436 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Les juges présens, en attendant l’arrivée des autres, se formeront provisoirement en une, et s’il y a lieu, en plusieurs sections. Le présent décret ne sera publié que par la voie du bulletin de correspondance (1). 95 La discussion s’ouvre sur l’organisation et les attributions des comités. Plusieurs membres proposent des opinions; la Convention en ordonne l’impression (2). [Quelques membres ont proposé des vues conciliatrices des deux projets proposés par BARÈRE et CAMBON (3)]. POULTIER : Je ne viens pas opposer le projet de Cambon à celui du comité de salut public; je me propose seulement de vous soumettre quelques réflexions sur le principe qui doit vous diriger dans la fixation des membres des comités et sur les omissions qui se trouvent dans l’un et l’autre projet. Dans celui de Cambon, il me paraît qu’il a trop circonscrit les attributions qu’il est nécessaire d’accorder au comité du gouvernement. Je pense qu’on doit lui donner la direction des armées, les plans de campagne, les ordres aux généraux et la police politique des pays conquis. Ces objets demandent de la célérité, de l’ensemble, une suite, de la prudence, des connaissances acquises par l’expérience, et ne peuvent être soumis à une discussion indéterminée ni à des résolutions versatiles et contradictoires. Ceux qui ont dirigé la campagne actuelle ont montré trop d’habileté, trop de sagesse, de sagacité et de prévoyance, pour ne pas leur continuer une confiance qu’ils méritent si justement. Je ne sais pourquoi, dans l’organisation des comités, l’on a mis à peu près partout le même nombre de membres, quoique la division du travail eût dû servir de base à la fixation des membres. Je ne parlerai que du comité militaire, dont j’ai suivi les travaux depuis l’origine de la Convention. Je sais que ce ne sont pas les comités les plus nombreux qui font le plus de besogne. Je sais que cinq hommes intelligents, laborieux, rompus dans les affaires, avec un coup d’œil rapide, iront plus vite que trente délibérants, dont les opinions contraires, en se heurtant en forces égales, sont perdues pour la chose publique. Ces considérations ne doivent pas entrer dans la théorie des comités; on n’y doit voir clair que la division du travail, de manière que chaque division soit au moins (1) P.-V., XLIII, 166-167. Décret n° 10 351. Sans nom de rapporteur (C* II 20). La minute semble être de la main de Merlin de Douai (C 311, pl. 1 227, p. 23). M.U., XLII, 393-394. Moniteur (réimpr.), XXI, 466-467; Débats, n° 691, 429-432. Voir, ci-dessus, séance du 21 therm., n° 26 (Titre II du projet de décret, article VIII). (2) P.-V., XLIII, 167. (3) Rép., n° 234. surveillée et dirigée par un représentant du peuple. Cela ne peut se faire dans le comité militaire si vous n’y mettez que cinq membres; le travail de ce comité se divise en cavalerie, infanterie, artillerie, génie, gendarmerie, en formation et discipline, en législation des tribunaux militaires et de police correctionnelle; ce qui exige nécessairement sept membres; encore faut-il qu’ils renoncent aux congés et aux commissions. Il faut qu’ils soient très assidus, autrement ce travail retomberait sur un petit nombre qui, ne pouvant tout examiner, serait obligé de se fier à des agents influencés, et cela rendrait vains votre résolution que les intérêts du peuple soient surveillés par ses représentants. Je ne sais par quel motif l’on a supprimé les comités de division et des dépêches; l’un et l’autre me paraissent nécessaires. La division générale de la République est mal faite; mais peut-être ne devra-t-on la rectifier qu’à la paix. Il faut préparer de loin ce travail, afin de le coordonner à la constitution, lorsque le temps sera venu de l’asseoir; outre cela, il y a tous les jours des communes à circonscrire, à étendre ou à réunir; qui le fera, si vous n’avez un comité de division ? Le comité des dépêches est destiné à examiner les pétitions, à les classer, à les analyser, à les renvoyer aux différents comités compétents, à vous faire la lecture des adresses, à vous donner le thermomètre de l’esprit public. Je ne crois pas que l’on puisse supprimer ces comités, puisqu’ils sont nécessaires et qu’ils ne correspondent à aucune des commissions exécutives. Je conclus à ce que le comité de gouvernement ait la direction des armées, les plans de campagne, les ordres aux généraux et la police politique des pays conquis; à ce que le comité soit composé de sept membres; à ce qu’enfin les comités de division et des dépêches soient conservés. FERAUD : La question qui s’agite dans cet instant est digne de toute l’attention de l’assemblée, et si je viens mêler ma voix à celle de mes collègues, c’est moins pour présenter des résolutions que pour soumettre quelques idées à l’expérience et aux talents réunis dans cette enceinte. Législation. Moi aussi je veux qu’il y ait une centralisation de pensées pour mettre de l’ensemble dans la législation; mais cette centralisation ne peut être sans danger placée dans un comité, et surtout dans celui qui est chargé du gouvernement. La pensée appartient d’abord au comité dans lequel elle a été conçue; elle doit être consacrée, amendée ou rejetée dans la Convention, sans intermédiaire, c’est là qu’est le centre véritable et exclusif. Je deviendrai plus lumineux contre les idées que je combats en rappelant cette partie du rapport où il est dit : « Le comité de salut public sera le point de centralisation des opérations, quant à la pensée, pour mettre de l’ensemble dans les travaux de la législation, et de l’harmonie dans les moyens d’exécution ». 436 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Les juges présens, en attendant l’arrivée des autres, se formeront provisoirement en une, et s’il y a lieu, en plusieurs sections. Le présent décret ne sera publié que par la voie du bulletin de correspondance (1). 95 La discussion s’ouvre sur l’organisation et les attributions des comités. Plusieurs membres proposent des opinions; la Convention en ordonne l’impression (2). [Quelques membres ont proposé des vues conciliatrices des deux projets proposés par BARÈRE et CAMBON (3)]. POULTIER : Je ne viens pas opposer le projet de Cambon à celui du comité de salut public; je me propose seulement de vous soumettre quelques réflexions sur le principe qui doit vous diriger dans la fixation des membres des comités et sur les omissions qui se trouvent dans l’un et l’autre projet. Dans celui de Cambon, il me paraît qu’il a trop circonscrit les attributions qu’il est nécessaire d’accorder au comité du gouvernement. Je pense qu’on doit lui donner la direction des armées, les plans de campagne, les ordres aux généraux et la police politique des pays conquis. Ces objets demandent de la célérité, de l’ensemble, une suite, de la prudence, des connaissances acquises par l’expérience, et ne peuvent être soumis à une discussion indéterminée ni à des résolutions versatiles et contradictoires. Ceux qui ont dirigé la campagne actuelle ont montré trop d’habileté, trop de sagesse, de sagacité et de prévoyance, pour ne pas leur continuer une confiance qu’ils méritent si justement. Je ne sais pourquoi, dans l’organisation des comités, l’on a mis à peu près partout le même nombre de membres, quoique la division du travail eût dû servir de base à la fixation des membres. Je ne parlerai que du comité militaire, dont j’ai suivi les travaux depuis l’origine de la Convention. Je sais que ce ne sont pas les comités les plus nombreux qui font le plus de besogne. Je sais que cinq hommes intelligents, laborieux, rompus dans les affaires, avec un coup d’œil rapide, iront plus vite que trente délibérants, dont les opinions contraires, en se heurtant en forces égales, sont perdues pour la chose publique. Ces considérations ne doivent pas entrer dans la théorie des comités; on n’y doit voir clair que la division du travail, de manière que chaque division soit au moins (1) P.-V., XLIII, 166-167. Décret n° 10 351. Sans nom de rapporteur (C* II 20). La minute semble être de la main de Merlin de Douai (C 311, pl. 1 227, p. 23). M.U., XLII, 393-394. Moniteur (réimpr.), XXI, 466-467; Débats, n° 691, 429-432. Voir, ci-dessus, séance du 21 therm., n° 26 (Titre II du projet de décret, article VIII). (2) P.-V., XLIII, 167. (3) Rép., n° 234. surveillée et dirigée par un représentant du peuple. Cela ne peut se faire dans le comité militaire si vous n’y mettez que cinq membres; le travail de ce comité se divise en cavalerie, infanterie, artillerie, génie, gendarmerie, en formation et discipline, en législation des tribunaux militaires et de police correctionnelle; ce qui exige nécessairement sept membres; encore faut-il qu’ils renoncent aux congés et aux commissions. Il faut qu’ils soient très assidus, autrement ce travail retomberait sur un petit nombre qui, ne pouvant tout examiner, serait obligé de se fier à des agents influencés, et cela rendrait vains votre résolution que les intérêts du peuple soient surveillés par ses représentants. Je ne sais par quel motif l’on a supprimé les comités de division et des dépêches; l’un et l’autre me paraissent nécessaires. La division générale de la République est mal faite; mais peut-être ne devra-t-on la rectifier qu’à la paix. Il faut préparer de loin ce travail, afin de le coordonner à la constitution, lorsque le temps sera venu de l’asseoir; outre cela, il y a tous les jours des communes à circonscrire, à étendre ou à réunir; qui le fera, si vous n’avez un comité de division ? Le comité des dépêches est destiné à examiner les pétitions, à les classer, à les analyser, à les renvoyer aux différents comités compétents, à vous faire la lecture des adresses, à vous donner le thermomètre de l’esprit public. Je ne crois pas que l’on puisse supprimer ces comités, puisqu’ils sont nécessaires et qu’ils ne correspondent à aucune des commissions exécutives. Je conclus à ce que le comité de gouvernement ait la direction des armées, les plans de campagne, les ordres aux généraux et la police politique des pays conquis; à ce que le comité soit composé de sept membres; à ce qu’enfin les comités de division et des dépêches soient conservés. FERAUD : La question qui s’agite dans cet instant est digne de toute l’attention de l’assemblée, et si je viens mêler ma voix à celle de mes collègues, c’est moins pour présenter des résolutions que pour soumettre quelques idées à l’expérience et aux talents réunis dans cette enceinte. Législation. Moi aussi je veux qu’il y ait une centralisation de pensées pour mettre de l’ensemble dans la législation; mais cette centralisation ne peut être sans danger placée dans un comité, et surtout dans celui qui est chargé du gouvernement. La pensée appartient d’abord au comité dans lequel elle a été conçue; elle doit être consacrée, amendée ou rejetée dans la Convention, sans intermédiaire, c’est là qu’est le centre véritable et exclusif. Je deviendrai plus lumineux contre les idées que je combats en rappelant cette partie du rapport où il est dit : « Le comité de salut public sera le point de centralisation des opérations, quant à la pensée, pour mettre de l’ensemble dans les travaux de la législation, et de l’harmonie dans les moyens d’exécution ». SÉANCE DU 23 THERMIDOR AN II (10 AOÛT 1794) - N° 95 437 Et plus bas : « Vous voulez établir l’unité de la République; il faut qu’il y ait un esprit d’unité de lois et de mesures; il faut, non pas des travaux exclusivement faits au comité; il ne fera que ceux du gouvernement; mais il faut qu’il y ait un moyen de connaître ce qui est fait dans toutes les parties diverses de la République et de la législation. Autrement il y aurait douze gouvernements, douze législations, un fédéralisme moral à la place de l’unité républicaine ». En rapportant encore ce que dit Cambon : « Si les mesures concernent la législation, le comité en fera le rapport à la Convention après les avoir communiquées au comité de salut public »; que s’ensuivrait-il de cette opinion telle qu’elle se présente naturellement ? la dépendance, pour ainsi dire, des comités, du gouvernement. Mais l’influence de ce dernier ne pourrait-elle pas gagner encore d’une manière effrayante pour la liberté ? et ne sent-on pas qu’il serait bien possible que la léthargie étendît de nouveau, dans cette assemblée nécessairement active, ses ravages paralytiques ? Dans la régénération actuelle, distinguons bien la partie législative des mesures exécutives, des mesures du gouvernement, des relations extérieures, de la direction des forces publiques, que nous attribuerons au gouvernement. Atténuons surtout, autant qu’il sera en nous, cette bureaucratie dangereuse; et puisque l’existence des comités, mal politique, est nécessaire, puisqu’il n’est pas possible que la Convention fasse tout par elle-même, éloignons du moins toutes les ombres qui pourraient être malfaisantes. Je le redis : le point de réunion de la partie législative est dans cette enceinte, et c’est ici exclusivement qu’à la face du peuple le gouvernement trouvera le moyen de connaître ce qui est fait dans toutes les parties diverses de la législation. C’est d’ici que doivent partir tous les redressements des erreurs et des divagations des comités, s’il en existe, et le rappel à l’unité législative, s’ils s’en écartent. Les rênes sont entre les mains de la Convention en masse. Eh ! qui mieux qu’elle saura régler tous les mouvements ? Ainsi, il n’y aura pas douze législations, comme on l’a cru d’abord, non plus douze gouvernements; il y aura douze comités où se prépareront les matières que nous perfectionnerons, et auxquelles nous donnerons la vie politique. Une expérience de 5 années nous a trop bien appris que, quelle que soit la vertu actuelle ou apparente des hommes, nous ne devons nous attacher qu’aux principes, et nous défier sans cesse de la faiblesse ambitieuse du cœur humain. Robespierre, Couthon et Saint-Just doivent être, pour tous les amis de la liberté, pour tous les hommes de bonne foi, d’une utile et éternelle leçon; leurs crimes ne doivent pas être perdus pour la garantie de la liberté publique. Maintenant, quels sont les principes ? Que vous ne pouvez centraliser la pensée d’un comité dans un autre sans vous exposer tôt ou tard à la domination du comité réviseur ou dirigeant. Les principes sont que tous les comités sont naturellement indépendants entre eux pour les travaux dont ils ont reçu l’attribution, sans entendre cependant en aucune manière gêner ni restreindre les communications nécessaires dans les matières mixtes et compliquées, et pour cela on doit s’en rapporter à la sagesse des comités. Les principes sont que la Convention est le seul centre auquel tout doit aboutir, et par qui tout doit être régularisé. Exécution. D’après ce raisonnement, il m’est évident que vous ne pouvez non plus admettre des idées présentées par Cambon dans diverses séances, et surtout dans son opinion. « Chaque commission, dit Cambon, rendra un compte journalier de ses opérations au comité chargé de la surveillance; elle lui soumettra les difficultés à résoudre et lui proposera les mesures d’exécution. Si ces mesures concernent la législation, le comité en fera le rapport à la Convention, après les avoir communiquées au comité de salut public; si elles sont relatives à l’exécution, le comité rédigera le projet d’arrêté, qui sera porté par un membre au comité de salut public, chargé d’ordonner toutes les mesures ». Je peux me tromper, et l’on me ramènera aisément; car je ne tiens à ma façon de penser que par l’espoir du plus grand bien; mais je ne vois dans ces idées que confusion, désordre et paralysie. Je ne dirai rien dans ce moment sur cette soumission des projets de lois au comité, que j’ai déjà combattue, et je ne m’occuperai que d’exécution. S’il ne s’agissait dans ces idées que de surveillance, je les eusse embrassées de bon cœur, car il est aussi dans ma façon de penser que chaque comité correspondant surveille rigoureusement sa commission; mais puisqu’il s’agit de mesures exécutives, je vais tâcher de montrer le danger de les confier à d’autres comités qu’à celui du gouvernement, même pour la préparation du travail. Avant d’aller plus loin, distinguons bien la surveillance des mesures d’exécution, et ne perdons jamais de vue que l’une est l’œil et que l’autre est la bras. Pour prouver les dangers que j’ai cru entrevoir, je pose ces bases indestructibles. Les commissions exécutives ne doivent ni ne peuvent qu’exécuter; l’exécution doit être active et révolutionnaire; les travaux des commissions sont presque tous mixtes, et, bien plus, diverses commissions sont souvent tenues d’opérer ensemble; c’est ainsi que les subsistances sont liées aux transports, les approvisionnements aux mouvements des troupes; or, par quel comité les mesures exécutives seront-elles prises ou dirigées ? « Le projet d’exécution, dit Cambon, sera rédigé au comité surveillant et apporté par un membre au comité chargé d’ordonner toutes les mesures d’exécution ». Voilà donc tout à coup cette surveillance changée en action exécutive, et le comité de salut public réduit aux simples fonctions d’agent de comité; car vous sentez bien que la 438 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE mesure qui aura été arrêtée dans le comité surveillant ne devra pas être soumise à la sanction du gouvernement. Si c’était ainsi, ce serait encore subordonner un comité à un autre, ce serait, pour ainsi dire, renouveler le veto royal, et vice versa. Je sens bien le but patriotique de mon collègue : c’est d’affaiblir la trop grande influence du gouvernement, qui émanera naturellement d’une exécution si vaste et si étendue; c’est de préparer dans ces comités une partie du travail des bureaux du gouvernement. Mais examinons si les inconvénients qui naissent de cette opinion ne sont pas plus dangereux encore que cette influence, que je redoute aussi, et contre laquelle je tâcherai de proposer quelques moyens, en invitant des collègues à en présenter de leur côté. 1) L’exécution devient diffuse, lente et inerte, quand elle doit être concentrée, active et vigoureuse, surtout dans les opérations mixtes ou plus compliquées, surtout dans les mouvements militaires. 2) Les rouages d’exécution sont plus nombreux, puisqu’il faudra un rapport des commissions, un arrêté du comité correspondant, une réunion de plusieurs comités dans presque tous les cas, un examen de l’arrêté au comité de salut public, ou un renvoi de celui-ci à la commission, et de la commission à l’agence. Ce sont encore là les moindres des dangers à redouter; prévoyons les cas du dissentiment d’opinions entre les divers comités, les oublis des bureaux, le désir malheureusement trop naturel de dominer, et certes vous trouverez peut-être que mes inquiétudes pour la chose publique ne sont pas déplacées. Une idée du préopinant m’avait frappé au milieu de ces réflexions. C’était la suppression des commissions et leur remplacement par les comités. Mais je ne dois pas le dissimuler ici, j’ai été effrayé, dans la méditation, de l’empire que le comité de salut public allait prendre sur tous les autres comités; j’ai été effrayé que les comités investis de la confiance nationale et du pouvoir de présenter les lois, que ces comités, dis-je, fussent tout à coup convertis en bureaux subordonnés et exécutifs. En effet, quels sont les devoirs des commissions ? C’est de faire exécuter tout ce qui émane du gouvernement, et de lui rendre compte de tout le travail des agences. Nous conviendrons tous qu’il faudrait en venir à un centre pour éviter d’avoir douze gouvernements, c’est à dire la désorganisation générale. Mais encore quels avantages pourraient-ils résulter de cette innovation ? Aucun, absolument aucun. Je le démontre. Quelle est d’abord la composition des commissions, des commissaires et des adjoints ? Quelle est leur principale attribution ? Une surveillance générale sur les agences, le droit de prendre des arrêtés pour accélérer les mouvements. Quelle est leur obligation ? C’est de rendre un compte journalier du travail et des opérations des bureaux au comité du gouvernement. Supprimez-vous les commissions, ne vous faudra-t-il pas encore des agents généraux ? Vous le savez, il n’est pas de commissions dont la compétence n’embrasse plusieurs parties à la fois : il vous faut un compte général tous les jours; on doit donc aboutir à un point central, et ce point est d’abord la réunion de tous les agents, ou au comité, ou dans un bureau, pour préparer ensemble le rapport de la journée. Il ne faudra pas se borner là; il faudra encore la pensée, par exemple, pour les approvisionnements, subsistances, etc. Un agent, ou tous, ne devront-ils pas remplir auprès des comités les fonctions des commissaires ? Bien plus, c’est que peut-être il ne serait pas politique que chaque agent prît ses arrêtés d’exécution en sa partie, ou complétât les mesures exécutives quand l’ensemble exigerait un accord parfait; ce serait encore faire autant de commissions qu’il y aurait d’agences, et au lieu de douze commissions exécutives, vous en auriez peut-être 36,60. Citoyens, ne vaudrait-il pas mieux s’attacher à bien organiser les commissions, qui sont toutes effectivement vicieuses : détruire une partie de cette bureaucratie qui les infecte, y multiplier les lumières et en extirper l’ignorance presque générale, surtout dans les bureaux ? Car enfin, supposons-les détruites, et remplacées par les comités; supposons l’admission de toutes les idées du préopinant. A quel centre le comité du gouvernement adressera-t-il les mesures d’exécution ? Quel agent en fera la distribution ? Qui aura la surveillance du bureau central, d’où doivent découler tous les ordres ? Sans doute qu’il n’est pas dans votre opinion de réduire le gouvernement à ce détail de bureau. Et puisqu’il faut donc une direction générale, ne serait-ce pas rétablir les commissions sous un autre nom ? Et que nous importent les noms, qui ne tiennent en rien au régime ancien quand les choses sont les mêmes ? Si les inconvénients qui m’ont frappé ont également frappé mes collèges, nous aurons tous également senti que toute la partie législative doit être absolument ôtée au comité de salut public, mais qu’il doit être le centre d’unité pour diriger l’exécution et la surveiller en masse sous sa responsabilité; que c’est lui seul qui doit recevoir les comptes journaliers, n’entendant cependant pas nuire à la surveillance générale de chaque comité sur l’ensemble des opérations de sa commission correspondante, ni atténuer le devoir rigoureux des commissions en ce qui concerne toutes les communications et renseignements nécessaires pour la confection des lois; qu’il doit être imposé au comité du gouvernement une obligation stricte de renvoyer à chaque comité compétent toutes les questions qui pourraient lui être présentées par les commissions; qu’il doit lui ère interdit, ainsi qu’aux autres comités, de pendre aucun arrêté qui puisse paralyser l’action d’une loi ou d’un décret sans qu’avant son exécution il ne vous ait été présenté, pour être par vous discuté et décrété. Je sens bien qu’à cette dernière idée on pourra opposer la nécessité d’un mouvement 439 SÉANCE DU 23 THERMIDOR AN II (10 AOÛT 1794) - N° 95 subit et spontané dans l’exécution, auquel le décret semblera mettre quelques obstacles (c’est arrivé plusieurs fois, je l’avoue); mais nous sommes toujours ici présents, et ce mal ou retard ne me paraît pas d’ailleurs aussi à craindre que celui d’assujettir la volonté nationale, qui ne peut être exprimée que par vous, à la volonté, quelque pure qu’elle puisse être, de quelques-uns d’entre nous; elle doit toujours être indépendante et sacrée, et j’opposerai toujours une résistance républicaine contre sa violation. Finances. Pour ce qui regarde les finances et la comptabilité, et c’est le point principal, je crois indispensable que chaque commission rende compte de sa comptabilité au comité des finances, que je chargerais de cette partie. Toutes les demandes de fonds seront présentées à la commission par le comité, sur la demande qui lui en serait faite par la commission; c’est le comité des finances qui doit nous rendre compte, quand nous le lui demanderons, de la marche de nos dépenses et de la situation de nos caisses; et pour prévenir l’arbitraire en cette partie, il ne faut pas non plus qu’il appartienne au comité de refuser telle ou telle somme demandée; la Convention seule aura exclusivement ce droit, et toujours la demande devra lui être soumise. Le comité de finances sera tenu, sous sa responsabilité, de porter aussi la surveillance la plus rigoureuse sur l’abus qui pourrait être fait de fonds; il sera le point de la comptabilité générale et la sentinelle de la fortune publique. Séparons entièrement nos finances du gouvernement exécutif; jamais alors nous n’aurons à craindre les crimes trop faciles à des mains corrompues quand elles ont la clef du trésor. Quelques publicistes ont regardé cette séparation comme une sauvegarde de la liberté publique; suivons cette idée, que je crois utile; éprouvons-en les effets; du moins aura-t-elle l’avantage d’avoir concentré la fortune publique, d’avoir multiplié la surveillance, prévenu les dangers de pouvoir, assuré à la Convention toutes les connaissances nécessaires. Je ne parle point ici des dépenses secrètes, et je suis bien d’avis que le comité de salut public doit les ordonnancer, et qu’un fonds à cet effet doit lui être confié. Il n’en abusera pas; la vertu de ses membres nous en répond assez. Je proposerai dans mon projet les amendements et les articles additionnels que ces réflexions nécessitent. Police générale. Je suis tout entier de l’opinion de Cambon relativement aux fonctionnaires publics et à la compétence du comité. Secours publics. Le projet du comité laisse à désirer un comité correspondant à cette commission. Il faudra donc alors augmenter le nombre des comités; car la République a encore bien des dettes à acquitter à l’égard de ses enfants malheureux. Dénomination. La compétence du comité de salut public est démarquée dans le projet du comité, et je l’adopte; mais je partage l’opinion de Cambon, qui désire qu’il prenne désormais le nom de comité central de gouvernement, et je fais le même amendement pour le comité de sûreté générale, que je désirerais entendre désigner par son attribution essentielle, comité de police générale. Il n’y a rien de minutieux dans ce changement. Les prestiges des noms pourraient faire croire à l’ignorance que le salut du peuple et sa sûreté générale sont l’œuvre de ces deux comités. La malveillance pourrait bien s’en prévaloir, et la Convention pourrait bien être effacée momentanément sous ces titres fastueux, comme elle l’a déjà été il n’y a guère. Il faut que tout soit rapporté à la Convention; il faut que le peuple sache qu’il n’y a ni salut ni sûreté sans elle. Appel nominal pour l’organisation des comités, et leur renouvellement. Sans doute que l’appel nominal convient le plus à des républicains; il est le plus dans mon cœur; mais la Convention doit peser dans sa prévoyante sagesse si 19 à 20 séances employées par mois à 19 ou 20 appels nominaux n’arrêteront point la marche de ses opérations, les travaux des comités, les travaux de cabinet de chaque membre. N’est-il pas constant qu’il faut 5 heures à chaque appel nominal pour la nomination de 5 membres ? N’est-il pas constant qu’il y a 17 comités, dont un composé de 35 membres, dont le quart doit être renouvelé tous les mois ? Mais dans cette assemblée, qui a prouvé toute sa vertu, toute son énergie dans toutes les grandes circonstances, et notamment dans la nuit du 9 au 10 thermidor, la forme ancienne a-t-elle quelque danger ? Oui, sans doute; l’appel nominal est la garantie des choix; mais la conduite vraiment républicaine de tous les membres est-elle d’une moindre garantie ? J’avouerai cependant qu’il serait peut-être utile que les membres des comités de salut public et de sûreté générale fussent nommés à voix haute, parce qu’il importe, ce me semble, que tous les citoyens français en connaissent les noms. Je n’ai point d’opinion formée; je m’en référerai toujours à la meilleure. Je finis en demandant qu’il soit additionné au comité et à la commission des armes, poudres et exploitation des mines, l’exploitation des marbrières, si longtemps oubliées. Cessons d’être les tributaires de l’Italie; mettons à profit toute la richesse nationale; bientôt je viendrai vous rendre compte de mes recherches en cette partie sur toutes les montagnes des Pyrénées, et je ne doute point que votre sollicitude paternelle, que votre amour pour les arts, et l’éternisation des faits héroïques que nous admirons tous les jours, que l’extension de notre commerce avec le Nord ne vous portent à jeter un regard favorable sur les pays pauvres des Hautes et Basses-Pyrénées, à qui la nature a fait présent des plus beaux marbres de l’univers, des qualités les plus diverses et les plus multipliées, et des moyens les plus aisés de les exploiter et diriger, par eau, dans toutes les parties de la République. Voici le projet de décret amendé. 439 SÉANCE DU 23 THERMIDOR AN II (10 AOÛT 1794) - N° 95 subit et spontané dans l’exécution, auquel le décret semblera mettre quelques obstacles (c’est arrivé plusieurs fois, je l’avoue); mais nous sommes toujours ici présents, et ce mal ou retard ne me paraît pas d’ailleurs aussi à craindre que celui d’assujettir la volonté nationale, qui ne peut être exprimée que par vous, à la volonté, quelque pure qu’elle puisse être, de quelques-uns d’entre nous; elle doit toujours être indépendante et sacrée, et j’opposerai toujours une résistance républicaine contre sa violation. Finances. Pour ce qui regarde les finances et la comptabilité, et c’est le point principal, je crois indispensable que chaque commission rende compte de sa comptabilité au comité des finances, que je chargerais de cette partie. Toutes les demandes de fonds seront présentées à la commission par le comité, sur la demande qui lui en serait faite par la commission; c’est le comité des finances qui doit nous rendre compte, quand nous le lui demanderons, de la marche de nos dépenses et de la situation de nos caisses; et pour prévenir l’arbitraire en cette partie, il ne faut pas non plus qu’il appartienne au comité de refuser telle ou telle somme demandée; la Convention seule aura exclusivement ce droit, et toujours la demande devra lui être soumise. Le comité de finances sera tenu, sous sa responsabilité, de porter aussi la surveillance la plus rigoureuse sur l’abus qui pourrait être fait de fonds; il sera le point de la comptabilité générale et la sentinelle de la fortune publique. Séparons entièrement nos finances du gouvernement exécutif; jamais alors nous n’aurons à craindre les crimes trop faciles à des mains corrompues quand elles ont la clef du trésor. Quelques publicistes ont regardé cette séparation comme une sauvegarde de la liberté publique; suivons cette idée, que je crois utile; éprouvons-en les effets; du moins aura-t-elle l’avantage d’avoir concentré la fortune publique, d’avoir multiplié la surveillance, prévenu les dangers de pouvoir, assuré à la Convention toutes les connaissances nécessaires. Je ne parle point ici des dépenses secrètes, et je suis bien d’avis que le comité de salut public doit les ordonnancer, et qu’un fonds à cet effet doit lui être confié. Il n’en abusera pas; la vertu de ses membres nous en répond assez. Je proposerai dans mon projet les amendements et les articles additionnels que ces réflexions nécessitent. Police générale. Je suis tout entier de l’opinion de Cambon relativement aux fonctionnaires publics et à la compétence du comité. Secours publics. Le projet du comité laisse à désirer un comité correspondant à cette commission. Il faudra donc alors augmenter le nombre des comités; car la République a encore bien des dettes à acquitter à l’égard de ses enfants malheureux. Dénomination. La compétence du comité de salut public est démarquée dans le projet du comité, et je l’adopte; mais je partage l’opinion de Cambon, qui désire qu’il prenne désormais le nom de comité central de gouvernement, et je fais le même amendement pour le comité de sûreté générale, que je désirerais entendre désigner par son attribution essentielle, comité de police générale. Il n’y a rien de minutieux dans ce changement. Les prestiges des noms pourraient faire croire à l’ignorance que le salut du peuple et sa sûreté générale sont l’œuvre de ces deux comités. La malveillance pourrait bien s’en prévaloir, et la Convention pourrait bien être effacée momentanément sous ces titres fastueux, comme elle l’a déjà été il n’y a guère. Il faut que tout soit rapporté à la Convention; il faut que le peuple sache qu’il n’y a ni salut ni sûreté sans elle. Appel nominal pour l’organisation des comités, et leur renouvellement. Sans doute que l’appel nominal convient le plus à des républicains; il est le plus dans mon cœur; mais la Convention doit peser dans sa prévoyante sagesse si 19 à 20 séances employées par mois à 19 ou 20 appels nominaux n’arrêteront point la marche de ses opérations, les travaux des comités, les travaux de cabinet de chaque membre. N’est-il pas constant qu’il faut 5 heures à chaque appel nominal pour la nomination de 5 membres ? N’est-il pas constant qu’il y a 17 comités, dont un composé de 35 membres, dont le quart doit être renouvelé tous les mois ? Mais dans cette assemblée, qui a prouvé toute sa vertu, toute son énergie dans toutes les grandes circonstances, et notamment dans la nuit du 9 au 10 thermidor, la forme ancienne a-t-elle quelque danger ? Oui, sans doute; l’appel nominal est la garantie des choix; mais la conduite vraiment républicaine de tous les membres est-elle d’une moindre garantie ? J’avouerai cependant qu’il serait peut-être utile que les membres des comités de salut public et de sûreté générale fussent nommés à voix haute, parce qu’il importe, ce me semble, que tous les citoyens français en connaissent les noms. Je n’ai point d’opinion formée; je m’en référerai toujours à la meilleure. Je finis en demandant qu’il soit additionné au comité et à la commission des armes, poudres et exploitation des mines, l’exploitation des marbrières, si longtemps oubliées. Cessons d’être les tributaires de l’Italie; mettons à profit toute la richesse nationale; bientôt je viendrai vous rendre compte de mes recherches en cette partie sur toutes les montagnes des Pyrénées, et je ne doute point que votre sollicitude paternelle, que votre amour pour les arts, et l’éternisation des faits héroïques que nous admirons tous les jours, que l’extension de notre commerce avec le Nord ne vous portent à jeter un regard favorable sur les pays pauvres des Hautes et Basses-Pyrénées, à qui la nature a fait présent des plus beaux marbres de l’univers, des qualités les plus diverses et les plus multipliées, et des moyens les plus aisés de les exploiter et diriger, par eau, dans toutes les parties de la République. Voici le projet de décret amendé.