[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1789.] 239 Ces deux motions sont appuyées, mais du consentement des membres qui les ont faites, elles sont ajournées. A la suite de ces deux motions, une troisième est faite pour que les lois contre les usuriers soient remises en vigueur. Cette motion incidente est ajournée comme les précédentes. M. le Président lève la séance, après avoir indiqué l’ordre du soir comme il suit : A cinq heures et demie, assemblée des bureaux pour procéder à l’élection des douze membres du comité militaire, conformément au décret du jour d’hier ; Discussion dans les bureaux du rapport concernant la procédure criminelle, fait à l’Assemblée par le comité des sept membres nommés à cet effet ; Séance générale, à sept heures, pour s’occuper : 1° Du rapport concernant la procédure criminelle; 2° De la formation d’un comité de marine; 3° De divers rapports urgents ; 4° D’une motion sur la liberté individuelle; 5° De l’échange du comté de Sancerre. Séance du vendredi 2 octobre 1789, au soir. v M. le Président, à l’ouverture delà séance, • instruit l’Assemblée qu’il a remis à Sa Majesté la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et les articles relatifs à la Constitution ; que le Roi lui a répondu qu’il ferait connaître incessam-L'ïnent à l’Assemblée ses intentions à cet égard. Il est fait lecture des adresses des villes et communautés, ainsi qu’il suit ; 1° Adresse de félicitations, remerciements et adhésion de la ville de Saint-Dizier, en date du 28 septembre. 2° Même adresse de la communauté d’Allan, portant renonciation à tous ses privilèges. 3° Adresses des 15, 17* 23, 29 et 30 août, des 6, 8, 13 et 14 septembre, contenant félicitations, remerciements et adhésion du comité permanent de la ville de Pamiers, de celle du Mas-d’Azil, de Poix, la Bastide, Tarascon, Daumazan,des communautés du Vernet, de Saverdun, de Montaud, de la vallée de Signer et de Bonnac. 4° Adresse de la communauté de Schlestadt en Alsace, qui adhère à tous les décrets de l’Assemblée nationale, et la supplie d’agréer l’élection qu’elle vient de faire de nouveaux officiers municipaux. 5° Délibération, du 4 août, de la commune de la ville de Castelmoron, réunie aux officiers municipaux pour l’établissement d’une garde bourgeoise, et le maintien de la tranquillité publique. 6° Lettres de Dom Courtin, religieux de la maison de Saint-Martin-des-Ghamps, ordre de Saint-Benoît, et déclaration y jointe de cinq religieux de la même maison, qui protestent contre la fausse apposition de leurs signatures au bas d'une lettre adressée par quelques religieux à l’Assemblée nationale. Il est dit que trois autres religieux, dont la signature avait été également contrefaite, n’ont pas voulu signer la présente déclaration, dans la crainte qu’il ne fût donné trop de suite à cette affaire, et que Les coupables ne fussent poursuivis extraordinairement. La lecture de ces pièces excite quelques débats dans l’Assemblée. Une partie veut que l’affaire soit renvoyée au pouvoir judiciaire, et qu’il n'en soit fait aucune mention dans le procès-verbal ; l’autre partie veut que la réclamation des religieux y soit mentionnée. Ces deux questions sont soumises à la délibération de l’Assemblée ; il est décrété, par la forme accoutumée, que la lettre de dom Courtin et la réclamation des cinq religieux seront consignées dans le procès-verbal ; et sur le renvoi de cette affaire au pouvoir judiciaire, la question préalable ayant été demandée et admise, il est décidé qu’il n’y a lieu à délibérer, La lecture des adresses, interrompue par cette discussion, est ensuite continuée. 7» Délibération des officiers municipaux et de l’état-major de la milice citoyenne de Séez, composant lé comité permanent de cette ville; elle fait une peinture frappante des maux que l’anarchie cause à cette ville, et contient une adhésion à la délibération du 31 août dernier, adressée par la ville de Caen à l’Assemblée nationale. 8° Mémoire et observations du prince, évêque de Strasbourg, relativement aux arrêtés des 4 et 5 août et jours suivants, à l’effet d’exposer au Roi et à l’Assemblée nationale les difficultés qui résultent des dispositions de ces arrêtés, pour les concilier avec les traités et capitulations qui assurent à son siège au grand chapitre de Strasbourg et à tout son clergé, la conservation de leurs droits, traités et capitulations garantis par l’Empire et autres puissances de l’Europe. Il est fait ensuite l’énumération des nouveaux dons patriotiques offerts à l’Assemblée nationale, et inscrits dans le registre à ce destiné-On remarque, dans ces dons, celui d’un enfant de onze ans (M. Rodolphe de Montfort, de la province de Dauphiné). Cet enfant a offert une somme importante, à raison de son âge; et ses parents ayant voulu la lui remplacer, il a demandé avec la plus touchante sensibilité que ce supplément fût joint à son premier don : cette preuve précoce de patriotisme a mérité l’approbation de l’Assemblée. On lit la lettre d’un contrôleur des actes, qui fait, pour trois ans, l’abandon à la patrie des intérêts d’une somme de 4,000 livres qu’il a fournie pour le cautionnement de son emploi. Il propose de suspendre, momentanément, les intérêts des sommes de cautionnement de tous les employés. Cette lettre est remise aux trésoriers des dons patriotiques. Un ecclésiastique (M. l’abbé de Sainbron) offre à la patrie 4,000 livres, formant la moitié d’une abbaye de 8,000 livres, seul bénéfice qu’il possède. L’Assemblée ordonne l’impression de cette lettre, et accueille avec des applaudissements réitérés l’annonce des divers dons patriotiques. M. le Président a donné connaissance à l’Assemblée qu’une députation de la commune de Paris demande l’honneur d’être entendue ; ce qui lui ayant été accordé, elle est introduite à la barre par un huissier ; et l’un des députés, prenant la parole , a dit ; « Nosseigneurs, La commune de Paris nous a députés vers l’Assemblée nationale pour la supplier de pourvoir, le plus promptement possible, à la promulgation de la loi provisoire, relative à la punition des délits ; loi qui doit suppléer à l’ancienne ordonnance criminelle, en attendant qu’il ait été [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1789.] 240 pourvu à la formation d'un code complet sur cette partie essentielle de l’ordre judiciaire. « Nous sommes chargés de ne rien négliger pour prévenir le danger imminent dont la capitale est menacée, si les coupables et les malintentionnés peuvent, quelque temps encore, se flatter de l’impunité. « Nous devons supplier l’Assemblée nationale d’autoriser son comité de Constituticm à nous donner tous les renseignements qui pourront faire connaître aux représentants de la commune de Paris les intentions de l’Assemblée nationale sur la formation des assemblées provinciales et des municipalités, afin que leur travail sur le plan de la municipalité dont ils s’occupent soit sans cesse guidé par celui de l’Assemblée nationale, et soumis à ses principes. « Nous sommes chargés de supplier l’Assemblée nationale et le Roi d’assurer l’exécution des décrets de l’Assemblée nationale sur la libre circulation des grains; en conséquence, de procurer sûreté et protection au commerce, dans les marchés et sur les routes, et de faire soutenir à cet effet les gardes nationales et les maréchaussées par des détachements suffisants pour opérer le bon ordre. « Enfin, il nous est imposé de représenter à l’Assemblée nationale que la garde actuelle de M. de Bezenval est tellement coûteuse et incommode, que l’Assemblée nationale, qui seule peut prononcer sur cet objet, croira sans doute instant et indispensable d’indiquer des moyens nouveaux de garder à l’avenir ce prisonnier de la nation, avec des précautions aussi sûres et moins dispendieuses. « L’importance des deux premiers objets de la mission qui nous est confiée est tellement pressante, que nous croyons devoir, en finissant, supplier de nouveau l’Assemblée de les prendre, le plus tôt possible, en considération. « A Versailles, le 2 octobre 1789. « Signé : Duveyrier, de Condorcet, Benoit, Vermeil, Bourdon de la Grosniére et Desmousseaux, représentants et députés de la commune de Paris. » M. le Président répond que l’Assemblée nationale avait nommé un comité pour s’occuper d’une nouvelle législation concernant la procédure criminelle; que ce comité avait déjà fait le rapport de son travail ; qu’il serait incessamment soumis à la discussion et à la délibération de l’Assemblée ; qu’au surplus, elle prendrait en considération les autres articles de demandes de la commune de Paris. Il s’est élevé quelques légers murmures sur ce que l’orateur de la députation de Paris donnait quelques fois à l’Assemblée le titre de Messieurs au lieu de Messeigneurs. M. ï,anjmnais a observé'que le titre de Nosseigneurs tenait encore à l’ancienne servitude. Tout titre extraordinaire devrait être effacé du vocabulaire d’une nation libre, celui surtout de Seigneur, de Monseigneur , devrait disparaître chez un peuple qui vient d’abolir le gouvernement féodal. Plus un peuple est libre, a dit un célèbre écrivain, moins il y a de cérémonies, moins de titres fastueux, moins de démonstrations d’anéantissement devant son supérieur. Un membre du comité�des; finances dit que depuis dix jours le travail du comité sur les dé-1 penses de la guerre est terminé. Il ajoute que ce rapport, ne contenant que des faits et ne proposant aucun projet d’arrêté à la délibération de l’Assemblée, n’était pas de nature à être lu en séance et à faire perdre un temps précieux. L’Assemblée décide que le rapport sera imprimé et distribué dans les bureaux. ( Voy. le texte de ce rapport, annexé à la séance de jour.) M. le Président consulte l’Assemblée sur :1a priorité à donner aux questions qui sont à l’ordre du jour. La priorité est accordée à l 'échange du comté de Sancerre. MM. les députés de Blois, Valenciennes et Bar-le-Duc font la mention suivante sur l'échange de Sancerre (1) •• Messieurs les députés des bailliages de Blois, Valenciennes et Bar-le-Duc ont l’honneur de solliciter la parole, qu’ils ont vainement réclamée pendant près de trois semaines; et si l’ordre du jour pouvait s’opposer encore à leur demande, ils vous supplient de leur accorder la priorité en faveur de l’objet �important qu’ils sont pressés de mettre sous vos yeux. Nous venons vous dénoncer, Messieurs, un délit vraiment national, un échange monstrueux, qui depuis plusieurs années fait le scandale delà France, et qui subsiste toujours au milieu de nous comme un monument effrayant de tout ce qu’un ministre pouvait oser, de tout ce que l’intrigue pouvait tenter, sous un régime arbitraire et corrompu. , A ces traits vous reconnaissez l'échange de Sancerre, conclu avec le comte d’Espagnac par M. de Calonne, cet administrateur prodigue et fugitif, dont les mains dissipatrices ont creusé l’abîme profond que vous êtes appelés à combler. 11 est clans la nature des échanges domaniaux de provoquer le soupçon : la chaleur avec laquelle le crédit les sollicite, les avantages immodérés qui les assurent à ceux qui les obtiennent, ont * flétri dans tous les temps ces dangereux contrats, qui, sous le voile perfide d’une égalité illusoire, abandonnaient, en quelque sorte, les domaines à l’avidité, toujours renaissante, toujours insatiable, des courtisans. Si le grand ouvrage de la Constitution, auquel vous avez voulu vous livrer sans réserve et sans partage, n’eût pas absorbé toute votre attention, > vos regards se seraient déjà arrêtés sur cet antique patrimoine de la couronne; déjà vous � vous seriez occupés des moyens de réunir à ce tronc dépouillé toutes les branches qui en ont été successivement détachées : les échanges , surtout, n’eussent pas échappé à la sévérité de vos recherches ; mais dans la liste, malheureusement trop grossie, de ces attentats contre la plus sacrée et la plus inviolable des propriétés, nul ne vous eût paru plus audacieux, plus révoltant, et nous oserons le dire, Messieurs, plus punissable que " Yéchange de Sancerre. Cette assertion n’est point exagérée; et nous n’avons pas besoin de la justifier aux yeux de l’Assemblée nationale :qui de vous, Messieurs, ne connaît pas un échange devenu si célèbre par l’indignation et par l’effroi qu’il a semés dans plusieurs provinces du royaume? Qui de vous ignorerait encore que M. de Calonne, trahissant « la confiance du meilleur des Rois, avait lui-même un intérêt personnel et clandestin, dans un contrat dont il disposait le plan à son gré ; que le mar-(1) Cette motion n’a pas été insérée au Moniteur. A