180 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1791-j DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU LUNDI 13 JUIN 1791. Réponse de Monsieur d’Orléans à l’opinion de M. l’abbé Maury (\) dans l’affaire de la dot de la reine d’Espagne (2). M. I’abbé Maury, qui avait demandé, il y a plus d’un mois, avec uue impatience si partiale, si passionnée, que l’affaire du remboursement de la dot de la reine d’Espagne fût mise à l’ordre du jour, n’a pas pu en attendre le rapport pour exhaler son opinion. Avant d’avoir eu connaissance des pièces qui seules peuvent déterminer un jugement équitable, avant de connaître et l’avis du commissaire du roi, et celui du comité de liquidation, il a émis son vœu. Son opinion composée et imprimée depuis longtemps, connue de beaucoup de monde et destinée à être lue à la tribune, malgré la publicité qu’el e a déjà eu -, n’a évidemment pour objet que d’embarrasser l’affaire et d’en prolonger la décision. Il faut prévenir M. l’abbé Maury, il faut lui répondre, mais, pour épurer la discussion, séparons-en les inexactitudes dans les faits, les infidélités dans les citations, les contradictions dans les assertions, les injures répandues à dessein contre Monsieur le régent, les outrages ré vol tan (set incroyables faits inutilement, pour la cause, aux cendres du petit-lils de Henri IV. Quand M. l’abbé Maury s’oublie aussi étrai gement, c’est à l’indignation seule du public, c’est à l’opinion universelle à en faire justice. L’ombre de Monsieur le régent s’offenserait qu’on lui fît d’autre réponse.Bornons-nous donc au fond de l’affaire; pénétrons, s’il est possible, dans le désordre bien combiné d’une opinion de 74 pages in-8° qui n’m aurait pas 4 si M. l’abbé Maury avait eu des moyens solides à faire valoir; et parmi les sophismes qui se croisent, se détruisent, se reproduisent confusément, sans méthode, mais non sans artifice, saisissons tout ce qui peut avoir même l’apparence d’une objection, d’une difficulté, pour y répondre : n’éludons rien, détruisons tout; que la clarté, que la simplicité, que la vérité soient notre seule éloquence. On peut rassembler, sur huiQpoints principaux, sans les affaiblir, tous les raisonnements de M. l’abbé Maury. Reproduire ses sophismes, c’est les détruire ; montrer les armes qu’il a employées, c’est les briser. PREMIÈRE OBJECTION. Le mariage de Louise-Elisabeth d’Orléans n’était pas utile aux intérêts politiques de la France. La solution de cette objection décide seule toutes (1) Voy. ci-dessus, page 166, l’opinion de M. l’abbé Maury. • (2) M. de Limon, qui avait été obligé, il y a quelque temps, par sa sauté de quitter entièrement les affaires, a dû reprendre un moment la plume pour continuer de défendre une demande dont il connaissait seul les pièces et les détads, et pour répondre à l’imputation que M. l’abbé Maury lui a faite personnellement comme auteur du mémoire en 4 pages intitulé : « Faits décisifs, de n’être pas plus exact dans ses citations qu’adroit dans ses réticences , etc. » les autres; il faut nécessairement quelques détails : qu’on les pardonne à la nécessité de ne rien laisser à désirer. On pourrait répondre à M. i’abbé Maury : 1° Qu’importe l’utilité de cette alliance, si la stipulation de la dot faite dans le contrat de mariage est légale, authentique, obligatoire, et personne ne doute, pas même M. l’abbé Maury, qu’elle n’ait tous ces caractères. 2° L’utilité du mariage est démontrée, puisqu’elle est attestée, et par le traité solennel conclu à JBalsain, en Espagne, le 5 octobre 1721, et par le contrat de mariage lui-même, qui en fut la suite; or, les expressions des traités et des actes ne sont pas oiseuses, et jusqu’à inscripiion de faux, foi doit leur êire accordée : c’est une maxime incontestable. 3° En supposant même, avec M. l’abbé Maury, pour un moment, que Monsieur le régent se fût trompé, ou plutôt le conseil de régence, car tout Je monde saii, tous les historiens contemporains affirment que Monsieur le régent ne prenait rien sur lui; qu’il avait prescrit le dangereux travail du cabinet ; qu’il faisait tout discuter au conseil de régence (1), et qu’il y fit rapporter notamment l’affaire du mariage de sa fille avec le prince des Asturies; en supposant, disons-nous, que ce fût une erreur politique, que ce mariage ne fût pas nécessaire aux intérêts delà France, cette erreur démontrée (et elle ne l’est pas au contraire), ne dé! mirait point l’engagement pris par le contrat de mariage de la reine d’Espagne. Si elle vivait aujourd’hui, M. l’abbé Maury pourrait-)! lui dire : « Votre dot serait à vous, si je trouvais que votre mariage eût été utile à la France. Mais je juge qu’il ne Fa pas été, donc la nation doit vous en punir en envahissant votre dot. » Et ce que M. l’abbé Maury ne pourrait pas dire à la reine d’Espagne, il ne peut pas l’opposer à ses ayanis cause. Elle a vendu sa dot ; son frère ou tout autre l’a acquise; qu’importe, le droit est le même ; il a passé dans le commerce, il est dans les mains de MM. Boyd et Greffulhe, rien ne peut l’y faire périr, rien ne le peut, surtout 45 ans après le décès de la reine d’Èspagne, et 68 ans, après l’époque où Louis XV devenu majeur, pouvait réclamer, s’il y avait eu lieu, contre cet engagement, si sa justice, sa probité, le lui avaient permis. Mais, quand Louis XV a reconnu solennellement cette dette par des lettres patentes du 11 juin 1725, dûment enregistrées en la chambre des comptes, qui faisaient une loi de l’Etat, aussi solennelle qu’elle pouvait l’être alors; lorsque Louis XV, 20 ans après sa majorité, a renouvelé ces lettres patentes, lorsqu’il a l'ait payer les intérêts de cette créance exactement, et qu’ils l’ont été jusqu’à ce jour, lorsque tous les ministres qui se sont succédé ont respecié cette dette, et qu’elle l’a été par l’abbé Terrai iui-même, qui s’était efforcé de spolier arbitrairement la fortune de la maison d’Orléans, il serait non seulement injuste, mais ridicule, mais absurde, d’opposer aujourd’hui aux ayants cause de la reine d’Espagne, ce que l’on n’auratt pas été fondé à lui objecter à elle-même. (1) Le conseil de régence était composé de Monsieur le régent, M. le Duc, M. le prince de Conti, M. le duc du Maine, M. le comte de Toulouse, du garde des sceaux, des ducs de Saint-Simon, de la Force, de Guiclie, de Noailles, d’Antin, des maréchaux de Villeroy, de Vil-lars, de Taliard, d’Eslrées, d’Huxelles, de Bezons, des marquis de Torcy, de la Vrillière, d’Efliat, de Canillac, et de MM. de Ohavigny et Le Pelletier. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1791.] 181 Néanmoins Monsieur d’Orléans va plus loin, et il croit pouvoir démontrer irrésistiblement que le mariage de Louise-Elisabeth d’Orléans était de la plus grande importance pour la France, et d’une utilité telle quesiLouisler, son mari, eut vécu et qu’il eût épousé toute autre que Mademoiselle d’Orléans, Monsieur le régent aurait été coupable, aux yeux de laFrance, de tous les malheurs qui auraient pu l’affliger, s’il avait négligé� de conclure le mariage qu’on lui impute aujourd’hui comme un délit public (page 72) (1), comme une prévarication punissable (page 52). Tout le monde connaît l’importance, pour la sûreté de chaque Etat de cet heureux système d’équilibre de l’Europe, que les guerres qui ont ravagé l’Italie ont créé, que l’ambition de Charles V rendit plus nécessaire encore, et que les succès de Louis XIV et le progrès des lumières dans toute l’Europe ont ensuite perfectionné, système qui a fait sortir des passions opposées des souverains une morale univer-elle, et un intérêt commun en Europe, de tant d’intérêts divers. La mort de Louis XIV, la turbulence du cardinal Alberoni, ses entreprises contre laFrance, le levier qu’il m uait dans les mains du czar pour soulever l’Europe, la succession du trône d’Angleterre, tous ces grands événements détruisirent l’ancien système d’équilibre, et tirent contracter, à presque toutes les nations, des engagements contraires à leurs véritables intérêts (2), et par conséquent de peu de durée. Pour remédier à ce malaise général, touies les puis-ances convinrent de donner un nouveau sy-tème d’équilibre à l’Europe, dans un congrès qui fut indiqué à Cambrai pour le 10 juillet 1720. Mais on négligea quelque temps l’ouverture de ce congrès, et cependant, Monsieur le régent ne négligea pas les intérêts delà France. Défendue par les deux mers, par les Alpes, par l’inviolable amitié des Suisses, par la chaîne de citadelles que l’expérience et le besoin ont fait élever depuis Huningue jusqu’à Dunkerque, la France n’avait qu à se lier avec l’Espagne pour n’avoir désormais à se défendre que du côté de l’Allemagne et des Pays-Bas, pour dominer l’Italie, pour disputer l’empire des mers à l’Angleterre, et pour assurer, par une union désormais inaltérable, (I) Toutes les pages qui sont indiquées dans ce mémoire se rapportent à l’opinion imprimée de M. l'abbé Maury. (2) La France, qui, suivant M. Duclos, aurait dû conserver une union parfaite avec l’Espagne et une défiance prudente de l’Angleterre et de la maison d’Autriche, la France était liée avec l’une et avec l’autre. La Hollande, épuisée par ses succès, qui avait payé si cher la gloire d’humitier Louis XIV, voulait réparer ses forces par son commerce, et supportait impatiemment des liaisons politiques qui pouvaient l’en détourner. L’Empereur, en acquérant les Pays-Bas et des possessions en Italie, devenait plus puissant qu’aucun de ses prédécesseurs, depuis Charles V; mais le traité de Bavière, qui enchaînait l’Escaut et fermait à peu près les ports de la Flandre, lui était insupportable. La Savoie regrettait le sacrifice qu’elle avait fait des deux Sici les pour la Sardaigne. L’Angleterre, humiliée de jouer le second rôle avec la France, par l’effet du traité de la quadruple alliance, désirait en secouer le joug, depuis que l’affermissement de la santé de Louis XV et la retraite du prétendant à Rome changeaient ses vues et sa politique. L’Espagne, entourée de voisins inquiets , d’ennemis de ses colonies, n’avait d’alliés que dans le nord; elle regrettait Gibraltar et Miuorque, et formait des projets sur l’Italie. les possessions des deux nations, et le bonheur de l’une et de l’autre. L’expérience avait appris que les liens du sang et de la reconnaissance (1) qui devaient attacher Philippe V à la France ne suffisaient pas pour cimenter cette alliance. Les intrigues de la princsse des Ursins (2) avaient fait perdre toute influence à Louis XIV sur son pelit-fils. Cella-mare avait tenté d’allumer en France une guerre civile, et l’obsession dans laquelle Alberoni avait tenu Philippe V, l’impossibilité (3) dans laquelle Monsieur le régent avait été de communiquer directement avec ce monarque, lui fit concevoir le projet d’une union qui devait détruire les entraves que les passions des intrigants mettent toujours au bonheur des nations. Il semblait que Monsieur le régent prévoyait qu’un jour l’Espagne, consultant moins l’intérêt desaduréeque celui de sa gloire, viendrait généreusement renouveler cette alliance sur les débris de notre marine, et que peu après la France et l’Espagne réunies, affranchiraient l’Amérique et les mers. Dans ces voi�s profondes, Monsieur le régent conçut ou adopta le projet de donner sa hile au prince des Asturies. Peut-être ne fit-il qu’écouter la proposition que l’Espagne lui en fit; on ignore ces détails, ensevelis dans le dépôt des affaires étrangères; mais ce que les monuments de l’histoire nous apprennent, c’est que ce mariage était de la plus grande importance pour la France, puisque Philippe V, à peine affermi par ses vertus, sur le trône que l’argent et le sang des Français lui avaient conquis, aspirait à en descendre. Il préparait même son fils, en secret, à cet événement en lui donnant de grandes leçons, après lui avoir donné de grands exemples. Or, il est évident que si le prince des Asturies eût épousé une princesse élevée dans des sentiments contraires à la France, l’alliance de l’Espagne était peut-être à jamais perdue pour nous; alors c’eût été pour d’autres el par d’autres, que les trésors du Pérou et du Mexique auraient circulé dans l’Europe; c’eût été sans le secours des braves Espagnols que nous aurions eu à protéger nos colonies, nos possessions lointaines, notre commerce, et peut-être encore, c’eût été contre l’Espagne qu’il aurait fallu défendre la Navarre, le Roussillon et nos provinces. Cette ancienne antipathie, qui avait si longtemps divisé deux naiions faites pour s'estimer, à peine éteinte pouvait renaître; des malheurs sans nombre pour la France, pour l’Europe, pour l’humanité, pouvaient en résulter; Monsieorle régent vit tous ces maux, et Jesprévintpar un projet heureux; et certes, il eût été bien pusillanime, bien coupable, s’il eût été arrêté dans l’exécution de cette sublime conception par la crainte que sa mémoire ne fût no jour, à cette occasion, insultée et calomniée par... M. l’abbé Maury. Et qu’oo ne nous dise pas que nous exagérons les suites d’une alliance du prince des Asturies (1) M. l’abbé de Mably, dans son introduction au Droit public de l'Europe, s’exprime ainsi : « Si Philippe V avait succédé sans contradiction à Charles II, il aurait eu nécessairement les mêmes intérêts et la même politique que ses prédécesseurs; sa reconnaissance aurait été courte. » (2) Elle axait fait suspendre ou languir, pour son intérêt personnel, pendant trois mois, la conclusion du traité d’Utrecht, et elle avait fait marier Philippe V, en secondes noces, contre le gré et presque à l’insu de Louis XIV. (3) Voy. les Mémoires de Duclos, t. Ior, p. 276. 182 [Assemfcîée nationale.] avec toute autre princesse ; que le roi d’Espagne ne se serait jamais uni à l’empereur Charles YI, son ennemi personnel. Le temps a p-ouvé le contraire, puisque 3 ans après, en 1725, au mois d’avril, ces deux souverains, naguère si acharnés l’un contre l’autre, se sont unis par trois traités qui ont étonné leurs voisins, qui ont donné aux enfants de Philippe V une partie de l’Iialie, et qui pouvaient troubler la paix de l’Europe; ce fut l’ouvrage d’un étranger, de ce Riperda devenu premier ministre, et bientôt chassé comme l’avait été Alberoni : comme le soit toujours les ministres ambitieux et ignorants qui mettent leurs passions à la place ce l’intérêt public, trompmt leurs maîtres et bouleversait les Empires. Et que ne serait-il pas arivé, ou du moins, que n’aurait-il pas pu arriver de plus fâch< ux encore, si Loui Ier eut vécu ; qu’au lieu d’épouser Mademoiselle d’Orléans, il se fût uni à une princesse d’une maison rivale, et que Riperda eût renouvelé le projet si souvent conçu et toujours avorté, d’une ligue générale contre la France. L’esprit s’étonne de tous les événements et de toutes les calamités qui devenaient possibles dans cette hypothèse qui n’a rien de forcé. Un homme d’Etat devait sans doute le prévenir, et c’est ce que ht M. le prince. Ce n’est pas ce qui est, ce qui a été, c’est ce qui pouvait , ce qui devait naturellement être, si Louis Ier eût vécu, qu’il faut considérer, pour juger le mariage de Mademoiselle d’Orléans. Le génie s’élance dans l’avenir, prévoit les événements, les fait naître, les dirige, et les maîtrise d’avance. La critique et la médiocrité se traînent à sa suite, épient les événements pour jugi*r par eux des desseins, et tandis que l’homme d’Etat ne regrette pas vingt mesures avortées, peur une qui a réussi, î’hommeinjusteetpeuéclairé oublie vingt mesures qui ont eu du succès pour s’attacher à une seule qui en a manqué. Le projet du mariage de Mademoiselle d’Orléans, dont le but fut détruit par la mort de son époux, n’en était pas moins très sage; il est démontré en effet que jamais allia* ce ne fut plus utile, que jamais mariage ne fut dicté par un plus grand intérêt politique; la basse envie qui ne pardonne ni la prospérité publique, ni la prospérité particulière, a pu s’affliger de trouver l’une et l’autre dans un même mariage: mais l’histoire n’éprouvera jamais ses préventions injustes, et lorsque, par un misérable intérêt particulier, M. l’abbé Maury se tourmente pour jeter de la défaveur sur le mariage de Mademoiselle d’Orléans, pour faire arracher sa dot des mains de ses ayants cause, tous les hommes d’Etat, tous les hommes de génie, tous les lecteurs impartiaux, reconnaîtront une mesure de la plus grande prudence dans ce mariage, et avoueront que l’intérêt de l’Etat devait seul l’a voir déterminé, abstraction faite de toute affection paternelle. Au surplus, pour sYn convaincre, il ne faut que lire les pièces. Ce mariage fut an été par un traité purement politique, conclu à Rilsain, en Espagne, le 5 octobre 1721, entreM.de Langeron-Maulevrier, pour la France, et M. de Grimaldo, premier secrétaire d’Etat, pour l’Espagne. M. l’abbé Maury se garde bien de parler de ce traité, dont copie délivrée par M. de Sérnonin, directeur du dépôt des affaires étrangères, est sous les yeux de l'Assemblée, et dans les mains de M. le rapporteur; et cependant, ce traité est décisif; premièrement parce que c’est un pacte solennel entre deux couronnes, qu’on ne peut pas détruire avec des sophismes; secondement parce qu’il énonce combien ce mariage était utile à la [13 juin 1791.] France, puisque les parties contractantes le regardent comme nécessaire pour resserrer plus particulièrement, plus intimement les liens qui unissaient déjà les deux souverains. Le contrat de mariage répète la même chose, et il faudrait être de bien mauvaise foi, après avoir lu e s deux pièces, pour ne pas recon-naîire combien le mariage de Mademoiselle d’Orléans était utile à la France, et dans ses intérêts politiques. Cette objection résolue, Monsieur d’Orléans pourrait borner là sa répons ■. En effet, si le mariage fat uti e, néressaiie, la dot à donner était i dispensable; le payement en est juste aujourd’hui. Tout es les déclamations et tous les raisonnements s’évanouissent, mais cette démonstration ne subirait peut-être pas à tous les lecteurs, et Monsieur d’Orléans ne veut pas laisser subsister l’apparence même d’une seule des difficultés proposées par M. l’abbé Maury. DEUXIÈME OBJECTION. Il n'était pas d'usage que les princesses de la famille royale fussent dotées par le roi. Monsieur d’Orléans avait dit dans le mémoire in ti tu 1 é Faits décisifs, que Mademoiselle d’Orléans, mariée pour l'Etat, avait dû être dotée par l'Etat, qu' ainsi le voulait l'usage immémorial de la maison de France , et que depuis 2 siècles , il n'y avait pas d'exemptes d'une princesse mariée par un roi de France à l’héritier présomptif d'une couronne étrangère sans avoir été dotée par le Trésor public. M. l’abbé Maury, pour réfuter cette objection, commence par la dénaturer, page 29 : aux mots héritier présomptif d’une couronne étrangère, il substitue ceux-ci, princes étrangers ; et cela est bien différent, car il est tout simple que l’Etat lasse, en faveur d’une alliance avec l 'héritier d’une couron e, ce qu’il ne ferait pas pour d’autres princes étrangers. Ensuite, M. l’abbé Maury, depuis la page 54 de son opinion, ju-qu'à la page 68, dit tour à tour qu’il y a eu et qu’il n’y a pas eu depuis 2 siècles des exemples de princesses mariées à des princes étrangers et dotées par nos rois : il se décide cependant à la page 69, et il s’exprime ainsi : Je somme les conseils de Monsieur d' Orléans de nous citer un exemple , un seul exemple d'une princesse en ligne collatérale de la maison de France , mariée, depuis 2 siècles à un prince étranger, et qui ait été dotée par nos rois. Voici la réponse à cette sommation : Par contrat passé le 25 août 1612, Louis XIII marie Mme Elisabeth, fille de Henri IV, au prince d’Espagne; il lui constitue en dot 500,000 écus d’or sol, et la fait renoncer à toute succession. Par contrat passé le 25 août 1661, Louis XIV promet donner , en nom et loi de mariage, Marguerite-Louise, fille de son oncle Gaston , sa cousine (par conséquent princesse bien collatérale), à ce présenie et consentante, sous l’autorité de sa mère et tulrice, et du premier président du Parlement de Paris, son tuteur, à Cosme de Médicis, prince de Toscane, depuis grand-duc. Le contrat porte : En faveur dudit mariage, Sa Majesté a donné et constitué en dot, à sa cousine , la somme de 900,000 livres, qui a été fournie et payée au sieur ambassadeur extraordinaire (du grand-duc), savoir : 300,000 livres en lettres de change du ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 183 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1791.] sieur Monnerot, receveur général des gabelles de Lyon, etc. M. l’abbé Maury doit être satisfait sur son défi. Il demandait un exemple, en voilà deux; ajon-tons-en d’autres : Par contrat de mariage passé le 30 août 1679, Louis XIV accorde en mariage à don Carlos, roi d’Espagne, Marie-Louise, sa nièce, fille de Monsieur (princesse collatérale); le contrat porte : En faveur et contemplation dudit futur mariage, Sa Majesté a donné et constitué en dot , à la sêrénissime princesse , sa nièce, la somme de 500,000 écus d’or sol, et ce pour tous droits paternels et maternels et autres qui pourraient lui appartenir et échoir. Monsieur d’Orléans avait cité, dans son premier mémoire, ce contrat et M. l’abbé Maury, page 57, apnelle cette citation nécessaire d’un titre de famille, une rodomontade d' érudition. Il prétend que Louis XIV ne fut que caution de la dot; il suffit de lire la disposition copiée fidèlement ci-dessus, portant constitution de dot, pour savoir à quoi s’en tenir. Par contrat passé le 9 avril 1684, Louis XIV promit de donner, en nom et loi de mariage , à Anne d’Orléans, sa nièce (princesse collatérale), à ce présente et consentante, sous l’autorité de son père, à Victor Amédée, duc de Savoie. Le contrat porte littéralement : En faveur duquel mariage, Sa Majesté a donné et constitué à Mademoiselle d'Orléans , sa nièce, la somme de 900,000 livres ............ Moyennant ladite constitution dotale faite par Sa Majesté, madite demoiselle future épouse a renoncé et renonce à tous droits successifs, paternels et maternels, qui pourraient lui échoir. Par contrat passé le 12 octobre 1698, Louis XIV promit de donner en noyn et loi de mariage Elisabeth Charlotte d'Orléans, sa mère (princesse col-laté'ale) à ce présente et consentante sous l’autorité, etc., à Léopold, duc de Lorraine. Le contrat porte littéralement : En faveur et contemplation dudit futur mariage, Sa Majesté donne et constitue en dot, à la demoiselle future épouse, sa nièce, la somme de 900,000 livres. M. l’abbé Maury profite habilement de ce contrat trouvé dans dom Galmet, pour faire faire amende honorable par la mémoire de Louis XIV à la maison de Lorraine. Il ne peut pas s’empêcher d’avouer hautement , page 64, que Louis XIV fut longtemps très injuste envers la maison de Lorraine, dont il eut, pendant tout le cours de son règne, le désir et l'espoir d'envahir l'héritage. Cette opinion de M. l’abbé Maury, qui est peut-être étrangère à la cause, n’est pas une raison pour faire envahir aujourd’hui l’héritage de la reine d’Espagne, et les droits acquis par ses ayants cause. Ces 5 exemples qui répondent victorieusement au défi inconsidéré de M. l’abbé Maury, et à l’assertion encore plus inconsidérée qu’on n’oserait pas l’accepter (p. 69) démontrent que dans tous les temps, lorsque la politique de la France a disposé de la main des princesses, en faveur de princes étrangers, elle a pourvu à leur dot non par droit de naissance, non parce qu’elles étaient en lignes collatérales ou en lignes directes, mais parce que si l’Etat n’avait pas doté les filles que l’Etat mariait pour l’intérêt public, les mariages n’auraient pas eu lieu. D’après cette suite d’exemples non interrompus, auxquels on ne peut opposer un seul exemple contraire, Monsieur le régent a-t-il pu, a-t-il dû s’opposer à ce que le Trésor public dotât sa fille, lorsque l’intérêt public, le salut public, la première des lois, exigeait ce mariage et que sans cette dot il n’aurait pas été conclu, comme on va le démontrer. TROISIÈME OBJECTION. La dot de 500,000 écus d'or sol est trop considérable. Monsieur d’Orléans l’a déjà dit dans son mémoire intitulé : Faits décisifs, la quotité des dots varie suivant les conventions faites entre les différentes maisons souveraines. Il existait un usage immémorial entre la France et l’Espagne; si Monsieur le régent s’était écarté de cet usage en faveur de sa fille pour favoriser son mariage, il n’y aurait rien à lui reprocher dans le cas où une dot plus considérable aurait pu déterminer une alliance aussi nécessaire. Mais à plus forte raison est-il irréprochable lorsqu’il s’est conformé pour la dot de sa fille à ce qui s’était pratiqué dans tous les temps, entre les deux couronnes. Il s’agit de le démontrer. 20 juin 1559. Contrat de mariage d’Elisabeth, fille de Henri II, avec Philippe II, roi d’Espagne. 20 août 1612. Contrat de mariage de Louis XHI avec Anne d’Autriche, fille de Philippe III, roi d’Espagne. 25 août 1612. Contrat de mariage d’Elisabeth, sœur de Louis XIII, avec le prince d’Espagne. 16 novembre 1659. Contrat de mariage de Louis XIV avec Marie-Thérèse, fille de Philippe IV, roi d’Espagne. 30 août 1679. Contrat de mariage de Marie-Louise, nièce de Louis XIV, avec don Carlos, roi d’Espagne. Dans tous ces contrats, les dots réciproques des Françaises mariées en Espagne, des Espagnoles mariées en France, sont de 500,000 écus d'or sol. La dot de Mademoiselle d’Orléans, mariée en 1721, au prince des Asturies, pouvait-elle être inférieure? Sans doute le roi d’Espagne était au-dessus d’une dot quelconque; sans doute la cour de Madrid n’était pas décidée par la dot, eût-elle été beaucoup plus considérable, mais la loi de la réciprocité, la plus sage de toutes enlre les couronnes, permettait-elle une innovation à un usage de deux siècles, et la dignité espagnole n’eût-elle pas été justement blessée, si la France n’avait pas traité l’épouse du prince des Asturies, comme l’Espagne avait traité les épouses de Louis XIII et de Louis XIV? Il ne s’agbsait pas de savoir si Mademoiselle d’Orléans était fille ou petite-fille de France, de la ligne directe ou de la ligne collatérale, mais bien d’examiner si, quand la France donnait une reine à l’Espagne, elle ne devait pas la doter d’une manière convenable à la dignité des deux nations, à l’usage immémorial observé jusqu’alors par l’une et par l’autre, et comme l’Espagne avait doté précédemment deux reines de France, Aussi M. de Langeron, qui signa les articles de mariage, à Bahain, en Espagne, le 5 oc* tobre 1721, ne put-il pas se dispenser de stipuler, pour la future princesse des Asturies, la dot ordinaire de 500,000 écus d’or sol. Les articles furent adoptés en entier par le traité conclu le même jour et dans le même lieu entre la France et l’Espagne. 184 | Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (13 juin 1791.] L’article 6 de ce traité est trop important pour ne pas le transcrire ici en entier : « Gomme les susdits articles de mariage entre « Sa Majesté très chrétienne et la sérénissime « princesse infante d’Espagne et entre le sêrénis-« sime prince des Asturies et la sérénissime « princesse d’Orléans signés aujourd’hui ont été « examinés avec toute la maturité qui convient « dans une matière aussi importante en elle-même, « qu’elle l est par la grand ur et par la dignité a des puissances qu’elle intéresse, et que ces ar-« ticles contiennent toutes les conditions dont « Leurs Majestés Très Chrétiennes et Catholiques « sont convenues, ils seront insérés de mot à mot « dans les contrais de mariage en forme qui se-«. ront dressés comme il est dit à l’article 5 de ce « traité; savoir, à Madrid, pour celui du roi très « chrétien, et à Paris pour celui du séréni ;sime « prince des Asiuries avec la sérénissime princesse « d’Orléans et il ne sera rien ajouté ni retranché « aux susdits articles de mariage, qui puisse en « altérer la force ou en suspendre la pleine et « entière exécution. •> En conséquence de ce traité, le contrat de mariage de Mademoiselle d’Orléans futpassé à Paris le 16 novembre 1721 ; on y inséra, sans rien diminuer ni augmenter, l’article ayant rapport à la dot de 000,000 écus d’or sol telqu’il avait été arrêté par le traité de Balsain, et conformément à ce traité, le roi, par le dernier article du contrat de mariage, garantit le payement exact de la dot, en foi et parole de roi. On terminera cet article par une réflexion bien simple, mais décisive. Dans un traité entre deux parties, l’une ne souscrit pas une condition onéreuse qu’elle ne soit exigée par l’autre. Ainsi M. de Sémonin, en donnant une expédition du traité de Balsain, a fourni la preuve que la dot de 500,000 écus d’or soi a été exigée, puisqu’elle y a été stipulée. U faudrait équivoquer misérablement sur les mots pour dire le contraire. En effet, Monsieur le régent, en mariant sa fille, ne pouvait pas prévoir que, deux ans après, le jeune prince des Asturies finirait sa carrière; il devait croire que sa fille aurait des enfants; et dès lors, que lui importait de procurer une dot un peu plus ou un peu moins considérable à une reine d’Espagne, dont les vastes Etats s’étendaient tellement dans les deux mondes que le soleil ne se couchait jamais pour eux. Et quand Monsieur le régent, cédant à une nécessité politique exigeait le mariage de sa fille, obéissant à un usage de deux siècles, n’a pu, ni empêcher le conseil de régence de donner à sa fille une dot qui ne pouvait profiter qu’à l’Espagne (du moins tout alors devait le faire présumer), une dot dont la quotité était déterminée de temps immémorial. Comment M. l’abbé Maury, page 35, a-t-il pu dire, contre toute vérité, de Monsieur le régent, en parlant de cette dot : il se donne ce qu’il prend à l’Etat ; c'est une prévarication qui serait punie dans un particulier. Monsieur le régentn’a fait quecequ’iladûfaire; il a conclu un mariage très avantageux pour la France, et il n’aurait pas pu, sans être reprocha-ble, risquer de rompre une alliance aussi essentielle, et violer des conventions réciproques, observées depuis 200 ans, pour faire une mince économie. QUATRIÈME OBJECTION. Monsieur le régent a voulu favoriser la renonciation de Mademoiselle d’Orléans , en faveur de son frère, à toutes successions paternelles et maternelles. La passion la plus aveugle peut seule avoir inspiré cette objection; Monsieur d’Orléans y avait répondu, page 2 de ses Faits décisifs. 11 a démontré que la renonciation de Mademoiselle d’Orléans n’était ni une grâce accordée à son frère, ni une disposition particulière à son contrat de mariage , mais une précaution d’usage, établie sur un principe de politique très sage, sur la crainte bien fondée que des souverains étrangers en acquérant, par des mariages, de vastes domaines en France, n’y devinssent trop puissants et n’y troublassent la tranquillité publique. A-t-on oublié déjà les calamités qui ont désolé le royaume sous le roi Jean et sous Chades VI, parce que des étrangers étaient possessionnés en France? Certes, il ne faudrait être ni Français, ni citoyen, ni ami de son pays et de la paix, pour regretter, dans les circonstances actuelles, une renonciation sans laquelle, si Louis 1er eut vécu, deux ou trois individus venant à mourir, l’Espagne aurait aujourd’hui des propriétés considérables dans les ci-devant provinces d’Auvergne, de Champagne, de Hainaut et de Normandie ? Toutes les princesses mariées par Louis XIII, par Louis XIV et par Louis XV, en pays étrangers, n’ont-elles pas renoncé à toutes successions, et réciproquement, toutes les princesses étrangères mariées en France, jusqu’à ce jour, sans aucune exception , n’ont-elles pas fait, au profit de leurs frères, les mêmes renonciations, renonciations importantes pour tous les peuples, et sur lesquelles repose aujourd’hui la tranquillité de l’Europe ? Si Monsieur le régent avait pu négliger une précaution aussi indispensable, il serait, on ne craint pas de le dire, il serait aujourd’hui coupable envers la nation et envers le roi. Est-ce donc pour ne l’avoir pas été qu’il a tort aux yeux de M. l’abbé Maury ? CINQUIÈME OBJECTION. Monsieur le régent a abusé en faisant doter sa fille par le roi. M. l’abbé Maury est tellement tourmenté par le désir de nuire à la demande de Monsieur d’Orléans, si aveuglé par sa passion, si dénué de moyens raisonnables, qu’il est continuellement, dans son ouvrage, en contradiction avec lui-même. Il dit, page 30, que la dot de Mademoiselle d’Orléans était une dot nationale ; page 36, que c’est 1 efiien de son mineur que Monsieur le régent donnait. Le mot de régent du royaume „ consacré par les lois et par l’usage, contrarie le système de M. l’abbé Maury, page 6 et page 51, il l’appelle le régent du roi , dénomination de collège qui heurte le bon goût, l’histoire et les lois, mais qui n’est qu’une adresse, quand M. l’abbé Maury l’emploie, parce qu’il a intérêt de con- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1791.] 185 fondre les fonctions de tuteur du roi et celles de rég nt du royaume. Par suite de cette confusion d’idées, page 38, il établit qu'un régent est comptable, soumis à la loi comme tous les Français; et page 49, il dit : l'autorité d'un régent du royaume est V autorité du roi lui-même. Il ne peut être mis en cause , et n’est obligé de rendre aucun comete de son administration. A l’aide de ces contradictions, M. l’abbé Maury considè e Monsieur le régent comme père ; Comme tuteur du roi; Comme régent du royaume. Comme père , il prouve que, par les lois romaines, il devait doter sa fille; il aurait pu s’en tenir à la loi de la nature, qui parle plus impérieusement au cœur d’un père, que toutes les lois des hommes; mais ni la loi de la nature, ni les lois romaines n’obligent un père à empêcher un de ses parents ou PEtat de doter mieux sa fille qu’il ne pourrait la doter lui-même. Ainsi, tout ce que débite longuement, à cette occasion, M. l’abbé Maury, est absolument hors de la cause. Comme tuteur du roi, Monsieur le régent n’a pas pu doter sa tille aux dépens de son pupille, et à cette occasion, M. l’abbé Maury, qui a consulté les luis romaines, la coutume de Paris et même Denisart, étale, avec complaisance et une sorte d’étonnement de lui-même, les principes que tout le monde connaît sur la rigueur des tutelles. Comme régent du royaume, M. l’abbé Maury éprouve plus d’embarras pour attaquer Monsieur d’Orléans, mais il s’en tire en confondant toujours sa qualité de tuteur du roi avec celle du régent du royaume, et après avoir dit, page 49, qu'un régent n'est, pas obligé de rendre compte de son administration, il dit page 50, que Monsieur le régent était tuteur du roi, qu’il devait un compte de tutelle, et qu'il était responsable de l’administration de ses biens. Pour sortir de ce labyrinthe de contradictions et de ce cercle de sophismes, posons rapidement les principes et la question. Le roi peut être mineur, la royauté ne Pest jamais. Le roi mineur est sous la garde d'un tuteur, mais sa personne seule, son éducation sont l’objet de cette tutelle. La royauté ne peut pas être exercée par un mineur; elle l’est, pendant la minorité du roi, par un régent du royaume qui tient lieu du roi, qui en a toute l’autorité, tous les droits, toutes les fonctions, tous les devoirs. Le tuteur du roi était responsable de sa personne sacrée; c’était un dépôt qui lui était confié. Le régent du royaume n'était pas responsable, parce qu’il tenait lieu du roi, qui ne l’était pas lui-même. Le tuteur du roi ne pouvait pas s’immiscer dans le gouvernement du royaume, se mêler de la paix, de la guerre, de l’administration des finances; le régent seul en était chargé. Ces principes, aussi anciens que la monarchie, sont établis par tous les monumeuts de l’histoire (1). (1) Les historiens de la première race, quand ils parlent des tuteurs que les rois laissaient à leurs enfants, disent : Filium sub custodiâ et tutelâ retiquit, et ils appellent les régents gubernatores regni. Dans les lettres de régence que saint Louis, allant en Afrique, fit expédier, en 1269, à Simon de Nesle et à l’abbé de Saint-Denis, il leur donna la garde, l’administration, la défense et le soin du royaume : Custo-Ainsi l’administration du royaume et la tutelle de la personne du roi ont toujours été distinctes et séparées dans leur essence et dans leurs effets, même lorsqu’elles ont été réunies dans la même main, comme elles l’étaient dans celles deM. le régent. Edes se touchaient sans se confondre. L’Assemblée nationale vient de consacrer celte distinction, et les limites des deux pouvoirs, que la nature et la raison semblaient avoir tracées; mais ses décrets ne pouvant pas avoir une application rétroactive, il était nécessaire d’établir quels étaient les principes du droit public en 1721, sur la nature des doubles fonctions de M. le régent. Actuellement, la question est facile à poser. Est-ce comme ayant la garde et la tutelle du roi, tuiela et custodiâ, ou comme ayant l’administration du royaume, gubernator regni, que M. le régent a fait conclure un traité d’alliance à Balsam, en Espagne, le 5 octobre 1721 ; ensuite, conformément à ce traité, le contrat de mariage de sa fille avec le prince des Asturies, le 16 novembre de la même année; et que, dans l’un et dans l’autre, il a laissé stipuler, suivant un usage de plus de deux siècles, une dot de 500,000 écus d’or sol ? Or, il est évident, pour tous les bons esprits, que M. le régent n’a agi, dans cette circonstance, que comme régent du royaume et non comme tuteur et ayant garde du roi ; que c'est comme administrateur de la fortune publique qu’il a souscrit le traité de Balsain et laissé doter sa fille par le conseil de régence, puisque c’était pour le bien public qu’il la mariait. M. l’abbé Maury convient lui-même que sa dot était nationale ; par conséquent, M. le régent , qui exerçait les droits de la royauté, affectant une dot sur le Trésor public, n'a point disposé du bien de son pupille ; il n’y avait nulle différence (à cette époque) entre un roi et un régent qui mariaient leurs filles, puisque l’un et l’autre exerçaient également, sous des noms différents, la plénitude de la souveraineté; l’un pendant sa vie, l’autre pendant la minorité ; l’un comme un droit héréditaire, l’autre comme l’ayant en dépôt, et tous les deux sans être responsables. Tous les efforts que M. i’abbé Maury fait pour considérer le régent, dans cette affaire, comme un tuteur, sont donc inutiles et, dès lors, toute idée d’abus s’évanouit. Ce qui serait un abus véritable, c’est si M. le régent avait marié sa fille sans utilité pour l’Etat, et qu’il lui eût fait donner une dot immodérée et beaucoup plus diam, administrationem, defensionem et curam regni. Us prirent la qualité de locum tenenles domini regis Francorum, tenants lieu du seigneur roi des Français. Philippe le Bel, en 1294, distingua la régence de la tutelle, en donnant l’une et l’autre à la reine : Joanna, regina Francise , ipsius regni regimen, administratio-nem et curam, nec non primogeniti nostri tutelam ha-beat. Philippe le Long, pendant la grossesse de la femme de son frère, prit le premier la qualité de régent le royaume : regens regnum. En octobre 1374, Charles V donna la tutelle et l’éducation de son fils à la reine son épouse, et la régence à la reine et aux ducs de Bourgogne et de Bourbon. En 1392, Charles VI donna la tutelle, garde et gouvernement du dauphin à la reine, et la régence au duc d’Orléans son frère. Enfin, un arrêt du parlement, en déférant en 1610 à Marie de Médicis la régence, lui donne l’éducation et instruction du roi et l’entière administration du royaume ; ce qui unit, sans les confondre, la tutelle et la régence. 186 [Assemblée nationale.| considérable que l’usage ne le comportait ; mais nous avons vu que le mariage était très important pour la politique de la France, que la dot donnée par le roi avait été déterminée par une règle subsistante entre les deux cours, depuis plus de 200 ans; par conséquent, la conduite de M. le régent est à tous égards irréprochable. Et quand M. l’abbé Maury l’accuse si outrageusement, si calomnieusement, page 30, d'avoir déshérité sa fille, en se réservant l’expectative d’hériter de sa dot, ce qui n’est pas vrai, ce qui esi démenti par le contrat de mariage, c’est peut-êtro le cas de relever aussi, de démentir hautement M. l’abbé Maury, qui prétend, page 27, que M. le régent jouissait de plusieurs acquêts de la plus haute importance. Cette assertion est fausse et perfide; elle n’est fondée que sur des erreurs popul lires. M. le régent n’a fait dans sa vie aucune acquisition importante ; il n’a jamais obtenu de secours extraordinaires sur le Trésor public ; il n’a eu, pendant sa longue régence et son ministère, ni augmentation d’apanage, ni concession de domaines, ni grâces quelconques, si ce n’est le gouvernement du Dauphiné, qu’il paya 900,000 livras de ses deniers à M. de La Feuillade. On délie qui que ce soit de prouver le contraire. M. le regentest mort, laissant plusieurs millions de dettes à acquitter, le fruit de ses libéralités peut-être, il faut l’avouer, de sa prodigalité, et n’ayant jamais été accusé de la vile cupidité que lui suppose gratuitement M. l’abbé Maury, dans tout le cours de son opinion, pas même par ses plus lâches détracteurs, moins connus aujourd’hui par leurs dégoûtantes satires que par le pardon généreux qu’ii leur a accordé (1). Est-ce bien celui qui était tout-puissant, et qui a laissé des dettes ; qui n’a jamais reçu de grâces, et qui en a beaucoup accordé ; qui pouvait doter sa fille secrètement, et qui ne l’a point fait; qui pouvait faire payer sa dot sur-le-champ, et qui l’a négligé ; qui, appuyé sur l’exemple du passé, sur l’intérêt politique du moment (alors présent), n’a pas dû prendre de précautions contre l’avenir ; et enfin qui a fait calquer fidèlement et mot à mot le contrat de sa fille sur les contrats semblables passés depuis 20Ü ans, est-ce lui que M. l’abbé Maury ose accuser aujourd’hui, page 52, d'un abus de confiance scandaleux, du dernier délire de l'immoralité, d’une dilapidation odieuse ; et page 34, d'usurper le bien d'autrui ? M. l’abbé Maury, enfin, car il faut répondre à tout, à l’occasion d'une question de droit, qui le croirait! poursuit M. le régent dans le choix de ses amis, de ses confidents, des ministres ; il lui reproche, page 8, les intrigues du cardinal Dubois, sa société immorale...! Mais si le régent eut tort, comme le lemps nous l’a appris, d’avoir donné sa confiance à l’abbé Dubois, qu’il ne s'était pas choisi pour précepteur, qu’il ne connaissait pas, qu’il ne pouvait pas connaître â son âge, à l’abbé Dubois, que le pieux et persuasif Massillon , le dernier père de l’Eglise, assisté du cardinal de Rohan, consacra évêque de Cambrai, que la cour de Rome éleva de son propre mouvement, et non sur lanomi-(1) Lagrange fut arrêté et envoyé aux îles Sainte-Marguerite, d’où il sortit pendant la Régence même : un auteur qui en aurait fait la moitié moins contre un conseiller au parlement eût été envoyé aux galères. ( Mémoires de Duclos, t. Il, p. 5.) |13 juin 1791.] nation de la France à la pourpre romaine, qui parût être, suivant M. de Fontenelle, un prélat de tous les pays catholiques , et un ministre de toutes les cours; que l’Académie française s’empressa d’admettre dans son sein, pour se parer, comme elle le dit, le jour de sa réception (1), de lui et de ses actions; l’abbé Dubois enfin, que le clergé de France, assemblé en 1723, nomma son président à l'unanimité ; ce tort de M. le régent, partagé par tant de personnes, n’est-il pas excusable, ne mérite-t-il pas quelque indulgence, et était-ce à M. l’abbé Maury, qui tient également au clergé, à l’Académie française, à la cour de Rome, à le reprocher à sa mémoire? Au surplus, était-ce encore à M. l’abbé Maury à renchérir sur les détracteurs d’un grand homme, qui aima le bien et qui voulut le faire, à lui reprocher des faiblesses que l’exemple des héros de tous les pays ne justifie pas sans doute, mais que le temps et la mort auraient dû copier aux yeux de M. l’abbé Maury, et enfin à réveiller avec un art perfide (p. 6) des calomnies atroces démenties par les faits (2), par la suite des événements qui ont amené Louis XVI, le meilleur des rois, sur le trône des Français. Les erreurs deMousieur le régent dans le choix de ses confidents, si amèrement dénoncées par M. l’abbé Maury, n’ont point influé sur les dispositions du traite de Ralsain et du contrat de mariage de sa tille, et on a démontré, on ose le croire, avec évidence, que ces dispositions sont à l’abri des atteintes de la calomnie et de la critique la plus sévère, SIXIÈME OBJECTION. La donation faite par le contrat de mariage de la reine d’Espagne n'a point été ratifiée depuis la majorité de Louis XV. La constitution de dot de Mademoiselle d’Orléans, faite par son contrat de mariage, en vertu d’un traité politique, et conformément à l’usage immémorial de la France et de l’Espagne, était, comme on l’a démontré, légale, obligatoire et d’une légitimité incontestable. Or, ce qui est légitime dans son principe, n’a pas besoin d’être ratifié. Monsieur le régent ayant stipulé, comme régent du royaume, comme administrateur delà foriune publique, il n’est pas douteux que cette stipulation n’avait pas besoin d’être ratifiée par le roi devenu majeur; car la souveraineté n’étant pas mineure, les actes qui en émanent pendant la régence, n’ont pas besoin d’être ratifiés à la majorité du roi. Il n’y a jamais eu, depuis que la majorilé subsiste, un exemple d’une pareille ratification. Aucune loi, aucun auteur, aucun publiciste n’a jamais mis seulement en question si une pareille ramification était nécessaire. (1) Voir le discours de réception du cardinal Dubois et la réponse du sage Fontenelle, recueil des pièces d’éloquence, année 1722, bibliothèque du roi, et dans le même recueil, année 1723_, page 69, le discours de M. le président Hénaut, qui, sachant mieux décrire le passé que prédire l’avenir, assure que la mémoire du cardinal Dubois sera toujours précieuse à l'Académie. (2) « Aux premiers accidents de la maladie, on accusa le régent; le peuple de la cour, plus peuple qu’un autre, accréditait les soupçons. Ceux mêmes qui ne le croyaient pas étaient ennemis du régent, fomentaient ces bruits de tout leur pouvoir, » ( Mémoires de Duclos, tome II, p. 165.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 187 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1791.J On sent en effet que, si elle était nécessaire, une minuriié ne serait qu’un sommeil de la royauté, une interruption de gouvernement, une monarchie absolue. On ne pourrait rien faire, puisque, en effet, tout ce qu’on aurait fait ne serait rien si le roi devenu majeur pouvait, à son gré, le ratifier ou ne pas le ratifier. Si cependant on supposait, contre toute vraisemblance et toute vérité, que Monsieur le régent n’eûi agi que comme gardien du roi , comme tuteur d'une fortune privée . I a disposition qu’il aurait faite du bien de son mineur en faveur de sa fille, serait à la vérité susceptible d’être déclarée nulle. On le s lit, on le sent, et tout ce que M. l’abbé Maury acc mule d’autorités à ce sujet est superflu. Mais il est des lois dont M. l’abbé Maury ne parle pas, qui déterminent le délai dans lequel le mineur devenu majeur peut réclamer contre les actes de sa minorité. Dans le droit romain, ce terme variait suivant la nature des actes, mais il n’excédait jamais 5 ans. Nos lois plus favorables aux mineurs, leur ont accordé 10 ans après la majorité ; c’est la disposition de l’article 134 de l’ordonnance de 1539, qui veut qu’après l’âge de 35 ans accomplis, il n'y ait plus lieu, de la part des mineurs, à la rescision des contrats, soit pour nullité, aliénation de leurs biens, lésions déception ou cir convention. Or, en supposant que Louis XV n’eût même acquis sa majorité qu’à 25 ans (il était né le 17 février 1710), il aurait été majeur le 17 février 1735; le 18 février 1745, il aurait acquis 35 ans, et de ce moment, suivant l’ordonnance de 1539, il n’aurait plus été redevable à se pourvoir en rescision contre la dot de Mademoiselle d’Orléans. On ira même plus loin ; on suppose que l’action du mineur, pour attaquer la donation, n’ait pu se prescrire que par 30 ans, comme toutes les actions ordinaires. Hé bien! 30 ans après la majorité de Louis XV, il n’avait certainement plus d’action; or, il y a un grand nombre d’années que cette prescription serait acquis�. Mais il y a mieux encore, les lois veulent impérieusement qu’un mineur qui aurait approuvé, exécuté, à sa majorité, un acte de sa minorité, ne puisse plus en demander la rescision. La loi 2 au code 5, major ratum habuerit , porte : Qui post vigesimum quintum annum ætatis en quæ in minore cetate gesta sunt rata habuerint frustra rescisionem eorum postulant. Nous avo s adopté cette maxime évidemment dictée par la raison et l’équité naturelle, et notre jurisprudence l’a consacrée. Un arrêt du 23 juillet 1667 (V. le Journal du Palais ) a jugé que l'hypothèque donnée par le mineur, lorsqu'il a ratifié en majorité , ne remonte pas seulement au jour de l'obligation. Ainsi, dans l’hypothèse la plus favorable à Monsieur d’Orléans, la plus contraireàla vérité des faits, sa créance serait donc atteinte. Non seulement Louis XV n’a point fait rescinder la donation dans les 5 ans de sa majorité, comme le droit romain l’exigeait, ni dans les 10 ans comme le porte l’ordonnance de 1539, ni dans le terme de 30 qui fait prescrire toutes les actions ordinaires; mais il a reconnu la légitimité de cette dette après sa majorité; après le décès de Monsieur le régvnt, il a fait liquider ladot de la reine d’Espagne constituée en écus d’or sol, ancienne monnaie qui n’a plus cours, à 4,158,850 livres tournois. Il a donné des lettres patentes à ce sujet, dûment enregistrées; il les a renouvelées 20 ans après. Par ces lettres patentes, l’engagement de sa minorité est devenu celui de sa majorité; il a liquidé en livres tournois, comme majeur, ce qu’il avait donné en écus d’or sol comme mineur; il a eu pour agréable, comme s’explique la loi romaine, la déposition faite pour lui par son tuteur, ratum habuît, et il en a fait payer, tous les ans, les intérêts, pendant 50 années de suite depuis sa majorité, ce qui forme incontestablement 50 odes de ratification successifs. Ainsi, d’après les ordonnances du royaume, la jurisprudence, le droit romain, la créance de la reine d’Espagne serait inattaquable, quand bien même, si ce" n’est pas, on pourrait considérer Monsieur le régent comme un tuteur qui dispose du bien de son mineur. Mais, à plus forte raison, cette créance est-elle légitime et sacrée, lorsqu’elle a été contractée par l’administrateur de la fortune de l’Etat qui avait alors droit et qualité pour le faire; lorsqu’elle a été contractée en vertu d’un traité politique, et pour le grand avantage de l’Etat, qu’elle a été reconnue par le payement exact des intérêts pen-dantprèsde 70ans, et par des lettres patentes dûment enregistrées qui faisaient une loi de l’Etat, aussi solennelle qu’elle pouvait l’être alors, qu’elle a résisté aux intentions malveillantes de l’abbé Terrai, et qu’enfin, sur la foi de litres aussi sacrés, elle est passée dans le commerce, et se trouve aujourd’hui dans les mains d’acquéreurs de bonne foi. On croit qu’il est imnossiblede rien démontrer dans le monde, si cette vérité ne l’est pas. Au surplus, la donation faite par le contrat de mariage n’étant sujette ni à la réversion conventionnelle, puisqu’il n’y en a pas eu do stipulée, ni à la réversion légale, puisque le retour n’a pas lieu de droit, ni dans la couiume de Paris, au profit du donateur collatéral, ni en pays de droit écrit pour les meubles et rien n'est plus meuble qu’une dot stipulée payable à term q sans obligation d’emploi; eu un mot, le payement exact de cette dot ayant été garantie par le contrat de mariage en foi et parole de roi, cette créance est placée, par les décrets de l’Ass unblée nnionale sous la sauvegarde de la loyauté française, et il n’y aurait pas un seul créancier de l’Etat, citoyen ou étranger, qui pût jamais se flatter de faire reconnaître sa créance, si celle de la dot de la reine d’Espagne n’était pas déclarée légitime, si le remboursement en pouvait être éludé. SEPTIÈME OBJECTION. Monsieur d'Orléans n’a pas acquis la dot de la reine d’Espagne à titre onéreux. Tout l’art de M. l’abbé Maury, toute sa ressource dans son opinion, est de confondre les mots et les choses. Monsieur d’Orléans a dit dans son mémoire que le frère de la reine d’Espagne avait acquis sa dot à titre onéreux, et voilà que M. l’abbé Maury prétend prouver le contraire en soutenant que cette acquisition ne lui est pas onéreuse. M. l’abbé Maury ignore-t-il donc qu’il y a deux manières d’acquérir ; A titre gratuit Et à titre onéreux. L’une par des donations ou autres actes équivalents, sans bourse délier; l’autre par des contrats d’acquisition, à prix d’argent, en capitaux, rentes viagères ou perpétuelles, et autres charges onéreuses. 188 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1791.] On peut acquérir à titre gratuit une propriété que des circonstances rendent souvent onéreuses. On \ eut acquérir à titre onéreux une propriété très profitable et très utile. On en a tous les jours des exemples dans les acquisitions qui se font moyennant des rentes viagères. En 1742, la reine d’E-pagne, par un acte passé devant Doyen et son confrère, notaires à Paris, vendit , céda et transporta à Monsieur d’Orléans, son frère, ce acceptant , la nue propriété de la somme de 4,150, 850 livres à laquelle le feu roi avait fait liquider sa dot. Moyennant 810,000 livres une fois payées, déléguées à ses créanciers , 69,314 Z. 3 5. 4 a. de rente viagère sur sa tête et 45,111 l. 14 s. 10 d. de pensions viagères , sur la tête de ses domestiques . Voilà une vente parfaite, il y a vendeur et acquéreur : la chose vendue est connue, le prix de la vente est déterminé. L’acquisit'on était à titre onéreux, le temps seul pouvait apprendre si les conditions seraient profitables ou désavantageuses à l’acquéreur. Si la reine d'Espagne eût vécu encore 25 ans, comme son âge et la table calculée des probabilités de la vie humaine devaient le faire présumer, l’acquisition eût été très défavorable à Monsieur d’Orléans. La reine d’Espagne est venue décéder plus tôt qu’on ne s’y attendait, et l’acquisition a été avantageuse. Dans tous les cas, die a été faite à titre onéreux , et si onéreux, que les lois ne permettent pas au vendeur, moyennant une rente viagère, de se pourvoir en lésion d’outre moitié, parce qu’il ne peut pas y avoir de lésion déterminée avec les chances d’une rente viagère, ni par conséquent de fixation du juste prix. (Pothier, Traité des obligations, lre partie chapitre Ier.) D’ailleurs, si cette vente faisait préjudice à la reine d’Espagne, elle seule ou son héritier pourraient réclamer, et Monsieur d’Orléans est son héritier unique, au moyen de ce qu’il a acquis les droits de Madame de Bourbon, sa sœur. Par conséquent, cette vente qui ne regarde que le frère et la sœur, qui est pour tout autre, comme pour M. l’abbé Maury, res inter alios acta, est à tous égards inattaquable, elle constitue Monsieur d’Orléans acquéreur de bonne foi. A ce titre, il ne demande, et l’objet de sa renonciation et le prix de sa renonciation, comme un honorable membre l’avait pré.-umé par erreur; il use du droit qu’il a acquis que tout autre aurait pu acquérir à sa place, droit, en un mot qui était absolument disponible dans la main de la reine d’Espagne, qui est passé dans le commerce et qui forme aujourd’hui la plus respectable des propriétés; il » st inconcevable que M. l’abbé Maury se soit permis un doute à cette occasion. HUITIÈME OBJECTION. La créance de la dot de la reine d'Espagne n'est pas exigible. Si M. l'abbé Maury, qui a fait inutilement de si grands efforts pour faire douter de la légitimité de la créance de la reine d’Espagne, avait pu y parvenir, s’il eût été persuadé lui-même comme il voulait le persuader aux autres, que la constitution de cette dot était radicalement nulle, il ne se croirait pas obligé de prouver à présent que le remboursement n’est pas exigible; en se restreignant à contester l’exigibilité, il rend hommage au tilre de Monsieur d’Orléans et il renonce à attaquer la légitimité, car l’une des deux questions serait inutile; mais il n’est p is plus fondé dans l’une que dans faute, nous allons le démontrer, c’est la dernière tâche qui nous reste à remplir et c’est ici aux titres seuls à parler. Le contrat de mariage de Louise-Elisabeth d’Orléans avec le prince des Asturies, imprimé par ordre de l’Assemblée, porte article 2 : -< En faveur et contemplation dudit futur ma-« ri âge , Sa Majesté Très Chrétienne a donné et « constiiué en dot, à la sérénissime princesse « Louise-Elisabeth d’Orléans, sa tante, la somme « de 500,000 écus d’or sol, ou leur valeur. « Et se fera, ledit payement, en la ville de « Madrid; savoir un tiers au temps de la célé-« bration dudit mariage, et les deux autres tiers « en deux payements égaux de 6 en 6 mois, « en sorte que le payement soit entier et parfait « un an après la célébration. « Ce contrat est du 16 novembre 1721. Le mariage fut célébré le 21 janvier 1722, par conséquent le 21 janvier 1723, ta dot de la princesse des Asturies était due et exigible. Elle n’aurait pu cesser de l’être dep >is, que par l’aliénation du fonds, ou par une prolongation déterminée du délai fixé pour l’acquitter. Or, la reine d’Espagne n’a pointa iiéné le fonds au feu roi, elle n’a point souscrit de convention pour éloigner l’époque du payement ; par conséquent ce payement n’a pas cessé d’être exigible. Tous les jours la société et le commerce fournissent des exemples que des sommes dues à une époque fixe ne sont payées que longtemps après, soit par un accord tacite entre les parties, so t par l’indulgence de l’un et l’impossibilité de la part de l’autre de se libérer, sans qu’il en résulte que la créance cesse d’être exigible et soit dénaturée. Il s’ensuivrait des principes de M. l’abbé Maury qu’il suffirait d éluder le payement d’une dette "pendant un nombre d’années, pour qu’elle cessât d’être exigible, ce qui serait absurde. Distinguons d’abord, dit M. l’abbé Maury, page 20, un créancier réel d'un simple donataire. Cette distinction n’est pas admissible. Un donataire, par contrat de mariage, a tous les droits d’un créancier, il est véritablement créancier, il ne peut y avoir entre lui et les autres créanciers non privilégiés de titre de préférence que la date de leurs hypothèques. Les plus simples notions, non pas du droit mais seulement de la raison suffisent pour s’en convaincre. Mais, dit M. l’abbé Maury, page 21, vous présentez les lettres patentes de 1725 comme votre véritable titre? non, M. d’Orléans n’a jamais rien dit de semblable. Son véritable titre est le contrat de mariage de la reine d’Espagne, portant constitution u’une dot de 500,000 écus d’or sol ou leur valeur ; mais comme l’écu d’or est une ancienne monnaie qui n’a plus cours, il a fallu liquider leur valeur en livres tournois, et c’est ce qui a été fait par les lettres patentes du 11 juin 1725. Elles s’expriment ainsi : A ces causes, nous avons par ces présentes signées de notre main Liquidé , et liquidons , à la somme de quatre millions cent cinquante-huit mille livres, les cinq cent mille écus d'or sol , que nous avons constitués en dot à notre très chère et très aimée sœur (1), cousine et tante Louise-Elisabeth d'Orléans , reine douairière d'Espagne, par son contrat de mariage du 16 novembre 1721. (1) Le titre de sœur lui est donné comme reine, tous les rois se traitant de frères. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1791.] Monsieur d’Orléans a dit, et il répète avec toute raison que ces lettres patentes de liquidation sont une reconnaissance solennelle, une approbation formelle, une ratification implicite de la constitution de la dot de la reine d’Espagne, et que si un acte de la régence, un traité politique entre deux couronnes, "une stimulation faite légalement [jour cause du bien de l’Etat dans un contrat de mariage, avaient eu besoin «l’être approuvées par le roi devenu majeur, Louis XV n’aurait pas pu donner, et n’aurait pas donné en effet une approbation plus authentique que ces lettres patentes expédiées dans sa majorité depuis le décès de Monsieur le régent , et renouvelées même 20 ans après. Mais M. d’Orléans n'a jamais présenté ces lettres patentes comme son véritable titre, son titre unique. Ses droits sont établis par le contrat de mariage et liquidés par lettres patentes. Ces deux titres n’en forment qu’un et ne peuvent se séparer. Cependant, dit encore M. l’abbé Maury, ces lettres patentes ne stipulent pas formellement le droit de vous faire rembourser votre créance. La réponse est dans les lettres patentes; elles ajoutent à la disposition rapportée ci-dessus. « Et en attendant que nous ayons pourvu au « payement de ladite somme de 4,158,850 livres, « ordonnons que ladite douairière d’Espagne soit « payée annuellement par le gai de de notre tré-« sor royal en exercice, et sur les quittances du « trésorier de sa maison, de la somme de « 207,9821. 10 s., à laquelle montent les intérêts « de ladite somme de 4,158,858 livres, sur le pied « du denier vingt, et ce à compter du jour de la « mort du roi d’Espagne qui est du 31 août 1734. » Il est évident que, loin de détruire l’exigibilité de la dot de la reine d’Espagne, aux termes de son contrat, le roi la confirme et s’y réfère en ordonnant de payer les intérêts, en attendant qu'il soit pourvu au remboursement , ce qui veut dire, en attendant que le rembourse ment soit demandé. La volonté seule du roi n’aurait pas pu dénaturer la créance de la reine d’Espagne, et la convertir en créance constituée de créance exigible qu’elle était; il aurait fallu une convention expresse, et il est évident qu’elle n’a pas eu lieu, qu’elle n’était pas même dans l’intention des parties. Pourquoi donc alors, s’écrie M. l’abbé Maury, ordonner le payement des intérêts, puisqu’il n y a que les sommes constituées qui portent intérêt. M. l’abbé Maury ignore sans doute une maxime élémentaire du "droit, c’est que les deniers dotaux, les donations en faveur de mariage portent intérêt, sans qu’il soit besoin de le stipuler. Il faudrait, au contraire, une stipulation expresse dans un contrat de mariage, pour que la dot promise à la future épouse, ou la donation qui lui a été faite, à litre de dot, ne portât pas intérêt jusqu’au jour du payement effectif qui en sera fait. Pour se convaincre que les intérêts des dots et des donations en faveur de mariage sont de droit, quoique non stipulés dans les contrats, on peut consulter ; Dans le droit romain L. ult. § 2. God. de Jure dotali. Dans le droit canon, les décrétales du pape Grégoiie, Liv. V, tii. XIX, chap. XVI. Dans le droit français. Coquille 123. L’arrêt du 31 mai 1633, rapporté au journal des audience?. 189 Dumoulin, De l'usure , quest. 74; en un mot, tous les jurisconsultes passés et présents. L’intérêt des donations en faveur de mariage étant de droit, il était tout simple, même nécessaire, que le roi, eu liquidant les 500,000 écus d’or soi, à 4,158,850 livres, liquida aussi les intérêts à 207,982 1. 10 s., en attendant le remboursement du capital, car il est palpable que ce capital n’a jamais cessé d’être exigible, et il est démontré qu’il n’a jamais été acquitté, puisque, d’une part, on ne peut pas produire la quittance qui n’a jamais été donnée, et que, de l’autre, le payemei t annuel et très exact des intérêts, depuis ie 31 août 1724 jusqu’à ce jour, démontre que le remboursement n’a jamais été effectué. Mais pourquoi ne l’a-t-il pas été? demandera M. l'abbé Maury. 1° Parce que la reine d’Espagne n’en avait pas besoin, et qu’elle regardait ses fonds comme d’autant mieux placés, qu’ils lui produisaient un intérêt légal et canonique, sans cesser d”ôtre exigibles; 2° Parce qu’un créancier qui veut bien accorder des délais à son débiteur en est le maître, et qu’il n’y a aucune loi qui l’oblige d«* se fane payer exactement à l’échéance de l’obligation, sous peine d’être forcé à renoncer à l’exiger quand il le voudra; 3° Parce qu’un individu n’ayant pas de moyens de coaction contre le roi, la reine d’Espagne ou ses ayants cause, quand ils auraient désiré d’être remboursés, n’aurai' nt jamais pu y forcer le Trésor royal, et qu’il serait barbare d’opposer aujourd’hui au créancier légitime, pour ne le pas rembourser, pour lui refuser justice, le déni de justice du despotisme ministeriel dont il aurait été jusqu’à prés« nt victime. Mais enfin, pour épuiser les questions, pourquoi demanne-t-on aujourd’hui un remboursement que vous n’avez pas voulu recevoir plus tôt? Parce que l’état des affaires de M. d’Orléans a exigé qu’il fît le transport de cette créance, pour payer les dettes de la succession de son père; et que, d’ailleurs, le remboursement de la dette exigible de l’Etat ayant été décrétée par l’Assemblée nationale, les porteurs de cette créance n’ont pas pu se dispenser de se présent' r, conformément aux décrets, pour être remboursés. Le dr it qui appartient à tout débiteur de se libérer les y obligeant, ce n’est même que dans Cette certitude qu’ils ont acquis la créance de la dot de la reine d’Espagne, dont Monsieur d’Orléans est demeuré garant. Concluons donc que la créance de Monsieur d’Orléans n’a pas cessé d’être exigible depuis sa création jusqu’à ce jour, et que l’intérêt payé chaque année n’était qu’un avertissement continuel pour le débiteur de se libérer, et non un titre de libération. Examinons maintenant si cette créance, toujours exigible, est remboursable aujourd’hui. Et pourquoi ne le serait-elle pas? L’Assemblée nationale a séparé, comme la nature des choses l’indiquait, la dette de l’Etat en deux masses; la dette constituée et la dette exigible, et l’on sait que tout ce qui n’est pas constitué est exigible. La dette exigible doit être acquittée : c’est le vœu de la nation, c’est le vœu de ses représentants, c’est le vœu du roi. Si ou diffère de la payer, la nation suspend ses payements; si on refuse de la payer, la nation est en faillite. Loin