté souveraine du peuple lui destine. C’est vous qui avez organisé toutes les m, gistratures, prescrit les conditions qui permettent d’y prétendre, réglé les formes d’après lesquelles on y parvient ; sans doute, c’est encore à vous non seulement de trac r les devoirs de la magistrature suprême, mais encore de suppléer, autant qu’il est possible, à l’égard d-celui qui doit la remplir un jour, à la censu e efficace d’une élection que le vœu national ne réclamait pas, et dont es avantages réels seraient d’ailleurs balancés par de graves inconvénients. Ce devoir, si sacré pour tous les membres de cette Assemblée constituante, qui pourrait mieux en reconnaî're l’importance que celui dont la voixatouj urs proclamé la suprématie d’un seul comme l'unique moyen de conserver à la force d’exécution le degré d’activité nécessaire dans un grand Empire; qui, fidèle déten-eur des droits du peuple, a pourtant regardé t autorité royale comme un sûr rempart de la 1 berté; qui, prévoyant les < caris possibles d’un Corps législatif, sans régulateur et sans contrepoids, a pensé que le dé égué perpétuel de la nation pour le pouvoir exécutif, uevait intervenir dans la loi, non pour influer sur les délibérations qui la préparent, ou sur les céc ets qui l’adoi tem, mais pour en suspendre les effets dans les cas douteux, en attendant que la vo onté générale s’anno; çât d’une manière claire et formelle; en un mot, qui a pensé que le prince devait être partie in égrante, non du Corps législatif, mais delà renié-entation nationale, pour la promulgation des lois. Quam à ceux qui le réduisent au rôle passif de simple exécuteur, peu leur importe peut-être qu’il arrive sur le trône avec d< s taiems et des vertus. Les lois se forment sans lui; (lies n’ont besoin ni de sa censure, ni de son approbation ; elles ont saris lui reçu tous leurs caractères: leur exécution n doit pas éprouver plus de résistance de la part de celui qui les dirige, que de la part des citoyens sur qui elles s'exercent: il n’a point de pensée à lui; il n’a point de volonté; il n’agit nas meme pour son comp'e, puisque le plus indifférent de ses ordres doii port> r le nom de quelqu un de ses agents, lequel en répond formellement en son propre et privé nom ; et si dans ce te Constitution, comme dans la vôtre, on dispense le prince de toute responsabilité, c’est pour éviter les désordres tnmubuenx que la discussion de ses fautes pourrait occasionner, ou pour mév nir de funestes susp usions de mouvement dans la machine poli iq ne : mais il en rés> Ite aussi que, ne pouvant plus ni penser ni vouloir, ni exécuter ce qu’il a pensé et voulu, il se trouve, pour ainsi dire, hors d'- la nature humaine, réduit à la nullité morale la plus complète, et presque dispensé d’. voir des qualités dont il ne saurait faire aucun usage. Ce n’est pas Jà, Messieurs, l’idée que se sont ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] 549 faite du chef de la nation plusieurs de ceux qui sentaient le plus fortement la nécessité de resserrer sou pouvoir dans des limite* étroites. Ce n’est pas le caractère que \ou* avez voulu lui donner, vous qui regardez son approbation comme le complément nécessaire des lois, et qui, par cela seul, attachez à son existence politi sue la moralité la pins étendue, puisque vous l’i ves-v tissez du croit d’interpréter et de prévoir le vœu de tout un peuple, contre les déterminations de *~�es organes temporaires. Mais, lorsqu’en même temps vous statuez que sa personne sera de tout point inviolable, vous le soriez, par une fiction hardie, de l’état social; vous détruisez presque tout rapport véritable entre lui et les membres de l'association ; et s’il en résulte, comme dans l’autre hypo'hèse, plusieurs avantages pratiques, en faveur desquels le philosophe doit à mon avis pardonner à l’oubli des principes, il en résulte plus encore la nécessité d’entourer, dès le berceau, cet être singulier qui ne peut devenir un dieu, et qui ne sera point un homme, d’images et de leçons qui le -préparent à ses difficiles travaux, mais qui surtout le {irémunissent contre les eirconsances essentiel-ement dépravantes auxquelles il e?t condamné dans l’avenir. Indépendamment de l’exécution des lois, où la sagesse et les bonnes intentions du prince ne seront pas inutiles, la Constitution le destine à balancer lui seul, par moments, toute l’autorité du Corps législatif. Ses vertus et ses talents auront une influence non moins illimitée que celle des lois. Il faut donc que son éducaiion soit analogue à sa destinée. C’est à la nation tout en ière qu’elle importe. A qui pourrait-il appartenir d’en diriger l’esprit et d’en tracer les moyens généraux, si ce n’est aux premiers législateurs de citte même nation, chargés par elle d’organiser toutes les forces qu’ell • veut établir dans son sem pour le gouvernement? Mais, en considérant cet objet sous ses différents points de vue, en jetant un coup d’œil sur toutes les nist u-sions que son examen me paraît exiger, je m’arrête dès le premier pas. En effet, ne voyez-vous pas, Messieurs, que toutes les grandes questions de la monarchie viennent s’v •confondre ; qu’avant de les avoir discutées, éclaircies, résolues; avant d’avoir établi, sur des bases solides et d’une manière invariable, la correspondance mutuelle du pouvoir exécutif et des autres pouvoirs sociaux, ou du monarque en tant <qu’individu, et de l’Etat en masse ou considéré comme l’agrégation de tous les citoyens, il est impossible de prévoir à quels événements le monarque est appelé, quels dangers sa position lui prépare, quel genre d’idées, quelle trempe d’âmes, quelles habitudes lui seront spécialement nécessaires: et ne serait-il pas absur e par conséquent de vouloir régler d’avance l’espèce de culture qui lui confient, c’est-à-dire de vouloir déterminer comment la sagesse publique doit l’armer pour des combats si mal déterminés eux-mêmes? Un philosophe célèbre, dont les écrits ont rendu les plus importants services à la raison, et dont les venus ont donné les plus grands exemples à son siècle, Helvétius disait qu’il n’y a que deux sortes de gouvernements : les bons et tes mauvais. Les autres différences, par lesquelles on les distibgue dans les ouvrages et dans les écoles . d’économie publique, lui paraissaient entièrement frivoles. En effet, elles n’o t guère de réalité que dans des accessoires insignifiants, ou dans des formes superficielles qui ne changent rien à l’essence des choses partout où cette loi résulte de la volonté générale bien recueillie; partout où cette loi s’exécute sans résistance: là, sans doute, quelles que soient d’ailleurs les formes législatives, administratives, judiciaires, la souveraineté part de sa véritable source, le droit des individus est respecté, la liberté publique repose sur des bases solides. Partout, au contraire, où la loi n’est que la volonté d’un seul ou d’un petit nombre; partout où son application est arbitraire, partiale, sans règle fixe; en vain l'association présenterait-elle des apparences républicaines; eu vain se donnerait-elle le nom même de démocratie, ce nom si doux à des oreilles libres : son gouvernement n’en serait pas moins injuste, tyrannique, odieux; c’est-à-dire qu’il rentrerait dans la classe des mauvais gouvernements, et qu’il ne différerait nullement des pires. En un mot, l’excès des formes populaires peut s’allier avec l’oppression la plus désolante; tandis que les formes monarchiques peuvent devenir un très bon garant de la liberté sociale, et favoriser son exercice et son développement, par la plus surveillante protection. Je dis plus: le despotisme lui-même, s’il pouvait s’assujettir à ne porter jamais que des lois réclamées par le vœu public; s’il n’en refusait aucune de celles que ce vœu lui demanderait; si, placé comme une autre Providence, loin des objets de sa sollicitude, il oubliait toujours les personnes pour ne songer qu’à la règle, et pour rappliquer dans toute sou impassible ligueur; le despotisme cesserait presque d’être un mauvais gouvernement. Il continuerait à limiter injustement l’existence morale des individus; mais, dans son sein, les hommes, sans exercer les droits de la liberté, en recueilleraient presque tous les avantages. Ce n’est pas qu’il soit possible de contenir un despote comme un monarque; un monarque perpétuel, héréditaire, comme des magistrats électifs, et destinés à rentrer, au bout d’un certain temps, dans la classe commune des citoyens: ce n’est pas que, pour quiconque a connu les hommes, le projet de faire servir à l’utilité publique les passions de celui qui peut tout ce qu’il veut, ne soit une méprisable chimère; que les passions de celui qui peut beaucoup ne doivent être resserrées en tous sens, si l’on veut prévenir de coupables attentats; enfin qu’une Constitution, où les droits de chacun ne restent jamais oisifs, qui va recueillir la volonté publique là où elle réside, c’est-à-dire dans le tout, ou dans les représentants les plus immédiats du tout; une Constitution qui fait nommer le magistrat par le même légitime souverain, duquel dérive la loi ; qui place à côté de chaque fonctionnaire public, un autre fonctionnaire intéressé par toute sorte de motifs à le censurer sévèrement, ne soit le véritable et, sans doute, le seul moyen de maintenir l’ordre et l’égalité dans le corps politique ; mais il n’est peut-être pas hors de propos de rassurer ici les défenseurs ardents des droits de l’homme sur la vaine dénomination ou sur les frivoles apparences d’un pouvoir dont la source et l’essence sont éminemment populaires, et qu’on ne rendrait pas facilement plus populaires encore, sans risquer d’affaiblir sa nécessaire activité. Il convient également, d’autre part, de rappeler aux partisans plaintifs de l’autorité royale, qu’elle n’existe véritablement en France que depuis la Constitution qui l’adopte; que votre voix, en la légitimant au nom de la nation, lui donne une stabilité qu’elle n’eut jamais; et que cette autorité recevaot de la loi qes [AsseDûfbfé® nationale .] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. '«WBetéfleâ augustes ‘-êt *tmrr»ant8f, promet à ÉOh j digne possesseur des jouissances inconnues à i :t0tis tes rois de Funivers. ' Au milieu des Orages précurseurs de te Révolution, de ces orages redoutables, mais précieux, tiqui pouvaient, il est vrai, se terminer par la dissolution de l'Empire, mais sans lesquels ne se fût jamais opëîée la réforme complèie et franche des abus ; quand la confiance publique vous chargea de lui donner tout à la fois une Constitution libre et Un gouvernement énergique ; des magistratures empreintes, pour ainsi dire, de toute la souveraineté du peuple, et cependant une police vigilante, capable de réprimer avec célérité tous b s désordres, assez forte pour n’être jamais troublée dans ses rigoureuses fonctions; quel spectacle steffrit à vos yeux? Quel était-il donc ce vœu 'général dont vous étiez les potteurs, et qui se Trouvait encore exprimé dans les proclamations Ajourna lièr es de l'opinion publique? D une part, un vaste Empire, une immense population, des ressorts multipliés à l’infini, compliqués ën tous sens; une grande difficulté de laire mouvoir tous les membres de ce grand corps, et de les mettre en harmonie les uns avec les autres ; des rapports extéiieurs très étendus, et dont l'influence ne pouvait êtrenégligée dans le calcul des mesures intérieures possibles, ou des moyens convenables pour les rendre telles; d’autre part, un prince chéri, malgré les injus'ices et les tyrannies exercées en son nom, estimé malgré les déprédations commises sous ses yeux, malgré les coupables machinations adoptées par son conseil; Uîl prince qualifié du titre glorieux d 'honnête homme, et dont tant de ministres odieux n’ont pu rendre les intentions équivoques; un peuple qui Sentait, comme par instinct, les inappréciables avantages d’une autorité centrale, unique, indivisible; qui reconnaissait avec les philosophes gué rien n’est au fond plus démocratique que la royauté, contenue dans ses just< s bornes, et rien de si monarchique que la véritable démocratie ; ui semblait ne se réjouir d’avoir un trône à onner, que pour y confirmer, par ses acclamations unanimes, le grand citoyen dont la conduite avait garanti le nom de roi, de l’exécration Universelle ; un peuple enfin qui, peut-être de tous les peuples de la terre, est celui dont le respect a le plus besoin de s’attacher aux personnes, et de confondre l’amour de la patrie avec celui du 'dépositaire suprême des lois. voilà, Messieurs, ce qui frappait vos yeux et VOs oreilles ; voilà les pensées que l’intérêt ou le Vœu 'public vous imposait, et les sentiments que ’ti’ébratilèreiit jamais ni le cours changeant des 'circonstances, ni les incertitudes d’un conseil étrangement inepte, ou profondément p rvers. Plus le territoire a’un Empire est considérâb'e et sa population nomPreu-e, plus son gouvernement, exige de promptitude et d’activité. Dans ■les pëtits États, quelques lenteurs entraînent peu d’iüconvénienls; dans les grands Etats, elles mettent tout en danger. Mais plus les magistratures Sont multipliées, plus aussi les mouvements se 'Compliquent, s’embarrassent, se ralentis�nt. �'activité des gouvernements est donc en raison Inverse du nombre des magist ats. Vous n’ignorez pas, Messieurs, cette vérité, démontrée par l’expérienee de tous les -siècles ; elle fournissait la solution d’Un problème important, et tout autre motif à paît, elle prescrivait à la France de rester une monarchie. Mais, d’ailleurs, comme on vient de le voir, en laissant l’exécution des lois dans les mains d’un [10 septembre 1791. !êéuT, vdhs vous conformiez xux volontés totftes-'puii-santes de la nation, dont vos décrets ne doivent être que l’expre-sion fidèle. Vous aviez va de pi è-combien sa tendre vénération pour Louis XVI était fondée ; et ce sentiment trans-’for ma pour chacun de nous, en jour de fête, le jour « ü l’Assemblée constituante proclama un roi des Français et lui donna le titre de Restaurateur de la liberté. Le peuple, dont la finesse petit étonner quelquefois les politiques les plus sagaces, a senti combien il était utile, combien il était convenable que la Révolution se Ht avec la participation libre et franche du roi. Le roi l’avait provoquée noblement; il lui restait à donner un spectacle plus noble encore; celui d’un pouvoir qui se resserre lui-même, et qui fait concourir ses propres forces aux opérations par lesquelles la volonté publique en affaiblit l’excès. Le peuple avait raison; mais ce qu’il 'n’apercevait pas, et même ce que les passions de tous les partis ne permettaient qu’à peu de gens de bien voir, c’est que les moyens qui paraissaient le plus contrarier l’établissement de la liberté, éiaient ceux-là mêmes qui la servaient le mieux, et que les circonstances qui lui paraissaient les plus favorables au premier coup d’œil l’attaquaient sourdement dans ses racim s, ou du moins arrêtaient ses élans fructueux. Les plus grandes victoires sont dues à la résistance opiniâtre de ses ennemis; ses désastres, si toutefois il est vrai qu’elle en ait éprouvé de réels, ont été le produit de ce calme, de cette langueur où la certitude du succès fait retomber tous les hommes, et de cette faiblesse compatissante que des vaincus inspirent aux cœurs les moins généreux. Le monarque n’a point individuellement trompé les espérances du peuple; mais qu’elles aient toujours été secondées par les ministres et les autres agents subaliernrs, voilà ce que Fadulation la plus abjecte n’entreprendra Jjamais d’établir. Or, il est arrivé, relativement au trône, précisément ce qui tant de fois avait eu lieu relativement au parti réfractaire. Quand le trône s’est montré ce qu’il devait être, sa grande influence s’est ranimée, les provocations audacieuses se sont ralenties; le sentiment profond des utiles services qu’il pouvait rendre pour le rétablissement de l’ordre et l’organisation du nouveau régime, se mêlant à l’amour dont on était pénétré pour le monarque, a réveillé par moments re vieil enthousiasme de la monarchie qui, nous ne devons pas éviter d’en convenir, a souvent eu parmi nous tous les caractères de la superstition. Quand le conseil, au contraire, vacillant dansses vues, équivoque dai s ses mesures, coupable, soit dans ses menées, soit dans ses omissions, ne s’est offert aux yeux du peuple, que sous les traits d’un ennemi plus ou moins entreprenant; quand il a paru vouloir servir de centre aux conspirateurs publics, tantôt se liant sourdement à leurs complois, tantôt leur donnant la main plus ouvertement, lépandantsur eux les grâces dont il était le dispensateur, et n’aspirant à rien moins qu’à faire regarder le roi comme leur chef : alors le gémede la Révolution s’est agité de nouveau d’une manière terrible, la turbulence et le vrai courage se sont ralliés pour opposer une contenance menaçante à ces odieux a tentats ; les nœuds étroits qui uniraient le trône à la nation se sont relâchés; et s’il a jamais existé des projets qui tendissent à les relâcher encore et c’est dès lors seulement qu’ils ont pu cesser d’être le comble du, délire. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] f Je le dis avec douleur, Messieurs, parce «pie * je suis fortement convaincu que la monarchie 1 peut seule, surtout dans le «nouent présent, réu ûr au même degré le maintien de la liberté politique avec une administration ferme et celui ae la liberté personnelle avec une police acti ve ; je le dis avec douleur, de perfides conseille-s ont de jour en jour avili l’autorité royale •: depuis longtemps ils la rendaient suspecte ; bientôt peut-être il-en eu-sent fait oublier; ils en eussent fait méconnaître les inestimables avantages., en continuant à lui donner ainsi l’aititude de la , révolte contre les volontés souveraines du corps A social. Il faut trancher le mot ; !’• xistence de Tata-torité royale est intimement liée à celle de la Constitution. La Constitution ne peut être ébranlée sans entraîner dans une ruine inévd sablent la dynastie régnante, et peut-être lu monarchie elle-même. Les véritables amis, les véritables ennemis du roi sont donc ceux de la Révolution, ceux du code immortel où vous avez consacré l’existence du prince, en réhabilitant celle du peuple ; et si la séditieuse imperitie des dépositaires du pouvoir ; si les fureurs prétêodues royalistes de c-tte minorité rebelle, qui no peut renoncer au droit de dévorer la majorité comme autrefois; si son affectation hypocrite -et ridicule à couvrir ses révoltes d’u-i nom sacré qu’elle abhorre au fond du cœur, avaient fini car associer d’une manière inséparable dans l’opinion publique l’idée de la monarchie avec celle d’une conspiration perpétuelle conire la liberté , législateurs, c’eut été sans doute à vous seuls, à vous que ces messieurs accusent si lâchement de vouloir renverser le trône, à rassembler religieusement ses débris, à les réorganiser, vos propres lois à 'a main, à faire refleurir d’une vie nouvelle cet arbre desséché dans ses racines les plus déliées et les plus précieuses. Mais, toujours prêts à faire tête à l’orage, il vous convient surtout de le prévenir. En vous chargeant de détruire ou de contenir tomes les autorités oppressives ou dangereuses, la nation vous a chargé également d’en ériger d’autres plus ré-fuîièri s, et de maintenir ua s leur juste degré 'énergie celles dont votre sagesse vous montrerait l’utilité. Il ne vous appartient pas moins de consolider les magistratures rendues légitimes par le vœu n dioual, que dlanéantir les magistratures usurpées, que ce vœu flétri de la prescription souveraine ; *et s’il était nécessaire d’abattre le bras dévastateur du despotisme, il neil’est p,is moins de douer d’une force suffisante le bras conservateur de la Constitution. Ce bras, je le sais, peut être organisé de plusieurs manières différentes. Les circonstances locales ne sont pas, à beaucoup près, les mêmes partout ; les hommes et lesafftire-* valent encore davantage. Los lieux, les 'temps, les dispositions pdliiiques tracent son devoir, indiquent ses moyens au législateur; et son habileté, sa vertu même, consistent à recueillir ét consacrer les résultats de toutes ces considérations réunies. Mais, je répète, Messieurs, que l’autorité royale peut, dans une Constitution sage , être avantageusement employée â la conservation de la liberté sociale. %f' Je dis que, de longtemps encore, elle ne pourrait être remplacée, dans cet -Empire, par aucun mode d’exécution capable de la suppléer; j’ajoute qu’elle est d’autant plus nécessaire à fetablisse-ment du nouvel ordre de choses, qu?onn’a>pu briser les chaînes de latyrannie, saus relâcher les m liens du pouvoir, et que l’installation des formes de la liberté «exige, à cause de leur nouveauté même, à. cause des résistances ouvertes ou cachées de leurs ennemis, une vigueur, une activité, ame 'vigilanoetextraordinaire dans le moteur central du gouvernement. Mais comment consolider un pouvoir qui ne peut plus se maintenir que par la confiance publique, iet donttoutes les expériences del’h stdire ont tant appr s à:se délier, si ce ntest en le constituant de ma ière à ne laisser aucune place aux défiances, en le rendant JouHpnissant pour l’exécution de la loi, nul pour -sa violai ion, en ne Lui lais ant j Le degré de mouvement spontané, sans lequel «1 cesserait d’être utile, et Je faisant encore surveill r, sous ce point de vue, par des regards intéressés à dévoiler ses fautes et ses dè-déliùs. ¥ous devez, en un mot, identi lier sa prospérité uaiiticulière avec la prospérité publique, lui rendre les routes vertueuses, si douces, si faciles, et les rouies criminelles si pénibles, .ai périlleuses, qu’il ne soit jamais tenté de balancer entre les unes et les autres. J-' vous p opose donc, Messieurs, de constituer au plus tôt le pouvoir exécutif, de le constituer non seulement en lui-même, mais dans tous ses rapports et avec tous ses accessoires. Le n’est pas ici te lieu d’indiquer l’ordre et les ét ils principaux de ce travail ; mais je crois pouvoir dire en passai' tque nulle partie de la Constitution n’a besoin d’être mise dans une harmonie aussi parfaite avec son ensemble, et avec l'esprit que In Jl évolution fait éclore. Vous ne devez pas vous contenter d’établir dans vos principes un ac ord apparent ou d’approximation; il faut en former ua tout homogène, un système indivisible; il ne suffirait pas même d*y suivre les progrès actuels de l’opinion-, il faut encore y préparer d’ava ce tous lus ch mgemeuts que ses progrès ultérieurs doivent commander un jour. Or, Messieurs, vous voyez -avec quelle étonnante rapidité cette opinion, protectrice de la morale et des lois, se développe ! Gomme ses plus faibles germes croissent et fructifient ! Coeot me pour elle toutes les idées deviennent bientôt triviales, et pur elle toutes les mesures faciles,! Ce que tes philosophes rêvaient encore, il y. a quelques mois, est déjà classique et familier parmi le peuple. Api ès avoir adopté des dogmes généraux, qui, rappelés dans toutes J-s discussions, et présentés sous mille formes diverses, lui sont devenus évidents et palpables, il tire de lui-même, ou du moins il admet leurs conséquences nécessahes ; il marche rapidement à leurs conséquences éloignées; et cette progression des Lumières publiques ne peut avoir d’an i res termes que celui nu po-sible, du vrai, de l’miie. Tel est aussi le terme que vous vous .efforcez d’atteindre (tans tontes vos lois, ou vers lequel vous les dirigez, en attendarit’h ur amélioratton progressive de celle de l’esprit national; mais surtout telles sont les considérations majeures qui s’offriront d’abord à vos regard-, relativement à l’organisation du pouvoir exécutif ; pouvoir qui, de sa nature, devant agir sans cesse avec une égale activité, a besoin d'étre stable et fixe; qui par conséquent exclut toute rélici nce dans les formules de sa consécration, et, pour être soustrait aux variations continuelles que le temps peut amener dans les idées, exige plus que de tout autre, de votre part, l’application la plus sévère, laiplus éten lu • des, principes, et le calcul de todtes tes chances de l'avenir. Rien loin que votre respect pour le caractère 552 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.J de Louis XVI et votre reconnaissance pour sa conduite personnelle doivent vous arrêter dans raccomplissement d’un semblable devoir, j’invoque ici ces mêmes sentiments dont vous êtes pénétrés, à l’appui de votre civisme, de votre dévouement aux intérêts de la patrie, et de votre soumission profonde aux lois éternelles de la raison, de la vérité, de la justice, c’est-à-dire de l’utilité publique. En établissant le trône sur ses fondements respectables, vous rallier* z autour de lui tous les intérêts; vous en écarterez tous les orages ; en le rendant vertueux et pur, vous le rendrez enfin digne du citoyen qui l’occupe. Vous devez aux sentiments que son cœur vous a manifestés tant de fois de rapprocher son existence des principes fondamentaux qui maintiennent les rapports mutuels des hommes dans toute leur intégrité, en maintenant celle de leurs droits res-Eeciifs, et qui deviennent la base de leur bon-eur, en devenant celle de leur morale ; je veux dire des principes de l’égalité naturelle, que la société doit faire sentir, même dans ses créations qui s'en éloignent le plus; principes dont la violation sera toujours bien moins funeste encore à l’homme contre qui elle s’exerce, qu’à celui pour qui elle paraît faite. Sans cela, Messieurs, à mesure que la félicité publique prendrait un nouvel accroissement, le sort du chef de l’Empire serait de jour en jour plus déplorable ; et cela dans la proportion même que si s lumières et son âme se rapprocheraient davantage de la hauteur de son ministère. Pour une dignité factice, vous l’auriez prive de sa dignité véritable, de sa dignité d’homme : pour une vaine fumée d’orgueil, vous 'auriez rendu tout à fait étranger aux biens les plus doux de la vie, les communications fraternelles et les tendres relations de l’amitié : vous l’auriez comme transporté hors de la sphère de la morale; ce serait lui faire payer trop cher, même le droit de se dévouer au bien public. Me demandera-t-on pourquoi, devant parler sur l’éducation de l’héritier présomptif de la couronne, je semble ne vouloir vous entretenir que de l’autorité royale, des services qu’elle peut rendre, des dangers qu’elle court ? Pourquoi je vous arrête si longtemps sur la nécessité de coordonner celte force redoutable, mais tutélaire, avec l’ensemble du nouvel ordre des choses et l’esprit de la révolution? Messieurs, c’est que . .prétendre élever des citoyens sans de bonnes lois, Vest une absurdité manileste, et que les lois particulières aux fonctions, aux places, peuvent sec les assurer l’éducation de ceux que ces places ou ces fonctions attendent; c’est que les enfants des rois, ainsi que les enfants des autres hommes, f sont principalement les disciples de leurs cir-/ constances les plus invariables: c’est que l’on ne peut apporter de remèdes efficaces à la position la plus corruptrice de sa nature, qu’en la modifiait î-ur un plan nouveau, non dans quelques accessoires mais dans ses intimes éléments. Une bonne organisation du pouvoir exécutif est donc l’indispensable préliminaire du système d’éducation des rois, elle eu sera la base; elle agira puissamment sans l’intervention d’aucun autre instituteur; et d’autre part, indiquant le mode pratique le plus convenable, elle en dirigera jusqu’aux moindres mesures. M.us il est ici, comme dans les autres grandes questions analogues, quelques points principaux indépendants des localit s, et tenant à la nature même de la chose. Ces points vraiment constitutionnels sont les seuls qu’il vous appartienne de régler maintenant; le reste doit en résulter, comme une série de conséquences, soit dans le cours même de cette session, soit dans celui des législatures ordinaires. Messieurs, pour vous fixer sur la loi que je provoque, il suffit, je crois, d’un petit nombre de réflexions ; elles vous en retraceront les motifs; elles me paraissent aussi devoir servir de guides dans le choix des vues à remplir et des moyens à mettre en usage. Les rois ont cru longtemps que les nations étaient faites pour eux ; que les royaumes leur appartenaient comme des métairies, et que les peuples en étaient les troupeaux. Cette croyance est, au fond, un peu singulière; mais, tant qu’elle a le bonheur de n’être pas contrariée par ceux qui en sont les objets, elle semble très naturelle à leurs maîtres dont elle flatte l’orgueil, et aux valets qui la cultivent pour en recueillir les fruits. Ce qui est moins naturel et beaucoup plus remarquable, c’est que les peuples l’aient eux-mêmes, pour ainsi dire, sanctionnée par leur servilité coupable; qu’ils aient employé leurs propres forces à resserrer leurs chaînes ; que leur délire superstitieux ail fait une divinité de l’ouvrage de leurs mains, et laissé violenter leurs respects, par une force qui était leur ouvrage, et que leur tolérance seule rendait respectable. Ces temps sont passés pour nous. Les véritables sources de la souveraineté sont reconnues ; les droits de l’homme sont consacrés ; et la déclaration de ces droits n’est plus une vaine théorie. Quand on dit que les rois appartiennent aux nations et non Jes nations aux rois; que les couronnes sont des créations sociales, dont le but est l’utilité publique; que la société reste toujours en droit de faire, de révoquer, de renouveler, de changer, à son gré, toutes les lois relatives à l’accomplissement de ce but : on dit une vérité qui pouvait passer pour hardie, même dans la bouche des sages, avant notre heureuse Révolution, mais qui n'est plus maintenant qu’une simple trivialité. Il est donc inutile d’insister là-dessus. 11 est donc inutile aussi de vouloir prouver que la même Constitution qui place un magistrat suprême à la tête du gouvernement peut régler les conditions auxquelles il est agréé, qu’en permettant que sa magistrature passe à son héritier naturel, par voie de succession, ne pas statuer quel genre de culture doit le préparer à ses fonctions importantes, ce serait négliger un des plus grands intérêts publics. Or, le devoir que cet intérêt impose aux représentants du peuple, se divise en deux parties, dont l’une comprend tout ce qu’il y a de fixe et d’invariable dans l’éducation des rois; celle-là vous regarde exclusivement ; à l’autre se rapporte tout ce que le cours des événements, où les circonstances accessoires des hommes et des choses peuvent faire varier de prince à prince, d’époque à époque ; cette dernière pourra bien être également remplie par vous, pendant la durée de votre suprême ministère; mais, dans la suite, elle sera confiée au Corps législatif, toutefois suivant les règles et dans l’esprit déterminé par la Constitution. Ainsi, je le répète, c’est toujours dans la Constitution que doivent se trouver des règles sur cet objet, comme sur tous les autres de la même importance ; c’est là que la volonté nationale doit placer les moyens généraux d’en assurer l’exécution. Descendant maintenant à des considérations particulières, je demande qu’est-ce qu’uu roi [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] parmi nous? Un roi des Français n’est-il pas d’abord le premier organe ou le premier agent de la loi ? Sous un autre point de vue, n’est-il pas le juge de cette même loi qui ne peut devenir telle sans son aveu? Mais quel est le principe sur lequel est fondée la Constitution française, et dont toutes les lois, sans exception, ne doivent être que le commentaire pratique? N’est-ce pas l’égalité des hommes? Egalité dans le droit de concourir à former la volonté publique, d’après les formes qui rendent celte volonté plus pure; égalité dans le partage des bienfaits que la société promet à tous ; égalité dans les sacrifices qu’elle commande à tous, et dans la soumission aux règles par lesquelles, le droit de chacun se trouvant protégé sans cesse, cette soumission devient le complément le plus parfait de la liberté naturelle. Mais poursuivons. La royauté n’a-t-elle pas en général des écueils particuliers presque inévitables ? Les infortunés que le sort y dévoue, n’ont-ils pas besoin d’être soigneusement prémunis contre des séductions que leurs fatales circonstances les empêchent de pouvoir ou de vouloir combattre? Dans la Constitution française elle-même [qui cependant préserve d’une grande partie des maux attachés à la toute-puissance, et qui corrige le malheur de leur destinée, autant peut-être que l'imperfection des choses le permet), le trône n’est-il pas encore environné de graves dangers? Les qualités qu’il exige ne sont-elles pas infiniment difficiles à conserver au milieu d’un genre de conjectures et d’une classe d’hommes également conjurés pour leur ruine? Enfin les lumières d’un roi des Français ne sont-elles pas aussi nécessaires au maintien de leur liberté que ses vertus mêmes? Et n’est-il pas indispensable que les unes et les autres soient appropriées à ses fonctions particulières? Toutes ces questions portent avec elles leur réponse. Un roi. comme exécuteur de la loi, doit être rempli de respect pour elle. C’est d’elle seule qu’il tient son pouvoir ; il ne peut légitimement employer ce pouvoir qu’à la faire régner sans obstacles. Toutes les impressions de son enfance, toutes les habitudes de sa jeunesse, toutes les réflexions que l’âge amène à sa suite, doivent graver dans son âme, la soumission la plus profonde, à celte autorité suprême qui devient, à la fois, son juge et sa sauvegarde. S’il pouvait un moment croire sa violation possible, il ne serait plus digne d’en être l’organe. En qualité de coopérateur, ou d’appréciateur des lois, un roi doit être pénétré des maximes générales qui leur servent de base. Il ne suffit pas que sa raison les admette comme des oracles ; il faut que son cœur les chérisse comme l’aliment de ses plus douces émotions; il faut que tous les objets les lui retracent, et que sa vie entière en soit l’application vivante. Mais si rien n’est plus propre à lui faire perdre de vue l’égalité morale des hommes que ce pouvoir où sa naissance l’appelle, et ces flatteries dont les choses mêmes l’assiègent dès le berceau, combien n’est-il pas nécessaire d’effacer par tous les moyens que l’éducation peut mettre eu usage, les préjugés funestes auxquels tant de circonstances l’exposent? Ces moyens sont tous négatifs -.ils consistent à l’empêcher d’être élevé différemment que les aulres citoyens. La difficulté de former des rois gît uniquement dans celle d’en faire des hommes. Qu’ils vivent donc avec leurs semblables; que non seulement ils les croient, mais qu’i's les trouvent tels, qu’ils deviennent dignes de leur command r au nom des lois, en s’habituant à traiter avec eux en frèies, au nom de la nature, et à ne v ir dans leur propre destinée que des devoirs de plus à remplir. Pour apprécier les personnes dont ils s’entou-v rent, les rois ont besoin de se connaître en hommes; c’est leur premier talent ; c’est peut-être� le seul dont aucuu secours étranger ne puisse leur tenir lieu. Mais pour apprécier les lois, ils ont besoin de grandes lumières sur les choses. S’i' s ne sont au niv<-au, s’ils ne sont du moins au fait de toutes les lumières de leur siècle, comment seront-ils en état de recueillir l’opinion punlique, dont leur censure et leur approbation, à l’égard des décrets du Corps législatif, ne no.it être que le résultat fidèle? Le législateur rassemb e commet dans un foyer, les rayons de toutes les connaissances humaines; rien, eu quelque sorte, de tout ce que les hommes savent ou pensent, ne doit lui rester éiranger. Le magistrat à qui la Constitution donne le droit d’at prouver, d’arrêter, ou de suspendre la loi, peut-il être a�sez éclairé lui-même? Tout ce que la raison démon ire et tout ce que les circon-tances admettent, les théories et les faits auxquels il les faut appliquer, ne lui doivent-ils pas être également connus? Sans cela, comment pourrait-il juger la loi qu’on lui présente? Sans cela, quel poids lui donnerait-il par sa sanction? ou de quel motif raisonnable pourrait-il appuyer son refus? Un roi sans instruction serait certainement u i véritable fléau public.� Prenez donc, Messieurs, de sages m sures, non seulement pour qu’un élève, mais encore pour qu’on insiru se convenablement, à l’avenir, l’héritier présomptif de la couronne. D'après les considérations dont je viens de rendre un compte sommaire, et qu'il serait superflu de suivre dans toutes leurs c nséquences, je vous propose, Mess eu rs, de décréter sur-le-champ ce qui suit, et d’ajourner, à époque fixe, l’organisation du pouvoir exécutif : PROJET DE DÉCRET. Art. lor. « L’Assemblée nationale, considérant que l’héritier présomptif de la couronne est l’enfant de l’Etat, décrète constitutionnellement qu’aux seuls représentants du peuple appartient le droit de régler tout ce qui concerne son éduca ion. Art. 2. « L’Académie nationale sera chargée de dresser un plan pour l’éducation du prim e futur, lequel plan, après avoir été adopté par le Corps législatif, sera présenté à l’accentation royale. Il n’y pourra être fait aucun changement, que suivant les mêmes formes, c’est-à-dire qu’en vertu d’un décret du Corps législatif, et avec l’agrément du roi. Art. 3. « Le roi choisira tous les instituteurs du prince futur, sur la présentation faite par l’Académie nationale et par le comité d’éducation du Corps législatif, de 3 sujets pour chaque place; et ce choix, pour avoir son entier effet, aura besoin d’être confirmé par un décret du Corps législatif. g|J4 [Assemblée nationale.1] ARCHIVES P AKLEMEN T AIRES . [10 ■septembre 1791.] Art. 4. « ITédtrcatfon du prince futur 'doit avoir surtout pour objet de nourrir en hii 'tous les sentiments et toutes les idées de légalité, de lui en donner toutes les habitudes, et de n’offrir à ses regards que des images qui lui retracent celte égalité précieuse, l’attribut le plue respectable de la nature humaine. Elle doit aussi le pénétrer d’un respect religieux pour les lois, et lui rendre si familiers les principes qui leur serv' nt de base, que nun seulement il devienne leur plus zélé défenseur, mais leur juge le plus éclairé. Art. 5. « Aussitôt que le prince futur sera sorti de la première enfance, il suivra régulièrement les cours d’une école publique désignée par le Corps législatif. Là, traité sans aucune distinction , comme les enfants des autres citoyens, c’est d?eux-mêmes qu’il recevra les leçons les plus importantes, celles de la morale et de l’art de vivre avec b s hommes. «Quand ses premières éîudes'seront terminées et que des piogrés véritables le re-dront digne de figurer p rmi l’élite de la jeunesse française, il prendra place au milieu d'elle, nans le lycée national, où son éducation s’achèvera dans le même espace de temps, suivant les mêmes formalités et aux frais du public, comme celle des autres élèves. Art. 6. « Le chef du pouvoir exécutif ne pouvant plus abandonner son poste ni même quitter le centre, d’où la force que la Constitution met dans ses mains imprime le mouvement à toutes les parties de la machine politique, on profitera du temps où l’héritier présomptif de la couronne ne sera pas encore s-rti de la classe des sim [îles citoyens, pour le faire voyager avec fruit, soit dans le pays qu’il doit gouverner, soit dans les Etats voisins, sur lesquels il lui sera sans doute avantageux d’avoir des connaissances précses et dont la vue peut lui fournir d’utiles objets de comparaison. » ASSEMBLÉE NATIONALE PRÉSIDENCE DE M. VERNIER. Séance du samedi 10 septembre 1701, au soir (1). La séance est ouverte à six heures du soir. Un de MM. les secrétaires fait lecture d’une adresse de la société des amis de la Constitution de Phalsbourg, qui attestent à l’Assemblée nationale le patriotisme du 17e régiment d’infanterie, ci-devant Auvergne, qui certifient son entière soumision à la loi du 25 juillet dernier, et assurent en conséquence que ce régiment est prêt à recevoir ceux de ses officiers qu’il avait, par erreur, renvoyés, leur promettant l’obéissance qui leur est due. M. Emmery. Messieurs, vous avez porté une loi contre les délits militaires : je ne pense pas que vous deviez vous jmêler d’en arrêter l’exécution ; mais, comme les sentiments exprimés dams cette adresse paraissent rendre toute voie ide rigueur fort inutile, je demande le renvoi de l’adresse qui vient d’être lue au comité militaire. Il la communiquera sans doirte ainroiaistoe et par là vous préviendrez des mesures de rigueur que vous vous voyez tou jours avec regrdt forcés de prendre. ( Applaudissements .) (L’Assemblée ordonne le renvoi de 'l’adresse au comité militaire.) Le même secrétaire dorme lecture d*tme adresse des membres composant le tribunal de commerce à Amiens , qui, pleins de reconnaissance pour l’Assemblée nationale, prote-tent d’être ausd rigides observateurs de la Constitution, qu’ils en sero> t les fidèles gardiens dans toutes les circonstances. Un de MM. les secrétaires fait lecture d’une note du ministre de la justice ainsi conçue : « Le ministre de fa justice tr nsmet à M. le président de l’Assemblée nationale la note des décrets d’aliénation de domaines nationaux, sur les minutes desquels il a signé l’ordre dVxpédier et sceller, en vertu des décrets des 21 et 25; juin dernier, savoir : « Aux municipalités de Gontest, d’ici, Rouen-sur-Bernai, Rouen, SainbLo,, Yarennes, Melun, Brioude, Saint-Amand, Valenciennes, Auch, Gi-ziat, Orgelet, Yesoul, Rami erviller, Beaulieu» Bléziers, Bras, Cette-Froin, Gonfolens, Donjon, Ecuroles, Flassens, Libourne, Longues. Mariol» Moutier-d’Haun, Saint-Claude, Saint-Maurice-des-Lions, Sainte-Terre, Ventouze, Barrau, Bouzan-court, Fronvi le, Laffrey, Lesignan, Moretel, Saint-Martin-e-Miséré , Saint-Maur , Saint-Urbain , Touvet, Villardbourg et Lancey. »> « Signé : M.-L.-F. DüPORT. » Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance du vendre ai 9 ‘septembre au soir, qui est adopté. M. de lîoufflers, au nom du comité d'agriculture et de commerce , propose un article additionnel au titre 1er du décret adopté dans la séance d’hier au soir (1) et relatif aux récompenses nationales à accorder aux inventions et découvertes en tous genres d'industrie. Cet article, tendant à ce que te ministre de l’intérieur soit autorisé à distribuer des secours provisoires aux artistes indigents dont les travaux auraient obtenu l’approbation de l’Académie des sciences, est mis aux voix dans les termes suivants : Art. 13. « En attendant que TA-ssemblée nationale ait statué sur IVrgan'isation du bureau ne consultation des arts et métiers, elle autorise le ministre de l’intérieur à distribuer jusqu’à la ‘concurrence de la dixième partie des fonds affectés auxuiies récompenses, en secours provisoires» depuis lOOjusqn’à 3U0ii vres aux artistes indigents dont les travaux, constatés par les corps administratifs, auront obtenu des approbations authentiques ne l’Académie des sciences, et lesdits secours seront en déduction nés gratifications qui pouiraieùt être accordées à ces mêmes ar-(I) Cette séance est incomplète au Moniteur. (1) Voir ci-dessus, page 402.