SÉANCE DU 5 MESSIDOR AN II (23 JUIN 1794) - Nos 59-60 131 République tous ceux des représentans qui ont le plus de part à sa confiance, et qui sont plus spécialement chargés de veiller à son salut. Elle invite la Convention à rester à son poste. Mention honorable, insertion au bulletin (1). [Extrait des registres de la Sté popul.; Séance extraordinaire du 17 prair. II] (2). « Citoyens Representans La Société populaire de Paul les fontaines ci devant St Paul 3 châteaux, a frémi d’indignation et d’horreur au récit de l’attentat comis sur quelques uns de vous, et son indignation a été à son comble, en aprenant le complot infernal qui devait ravir à la Republique tous ceux d’entre vous qui ont le plus de part à sa confiance, qui sont le plus spécialement chargés de veiller à son Salut, mais dans notre douleur profonde quel sujet de consolation et d’espoir, en voyant que l’être suprême veille sur vous d’une maniéré si particulière et se plait à déjouer tous les complots de nos ennemis et à rendre vains tous leurs efforts. A ces traits si marqués d’une protection spéciale, nous re-conaissons qu’il agrée l’homage solemnel que la Nation française vient de rendre à son existance et le culte vraiment digne de lui, qu’elle lui adresse en metant la probité et la vertu à l’ordre du jour. Continués, dignes representans, vos glorieux travaux et ne quités point votre poste que vous n’ayés conjuré les orages et fondé le bonheur public sur les bases etemeles de la justice P.c.c. Marbaud (secret.), Bonneaud. 59 Une députation du conseil-général de la commune d’Alençon (3) se présente à la barre de la Convention nationale, la félicite sur ses immortels travaux, et son infatigable vigilance à anéantir les factions qui se forment pour anéantir la liberté publique et la représentation nationale; que ne peut et ne doit-on pas attendre, dit l’orateur, de ces frères républicains, de ces héros de sagesse et de prudence qui ont détruit tous les vices qui dévoient ronger le corps politique, et jeter dans le même tombeau le , gouvernement démocratique et les vertus sublimes sur lesquelles il est essentiel-Iment fondé ? Organes des sentimens des citoyens de la commune d’Alençon, nous déclarons que la confiance en la Convention nationale est élevée au plus haut degré. Ils sont tous éclairés sur leurs véritables intérêts, et tous savent que leur salut et leur bonheur est tout entier dans la Convention nationale; qu’elle seule peut fonder la République sur la pureté des moeurs, l’énergie des mesures, ia sagesse des combinaisons et la vigueur de leur exécution (4). (1) P.V., XL, 110. Bin, 6 mess.; J. Paris, n°S42. (2) C 309, pl. 1203, p. 25; C. Eg., n°676. (3) Orne. (4) Bin, 7 mess, (reproduit ensuite la minute du p.v. ci-dessous). Le conseil général de la commune d’Alençon exprime le dévouement absolu à la chose publique, une obéissance sans bornes aux decrets de la Convention nationale, et le serment inviolable de les faire exécuter avec précision et energie; un respect illimité pour les arrêtés du comité de salut public, et dans la Convention nationale, une confiance aussi étendue que l’est son ardeur pour le triomphe de la liberté française. U annonce qu’il a déposé sur l’autel de la patrie, entre les mains des administrateurs du district, pour les besoins de nos frères, 320 paires de souliers, 298 chemises, des habits, culottes, gilets, guêtres, bas, sacs de peau, et chapeaux. Mention honorable, insertion au bulletin (1) . 60 Un membre [COUTHON], au nom du comité de salut public, fait un rapport sur l’assassinat de Vincent Matignon, martyr de la liberté (2). Couthon : Une révolution comme la nôtre, que les derniers excès du vice et de l’oppression ont amenée, ne peut être qu’un combat à mort entre le crime et la vertu. Le succès n’est point douteux, mais la lutte est pénible, et trop souvent il faut déposer sur des tombeaux quelques-uns des lauriers destinés à parer le triomphe de la république. Eh ! comment la vertu n’aurait-elle pas des martyrs ! Si le crime la menace, s’il déploie contre elle les ressources de la perfidie et les attentats de la fureur, inébranlable dans ses devoirs, elle n’oppose aux complots que la prudence et la justice, aux menaces qu’un courage à toute épreuve, aux dangers qu’un dévouement sans bornes. Mais lorsque la vertu modeste et sans défiance s’oublie elle-même, le peuple vous charge de la défendre, de la couronner de la venger. D’une main vous tenez les palmes qu’il destine à l’homme de bien, de l’autre les foudres qu’il lance sur les coupables. Je viens vous presser de déployer ce double pouvoir. Dans une des sections de la république, appelée le département de l’Ardèche, et à peu de distancé de la plaine de Jalès, existe une commune où l’amour de la révolution n’a. jamais pu s’acclimater; c’est la commune de Cruzières, ci-devant Saint-André. Les habitants de cette contrée criminelle portèrent toujours avec répugnance le signe sacré du ralliement des homme libres, ils firent plus, ils foulèrent aux pieds la cocarde tricolore, et l’infâme cocarde blanche y fut arborée dès les premiers temps des combats pour la liberté; c’est là que le traître Dusaillant a tràmé ses complots, c’est là qu’il a recruté publiquement son armée, c’est là qu’il a rencontré des scélérats dignes de composer son état-major, c’était là que se ralliaient les conjurés, c’est de là que sont sortis les brigands qui ont assiégé le château de Bane. (1) P.V., XL, 110. M.U., XLI, 138. (2) P.V., XL, 111. SÉANCE DU 5 MESSIDOR AN II (23 JUIN 1794) - Nos 59-60 131 République tous ceux des représentans qui ont le plus de part à sa confiance, et qui sont plus spécialement chargés de veiller à son salut. Elle invite la Convention à rester à son poste. Mention honorable, insertion au bulletin (1). [Extrait des registres de la Sté popul.; Séance extraordinaire du 17 prair. II] (2). « Citoyens Representans La Société populaire de Paul les fontaines ci devant St Paul 3 châteaux, a frémi d’indignation et d’horreur au récit de l’attentat comis sur quelques uns de vous, et son indignation a été à son comble, en aprenant le complot infernal qui devait ravir à la Republique tous ceux d’entre vous qui ont le plus de part à sa confiance, qui sont le plus spécialement chargés de veiller à son Salut, mais dans notre douleur profonde quel sujet de consolation et d’espoir, en voyant que l’être suprême veille sur vous d’une maniéré si particulière et se plait à déjouer tous les complots de nos ennemis et à rendre vains tous leurs efforts. A ces traits si marqués d’une protection spéciale, nous re-conaissons qu’il agrée l’homage solemnel que la Nation française vient de rendre à son existance et le culte vraiment digne de lui, qu’elle lui adresse en metant la probité et la vertu à l’ordre du jour. Continués, dignes representans, vos glorieux travaux et ne quités point votre poste que vous n’ayés conjuré les orages et fondé le bonheur public sur les bases etemeles de la justice P.c.c. Marbaud (secret.), Bonneaud. 59 Une députation du conseil-général de la commune d’Alençon (3) se présente à la barre de la Convention nationale, la félicite sur ses immortels travaux, et son infatigable vigilance à anéantir les factions qui se forment pour anéantir la liberté publique et la représentation nationale; que ne peut et ne doit-on pas attendre, dit l’orateur, de ces frères républicains, de ces héros de sagesse et de prudence qui ont détruit tous les vices qui dévoient ronger le corps politique, et jeter dans le même tombeau le , gouvernement démocratique et les vertus sublimes sur lesquelles il est essentiel-Iment fondé ? Organes des sentimens des citoyens de la commune d’Alençon, nous déclarons que la confiance en la Convention nationale est élevée au plus haut degré. Ils sont tous éclairés sur leurs véritables intérêts, et tous savent que leur salut et leur bonheur est tout entier dans la Convention nationale; qu’elle seule peut fonder la République sur la pureté des moeurs, l’énergie des mesures, ia sagesse des combinaisons et la vigueur de leur exécution (4). (1) P.V., XL, 110. Bin, 6 mess.; J. Paris, n°S42. (2) C 309, pl. 1203, p. 25; C. Eg., n°676. (3) Orne. (4) Bin, 7 mess, (reproduit ensuite la minute du p.v. ci-dessous). Le conseil général de la commune d’Alençon exprime le dévouement absolu à la chose publique, une obéissance sans bornes aux decrets de la Convention nationale, et le serment inviolable de les faire exécuter avec précision et energie; un respect illimité pour les arrêtés du comité de salut public, et dans la Convention nationale, une confiance aussi étendue que l’est son ardeur pour le triomphe de la liberté française. U annonce qu’il a déposé sur l’autel de la patrie, entre les mains des administrateurs du district, pour les besoins de nos frères, 320 paires de souliers, 298 chemises, des habits, culottes, gilets, guêtres, bas, sacs de peau, et chapeaux. Mention honorable, insertion au bulletin (1) . 60 Un membre [COUTHON], au nom du comité de salut public, fait un rapport sur l’assassinat de Vincent Matignon, martyr de la liberté (2). Couthon : Une révolution comme la nôtre, que les derniers excès du vice et de l’oppression ont amenée, ne peut être qu’un combat à mort entre le crime et la vertu. Le succès n’est point douteux, mais la lutte est pénible, et trop souvent il faut déposer sur des tombeaux quelques-uns des lauriers destinés à parer le triomphe de la république. Eh ! comment la vertu n’aurait-elle pas des martyrs ! Si le crime la menace, s’il déploie contre elle les ressources de la perfidie et les attentats de la fureur, inébranlable dans ses devoirs, elle n’oppose aux complots que la prudence et la justice, aux menaces qu’un courage à toute épreuve, aux dangers qu’un dévouement sans bornes. Mais lorsque la vertu modeste et sans défiance s’oublie elle-même, le peuple vous charge de la défendre, de la couronner de la venger. D’une main vous tenez les palmes qu’il destine à l’homme de bien, de l’autre les foudres qu’il lance sur les coupables. Je viens vous presser de déployer ce double pouvoir. Dans une des sections de la république, appelée le département de l’Ardèche, et à peu de distancé de la plaine de Jalès, existe une commune où l’amour de la révolution n’a. jamais pu s’acclimater; c’est la commune de Cruzières, ci-devant Saint-André. Les habitants de cette contrée criminelle portèrent toujours avec répugnance le signe sacré du ralliement des homme libres, ils firent plus, ils foulèrent aux pieds la cocarde tricolore, et l’infâme cocarde blanche y fut arborée dès les premiers temps des combats pour la liberté; c’est là que le traître Dusaillant a tràmé ses complots, c’est là qu’il a recruté publiquement son armée, c’est là qu’il a rencontré des scélérats dignes de composer son état-major, c’était là que se ralliaient les conjurés, c’est de là que sont sortis les brigands qui ont assiégé le château de Bane. (1) P.V., XL, 110. M.U., XLI, 138. (2) P.V., XL, 111. 132 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Cependant, au milieu de cette tourbe perverse, l’on distinguait deux patriotes purs et courageux, Vincent Malignon et son fils. Presque seul pour la cause du peuple, Malignon père veut détromper ses concitoyens égarés; Dusaillant craint les effets heureux des instructions de Malignon père et du zèle de Malignon fils; il les fait enlever et jeter dans un cachot. Ils y demeurent longtemps sous la main cruelle des traîtres; enfin ils parviennent à s’échapper, se réfugient d’abord dans d’épaisses forêts, et à travers mille dangers rejoignent l’armée des patriotes. L’orage se dissipe, les brigands périssent ou sont dispersés, leurs chefs ne sont plus, et les braves Malignon reviennent dans leurs foyers. Mais, par une fatalité inexplicable, leur maison était devenue la proie des flammes au milieu de l’embrasement auquel l’armée patriote avait livré la commune de Cruzières, ce repaire dangereux de contre-révolution. Vous vous êtes hâtés de réparer ce malheur, et vous avez accordé une indemnité au patriote Malignon. Il semblait qu’après tant d’épreuves Malignon père allait goûter en paix les fruits de sa persévérance et de sa vertu; mais il était réservé à un sort plus glorieux : il était digne de périr pour la cause pour laquelle il avait tant souffert, et ses perfides compatriotes étaient bien faits pour devenir ses assassins. H avait été nommé procureur de la commune de Cruzières. Doux sans mollesse, ferme comme la loi, il exerçait ses fonctions en véritable magistrat du peuple. Survint le décret du 23 août, qui appelait une partie des citoyens à l’honneur de défendre la patrie. Le fils de Malignon, hors de la réquisition par son âge, veut donner l’exemple à ses concitoyens; il s’enrôle et part. Les jeunes gens de sa commune, forcés d’obéir à la loi, partent aussi; mais, infestés de royalisme, c’est pour eux un tourment de demeurer sous les drapeaux de la liberté; ils abandonnent lâchement leur poste, et retournent dans leur commune s’unir à ceux qui formaient des vœux contre la prospérité de la république. Malignon, comme agent national, devait dénoncer cette violation de la loi, au district de Tanargues; il le fait avec son courage ordinaire. Quelques lâches sont saisis; les parents qui leur avaient donné asile sont arrêtés. L’effroi s’empare aussitôt des coupables. Ils ne voient plus de ressources que dans le cœur bon et généreux de Malignon; ils courent lui exprimer leur repentir, et le prier de solliciter leur grâce. Malignon se laisse toucher: il vole au district de Tanargues, l’invite à oublier une faute qu’effacent des regrets sincères, et revient leur annoncer leur pardon; on leur délivre des feuilles de route pour rejoindre l’armée. Vous pensez peut-être que bientôt au champ de l’honneur ils laveront dans le sang des ennemis de la république la faute d’avoir oublié un moment leurs devoirs; vous connaîtriez mal les (Sœurs ulcérés d’aristocratie : ils sont capables de feindre, ils sont incapables de tout sentiment de vertu. Les lâches qui venaient de laisser couler des larmes hypocrites essaient de nouveau à échapper à la réquisition; mais, désespérant de tromper une seconde fois leur généreux bienfaiteur... ô comble de la scélératesse !... ils projettent de l’assassiner. Le 2 floréal, vers les 10 heures du soir, Malignon revenait du chef-lieu de la commune; il était à 50 toises de la dernière maison lorsqu’un coup de feu l’atteint et le renverse. Ses meurtriers n’attendent pas qu’il ait rendu le dernier soupir; ils s’emparent de son corps expirant et ensanglanté, avec une fureur qui n’a d’exemple que parmi les tigres, le traînent à 600 toises plus loin, et le plongent au fond d’un précipice où ils cherchent à ensevelir dans un éternel oubli et leur forfait et leur victime. Mais la trace du sang les trahit; elle conduit les patriotes à la tombe du vertueux Malignon, et leur crie de punir ses assassins. Au premier bruit de cet événement affreux, l’indignation et la douleur s’emparent de toutes les âmes. Les administrateurs du district, mus par un sentiment qu’ils ne peuvent comprimer, oublient un moment qu’à la Convention seule appartient de décerner les honneurs publics au nom du peuple entier, qu’elle seule doit régler la division du territoire de la république. Ils ordonnent que le précipice qui recèle le corps de Malignon sera comblé; qu’une pyramide élevée au-dessus transmettra à la postérité son nom avec le récit du crime qui l’a privé du jour. Ils font saisir les scélérats sur lesquels tombent de justes soupçons; ils ordonnent l’anéantissement d’une commune qui n’a produit que des monstres, et qui n’a pu souffrir sur son territoire la présence d’un seul homme de bien. Le comité de salut public est instruit; à l’instant il donne des ordres; un commissaire se transporte sur les lieux; les faits sont recueillis, et un plus grand nombre de prévenus arrêtés. Cependant que faisait le jeune Malignon pendant ces scènes d’horreur, qui, en lui enlevant son père, répandaient le deuil et la désolation dans sa famille ? Il versait généreusement son sang pour la patrie. H venait de perdre le poignet gauche en combattant les farouches Anglais, à Toulon; ses frères d’armes qui voient son sang couler, l’invitent, le pressent de sortir des rangs, mais lui, qui ne croit pas qu’un Français doive quitter vivant le champ de l’honneur, répond avec une fierté républicaine, digne du patriote auquel il devait le jour : «Le bras droit me reste; c’en est assez pour manier mon sabre. Laissez-moi, je veux aussi frapper les ennemis de mon pays». Et il s’élance de nouveau au milieu des hasards. O saint amour de la patrie ! O vertu ! voilà les hommes que vous formez. Comment se trouve-t-il des cœurs assez dépravés pour préférer à vos divins attraits, les remords déchirants d’une conscience dont s’est emparé le crime ? Vous ne laisserez pas, citoyens, tant de vertus sans récompense. La mémoire de Malignon père est chère à la patrie, la patrie s’empressera de l’honorër; son épouse, ses enfants, peu favorisés de la fortune, doivent trouver dans la munificence nationale l’appui qu’ils ont perdu. Malignon fils, riche de ses vertus et de celles de son père, doit avoir part aussi aux bienfaits de la république. Déjà sa valeur l’a placé au grade de lieutenant, mais vous penserez sans doute qu’il a droit à une autre récompense, et vous vous empresserez de lui donner un té-132 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Cependant, au milieu de cette tourbe perverse, l’on distinguait deux patriotes purs et courageux, Vincent Malignon et son fils. Presque seul pour la cause du peuple, Malignon père veut détromper ses concitoyens égarés; Dusaillant craint les effets heureux des instructions de Malignon père et du zèle de Malignon fils; il les fait enlever et jeter dans un cachot. Ils y demeurent longtemps sous la main cruelle des traîtres; enfin ils parviennent à s’échapper, se réfugient d’abord dans d’épaisses forêts, et à travers mille dangers rejoignent l’armée des patriotes. L’orage se dissipe, les brigands périssent ou sont dispersés, leurs chefs ne sont plus, et les braves Malignon reviennent dans leurs foyers. Mais, par une fatalité inexplicable, leur maison était devenue la proie des flammes au milieu de l’embrasement auquel l’armée patriote avait livré la commune de Cruzières, ce repaire dangereux de contre-révolution. Vous vous êtes hâtés de réparer ce malheur, et vous avez accordé une indemnité au patriote Malignon. Il semblait qu’après tant d’épreuves Malignon père allait goûter en paix les fruits de sa persévérance et de sa vertu; mais il était réservé à un sort plus glorieux : il était digne de périr pour la cause pour laquelle il avait tant souffert, et ses perfides compatriotes étaient bien faits pour devenir ses assassins. H avait été nommé procureur de la commune de Cruzières. Doux sans mollesse, ferme comme la loi, il exerçait ses fonctions en véritable magistrat du peuple. Survint le décret du 23 août, qui appelait une partie des citoyens à l’honneur de défendre la patrie. Le fils de Malignon, hors de la réquisition par son âge, veut donner l’exemple à ses concitoyens; il s’enrôle et part. Les jeunes gens de sa commune, forcés d’obéir à la loi, partent aussi; mais, infestés de royalisme, c’est pour eux un tourment de demeurer sous les drapeaux de la liberté; ils abandonnent lâchement leur poste, et retournent dans leur commune s’unir à ceux qui formaient des vœux contre la prospérité de la république. Malignon, comme agent national, devait dénoncer cette violation de la loi, au district de Tanargues; il le fait avec son courage ordinaire. Quelques lâches sont saisis; les parents qui leur avaient donné asile sont arrêtés. L’effroi s’empare aussitôt des coupables. Ils ne voient plus de ressources que dans le cœur bon et généreux de Malignon; ils courent lui exprimer leur repentir, et le prier de solliciter leur grâce. Malignon se laisse toucher: il vole au district de Tanargues, l’invite à oublier une faute qu’effacent des regrets sincères, et revient leur annoncer leur pardon; on leur délivre des feuilles de route pour rejoindre l’armée. Vous pensez peut-être que bientôt au champ de l’honneur ils laveront dans le sang des ennemis de la république la faute d’avoir oublié un moment leurs devoirs; vous connaîtriez mal les (Sœurs ulcérés d’aristocratie : ils sont capables de feindre, ils sont incapables de tout sentiment de vertu. Les lâches qui venaient de laisser couler des larmes hypocrites essaient de nouveau à échapper à la réquisition; mais, désespérant de tromper une seconde fois leur généreux bienfaiteur... ô comble de la scélératesse !... ils projettent de l’assassiner. Le 2 floréal, vers les 10 heures du soir, Malignon revenait du chef-lieu de la commune; il était à 50 toises de la dernière maison lorsqu’un coup de feu l’atteint et le renverse. Ses meurtriers n’attendent pas qu’il ait rendu le dernier soupir; ils s’emparent de son corps expirant et ensanglanté, avec une fureur qui n’a d’exemple que parmi les tigres, le traînent à 600 toises plus loin, et le plongent au fond d’un précipice où ils cherchent à ensevelir dans un éternel oubli et leur forfait et leur victime. Mais la trace du sang les trahit; elle conduit les patriotes à la tombe du vertueux Malignon, et leur crie de punir ses assassins. Au premier bruit de cet événement affreux, l’indignation et la douleur s’emparent de toutes les âmes. Les administrateurs du district, mus par un sentiment qu’ils ne peuvent comprimer, oublient un moment qu’à la Convention seule appartient de décerner les honneurs publics au nom du peuple entier, qu’elle seule doit régler la division du territoire de la république. Ils ordonnent que le précipice qui recèle le corps de Malignon sera comblé; qu’une pyramide élevée au-dessus transmettra à la postérité son nom avec le récit du crime qui l’a privé du jour. Ils font saisir les scélérats sur lesquels tombent de justes soupçons; ils ordonnent l’anéantissement d’une commune qui n’a produit que des monstres, et qui n’a pu souffrir sur son territoire la présence d’un seul homme de bien. Le comité de salut public est instruit; à l’instant il donne des ordres; un commissaire se transporte sur les lieux; les faits sont recueillis, et un plus grand nombre de prévenus arrêtés. Cependant que faisait le jeune Malignon pendant ces scènes d’horreur, qui, en lui enlevant son père, répandaient le deuil et la désolation dans sa famille ? Il versait généreusement son sang pour la patrie. H venait de perdre le poignet gauche en combattant les farouches Anglais, à Toulon; ses frères d’armes qui voient son sang couler, l’invitent, le pressent de sortir des rangs, mais lui, qui ne croit pas qu’un Français doive quitter vivant le champ de l’honneur, répond avec une fierté républicaine, digne du patriote auquel il devait le jour : «Le bras droit me reste; c’en est assez pour manier mon sabre. Laissez-moi, je veux aussi frapper les ennemis de mon pays». Et il s’élance de nouveau au milieu des hasards. O saint amour de la patrie ! O vertu ! voilà les hommes que vous formez. Comment se trouve-t-il des cœurs assez dépravés pour préférer à vos divins attraits, les remords déchirants d’une conscience dont s’est emparé le crime ? Vous ne laisserez pas, citoyens, tant de vertus sans récompense. La mémoire de Malignon père est chère à la patrie, la patrie s’empressera de l’honorër; son épouse, ses enfants, peu favorisés de la fortune, doivent trouver dans la munificence nationale l’appui qu’ils ont perdu. Malignon fils, riche de ses vertus et de celles de son père, doit avoir part aussi aux bienfaits de la république. Déjà sa valeur l’a placé au grade de lieutenant, mais vous penserez sans doute qu’il a droit à une autre récompense, et vous vous empresserez de lui donner un té- SÉANCE DU 5 MESSIDOR AN H (23 JUIN 1794) - N° 60 133 moignage éclatant de la reconnaissance publique, en faisant écrire à sa famille une lettre de satisfaction par votre président. Vous placerez aussi sous le glaive de la loi les perfides meurtriers de Malignon père et leurs barbares complices. Vous ordonnerez leur traduction au tribunal révolutionnaire, qui seul doit connaître les attentats commis envers le patriotisme. Ce serait assurer l’impunité aux assassins de Malignon que de les laisser devant le tribunal criminel du département de l’Ardèche, dont les membres, si l’on excepte l’accusateur public, n’ont jamais dissimulé leur haine pour la révolution, et ont fort bien répondu aux insinuations de certains conspirateurs en se constituant, dans toutes les occasions, en tribunal de clémence, ou plutôt d’absolution de tous les ennemis du peuple. Félicitez-vous d’avoir ordonné, par 2 décrets, l’examen de la conduite de ces juges prévaricateurs. En frappant les assassins du patriote Malignon, vous frapperez cette faction infernale de l’étranger, qui a soufflé sa rage dans les cœurs, qui médite, qui dirige tous les crimes, qui soudoie parmi nous des scélérats de toutes les couleurs. Elle voulut dès les premiers temps étouffer la liberté dans son berceau; aujourd’hui elle voudrait la ruiner dans son triomphe même. Elle tient à sa solde les alarmistes qui découragent; les indulgents qui préconisent audacieusement la liberté de conspirer, les assassins qui privent le peuple de ses plus ardents défenseurs, les calomniateurs qui percent de leurs traits envenimés ceux que le fer des assassins ne peut atteindre, les diviseurs qui tentent d’allumer la guerre civile, et de perdre la représentation nationale en la divisant. C’est avec cette horde de conspirateurs, de traîtres, de monstres, qu’elle entreprend d’anéantir le gouvernement révolutionnaire, ce puissant et seul moyen de salut, la cause de nos victoires, le boulevard de la liberté, le désespoir de Pitt, l’effroi des tyrans, l’écueil où viennent se briser tous leurs horribles complots. Représentants du peuple, voulez-vous perdre la faction exécrable de l’étranger, voulez-vous déconcerter tous les scélérats qu’elle met journellement en action; ralliez-vous au gouvernement révolutionnaire ! La liberté ne peut périr sans doute, puisqu’elle a pour appui la vertu et la volonté toute-puissante du peuple; mais ces combats peuvent se prolonger et devenir pénibles. Abrégez-en la durée, et accélérez la défaite de ses ennemis. Il ne vous reste qu’un pas à faire : vous touchez déjà la victoire; gardez-vous de rétrograder. Représentants du peuple, patriotes, vous tous amis sincères de la liberté, songez que l’union seule fait votre force; serrons-nous plus que jamais; soyons sourds à toutes les suggestions, poursuivons sans relâche la faction qui veut perdre la liberté, regardons, frappons comme ennemi du peuple tout ennemi du gouvernement révolutionnaire qui le défend des attentats de la tyrannie, et cependant honorons et vengeons ceux qui sont tombés sous ses coups, victimes de leur dévouement héroïque (1) . [Applaudissements] . (1) Mon., XXI, 45; J. Univ., n°s 1673, 1674. [COUTHON] propose ensuite un projet de décret, qui a été adopté ainsi qu’il suit: « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport du comité de salut public, décrète : «Art. I. Le nom de Vincent Malignon, agent national de la commune de Cruzières-Saint-André, assassiné lâchement par d’infâmes contre-révolutionnaires, le 2 floréal de l’an II de la République française, sera inscrit sur la colonne du Panthéon. « II. La Convention nationale charge son président d’écrire une lettre de consolation à la famille de ce martyr de la liberté, dans laquelle le président exprimera en même temps la satisfaction de la Convention pour la conduite héroïque que Malignon fils a tenue au siège de Toulon. « III. La veuve et les enfans de Vincent Malignon jouiront d’une pension de 300 liv. chacun, payable par quartier et d’avance, sur la présentation du présent décret, à compter du 2 floréal dernier, jour de l’événement affreux qui les priva de leur époux et père. «IV. Tous les individus arrêtés comme prévenus d’être les auteurs ou complices de l’assassinat de Vincent Malignon, seront traduits sur-le-champ au tribunal révolutionnaire, pour y être jugés sans délai; l’accusateur public fera les diligences nécessaires pour découvrir les autres auteurs et complices de cet attentat, et les fera pareillement traduire au tribunal révolutionnaire pour y subir aussitôt leur jugement. « V. Le nom de la commune de Cruzières-Saint-André est supprimé, et remplacé par la dénomination de commune de Claisse, du nom de la rivière qui arrose son territoire. « VI. L’insertion du présent décret au bulletin tiendra lieu de publication. » Un membre demande l’impression et la distribution du rapport, et son insertion au bulletin. Cette proposition est décrétée. [Applaudissements] (1). [St-Martin observe que ce fut sur son rapport que la convention accorda à Malignon une indemnité provisoire de 2000 liv. pour les pertes qu’il avoit essuyées, et que l’indemnité totale étoit beaucoup plus considérable; il pense qu’elle s’élevoit à 15000 liv.; il pense encore qu’il seroit juste d’accorder aux héritiers du patriote Malignon le supplément de l’indemnité. — Bréard est du même avis; il demande que l’on saisisse cette occasion d’acquitter la patrie envers Malignon. — On observe que l’on n’est pas très-fixé sur la quotité de la somme] (2). Un membre [St. MARTIN] observe que la maison du patriote Malignon ayant été pillée et incendiée lors des troubles occasionnés par la rébellion du traître Saillant, la Convention nationale n’a point encore prononcé sur la pétition, en indemnité, que ce patriote lui avoit présentée; que seulement elle lui avoit, par décret du 3 septembre 1793 (vieux style), (1) P.V., XL, 112. Minute de la main de Couthon. Décret n° 9637 (C 307, pl. 1175, p. 15 et 16). (2) Débats, n° 641. SÉANCE DU 5 MESSIDOR AN H (23 JUIN 1794) - N° 60 133 moignage éclatant de la reconnaissance publique, en faisant écrire à sa famille une lettre de satisfaction par votre président. Vous placerez aussi sous le glaive de la loi les perfides meurtriers de Malignon père et leurs barbares complices. Vous ordonnerez leur traduction au tribunal révolutionnaire, qui seul doit connaître les attentats commis envers le patriotisme. Ce serait assurer l’impunité aux assassins de Malignon que de les laisser devant le tribunal criminel du département de l’Ardèche, dont les membres, si l’on excepte l’accusateur public, n’ont jamais dissimulé leur haine pour la révolution, et ont fort bien répondu aux insinuations de certains conspirateurs en se constituant, dans toutes les occasions, en tribunal de clémence, ou plutôt d’absolution de tous les ennemis du peuple. Félicitez-vous d’avoir ordonné, par 2 décrets, l’examen de la conduite de ces juges prévaricateurs. En frappant les assassins du patriote Malignon, vous frapperez cette faction infernale de l’étranger, qui a soufflé sa rage dans les cœurs, qui médite, qui dirige tous les crimes, qui soudoie parmi nous des scélérats de toutes les couleurs. Elle voulut dès les premiers temps étouffer la liberté dans son berceau; aujourd’hui elle voudrait la ruiner dans son triomphe même. Elle tient à sa solde les alarmistes qui découragent; les indulgents qui préconisent audacieusement la liberté de conspirer, les assassins qui privent le peuple de ses plus ardents défenseurs, les calomniateurs qui percent de leurs traits envenimés ceux que le fer des assassins ne peut atteindre, les diviseurs qui tentent d’allumer la guerre civile, et de perdre la représentation nationale en la divisant. C’est avec cette horde de conspirateurs, de traîtres, de monstres, qu’elle entreprend d’anéantir le gouvernement révolutionnaire, ce puissant et seul moyen de salut, la cause de nos victoires, le boulevard de la liberté, le désespoir de Pitt, l’effroi des tyrans, l’écueil où viennent se briser tous leurs horribles complots. Représentants du peuple, voulez-vous perdre la faction exécrable de l’étranger, voulez-vous déconcerter tous les scélérats qu’elle met journellement en action; ralliez-vous au gouvernement révolutionnaire ! La liberté ne peut périr sans doute, puisqu’elle a pour appui la vertu et la volonté toute-puissante du peuple; mais ces combats peuvent se prolonger et devenir pénibles. Abrégez-en la durée, et accélérez la défaite de ses ennemis. Il ne vous reste qu’un pas à faire : vous touchez déjà la victoire; gardez-vous de rétrograder. Représentants du peuple, patriotes, vous tous amis sincères de la liberté, songez que l’union seule fait votre force; serrons-nous plus que jamais; soyons sourds à toutes les suggestions, poursuivons sans relâche la faction qui veut perdre la liberté, regardons, frappons comme ennemi du peuple tout ennemi du gouvernement révolutionnaire qui le défend des attentats de la tyrannie, et cependant honorons et vengeons ceux qui sont tombés sous ses coups, victimes de leur dévouement héroïque (1) . [Applaudissements] . (1) Mon., XXI, 45; J. Univ., n°s 1673, 1674. [COUTHON] propose ensuite un projet de décret, qui a été adopté ainsi qu’il suit: « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport du comité de salut public, décrète : «Art. I. Le nom de Vincent Malignon, agent national de la commune de Cruzières-Saint-André, assassiné lâchement par d’infâmes contre-révolutionnaires, le 2 floréal de l’an II de la République française, sera inscrit sur la colonne du Panthéon. « II. La Convention nationale charge son président d’écrire une lettre de consolation à la famille de ce martyr de la liberté, dans laquelle le président exprimera en même temps la satisfaction de la Convention pour la conduite héroïque que Malignon fils a tenue au siège de Toulon. « III. La veuve et les enfans de Vincent Malignon jouiront d’une pension de 300 liv. chacun, payable par quartier et d’avance, sur la présentation du présent décret, à compter du 2 floréal dernier, jour de l’événement affreux qui les priva de leur époux et père. «IV. Tous les individus arrêtés comme prévenus d’être les auteurs ou complices de l’assassinat de Vincent Malignon, seront traduits sur-le-champ au tribunal révolutionnaire, pour y être jugés sans délai; l’accusateur public fera les diligences nécessaires pour découvrir les autres auteurs et complices de cet attentat, et les fera pareillement traduire au tribunal révolutionnaire pour y subir aussitôt leur jugement. « V. Le nom de la commune de Cruzières-Saint-André est supprimé, et remplacé par la dénomination de commune de Claisse, du nom de la rivière qui arrose son territoire. « VI. L’insertion du présent décret au bulletin tiendra lieu de publication. » Un membre demande l’impression et la distribution du rapport, et son insertion au bulletin. Cette proposition est décrétée. [Applaudissements] (1). [St-Martin observe que ce fut sur son rapport que la convention accorda à Malignon une indemnité provisoire de 2000 liv. pour les pertes qu’il avoit essuyées, et que l’indemnité totale étoit beaucoup plus considérable; il pense qu’elle s’élevoit à 15000 liv.; il pense encore qu’il seroit juste d’accorder aux héritiers du patriote Malignon le supplément de l’indemnité. — Bréard est du même avis; il demande que l’on saisisse cette occasion d’acquitter la patrie envers Malignon. — On observe que l’on n’est pas très-fixé sur la quotité de la somme] (2). Un membre [St. MARTIN] observe que la maison du patriote Malignon ayant été pillée et incendiée lors des troubles occasionnés par la rébellion du traître Saillant, la Convention nationale n’a point encore prononcé sur la pétition, en indemnité, que ce patriote lui avoit présentée; que seulement elle lui avoit, par décret du 3 septembre 1793 (vieux style), (1) P.V., XL, 112. Minute de la main de Couthon. Décret n° 9637 (C 307, pl. 1175, p. 15 et 16). (2) Débats, n° 641.