43 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 juillet 1791.) Suffren. En tenant compte des diverses observations qui viennent d’être présentées, voici comme je propose de rédiger l’article : Art. 4. « Tout Français qui demanderait ou obtiendrait l’admission, ou qui conserverait l’affiliation à un ortjre de chevalerie ou autre, ou corporation établie en pays étranger, fondée sur des distinctions de naissance, perdra la qualité et les droits de citoyen français ; mais il pourra être employé au service de la France comme tout étranger. » (Adopté,) M. le Présidént. Messieurs, vous avez à vous retirer dans les bureaux pour faire plusieurs nominations : la première est celle d’un gouverneur pour M . le Dauphin . ( Mouvement .) Mi de Croix. La nomination du gouverneur de M. le Dauphin a été fixée à aujourd’hui : j’observe que c’était une mesure de circonstance, et je crois qu’il Berait désavantageux de la prendre. Je demande qu’on ajourne l’exécution du décret qui ordonne la nomination du gouverneur de M. le Dauphin, ou qu’au moins on décrète que ce sera une mesure constitutionnelle, et qu’elle ne sera pas seulement bornée à ce cas-ci. Quant à moi, je serai toujours opposé à cette mesure-là qui me paraît bien cruelle pour un père. (Murmures.) 11 y a sans doute beaucoup d’autres raisons à donnêr ; maid je n’ai pas les talents nécessaires. (Bruit.) M. Fréteau-Saint-Just. Il avait été annoncé que Je Comité, présenterait un projet de loi qui me parait indispensable à porter avant que vous fixiez votre choix sur personne; c’est celle qui déterminera les devoirs, et surtout les droits du gouverneur. Elle aura une influence naturelle dans le choix, à raison des différents droits que vous lui donnerez. Si, par exemple, il a le droit de commander la garde de M. le Dauphin, il faut un homme qui ait une qualité de plus qu’il ne faut pour l’éducation ; c’est la connaissance de la partie militaire et surtout une fermeté.... (Bruit.) Je demande l’ajournement de la nomination jusqu'à l’apport de cette loi. Plusieurs membres: Aux voixl aux voix! M. Prienr. Il n’est pas exact de dire que les circonstances goût changées. Plusieurs membres : Aux voix i aux voix l’ajournement ! M. Ptfleuri Vous avez suspendu tih accusateur public parce qu’il n’exécutait pas vos décrets ; et vous donnez l’exemple scandaleux de ne pas les exécuter .(L’orateur continue àpürler dansle bruit.) (L’Assemblée, consultée, décrète que M. Prieur ne sera pas entendu.) M. Pétîon de Villeneuve. L’ajournement serâ-t-il indéfini ? Plusieurs membres : Dans la huitaine. (L’Assemblée décrète que la nomination du gouverneur de M. le Dauphin est ajournée jusqu’à l’époque où les fonctions de ce gouverneur auront été définies par la loi; décrète, de plus, que son comité de Gonstitition lui présentera le projet de cettê loi dans la huitaine.) M. Delavlgne, secrétaire. Voici, Messieurs, une lettre adressée par M. le ministre de la marine à M. le président ; « Paris, le 30 juillet 1791. « Monsieur le Président, « j’ai l’honneur de vous adresser une lettre par laquelle le commandant du port de Lorient me rend compte des mouvements qui ont lieu dans ce port, parmi les troupes cantonnées dans le port et dans la ville, à l’occasion du débarquement d’officiers d’artillerie du régiment colonial, qui viennent de la Martinique. * Je vous prie, Monsieur le président, de donner communication de cette lettre à l’Assemblée nationale, pour qu’elle puisse, dans sa sagesse, statuer ce qu’elle croira raisonnable. « Je suis, etG. « Signé : ÎHÉVENARD. » Voici la lettre écrite par M. de Secqueville , commandant du port de Lorient , à M. le ministre de de la marine : « Lorient, le 25 juillet 1791. « Monsieur le ministre, « La tranquillité de la ville de Lorient a été troublée de la manière la plus fâcheuse, et je crains, dans le moment passager de calme où je voua écris, de voir naître une scène sanglante, que les efforts réunis n’auront fait que retarder. « Hier, la gabarre Y Espérance, commandée par M. Dudrésil, mouilla sur le port Louis : elle avait ordre de toucher à Lorient et de âe rendre à Brest et y débarquer. Elle portait, parmi nombre de passagers de toutes les classes, 9 officiers des colonies et un détachement de ce corps. Ces officiers, dans les colonies, avaient fait infliger diverses peines à des soldats, aussi des colonies, qui alors n’étaient pas de leur avis, et qui font maintenant partie d’un détachement qui se trouve ici. * Deux de ces officiers ont eu l’imprudence de descendre à terre avec le capitaine de V Espérance. En mouillant, ils ont été reconnus par quelques soldats. Les esprits se sont écbauffés, et l’effervescence est montée au point qu'on a voulu les assaillir dans le petit quartier, où ils n’avaient eu que le temps de se retirer. « J’ai fait appeler la municipalité ; elle est arrivée, mais le trouble ayant augmenté, elle a cru que le meilleur moyen de l'arrêter, était de mettre les officiers eu état d’arrestation. Elle a donc commandé des détachements de tous les corps. Elle en a composé un bataillon carré, à l’aide duquel nous avons, non sans peine et non sans inquiétude, conduit les détenus jusqu’à la grande porte du port. Là, il n’a plus été possible d’avancer. Des dragons que nous avions à la tête de la colonne ont en vain voulu percer la foule. Les cris et les mouvements ont déterminé la municipalité à placer ces deux officiers à Pontaniou, à la porte duquel on se trouvait alors : Cette mesure, la seule qui pût les sauver de la fureur du peuple, a mis le comble à la fermentation. « Il a fallu battre la générale : toute la garnison a pris les armes ; mais, avec toutes ces forces, il a été impossible de les transférer à l’hôtel de ville, d’autant que la moitié des troupes était contre eux et demandait à grands cris leur tête. Sans la fermeté et la bonne conduite des officiers municipaux, sans la résistance et la bravoure des grenadiers et volontaires nationaux, ils étaient massacrés par la moitié de 44 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 juillet 1791.) ces mêmes hommes armés pour les défendre de la violence et ne les livrer qu’à la loi. « A la nuit, les troubles se sont dissipés et une garde de 100 hommes a suffi à la garde des prisons. Mais ce matin, les attroupements ont recommencé. La garde nationale a plus d’une fois défendu, à ses risques et périls, l’entrée de la prison. « Enfin, le mal paraissant à son comble, j'ai fait prévenir la municipalité du désordre qui régnait à ce poste : elle est venue; et bien assurée qu’il ne restait plus d’autre ressource, et que la garde allait être forcée, elle a pris le parti de confier ces prisonniers aux soins et à la garde de l’artillerie des colonies. Cette troupe ayant promis dVn répondre jusqu’à ce que la loi eût prononcé, s’est formée en bataillon carré et, assistée de la garde de tout Lorient, elle a transféré les détenus, sous escorte, jusqu’au quartier de l’artillerie où ils ont de nouveau été constitués prisonniers avec une garde de 30 hommes. « La municipalité a sur-le-champ dépêché deux de ses membres vers les commissaires civils à Yannes, pour les requérir de se transporter sur-le-champ à Lorient et attribuer à un tribunal la connaissance de cette affaire. La municipalité avait déjà pris des renseignements sur les dispositions à recevoir en cas d’information. « De mon côté, désirant ne pas accumuler des scènes fâcheuses, des scènes aussi alarmantes dans une ville jusqu’alors si tranquille, j’avais envoyé deux chasse-marées à bord de V Espérance. L’un était destiné à porter à Nantes les sept autres officiers d’artillerie et quelques canonniers dont les jours eussent pu être compromis en débarquant ici ; l’autre, à apporter à Lorient les hommes qui pouvaient y être reçus, et je renvoyai la gabarre avec le reste de ses passagers à Brest où leur présence ne devait causer aucun trouble. Les vents de sud-ouest ont contrarié ce projet qui n’avait été formé que pour la sûreté des officiers détenus ; et on me demande en ce moment de mettre en arrestation les autres officiers d’artillerie qui sont à bord de YEspérance. Je ne sais encore ce que cela peut devenir. Il peut se passer bien des malheurs jusqu’à votre réponse; mais je vous prie d’envoyer vos ordres le plus promptement possible. Je mettrai tous mes soins à prévenir les maux dont nous sommes menacés. « Je suis, etc... « Signé : De Secque VILLE. » (L’Assemblée ordonne le renvoi de la lettre du ministre de la manne et de celle de M. de Sec-queville aux comités militaire et des colonies.) M. le Président prie les membres de l’Assemblée de se réunir dans leurs bureaux respectifs pour procéder à la nomination d’un président et de trois secrétaires. Ii annonce ensuite l’ordre du jour de la séance du soir et de celle de demain matin. (La séance est levée à trois heures.) PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU SAMEDI 30 JUILLET 1791, AU MATIN. Notes de M. Camus sur les ORDRES DE CHEVALERIE (1). (Imprimées par ordre de l'Assemblée nationale). Le principe seul est à l’ordre du jour. Peut-il ou ne peut-il pas être conservé des ordres en France ? Pour se décider, il faut considérer les bases de notre Constitution, et ce que c’est que les ordres dont nous parlons ici. Les bases de la Constitution sont égalité, unité. Egalité entre tous les citoyens. On peut être distingué aux yeux de ses concitoyens par ses talents et ses vertus. Cette distinction est permise, parce que chacun peut y aspirer et y parvenir; toute autre distinction, telle que celle de la naissance, est nulle; elle serait inconciliable avec l’égalité de la loi. Unité qui n’admet qu’une seule grande société, celle de tous les concitoyens. Cette unité rejette toute société particulière, toute corporation, qui, ayant des lois et des biens propres formerait un petit Etat dans le grand et unique Etat que la Constitution a formé, et qu’elle peut seul reconnaître. Examen de ce qui est compris dans l'idée des ordres dont nous parlons en ce moment. La mot d 'ordre, susceptible de beaucoup de nuances, indique, en général, une séparation d’un certain nombre de personnes d’avec d’autres personnes, une classe distincte d’autres classes. . Dans l’idée des ordres dont nous parlons, qui sont les ordres de chevalerie, sont compris 4 objets : 1° Des conditions requises pour être admis dans l’ordre : conditions qui portaient les unes sur la naissance, la patrie, la religion du sujet; son état de célibataire, de profès d’une religion, les autres qui portaient uniquement sur des actes que chacun était libre de faire. Exemples : Pour être membre de l’ordre de Malte, il faut être célibataire et faire des vœux de religion. La croix de Saint-Louis s’accorde à des services militaires que chacun peut rem-plir; 2° L’existence d’une corporation, d une union d’individus, liés par un serment commun, obligés à l’observation de statuts communs, possédant des biens communs; 3° Obligations résultant des statuts et des serments; 4° Récompense honorifique. De ces quatre objets une partie est inconciliable avec la Constitution actuelle, une autre partie peut être conciliable sous différentes conditions. Ce qui est inconciliable est: 1° la réserve (1) M. Camus ne donna pas son rapport à l’impression; pour déférer au vœu de l’Assemblée, il se borna à la distribution des notes ci-après, dans lesquelles la question est réduite à ses termes les plus simples.