[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juin 1790.] 493 N’est-il pas naturel de s’en rapporter à eux pour ces mêmes consommations ? Iis auront l’intérêt le plus vif à les faire, suivant la méthode la plus économique et la plus utile. Voyez pour la responsabilité et la comptabilité les règles que j’ai établies dans mes réflexions sur le rapport d’un des membres du comité de marine, pages 54 et suivantes de la suite des mémoires. L’auteur de ces doutes a-t-il tort de désirer que l’importante question de deux corps distincts dans la marine soit discutée dans une assemblée nombreuse? On propose de faire un nouveau Gode pénal : rien de mieux sans doute que de proportionner les peines aux délits et d’abroger des lois ennemies de l’humanité; cependant ne serait-il pas plus expédient de prendre pour cette opération tout le temps nécessaire, de ne rien précipiter, et de rendre un décret provisoire qui ordonnât d’observer les anciennes ordonnances, comme on a fait sur le régime des classes ? D’ailleurs ne serait-il pas sage de ne faire ce Gode qu’après avoir achevé la Constitution, car il me paraît qu’avant de prescrire des peines, il faut imposer des devoirs. On distinguera, sans doute, les délits civils, c’est-à-dire contre l’administration, des délits militaires ; ceux-ci sont fort graves, surtout quand ils sont un manque de subordination, et je conçois que, vu leur importance et leur rareté, ils doivent être jugés par un conseil de guerre. Si les autres peuvent être plus fréquents, ils sont aussi moins graves : faudra-t-il toujours demander son avis à un conseil d’administration? et le secrétaire d’Etat ne devra-t-il pas avoir la police intérieure sur tous les officiers civils qui sont, à proprement parler, membres du corps dont il est le chef? Ce n'est point assez de décerner des peines contre les délits: il faut aussi fixer les récompenses, et cette détermination n’est peut-être pas trop aisée. Heureuse jeunesse ! vous entrez dans le monde sous les auspices les plus favorables, je vous en félicite. Tous vos pas seront marqués par la loi dans la carrière que vous embrasserez, vous n’avez pas eu la peine de conquérir la liberté, vous n’aurez que celle de la conserver. Vous ne ramperez point sous l’empire d’un ministre ignorant et altier ; remplissez bien vos devoirs, vous en aurez la récompense sans être obligé de la solliciter dans l’antichambre de ce ministre ou d’un autre personnage moins élevé en dignité, mais tout aussi important ; soyez citoyen, servez bien la patrie, vous n’aurez pas à jouer le triste rôle de solliciteur ; les grâces viendront au devant de vous; est-il un sort plus agréable? Dans votre jeunesse vous n’essuierez pas d’injustice, ou ne vous promettra pas une grâce sans vous la donner, on n’en éludera pas l’accomplissement. Vous n’aurez donc pas dans votre vieillesse la douleur de vous entendre dire que votre demande est surannée, qu’il y a prescription, réponse digne de ministres façonnés par le dispotisme et élevés par lui aux postes qu’ils occupent. Peut-il jamais avoir de prescription contre une dette légitime ? on, sans doute, l'ancienneté de son titre la rend encore plus sacrée; la prescription ne peut s’exercer que contre une possession injuste qu’on ne saurait faire cesser trop tôt, mais une récompense, une décoration promise pour dédommagement d’une injustice commise envers un individu quelconque doit être accordée aussitôt qu’elle est réclamée. Puisse le Gode pénal, qu’on promet, être accompagné du tarif des récompenses ! c’est le plus beau présent que les législateurs puissent faire, dans leur sagesse, à la marine. 3° ANNEXE. Idées présentées au comité militaire, par M. Em-mery, l'un de ses membres. Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale (1). C’est pour la guerre qu’on a besoin d’une armée, il faut donc créer l’armée uniquement en vue de la guerre. Les militaires estiment que ni 140 ni 150,000 hommes ne suffiraient en temps de guerre ; ils pensent qu’il en faudrait au moins 200,000, c’est donc une armée de 200,000 hommes au moins qu’il est nécessaire de créer. Si l’on tenait constamment sous les armes deux cent mille hommes au moins, on ferait une dépense excessive et ruineuse pour l’Etat. Si l’on ne tenait pas constamment sous les armes un grand nombre d’hommes, on n’aurait pour la guerre ni soldats exercés, ni officiers instruits. Il faut donc avoir, même pendant la paix, des troupes constamment sous les armes ; mais leur nombre doit être exactement proportionné au besoin de l’instruction. Les corps actifs et continuellement exercés pendant la paix doivent être à la fois le séminaire de l’armée, et des cadres préparés pour recevoir au moment de la guerre une grande partie des soldats qui ne sont pas habituellement sous les armes. Nous avons à notre solde 10 à 11,000 fantassins suisses, et à peu près autant de fantassins allemands, irlandais et liégeois. Les Suisses sont à conserver, par beaucoup de considérations , seulement on doit chercher à rendre les conditions de leur traité moins onéreuses à l’Etat, ce qui n’est peut-être pas extrêmement difficile. Il convient aussi de conserver 5 à 6,000 étrangers, pour recevoir à la guerre les déserteurs ennemis, qu’il n’est plus possible d’admettre dans les corps nationaux. Si nous conservons à notre solde 10 à 11,000 Suisses, 5 à 6,000 étrangers, nous n’avons plus besoin de lever chez nous que 184,000 hommes, pour avoir une armée forte de 200 ,000. L’infanterie doit être plus nombreuse que la cavalerie, et celle-ci plus nombreuse encore que l’artillerie. La première chose à faire est d’établir la juste proportion entre ces trois armes, et de l’établir en vue de la guerre, sur une masse de 200,000 hommes. Cette masse étant fixée, on connaîtra combien, dans 184,000 nationaux, nous devons avoir.de fantassins, d’hommes de cheval et de soldats d’artillerie. Il s’agira de déterminer ensuite combien, dans chacune de ces trois armes, on tiendra d’hommes constamment en activité, en observant qu’il en faut moins dans l’arme qui exige le moins d’instruction, qu’il en faut davantage dans les armes où 1 instrucion est plus difficile et plus longue. G’est aux militaires à prononcer, je leur présente deux problèmes à résoudre. (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur , 494 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juin 1790. J 1° Sur 200,000 hommes, combien aura-t-on d’infanterie, de cavalerie et d’artillerie ? 2- Combien, dans chaque arme, tiendra-t-on d’hommes constamment en activité, pour remplir l’objet de l’instruction ? Je dirai sur cela mon idée tout entière, en avertissant que jeta subordonne à la détermination précise des gens de l’art. Sur 200,000 hommes, supposons qu’il en falle environ 150,000 pour l’infanterie, de 36 à 40 pour la cavalerie, et 10,000 pour l’artillerie. J’estime que les quatre cinquièmes des hommes d’artillerie et les deux tiers des hommes de cheval devraient être constamment en activité, mais que ce serait assez du tiers de l’infanterie, ou de la moitié au plus. Ainsi l’armée active serait composée, pendant la paix : de 8,000 hommes d’artillerie, de 24,000 de cavalerie, de 68,000 d’infanterie. En tout de 100,000 hommes. Des 68,000 hommes d’infanterie, il y aurait à déduire 16,000 Suisses ou autres étrangers. Il resterait 52,000 nationaux. La réserve serait donc : de 2,U00 hommes pourl’artil. de 12,000 pour la cavalerie, de 86,000 pour l’infanterie. En tout de . . . 100,000 hommes. La maison du roi augmenterait la masse des troupes actives, sans augmentation de dépense pour le département de la guerre, parce que celle de la maison du roi se prend sur la liste civile. Il y a d’assez grands dangers pour la liberté, à tenir 100,000 hommes constamment sous les armes, sans qu’il faille augmenter ce nombre lorsqu’il n’y a pas de nécessité absolue. Il n’y a plus besoin d’avoir autant de troupes en activité pendant la paix, puisque le service sera moins considérable et moins fatiguant; vous supprimerez beaucoup de places, et dans celles qui seront conservées, les garnisons n’auront plus à garder les récoltes de l’état-major, et ne seront plus chargées de la police intérieure. Le surcroît de dépense à faire pour tenir sous les armes au delà de 100,000 hommes, ne pourrait donc être justifié que par la nécessité d’assurer l’instruction de 100,000; mais je propose un moyen d’éviter ce surcroît de dépense, et de rendre néanmoins les auxiliaires parfaitement propres au service, dès que la guerre mettra dans le cas de les rassembler. Des hommes qui ne seraient reçus à s’engager en qualité d’auxiliaires qu’après avoir servi six ans dans l’armée active, et qui, tous les ans, répéteraient, pendant un mois, les leçons que ce long noviciat leur aurait rendues très familières, vaudraient à peu près autant que les autres troupes, et seraient bientôt en état de manœuvrer à côté d’elles, lorsqu’il y aurait nécessité de les réunir. Tout le monde en est convenu. J’exigerais donc des auxiliaires qu’ils eussent servi six ans dans un corps actif ; celui-là seul qui en sortirait avec un congé honorable, serait admis à contracter un nouvel engagement de six ans comme auxiliaire, il n’aurait alors d’autres obligations que celle d’un mois de service, par année, pendant la paix, et celle de marcher en cas de guerre. Il serait libre à l’auxiliaire de rentrer dans un corps actif quand il le jugerait à propos, ou de contracter successivement de nouveaux engagements en qualité d’auxiliaire : maître de toutes ses actions, libre comme un autre citoyen, l’auxiliaire ne serait soumis à l’autorité militaire que pendant le rassemblement. Il y aurait, dans chaque département, un quartier d’assemblée pour tous les auxiliaires domiciliés ou résidant dans l’étendue du département (1). En un mot, l’auxiliaire serait un soldat formé à la discipline, instruit, éprouvé, auquel on donnerait une plus grande liberté : on doit ce soulagement à ceux qui se destinent à suivre une carrière longue et pénible, dans le cours de laquelle il est juste de leur présenter des facilités, des encouragements de tout genre, et dont il faut marquer le terme par une bonne et honorable retraite. Un auxiliaire avec la demi-solde pendant onze mois, solde entière pendant celui de rassemblement, moitié de la masse générale pour son habillement, et un douzième de chacune des autres masses, en raison de l’activité de son service pendant un douzième de l’année, reviendrait à 96 liv. 19 sols 2 don. pour l’infanterie, et à 117 liv. 19 sols 2 den. pour la cavalerie. Un fantassin sous les armes coûte 251 liv. Un cavalier non monté revient à 285 livres, terme moyen entre la cavalerie, les dragons, les chasseurs et les hussards. Le cheval est un objet à part de 343 liv. l’un dans l’autre, Vous voyez que le rapport entre la dépense à faire pour un soldat actif et celle à faire pour un auxiliaire, esta peu près de 27 à 70 dans l’infanterie, de 27 à 67 dans la cavalerie, c’est-à-dire que l’entretien de 70 fantassins auxiliaires ne coûtera pas plus que celui de 27 fantassins actifs ; et qu’avec ce qu’il en coûte pour 27 cavaliers actifs, on en aura pour 67 auxiliaires. Ce système offre donc une grande économie d’argent, avec une augmentation considérable de force. Economie d’argent; la dépense pour 200,000 hommes serait inférieure à celle qu’on propose pour 150,000. Augmentation de force; car 150,000 hommes ne suffiraient pas au moment de la guerre, et 200,000 hommes suffiraient, 200,000 hommes façonnés à la discipline, exercés, instruits, éprouvés, tels qu’on les aurait d’après mon plan. Une armée de 150,000 hommes absorbant 84 millions, ne dispenserait pas de lever 50,000 hommes au premier signal de guerre; mais ces 50,000 recrues seraient incapables de bien servir avant un long apprentissage ; quels qu'ils fussent, leur enrôlement coûterait beaucoup ; leur habillement, leur équipement feraient un nouvel objet de dépense; et prenez garde que celles qui se font au moment de la guerre sont toujours plus grevantes. Il n’est pas question de dire qu’on évitera les frais d’enrôlement par un tirage de milice ; on n’en veut plus ; le peuple ne s’y soumettra jamais. L’Assemblée nationale, en (1) Au moyeu de la distribution des troupes à cheval dans l’intérieur du royaume, il serait possible, sans occasionner de longs voyages aux auxiliaires de cette armée, de les rassembler auprès d’un corps de cavalerie, et sans augmenter sensiblement la dépense, on pourrait prolonger un peu la durée de leur rassemblement. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juin 1790.] 495 ordonnan t la recherche des moyens par lesquels on pourrait augmenter l’armée pendant la guerre, a imposé pour condition expresse la suppression du tirage de la. milice. Quand il serait permis de recourir à cet odieux moyen, il y aurait de l’inhumanité à ne pas le rendre inutile par l’adoption d’un plan qui, n’offrît-il que cet unique avantage, serait encore très précieux. On dira qu’avec 150,000 hommes sous les armes, on peut avoir 50,000 auxiliaires; mais je prie qu’on ne perde pas de vue que 150,000 hommes sous les armes absorberont les 84 millions destinés à la guerre et vraisemblablement les dépasse-ron t ; il faudra donc un nouveau fonds pour l’entretien de 50,000 auxiliaires. Vous pouvez tout ce qui est bon, utile, nécessaire, vous le pouvez avec moins de 84 millions ; ils suffiront et au delà pour entretenir 200,000 hommes prêts à marcher au premier signal. Pourquoi consacreriez-vous au même objet une somme plus forte, sans autre avantage que celui d’avoir constamment sous les armes 50,000 hommes de plus pour menacer davantage notre liberté ? On doit employer, dans l’armée active, plus d’officiers que n’en exige le nombre de soldats de cette armée; car il faut toujours voir le moment de la guerre, où l’on sera dans le cas : 1° d’augmenter les compagnies, par l’incorporation d’une grande partie des auxiliaires; 2° de former quelques nouveaux corps du surplus des auxiliaires qui ne seront pas incorporés. C'est encore aux gens de l’art à fixer, sous ce point de vue, le nombre des officiers à employer. Les sous-lieutenants feraient, dans ce grade, leur noviciat, leur apprentissage du commandement ; ils resteraient à leur corps ; iis n’auraient que des congés de grâce peu fréquents et pour un temps très court ; les sous-lieutenants sont de très jeunes gens qu’aucuns soins essentiels n’appellent chez eux. Les lieutenants et les capiaines, plus avancés en âge, ont, pour la plupart, des propriétés, des affaires domestiques, il est juste qu’ils puissent s’en occuper utilement, et qu’on leur donne la faculté de présider quelquefois à leurs récoltes , de suivre leurs affaires dans tous les mois de l'année; comme ils auraient acquis une longue habitude de leur métier, il n’y aurait pas d’iDcon-vénient à permettre que le capitaine et le lieutenant pussent prendre alternativement un congé d’un an. L’année de congé ne serait pas perdue pour l’instruction de l’officier qui en jouirait, il serait obligé de se trouver au rassemblement des auxiliaires de son département ; les officiers en congé les exerceraient, les commanderaient pendant un mois, sous les ordres de celui d’entre eux que son grade et son ancienneté appelleraient à remplir les fonctions de chef. J’augmenterais les appointements des capitaines et des lieutenants ; mais lorsqu’ils prendraient leur congé, ils ne toucheraient que les treize vingt-quatrièmes de leur traitement ; c’est-à-dire que le mois de rassemblement serait payé plein, et que les onze autres ne le serait qu’à moitié; l’officier, quand il est chez lui, a infiniment moins de dépense à faire que lorsqu’il est à son corps. Un capitaine d’infanterie de lre classe a maintenant 2,400 1., je lui en donnerais 3,000 1., pour l’année qu’il passerait au régiment, et 1,625 1. pour celle qu’il passerait chez lui. Au fond ce traitement serait plus avantageux à l’officier et coûterait moins au Trésor public, puisque l’année commune ne reviendrait qu’à 2,312 livres 10 s. On aurait de la sorte tout ce qu’il faut d’officiers pour la guerre, sans surcharge pendant la paix, et sans rien ôter à l’instruction. Ici je m’arrête. Oq me demande comment je me procurerai deux cent mille hommes, si j’attends, pour les enrôler, leur détermination volontaire, et par quels moyens je parviendrai à faire naître et à fixer leur vocation. Je sens bien qu’avant d’aller plus loin je dois répondre à cette importante question. Dans un royaume tel que la France, on ne manquera jamais de soldats, lorsqu’ils seront assurés d’être traités comme des hommes et des Français doivent l'être; lorsque la discipline ne sera ni minutieuse , ni avilissante , ni cruelle ; lorsqu’on aura plus d’égards qu’on n’en a eu , depuis trente ans , à l’esprit et au caractère de la nation ; lorsqu’on sera fermement persuadé que le soldat n’est pas moins sensible à l’honneur que l’officier, et qu’on peut employer aussi efficacement ce ressort sur l’un que sur l’autre ; lorsque nos troupes ne seront plus fatiguées , accablées, tourmentées par l’instabilité des lois qui les régissent, par l’inutilité de leçons qu’elles doivent oublier aussitôt qu’elles les ont apprises, et par ces fastueuses parades où j’ai vu le caprice et la vanité des chefs se jouer si cruellement des forces et de la santé des hommes, pour honorer l’apparition d’un voyageur, souvent pour satisfaire la curiosité d’une femme. Nous aurons plus de soldats que nous ne pourrons en admettre, lorsque dans leurs relations avec eux, les chefs n’affecteront plus, au mépris de la raison et de la loi, le ton, le geste, l'expression d’un maître qui commande à ses esclaves; mais qu’ils annonceront parleurs discours et leur conduite qu’ils se regardent comme les compagnons, les protecteurs, les pères de ceux auxquels ils ont l’honneur de commander au nom de la patrie. On parle, sans cesse, de la’nêcessité de l’instruction pour les officiers. Oui, sans doute, il faut les instruire, non seulement dans l’art des évolutions et des manœuvres, ce qui suffirait, si elles s’exécutaient par des machines, mais dans l’art de gouverner les hommes qu’ils sont chargés de conduire, et qu’ils doivent rendre aussi heureux que leur situation le permet. Que les officiers connaissent toute l’étendue de leurs obligations à cet égard; qu’ils les mettent au rang de leurs premiers devoirs ; qu’ils les pratiquent avec bonté ; qu’ils n’imaginent pas être quittes envers l’humanité, pour avoir strictement, sèchement accompli la lettre des ordonnances ; les sujets de mécontentements, de souffrances, de dépit, de désespoir, seront plus rares parmi les soldats ; ils auront plus de motifs d’attachement à leur état, ils sera sûrement plus recherché. Désormais, le soldat sera mieux payé, mieux nourri, et probablement mieux vêtu. Rien ne lui manquera, ni en santé, ni en maladie ; ses besoins physiques satisfaits, ses forces appréciées et sagement ménagées, il reste encore beaucoup à faire pour lui. Portez une grande attention sur son moral ; faites en sorte qu’il ne soit ni chagriné, sans raison , ni humilié sans nécessité : qu’au contraire, on le traite avec douceur, et qu’on lui marque de l’intérêt et des égards; qu’on ne dissimule pas ses fautes, mais qu’on remarque aussi le bien qu’il fait; qu’il n’éprouve aucune injustice, ou du moins qu’on ne lui en refuse pas la 496 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juin 1790.] réparation, ce serait l’infaillible moyen de rendre la subordination odieuse , insupportable. La maxime que les chefs n’ont jamais tort n’est pas seulement fausse, elle est pernicieuse ; ses effets sont lents, mais certains et toujours funestes. Si vous laissez au soldat toute la portion de sa liberté, dont le sacrifice n’est pas nécessaire au bien du service, si vous ne souffrez pas dans les corps d’hommes tarés, dont l’association avilit l’homme d’honneur, si les caporaux et sergents cassés ne rentrent pas dans les rangs, et que leur punition ne dégénère pas en outrage cruel pour le soldat ; si vous placez sur sa route des récompenses honorables et pécuniaires ; si vous offrez celles-ci aux moins intelligents ; si vous donnez à ceux qui le sont davantage la certitude d’arriver aux places de sous-officiers, et qu’un certain nombre d’emplois, réservés aux plus dignes, leur ouvre la porte aux plus grands honneurs de l’armée, vous aurez bientôt des soldats à choisir; et si vous établissez un tel ordre de choses qu’il soit possible à un bon sujet, parfaitement instruit, de se retirer chez lui, en abandonnant une partie de la solde, sans que cette facilité, qui devient une première récompense, lui ôte les moyens d’en obtenir une plus grande, sans qu’elle lui fasse perdre aucun des avantages qui l’attendent à la fin de sa carrière, et qui doivent être exactement proportionnés à la nature et à la durée de ses services, je le demande : comment manqueriez-vous de soldats? à présent surtout que les cloîtres sont fermés ; que les séminaires et les études des gens de pratique seront bien moins peuplés ; à présent qu’on supprime tant de ministres de la justice-, qu’on réforme tant de commis, d’écrivains, d’employés de toute espèce; à présent que la Constitution a rendu soldats tous les citoyens, que les exercices militaires vont entrer dans l’éducation nationale, comme un moyen de liberté, et que, jusqu’à nos jeux civiques, périodiquement célébrés avec tout l’appareil et la pompe militaire, vont contribuer si puissamment à entretenir, à développer les inclinations guerrières d’une jeunesse naturellement ardente et remplie de courage. J’avoue que, si les changements qu’on va faire dans l’armée se réduisaient à déterminer le nombre des régiments, des bataillons, des escadrons et des compagnies, celui des officiers, sous-officiers et soldats, les dispositions qu’on adopterait, à cet égard, fussent-elles excellentes en elles-mêmes, ne rempliraient ni mon objet, ni, je crois, l’attente générale, et ne faciliteraient pas non plus le recrutement de l’armée. Mais je m’imagine qu’on s’élèvera à de plus hautes conceptions. L’attention due à ce que j’appelle l’organisation mécanique de l’armée ne détournera pas de celle qu’on doit essentiellement à la partie morale. ' Dans cette régénération, dont la France entière attend son bonheur, celle de l’armée ne restera pas incomplète. Les soldats qui la composent nous intéressent à plus d’un titre ; ils sont nos concitoyens, nos frères. Us sont de plus nos défenseurs. Toujours entraînés par d’anciens pré-• jugés, parde vieilles habitudes, ne distinguerions-nous encore cette fois que les chefs et les officiers? La masse de l’armée disparaîtrait-elle à nos yeux, derrière ceux qui la commandent et qui la conduisent : le mérite de ceux-ci, la considération de leurs services nous ferait-elle oublier les instruments de leurs succès et de leur gloire? Ou croirions-nous avoir assez fait pour le soldat, parce que nous avons commencé à réparer la longue et cruelle injustice qu’on lui avait fait éprouver sur la fixation de la solde ? Il est impossible de s’arrêter à ces pensées. Puisque vous voulez une bonne armée, vous voudrez de bons soldats et vous vous occuperez beaucoup des moyens qui peuvent sûrement vous en procurer de tels. Ceux qui manœuvrent avec une inconcevable précision, sous le bâton et la verge de fer, peuvent être d’admirables automates, mais ne sont pas précisément de bons soldats : nous voulons des hommes courageux, forts, pa-tiens, sobres, obéissants, fidèles, affectionnés; des hommes qui, avec ces qualités, aiment leur état, et qui en soient fiers. Or, on ne peut être fiers que d’un état qui honore celui qui en fait profession. On ne peut aimer que l’état où l’on trouve de justes compensations, sinon des dangers auxquels il expose, au moins des peines et des fatigues dont il est nécessairement accompagné. Je le comprends à merveille ; sous l’ancien régime, il eût été impossible de réunir par le moyen des enrôlements volontaires deux cent mille hommes d’une bonne espèce : la condition du soldat était alors si déplorable, qu’on était réduit à faire ressource des déserteurs étrangers, à ouvrir un asile dans les régiments à la jeunesse indocile, qui fuyait le couroux mérité de ses parents, à employer mille moyens de séduction pour se procurer des recrues ; on était persuadé qu’une disciplineexcessivement rigoureuse pouvait seule contenir de semblables soldats; elle produisait réellement cet effet sur quelques-uns, mais ce frein toujours impuissant pour les très mauvais sujets, devenait un supplice pour les bons. Ceux-là secouaient le joug, les autres le supportaient avec une secrète horreur, en attendant qu’il leur fût possible de s’en affranchir. A combien d’honnêtes soldats n’ai-je pas entendu dire qu’ils eussent mieux aimé mendier leur pain que de renouveler leur engagement? On enveloppait le soldat de tous les liens par lesquels on retient l’enfance; on le chargeait de toutes les chaînes dont on accable l’esclave. Les devoirs de son état pesaient encore moins sur lui que ses obligations étrangères au service; il ne pouvait aller, venir, s’asseoir, manger, se coucher, sans éprouver le tourment de la contrainte. Le temps est arrivé de renoncer à cette méthode; profitez de tous les avantages que vous donnent et le nouvel état de choses qui s’établit, et les progrès des lumières, et la destruction des préjugés et le développement de l’esprit public, pour recomposer l’armée, pour la constituer sur de meilleurs principes, plus analogues à la nature de l’homme et au caractère particulier du français. Faites du métier de soldat un état. Ren-dez-le non seulement supportable, mais bon, solide, honorable; écartez-en tout ce qui détournait de l’embrasser, tout ce qui dégoûtait de le suivre ; instituez une discipline qui n’ait pour objet que le bien immédiat du service : elle peut être très sévère sous ce rapport, sans dégrader l’homme qui s’y soumettra ; que les punitions soient proportionnées aux fautes, mais que les peines infamantes et afflictives, qui sont de véritables supplices, soient réservées pour les crimes légalement prouvés ; qu’en entrant dans sa carrière, qu’à chaque pas qu’il y fera, le soldat soit environné d’objets d’émulation, et qu’il voie le terme de ses services marqué parde tels avantages que la crainte la plus forte sur son âme, soit cette de perdre son état et d’être congédié avant [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juin 1790.] 497 l’époque fixée pour la retraite: alors les citoyens ne verront plus dans l’armée, vers laquelle uu penchant naturel attire notre jeunesse, qu’uae ressource honnête et de beaucoup préférable à la plupart de celles que nous venons de lui ôter. Alors les jeunes gens s’empresseront à demander du service, et s’estimeront heureux d’en obtenir. Les parents, loin de craindre, comme autrefois, une vocation à laquelle ils s’opposaient de toutesleurs forces, et qu’ils regardaient comme un malheur domestique, seront les premiers à destiner au métier des armes des enfants qu’ils pourront regarder comme placés, dès qu’ils seront admis dans un corps. Mon plan tient à ces conditions, et ces conditions sont elles-mêmes subordonnées aux déterminations qui seront prises sur les règles d’admission des officiers et d’avancemeut dans les grades : je sens la nécessité de donner à ceux qui se feront soldats les plus grands motifs de confiance dans leurs chefs. Tout à l’heure on exigeait des preuves de celui qui sollicitait un emploi dans l’armée, et moi aussi, je désire qu’on en fasse, mais de celles que la raison avoue et qu’elle semble même prescrire impérieusement. De quel droit ce jeune homme aspire-t-il à l’honneur de commander, sans avoir prouvé qu’il en est digne ? A défaut d’actions personnelles qu’il ne peut encore citer, à défaut de l’expérience qu'il ne peut encore avoir acquise, comment ose-t-il se produire, et comment osez-vous l’admettre, s’il ne vous fournit pas quelques motifs capables de justifier aux yeux du public et des soldats la préférence que vous allez lui donner ? La bonne éducation qu’il aura reçue doit être le premier garant de votre choix. Les bases de l’amélioration du sort des soldats ne seront jamais solidement posées que dans l’éducation des jeunes gens destinés à devenir officiers. Je ne demande pas qu’on en fasse des savants ; ils ont plus besoin d’intelligence que de science ; mais je demande que des livres élémentaires, faits exprès, mettent à leur portée les grands principes de la morale et de la justice, sur lesquels sont établis les droits de l’homme ; qu’on leur fasse connaître qu’entre le supérieur et le subordonné, la Constitution et les lois déterminent des devoirs réciproques, également sacrés de part et d’autre ; et qu’on leur apprenne de quel intérêt il sera pour eux-mêmes de remplir scrupuleusement leurs devoirs ; que les études de ces jeunes gens aient principalement pour but de développer en eux le germe des vertus civiles et sociales, comme celui des vertus militaires, et que les leçons de leurs maîtres tendent encore plus à former leur cœur que leur esprit. Je demande que tout aspirant au grade d’officier prouve, dans un examen public, qu’aux notions élémentaires des sciences, qui sont le fruit de l’éducation la plus commune, il joint la connaissance des principes qui doivent le diriger dans l’exercice du pouvoir qu’il s’agit de lui conférer, pouvoir en vertu duquel il aura tant d’influence sur le bonheur ou le malheur des nombreux individus qui passeront sous ses ordres dans une longue suite d’années. Je demande que ce premier examen ne décide ue de la possibilité de l’admission au grade 'officier; car il y a très loin de la théorie des principes à leur pratique habituelle ; que celui qui aura satisfait à l’examen, serve au moins un an comme soldat, et qu’après ce noviciat de ri-1M Série. T. XVI. gueur, il subisse, dans un conseil composé de tous les officiers du régiment, un scrutin d’épreuve qui porte singulièrement sur son caractère et sa conduite ; que s’il est jugé digne d’être fait officier, il exerce pendant trois mois les fonctions de caporal, pendant trois autres mois celles de sergent, et qu’il ne puisse entrer en possession de son emploi qu’à l’âge de 18 ans. Je prévois que ces mesures ne conviendront pas à tout le monde, et que l’intérêt personnel sera fécond en objections plus spécieuses que solides ; cela me paraît naturel ; le crédit, la faveur et l’intrigue auraient moins de prise sur les places ; elles seraient plus ordinairement dévolues au mérite. Mais osera-t-on soutenir que les emplois militaires, à la différence de tous les autres, sont institués pour l’utilité particulière de ceux auxquels on les donne, qu’il faut consulter davantage l’intérêt personnel que l’intérêt public, et qu’enfin l’armée sera moins bonne lorsque le choix des officiers sera plus épuré? Plus on aura été attentif à bien choisir les officiers, plus on aura de sujet de confiance en eux, ils seront vraisemblablement en état, à mesuré qu’ils monteront en grade, de remplir des fonctions plus importantes ; ainsi plus de prétexte aux passe-droits; le sous-lieutenant deviendrait à son tour lieutenant et successivement capitaine, sans que cet ordre pût jamais être interverti au préjudice de personne, et sous quelque prétexte que ce fût, sauf la récompense légitime due à des actions militaires d’un grand éclat ou d’une haute importance. Il est à désirer que l’on suive imperturbablement le même ordre jusqu’au grade de colonel inclusivement, se serait le plus sûr moyen de faire régner l’union et la concorde dans les régiments, et d’y entretenir cet esprit de famille qui fait, pendant la paix, le bonheur des officiers et des soldats, et qui accroît à la guerre l’énergie de leur courage et de leur dévouement pour la gloire de leurs drapeaux. Mais une objection se présente: on n’aura donc que de vieux maréchaux de camp, des lieutenants généraux encore plus vieux, et l’on ne pourra plus parvenir au commandement des armées que Lorsqu’on sera tout à fait hors d’état d’en soutenir les fatigues. Ma réponse est simple: le roi pourrait élever à son choix des capitaines au grade de lieutenants colonels, et des lieutenants colonels au grade de colonel. Ces officiers, choisis hors ligne, entreraient dans l’état-major de l’armée, qui serait composé d’autant d’officiers supérieurs que d’officiers généraux. Ceux-ci auraient chacun leur adjudant, il y aurait autant de colonels-adjudants que de lieutenants généraux, autant de lieutenants-colonels-adjudants que de maréchaux de camp. L’adjudant apprendrait son métier sous les ordres du général auquel il serait attaché. S’il ne s’agit que d’offrir un objet d’émulation aux talents, de récompenser un mérite rare, et de ne point ralentir la marche rapide de l’homme de génie, on trouvera, dans la sage dispensation des places d’adjudants, tout ce qu’il faut de moyens pour atteindre au but de leur création. Les colonels-adjudants rouleraient avec les colonels des régiments, pour la promotion au grade de maréchal de camp, au delà duquel il me paraîtrait convenable que tout fût laissé au choix du chef suprême de l’armée. Ainsi Tonne courrait pas les risques de manquer de généraux, ou de n’âvoir pour généraux que des vieillards incapables de supporter les fatigues 32 498 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juin 1790.] du commandement; mais on ne verrait plus à la tête des régiments que des gens sages et expérimentés, d’autant plus capables de les bien conduire, qu’ils les connaîtraient mieux. L’autorité du grade serait alors soutenue par tout ce qui peut la rendre respectable et imposante, l’âge et les services; alors la subordination, aussi nécessaire et plus difficile à maintenir parmi les officiers que parmi les soldats, régnerait avec cette douceur et cette supériorité d’empire qui caractérisent les lois de la nature. A la tête d’un corps d’officiers qu’il aurait, pour ainsi dire, vu naître, environné de vieux soldats, ses plus anciens compagnons d’armes, un colonel offrirait vraiment l’image d’un père: ses conseils, ses leçons, ses réprimandes, plus docilement écoutées, mieux reçues, humilieraient moins, produiraient plus d’effet et le dispenseraient souvent de la nécessité de recourir aux punitions. Lui résisterait-on lorsqu’il parlerait de la gloire du régiment et des moyens de la conserver et de l’augmenter ? Comme il exalterait les âmes! comme il échaufferait les courages, lorsqu’il rappellerait les actions passées, et qu’en l’écoutant on croirait encore entendre et voir tous ceux dont il lierait l’honorable souvenir à l’existence actuelle du corps. J’en suis convaincu ; le froid égoïsme, plus dangereux dans l’armée que partout ailleurs, et qui peut-être y règne davantage depuis trente ans, ne sera jamais détruit que par ce moyen ; il resserre, il affermit les véritables et solides liens qui doivent unir les soldats aux chefs et les chefs entre eux; lui seul peut rapprocher leurs intérêts, et rendre leur honneur solidaire, prévenir les écarts de l’ambition, les intrigues qu’elle occasionne, les injustices qu’elle produit et les désordres qu’elle entraîne. Tels ont été les effets inévitables de ces intrusions, qui, en altérant les principes des corps en ont changé l’esprit, en ont banni la confiance et y ont introduit la jalousie, la délation, les haines affreuses; les soldats en ont été les victimes, et sans que cela paraisse évidentà des yeux inattentifs, ils le seront toujours de ce vice capital, tant qu’il subsistera, parce qu’il est impossible que le mécontentement, l’humeur des officiers ne rejaillissent pas sur leurs subordonnés d’une manière plus ou moins sensible. Ce serait, je crois, une très bonne idée et dont vous ne m’avez pas paru vous éloigner, lorsque je la proposai une première fois, que celle d’établir les appointements et les retraites des officiers généraux, supérieurs et autres, ainsi que ceux des sous-officiers sur une échelle de proportion, dont la solde et la retraite du soldat seraient les bases; vous donneriez un grand motif de confiance aux plus faibles, en liant de la sorte leurs intérêts à ceux des plus forts ; vous préviendriez les augmentations, les diminutions arbitraires, injustes, toujours sollicitées, souvent arrachées par le crédit et ia faveur. Mais surtout il me paraît indispensable, pour avoir désormais une armée bien composée, pour mettre à profit toutes nos ressources en ce genre, de laisser aux capitaines le recrutement de leurs compagnies. Je ne dis pas propriété, car des hommes ne peuvent pas devenir la propriété d’un autre homme; mais je dis le droit de choisir ceux qui voudront s’attacher à eux; le soin de veiller spécialement à leur bien-être, et la liberté de choisir les agents immédiats de leur autorité dans la compagnie : je regarde cette mesure comme la plus importante de toutes, parce qu’elle aura l’influence ia plus grande et la plus directe sur la facilité du recrutement; je crains que, sans elle, vous n’ayez que des serfs et point de soldats. Aujourd’hui des recrues arrivent au régiment, on les distribue dans les sections dont il est composé, chacune porte le nom d’un capitaine, mais ce n’est presque que sous ce rapport, qu’on peut l’appeler sa compagnie. S’il en est établi le surveillant, comme les autres officiers et sous-officiers, il n’a pas plus qu’eux d’intérêt personnel à cette surveillance ; qu’importe au capitaine qu’un homme soit mécontent ou malade, qu’il déserte ou qu’il meure : cet homme lui est étranger, indifférent, il ne connaît ni son individu, ni son pays, ni sa famille ; c’est une pièce de la machine dont il est chargé de diriger les mouvements ; si cette pièce manque, on y en substituera une autre; cela lui est égal. Le capitaine peut, à la vérité, reprendre, punir, tourmenter un soldat, mais non pas lui faire le plus petit bien : cet heureux pouvoir lui est ôté, et ce n’est pas que personne soit jaloux de ce pouvoir, c’est parce qu’il est indifférent à tout le monde. Le capitaine n’est pas même le maître d’éviter à sa compagnie quantité de désagréments intérieurs ; car n’ayant pas la nomination des officiers subalternes, les colonels ayant la principale parta leur choix, il arrive que ces officiers subalternes, plus rapprochés du soldat, vivant avec lui, épient sans cesse ses actions, trouvent dans ses démarches les plus indifférentes mille prétextes de le vexer, et s’en saisissent avec d’autant plus d’empressement qu’ils font par là preuve d’exactitude et de zèle, et qu’il leur est beaucoup plus avantageux de se faire valoir par ce moyen auprès d’un colonel qui peut tout, que de seconder avec moins d’éclat les bonnes intentions d’un capitaine qui ne peut rien. Tant que le régime subsistera, n’en doutons point, les enrôlements seront, pour la plupart, beaucoup moins l’effet de la volonté que de la séduction. Croyez-vous qu’on ne sache pas dans nos villes et dans nos campagnes qu’au jourd’hui l’officier qui engage n’est pas le maître de faire respecter ia première condition de l’engagement, et que, tel qui s’était déterminé par l’espoir de servir sous tel capitaine, avec tel officier, non seulement n’est pas entré dans la compagnie, mais même a été cédé à un autre régiment ; croyez-vous qu’il soit égal à celui qui s’enrôle de rester sous les ordres du chef qu’il connaissait et qu’il s’était choisi ou de passer sous le commandement d’un autre, comme un esclave revendu par son premier maître; croyez-vous même qu’on trouve une si grande différence entre l’esclave et le soldat, quand on voit que vous estampillez l’un et l’autre, et qu’on aperçoit sur la poitrine du soldat de recrue cette marque que vous l’obligez à porter, pour avertir que ce n’est pas un homme sûr, et qu’il faut le resserrer et l’observer de plus près; croyez-vous que ces ignominieuses précautions ne deviennent pas plus nécessaires par l’usage que vous en faites, et qui n’est propre qu’à écarter, à dégoûter, à repousser les bons sujets ? Croyez-vous que né honnête, aimant le métier des armes, le considérant comme une ressource honorable dans ma pauvreté, je n’ai pas pour m’engager un motif de plus, lorsque je trouve un capitaine de ma ville, de mon village, qui connaît ma famille, dont ma famille est connue, qui aura mille raisons de me bien traiter, qui pourra m’avancer, me distinguer si je mérite de l’être, et qui, s’il est dur ou injuste envers moi, se perdra de réputation dans son canton et se privera lui-même de sa première et [Assemblée natioHale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juin 1790.] 499 plus grande ressource, pour le recrutement de sa compagnie? Donnez-le donc aux capitaines, ren-dez-leur la principale direction de leurs compagnies, mettez sous la sauvegarde de leur intérêt personnel Je soin des hommes qu’ils commandent ; et, puisque l’obéissance passive est de l’essence du militaire, placez, du moins, à côté du despote, le plus puissant modérateur qu’il soit possible de donner à ses volontés et à ses actions. Je n’ai pas le dessein de faire d’une compagnie une entreprise, ni d’un capitaine un homme de finance. Je ne veux pas qu’il ait rien à gagner, rien à perdre sur l’administration de la troupe; mais je désire qu’il trouve dans sa bonne et sage administration un nouveau moyen d’assurer le recrutement dont je le charge, et dont les soldats lui rendront les soins plus faciles, s’il s’occupe sérieusement de leur bien-être. Je pense que, désormais, il faut bien se garder de payer un homme qui s’enrôle. Il faut lui présenter une perspective utile, honorable, et lui garantir cette juste récompense de ses travaux; mais il faut qu’avant de l’obtenir il en ait mérité le prix. N’achetez donc pas son dévouement au service de la patrie, il serait trop suspect ; ne traitez point un brave soldat comme un vil mercenaire, et n’assimilez pas le plus respectable des engagements au plus honteux des trafics. Laissez à celui qui s’est enrôlé la liberté de se retirer dans les trois premiers mois, en remboursant au corps ce qu’il lui aura coûté jusqu’à sa sortie, et en payant de plus 60 liv. au profit de la masse des retraites ; il n’est pas mal que la légèreté, l’inconstance de la jeunesse soient rendues, en quelque sorte, tributaires de la longanimité et de la persévérance des vétérans. Que trois mois après son entrée dans le corps, un soldat ne puisse plus se retirer qu’à deux conditions : la première, de payer au corps ce qu’il lui aura coûté pendant les trois premiers mois, et 60 liv. au delà au profit de la masse des retraites ; la seconde, de mettre à sa place un auxiliaire qui consente à achever le temps de son service. L’homme qui quitte les drapeaux avant terme, sans avoir obtenu de congé, doit être averti de rejoindre, par trois sommations juridiques, faites de mois en mois, selon les formes qui seront prescrites. S’il rejoint dans le délai des sommations, il ne sera puni que pour avoir manqué à la discipline, et la peine qu’on lui imposera ne pourra être ni afflictive ni infamante; mais s’il ne rejoint pas dans le temps marqué, il sera déclaré incapable de remplir aucune fonction ecclésiastique, civile et militaire, déchu pour jamais de la qualité de citoyen actif, indigne de porter le nom de Français. Le jugement à intervenir contre lui le déclarera simplement déserteur sans prononcer rien de plus, pour que, désormais, ce nom devienne l’équivalent de celui d’infâme, qu’il excite une plus grande horreur, et qu’il réveille lui seul toutes les idées qu’on arrache à ce dernier mot. C’est une excellente mesure que celle adoptée par l’article 7 du décret du 28 février, qui assure au soldat, après seize ans de service sans interruption et sans reproche, la plénitude des droits de citoyen actif, en le dispensant des conditions relatives à la propriété et à la contribution. Cette mesure produira d’autant plus d’effet que vous réduirez à six ans la durée des engagements ; car alors le soldat qui aura servi douze ans sera vraisemblablement déterminé à un troisième engagement de six années, pour atteindre, au milieu de cette troisième course, la récompense qui lui est offerte ; et lorsqu’un soldat a rempli trois engagements, il est bien plus disposé à en contracter un quatrième, et à pousser sa carrière aussi loin qu’elle peut s’étendre. On est dans l’intention de réserver aux sous-officiers le cinquième des emplois qui viendront à vaquer : c’est encore un très honorable et très puissant motif d’encouragement, très capable de retenir sous les drapeaux les meilleurs sujets, et de leur faire ambitionner les places de sous-officiers. Iis travailleront avec d’autantplus d’ardeur à les mériter, qu’elles seront un degré nécessaire pour monter à de plus grands honneurs, et que désormais rien ne pourra plus faire obstacle à l’avancement du brave soldat que son mérite aura élevé au grade d’officier. La plaque ou le signe quelconque dont sera décoré le soldat vétéran doit être compté parmi les moyens d’émulation les plus efficaces. Mais il faut pour cela qu’elle soit honorée comme elle doit l’être, beaucoup plus qu’elle ne l’a été jusqu’ici. Je voudrais qu’on ne l’obtînt qu’après cinq engagements faits, et à la charge, par ceux qui seraient encore en état de servir, d’en contracter un sixième. La plaque attesterait donc trente ans honorablement consacrés à la défense de l’Etat; elle attesterait de plus la sainte résolution d'y consacrer le reste de ses forces. Je voudrais que les généraux et les officiers en fussent décorés comme le soldat, et aux mêmes conditions, sans quoi elle n’aurait plus le même attrait, ou plutôt elle n’en n’aurait aucun pour les hommes qui ont quelque élévation d’âme; elle ne serait plus à leurs yeux qu’un symbole d’inégalité : loin de pouvoir remplir l’objet qu’on se propose ici, elle ne ferait que le contrarier. L’article des récompenses pécuniaires est d’une grande importance. On doit les considérer d’abord comme un encouragement dû à ceux qui ne peuvent pas en obtenir d’une autre espèce, et ensuite comme un moyen de repos qu’il est juste d’assurer à tous ceux qui sont arrivés au terme d’une carrière si longue et si périlleuse. Tout soldat n’est pas propre à devenir officier, ni même sous-officier, il n’en est ni moins brave ni moins affectionné; mais la nature ne l’a pas doué des qualités qu’exige la surveillance confiée aux sous-officiers. Si un homme est grand et sage, il peut obtenir une haute paye en entrant dans les grenadiers, mais s’il n’est que sage, il n’a rien à prétendre de sa persévérence, avant l’époque très éloignée de sa retraite. C’est un grand inconvénient auquel on rémédierait en donnant un haute paye de 3 deniers par jour à ceux qui en contracteraient un second engagement dans l’armée active, de 6 deniers à ceux qui en contracteraient un troisième, de 9 deniers à ceux qui passeraient au quatrième, et d’un sol à ceux qui iraient jusqu’au cinquième engagement. La dépense quecela occasionnerait, restreinte à l’armée active, ne s’élèverait de longtemps à 500,000 livres par année, et ne pourrait jamais excéder un million. Les économies résultant du système de l’armée auxiliaire rendraient cette dépense insensible ; elle serait couverte par les frais d’enrôlement et de rengagement que je supprime, et par ceux qu’entraînent aujourd’hui la poursuite, le jugement et la punition des déserteurs. A l’égard des soldats auxiliaires, ce n’est point par des hautes payes qu’on doit les attacher à leur état ; il y a d’autres moyens. Il faut réserver à ceux qui auront fait deux engagements en cette qualité les places de la maréchaussée ou 500 [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juin 1790.] de la garde prévôtale à pied et à cheval, celles de gardes des forêts nationales ; celles de gardes des frontières, pour le maintien des droits de traite; en unmot, toutes les places de caserniers, éclusiers gardes-magasins, et autres de cette espèce, qui seront dans le cas d’être conservées ou établies dans les villes de guerre. Il est vrai que la plupart de ces places devant être remplies pendant la guerre, les auxiliaires qui les auront obtenues n’iront pas; mais remarquez que ce sera toujours un grand moyen d’attirer des auxiliaires, quand il faudra l’avoir été au moins douze ans, et par conséquent en avoir servi dix-huit pour être susceptible de ces places; elles deviendront ainsi la retraite de quantité d’anciens soldats avant qu’ils aient acquis la vétérance, et ce seront des frais de moins pour l’Etat. Après cinq engagements, dont un seul aurait été fait nécessairement dans l’armée active, et les quatre autres auraient pu l’être indifféremment soit dans l’armée active, soit dans l’armée auxiliaire, le soldat qui se retirerait aurait, proportionnellement à la nature de ses services, 10 sols par jour, s’il avait rempli ses cinq engagements dans l’armée active ; 9 sols, s’il n’y en avait rempli que quatre; 8 sols, s’il n’y en avait rempli que trois; 7 sols, s'il n’y en avait rempli que deux, et 6 sols, s’il n’y avait fait que son noviciat ; chaque campagne de guerre ajouterait 6 den. par jour à cette retraite. Quoique le moment d’en jouir fût arrivé après cinq engagements successifs, toutefois ce ne serait pas encore là le dernier terme des récompenses militaires. Le vétéran qui contracterait un sixième engagement recevrait la plaque au moment même ; et après ce sixième engagement fait, il aurait, outre un habillement complet, qui lui serait fourni comme aux troupes actives, une pension proportionnée à la somme de sa retraite, et qui l’augmenterait de moitié en sus : je veux dire que si sa retraite était de 10 sols par jour, elle serait portée à 15 sols. Le ministre a, m’a-t-on dit, un plan d’après lequel il s’est assuré de pouvoir donner cent écus de retraite à un soldat qui se retirerait après 32 ans de service. Il serait très aisé d’accommoder ce plan au système que je propose ; la masse de la dépense n’en serait pas augmentée ; au contraire, elle en deviendrait un peu moins considérable ; mais elle serait distribuée avec plus d’avantage pour l’Etat. Quantité de vétérans qui n’ont pas de famille, ni de propriété, pourraient former plusieurs compagnies sédentaires préposées à la garde des forts et châteaux, comme le sont maintenant les compagnies détachées d’invalides ; il serait très convenable, très utile d’en placer dans les grandes arnisons, pour y servir à la fois d’exemple et 'encouragement aux soldats. Toutes les compagnies détachées d’invalides rentreraient dans le corps des vétérans qui serait établi à leur place et en feraient le premier fonds : ceux-ci, sans éprouver de véritables fatigues, aideraient au service des garnisons et soulageraient d’autant les troupes actives : ces braves gens, ces vieux soldats jouiraient plus avantageusement de leur retraite en continuant à vivre en commun, en conservant toutes leurs habitudes. A proprement parler, les services qu’ils continueraient à rendre ne coûteraient plus rien à l'Etat ; et les millions appliqués aujourd’hui au payement de beaucoup de soldes, de demi-soldes et de gratifications inutiles rentreraient avant peu dans la masse des retraites. 0a ramènerait l’hôtel des Invalides à sa première véritable destination, on n’y recevrait que des soldats que leurs infirmités, la maladie ou la caducité de l’âge rendent incapables d’aucun travail, d’aucun service, et qui, n’ayant pas les moyens de se procurer les secours nécessaires à leur position, doivent naturellement les trouver dans cet asile. Il est, je crois, superflu de dire que c’est surtout aux veuves et aux malheureux enfants des soldats tués à la guerre, ou morts des suites immédiates des leurs blessures, que l’Etat doit des secours plus strictement nécessaires, et aussi bien mérités que ceux qu’on a presque exclusivement accordés jusqu’ici aux veuves et aux enfants des officiers, et quelquefois avec si peu de mesure ; aux veuves et aux enfants des gens de cour. Une école de soldats est nécessaire dans chaque département et deviendra précieuse sous plus d’un rapport. Ce qu’il en coûtera pour arracher des enfants à la misère, à l’oisiveté et à l’habitude de tous les vices qu’elle entraîne, ne formera pas un objet de dépense considérable et u’on puisse regretter, lorsqu’elle contribuera 'ailleurs à former une classe d’hommes infiniment utiles. Tout enfant mâle et bien constitué, n’ayant ni parents, ni bien, serait reçu à l’école du département entre 8 et 15 ans, sur la présentation de sa municipalité. Tout enfant mâle et bien constitué, ayant des parents pauvres, y serait également reçu entre 8 et 15 ans, sur la demande de ses parents et l’attestation de leur pauvreté, certifiée par les officiers municipaux de leur résidence. On y recevrait aussi tout enfant mâle et bien constitué de militaires, présenté par son père ou par sa mère ; et enfin tout jeune homme entre 15 et 18 ans, qui, n’ayant ni parents ni fortune, s’y présenterait de lui-même. Un sergent retiré commanderait l’école et aurait, outre sa retraite, quatre ou cinq cents livres d’appointements ; un caporal vétéran en état de montrer à lire, et à qui Ton donnerait cinquante écus, serait préposé à la conduite de 12 ou 15 élèves ; un vicaire de la paroisse sur laquelle serait située l’école, aurait cent écus pour faire le catéchisme. On tâcherait de monter dans ces écoles des manufactures à l’usage des troupes ; les élèves en sortiraient à l’âge où on peut être soldat, c’est-à-dire à dix-huit ans, et ils acquitteraient les avances qu’ils auraient reçus de l’Etat, par six ans de service dans l’armée active. Si Ton fait attention que les départements doivent pourvoir à la subsistance de leurs pauvres, singulièrement à celle des enfants abandonnés, et que les communautés ne vont plus avoir la charge affreuse des milices, on ne trouvera pas que ce soit leur en imposer une extraordinaire que de les obliger à former de semblables écoles, dont on ne tardera pas à tirer tous les moyens de les soutenir, pour peu que les administrateurs secondent, par leur intelligence et leur bonne volonté, la sagesse des règlements qu’il faudra donner à ces écoles. Je ne développe rien ; je serais trop long. J’indique, je présente des idées générales auxquelles il faut de grands développements : on aurait tort de s’arrêter à des objections partielles, qu’il sera temps de prévoir et d’apprécier, lorsqu’on s’occupera des moyens d’exécution. Je ferai seulement remarquer que, si Ton réduisait actuellement l’armée active à cent mille hommes, l’armée auxiliaire profiterait immédiatement d’une grande partie de la réforme, et 501 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juin 1790,1 qu’en admettant, d’ici à 3 ou 4 mois tous ceux qui ont servi dans les troupes de ligne pendant 8 ans, à s’enrôler dans l’armée auxiliaire, elle ne resterait pas longtemps au-dessous du complet ; mais j’exigerais qu’à la suite, et après cette première formation, il n’y eût plus d’interruption de service, c’est-à-dire que les cinq engagements fussent continus dans l’une ou l’autre armée, pour qu’on pût avoir droit à la retraite. Si l’on craint d’être bientôt dans le cas de soutenir une guerre, je dirai que je trouve dans cette crainte même un nouveau motif pour tenir aux principales idées que je viens d’exposer ; je dirai qu’il faut se hâter d’ouvrir un débouché honorable dans l’armée active, à tant de jeunes gens qui ont si bien servi la patrie depuis un an dans le corps des gardes nationales, et qui ne demanderont pas mieux que de continuer leurs services, s’ils les voient annoblis, encouragés, récompensés par les moyens que je propose ; je dirai qu’il faut se hâter de créer l’armée auxiliaire pour l’avoir prête au besoin ; mais je dirai aussi que, sous le prétexte douteux d’une guerre prochaine, il ne faut pas faire une dépense inutile, et manquer la régénération de l’armée en adoptant un plan de circonstances au lieu d’un plan général. Je dirai encore que le plan général s’adopterait à l’urgence du moment dès qu’elle serait notoire, puisqu’en tin nous aurions aussitôt, en officiers et en soldats, tout ce que nous estimons qu’il en faut pour le temps de la guerre. Deux cent mille hommes en état de servir dès qu’on serait daus le cas de les réunir, pourraient entrer immédiatement en campagne, si cela était nécessaire ; on n’aurait pas besoin des troupes soldées pour garder les places que l’armée laisserait derrière elle ; ces places seraient confiées aux gardes nationales qui les habitent, et leur service, s’il devenait trop fatigant, pourrait être partagé, à leur réquisition, par des détachements des départements voisins. Si des malheurs extraordinaires amenaient des besoins de même nature, en s’adressant de la part du Corps législatif et du roi aux gardes nationales, en demandant à chaque canton, qui, vraisemblablement, formera une même compagnie, qu’il fournisse un certain nombre de volontaires, doute-t-on de l’empressement de notre jeunesse à s’offrir d’elle-même et à solliciter une glorieuse préférence? Pour moi, je n’en doute pas ; je crois à la bravoure éternelle du Français ; je crois plus que jamais à la bravoure et au patriotisme du Français devenu libre et citoyen ; il ne cessera pas d’aimer la gloire, parce qu’avec plus de motifs de chérir sa patrie, il aura un plus grand intérêt à la défendre. L’obligation très éloigné de fournir de la part des gardes nationales, des volontaires, pour renforcer l’armée de ligne, sera le point de contact entre ces deux corps, qu’il faut autant se garder de confondre, que de rendre tout à fait étrangers l’un à l’autre. On ne doit les tenir ni trop rapprochés ni à trop de distance, mais il est, je crois, à propos qu'il y ait tendance au rapprochement sans aucun mélange. Telles sont les idées que j’ai dû présenter au comité, pour remplir la tâche qui m’est imposée par l’honorable confiance que je partage avec vous. Le désir du bien m’a fait dire ce que je crois propre à l’opérer ; mais je ne présume pas assez de mes lumières pour ne pas craindre de m’être souvent trompé. Cependant, vous m’avez autorisé à penser que quelques-unes de mes vues pourraient être utiles, puisque déjà vous m’avez paru disposés à en adopter plusieurs, celle, entre autres, qui est relative à la formation de l’armée auxiliaire, et que je regarde comme fondamentale. Je remercie M. de Noailles de lui avoir donné une place dans son plan ; mais qu’il me soit permis de le dire, je pense que, dans ce plan, mon idée ne produit pas tout l’effet que j’en attends ; M. de Noailles laisse trop de monde constamment sous les armes ; il force à un surcroît de dépense pour l’entretien de ses auxiliaires ; il ôte les ressources qu’on trouverait dans une grande diminution de la dépense ordinaire, pous* établir les écoles, pour donner des hautes paye® aux anciens soldats, et pour procurer un meilleur sort aux vétérans, sans surcharger le Trésor national. Je prie M. de Noailles, je prie le comité de chercher, de saisir les moyens de conserver ces derniers avantages. J’insiste pour qu’on restreigne la dépense autant qu’on le pourra, et pour qu’on réduise au taux de la plus stricte nécessité, le nombre d’hommes qui doit rester sous les armes pendant la paix. Dans mon système, on le peut sans aucun danger. Je crois cela démontré. Il me l’est aussi que la liberté courra d’autant plus de risques que l’armée active sera plus considérable. Le comité militaire, après avoir entendu la lecture du mémoire de M. Emmery, a arrêté qu’il serait imprimé et distribué. Signé: Rostaing, président. Alexandre lameth. Noailles. J. X. Bureaux. Jacques de Menou. Thi-boutot. Dubois de Grancé. Balb-Grillon. Wimp-FFEN. Nota. Ce mémoire a été lu au comité militaire le 26 juin. On en a demandé une secon de lecture, qui a eu lieu le 27. Eclairé par la discussion qui a suivi, j’ai souscrit à plusieurs amendements. On a cru qu’il convenait d’arrêter des bases; j’ai proposé les articles suivants. Le comité a pris sur chacun la détermination qui est à la suite. Ges articles et leurs apostilles ont été rédigés le 28. Je devais leur donner une meilleure forme, et les transcrire pour qu’on les signât le lendemain ; mais le lendemain je n’ai pu me rendre le soir au comité. Le surlendemain, en y arrivant, j’ai vu qu’on travaillait sur d’autres errements ; j’ai entendu qu’il était question de tenir sous les armes au moins cent cinquante mille hommes, qui coûteraient au delà de 84 millions. On m’a dit que le comité était d’accord avec le ministre, j'ai pensé que c’était pour le plus grand bien, et je me suis tu. DÉTERMINATION DU COMITÉ MILITAIRE SUR LES ARTICLES PROPOSÉS Articles proposés par M. Emmery. L’armée, sans y comprendre la maison du roi, les vétérans ni les élèves, sera composée de 200,000 soldats tant actifs qu’auxiliaires, qui seront répartis dans l’infanterie, la cavalerie et l’artillerie, dans la proportion qui va être fixée.— (Bon.) 120,000 de ces soldats seront constamment sous les armes; savoir : 28,000 dans la cavalerie, 84,000 dans l’infanterie, et 8,000 dans l’artillerie. La réserve sera de 12,000 pour la cavalerie, et de 68,000 tant pour l’infanterie que pour l’artilllerie. — (Bon.) Nul ne sera admis à s’engager pour auxiliaire, S02 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [26 juin 1790.1 s’il n’a servi six ans dans l’armée active, et s’il n’en rapporte un congé honorable. — (Bon.) Les soldats auxiliaires seront obligés non seulement à marcher au moment où la guerre sera déclarée, mais encore à servir un mois chaque année pendant la paix. — (Bon.) Ils seront habillés et jouiront de la demi-solde entière pendant le mois de rassemblement. — (Bon.) Le nombre des officiers et sous-officiers qui seront attachés à l'armée active sera proportionné au nombre des soldats qui seront dans le cas d’être rassemblés au moment de la déclaration de guerre. — (Bon.) Il sera fait, dans les vues indiquées par le mémoire, des livres élémentaires pour servir à l’éducation des jeunes gens qui se destineront à devenir officiers; et avant de pouvoir être admis, ils subiront un examen public, dans les formes qui seront déterminées. — (Bon en combinant cette disposition avec une autre précédemment approuvée sur cet objet.) (1) Aucun sujet ne pourra être admis qu’il n’ait satisfait à cet examen, et qu’après y avoir satisfait, il n’ait servi un an comme soldat, dans un corps de l’armée active. — (Bon, idem.) Les sujets admis après cet examen, et qui auront servi comme soldat pendant une année, seront soumis à un scrutin d’épreuve, dans un conseil composé de tous les officiers présents au régiment, et ce scrutin décidera de leur réception définitive. — (Bon, idem.) Ceux à qui le scrutin sera favorable feront pendant six mois les fonctions de caporal et de sergent, et ne pourront exercer celles d’officiers avant d'avoir atteint leur dix-huitème année. — (Bon, idem.) L’ordre d’ancienneté sera invariablement gardé, pour monter du grade de sous-lieutenant à celui de lieutenant, et de celui-ci au grade de capitaine, sauf les récompenses légitimement dues à des actions militaires d’un grand éclat, ou d’une haute importance. — (Bon.) Les places d’officiers supérieurs des régiments seront données deux fois à l’ancienneté dans le même régiment, et la troisième fois au choix du roi, sur tous les capitaines de l’armée pour l’emploi de lieutenant-colonel; et sur tous les lieutenants-colonels de l’armée, pour l’emploi de colonel ; toujours dans la même armée. — (Bon.) Les capitaines auront le recrutement et l’administration de leur compagnie, avec le choix de leurs sous-officiers, conformément aux règles qui seront établies : on aura l’attention d’éloigner de ce régime toute possibilité de pertes et de bénéfices pécuniaires pour les capitaines. — (Bon à reproduire.) (2) Les appointements des généraux, officiers supérieurs et autres, ainsi que la solde des sous-officiers, et les retraites des uns et des autres, (1)M. deLameth avait précédemment proposé un plan d’études et d’examen, qui diffère beaucoup du mien. J’ai demandé que l’apostille renfermât la réserve du plan de M.- de Lameth, qui n’était pas à la séance du 28. Il m’a paru juste de ue pas revenir sur les déterminations provoquées par un de nous, sans l’avoir entendu. (2) Il avait été dit précédemment que les colonels auraient une part principale au choix des sous-officiers. M. Dubois de Crancé en a fait l’observation. M. de Menou a répondu qu’alors on ne donnait pas les compagnies aux capitaines, et que cette mesure emportait l’autre. J’ai insisté pour qu’on n’adoptât l’article que conditionnellement, attendu l’absence d’un membre qui avait contribué à la première détermination. seront établis sur des principes fixes, et sur la hase des soldes et retraites des soldats, dans les différentes armes. — (Bon.) 11 sera fait des règlements de discipline pour assurer la subordination, l’exactitude et la régularité du service; et par lesquels on exigera du soldat que le sacrifice de la portion de sa liberté qui est nécessaire pour le bien immédiat de ce même service. — (Bon.) Cette discipline sera très sévère, sans être minutieuse, avilissante ni cruelle. Les peines afflictives et infamantes ne pourront jamais être infligées comme punition militaire. — (Bon.) Les engagements du soldat ne seront faits que pour six ans; et au moyen des avantages qui lui seront assurés dans le cours et à la fin de sa carrière, il ne sera plus mis de prix à son engagement ni à son rengagement. — (Bon.) Aucun homme taré ne sera reçu à l’honneur de servir en qualité de soldat. Les sous-officiers qui auront mérité la casse seront renvoyés. — (Bon.) Le cinquième des emplois militaires sera réservé à des soldats devenus sous-officiers. Et dans ce cas, ils seront absolument assimilés pour leur traitement et leur avancement à tous les autres officiers. — (Bon.) Personne ne sera engagé dans l’armée active qu’à 18 ans faits. Celui qui se sera engagé pourra se retirer dans les trois premiers mois, en remboursant tout ce qu’il aura coûté, et en payant au par de là 60 livres pour la masse des retraites. — (Bon.) Celui qui, après les trois premiers mois, aura ratifié son engagement en restant sous les drapeaux, ne pourra plus les quitter qu’en remboursant tout ce qu’il aura coûté pendant les trois premiers mois, et 60 livres au delà, et de plus en mettant à sa place un auxiliaire pour achever le temps de son service. — (Bon.) Celui qui quittera sans congé, sera sommé de rejoindre par trois sommations faites de mois en mois, dans les formes qui seront prescrites. S’il rejoint dans le délai marqué, sa punition ne pourra excéder la plus grande à infliger pour contravention à la discipline. S’il ne rejoint pas, son procès lui sera fait et il sera juridiquement déclaré Déserteur, ce qui emportera déchéance à jamais de la qualité de citoyen actif, celle du titre de Français et la plus grande note de lâcheté et d’infamie, qu’un homme puisse encourir parmi nous. 11 n’y aura ni grâce particulière, ni amnistie générale pour ce crime. — (Bon.) Celui qui contractera un second engagement dans l’armée active aura trois den. de haute paye ; 6 den . s’il en contracte un troisième ; 9 den. s’il passe au quatrième; et 1 s. s’il va jusqu’au cinquième engagement. — (Bon.) Les auxiliaires seront les maîtres de rentrer dans l’armée active, quand ils le jugeront à propos, ou de contracter successivement de nouveaux engagements comme auxiliaires. Ils ne seront soumis aux règles et à l’autorité militaire que pendant le mois du rassemblement, et jouiront les onze autres mois de toute la liberté qu’ont les autres citoyens. — (Bon.) Les places de maréchaussée à pied et à cheval, celles de gardes des forêts nationales, celles de gardes des frontières, pour le maintien des droits de traites et tous les emplois qui dépendent de l’administration militaire dans les villes, tels que caserniers, éclusiers, consignes, gardes-magasins du roi, et ne seront donnés qu’à des soldats qui [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juin 1790.] auront fait au moins deux engagements comme auxiliaires. — (Bon.) Après cinq engagements révolus soit dans l’armée active, soit dans l’armée auxiliaire, tout soldat pourra prendre sa retraite, qui sera pour lors de 10 sols par jour pour celui qui aura fait cinq engagements dans l’armée active ; de 9 sols pour celui qui n’y eu aura fait que quatre ; de 8 sols pour celui qui n’y en aura fait que trois ; de 7 sols pour celui n’y en aura fait que deux ; et de 6 sols pour celui qui qui n’y en aura fait qu’un seul. (A arranger avec M. deWimpffen) (1). Une décoratiou militaire sera instituée pour les officiers et les soldats qui auront bien servi la patrie pendant trente ans et qui se retireront hors d’état de la servir ; mais à la condition, que s’ils ont encore la force, ils continueront leurs services. Ainsi cette décoration sera donnée aux soldats qui contracteront un sixième engagement, à la fin duquel ils seront assurés de moitié en sus de la retraite qui leur était acquise après le cinquième engagement, outre un habillemet complet qui leur sera fourni comme aux soldats en activité. Il sera formé, au lieu des compagnies détachées d’invalides, des compagnies de vétérans qui auront des garnisons sédentaires, non seulement dans les petits forts et châteaux, mais en général dans les villes de guerre, où ces braves gens serviront d’exemple et d’encouragement. L’hôtel des invalides sera ramenée à sa première destination pour les véritables invalides. — (Bon.) Il sera établi par chaque département une école de soldats destinés être la pépinière de l’armée, suivant les idées exposées dans le mémoire. — (Bon,) Si des besoins extraordinaires exigent un surcroît des moyens, la législature et le roi demanderont des volontaires à chaque compagnie de gardes nationales. — (Bon.) 4e ANNEXE. Itérative motion deM. Malouet, contre les adresses injurieuses aux membres du Corps législatif (2). J’ai demandé la parole avec instance, on me l’a refusée. Voici ce que je voulais dire. Messieurs, j’avais pensé que le jour même où vous avez plus solennellement consacré l’inviolabilité des députés, ne serait pas marqué par de nouveaux outrages à leur caractère, par des nouveaux attentats à leur sûreté. C’est devant vous, c’est à la barre de cette Assemblée, qu’une succession d’adresses voue à V exécration publique trois cents représentants de la nation, pour avoir signé une déclaration de leur vœu sur la religion catholique. Puisqu’il n’existe point d’asile (1) M. de Wimpffen, qui est du comité militaire et du comité des pe usions, nous a dit qu’il avait un travail fait sur les retraites, d’après les bases arrêtées au comité des pensions; on a répondu que le comité des pensions critiquerait nos mesures et dérangerait nos plans s’il fixait sans nous les conditions des pensions militaires à accorder par forme de retraite. J’ai proposé de conférer avec M. de Wimpffen, et de chercher les moyens de nous concilier. Il y a consenti, et il a été convenu que jusque-là cet article et les deux suivants, pour ce qui concerne le traitement pécuniaire, resteraient en surséance. (2) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. 503 contre une telle persécution ; puisque je n’ai pu, malgré mes instances réitérées, obtenir la permission de vous en démontrer l’injustice et le danger : c’est à l’histoire, c’est à la postérité que je la dénonce. Quelle que soit votre opinion, Messieurs, sur cette célèbre déclaration, de quelque improbation que vous la jugiez susceptible, les principes de la Constitution, de la liberté, de la paix publique sont également violés par les insultes et les menaces dont vous laissez accabler en votre présence trois cents représentants de la nation. S’ils sont coupables, vous avez le droit déqualifier le délit et d’en ordonner le jugement*, mais dans l’instruction même d’un procès criminel, il est une sauvegarde pour l’accusé qui le met à l’abri des insultes du juge et des voies de fait de l’accusateur. Cependant, par une violation inouïe du droit des gens, du droit public et positif de toutes les nations, c’est dans le sanctuaire des lois, c’est aux législateurs mêmes que s’adressent les plus flétrissantes injures et une proscription solennelle ; c’est par l’organe de son président que le Corps législatif accueille un tel outrage et y applaudit. J’avoue, Messieurs, que je ne peux m’accoutumer au spectacle douloureux que me présente l’Assemblée nationale, lorsqu’au milieu d’une foule immense d’auditeurs, un étranger admis à la barre se croit assuré d’avance de la protection de cinq cents membres du Corps législatif, pourvu qu’il en insulte trois cents. — Et si la France se tait sur un tel scandale ne craignez-vous pas, Messieurs, que l’Europe entière qui nous entend, qui nous regarde, n’en soit épouvantée ? Ne craignez -vous pas que la liberté, ainsi calomniée, ne soit présentée aux peuples asservis sous les couleurs de la tyrannie? A quel signe, en effet, puis-je me croire libre, si, sans jugement préalable, je peux être déclaré traître à la patrie et dénoncé sous cette qualification à mes concitoyens, au Corps législatif? Je suis libre, dites-vous, et des adresses plus cruelles que des lettres de cachet viennent poursuivre dans votre sein mes collègues, et vous applaudissez, au lieu de les protéger ou de les juger ! Vous voulez que je me croie libre, et trois cents députés siégeant à vos côtés sont condamnés à l’infamie par un harangueur qui assigne les rangs parmi vous, et appelle les uns traîtres et les autres augustes! et vous applaudissez, et les tribunes applaudissent, et à la suite de cette humiliation, vos trois cents collègues vont, comme vous, décider du sort de la France! Et telle est la Constitution d’un peuple libre! Ab ! Messieurs, c’est l’absence de toute constitution. Jamais Tibère ne permit à ses délateurs de venir en sa présence insulter le sénat romain : il faisait accuser les sénateurs, mais il leur laissait le choix du supplice. Prononcez une loi contre les déclarations d'opinions ; que l’on sache ce qui est permis, ce qui est défendu ; mais ne livrez point le droit terrible d’anathème et de proscription à la fureur de tous ceux qui voudront l’exercer; ne nous livrez point au droit du plus fort. Souvenez-vous, Messieurs, que vous avez été envoyés pour rétablir l’empire des lois, et non pour le détruire. ■ Or, c'est renverser par la base l’édifice de là Constitution, et de tout autre système législatif, 1 que de consacrer, par vos applaudissements, la violation des, principes ; et c’est violer tous les principes que d’applaudir aux outrages et aux