[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 décembre 1789.] M. le marquis d’Estourmel. J’observe que le dernier état imprimé des pensions renferme des erreurs; par exemple : Madame la marquise de la Force y est portée pour une pension de 10,000 livres, quoiqu’elle soit morte depuis dix-huit mois. M. d’AllIy. On ne peut pas imputer ces erreurs au comité, parce qu’on a dénoncé les brevets tels qu’ils existaient, et que le premier soin a été de les mettre en ordre et à l’impression. Quant aux pensions sur les fourrages d’Alsace et des provinces, à raison desquelles M. Lavie avait fortement réclamé, je réponds que le comité rassemble toutes les notions éparses sur cet objet, et que M. de Saint-Priest vient d’envoyer dans le moment l’état des pensions payées sur la province. M. Thibault, curé de Souppes. Il manque encore l’état des pensions de faveur sur les économats et sur les bénéfices consistoriaux. Je demande que cette liste soit imprimée au plus tôt. M. Treilhard. Le comité ecclésiastique a reçu la liste des pensions sur les économats. M. le marquis de Montcalm-Gozon (1). Messieurs, j’avais demandé la parole samedi pour faire une motion qui rentre dans celle de M. Camus sur les pensions et qui en est un amendement. Permettez-moi, Messieurs, de vous développer mon opinion sur cette foule de pensions dont l’état est sous vos yeux depuis quelque temps. Il n’est aucun de vous qui ne soit indigné de cette quantité de grâces accordées, en grande partie, à des personnes dont le seul mérite a été d’être protégées par des ministres infidèles et déprédateurs; tandis, Messieurs, que le vrai militaire, celui qui a bravé les dangers et la mort, est dépourvu du nécessaire. Quoi, Messieurs, les défenseurs de la patrie ne pourraient en être récompensés, et nous laisserions subsister plus longtemps cet amas énorme de grâces ! Appelés pour corriger les abus, vous vous hâterez d’en réformer un aussi monstrueux : vous ne souffrirez plus que le prix de la sueur du pauvre serve à récompenser celui ou celle qui n’a rien mérité; vous remplirez, par ce moyen, l’attente de tous les bons Français, qui, toujours prêts, quand il le faut, à sacrifier leur fortune pour la défense et la gloire de leur patrie, ne sauraient voir sans indignation le fruit de leur pénible contribution prodigué à des hommes qui n’ont jamais servi î’Etat ; et le dirai-je, enfin, à ceux même qui en ont été les oppresseurs et les tyrans. Observez, je vous prie, Messieurs, que, quoique l’on prenne toute sorte de moyens pour soustraire l’état des pensions qui ont été assignées sur différentes recettes, il n’en est pas moins vrai cependant, d’après les différentes notions que nous avons recueillies, que ces pensions se portent à une somme aussi forte que celle qui est prélevée, pour le même objet, sur le Trésor royal, et qui surpasse le revenu de plusieurs souverains qui ont su néanmoins quelquefois se rendre redoutables à leurs voisins. Cependant, Messieurs, ces pensions subsistent encore quand l’Etat a besoin de toutes ses res-(1) La motion de M. le marquis de Montcalm Gozon est incomplète au Moniteur. sources: l’on ne paie pas les créanciers de la patrie et les pensionnaires trouvent le moyen de se faire payer ! L’abus existe, il est pressant de le corriger ; et il est, je crois, un moyen d’y parvenir, que je vais avoir l’honneur de vous indiquer. 1° Je désire qu’à compter du 1er janvier 1790, toute pension au-dessus de 6,000 livres soit réduite à cette somme, à l’exception des officiers généraux qui auront fait îa guerre, ou d’autres personnes qui auront servi utilement l’Etat, et dont a pension ne pourra, dans aucun cas, surpasser 12,000 livres. Tout citoyen et tout militaire, qui aura servi sa patrie d’une manière utile, aura de quoi vivre décemment avec cette somme, et l’honneur de l’avoir servie ou défendue doit être la plus glorieuse récompense. En vous proposant de réduire à 6,000 livres les pensions de ceux qui auront rendu des services distingués, je serais d avis que celles qui ont été accordées pour de moindres services fussent diminuées graduellement, sauf les pensions militaires qui, accordées aux services rendus, et non à la faveur, sont en général si médiocres qu’à peine suffisent-elles à la subsistance du grand nombre et à la décence du grade ; 2° Qu’il ne fût conservé qu’aux veuves des militaires, ou autres personnes qui ont servi utilement l’Etat, une pension de 2,000 livres; réduire à ce taux toutes celles qui sont au-dessus, et supprimer en entier celles accordées à toute autre femme quelconque; 3° Qu’il soit formé un comité composé d’un député de chaque province, pour vérifier toutes les pensions sur toute espèce d’objets et de recette publique et ecclésiastique ; que ce comité puisse juger toutes celles qui peuvent être supprimées ou diminuées, et qu’il apporte son travail à l’Assemblée, qui prononcera définitivement. Je demande un comité composé d’un député de chaque province, pour que l’on puisse connaître et corriger d’une manière plus particulière les abus qui existent, et je proposerais que l’on nommât quatre députés de Paris, où il y a infiniment plus d’abus qu’ailleurs. Voilà, Messieurs, le seul moyen de détruire les abus qui existent dans les pensions. Tout bon citoyen verra avec plaisir cette réforme, et ceux même qui en souffriront seront forcés d’avouer que, quand la patrie est en danger, que ses moyens sont épuisés, il est évidemment juste que” celui qui lui est à charge vienne à son secours. En conséquence, Messieurs, j’ai l’honneur de vous proposer le décret suivant: « L’Assemblée nationale, considérant combien il est urgent de réformer les abus, et surtout ceux qui pèsent sur la fortune publique; considérant que celui des pensions est le plus pressant à corriger, et que l’Etat, qui doit récompenser celui qui l’a servi utilement, ne doit pas prodiguer un superflu à des Français qui, dirigés toujours par l’honneur, ne sont sensibles qu’à la gloire, a décrété et décrète ce qui suit : « Art. 1er. A compter du 1er janvier 1790, toute pension au-dessus de 6,000 livres sera réduite à cette somme ; nul ne pourra avoir une pension plus forte, à l’exception des officiers généraux qui auront fait la guerre, et dont la pension ne pourra cependant jamais surpasser 12,000 livres. Art. 2. Toutes pensions accordées aux femmes serontet demeureront supprimées; il n’en sera, conservé qu’aux veuves de militaires ou autres personnes qui auront utilement servi la patrie