444 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juin 1790.] à qui vous avez accordé 30,000 livres de revenu. L’excédent serait une violation manifeste de vos principes : ce que le préopinant appelle un acte de justice, je l’appellerai moi un acte d’injustice et un oubli de tous nos devoirs. Il existe une première loi canonique; je ne citerai ni saint Chrysostome, ni saint Paul, ni saint Bernard : je ne les connais pas ; mais je connais bien cette loi, que nul ne peut posséder plus d’un bénéfice, cette loi sage, d’après laquelle un ecclésiastique ne peut jouir que d’un tiers net de son revenu : et cependant qui aurait pu assouvir l’insatiable avidité d’un seul de nos titulaires ? Ils se seraient emparés des biens ecclésiastiques des trois royaumes. Quel est le bénéficier qui les aurait refusés ? S’il est de bonne foi, qu’il me réponde ; de pareils abus ne se prescrivent pas contre la loi. Après les grands coups que vous avez portés, qui vous empêche de prononcer? Je vous en supplie, au nom de l’habitant des campagnes, jusqu’ici malheureux et méprisé. En réduisant les évêques à 30,000 livres, vous leur accorderez bien au delà du nécessaire, vous ferez exécuter les lois trop longtemps oubliées. Eh ! quels sont donc leurs titres, pour venir ici réclamer des préférences ? Où sont donc leurs preuves de patriotisme, pour nous disposer à des sacrifices en leur faveur? Leurs noms sont-ils sur la liste des contributions patriotiques ? Ont-ils, par des mandements pacifiques, préparé le peuple à la plus belle des révolutions qui se soit jamais opérée ? Pour vous donner une preuve de leur esprit, vous rappellerai-je ces assemblées de prélats délibérant sur le sort du clergé de second ordre, accordant 700 livres aux curés, 300 livres aux vicaires, et se retirant, disaient-ils, le cœur navré de ne pouvoir accorder davantage : 30,000 livres ne les contentent pas; ils réclament la justice. Quel est le général d’armée qui ne s’en contenterait pas? Où est le citoyen vertueux à qui celte somme ne suffirait pas pour entretenir lui et une nombreuse famille ? J’appuie le projet du comité, et je demande par amendement que les curés dont le traitement n’excédera pas 3,000 livres en jouissent en entier. M. Pétion. Il ne s’agit pas de s’emparer des biens ecclésiastiques, mais d’en faire une nouvelle distribution. Le clergé lui-même disait que la répartition de ses biens était inexacte. Gomment la changer, si ce n’était en diminuant les revenus de ceux qui possèdent trop? Il ne s’agit uniquement que de cette opération. Voilà le total du revenu du clergé; faisons-en une nouvelle distribution. L’opération me paraît simple. Vous avez présenté un maximum pour le clergé futur ; je le prends pour le minimum du traitement actuel, et en suivant une proportion graduelle personne n’aura à se plaindre. ( Les murmures empêchent d’ entendre la voix de l’opinant pendant le reste de son opinion). M. de Cazalès. Parmi le grand nombre d’orateurs qui ont parlé dans cette question, tous sont convenus que le droit qu’ont les titulaires de jouir des bénéfices qu’ils possèdent est une véritable propriété. (Plusieurs membres de la partie gauche s'écrient qu'on n'est pas convenu de cela.) S’il existait deux espèces de propriétés devant la loi, s’il existait des propriétés privilégiées, celles des titulaires devraient être du nombre ; leurs jouissances reposent sur toutes les conventions nationales, suivant les règles et les formes établies ; mais, comme [on vous l’a dit, à charge onéreuse, à la charge de se lier à un état auquel ils ne peuvent plus renoncer. Si, sous prétexte que quelques-uns ont une fortune excessive, on pouvait composer avec les propriétés, si on adaptait à toutes les matières les principes d’égalité, on irait jusqu’à demander la loi agraire et la subversion de tous les liens politiques. Les titulaires ont le droit de propriété aux jouissances usufruitières qui leur ont été accordées, et toute espèce d’ultimatum est incompatible avec ces principes. Je conclus en adoptant l’opinion de M. Thouret, en ôtant l’ultimatum. M. Chasset. Je dois remettre sous vos yeux la position dans laquelle s’est trouvé le comité. Rappelez-vous le décret qui assigne un traitement aux religieux, dont quelques-uns étaient sans revenu ; rappelez-vous que l’état des religieuses n’est point encore fixé ; que vous vous proposez d’augmenter le traitement des vicaires ; que vous vous chargez de l'entretien des pauvres. La seule opération qui était soumise à votre comité, c’était un nouveau partage, par lequel on ôtait le superflu aux uns, pour donner le nécessaire aux autres. On vous a proposé une répartition proportionnelle aux richesses des titulaires. Eh bien ! je suppose que vous ayez à partager entre deux individus, dont l’un aurait 500,000 livres et l’autre 2,000 livres ; en déduisant les deux tiers qui ne leur appartiennent point, vous laissez au premier beaucoup trop, et le dernier n’a pas le nécessaire. Je fais cette simple réflexion, pour vous montrer dans les plans proposés l’impossibilité de l’exécution, et les vues sages qui ont guidé le comité. M. le Président. Il vient d’arriver de Perpignan une lettre des officiers du régiment de Touraine , et un procès-verbal au sujet de V enlèvement des cravates de leurs drapeaux. Un de MM. les secrétaires va en faire lecture. M. de Pardieu, secrétaire , lit ces deux pièces. « Nosseigneurs, le corps des officiers du régiment de Touraine, indigné de l’enlèvement de ses drapeaux par M. le vicomte de Mirabeau, supplie l’Assemblée nationale de lui rendre prompte justice, et nous certifions que le procès-verbal ci-joint est véritable, « Nous sommes avec un profond respect, Nosseigneurs, vos très humbles et très obéissants serviteurs. « A Perpignan, le 13 juin 1790. « Signé : Le chevalier d’Iversay , de Chariot, Pontavie, Larroux, Meyvière, d’Artois, La Caudelle, Gorvey, Martin, Baudreuil, de Châteaugaillard, Du Beiloy, Hainaud, Thorème, le vicomte de Bonne, de Préchâteau, Chéron, Patel, de Bonne, Serre, de Pontoux, Jory. » « PROCÈS-VERBAL Dü 1 1 JUIN rédigé à 11 heures du matin , en la maison du sieur d’Aguilar, maire de la ville de Perpignan , par les officiers, adjudants, bas-officiers caporaux et soldats du régiment de Touraine. « La compagnie des grenadiers, MM. Patel et Martin, officiers, et M. Serre, porte-drapeau, à leur tête, d’après l’ordre du sieur d’Iversay, s’étant 445 [Assemblé© nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juin 1790.] rendus dans la maison du sieur d’Aguilar, maire de la ville, pour reprendre les drapeaux qu’on lui avait confiés, ont vu, avec le dernier désespoir, qu’il ne restait plus à ces témoignages de leur valeur, absolument que les bâtons dégradés et dépouillés de leurs cravates, et quelques vestiges que l’on a trouvés dans l’endroit où ils reposaient, preuve évidente de la rage de celui qui les avait ainsi mutilés. On leur a déclaré que la Chambre, à côté de laquelle était le cabinet où les drapeaux reposaient, avait été la chambre où avait demeuré M. le vicomte de Mirabeau, depuis qu’il s’était retiré dans la maison du sieur d’Aguilar. « En foi de quoi, nous avons dressé le présent procès-verbal en la maison susdite, ce 11 juin à onze heures du matin, l’année 1790, et ont signé : « Le chevalier d’iversay; de Chariot; de Tho-rème ; Baudreuil; de Préchâteau; Patel; Serre, porte-drapeau; Lubin, sergent-major ; Dutrieux, fourrier ; Meyvière ; d’Artois, le jeune, caporal ; Beson, appointé; About, secrétaire; de Château-gaillard, de Bonne ; Lalandelle ; Pontavie ; Du ’Belloy; d’Aguilar, maire; le baron d’Aguilar; Martin ; le comte de Montagne ; Cholet, lieutenant du roi ; le chevalier Du Yivier ; le vicomte de Bonne ; Chéron ; le chevalier de Pontoux et de Reuvent. « Pour copie conforme à l’original, resté en mains du commandant du corps. « Le chevalier d’Iyersay. » (Ces deux pièces sont renvoyées aux comités des rapports et militaire déjà saisis de l’affaire.) L’Assemblée reprend la suite de la discussion sur l’article 1er du décret concernant le traitement du clergé actuel. M. E-e Chapelier. Des difficultés assez considérables se présentent sur les opinions respectives : lorsqu’on dit que c’est assez de 30,000 livres pour un homme, on est sûr de réunir tous les suffrages; mais ce n’est pas par ces considérations qu’il faut se décider. Il y en a d’autres, fondées sur la plus stricte justice, qui jamais n’a été repoussée dans l’Assemblée. On associe pour ce traitement celui qui a 40,000 livres et celui qui en a 500,000, parce que, dit-on, on ne doit accorder aux ecclésiastiques que le nécessaire. On se trompe. {Il s’élève des murmures dans la partie gauche .) Il était établi légalement que les titulaires avaient le droit de jouir du tiers du revenu, n’importe la somme à laquelle il se montait. {Les murmures continuent.) S’il fallait parler jurisprudence, je pourrais citer des circonstances où l’on a prouvé l’incompatibilité de certains bénéfices : donc il y en avait de compatibles. Cherchons une opinion plus sage que celle qui va presque jusqu’à autoriser les ecclésiastiques à ne pas payer leurs dettes, à ruiner des pères de famille et des ouvriers industrieux par une économie hors de saison, qui ne s’apercevra presque pas dans la masse des biens ecclésiastiques. Si vous craignez tant que les ecclésiastiques en abusent, décrétez positivement que les fonds que vous leur accorderez seront destinés à payer leurs créanciers. J’adopte la motion de M. Thouret, en y faisant deux amendements. Le premier consiste à s’arrêter dans le tableau de la réduction progressive au cinquième degré de l’échelle, de sorte que le taux le plus élevé du traitement soit de 75,000 livres. Le second est que la dotation des abbés et de tous autres ecclésiastiques ne s’élève pas au-dessus de 24,000 livres. Je présenterai encore un autre amendement : ce serait qu’au-dessus des 12,000 livres pour les évêques, et de 1,000 livres pour les autres bénéficiers, le reste de leurs revenus fût saisissable par leurs créanciers. Voici les avantages que je me promets de ces amendements. Les créanciers conserveront la même espérance que lorsque les titulaires restaient maîtres de leurs bénéfices. Je prends le taux le plus haut parce que ce sont les ecclésiastiques les plus riches qui ont le plus de dettes. Les créanciers n’espéraient pasqu’un bénéficier mît de côté, pour les payer, une somme de 60,000 livres. Regretterez-vous que ceux qui ont fait des économies continuelles jouissent sur leurs vieux ans d’une somme un peu plus considérable et quitte de toutes dettes ? Enfin, je soutiens que l’augmentation qui se trouverait faite sur la proposition du comité ne monterait pas, pour la première année, à 7 ou 800,000 livres. Le comité lui-même a reconnu la nécessité de traiter favorablement les vieillards. Ajoutez qu’il y a des bénéficiers titulaires depuis un an, qui n’ont pas encore touché de quoi payer le prix de leur bulle et l’établissement de leur ménage. Il paraît de toute justice de payer leurs dettes, si on les prive de leurs revenus. Vous savez aussi que plusieurs bénéficiers ont emprunté sur leurs menses en vertu de lettres patentes ; toutes ces dépenses doivent être à la charge de la nation... {Il s’élève beaucoup de murmures.) M. le Président. Si le désordre qui règne dans l’Assemblée continue, je déclare que je serai obligé de lever la séance. M. l