[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mars 1790.] question du privilège de la compagnie des Indes et qui n’aurait aucun intérêt dans la décision qui serait rendue. M. l’abbé Maiiry pense que la formation d’un comité nouveau est superflue, parce que ce comité ne pourrait transmettre à l’Assemblée les nouvelles notions qu’il aurait acquises, que par un rapport ; qu’après ce rapport on voudrait, comme de raison, en discuter les arguments et que, par conséquent, l’Assemblée se retrouverait au même point où elle est aujourd’hui, mais avec une grande perte de temps. Il demande que l’affaire soit discutée dès demain avec faculté d’entendre contradictoirement à la barre les administrateurs de la compagnie des Indes et les députés des villes de commerce. M. Rœderer s’oppose également à la formation d’un comité nouveau : il fait l’éloge des lumières et de l’impartialité des membres du comité d’agriculture et de commerce qui ont déjà fait un rapport considérable et auxquels on ferait une grave injure en leur substituant d’autres commissaires. M. Hernoux, rapporteur, déclare que le comité a reçu les mémoires des deux parties intéressées et qu’il considère la question comme suf-lisamment étudiée pour être mise en discussion. M. de VIrieti, au contraire, se prononce pour la formation d’un nouveau comité; M. Prieur demande la question préalable sur cette proposition. M. de Croix estime que cette question est très difficile et très majeure pour le commerce français. Pour la traiter dans tous ses détails, l’Assemblée devrait lui consacrer un temps beaucoup plus long que celui dont elle peut disposer en ce moment, vu les besoins urgents auxquels il faut faire face. Il demande l’ajoiirnement jusqu’à la fin de la Constitution. Cette proposition vivement, appuyée, est mise aux voix et adoptée. M. le Président lève la séance à dix heures du soir. PREMIÈRE ANNEXE à la séance de V Assemblée nationale du30 mars 1790. Nouveau plan de finances et d’ impositions , formé d’après les décrets de l’Assemblée nationale , par M. Vernier, député d’Aval en Franche-Comté. (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale.) Tous les plans de finances, quels qu’ils soient, doivent désormais être réglés et réformés sur les décrets de l’Assemblée nationale. Il n’est plus possible de s’écarter des bases qu’elle à fixées ou préjugées; mais heureusement ces bases reposent sur les principes immuables de la justice. Le patriotisme, et quelquefois l’intérêt particulier, ont fait éclore un nombre infini de plans sur les finances ; mais la plupart n’offrent que des notions partielles et, pour ainsi dire, fugitives sur chaque objet (1) : à peine peuvent-ils servir à combiner un plan général, tant ils diffèrent entre eux. Ils se choquent, se heurtent, et se détruisent les uns par les autres. De leurs oppositions naît une infinité de questions ; voici les principales : Les impôts seront-ils établis sur ia valeur intrinsèque des propriétés mêmes , ou sur les revenus seulement? Se restreindra-t-on à un seul et unique impôt, ou en adoptera-t-on plusieurs? Dans le premier cas, cet impôt unique sera-t-il jeté sur les fonds, pour être perçu réellemeut et en nature, ou seulement en argent, par une taxation équivalente, et représentative du produit? Cet impôt, sera-t-il levé sur toutes les espèces de consommations de dépenses, et dans tous les lieux sans exception, ou de préférence sur quelques denrées désignées, et dans quelques lieux seulement? Se décidera-t-on pour une taxe par feux et ménages, arbitrairement classés, ou pour une capitation personnelle et par individu? Divisera-l-on les citoyens en dix, vingt, trente classes? ou prendra-t-on pour règle les revenus de chaque contribuable, de quelque part que ces revenus proviennent? Dans le second cas, et si l’on admet plusieurs impôts, adoptera-t-on cumulativement la contribution territoriale et personnelle? Réunira-t-on à ces deux contributions principales, ou à i’une d’elles seulement, quelques droits détachés de nos anciens revenus? Etablira-t-on des impôts pour atteindre le luxe directement ou indirectement ? Quels seront les impôts les plus justes et les moins onéreux au peuple? Quelles seront leurs proportions, soit relativement aux différentes espèces de produits, de revenus et de richesses, soit entre eux, et des uns aux autres? Telles sont les questions qui divisent tous les publicistes. Mais il faut se décider, le temps presse, l'incendie gagne le faîte. Dans le péril extrême où se trouve la chose publique, le moindre délai peut devenir fatal et irréparable. Le besoin est si urgent, qu’un mauvais choix, susceptible cependant d’être rectifié pour l’avenir, serait préférable à une funeste lenteur. C’est dans cette crise des choses, qu’après m’être occupé longtemps à combiner, à rapprocher tous les systèmes et les différents plans (2), j’ose essayer d’en présenter un moi-même. Son seul mérite sera dans sa simplicité : l’éloquence, en cette partie, n’est que l’exactitude, la clarté et la précision (3). Ce plan se réduit à dire que nous devons adopter deux contributions principales ; ia territoriale et la subvention personnelle et d’indus-(1) On en excepte ceux de M. le baron de Cormeré, si connu par ses talents en finances : à la suite de nombre d’ouvrages, il vient de donner un mémoire sur les finances et le crédit, imprimé par ordre dé l’Assemblée ; mais nous différons sur des points essentiels, et nos discussions n’ont rien de commun que de tendre au même but. (2) C’est en les combinant que j’ai rédigé des éléments de finances, publiés il y a quatre mois ; toutes les questions qui s’agitent aujourd’hui y ont été prévues plutôt que discutées. (3) Les grands génies sont plus propres à créer des plans qu’à les rédiger. Ils franchissent les intermédiaires et manquent le but. 460 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mars 1790.) trie; que l’on doit y réunir quelques impôts secondaires détachés dè nos anciennes fermes, de nos anciennes régies, de nos recettes, des droits domaniaux et autres. Telle sera la nature et l’ensemble de ce plan, que toutes les parties en seront unies sans être nécessairement liées. On le saisira avec la moindre attention. On ne sera point fatigué par des abstractions, ni gêné par d’insipides calculs. On pourra impunément supprimer plusieurs des impôts secondaires, sans altérer les bases et le fond du système. Pour le développer, nous mettrons d’abord en évidence la situation de nos finances, la dette nationale, l’étendue de nos besoins et l’immensité de nos ressources. Nous ferons connaître la nature des deux impôts principaux, leur justice et la nécessité de les adopter de préférence; nous en fixerons les proportions; nous indiquerons la manière de les réaliser et de les percevoir; nous terminerons par désigner les impôts secondaires que l’on peut et que l’on doit conserver. § 1. — Situation actuelle de nos finances . DETTE NAUONALE. Etendue de nos besoins et de nos ressources. Les besoins de l’Etat naissent, non seulement de l’Administration publique qui rend les contributions nécessaires et indispensables, mais encore des dettes dont il se trouve chargé. Ces dettes sont de deux sortes ; les unes exigibles ou criardes, que l’on appelle déficit passager ou éventuel ; les autres sont des dettes fixes et habituelles, résultant de la disproportion qui se trouve depuis longtemps entre nos revenus ordinaires et nos dépenses ordinaires ; c’est ce que l’on nomme déficit permanent, ou déficit ordinaire. Suivant le compte arrêté par M. Dufresne, le 3 août 1789, et vérifié par le comité des finances, nos revenus actuels (dont la masse ne peut qu’augmenter) sont, sous 32 articles, de 475,294,000 liv. Nos dépenses, sous 43 articles, de. ............... 531,533,000 Le déficit était donc de. . . . 56,239,000 liv. Pour rétablir l’équilibre entre les revenus et les dépenses ordinaires, on a commencé, comme l’ordre naturel l’exigeait, par examiner quelles réductions il était possible de faire sur les dépenses qui en étaient susceptibles. Les réductions effectives pour les peuples ont été de 60,902,834 liv., sans y comprendre les 35,418,166 liv. transportées sur les provinces. On ne peut raisonnablement douter que les provinces n’aient, en bénéfices, la moitié au moins de cette somme, en sorte que la diminution totale sera de 78 à 80 millions ; cependant, n’en comptons que 60, en réductions effectives : ci 60,902,834 liv. Mais relativement au Trésor public ou national, la réduction sera de ....... 96,315,000 liv. Déduisant cette somme des 531,533,000 liv. montant de nos dépenses, elles ne restent plus que pour, ci .............. 435,000,000 liv. La masse actuelle de nos revenus est de ........... 475,000,000 liv. Ainsi, en maintenant cette masse, nous aurions déjà 40 millions de revenus au-dessus de nos dépenses publiques; calculant d’une autre manière et retranchant sur les 96,000,000 liv. le déficit de 56,000,000 liv., il resterait toujours 40 millions de revenus en excédant des dépenses, quoique ces revenus ne seraient pas augmentés. Si nous n’avions pas d’autres dettes que celles qui formaient nos dépenses fixes de 531 millions, réduites à 435, nous pourrions nous reposer tranquillement et dans une pleine sécurité sur l’effet du temps; chaque jour nous verrions éteindre nos pensions, nos tontines, nos rentes viagères et nos revenus augmenteraient infailliblement par la seule progression des années. Mais, il faut l’avouer, nous sommes encore éloignés de cet heureux terme. Le déficit qui existe depuis longtemps entre nos revenus et nos dépenses fixes, les guerres, les secours fournis à des alliés, la cherté des grains, les événements imprévus, les abus d’administration, les déprédations en tous genres, l’agiotage, l’exportation, le resserrement du numéraire, ont donné un accroissement aussi rapide qu’incroyable à nos dettes exigibles. Disons plus : la régénération actuelle a causé un vide notable dans nos finances, et la nécessité où nous sommes d’achever une Constitution qui, bientôt, retomberait dans le néant, si elle n’était entière et complète, donnera lieu à des remboursements excessifs, tant pour les anticipations, cautionnements, fonds d’avances, que pour les charges militaires, de judicature et de finance. Toutes ces dettes, réunies à nos anciens capitaux, constituent la dette nationale. A la seule idée de dette nationale, chacun demande, avec autant d’impatience que de curiosité ; mais quel est donc le montant de cette dette nationale dont on n’a encore pu jusqu’ici nous donner un résultat précis et certain ? Et du silence, on prend texte pour porter l’exagération à l’excès ; les uns par ignorance, les autres par crainte, mais la plupart dans la coupable vue de semer partout la défiance et d’occasionner la banqueroute. Il convient de calmer ces inquiétudes déplacées ou affectées. Le silence et la dissimulation (au terme où les choses en sont aujourd’hui) accréditeraient l’erreur, autoriseraient la perfidie et deviendraient cent fois plus dangereux que l’exposition naïve de nos maux. Dans cette vue, on va donner le résultat exact de cette dette nationale ; il sera plutôt exagéré qu’affaibli. Les intérêts des rentes perpétuelles sont de ......... 56,796,924 Üv. Ceux des rentes viagères, de. 101,469,586 Ceux des tontines, de ... . 3,199,880 Total ..... 161,466,390 liv. * Il serait superflu de s’occuper à évaluer ces capitaux, surtout pour les rentes viagères et les tontines. Nous n’avons aucun projet de les rembourser ; le temps en opérera l’extinction. Ce sera bien assez d’assurer invariablement à nos créanciers le paiement de leurs intérêts, et de mettre le niveau entre nos revenus et nos dépenses Voyons quelles sont nos dettes exigibles. Réunissant toutes nos autres dettes, de quelque nature qu’elles puissent être, effets suspendus, ou non suspendus, effets à époques fixées, ou non fixées, caisse d’escompte, anticipations, indemnités de toutes espèces, dettes du clergé, remboursement des offices militaires, de judicature et de finance, les arriérés de certains départements, 461 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mars 1790.] ainsi que des dépenses; les intérêts de toutes ces créances jusqu’au 1er janvier 1790 : le tout s’élève à ....... 2,400,000,000 liv. Telles sont les dettes exigibles de la nation, y compris celles qui résulteront du nouveau plan d’organisation; telle est, à caver au plus haut, la dette nationale que l’on est si empressé de connaître, et si disposé à exagérer. On comprend que l’erreur de quelques millions en plus ou en moins devient indifférente dans un calcul en grand, et dans un plan général ; mais on a lieu de croire, après nombre de vérifications, qu’elles n’excéderont point, qu’elles n’atteindront même pas la somme ci-dessus. Ces dettes, quelque considérables qu’elles paraissent, n’ont rien qui doive nous effrayer, si on les compare aux richesses incalculables de la France. Ces dettes ne sont pas toutes, à beaucoup près, à leurs échéances; et nous avons des ressources immenses pour les éteindre, à des époques très rapprochées. 1° Les dons patriotiques ;j2° la contribution du quart ; 3° le rachat des dîmes ecclésiastiques ; 4° la vente des domaines; 5° celles des biens d’Eglise ; 6° vingt millions qui nous restent encore en caisse ; 7° l’excédent de 40 millions, de nos revenus sur nos dépenses fixes, et cet excédent sera infailliblement triplé ; 8° les extinctions en tontines, rentes viagères, pensions qui affaibliront chaque année nos dettes en proportion de leur masse; 9» enfin, indépendamment de nos assignats, si solidement établis, la possibilité d’avoir un emprunt constamment ouvert, et calculé sur des règles et profitables à l’Etat ; emprunt qui alimenterait la caisse d’amortissement. Ces ressources sont, sans contredit, plus étendues que nos besoins ; elles deviennent infaillibles, si l’on veut en faire usage. Mais ce n’est point assez de les apercevoir, il faut les réaliser ; il faut les mettre promptement en œuvre; payer nos créanciers ou par la vente des biens qui sont en notre disposition, ou parle rachat des dîmes, par des assignats à termes fixes, ou du moi ns tranquilliser ces mêmes créanciers par la remise de gages équivalents au montant de leurs créances. Alors on verra la confiance renaître, l’agriculture, le commerce et les arts reprendre une pleine activité ; et cette confiance sera sans bornes si, comme nous y sommes décidés, nous donnons encore plus d’extension à nos revenus, et surtout si nous parvenons à rétablir nos contributions sur des bases fixes, solides, invariables, et dans de justes proportions ; voilà ce qui doit nous occuper sans relâche : ce sera sans doute un puissant motif de confiance pour les créanciers de l’Etat, quand ils verront l’ordre irrévocablement établi entre nos revenus et nos dépenses, lorsqu’ils seront assurés de toucher, à des époques fixes, les intérêts qui leur sont dus, ou le remboursement de leurs capitaux. Abstraction faite de ces motifs, la raison semble exiger que nous commencions par fixer nos revenus, pour y subordonner nos dépenses. g II. — De la nature de l’impôt territorial, et de la subvention personnelle. U faut nécessairement connaître la nature des différents impôts que l’on se propose d’établir, pour juger des principes sur lesquels ils doivent être régis, des exceptions et modifications dont ils sont susceptibles. L’impôt vraiment territorial, dans la rigueur du terme, est celui qui est levé sur la terre même , qui est perçu réellement, et, en nature, par un prélèvement effectif d’une portion de fruits. Cette dette sacrée et privilégiée, ce tribut national dérive du contrat primitif ; il ne souffre ni priorité, ni concurrence ; il marche avant la dîme, le cens, l’agrier, le champart ou terrage ; il n’admet ni compensation de culture, ni déduction de charges, redevances et hypothèques. La conversion, ou l’abonnement qui en a été fait en argent, n’en a point changé la nature et n’a pas atténué ses privilèges. On verra, au contraire, qu’ils ont été maintenus et conservés. Que l’on ne s’étonne point si l’on dit que l’impôt territorial n’admet pas la compensation des frais de culture: rien n’est plus vrai. Ces frais entrent bien en considération pour régler, modifier, restreindre le tribut et fixer la porportion dans laquelle il peut être payé sans nuire à l’agriculture, et sans décourager les cultivateurs. Mais une fois fixé, on n’examine plus si la culture a plus ou moins coûté; le tribut est toujours levé dans la quotité déterminée. Quant aux cens, charges, servitudes et hypothèques, ils ne donnent jamais lieu à aucune réduction ou diminution de l’impôt. Le fonds affecté de dettes ou redevances, équivalentes au tiers ou à la moitié de son produit, n’en est pas moins sujet à la totalité de la contribution. Celui qui a acquis un héritage sous telles ou telles conditions, sous telles ou telles charges, n’a pu ignorer que le fonds qui lui a été transmis, était sujet , avant tout , au tribut national ; il a dû traiter en conséquence. Il en est de même si, dès l’époque où il est devenu propriétaire, il a contracté lui-même des dettes et hypothèques : il n’a pu préjudicier à l’Etat, à une dette antérieure et privilégiée. Ces principes sont si évidents, qu’ils n’exigent pas un plus grand développement. Comme la plupart des provinces formaient autrefois autant de souverainetés, de là ces différences bizarres dans la perception des tributs, dans leur régime et leurs administrations ; de là ces droits innombrables, ces contributions de toute espèce ; de là, l’abus et la confusion des principes. Il est telles provinces qui ne connaissent pas même le nom de tailles ; il en est d’autres qui acquittent leurs contributions, partie en tailles, partie eh droits levés sur les consommations. Ici, ce sont des villes privilégiées, abonnées et tari-fiées, qui attirent, dans leurs rôles, tous les revenus de leurs habitants, quelque part que leurs biens soient situés ; là, le propriétaire paye dans le lieu de son domicile la cote dite de propriété , et le cultivateur une taille, appelée réelle : dans le territoire où les biens sont situés, la fixation du taux et du mode d’imposition, entre les propriétaires et les fermiers, varie dans les différents départements, dans les différentes élections, en sorte que l’on ne voit partout qu’abus, disparité et confusion. 11 est vraiment étonnant que toutes ces bigarrures et ces difformités se soient maintenues et perpétuées malgré la réunion des provinces ; que quelques-unes soient encore dénommées provinces étrangères, ou réputées étrangères, tandis qu’elles ne composent qu’une seule et même nation. Ce n’est que dans les provinces de tailles réelles où l’impôt territorial, quoique converti en argent, a conservé sa première nature ; tous les fonds y sont imposés dans le lieu de leur situation, proportionnellement à leurs contenances et à leur valeur productive, sans égard aux cens, rede- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. vances et hypothèques dont ils peuvent être affec-tés* Cet impôt territorial, en conservant sa nature, a également conservé tous ces privilèges ; la totalité des fruits devient le gage du tribut national : c’est par une suite de ses privilèges, et pour mieux en assurer l’exercice, qu’à l’époque de la conversion du tribut territorial en argent, on a voulu qqe l’impôt fût payé en avance, et qu’il commençât à courir dès le mois d’octobre. Les fruits de 1790 deviennent le gage et l’hypothèque du tribut de 1791 ; en sorte que si le propriétaire vendait toute sa récolte dès le mois d’octobre, au mois de janvier, il devrait la totalité du tribut pour les fruits à recueillir, et ainsi à proportion de ta vente qu’il pourrait faire, quoique le premier terme ne serait pas échu (1). Tels sont les principes de l’impôt territorial, quoique, dans l’usage, on ne les suive pas à la rigueur ; mais ils ne servent pas moins à nous démontrer que cet impôt territorial, quoique converti en argent, a toujours conservé sa nature et ses privilèges ; c’est pour en rendre la perception plus efficace, que l’on avait pris toutes ces précautions. Il est temps de faire cesser ces abus, ces doutes, ces incertitudes; on ne peut y parvenir qu’en rappelant l’impôt territorial à son origine et à sa vraie nature, en imposant tous les fonds sans exception, sans distinction dans le lieu où ils sont situés, toujours sous le nom du propriétaire, et proportionnellement à leur produit. La subvention personnelle est celle qui est levée sur chaque contribuable, à raison de ses revenus et de ses richesses, toutes considérations prises, toutes dettes et charges défalquées, de quelque part que les revenus ou les charges proviennent. Elle diffère essentiellement de l’impôt territorial, qui ne souffre ni retranchement ni déduction ; la raison de cette différence est que l’impôt territorial représente la perception réelle et en nature, ou le produit du fonds, tandis que la subvention personnelle est présumée prise sur ce qui reste en revenu net, toutes charges déduites. Telle est la nature de la subvention personnelle, qu’elle embrasse toutes espèces de richesses et de revenus qui ne viennent pas de la terre ou du sol; elle pourrait même tenir lieu d’un seul et unique impôt, en y réunissant le produit des fonds : alors on dirait : tel citoyen a tant de revenus, toutes charges déduites. Cet imp0t existait même, dans plusieurs provinces sous le nom de capitation taillable, comme si l’on disait la taille et la capitation réunies. Mais, pour adopter cette capitation taillable, il faudrait imposer tous les contribuables dans le lieu de leur domicile, et pour tous les biens qu’ils ont épars dans les différentes provinces : ce qui est sujet à des abus sans nombre, parce qu’il n’est pas possible de savoir ce qu’un habitant possède dans toutes les contrées d’un vaste royaume. La nature de ces impôts connue nous en fera mieux sentir la justice. g III. — De la justice des contributions territoriales et personnelles, et de la nécessité de les admettre l’une et l’autre. Plus on médite sur ces deux contributions, plus (1) L’impôt est payé par cinquièmes, trois la première année, deux la seconde. [30 mars 1790.] on demeure pénétré et de leur justice et de la nécessité de les admettre l’une et l’autre ; elles ont les rapports les plus directs avec les richesses de l’Etat et avec celles des individus. Quant à l’impôt territorial, personne n’ignore que le produit des fonds représente la première et la principale richesse d'une nation. Aussi est-ce sur les fonds que fut jetée la première et la plus équitable peut-être de toutes les impositions. Elle pourrait encore être la seule dans un Etat qui n’aurait aucune relation d’intérêt et de commerce avec d’autres peuples. Mais, du moment où ces relations ont été établies, et sont devenues nécessaires dans l’ordre politique, l’Etat s’est vu exposé à de nouveaux besoins par ses correspondances, et par l’obligation de protéger les arts, le commerce et l’industrie, qui, à leur tour, deviennent la source de sa splendeur et de sa prospérité. Les besoins s’étant multipliés, l’expérience fit bientôt connaître que le produit des biens-fonds ne pouvait suffire aux nombreuses charges de l’Etat, qu’il fallait établir de nouveaux impôts sur d’autres espèces de richesses ; il n’était pas naturel que le produit dés fonds servît à acquitter les dépenses occasionnées par la protection accordée aüx arts, au commerce, a l’industrie. Il parut juste de verser les nouvelles contributions sur les objets mêmes qui donnaient principalement lieu à cés nouvelles dépenses : dès lors toutes les richesses de l’Etat devinrent sujettes aux contributions nationales. Telle est l’origine de ces deux impositions, et cette origine même démontre tout à la fois et leur justice, et la nécessité de les adopter cumulativement. Si les fonds représentaient toute la richesse et les revenus de l’Etat, ils devraient être seuls imposés : mais dès qu’il existe d’autres espèces de biens, de revenus et de richesses, il est juste de les soumettre au tribut. Pour rendre cette vérité plus sensible, il convient de distinguer ce que l’on entend par produits, revenus et richesses d’un Etat. Le produit désigne plus spécialement la rente de la terre, ou les bienfaits que nous recevons de sa fécondité. Le revenu présente une idée plus étendue et plus abstraite ; il comprend tout ce qui provient des propriétés mobilières ou immobilières, et même de l’industrie. Les richesses sont le résultat plus ou moins considérable de toute espèce de revenus. Elles consistent moins dans des possessions et des trésors immenses, que dans la possibilité et dans la faculté de les faire servir aux usages auxquels on veut les destiner. — La vraie richesse d’un Etat ne commence qu’au point où finissent ses besoins ; car, s’il absorbe toutes les productions de son sol, de son commerce, de son industrie, il est dans l’impossibilité de se procurer les ressources en tout genre, que sa situation politique peut lui rendre nécessaires. Les richesses sont plus arbitraires que réelles; elles varient suivant les lieux, les temps et les circonstances. Tel était autrefois réputé riche avec 10,000 livres de rentes, qui, se trouverait aujourd’hui à la gêne. Tel est réduit à l’étroit nécessaire dans un pays, avec tel ou tel revenu, qui, dans un autre, jouirait de la plus grande aisance. — La richesse, pour l’Etat comme pour les particuliers, gît dans la puissance de se procurer le plus grand nombre de propriétés, et d’exécuter plus ou moins d’entreprises avec ses propres revenus et ses propres ressources; De là on conçoit aisément qu’une nation qui ne pourrait con- JAssemblée nationale.] vertir en argent les productions de son sol, de son industrie et de son commerce serait vraiment pauvre, au milieu de l’abondance. — Ainsi l’étendue des richesses se mesure par l’étendue possible de cette conversion, ou, comme le dit Smith : « le revenu de toute une société est égal à la valeur vénale du produit de son industrie. » D’après ces notions, on sera forcé de convenir que relativement, à l’effet des richesses, il ne peut y avoir de différence réelle entre le produit des terres et le revenu des propriétés mobilières. Il est donc évidemment juste que les contributions soient prises, sans distinction, sur toute espèce de revenus. La même cause doit produire les mêmes effets. Il est parfaitement égal de recevoir mille écus du produit de ses terres, ou de l’intérêt de ses capitaux. Les impôts en général, et chaque impôt en particulier, ont un terme, une possibilité que l’on ne peut excéder : cela se vérifie principalement pour l’impôt territorial qui, en dernière analyse, retombe toujours sur la classe indigente-, si donc les terres ne peuvent supporter toutes les charges de l’Etat, il faut nécessairement les diviser, et en rejeter une portion convenable sur les richesses mobilières. Si les contributions dues à l’Etat font l’effet du pacte social, et le prix de la protection que la nation accorde aux individus, de la sûreté et de la liberté dont elle les fait jouir, comme tous profitent de ces avantages, tous doivent concourir aux frais que cette protection exige. La subvention personnelle devient d’autant plus juste, d’autant plus nécessaire, que, dans l’organisation des nouveaux impôts, les rentiers, les capitalistes, les commerçants, les artistes et les artisans mêmes se trouveront déchargés d’une foule de contributions indirectes. Gomment donc, à quel titre, et sur quel fondement pourraient-ils espérer de rejeter sur d’autres le pesant fardeau des charges communes? Comment oseraient-ils se flatter d’être affranchis de toute espèce de tributs par le nouveau système de l’impôt, tandis que tous leurs concitoyens fourniraient, à leur acquit, le remplacement des objets supprimés ? Ces deux contributions sont d’autant plus justes que, par leur réunion, elles embrassent toute espèce de revenus et de richesses ; personne ne pourra désormais échapper à l’une ou à l’autre. Ce qui ne sera point dans l’impôt territorial, retombera nécessairement dans la subvention personnelle. La justice de ces deux impôts rend de plus en plus nécessaire leur admission cumulative ; car, si les premières bases de toutes contributions reposent sur la justice et sur des proportions exactes, quelles autres mieux que celles-ci pourraient nous offrir tous ces avantages avec moins d’inconvénients? Que dans un temps où les noms chers et sacrés de patriotisme et de patrie étaient, pour ainsi dire, méconnus et sans force; que, dans un temps où les vraies causes et la nécessité du tribut national étaient ignorées ; que, dans ces temps malheureux, on ait vu nombre de citoyens tenter, par toutes sortes de voies, de se soustraire à l’impôt; ce procédé, malgré l’excès de son injustice, peut se concevoir : mais que sous l’empire de la liberté, sous le règne de la loi, lorsque la nation s’impose elle-même des tributs proportionnés à ses besoins, dont on connaît le motif, la justice et la nécessité, on trouve encore des gens qui cherchent à éluder l’impôt, et à rendre plus pesant pour d’autres le fard eau qu’ils [30 mars 1790,] devraient partager : voilà ce que l’on ne poncer vra jamais. Cependant il existe, dans le sein même de la nation, des citoyens assez pervers pour se croire affranchis de toute contribution. Ge ne sont ni les commerçants, les artistes, ni les artisans; ces généreux citoyens se résignent sans effort à supporter leur quote-part de la contribution; on leur doit même un hommage mérité : quoiqu’ils aient subi, plus que tous autres, les contre-coups inévitables de la Révolution, ils n’en ont pas fait éclater moins de zèle et de patriotisme : mais, puisqu’il faut les nommer, ce sont les rentiers, les capitalistes et les agioteurs ; ceux-ci, surtout, qui vivent de nos erreurs, qui s’enrichissent de nos besoins et nos pertes, qui mettent impunément à contribution tout le 'royaume, dont les fortunes rapides augmentent toujours en proportion des malheurs publics : ce sont ces gens qui veulent s’isoler au milieu delà nation, faire une classe à part, jouir de tous les avantages de la société, sans contribuer aux charges et au?: devoirs qu’elle impose. Mais cette prétention injuste, inique et révoltante ne s’accréditera jamais chez une nation éclairée. Si l’on en croit nos capitalistes, non seulement ils doivent être affranchis de toute espèce de contribution, mais on leur doit encore de la reconnaissance pour avoir secouru l’Etat dans ses besoins, et accaparer les papiers avec l’argent, l’argent avec les papiers, et l’argent par l’argent. ’ On ne peut se méprendre sur leur noble désintéressement, et sur le degré de reconnaissance qu’il méritent; aussi nos sentiments à leur égard sont ceux d’un débiteur obéré, à qui le créancier vend l’argent au poids de sa détresse et de sa misère. Suivant eux, il serait non seulement difficile, mais même impossible, d’imposer des gens dont toute la fortune est concentrée dans des portefeuilles. Si la contribution est évidemment reconnue juste et nécessaire, qu’importe la difficulté? Il faut la vaincre : voilà tout ce que l’on doit en conclure. L’on peut y parvenir; on en indiquera les moyens ; et tout ce que la subvention personnelle pçmrra atteindre , opérera du moins une indemnité à la décharge des possesseurs de fonds. Mais il ne s’agit ni de justice, ni d’équité! s’écrient les capitalistes; ce ne sont pas là les principes de nos calculs : la dette publique a été contractée sur la foi d’une exemption de toute espèce d’imposition, elle est expressément prononcée dans tous les arrêts qui ont créé les diverses d’emprunts : voilà notre code et nos titres. Le vice de cette objection, bien digne de ceux qui l’élèvent, est de confondre la qualité de créancier et celle de citoyen. On conviendra, s’il le faut, que� l’on ne peut faire aucune retenue sur les intérêts ; que l’on doit se conformer aux édits de création : aussi entend-on les payer pour le plein de tout ce qui pourra leur être dû. Comme créanciers, ils ne souffriront ni impositions ni retenues ; mais, à titre de citoyens, ils doivent être rappelés à la contribution générale, pour payer en proportion de leurs revenus, déduction faite des charges. Jamais on n’a entendu les affranchir de toute contribution envers l’Etat, par la seule raison qu’ils en étaient devenus créanciers. Un tel contrat n’a jamais pu exister; Userait nécessairement nul et vicieux : aussi n’existe-t-il point. La preuve ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 464 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mars 1790.] en est que tous les capitalistes sont compris dans les rôles d’impositions de tous les lieux où ils habitent. Ils doivent donc être imposés en qualité de citoyens. Or, dès qu’ils sont soumis à l'imposition, peut-on douter qu’on ne doive prendre en considération tous les revenus dont ils jouissent? En un mot, leurs rentes leur seront payées sans retenue; mais, à leur tour, ils contribueront, comme citoyens, aux charges de l’Etat; ils ne pourraient s’en affranchir que dans le cas où ils déserteraient le royaume pour s’établir ailleurs. Mais alors ils payeraient d’autres contributions à l’Etat auquel ils se seraient associés. Quelque prix qu’ils attachent à leur qualité de créanciers de l’Etat, qu’ils ne perdent jamais de vue que celle de citoyen les honore davantage. Dans leur système, ce sont les fonds qui doivent acquitter, et qui acquittent pour eux le tribut na� tional. Yoici comment ils raisonnent : les rentes constituées ne sont que le produit des biens-fonds ; elles doivent être exemptes d’une charge que ceux-ci payent déjà. On ne peut porter plus loin l’abus du raisonnement. 11 n’est pas exact de dire que les rentes sont le produit des biens-fonds; il est seulement vrai que les fonds servent d’hypothèque et de sûreté à ces mêmes rentes. Mais comme la dette contractée par le propriétaire du fonds ne l’affranchit pas du tribut national, c’est une raison de plus pour obliger le créancier de la rente à payer son contingent de lasubvention personnelle. Nos fortunes, disent les capitalistes, sont mobiles, sujettes à des vicissitudes continuelles, tandis que celles des propriétaires de fonds sont stables, fixes et permanentes. Si l’agio leur fait éprouver quelques vicissitudes, ils en sont bien dédommagés par l’avantage de décupler leurs capitaux en quatre ou cinq années, tandis que les revenus des propriétaires ne sont susceptibles que d’un accroissement lent et insensible. Si les capitalistes jalousent les possesseurs de fonds, s’ils trouvent la condition de ceux-ci plus avantageuse que la leur, pourquoi n’acquièrent-ils pas ? Des propriétaires sans nombre viennent leur offrir de toutes parts des seigneuries et des domaines au plus vil prix. Quanta leurs créances sur l’Etat, ils n’ont plus rien à redouter d’après les décrets qui ont sanctionné la dette nationale : que n’a-t-on pas fait, que nefait-t-on pas chaque jour pour assurer leur paiement? Les capitalistes, intimement convaincus qu’ils doivent le tribut, prétendent qu’ils l’acquittent par des contributiqns indirectes, et par les droits établis sur les consommations. Mais ils ne considèrent pas que les propriétaires sont soumis comme eux à la plupart de ces droits, qu’il en subsistera très peu ; que si l’on conserve encore des droits sur les consommations, ce ne sera que dans les villes du premier et second ordre : alors le paiement de ce droit deviendra un tribut volontaire pour ceux qui y fixeront leur séjour, et il sera juste que ceux qui veulent profiter des agréments que les villes procurent, contribuent aux moyens d’assurer et de perpétuer leurs jouissances. Que les capitalistes cessent donc de s’épuiser en vains efforts. L’opinion publique, cette souveraine des nations mêmes, s’élève contre eux. Ils ne parviendront jamais à balancer les grands motifs d’équité et de justice qui les mettent dans le cas de supporter, comme citoyens, une contribution proportionnelle à leurs revenus. Mais ce n’est point assez que des impôts soient justes en eux-mêmes; ils ne peuvent atteindre leur dernier degré de justice que par leur proportion avec les richesses de l’Etat. § IV. — De la proportion de ces deux impôts, soit entre eux, soit avec les richesses nationales. Ces deux contributions principales, admises comme justes et nécessaires, il devient indispensable de lixer leurs proportions avec les richesses mobilières et immobilières de l’Etat : mais, on ne peut le dissimuler, cette opération offre des difficultés sans nombre. Disons plus: quelques soins, quelques précautions que l’on prenne, quelque zèle que l’on apporte à ce travail, on ne peut se flatter, même avec le temps et les secours des assemblées des départements, d’atteindre à une précision mathématique. La seule espérance raisonnable est d’approcher, le plus près possible, de cette égalité proportionnelle que tout le monde désire, et qui devient si nécessaire pour asseoir l’impôt sur les bases mêmes de la justice. Si l’on veut réaliser cette espérance, et porter les biens meubles et immeubles à leur juste valeur il faut, avant tout, déterminer ceux que l’on placera dans l’une ou l’autre classe. La contribution territoriale réunira les fonds de toutes espèces, les maisons de ville, louées ou non louées, celles de campagne, dont on percevra un revenu (les autres, avec leurs dépendances, ne seront imposées qu’à raison de leur sol). La contribution territoriale comprendra donc les maisons, champs, prés, vignes, bois, étangs, pacages communes, marais salants, mines minières, moulins à eau et à vent, forges, fourneaux et autres, de quelque genre que ce puisse être: plus les dîmes, cens, agriers, champarls, rentes foncières en grains ou en argent, en un mot tous les droits réels, assis ou spécialement affectés sur les fonds. Cet impôt, si l’on considère son étendue, son immensité, l’extinction de tout privilège, abonnement, la suppression des vingtièmes, capitation et accessoires, peut être porté à 220 millions, sans faire subir aux propriétaires une augmentation de tailles. Il suffira sans doute d’avoir indiqué les causes qui doivent faire augmenter la masse de cet impôt; on ne pourrait les discuter qu’avec l’étendue et la profondeur que chacune d’elles exigerait, et cela entraînerait trop loin ; on peut même dire qu’en ce moment rien ne serait plus inutile. La subvention personnelle portera sur tout ce qui ne sera pas soumis à l’impôt réel, sur les rentes constituées, perpétuelles ou viagères, sur le commerce, l’industrie, sans exceptions ni privilèges ; sur les arts, les artistes, sur les artisans, les journaliers; mais on ne devra imposer ces deux dernières classes que pour une moitié des sommes qu’elles payaient ci-devant. Nombre de citoyens seront dans le cas d’être assujettis à l’une et l’autre de ces impositions. •Par exemple, un propriétaire résidant sera compris dans un premier article du rôle pour sa cote territoriale, et dans un second article pour sa subvention personnelle, proportionnellement aux revenus qui ne proviennent pas des terres. Il payera de plus le bénéfice de culture, s’il exploite par lui-même ; mais s’il ne réside pas dans le lieu où ses biens sont situés, il ne contribuera dans celui de son domicile que pour son industrie et ses autres revenus. i Si l’on veut évaluer sans prévention le revenu (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (30 mars 1790.] de toutes les richesses mobilières, y compris les rentes, le commerce et l’industrie, on trouvera qu’il équivaut tout au moins à celui des fonds. Les seuls intérêts de rentes, dus par la nation, montent à 16 1 ,466,000 livres ; il faut y ajouter ceux des effets publics, les gages, les indemnités, les pensions, les traitements, et, pour ainsi dire, tout ce qui est payé par l’Etat; réunissant à cette masse les rentes de particuliers à particuliers, les fonds immenses du commerce, le produit incalculable de l’industrie, alors on n’bésitera pas de décider que l’on doit jeter sur les richesses mobilières la même masse d’impôts que sur les immeubles; l’on veut dire 220 millions. Mais, pour ne rien hasarder, retranchons-en un quart: les trois quarts restant nous donneront 165 millions qui, réunis aux 220 de l’impôt territorial, formeront un total de 385 millions. Cette somme, cumulée aux autres revenus que l’on peut et que l’on doit conserver, s’élèvera à 552,092,781 livres, ce qui excédera de 117,092,781 livres nos dépenses fixes, qui se trouvent réduites à 435,000,000 livres. Cet excédent, sous tous les points de vue, assurera l’exécution du plan que l’on propose, et le mettra à l’abri de tous inconvénients. En effet, si après la confection du cadastre, si après l’évaluation de toutes les fortunes mobilières et immobilières, si après les opérations des assemblées de districts et de départements, il est véritié et reconnu que la masse réunie de ces deux contributions est excessive, ou que l’un de ces deux impôts est trop fort, l’autre trop faible, on rétablira l’équilibre ; ainsi, on sera toujours maître d’étendre ou de resserrer à son gré, soit l’ensemble, soit les différentes parties du plan, pour tenir une balance exacte ; 117,092,781 livres nous donnent une latitude très considérable, qui nous met à l’abri de tout danger et de toute crainte. La masse de ces deux impôts une fois réglée, relativement aux richesses qui en font l’objet, il y aura d’autres proportions non moins difficiles à établir. On a vu que l'impôt territorial ne souffrait, par sa nature, ni déduction ni retranchement, à raison des dettes ou charges affectées sur les fonds, parce que ces fonds sont primitivement et direc - tement soumis à la contribution nationale; il n’est pas même possible d’en priver l’Etat, car si le propriétaire s’éloigne, le fonds répond de la dette, et il est affermé pour subvenir au paiement de l’imoôt. Il n’en est pas de même de la subvention personnelle ; elle n'a pas une assiette aussi fixe ; elle suit le domicile du propriétaire et s’éteint avec lui ; elle n’est prise que du revenu net, toutes charges déduites. Mais ici se présente une question importante. Restreindra-t-on cette déduction aux seules dettes, aux seuls paiements effectifs ; cela n’est pas probable : une charge n’en est pas moins réelle, moins grave, moins onéreuse, quoiqu’elle ne consiste pas précisément en paiements ou redevances. Quelles seront donc les charges à déduire? quels objets entreront en considération? quel sera le mode de répartition? la même somme de revenu net donnera-t-elle toujours la même contribution ? en un mot, se bornera-t-on à la seule proportion arithmétique? on a peine à le croire. La justice distributive doit combiner tous les rapports, et peser toutes les positions, toutes les circonstances. Deux contribuables ont exactement le même revenu ; mais l’un est célibataire et sans enfants, ire Séîîie, T. Xîl. 465 tandis que l’autre est père d’une nombreuse famille. Devront-ils payer tous deux la même somme ? Gela ne paraîtrait point équitable. De deux contribuables, également riches ou pères de famille, chargés d’un même nombre d’enfants, l’un remplit dans la société un poste, une charge qui exige des relations, des dépenses, des besoins auxquels l’autre n’est point sujet. Devront-ils payer dans la même proportion, sans égard à toutes les circonstances? Non, sans doute. Deux hommes sont absolument dans la même position. Mais l’un a 3,000 livres de revenu, qui, à la vérité, suffisent à ses besoins ; un autre en a 6,000 livres qui le mettent dans l’aisance; un troisième en a 12,000 livres qui en font un citoyen riche. La première somme de 3,000 livres donnera, si l’on veut, pour tous, la même contribution ; mais les 6,000 livres et à plus forte raison les 12,000, n’augmenteront-ils le tribut qiïaumarc la livre ? La raison semble prescrire le contraire, parce que c’est l’homme riche qui doit principalement supporter les contributions et les charges de l’Etat. Si la richesse, comme on l’a observé, ne commence qu’au terme où les besoins finissent, l’homme riche doit contribuer plus que celui qui vit seulement dans l’aisance ; et celui-ci, à son tour, est tenu à une contribution plus forte que celui qui n’a que l’absolu nécessaire. Ainsi, la vraie proportion (indépendamment des autres considérations que l’on a retracées) doit être graduée sur le nécessaire, l’aisance et le superflu. On l’a dit, et on ne peut trop répéter de si grandes et si importantes vérités : plus on s’éloigne du simple nécessaire, moins l’impôt est dur a supporter. 11 en doit moins coûter au riche de prendre sur son superflu qu’au pauvre de retrancher sur ses premiers besoins . Il faudra donc, pour établir un mode de répartition conforme à l’équité, régler dans quelle proportion contribuera le père de famille, comparé au célibataire; quelle sera la proportion entre deux pères de famille également riches, mais dont l’un vit isolé et sans emploi, tandis que l’autre remplit gratuitement des fonctions utiles à la société. Il faudra surtout, prenant égard aux différents états, régler que les revenus qui n’excêderont pas le nécessaire absolu, paieront telle quotité : un vingtième par exemple ; — que ceux qui constitueront l’aisance, paieront deux vingtièmes; que ceux qui atteindront la richesse, en paieront trois, jusqu’à la somme déterminée ; et qu’au delà du taux fixé, les revenus paieront quatre, et même cinq vingtièmes. — Ainsi, l’on parviendra à établir des proportions justes, convenables, et dignes d’une nation qui se régénère sous l’empire de la raison. On demandera peut-être si les revenus en usufruit, en rentes viagères, en rentes déjà réduites, subiront la même imposition que ceux qui dérivent de la propriété même. Ges questions seront faciles à résoudre ; car dès qu’il s’agit d’un impôt personnel, pris sur le revenu effectif, on ne considère plus de quelle part ce revenu provient, comment il est formé, s’il est attaché, ou non, àla propriété. Si les deux impositions principales sont reconnues justes, on ne doit s’effrayer ni des embarras, ni des difficultés. — Le patriotisme et l’amour du bien rendent tout possible ; et pour dissiper des craintes prématurées ou exagérées, on va indiquer la manière de percevoir et de réaliser ces deux impôts. 30 [30 mars 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 466 § V. — De la manière de percevoir et de réaliser les contributions territoriales et personnelles. Pour asseoir ces deux impôts, il faut opérer de deux manières différentes, qui cependant ont l’une et l’autre pour objet de connaître la richesse et les revenus de chaque contribuable. On approchera de plus près de l’égalité qu’on a en vue, à raison de l’exactitude, du zèle et des soins que l’on apportera à évaluer chaque espèce de biens et de revenus. Parlons d’abord des propriétés immobilières. L’impôt territorial, comme on l’a déjà observé, doit comprendre généralement, et sans exception, tous les fonds du royaume, ainsi que les droits réels, quels qu’ils puissent être. — Ce n’est point assez que tous les objets réels soient rappelés dans le rôle, il faut qu’ils y soient cotisés à raison de leur valeur : on doit donc la connaître. On ne peut y parvenir que par un arpentage et une estimation, c’est ce qu’on appelle cadastre. Quelquefois, pour éviter les frais qu’il entraîne, les intéressés conviennent entre eux de la contenance et de la valeur de leurs fonds ; alors cette convention en tient lieu. Ceux qui aiment à trouver des difficultés en tout et partout, se plaisent à exagérer celles du cadastre; mais il est facile de dissiper leurs fausses alarmes. Le cadastre réel, ou vraiment dit, est celui qui est fait avec toutes les formalités prescrites, et ces formalités ne sont autre chose que les précautions suggérées par la raison. Voici la manière d’y procéder dans les pays de taille réelle, où il est en usage. Une communauté obtient d’abord arrêt portant permission de procéder à un arpentage. Elle nomme des experts arpenteurs et estimateurs, étrangers et non suspects, liés par la foi du serment. Le premier, par son mesurage, fixe la contenance et la description topographique de l’héritage; les seconds en estiment la valeur, rédigent un procès-verbal des motifs qui ont déterminé leur estimation. Cette estimation se fait de deux manières : Dans la première, on divise les fonds en trois classes : bons , médiocres ou mauvais. Quelquefois on forme cinq à six classes. Chaque fonds est cotisé dans celle où il se trouvé placé. Dans la seconde manière d’estimer, on fixe un prix déterminé à chaque héritage, pour l’imposer ensuite au marc la livre du capital. Cette seconde manière est plus exacte, mais beaucoup plus difficile, pour ne pas dire en quelque sorte impossible dans la pratique. Pour donner au cadastre toute la valeur et l’efficacité dont il est susceptible, on en fait le dépôt dans un greffe, ou autre lieu public, afin que tous les intéressés puissent vérifier leurs rôles dans un délai déterminé, acquiescer, s’ils le jugent à propos, ou combattre, en cas d’erreur, soit sur la contenance, soit sur l’estimation. Le délai expiré, le cadastre est tenu pour vérifié et acquiescé. Alors intervient un second arrêt qui homologue toutes les opérations, et si, par la suite, on découvre quelques erreurs, il faut, pour les faire rectifier, les dénoncer d’abord à la communauté, par un dire motivé , la requérir cle consentir à nommer experts. Si elle y consent, on procède à la vérification; si elle s’y refuse, le plaignant se pourvoit par-devant le tribunal qui a homologué le cadastre; et celle des parties qui est trouvée en tort, supporte les frais d’instance et de vérification. Comme les frais d’arpentage et de cadastre devenaient très considérables, à raison des formalités accessoires, nombre de communautés se contentaient de faire une espèce de cadastre par convention. La manière d’y procéder était assez simple. Le commissaire, nommé pour la refonte des rôles , ordonnait à chaque contribuable de donner, dans huitaine, une déclaration exacte de tous ses fonds, à peine d’être taxé arbitrairement. Les déclarations signifiées, le commissaire ordonnait à la communauté de les combattre dans le même délai, passé lequel elles étaient tenues pour admises. S’il se liait contestation entre le particulier et la communauté, alors elle était jugée sommairement et sans frais par le commissaire, ensuite d’une vérification par témoins ou par experts. On comprend que la nation ne peut adopter que provisoirement cette seconde manière d’opérer. Il faudra nécessairement, dans chaque lieu, un cadastre juridique, qui ne coûtera d'autres frais que ceux de mesurage et d’estimation. 11 sera nécessaire de procéder à de nouveaux cadastres, ou du moins à de nouvelles estimations, dans les lieux mêmes où il existe déjà des cadastre estimatifs. La raison en est que, ces anciens cadastres n’étant relatifs qu’à chaque communauté, l’estimation, en plus ou en moins, devenait indifférente, dès qu’elle était proportionnelle entre tous les héritages du même territoire. Il en était comme dans les partages, où il devient absolument égal qu’un fonds soit estimé à sa juste valeur ou au-dessous, pourvu que l’estimation personnelle se trouve exacte. Mais comme aujourd’hui le cadastre doit servir de règle, non seulement aux communautés, mais encore aux districts, aux départements, aux provinces et à la nation entière, pour établir un équilibre dans tout le royaume, il faut nécessairement une opération commune, qui puisse être adaptée à tout, et qui parte des mêmes données, des mêmes bases; c’est à l’Assemblée nationale à fixer les bases de cette grande opération. Elle doit déclarer « que tous les fonds seront t arpentés sur la même mesure donnée; que « non seulement ils seront divisés en trois ou « six classes, mais encore que leur produit sera « estimé en argent, à tant le marc. » Gomme l’Assemblée nationale ne pourrait donner confiance à ces. opérations, si elles n’étaient vérifiées par des commissaires étrangers, il doit être dit : « Que les estimations à faire dans chaque corn-« munauté, district et département, seront véri-« fiées par des commissaires nommés à cet effet, « et choisis dans l’une des provinces voisines qui « sera désignée. « Qu’indépendamment de cette vérification, il « sera libre à tout district et département d’en-« voyer des commissaires pour procéder aux vê-« rifications qu’ils jugeront à propos, à l’effet de « quoi les districts et départements seront tenus c de communiquer auxdits commissaires tous a titres, papiers et documents nécessaires, no-« tamment les procès-verbaux des experts esti-« mateurs. » On sait que le produit des maisons, moulins et usines quelconques, doit être estimé comparativement à celui des terres. Mais, comme les maisons et usines sont exposées à de fréquents accidents, à de grosses et menues réparations qui [30 mais 1790.] 467 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. se renouvellent, pour ainsi dire, chaque jour, il faut déduire l’entretien pour trouver leur juste valeur. Par une déclaration de 1706, rendue pour certaines provinces, on défalquait le tiers pour les moulins et usines : adoptera-t-on cette proportion ? Sera-t-elle la même pour les maisons? Fera-t-on des distinctions entre les différentes espèces d’usines et de maisons? C’est encore à l’Assemblée à prononcer, pour donner des bases certaines aux opérations, et les rendre uniformes dans tout le royaume. On pense que les distinctions à faire, de maison à maison, d’usine à usine, porteraient; trop loin ; qu'une règle fixe serait préférable ; « que l’on peut admettre la défalcation « du tiers pour les usines, et celle du quart pour « les maisons ». Comme l’objet des cadastres sera de connaître l’étendue et la valeur de tous les fonds du royaume, les bois, les communes (1) et pacages, doivent y être compris, pour ensuite être imposés dans les rôles, d’après l’estimation qui en sera faite. Si les bois s’exploitent en vingt ans, on divise le produit de la coupe sur vingt années. Les forêts de haute-futaie seraient évaluées pour être soumises à une imposition annuelle. — Les laiteries et pacages doivent être cotisés de cette manière : — Pour telle laiterie, — contenant tant de journaux en pacages, — tant... Ainsi rien n’échapperait au cadastre, et par conséquent à l’imposition. Quelque exacts que soient les cadastres, ils deviendraient bientôt inutiles par les changements continuels, si les domaines n’étaient toujours imposés sous le nom des propriétaires. Chaque année, il faudrait bouleverser le rôle pour imposer les cultivateurs partiaires. Ceux-ci chercheraient à affaiblir les contenances. Au lieu d’un seul article, il faudrait en faire vingt. Insensiblement on ne retrouverait plus, dans le détail, la masse des fonds portés au cadastre, et pour vérifier où se trouve le vide, ii faudrait recommencer l’opération. Voilà ce que nous apprend une expérience journalière. Il naît aussi des abus de ce que très souvent on affaiblit les articles des cotisables pour les soulagements, décharges, ou les modérations qu’ils obtiennent, à raison des grêles, inondations, incendies et autres causes, ce qui apporte au rôle des changements notables. Il convient, dans ces occurrences, de leur accorder une somme fixe, mais sans altérer les articles du rôle. Pour prévenir ces inconvénients, l’Assemblée doit ordonner : « Que la cote sera toujours imposée sous le nom des propriétaires ; elle doit de plus enjoindre aux membres des districts de surveiller à ce que les cadastres de chaque territoire soient duement maintenus et conservés, à ce que les rôles de répartition comprennent, dans le détail, la masse entière des fonds portés au cadastre. » On nous dira peut-être que si l’on impose les propriétaires, on portera atteinte aux clauses de la plupart des baux, par lesquels les fermiers étaient chargés de toutes les impositions; que l’on changera le régime des lieux où le propriétaire payait une cote de propriété dans son domicile, et le fermier la taille réelle dans le lieu de l’exploitation. (1) Les communes cultivées ou non cultivées doivent y être rappelées pour rendre le cadastre complet; mais à l’égard des communes non cultivées, simplement destinées aux parcours, elles doivent être cotisées à un taux très faible : on ne doit pas les ranger dans l’une des trois classes. Get inconvénient serait peu grave, même quand on ne pourrait pas y remédier. Mais il est facile d’en prévenir les effets, en déclarant que, jusqu’à l’expiration des baux, le cultivateur fera état au propriétaire, sur les impositions, de toute la somme qui excédera celle qu’il payait ci-devant pour taille réelle. Les cadastres établis sur de telles bases, et conservés avec les précautions indiquées, rien ne sera plus aisé, plus facile, qu’une répartition au marc la livre, à raison des différentes classes de terres, ou de l’estimation des objets qui ne pourront être classés. Les cadastres achevés seront probablement vérifiés par des commissaires de différentes provinces; cette vérification faite, ils seront rapportés par devant la prochaine législature qui, à vue de leur résultat, déterminera « ce que chaque province ou chaque département doit supporter de tailles réelles, proportionnellement à la masse totale. » Le contingent doit être déterminé par livres allivrantes, ou quotité fixe, afin de ne pas renouveler les opérations au moindre changement. On dira, par exemple, tel département doit payer la vingtième, la trentième, la quarantième portion de la masse des impôts du royaume. Par ce moyen, lorsque la somme à imposer augmentera ou diminuera, il ne s’agira que du plus simple calcul. Toutes ces opérations peuvent être achevées dans une ou deux années, parce que dans chaque municipalité on travaillera en même temps. Ainsi s’évanouiront les vains obstacles que l’on élevait contre le cadastre et contre la contribution territoriale. La subvention personnelle présente des difficultés plus spécieuses, mais qui, au fond, n’ont pas plus de réalité. Car enfin, on le demande, comment et sur quels principes opéraient les villes privilégiées, qui imposaient dans leurs rôles leurs habitants pour tout ce qu’ils possédaient dans le royaume ? Il fallait une règle, une mesure quelconque. Quand on serait réduit à l’adopter, il n’en naîtrait pas plus d’inconvénients qu’il n’y en avait alors. Ce serait de voir échapper à la taille une partie des richesses mobilières du royaume. Mais il y aurait encore cette différence à notre avantage, que, dans l’ancien régime, il était presque aussi facile de soustraire à l’impôt les propriétés territoriales que les mobilières; tandis qu’aujourd’hui on sera du moins assuré d’assujettir tous les immeubles réels à la contribution. On doit encore mettre en avant une réflexion très importante. Dans l’ancien régime, bien des gens, dirigés sur de faux principes, ne se faisaient aucun scrupule de soustraire leurs biens à la taille. L’impôt le plus juste était regardé comme une vexation à laquelle on se félicitait d’échapper. Le défaut de patriotisme, l’indifférence sur la chose publique, un intérêt trop éloigné empêchaient ceux qui avaient connaissance de ces soustractions de les dénoncer. Mais aujourd’hui l’impôt sera regardé comme une dette sacrée, la soustraction comme un vol fait à l’Etat, et la dénonciation comme un mérite. Par là on parviendra plus aisément et plus sûrement à connaître les richesses mobilières, et les revenus de chaque individu. Ces revenus, mis au grand jour, celui qui aura des charges sera obligé de les déclarer pour obtenir une réduction proportionnelle. Ainsi tout changera de face par le nouveau ré' gime, et par l’esprit public qui dirigera toutes les* opérations. Si l’on devait admettre une imposition par m [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mars 1790.] classe, ce serait surtout, pour la subvention personnelle; mais le mode est trop arbitraire ; les classes peu nombreuses donnent nécessairement lieu à des injustices; quand elles sont trop multipliées, elles deviennent embarrassantes, et dans tous les cas elles fournissent matière à d’éternelles plaintes. Chaque contribuable, s’étayant sur des comparaisons arbitraires, croit avoir des raisons de n’être pas rangé dans telle ou telle classe. Les apparences d’après lesquelles les classes sont formées, sont souvent trompeuses; il peut y avoir autant de nuances différentes que d’individus : ce mode ne peut donc être adopté. Il est plus simple et plus juste d’imposer chaque citoyen suivant ses propres revenus; on a plus de moyens individuels à lui opposer, et il en a davantage pour se défendre. Mais, répète-t-on sans cesse, comment parvenir à découvrir ces richesses fugitives, concentrées dans un portefeuille, et que le débiteur même n’ose pas révéler? On a déjà observé que cette objection était sans mérite et sans force. Quelque plan que l’on adopte, n’y aura-t-il pas toujours des inconvénients plus ou moins grands? Et parce qu’on ne sera jamais assuré de découvrir toutes les richesses mobilières des contribuables, faudra-t-il négliger de le tenter? Faut-il augmenter le danger de nos pertes, en rendant encore arbitraire la contribution territoriale? ou faudra-t-il enfin abandonner ce que l’on peut découvrir, par la seule crainte que quelque partie n’échappe à la contribution? Quand l’entreprise serait plus difficile, il faudrait encore la réaliser et l’exécuter, à raison des grands motifs de justice qui rendent cette contribution nécessaire. Mais au fond, il y a moins de difficultés que l’on ne pense; plusieurs moyens se présentent, il ne s’agit que d’opter. La première opération doit être faite avec autant d’éclat et de solennité que d’exactitude. 11 faut d’abord exiger des contribuables une déclaration détaillée et affirmée par serment; ceux qui s’y refuseront seront taxés arbitrairement par leurs pairs, la commune assemblée . Les déclarations fournies doivent être, non pas affichées (ce qui serait inutile), mais déposées, pendant un mois, dans un greffe public, avec invitation à tous les intéressés de les combattre dans ce délai. Les débats fournis seront motivés et détaillés, à défaut de quoi on n’v aura aucun égard. Ils seront inscrits sur un registre destiné à cet effet, et il en sera donné avis au déclarant dans trois jours. Le mois expiré, il sera indiqué une assemblée de municipalité, de notables et de quatre membres de chaque corporation, pour reviser les déclarations, les rectifier, s’il y a lieu. Tous ceux dont les déclarations auront été contestées seront tenus d’y comparaître, pour atténuer les débats ou y acquiescer. S’ils ne comparaissent point, les débats seront tenus pour avoués, et ils siéront imposés en conséquence. S’ils comparaissent, et dénient, on suivra provisoirement leur déclaration, et celui qui a contesté sera admis à prouver les faits allégués. La peine de la fausse déclaration à laquelle on aura persisté à l’assemblée des notables sera la perte de la créance déniée, et le quadruple de l’imposition que le contribuable aurait dû supporter. Ces sommes seront applicables à la décharge de la dernière classe des cotisabies. Dans les lois nouvelles qui intéressent directement le salut de l’Etat, les peines doivent être très graves, surtout quand elles ne portent que contre les méchants ou les gens de mauvaise foi. On pourrait encore prendre d’autres précautions en soumettant les créances mêmes à un droit de timbre ou de contrôle, nombre de personnes très éclairées dirigent leurs vues de ce côté : mais n’est-il pas dangereux de trop hasarder pour prévenir des abus que l’on peut écarter autrement, et qui se dissiperont d’eux-mêmes avec le temps? C’est à l’Assemblée à peser mûrement cette ressource. « Elle aurait le double avantage de nous procurer un tribut sur les capi talistes et de mieux assurer la découverte des fortunes mobilières. » Déjà on ne peut ignorer les créances sur l’Etat, sur les provinces , sur le clergé, sur les corps. Quant à celles sur les particuliers, on parviendra ' aisément à les connaître dans les villes du second et troisième ordre, et l’on doit compter pour beaucoup la bonne foi du déclarant, le blâme auquel il s’expose, la crainte de la surveillance et le danger de la conviction. Dans les villes du premier ordre les corporations faciliteront cette connaissance et se taxeront, pour ainsi dire, d’elles-mêmes, comme déjà elles le font à Paris. Quant aux bourgeois et autres habitants qui ne tiennent à aucune corporation, leur manière de vivre, leur loyer, leur domestique, tout servira d’indication pour éclairer de plus près les déclarations qu’ils auront faites et auxquelles on sera obligé de se référer par provision. La subvention personnelle, une fois réglée, subsistera jusqu’à ce que le déclarant ait dénoncé des changements survenus, capables d’opérer une diminution en sa faveur. A l’égard des nouvelles déclarations, on suivra les formalités indiquées pour les premières. Les prétendus obstacles ne doivent donc pas nous éloigner du but où la justice nous prescrit d’atteindre. Quand on sera parvenu à connaître les richesses mobilières et immobilières de l’Etat, « alors on divisera les deux masses de contribution en proportion de ce que chaque département devra en supporter, et les départements, à leur tour, opéreront pour les districts ». Ces deux impôts admis pour 385 millions, il reste à voir quels sont ceux de nos autres revenus qui peuvent et qui doivent subsister. § Y. — Des anciens droits ou impôts que l'on peut et que Von doit conserver. FERMES GÉNÉRALES. Les gabelles, qui en faisaient partie, sont supprimées. On peut conserver : 1° Le tabac, ci .............. 27,000,000 liv. Plus, en supplément de prix.. 2,000,000 2° Les entrées de Paris doivent subsister; mais il conviendra peut-être de les réunir, à la suite, aux autres impôts de ladite ville. Elles produisent .................... 30,000,000 liv. 3° Les fermes générales comprenaient aussi les droits de traites, domaine d’Occident, prix de fermes, sel de brouage, vente du sel de salpêtre à l’arsenal de Paris, vente étrangère des sels dans les gabelles locales, et autres parties énoncées à l’article 16 du bail. Tous ces objets montaient à 28,440,000 livres. Les traites seules entraient dans le bail pour vingt-six millions. Les frais de perception égalaient le tribut. — Les traites de l’intérieur seront supprimées, mais on conservera nécessairement celles à l’étranger, en reculant les 469 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mars 1790.] barrières à trois lieues de nos frontières. — Cet objet, y compris le domaine d'Occident, le sel de salpêtre de l’arsenal de Paris, donnera tout au moins seize millions; ne classons que cette somme, ci .................... 16,000,000 liv. Fermes particulières à conserver. 1° Les postes, avec l’augmentation provenant de la suppression de partie des franchises et contreseings, donnent déjà 12,000,000 livres, sans parler de ta moitié du bénéfice excédant cette somme. Ûn peut encore réduire et restreindre des privilèges qui deviennent chaque jour 'plus abusifs; ce qui, avec l’excédent, augmentera cette ferme de trois millions, ci. 15,000,000 liv. 2° Ferme des messageries. Elle est de 1,000,000. Elle peut être augmentée de 300,000 par la réunion des postes aux chevaux. Cependant jusqu’à ce que les projets soumis à l’Assemblée nationale aient été adoptés ou rejetés, on la laissera au même taux, ci ................. 1,000,000 liv. 3° Ferme des droits sur les bestiaux, dans les marchés de Sceaux et de Poissy, ci. 630,000 liv. 4° Ferme de affinages de Paris, Lyon et Trévoux, ci ...... ................. 120,000 liv. On ne met point en ligne de compte la ferme du Port-Louis en Bretagne, établie par des droits perçus sur les boissons. Il en est de même des droits des quatre membres de la Flandre-Maritime , abandonnés à 800,000 livres, y compris des droits de widangle et autres, portés à 23,000 livres. La raison en est que l’on veut rester beaucoup au-dessous de la masse à laquelle on pourrait atteindre. RÉGIE GÉNÉRALE. Des aides et droits réunis. Les droits de marque des cuirs, des fers, ceux perçus sur les huiles et les amidons, sont supprimés ; on ne peut conserver que les objets ci-après : 1° La marque d’oret d’argent. . 724,787 liv. 2° Les droits sur les cartes à jouer .............. 1,790,787 Régie des domaines et bois, et des droits domaniaux. 1° Les domaines de l’Etat et terres affermées ........... 1,649,852 liv. Plus, les objets acquits depuis le lor janvier 1785 ........ 340,000 Plus, les forges royales de la Chaunade ............ 80,000 2° Forêts domaniales, ..... 8,400,000 3° Sols pour livre des domaines engagés ............ 213,000 4° Les cens et rentes ..... 800,000 5° Régie des hypothèques. . . 1,250,000 6° Droits du timbre et sols pour livres ............. 5,865,000 7° Contrôle des actes. On a donné d’excellents projets pour un nouveau tarif sur les contrôles, insinuations, centième denier ; mais iis ne doivent pas affaiblir la masse totale de leur produit, ci. . 11,400,000 8° Contrôle des exploits. Il faut espérer que le produit de ce droit sera affaibli par la nouvelle organisation de l’ordre judiciaire; cependant, on le portera encore à son ancien taux, ci ......... 3,450,000 liv. 9° Insinuations ....... 2,190,000 10° Centième denier ..... 8,520,000 Pour opérer avec plus de certitude, on laisse de côté les droits d’aubaine, d’échange, d’usage, nouveaux acquêts, amendes, confiscations, lods et ventes, petit scel, amortissements, francs-fiefs, droits de greffes, droits réservés. — Plusieurs de ces droits donneront cependant un produit plus ou moins considérable, ce qui augmentera nos richesses, assurera de plus en plus ie succès du plan que l’on présente. Piégies particulières. 1° Les grandes et petites loteries. Elles se sont affaiblies dans les derniers tirages; cependant, jusqu’à leur extinction ou suppression totale, on peut encore les comprendre sur leur ancien taux, ci ............... 14,000,000 liv. 2° Les revenus casuels résultant des mutations, du centième denier des offices, des droits de maîtrises à Paris et dans quelques provinces, des finances d’offices du point d’honneur, et of'fices municipaux, sont presque entièrement éteints. — Au lieu de 3 millions, ils donneront au plus ........... . . . 300,000 liv. 3° Le droit de marc d’or est, en quelque sorte, anéanti; il n’existera plus que pour les grâces et quelques autres objets particuliers; au lieu d’un million huit cent soixante et quinze mille livres, il ne donnera plus que. . 800,000 liv. 4° La régie des poudres et salpêtres donnait 800,000 livres ; mais dans nombre de provinces, les entrepreneurs de nitrières, abusés et trompés par les écrits et les projets du gouvernement, réclament aujourd’hui desindemnités quiparais-sent justes, et une augmentation dans les prix du salpêtre qu’il n’est pas possible de leur refuser; ce qui réduira cette régie à moitié de son ancien produit, ci ........... 400,000 liv. Droits particuliers. 1° Bénéfice des monnaies. Cet objet essentiel ne donnait que cinq cent trente-trois mille livres. 11 devrait être porté plus haut, sous une bonne administration ; mais nous ie laissons, quant à présent, à ce taux ci ..... 533,000 liv. 2° Caisse de commerce . . . 636,355 liv. 3° Les créances sur les Etats-Unis d’Amérique sont, enprincipal, de trente-quatre millions, remboursables à termes fixes.Les intérêts annueissont d’un million six cent millelivres. Nous ne mettrons en compte que les intérêts, ci . 1,600,000 liv. 4° Créance sur un prince d’Allemagne, en capital de six millions, aux intérêts de 300 mille livres, ci ......... 300,000 liv. Créances à recouvrer. Nous avons quantité de créances à recouvrer sur des gens réputés en faillite vis-à-vis l’Etat et qui cependant jouissent en paix du fruit de leurs déprédations ; mais cet objet doit être livré à un comité particulier qui vérifiera les créances, et indiquera les moyens d’en faire le recouvrement. Jusqne-là, on ne tirera rien hors de ligne. 470 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mars 1790.] Taxations sur le luxe , les villes et sur les cabarets des campagnes. Quelques villes principales, au nombre de dix-neuf, contribuaient pour 550,000 livres et plus, aux impositions destinées aux fortifications. Elles payaient en outre, ainsi que toutes les autres, un don gratuit très considérable. Comme les villes et les bourgs sont, en grande partie, très peuplés de gens riches et aisés, il est juste de les soumettre à une contribution particulière, et principalement les villes du second ordre. — Cette taxation réglée et déterminée, chaque ville, suivant sa localité, son intérêt et ses besoins, pourra obtenir permission de lever des droits sur ses habitants, à raison de ses propres charges. — Ce sera aux administrateurs des municipalités à voir si les droits, pris en sus de ceux de taxation et des impositions communes à tout le royaume, occasionneront, ou non, la désertion de leurs villes. — S’ils n’opèrent pas cet effet, alors ils seront assurés que les habitants de ces mêmes villes se trouveront dédommagés parles avantages et les agréments qu’elles leur procurent. Les aubergistes et cabaretiers des villes paieront probablement des droits proportionnés à leurs ventes, et aux bénéfices de leur commerce; mais les cabaretiers des campagnes ne peuvent en être affranchis : il est juste qu’ils paient une somme pour licence et permission de cabaret. Déjà ils y étaient équivalemment astreints dans la plupart des provinces, par une imposition levée à titre de faculté. Ce ne sera donc ici qu’un remplacement. Cette taxation particulière sur les villes et les cabarets de campagne, nous dispepsera d’entrer dans desquestionsdepure controverse sur le luxe; elle sera un moyen de l’atteindre indirectemeut sans fermer les canaux salutaires qui ramènent au peuple (quoique d’une manière lente et insensible) une partie de sa subsistance. Cette charge spécialement jetée sur les villes produira le repeuplement des campagnes, et rendra à l’agriculture son premier lustre. Si, par une suite naturelle de la prospérité des campagnes, leurs habitants veulent participer à quelques-unes des commodités que le luxe procure, alors ils paieront volontairement le tribut auquel il est sujet. Ainsi, au lieu d’un luxe destructeur, nous ne verrons prmiager que celui qui, dans un vaste empire, ser; à vivifier les arts, le commerce et l’industrie. Les taxations particulières sur les villes, et les sommes levées pour permission de cabaret, dans les campagnes, doivent produire dix millions au moins. On ne trouvera pas cette somme trop forte, si l’on considère le nombre des villes, des paroisses, des communautés; nous mettrons ici en ligne de compte, ci .......... 10,000,000 liv. Tous ces impôts secondaires montent à ................... 167,092,781 liv. Cette somme réunie aux deux contributions principales, qui sont de ..................... 385,000,000 liv. Le total donnera ............ 562,092,781 liv. Par cet aperçu il demeure démontré que nos revenus s’élèveront bien au-dessus de nos dépenses ordinaires. Il y aura, chaque année, un excédent de 117,092,781 livres, grossi et augmenté par l’ac* croissement de ces mêmes revenus, par l’extinction annuelle de nos tontines, de nos pensions, de nos rentes viagères. Cet excédent devient nécessaire dans une grande administration, et surtout pour une nation obérée. Il est indispensable de se donner une très grande latitude pour parer aux événements imprévus, et assurer le remboursement de la dette nationale. On ne doit plus raisonner comme dans l’ancien système, où la masse énorme des impôts allait se perdre dans l’abîme des abus ; on doit dire au contraire : nous avons des dettes immenses,' des dettes urgentes, les ministres sont responsables, nous sommes assurés que l’emploi sera légitime, chaque année le compte sera rendu et vérifié ; nous ne hasardons donc rien en nous ménageant un excédent considérable, il ne fera que mieux assurer notre administration, il opérera une prompte libération de nos dettes exigibles; et le temps, dans son cours rapide, rendra encore cette libération plus prompte et plus assurée. L’organisation de l’impôt ainsi établie, sera, pour nos créanciers, le premier et le plus sûr garant de leur confiance. À quel degré ne sera-t-elle pas portée, à la vue des efforts que nous faisons, et de toutes les précautions que nous prenons pour accélérer les paiements arriérés? Nous serions presque assurés de leur patience et de leur générosité, si elles devenaient nécessaires ou utiles au bien de l’Etat. Que les ennemis de la Révolution cessent donc de se réjouir de nos maux et de nos calamités. Qu’ils renoncent enfin aux honteuses et coupables espérances qu’ils avaient fondées sur les malheurs publics. De cette nouvelle organisation résultera évidemment un soulagement notable et presque inespéré pour les peuples. Us payaient ci-devant 900 millions de toutes espèces de contributions , y compris les frais de recouvrement ; et, malgré cette charge accablante, ils avaient encore la douleur de laisser chaque année en arrière 50 ou 60 millions de déficit; ils ne paieront plus aujourd’hui que 552 millions, quand on en ajouterait 30 pour les frais de perception et administration, le tout ne ferait que 582 millions. Il y auraitdonc un bénéfice et un soulagement réel de 318 millions, mais il faut y ajouter les 60 millions de déficit annuel, qui n’existera plus, ce qui opérera une diminution totale et effective de 378 millions : les circonstances ne permettraient pas d’aller plus loin. Mais le plus grand avantage pour les peuples, sera d’être assurés de l’emploi légitime du tribut, de voir chaque année s’accroître l’espérance d'arriver à ce temps heureux où ils n’auront plus à payer que les charges courantes et ordinaires de l’Etat. Le poids du tribut deviendra alors d’autant plus léger, qu’à cette époque fortunée, les fonds seront probablement affranchis des charges et redevances excessives dont ils sont affectés aujourd'hui. On a dû voir que ce plan est juste dans son objet comme dans ses proportions, dans son ensemble comme dans sas détails, que l’on peut y ajouter ou retrancher sans en rompre l’unité. On a pu remarquer qu’il présentait quelques notions intéressantes sur différentes parties. Enfin, on a dû se convaincre qu’il portait avec lui un caractère de simplicité, qui, en le rendant plus juste, assurait infailliblement son exécution. Mais, fût-il rejeté, on pourrait du moins tirer quelque parti des développements donnés sur la nature des deux contributions principales, sur leur justice, sur la nécessité de tes admettre l’une et l’autre, [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mars 1790.] sur leurs proportions, sur la manière de les réaliser et de les percevoir. DEUXIÈME ANNEXE à la séance de l’Assemblée nationale du 30 mars 1790. Principes sur le pouvoir judiciaire , par M. Ricard, député de Nîmes (1). L’erreur et la vérité prennent souvent la même couleur et se confondent à nos yeux. Les opinions varient suivant les temps, îes lieux et les esprits. Elles se combattent les unes les autres. On voit les mêmes paraître et disparaître successivement, roulant toujours dans un même cercle dont la fortune se joue. Mais un principe devient irréfragable lorsqu’il a l’assentiment universel et constant des peuples. Dans l’origine des sociétés, les pères ont été les premiers rois. Leur nombreuse postérité jouissait par eux des douceurs de la paix. S’il survenait quelque différent, quel autre pouvait le régler, que celui que tous étaient accoutumés à respecter et en qui tous avaient une confiance égale? Dès lors, la justice etla royauté, prenant à lafoisleur source dans l’autorité paternelle, furent séparables. Aussi voyons-nous que parmi les peuples de la plus haute antiquité, les mots de juges et de rois étaient synonymes. Les historiens sacrés et profanes, et la Fable même, s’accordent sur ces notions. Notre histoire nous apprend que les Français, libres sous Charlemagne, faisaient les lois de concert avec le prince, mais que lui seul avait l’administration de la justice. Elle était confiée aux comtes, qui présidaient aussi à l’administration populaire et commandaient les gens de guerre. Au-dessus d’eux étaient les délégués royaux, Missi Dominici, qui parcouraient les provinces, pour recevoir les plaintes des peuples et réprimer les abus d’autorité. Malgré cette subordination, la réunion des pouvoirs, dans la personne des comtes, produisit leur indépendance; la royauté perdit sa force et son éclat, et les peuples tombèrent sous le joug de la féodalité. La barbarie, la misère et l’oppression s’aggravèrent de plus en plus, jusqu’au temps où nos rois commencèrent à reprendre une partie de leur autorité. Alors les communes furent affranchies, et les grands vassaux s’accoutumèrent à voir leur puissance fléchir devant la majesté du trône. Saint Louis établit les baillifs et sénéchaux pour recevoir les appels des juges des seigneurs et les juger en dernier ressort. 11 les soumit à faire exactement leurs chevauchées dans toutes les villes de leurs arrondissements, et à juger tous les procès avec leurs assesseurs, au choix desquels les peuples avaient droit de concourir. Leurs jugements étaient exécutés dans tous les cas, mais ils en demeuraient responsables au roi et à son Parlement. Il était permis aux parties de s’y pourvoir contre eux par requête ew forme de plainte. 471 On appelait Parlement l’assemblée des personnes du conseil des grands de l’Etat, choisis et députés deux fois l’an par le roi. Ils étaient de la suite de la cour. De là vient le nom de Parlement ambulatoire. Les affaires s’y étant multipliées, Philippe le Bel, pour en faciliter l’exécution, le rendit sédentaire. Nos meilleurs auteurs . observent que par là il le réduisit en cour de justice ordinaire, ou plutôt que ce fut un tribunal nouveau, subordonné au grand conseil et composé, pendant longtemps, de commissaires révocables tous les ans. Ce nouvel établissement entraîna la perte de la juridiction souveraine des baillifs et sénéchaux. On lit dans Loiseau, « qu’en la simplicité primitive, il n’y avait que deux degrés de juridiction, et ne savait-on ce que c’était que d’appeler deux fois. Mais, dit-il, le Parlement confondit accorte-rnent les plaintes avec les appellations, afin d’ôter le dernier aux baillifs et sénéchaux. » Les peuples en furent les victimes. Jean Juvé-nal des Ursins s’en plaignait en ces termes aux Etats de Blois en 1433 : « Anciennement il n’y avait pas tant de causes, et étaient traitées par les baillifs et juges ordinaires; mais ils n’en ont que faire, et font toutes les causes au Parlement et aux requêtes. Devrait-on contraindre telles manières et aussi les prolixités? » Dans le même discours, il représentait que le Parlement avait été, par son institution, sous la discipline immédiate du roi et de son conseil, et qu’il était convenable de l’y ramener. « Anciennement, disait-il, afin qu’on contrôlât les gens du Parlement et que autres qu’eux connussent de leurs faits et manières, les rois ordonnaient qu’il y aurait un chevalier et un prélat qui seraient présents en jugement avec eux, pour voir lesquels sont résidents, l’heure que ils viennent, comment ils procèdent, s’il n’y en a point aucuns qui montrent affection ou acception de personnes; et n’y aurait pas de mal et encore à le faire. » Les mercuriales furent, dans la suite des temps, substituées à la discipline immédiate du roi; mais ce fut sous son inspection et sous son auto-sité suprême. Rien de plus précis à cet égard que les ordonnances de Moulins et de Blois, dont l une a été rédigée par le chancelier de l’Hôpital, sur l’avis des principaux officiers de tous les Parlements ; et l'autre a été rendue sur les demandes des Etats généraux. C’est ce que le chancelier d’Aguesseau rappelait au Parlement lorsqu’il lui disait: « Leroi vous ordonne, avec toute l’autorité qu’il a sur vos charges et vos personnes, de rendre la justice que vous devez à ses peuples. » Cependant, si quelquefois le gouvernement a tenté de réprimer un magistrat, tous s’en sont récriés, comme d'une chose étrange et incompréhensible, prétendant que le Parlement seul avait le droit de les juger. Gomment concilier cette indépendance avec l’autorité royale, avec la sûreté des citoyens et avec la liberté publique? Surtout si l’on considère, d’un côté, l’unité des Parlements, qui se disaient ne former qu’un seul et même corps indestructible aux yeux de la loi et de la nation; et, d’un autre côté, le terrible pouvoir que leur donnaient les formes rigoureuses d’une procédure absolument secrète. A Dieu ne plaise qu’en montrant les abus d’un pouvoir exorbitant, on offense les particuliers. Un grand nombre de magistrats ont toujours joui de la vénération publique; c’est encore parmi eux qu’on retrouve les vestiges des mœurs an-(1) Ge document n’a pas été inséré au Moniteur,