92 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 17&0. Se refuse-t-il eu ce moment, présente-t-il une difficulté à l'abolition de ses privilèges pécuniaires ? ne vous a-t-il pas devancé pour vous les offrir ? Quelle est la puissance de l’Europe qui ait exigé ou à qui l’Ordre ait fait de tels abandons ? Et cependant il en est un grand nombre de ces puissances qui n’ont aucun intérêt à sa conservation et qui n’en reçoivent aucun service ; mais elles sont généreuses, elles sont justes, ces nations, et l’appât d’un gain ne prend pas à leurs yeux un caractère de justice, dès qu’il présente des spéculations d’une utilité momentanée. Elles se disent : « L’Ordre de Malte est souverain, sa propriété est dans nos mains et nous l’en respectons davan-vage. Il est étranger, il possède ses biens sous notre autorité. C’est une hospitalité sacrée que nous lui donnons et cet hôte chez nous est chez lui souverain. Nous lui en accordons les honneurs; il est humain, généreux, guerrier, utile et dévoué à un noble ministère; nous sommes tous intéressés à le protéger ; et si d’autres nations recueillent de la protection même que nous accordons plus d’avantages que nous, c’est un sacrifice que la politique fait à la bienfaisance générale; et nous nous glorifions de la part que nous avons à cette confédération de tant de puissances intéressées. > Voilà, voilà Messieurs, leur langage, et nous, nous Français, que la position géographique de Malte favorise le plus, dont le commerce juge et certifie tant le besoin ; nous qui recevons en retour plus d’argent que ses propriétés en France n’en produisent peut-être, à qui Malte est presque uniquement dévouée, nous qui, de toutes les nations, avons le plus contribué à sa gloire par les grands maîtres qui l’ontillustrée; nous, dis-je, méconnaissant nos intérêts et la justice, serions-nous les premiers, serions-nous les seuls, à frapper un Ordre étranger que sept cents ans de splendeur ont immortalisé, malgré la destruction qui semblait le menacer, et que la gloire, l’humanité et la religion doivent protéger et défendre? Il est encore, Messieurs, une autre considération qui doit être méditée par vous, et c’est l’équité qui réclame : c’est le sort des chevaliers sur les droits desquels il est instant de fixer des idées de justice. Ce chevalier, cet individu, ce Français qu’on propose d’expolier après avoir dépouillé son Ordre, connaissez-vous bien sa situation, ses sacrifices physiques et moraux et les droits qu’il a acquis sur ce même Ordre à qui il s’est attaché et sur les nations gardiennes de ses biens? Savez-vous que souvent, dès sa naissance et toujours depuis qu’il a acquis sa volonté, il y a fixé toutes ses vues, toutes ses spéculations, il y a placé sa légitime ? Souvent il a fait des emprunts pour s’assurer une espérance dans l’avenir; ses pères ont disposé de son héritage; il est dispersé, il est peut-être anéanti ; il a négligé toute autre route d’avancement ; souvent il n’a pu suivre une autre carrière, il ne s’est ménagé aucun autre moyen de vivre ; il s’est engagé par des vœux solennels dans un ordre étranger, dans un pays étranger, ce que vos lois nouvelles ne peuvent même lui défendre ; il s’est engagé sur la foi des traités et de ses devoirs et sur un exemple de six cents années ; il a renoncé à toute hérédité de ses pères et il en a enrichi sa famille; il ne peut recevoir aucun don, recueillir aucune succession, proti ter d’aucun nouvel avantage, et vous l’en puniriez, et vous consentiriez à le dépouiller, à le jeter ainsi nu dans la société qu’il a défendu, ou, si son ordre veut bien l’accueillir encore, vous le condamneriez à ne recevoir de secours que de la pitié ! Non, non, Messieurs, ce n’est pas le sort que vous lui réservez. La loyauté de la nation, dont les représentants veulent sans doute avoir l’aveu, ne permettra pas une telle décision. 11 lui est prouvé que ses intérêts seraient gravement blessés dans la suite; mais une considération plus noble la déciderait encore ; elle ne détruira point un Ordre qui lui fut utile. La reconnaissance ne serait-elle donc plus une vertu pour les nations, quand l’ingratitude est un vice pour les citoyens qui les composent? La France voudrait-elle éteindre le premier foyer de l’honneur qui ait constamment brillé d’une flamme pure ? Quoi! cet Ordre, ce précieux monument de l’antique chevalerie existerait pour l’Europe et le nom Français en serait effacé! une année aurait-elle anéanti les idées, les sentiments, les habitudes qui nous ont distingués dans tous les âges ? et ce patriotisme que nous invoquons sans cesse, et que j’invoque à mon tour, peut-il rien repousser de ce qui tient à la bravoure, à l’humanité et à l’honneur ? Nota. — Ne pouvant prononcer moi-même ce discours à la tribune, je dois m’abstenir de présenter un projet de décret. 3e Annexe à la séance de l'Assemblée nationale du 4 janvier 1790. DES DÉPENSES EN GÉNÉRAL ET DES PENSIONS EN particulier, par M. Lamy, député de Caen (1). CHAPITRE I«. Des récompenses, en général. S’il est essentiellement vrai que, lorsqu’hono-rés du choix de leurs concitoyens , les députés à l’Assemblée nationale ont quitté leurs provinces pour se rendre au lieu de leur réunion, aucun d’eux n’était en état de se rendre compte du genre et de l’étendue des travaux dont il devait être le coopérateur; il ne l’est pas moins, que ceux môme dont les connaissances étaient les plus étendues, étaient encore beaucoup en deçà du but auquel ils devaient atteindre. Sous ce rapport, à combien de méditations et d’étude ont dû se livrer ceux qui, ne pouvant compter que sur un sens droit et beaucoup de bonne volonté, devaient être dans un élat absolu de méfiance d’eux-mêmes et de timidité ? Le désir de s’instruire et de se rapprocher du point nécessaire pour être utiles, serait cependant resté sans succès pour le plus grand nombre, s’ils n’avaient pas trouvé des secours dans l’ouverture des dépôts de l’administration, et dans la communication des titres relatifs aux divers objets soumis à l’examen et à la délibération, qui paraissaient susceptibles d’amener des changements destinés à produire un meilleur ordre de choses. La lecture du tableau des pensions, et des observations indicatives des motifs qui ont déterminé le gouvernement à les accorder, m’a fait (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1790.] 93 naître l’idée de m’entretenir, d’abord avec moi-même, du mérite de ces motifs. Le cercle s’étendait par la méditation ; mais j’avais vécu trop loin des distributeurs des grâces, des agents médiateurs, et des ardents solliciteurs, pour oser entreprendre de donner un ordre suivi à une opinion qui ne pouvait avoir de mérite qu’autant qu’elle aurait reposé sur des principes constants et invariables. Convaincu que chaque député doit payer ici sa dette, en contribuant, autant qu’il est en lui, à la réunion des connaissances propres à aider la régénération, j’ai consulté des hommes instruits, et j’en ai trouvé qui m’ont procuré des connaissances de détails que la capitale seule renferme; c’est à leur aide que je dois l’ordre que j’ai donné à mes idées , les preuves sur lesquelles j’ai établi les faits que j’avance, et les conséquences que je soumets aux lumières de l’Assemblée. S’il ne m’est pas permis de faire connaître ceux auxquels je suis redevable à cet égard , l’expression de la reconnaissance envers eux ne m’est pas interdite. Je leur en offre le tribut, en rendant public un travail qui, sans eux, n’aurait pas pu paraître sous mon nom. Ce n’est pas un traité des récompenses que j’ai dessein de faire ici (1) ;je voudrais seulement établir des principes dont on pût tirer des conséquences applicables aux pensions ; et comme les pensions forment une division des récompenses, il m’a semblé que je devais dire un mot de celles-ci, avant de m’occuper des autres. Le mot latin pensitalio signifie également ré-compense, dédommagement, compensation, et pension. En effet, toute récompense n’est véritablement qu’un dédommagement, qu’une compensation du temps, des intérêts personnels et de la santé, dévoués à la chose publique. Ce dédommagement, cette compensation, cette récompense existent déjà dans les honoraires (2), dans les traitements, dans les appointements, dans les gages, dans la solde, et même dans les privilèges attribués à tous les emplois créés pour l’administration, pour la conservation et pour la défense de la chose publique. Ces attributions ont été fixées, parce qu’il n’y a aucun de ces emplois, qui n’exige le sacrifice du temps, des intérêts personnels et de la santé, qu’on pourrait em-)loyer, ou suivre plus utilement pour soi, dans oute autre profession. (1) II y en a uû en italien, intitulé : Dette virtutè de premi. Je n’en connais pas l’auteur, mais je suis persuadé qu’il a une tête philosophique, et un cœur sensible; son ouvrage, qui a été traduit en français, n’est pas aussi connu qu’il mériterait de l’être. Ce n’est pas qu’il y ait des idées neuves, mais il n’y en a que de saines,'; et l’ordre méthodique, et cependant intéressant, dans lequel elles sont présentées, en leur donnant un air de nouveauté, ajoute encore au mérite qu’elles ont naturellement. L’auteur ne respire que le bonheur des hommes, qu’amour du genre humain; et la chaleur avec laquelle il parle des vertus sociales fait présumer qu’il les possède toutes dans un degré éminent. Mais il ne les considère que dans l’ordre politique, ainsi que les récompenses, et je ne considère celles-ci que sous des rapports plus philosophiques que politiques. (2) Il ne faut pas qu'on s’y trompe: l’expression honoraires ne signifie que de l’argent. Elle vient du mot honneur, et il est difficile de rencontrer un dérivé qui soit aussi différent de sa racine. Il n’y a rien, en effet, qui fasse moins véritablement honneur que l’argent, comme il n’y a rien qui produise moins d’argent que ce qui est véritablement l’honneur. Mais ce n’est pas là ce qu’on entend par récompense, et suivant l’opinion commune, une récompense est une attribution extraordinaire, indépendante des honoraires, des traitements, des gages, de la solde, et même des privilèges (1) affectés à l’emploi dont on est revêtu. Mais, puisqu’une récompense est une attribution extraordinaire, il faut donc, pour raisonner conséquemment, qu’elle soit méritée par un acte extraordinaire ; et c’est ici que les idées se confondent. Essayons de les distinguer et de les fixer. Les obligations que chaque citoyen contracte, je 11e dirai pas par son adhésion au pacte social, mais seulement en acceptant son emploi, entraînent avec elles, notoirement, le risque d’un dommage, et peut-être même celui d’un sacrifice de sa personne et de ses propriétés, puisque la personne et les propriétés sont affectées, en général, par la qualité de citoyen, et spécialement par la nature de l’emploi, à l’administration, à la conservation, ou la défense de la chose publique. Ces devoirs peuvent donc bien nécessiter des actes dangereux pour les personnes et pour les propriétés; mais iis ne peuvent jamais donner de droits à une récompense, à une compensation, à un dédommagement extraordinaires , puisqu’ils ne sont que l’explétion des obligations contractées, en échange desquelles il y a des compensations, des récompenses, des dédommagements annuels. Il importe donc de distinguer, avant d’accorder une récompense, si le dommage reçu dans la personne, ou dans les propriété, tient à l’exécution rigoureuse du pacte social, ou de conventions particulières, ou s’il est la suite d’un effort patriotique, qui n’était point commandé, et qui ne pouvait être exigé par la teneur du pacte social ou des conventions particulières. Dans le premier cas, on n’a fait que ce que l’on devait, et l’on a nul droit à des récompenses, à des dédommagements extraordinaires (2); et puisqu’on a réglé sa conduite sur le pacte social, ou sur les conventions particulières, on ne peut exiger que la somme de protection et de secours, qui résulte de l’un, et les attributions qui sont fixées par les autres (3). Dans le second cas, on a été au delà de ses engagements, sans qu’on put y être forcé; et quand le sacrifice extraordinaire qu’on a fait a eu pour but ou pour motif le salut, ou seulement l'utilité de la chose publique, on a le droit, sans doute, à une récompense, à une compensation, à un dédommagement extraordinaire. (1) Je parle encore de privilèges, quoiqu’il n’en existe plus. C’est que ceux dont on a consenti et prononcé î’extinction ne consistaient qu’en exemptions pécuniaires, et ceux dont il s’agit ici ne sont qu’honorifiques, comme celui, par exemple, d’être supérieur, par sa place ou son emploi, à un certain nombre d’individus. (2) Un officier sollicitait, de M. le maréchal du Mey, une pension en considération de quelques coups de fusil : « Vous n'y pensez pas, » dit le ministre, a est-ce que les pensions sont faites pour des coups de fusil qui ne suspendent aucune des fondions physiques ? » Cette réponse était sévère ; mais, si on y réfléchit, on la trouvera juste. (3) Voyez Dette virtu è de premi. Je me suis tellement pénétré de ce petit ouvrage, qu’il serait possible que ce que je regarde comme mes propres idées ne fût qu’un souvenir de celles qui y sont répandues en abondance. Ainsi, sans m’astreindre à le citer davantage, j’avoue d’avance tout ce que l’on croira en reconnaître. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1790.J 94 Si ces principes sont vrais, il faut convenir qu’il y a bien peu d’occasions de dispenser des récompenses, et que de toutes celles qui ont été accordées jusqu’à présent, il n’y en a qu’un très petit nombre qui mérite véritablement ce nom. CHAPITRE II. Des pensions, en particulier. Il y a des récompenses de différente nature, et leur diversité paraît tenir au principe des gouvernements. Ainsi, selon M. de Montesquieu(l)dans les gouvernements despotiques, où l’on n’est déterminé à agir que par l’espérance des commodités de la vie, le Prince qni récompense n'a que de l’argent a donner (2). Dans une monarchie où l'honneur règne seul, le prince ne récompenserait que par des distinctions, si elles n’étaient jointes à un luxe qui donne nécessairement des besoins. Le prince y récompense donc par des honneurs qui mènent à la fortune (3). Mais dans une république où la vertu règne, l’Etat ne récompense que par des témoignages de cette vertu. Voilà qui indique bien les diverses natures de récompenses; mais on ne voit pas de même dans quels cas elles sont méritées. Indépendamment de ces différentes récompenses, toutes les puissances de l’Europe, àl’exception, je crois, de la Turquie et de la Suisse, récompensent les services rendus au prince, ou à la chose publique, par des pensions sur le Trésor de l’Etat; et parmi les puissances de l’Europe, la France est particulièrement prodigue de ce genre de récompense. Il ne tient pas, sans doute, à la nature de son gouvernement; car une pension, qui n’est pas méritée n’est pas plus un honneur qui mène à la fortune, qu’une fortune dont on puisse se faire honneur, il faut donc qu’il tienne à des conditions particulières, qui ont insensiblement altéré le caractère généreux dont la nation française se glorifiait autrefois (4). C’est une règle générale, dit encore M. de Montesquieu (5), que les grandes recompenses (pécuniaires), dans une Monarchie et dans une Répu-(1) Esprit des lois, livre V, chapitre xvm. (2) Il donne aussi des places, qui en procurent beaucoup, et qui sont éminentes. Tels sont les gouvernements des provinces, qui, n’étant chargés que d’une somme fixe, autorisent ceux qui en sont pourvus, à commettre mille et mille vexations, sur le spécieux prétexte d’alimenter le trésor du despote. Ce sont ces places d’honneur, qui mènent à la fortune, comme M. de Montesquieu le dit quelques lignes plus bas. Le despote donne encore des dignités et des distinctions qui sont toujours lucratives. (3) Tout cela ressemble parfaitement à ce qui se passe dans un Etat despotique. C’est qu’une monarchie, comme tout le monde le sait aujourd’hui, n’est qu’un despotisme plus ou moins mitigé. (4) Dans la nouveauté de l’Ordre de Saint-Louis, plusieurs officiers sollicitèrent la permission de remettre, au Trésor royal, les pensions dont ils jouissaient, pour être décorés de cet Ordre. Il est vrai qu’il y a bientôt cent ans. Dans un temps plus reculé encore, Montaigne écrivait : Et ce qui a toujours été reconnu par expérience ancienne, et que nous avons autrefois aussi pu voir entre nous, que les gens de qualité avaient plus de jalousies de telles récompenses (d’honneur) que de celles où il y avait du gain et du profit ; cela n'est pas sans raison et grande apparence. Essais, livre II, chapitre vu. (5) Esprit des lois, livre V, chapitre xvm. blique, sont un signe de leur décadence, parce qu’elles prouvent que leurs principes sont corrompus (1). En effet, dans tous les Etats où l’on rend une sorte de culte public au sentiment sublime de l’honneur, dont l’influence est incalculable, l’argent est méprisable et méprisé comme récompense; oarce qu’il ne peut être un signe représentatif de 'honneur; et sur la valeur que certains peuples ui donnent, sur l’estimation qu’ils en font, on peut calculer avec probabilité leur moralité civile et politique (2). CHAPITRE III. Renseignements historiques sur les pensions en général. Je viens de dire qu’en France, on était prodigue de pensions; en voici la preuve dans l’historique des pensions, depuis près de deux siècles. Sous Henri IV (1600), elles s’élevèrent jusqu’à 3,000,000, ce qui n’est pas étonnant, si l’on considère qu’il fût obligé d’acheter, de mille manières différentes, et son royaume et les chefs de la Ligue, qui étaient dangereux par leurs talents ou par leur pouvoir. A sa mort (1610), elles étaient déjà réduites à 2,000,000 ; ôn devait ce soulagement à l’administration de Sully, dont l’économie, peut-être parcimonieuse, augmentait en raison de la généreuse prodigalité de son maître. Elles montaient à 6,650,000 (1614) ; cette progression parut monstrueuse aux fameux Etats-Cénéraux, qui furent assemblés cette année, et ils demandèrent que cette dépensé fut réduite à 2,000,000, comme à la mort d ’ Henri IV ; on n’eut point d’égards à leurs représentations. Concini que, par respect pour la dignité de maréchal de France, on ne devrait jamais appeler le maréchal d’ Ancre, Concini était alors à la tête de l’administration, et il avait trop d’intérêt à perpétuer les abus, pour se prêter à leur réforme. Il fit, au contraire, créer trois charges de trésorier des pensions. Ce despotisme déprédateur, qui s’exerçait avec tant d’insolence au nom du souverain, par les favoris, par les courtisans et par les créatures de tous, occasionnait la misère publique. Le Parlement voulut bien s’en plaindre ; et il supplia le Roi d’ordonner: 1° que toutes les gratifications (annuelles, sans doute, comme extraordinaires ), au-dessus de 1,000 livres, seraient enregistrées à ia chambre des comptes ; 2° de n’accorder aucunes pensions aux officiers des cours supérieures. Les remontrances, comme on le devine bien, furent sans effet pour le peuple. Ainsi, dans tous les temps, les cours supérieures, ces prétendus ennemis du despotisme, ont été pensionnés par le despotisme, et ils ont toujours profité seuls des (1) Auguste était prodigue d’argent avec ses soldats ; mais il était avare de toutes les récompenses d’honneur. C’est qu’il ne pouvait les corrompre qu’en éloignant de leur esprit et de leurs regards tout ce qui pouvait rappeler l’ancienne magnanimité de la République. Voyez Suétone, Vie d’Auguste, chapitre xxv. (2) Si au prix, qui doit être simplement d'honneur, on y mêle d’autres commodités, et de la richesse, ce mélange, au lieu d’augmenter l’estimation, il la ravale , et en retranche. Montaigne, loc. sup. cit. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1790.] 95. mouvements combinés qu’ils semblaient faire contre ce destructeur de toute prospérité. On peut faire une observation sur cette espace d’environ quatre années. Henri IV, à sa mort, laissait son royaume florissant; et quelques années après, on convoque les Etats-Généraux pour aviser aux secours dont il a besoin ; les ministres de Henri avaient employé les dix dernières années de son règne à réduire les pensions d’un tiers ; en quatre ans, elles furent plus que triplées par leurs successeurs. Concini fut assassiné (1617). On put alors chercher librement à rétablir l’ordre dans lesfi-nances ; celui qui les administrait alors, en qualité de contrôleur général, était le président Jeannin , ce bonhomme dont Henri IV dit toujours tant de bien, sans lui en faire, et qui, à la retraite de Sully, conserva la confiance de la Reine-Mère et les respects d’une cour corrompue; il dut cet avantage à l’opinion que l’on avait de la faiblesse de son caractère, et il le mérita par sa probité. En effet, dans les circonstances difficiles où il se trouvait, il eut assez d’énergie pour oser intimider les ennemis du bien public par une Assemblée de notables, et n’osant dégager le royaume des sangsues qui l’épuisaient, parce que dans les affaires particulières il n’avait de volonté que celle des gens puissants ou en faveur, il eut du moins l’adresse d’en charger la nation, parce que dans les affaires d’Etat il avait le courage ou le bon esprit d’accueillir ou de provoquer la volonté générale. L’Assemblée des notables fut donc convoquée à Rouen. Dans le nombre des propositions qu’elle fît, voici celles qui sont relatives aux pensions : les réduire à 3,000,006 et même à moins si cela se pouvait; ordonner qu’elles ne seraient plus payées à l’avenir en vertu de simples brevets, à moins qu’elles ne fussent employées dans l’état signé de la main du Roi; supprimer les charges de trésorier de la création de Concini. Cette Assemblée ne lit pas le bien que la nation et Jeannin en espéraient, parce que, comme on le sait, elle ne fut pas écoutée de la cour, dont ses représentations censuraient la voracité. Les pensions restèrent sur le même pied jusqu’en 1623, que l’on réduisit les plus considérables de celles qui avaient été accordées aux courtisans, ou arrachées par l’importunité. Il y eut unenouvelle Assemblée de notables, qui fit, sur l’abus des pensions, des représentations que la cour fut probablement forcée d’accueillir plus favorablement que celles de 1617. En conséquence, et par l’article 274 de l’édit de janvier 1629, il fût ordonné que les Etats et en - tretènements (ce qui signifiait, peut-être, les traitements de charges de la Cour, et les dépenses de l’administration), ainsi que les pensions, seraient réduites à une somme si modérée, que les autres charges de l'Etat pussent être préalablement acquittées, et qu'il serait fait un état pour chaque année, qui contiendrait les noms de ceux qui en devraient jouir, et hors lequel personne ne serait reçu à les prétendre, quelque brevet ou ordonnance qu'il en pût obtenir, ni être employé dans ledit état, qu’en vertu de lettres-patentes registrées en la chambre des comptes. Je ne sais pas à quelle somme montaient les pensions en 1623 ; quel fut le bénéfice de la réduction que quelques-unes souffrirent à cette époque ; quel était le montant des pensions en 1629, si les dispositions de l'article 274 de l’édit de janvier de cette année furent rigoureusement observées; ni enfin quel profit les finances en retirèrent. Mais il est probable que ces opérations ne produisirent que des avantages médiocres, puis-qu 'Anne d’Autriche se permit, au commencement de la Régence, de réduire d’un tiers toutes les pensions. On peut conclure encore que la masse des pensions était si considérable en 1643, puisqu’on se décida à cet acte d’autorité et de justice, dans des circonstances qui n’annoncent ordinairement qu’un pouvoir incertain, et par conséquent de nouvelles grâces pour lui acquérir des défenseurs. En effet, malgré les dispositions de l’édit de 1629 , il avait été accordé, depuis cette époque, à un grand nombre de personnes, des pensions sans brevets et par de simples ordonnances, expédiées dans les différents bureaux des ministres et des secrétaires d’Etat ; et, au lieu de réformer cet abus qui s’était propagé par la réduction même ordonnée en 1643, le Roi, par une déclaration du 30 décembre 1678, ordonna que les pensions et gratifications seraient payées et passées sur les simples quittances des parties prenantes, qu'il dispensait de rapporter aucunes lettres-patentes registrées en la chambre des comptes, et ce, tant que Sa Majesté prendrait soin de l'administration de ses finances. On serait tenté de croire, sur ces paroles, que Louis XIV administrait effectivement ses finances, et cependant, il les avait confiées, dspuis 1661, à l’immortel Colbert, contrôleur général. Mais, sans doute, la disgrâce de M. Fouquet effraya son successeur; et Colbert , plus prudent, se contenta de paraître prendre les ordres du Roi, dont il satisfaisait ainsi la magnificence et le luxe, sans inquiétude. Peut-être aussi que la punition du surintendant et la suppression de sa charge portèrent Louis XIV, qui affectait de la supériorité dans tout, à penser qu’il avait les connaissances qu'exigeait cette partie d’administration ; et la France, enthousiaste de ce prince, put croire facilement que les idées nécessairement bornées de son souverain, sur les finances, dirigeait le génie de Colbert. Les pensions et les gratifications tant ordinaires qu’extraordinaires furent assujetties à la retenue du dixième imposé par la déclaration du 14 octobre 1710 ; et cette opération semble indiquer que la déclaration de 1678, qui les affranchissait des entraves précédemment établies, avait favorisé l’augmentation de la masse des pensions. Je ne sais pas quelle somme elle présentait alors, ni conséquemment quel fut le bénéfice résultant de la retenue du dixième. La forme établie par la déclaration de 1678, subsista jusqu’à la mort de Louis XIV, en 1715; et à cette époque toutes les pensions étaient dispersées dans une foule d’états particuliers, qui en rendaient la connaissance très difficile. M. le duc d 'Orléans, régent du royaume, en fit faire une recherche et quand elle fût achevée, il ordonna une réforme générale, pour laquelle il fit publier la déclaration du 30 janvier 1717. L’objet de cette loi était de réduire les pensions, et d’établir pour leur dispensation et pour leur paiement un ordre qui écartât également l’arbitraire et l’importunité. En conséquence, les pensions de 10,000 livres et au-dessus furent réduites aux trois cinquièmes ; celles de 6,000 livres et au-dessus, aux deux tiers ; celles de 3,000 livres et au-dessus, aux trois quarts; celles de 1,000 livres et au-dessus, aux [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1790.] 96 quatre cinquièmes ; et celles au-dessus de 600 livres aux cinq sixièmes. Il ne devait plus être accordé de pensions ni de gratifications ordinaires que la masse de celles qui existaient ne fût réduite à deux millions, par la mort des pensionnaires, ou par leur nomination à un emploi qui valût la grâce pécuniaire dont ils jouiraient; car une des dispositions sages de cette loi était la suppression de la pension dans ce dernier cas. Mais la résolution de ne plus accorder de pensions ni de gratifications ordinaires ne devant pas priver les services actuels de la récompense qu’ils mériteraient, le Roi se réserva la distribution annuelle d’une somme de 500,000 livres en gratifications extraordinaires. Pour l’observation de l’ordre annoncé dans cette partie, on se proposa de faire de toutes les pensions et gratifications ordinaires existantes, un état qui serait arrêté chaque année au conseil, et dont un double serait remis au garde du Trésor royal, pour en faire le paiement, et l’autre envoyé à la Chambre des comptes, avec des lettres-patentes pour en allouer les parties. C’était rappeler, en même temps, les dispositions littérales de l’édit de 1629, et le but de la déclaration de 1678. Il me semble résulter de celle-ci, que les grâces pécuniaires ne devaient plus s’acquitter qu’au Trésor royal, ce qui aurait été le complément de l’ordre qu’on voulait établir ; mais on ne prononça pas explicitement l’exclusion des autres caisses, où elles pouvaient également se payer. Il y eut une exception en faveur des pensions de 600 livres et au-dessous, des pensions sur l’Ordre de Saint-Louis , de celles attachées aux corps de troupes (j’ignore ce qu’on entendait alors, par cette désignation), des pensions des officiers des troupes de la maison du Roi, sous le titre d’appointement ou de supplément de solde, et enfin des pensions qui faisaient partie des charges et attributions de plusieurs officiers des Cours souveraines. Ces exceptions, dont quelques-unes pouvaient être justes, devaient nécessairement entretenir et favoriser les abus et les désordres que l’on cherchait à corriger. Elles n’étaient plus nouvelles , et nous les verrons toujours à côté des plus utiles opérations, sinon pour les rendre nulles, au moins pour en diminuer les avantages. Les pensions, assujetties aux retenues, montaient alors à environ 5,000,000. Elles avaient été exigibles jusque-là, le jour de la concession, c’est-à-dire d’avance, et elles ne furent plus payées qu’à l’échéance d’une année. Ce retard entrait encore pour quelque chose dans le bénéfice de l’opération, et il représentait l’imposition d’une année une fois payée. Malgré les réductions que les pensions et les gratifications essuyèrent, elles restèrent toujours assujetties à la retenue du dixième imposée en 1710. Enfin elles furent réduites d’un cinquième par l’article 3 de l’édit d’août de cette même année 1717, qui ordonne la suppression du dixième sur les pensions et gratifications ordinaires seulement, et cette restriction avait pour objet les exceptions dont je viens de rendre compte. Les pensions des princes du sang furent comprises dans cette dernière opération de 1717, dont le résultat, si l’on s’en rapporte au préambule de l’édit, devait être une réduction à moitié de la plus grande partie des pensions. Il n’est pas certain que cette réduction ait été effectuée; mais ' ce que l’on doit considérer, ce sont les efforts mytérieux et vains de l’administration pour gêner, par des retenues et des réductions, la dispensation abusive des pensions, qu’elle n’avait pas le courage de contrarier ouvertement. Dans l’état de fonds de 1725, les pensions des princes du sang sont employées pour la somme de ........................ .“ 1.594,800 francs. Et les autres, pour ........ 7,000,000 Total ..... 8,594,800 Au mois de janvier 1717, les pensions ne montaient plus, au moyen des réductions, qu’à la somme de .................. 5,000,000 francs. Elles étaient chargées d’un dixième .................... 500,000 Au mois d’août suivant, elles furent réduites d’un cinquième .................... 900,000 Reste ...... 3,600,000 Elles avaient donc été presque triplées en huit années de temps, comme cela doit arriver dans toutes les administrations qui n’accordent que des grâces pécuniaires, ou qui prostituent les grâces honorifiques. Aux termes d'une déclaration du 20 novembre 1725, la dépense des pensions ne devait plus, à l’avenir, excéder 2,000,000; ceux qui en avaient obtenu devaient cesser d’en jouir lorsqu’ils seraient nommés à des emplois, ou lorsqu’ils feraient des établissements équivalents ; et on réservait un fonds de 500,000 à distribuer annuellement en gratifications extraordinaires. C’était renouveler les dispositions de la loi de janvier 1717, et prouver qu’on les avait éludées jusque-là. Unj arrêt du conseil du 15 janvier supprima le cinquième établi sur les pensions au mois d’août 1717. Un autre arrêt du conseil du même jour convertit en viager sur le pied du dernier 25, et par forme d’augmentation, les années 1724 et 1725, qui étaient dues des pensions et gratifications ordinaires. On laissa néanmoins subsister, ou plutôt on rétablit la retenue du dixième, qui avait été suspendue lors de l’imposition du cinquième, au mois d’août 1717. Dans l’espace de huit années que nous venons de parcourir, de 1717 à 1726, les pensions et les gratifications ordinaires furent exposées à des réductions, à des impositions fixes, à des impositions graduelles, et même à une cessation de paiement; et tout le monde sait que ce fut dans cet espace de temps que le phénomène du papier-monnaie, qui devait jeter tant de splendeurs sur le royaume, n’y éclata que pour le prolonger dans un chaos obscur, dont la confusion fut si générale et si profonde, qu’aujourd’hui même en 1790, il en existe encore des monuments. Ce désastre dut son origine au règne de Louis XIV , qui ne cessa, dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, d’épuiser l’Etat en hommes et en argent ; et il fut préparé par les ministères de Mazarin et de Richelieu, pendant lesquels on vit renaître les prodigalités du Trésor public que Sully avait eu tant de peine à économiser. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Après la secousse qui se fit sentir alors dans toutes les fortunes particulières, et qui agita jusqu’à la fortune publique, il fallait bien un peu de repos : aussi, pendant les trente-trois années suivantes, les pensions n’augmentèrent que d’environ 2,000,000, puisqu’en 1759 elles ne montaient qu’à environ 10,000,000. Quoique cette progression ne fût pas comparable à celles qu’on a déjà remarquées dans les époques précédentes, elle parut encore trop forte à M. de Silhouette, maître des requêtes, nommé contrôleur général des finances; et il résolut d’appliquer sévèrement à l’état de détresse où il se trouvait toutes les dispositions des lois anciennes, qui pouvaient tendre au soulagement des finances, et au rétablissement de l’ordre, sans lequel il n’y a pas de barrières insurmontables pour la cupidité. Il proposa, en conséquence, au Roi la déclaration du 17 avril 1759, qui présente deux objets. Le premier, de réduire les pensions à la somme de 3,000,000. Le second, qui était une suite du premier, de confirmer toutes les pensions qui en seraient jugées susceptibles, sur l’examen des titres, dont on exigea la représentation. M. de Silhouette ne vit pas la fin de son opération, qui choquait trop violemment les tendances générales vers les pensions; et il succomba, pres-qu’à l’entrée d’une carrière qu’il pouvait, dit-on, parcourir avec toutes sortes d’avantages. Cette opération occasionnait nécessairement de la lenteur dans les paiements, et cette lenteur fatiguait l’impatiente activité du duc de Choiseul, qui voulait consommer la réforme de 1762. En attendant que l’ordre projeté par M . de Silhouette fût rétabli, M. le duc de Choiseul proposa nu Roi d’accorder peu de grâces sur le Trésor royal, et d’en assigner la majeure partie sur les fonds de l’extraordinaire des guerres, pour l’armée; sur ceux de l’ordinaire des guerres, pour la maison militaire de Sa Majesté, et même sur les fonds du quatrième denier, qui ne devait être employé qu’en gratifications extraordinaires. Le Roi, abusé par le grand mot de réforme, et par l’apparence -de l’ordre, distribua en effet des pensions sur tous ces fonds, sous les titres différents de pensions de retraites, de récompenses, de gratifications annuelles, d’appointements de réforme, d’appointements conservés ; et dans l’espace de onze années, la masse des pensions du seul département de la guerre s’éleva à près de 11,000,000. M. le duc de Choiseul se trompait, sans doute ; d’abord, parce qu’en augmentant de la masse des grâces pécuniaires de son département, la dépense de l’ordinaire et de l’extraordinaire des guerres, il augmentait aussi la dépense du Trésor royal, qui fournissait ces fonds ; et ensuite, parce qu’à l’aide de tous ces déguisements il favorisait, il autorisait même, sans dessein probablement, un désordre encore plus considérable que celui que l’on cherchait à arrêter et à éteindre. Mais ces déguisements de pensions n’étaient pas nouveaux; nous les avons déjà vus en 1717. Je viens de dire que la masse des pensions du département de la guerre s’était élevée, dans l’espace de onze ans, à près de 11 ,000,000: ajoutons-v le tiers de cette somme, pour les autres départements, et nous aurons environ de 15,000,000 de pensions ou autres grâces annuelles à la charge des finances. C’est, à peu près, le double de ce qu’elles étaient en 1725. A la suite d’une guerre aussi ruineuse par les •dépenses énormes qu’elle avait occasionnées que par les pertes que nous avions essuyées, il était dif-lre Série. T. XI. [4 janvier 1790.] 97 ficile que l’Etat satisfît à tous ses engagements, et les pensions furent comprises dans les objets sacrifiés à ceux dont la liquidation intéressait immédiatement l’Etat. Il en était dû trois années de petites et cinq.an-nées de celles qui étaient fortes. M. de Lavervy , conseiller au parlement, alors contrôleur général des finances, se détermina à convertir ces arrérages en rentes viagères, pour s’en débarrasser plus promptement et avec moins de fonds. On avait déjà fait la même opération en 1726, pour deux années. Dans tous les temps on voit commettre les mêmes fautes; et c’en est une grave en finance, que cette opération. Le terme d’une rente viagère est beaucoup plus éloigné qu’on ne le pense communément ; et il paraît constant qu’elles ne s’éteignent annuellement qu’au soixantième. Ainsi en acquittant avec la pension une portion des arrérages qui en étaient dûs, on les aurait éteints dans un petit nombre d’années, tandis qu’on paie encore aujourd’hui, en 1790, les arrérages de ces rentes viagères. M. l’abbé Terray, aussi conseiller au parlement, et appelé (1770) au contrôle général, ne s’amusa pas à suivre les projets et les plans de ses prédécesseurs. Il s’occupa moins de la réforme du désordre, que du parti qu’il en pouvait tirer pour les finances, et il établit les impositions graduelles, comme on l’avait fait, dans une autre forme, au mois de janvier 1717. C’était bien un soulagement pour le Trésor royal, mais ce n’était point de l’ordre. L’ordre ne s’établit que sur des principes, et on accuse M. l’abbé Terray de les avoir méprisés. J’aime mieux croire qu’indifférent sur les moyens d’opérer le bien public, et, pressé de le faire, il préféra les impositions, qui n’étaient alors que des actes d’autorité, dont l’éxécution ne souffrait pas de retardements, à des principes dont l’établissement et l’application exigeaient un temps qui n’était pas en son pouvoir. Un de ses principes, dont il usait familièrement, c’est que le Roi ne pouvait demander qu’à ceux qui avaient, et surtout à ceux à qui il avait donné, et il se conduisit en conséquence. C’est peut-être une remarque intéressante, que tous les magistrats appelés au ministère ont généralement échoué dansl’administration des finances. Probablement les connaissances indispensables pour les bien diriger ne s’acquièrent ni dans les livres, ni dans la méditation ; et pour se les approprier, il faut avoir vécu longtemps dans la chose même, ou dans une activité dont un magistrat inamovible est fort éloigné. Les impositions graduelles, établies par l’abbé Terray, ne s’étendirent pas sur les grâces acquittées par l’ordinaire et par l’extraordinaire des guerres, qui ne furent assujetties qu’à la retenue d’un dixième. Nous avons vu une exception semblable, au mois de janvier 1717 (1). Mais ces impositions ne furent pas, dans le fait, plusutiles que tou tes celles établies précédemment; et pendant les huit années suivantes, les pensions s’accrurent en raison des retenues dont on les chargeait. M. Necker, directeur général des finances, laissa subsister (1778 et 1779) toutes les retenues qui s’acquittaient à son avènement au ministère. Mais, persuadé que la réunion en un seul point des différentes grâces accordées à la même personne sur (1) J’ai pris dans un mémoire fait en finance, en 1775, et qui m'a été communiqué, les époques de ces renseignements, jusqu’à cet endroit. 7 98 [4 janvier 1790. J [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. des fonds différents, pouvait également servir et à l’ordre, après lequel on courait depuis si longtemps, et contre l’avidité et l’importunité, qui l’éloignaient sans cesse, il renouvelle, dans une forme plus précise, le plan de 1759, qui n’était déjà qu’une copie de celui de 1629; et il fit publier les lettres-patentes de 1778, et la déclaration de 1779. Il résulte des dispositions de ces lois que toutes les pensions et grâces pécuniaires annuelles, sous quelque dénomination qu’elles fussent accordées, ne devaient plus s’acquitter et ne s’acquittent effectivement plus ailleurs, maintenant, à quelques exceptions près, qu’au Trésor de l’Etat, sur un brevet qui contient l’énumération détaillée, et les motifs de celles dont jouit chaque pensionnaire dans tous les départements. Il n’y a rien, sans doute, au-dessus de l’excellence de ces formes, si ce n’est leur exécution ; et elle a eu lieu dans l’origine, aus�i rigoureusement qu’il est possible dans un pays ou, presque à côté de chaque loi, il y a un privilège, ou un moyen abusif, qui en dispense. Mais ce qui ne fût pas aussi avantageux aux finances que les brevets l’étaient à l’ordre qu’on voulait établir, ce fut de statuer, par un des articles de ces lois, que toutes les pensions, qui seraient accordées à l’avenir, seraient exemptes d’impositions. II y avait cependant un motif qui semblait autoriser cette disposition. On ne devait plus accorder de pensions que jusqu’à concurrence d’une portion des extinctions annuelles ; et comme la dispensation des grâces se trouvait diminuée d’autant, on cherchait, en donnant l’assurance qu’elles n’éprouveraient aucune réduction, à ajouter un nouveau prix à celui qu’auraient déjà les pensions distribuées. Mais tous ces plans n’étaient qu’en spéculation. Le montant de la dispensation annuelle fût toujours supérieur à la portion des extinctions dont dont on pouvait disposer, et elle égala, même quelquefois, dans un département, la somme totale de ces extinctions. Enfin, il n’y eut rien de positif que l’expédition des brevets, dont on fit même encore peu de cas dans un certain ordre de circonstances, comme on le verra tout à l’heure. On se douta probablement de cette infraction; et pour arrêter le mal dans son principe, le roi, par arrêt du conseil du 23 octobre 1787, a défendu à tous trésoriers , payeurs, régisseurs, ou receveurs de quelque partie que ce soit de ses revenus, et généralement à tous autres que les administrateurs du trésor de l'Etat, de faire aucun paiement desdites grâces pécuniaires, sous quelque dénomination qu'elles soient accordées, à peine de radiation desaits paiements dans leurs comptes. Mais quelle loi peut se flatter de fixer, par ses prohibitions, les formes trompeuses que l’avidité des courtisans fait donner aux grâces qu’elle a su obtenir ? L’assemblée des notables avait constaté un déficit (1788) dans les revenus de l’Etat : M. l’archevêque de Sens entreprit de combler ce gouffre effrayant. L’expérience des temps antérieurs fut perdue pour lui, et pour le bien qu’on désirait. Intimement persuadé de la supériorité de ses connaissances en administration, et dédaignant celles qu’il était forcé de reconnaître autour de lui, il parut cependant ne suivre que les inspirations d’une imagination sans bornes; et, sans prévoyance, comme sans précaution, sans pudeur pour lui-même, comme sans respect pour le roi, au lieu d’imiter l’exemple de Tarquin, se promenant dans ses vastes jardins, il s’amusa à copier Domitien, enfermé dans une des chambres de son palais (1). Il supprima, il réforma; il s’empara même ne tout ce qui appartenait aux corps, ou établissements supprimés, pour en disposer contre tous principes, sans que le déficit en fût moindre (2). Enfin, et pour m’en tenir à l’objet qui m’occupe particulièrement, ce ministre, malgré toute sa présomption, seinbla vouloir jouter d’ineptie contre plusieurs de ses prédécesseurs, en ordonnant, comme eux, une opération partielle sur les pensions, au lieu d’une réforme générale et raisonnée. Il les greva d’impositions graduelles; mais, pour faire différemment que les autres, il fit ordonner qu’elles ne seraient perçues que pendant cinq ans, tandis que les autres retenues, établies précédemment, n’ont point de terme ; et comme si ce chef des finances, qui laissa le trésor royal sans argent, eût eu la puissance de régler les événements, si invariablement, qu’à l’époque fixée, ce secours, pitoyable pour un grand Etat, dût être inutile. Mais puisque toutes les récompenses pécuniaires accordées, avant 1779, étaient assujetties à des retenues, par quelle exception de justice-celles qui seraient accordées ensuite devaient-elles en être exemptes ? En matière d’ordre, il faut, ou que tout ce qu’on appelle pension supporte la même retenue, ou qu’il ne soit exercé aucune retenue sur ce qu’on appelle pension,. quelle quesoitson origine. On s’oblige bien volontiers à acquitter une retenue, pour obtenir une pension; mais on ne s’exposera jamais à en solliciter une, lorsqu’on aura la certitude que, si elle n’est pas méritée, la concession et la suppression seront publiées au même moment. Ces détails sur les pensions, depuis près de deux siècles, prouvent plusieurs choses : d’abord la puissance de la protection, qui suppose l’ignorance, ou l’éloignement, et dans certains cas même l’absence du mérite ; ensuite, la tendance violente de cette nature de récompense à s’accroître, malgré les obstacles qu’on lui oppose par intervalle : car, malgré les �obstacles et les extinctions, la masse s’en est élevée, dans cet espace de temps, de 3,000,000 à plus de 30,000,000 liv., à quoi elle monte aujourd’hui. Enfin que cette masse effrayante de récompenses n’a pu être distribuée à des services véritablement extraordinaires. Car, quelque favorable opinion qu’on puisse avoir des sociétés policées , qui existent sous les noms d’empires, de royaumes, de républiques, il faut convenir qu’il n’y en a aucune dont tous les membres soient tellement portés à la vertu, que les actes extraordinaires de leur dévouement exigent des récompenses capables, par leur masse, d’épuiser le trésor public. D’ailleurs une récom-(1) On sait que Tarquin le superbe, consulté par un envoyé de son fils Sextus, sur ce que celui-ci devait faire dans Gabies, pour consommer la ruine de cette ville, ne répondit au négociateur, dont il se défiait, qu’en abattant les têtes de pavots qui s’élevaient au-dessus des autres. On se rappelle également, que Domitien, fils de Ves-pasien, restait des jours entiers, dans son cabinet, occupé à percer des mouches avec un poinçon fort aigu. (2) Jamais ce ministre, qui ambitionnait depuis si longtemps l’honneur dangereux d’être le chef de l’administration, ne sera si bien peint que dans ces quatre vers d’une jolie comédie moderne : « Oui, monsieur, qu’on m'installe, et je réponds du reste. a Je puis être à l’Etat d’un profit manifeste. «Brouillant, bouleversant les principes connus, « J’arbore la réforme, et je pare aux abus. » Voyez la Feinte par amour, acte II, scène h. 99 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1790.] pense accordée à des services de cette nature, est une dette aussi sacrée, pour tous les gouvernements, que l’étaient autrefois les monuments de la gratitude religieuse des peuples envers les dieux et les héros , et le gouvernement, qui ne la respecte pas, annonce lui-même combien peu sont méritantes les actions auxquelles elle a été accordée. Sa justice actuelle est un aveu de son injustice précédente; et l’acte par lequel il revient sur sa prodigalité, ne choquant que des prétentions particulières, rappelle à lui l’opinion et la confiance publiques, (fui s’étaient éloignées. CHAPITRE IV. Des pensions du département de la guerre en particulier. Des trente millions et plus de pensions dont l’Etat est grevé, il y en a plus des deux tiers pour le seul département de la guerre, en y comprenant tous les objets qui devraient être payés comme pensions, et qu’on a soustraits à la rigueur des formes établies pour celles-ci, par les lettres-patentes de 1778, et la déclaration de 1779. Tels sont les appointements de retraite, et conservés au corps réformé de la gendarmerie; les pensions, gratifications, soldes, demi-soldes et récompenses militaires, accordées aux bas officiers et soldats, SOUS M. le marquis de Monteynard, et sous M. le comte de Saint-Germain; les traitements des colonels propriétaires, les gratifications attachées aux charges, et les suppléments de traitements ou d’appointements qui sont personnels. Quelles idées profondes, ce partage inégal, dont tout l’avantage est pour le département de la guerre, ne doit-il pas faire naître dans l’esprit d’un observateur politique? Mais dans les circonstances actuelles, où tout ce qui tendait à assurer le despotisme est anéanti, la chose publique réclamera, sans doute, avec énergie contre tout ce qui pourrait multiplier ou même entretenir les instruments du régime oppresseur auquel eiie vient d’échapper. Cette masse des pensions du département de la guerre s’est accrue ainsi par plusieurs causes. D’abord, les administrateurs arrivent à leur place avec la disposition d’acquitter leur reconnaissance envers ceux à qui ils sont redevables du choix du prince, et d’acquérir de nouveaux protecteurs ou des protégés; et ils ne peuvent la satisfaire qu’en dispensant arbitrairement lesemplojs et les grâces pécuniaires. Ensuite ils ne connaissent aucun principe pour la dispensation de tout ce qui est récompense ou grâce, retraite, réforme et promotion ; et s’ils en avaient, ils les feraient céder à la règle principale de leur conduite. § 1er Des r formes. Ce mot signifie partout un retranchement de jouissances dont on peut se passer, et des dépenses qu’elles occasionnent. En France il annonce le retranchement de jouissances qui sont souvent très-précieuses, et une continuation des dépenses qu’elles entraînaient, jointe à des dépenses nouvelles (1). Il est de fait que les réformes dif tell) Les compagnies des gardes-du-corps, des gendarmes de la garde, des chevau-légers et des mousquetaires, ont coûté presqu’aulanl depuis leur réforme, que lorsqu’elles existaient, et ou a perdu des serviteurs dont rentes, faites depuis environ trente ans, soit dans l’armée en général, soit dans les corps en particulier, bien loin de diminuer les charges de l’Etat, n’ont fait que les augmenter (1); et en voici la raison : c’est que les corps ou les individus réformés ont toujours dû être rétablis ou; remplacés, lorsque l’occasion s’en présentait,, et que, dans aucune circonstance, on n’a rempli cet engagement avec la fidélité qu’exigeait l’intérêt de la chose publique. On a toujours préféré de créer des nouveaux corps, ou d’employer de nouveaux individus; et l’Etat a continué de payer des pensions de réforme, tandis que, d’un autre côté, il s’est chargé de nouveaux appointements d’activité. Ce double emploi existe ainsi depuis longtemps, comme on peut s’en convaincre par la quantité de pensions de réformes anciennes qui se paient encore, et qu’on aurait pu facilement éteindre par le remplacement des officiers. § II. Des retraites. On quitte le service par plusieurs raisons; ou, après en avoir essayé, on ne s’y est pas jugé propre par sa constitution physique, ou par’ ses affections morales; ou on y a atteint l’objet de son ambition, en décoration ou en grade, ou enfin, parce que les infirmités qu’on a gagnées au service, mettent hors d’état de le continuer. Ces distinctions sont si naturelles, qu’il paraît impossible de ne pas les faire malgré soi : mais elles sont trop simples pour avoir frappé aucun des ministres nommés depuis M. d’Argenson, jusqu’à présent; et chacun d’eux a établi, à cet égard, avec une espèce de jalousie contre ses prédécesseurs, sa jurisprudence particulière pour les individus, et une jurisprudence générale pour l’armée. Il y a eu trois variations célèbres pour les retraites dans l’armée. La première en 1763, qui doublait la dépense, relativement à ce qui se faisait antérieurement. La seconde en 1776, qui augmentait d’un cinquième les retraites fixées en 1763; et la troisième en 1780, qui, en étabtissaut une gradation dans les retraites, semblait diminuer celles fixées en 1776. Mais les lois faites à chacune de ces époques, établissaient des exceptions, c’est-à-dire, des abus; car les abus ne sont jamais que des exceptions à la loi, prononcées par la loi même, ou décidées par ceux qui en sont les dépositaires ou les exécuteurs. Aussi, en dépit de la loi générale existante, chaque individu, soit à l’aide de quelques moyens employés avec adresse, et avec d’autant plus d’assurance qu’ils étaient implicitement indiqués par la loi, soit par des protecteurs ou par des relations particulières, a pu obtenir la retraite d’un grade supérieur au sien, ou une retraite plus avantageuse que celle fixée par la loi (1). on connaissait cependant bien tout le prix. On en peut dire autant du corps de la gendarmerie, qui avait aussi fait ses preuves. (1) Les réformes de 1776 et de 1788 coûtent 3,914,793 livres de pensions. (1) C’est ce qui s’est vu fréquemment, surtout dans les corps privilégiés. Pendant que je m’occupais de ces réflexions, M. le baron Félix Wimpfen, député à l’Assemblée nationale, et mon collègue, y prononçait son discours sur les pensions militaires. Il propose des retraites graduelles, telles que celles dont je viens de parler; mais comme elles sont plus avantageuses, et comme elles entraînent les mêmes abus, on perdrait encore au change. M. le baron de Wimpfen, en y réfléchissant plus politique-. [4 janvier 1790.] ICO [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Les retraites soot rarement, ne sont même presque jamais accordées à l’invalidité, qui est le seul titre pour les obtenir ; et comme elles ne sont dictées le {dus souvent que par le désir d’avoir un emploi à donner à la faveur ou à la protection, elles entraînent avec elles la nécessité de dédommager avec avantage celui que l’on déplace contre sa volonté. Elles ont donc été jusqu’à présent nuisibles à la chose publique, sous deux rapports. D’abord, elles ont chargé l’Etat de pensions, qui, suivant le cours ordinaire de la nature, se paient très-longtemps. Ensuite elles ont privé l’Etat des services d’un individu, au moment même où l’expérience qu’il avait acquise les rendait plus utiles, et conséquemment plus précieux, pour mettre à sa place un sujet qui était encore loin de l’expérience de son prédécesseur, § III. Des promotions. Celte expression, qui indique un mouvement général dans tous les grades de l’armée, annonce plus particulièrement chez nous une nomination d’officiers généraux. Uue promotion semble ne devoir avoir lieu qu’à la veille d’une campagne, ou à la suite d’une guerre : en France, on en fait beaucoup au milieu d’une très-longue paix. C’est parce qu’on n’y connaît pas d’autres motifs que ceux qui dictent les réformes et les retraites ; et de la volonté arbitraire qui les décide, il est résulté les mêmes et de plus dangereuses conséquences. Au lieu de voir dans une promotion la récompense accordée à des talents reconnus, ou à une action extraordinaire, qui annonce de grands talents, on n’y a vu qu’une distribution d’emplois faite communément au nom ou à la protection ; et cette prostitution de grades, dont il importait aux administrateurs de conserver le caractère honorifique, a été poussée au point qu’il a fallu accorder une pension qui n’a jamais été au-dessous de 3,000 livres à l’officier que l’on nommait maréchal de camp, pour le consoler de l’honneur qu’il recevait malgré lui. Aussi les cinq promotions qui ont eu lieu de 1779 à 1788 ont-elles grevé l’Etat de 1,250,000 livres de pensions, et porté le nombre des officiers généraux à un si haut calcul, qu’eu en supprimant ceux que l’âge ou les infirmités rendent inhabiles, il ne faudrait as moins Iqu’une armée de cinq à six cent mille ommes pour employer le reste (1). § IV. Des pensions aux officiers en activité. Les réformes, les retraites et les promotions sont autant d’occasions d’accorder des pensions; ment, pensera, sans doute, qu’il n’y a de retraite à accorder qu'à la caducité, ou aux accidents graves, et que trente, trente-cinq, quarante et cinquante ans de services ne donnent pas un droit incontestable à des récompenses, lorsqu’on n’a pas d’autres titres, et lorsqu’on peut servir encore. Je crois que mes idées à ce sujet se rapportent entièrement à celles de M. le baron de Wimpfen. C’est le sentiment de son cœur qui semble nous éloigner, mais c’est sa raison et l’expérience qui doivent nous rapprocher. (1) Il y a environ neuf cent soixante officiers généraux et cent soixante-treize brigadiers de toutes armes, ce qui compose plus de onze cents officiers généraux ou supérieurs. Ils coûtent à l’Etat plus de 10 millions de livres en pensions, indépendamment du traitement d’activité de ceux qui sont employés, qui n’est guère au-dessous de 12 mille pour chacun d'eux annuellement. mais encore, quand elles manquent, on trouve des motifs pour augmenter le nombre des pen~ sionnaires, et on les choisit jusque dans l’armée active, sur toutes sortes de prétextes. La mort d’un père, d’un frère, d’une mère, d’un parent même; un mariage, l’assurance d’un douaire, l’attente d’une grâce à laquelle on croit pouvoir prétendre un jour; tout est digne de faveur, tout est justice. Je n’entrerai point ici dans le détail des moyens qu’on emploie à cette fin; la publicité que l’Assemblée nationale donne à l’état général des pensions de tous les départements, en fera connaître une partie, et l’on donnera sur le reste des éclaircissements, qui serviront à expliquer la bizarre prodigalité dont des ministres se sont rendus coupables, faute de principes sur toutes les parties de leur administration. CONCLUSION. C’est effectivement à ce défaut de principes, et au préjugé ridicule d’un administrateur, qui ne se croit appelé à l’administration que pour dispenser des grâces, qu’il faut rapporter tous les abus dont on vient de mesurer la chaîne; et le seul remède qui puisse en guérir l’Etat, c’est de rappeler et d’appliquer rigoureusement les principes, à l’éloignement desquels ces abus doivent leur existence. Je crois les avoir posés dans mon premier chapitre, sur les récompenses en général ; et voici les règles qui me paraissent en résulter, et les conséquences qu’on peut en tirer. Quand un individu est pourvu d’un emploi civil ou militaire, bien loin qu’il y ait, dans son serment, aucune clause qui le garantisse des dangers ou des pertes qui seraient les suites des fonctions de son emploi, il s’oblige, au contraire, implicitement, à braver ces dangers, et à souffrir ces pertes sans aucun dédommagement. Aussi, tant que, fidèle à ses engagements, il consacre ses services à l’Etat, il en reçoit, outre le dédommagement et la récompense convenus par chaque année, ou les moyens d’augmenter sa fortune, ou des honneurs, ou des distinctions, ou des décorations, ou un avancement en grade ; et souvent, et presque toujours, avec ces décorations et cet avancement, un accroissement dans le dédommagement ou dans la récompense annuelle. Jusque-là tout est égal; et les conventions réciproques s’exécutent de bonne foi. Pour exiger plus, il faut que le serviteur de l’Etat, excité par le désir de la gloire ou du bonheur de la patrie, ou violemment ému par l'aspect de la chose publique en danger, s’élance hors du cercle de ses obligations : alors il a droit à tout dans la proportion du service extraordinaire qu’il a rendu. Mais si, au lieu de Je parcourir dans sa circonférence, il s’arrête volontairement à quelques degrés de son point de départ, il annule son contrat, et perd toute espèce de droit à la reconnaissance publique. Puisqu’il abandonne l’Etat, c’est que ses intérêts personnels lui sont plus chers que ceux de la patrie, ou qu’ils sont satisfaits ; et elle ne doit plus s'occuper de lui, dans quelque situation qu’il puisse se trouvèr. Si c’est le gouvernement (1) qui résoud lui-même (1) Par gouvernement, j’entends ici les ministres; car, si c’était la nation assemblée, qui annulât les conven* [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [I janvier 17 JO.] 101 la convention, parce qu’à la suite de quelques événements politiques intérieurs ou extérieurs, les services qu’il avait acceptés lui sont devenus inutiles, il semble qu’il doit au serviteur tout ce que celui-ci aurait pu obtenir de l’Etat par ses services. En effet, comment calculer de quel prix auraient pu être les avantages dont il a pu se priver en s’engageant au service de l’Etat, de préférence à tout autre service? Il faut donc qu’en acceptant ceux du citoyen, on y stipule un terme ou des conventions éventuelles, ou que, s’il n’y en a pas, l’Etat s’exécute comme, dans le cas précédent, le serviteur qui a renoncé volontairement s’est exécuté lui-même. Mais comme il faut une règle en tout, et comme il en est surtoilt question ici, je pense qu’à la réforme ou à la suppression d’un corps, ou d’un emploi même, miles à l’Etat, l’Etat doit aux membres supprimés ou réformés la conservation du traitement ou des attributions attachés à leurs fonctions jusqu’au rétablissement du corps ou à leur remplacement dans un autre emploi. A l’une ou à l’autre de ces époques, les serviteurs supprimés ou réformés, seront obligés de reprendre l’emploi qui leur sera assigné ; et le traitement dont ils auront joui jusque-là, ce sera de plein droit, puisqu’il sera changé contre les attributions et le traitement du nouvel emploi. Si le sujet rétabli refuse de reprendre les nouvelles fonctions auxquelles il est appelé, il perdra l’avantage dont il jouissait, sans espoir d’aucun autre. La responsabilité des ministres, décrétée par l’Assemblée nationale, vient à l’appui de ces dispositions ; et elles ne peuvent manquer de produire un effet utile (1). Garou le ministre n’osera pas faire des réformes ou des suppressions aussi dispendieuses; ou, si les circonstances l'y forcent, il y aura encore plus de motifs pour remplacer promptement les sujets supprimés ou réformés. Si la marche du serviteur est bornée par un accident grave, qui le mette hors d’état de continuer ses services, et même d’en rendre d’aucune autre nature, il faudra considérer s’il a de la fortune ou s’il n’en a pas. S’il peut vivre conformément à son rang dans la société, sans le secours de la chose publique, il n’a droit qu’aux honneurs destinés à son emploi ou à sa profession ; et il est indispensable de les lui prodiguer, de manière qu’on ne puisse le remarquer en public, ni l’aborder dans son intérieur, sans être affecté des sentiments de considération et de respect qu’inspire aux peuples vertueux l’aspect de ceux de leurs concitoyens qui se sont sacrifiés pour la patrie. S’il est sans fortune, sans patrimoine, la chose publique lui doit, outre les honneurs dont je viens de parler, l’abandon entier des attributions annuelles dont il jouissait, enobservant cependant qu’un homme en bonne santé peut vivre avec un revenu qui serait insuffisant pour un homme mutilé. Ainsi la fixation de la récompense, dans tions particulières, il n’y aurait ouverture à aucun dédommagement, parce que la nation ne peut pas se dédommager elle-même. (1) A cette responsabilité, j’ai lieu de penser que le comité de constitution ne négligera pas le soin de faire ajouter par un décret celle des chefs des bureaux de l'administration, dont j’ai rendu sensible l’importante nécessité, pour l’harmonie de l’ensemble, la confiance et la sûreté réciproques des ordonnateurs et de leurs subordonnés, dans l’opinion et les observations que j’ai fait imprimer à ce sujet. ce cas, sera déterminée par la nature et par leS suites de l’accident. La chose publique doit également faire ce sacrifice pour fe citoyen qui, né sans fortune, et ne vivant que de la rétribution attachée à sou emploi, a poussé sa carrière, même obscurément, jusqu’au terme fatal où les infirmités qui sont inséparables du grand âge, ou qui suivent une vie longuement active et laborieuse, rendent l’existence d’autant plus à charge, qu’on est privé de tout moyen de se procurer les soulagements dont on a besoin. C’est une obligation sacrée et impérieuse pour la chose publique, de se charger de cet infortuné citoyen, et en le rendant au repos qui doit prolonger ses jours, d’assurer sa subsistance, de manière qu’en honorant également l’Etat et le serviteur, l’aspect de celui-ci entretienne dans tous les cœurs cette généreuse émulation, qui est la base de la gloire des empires. La chose publique doit peut-être encore étendre sa protection et ses soins bienfaisants, jusque sur la veuve d’un citoyen mort dans l’exercice de son emploi, soit par accident, soit de la caducité, sans lui laisser les moyens de vivre après lui ; car il serait contre la dignité et contre les intérêts de l’Etat, d’abandonner à la pitié du peuple, et peut-être au mépris, qui suit ordinairement l’indigence, celle sur l’existence de laquelle l’existence de son mari a pu répandre quelque estime; et cette double considération me paraît déterminante. Si effectivement la population est le thermomètre politique de la situation des gouvernements, elle doit être appelée par tous les appâts qui sont en leur puissance; et le plus puissant de tous est la certitude absolue de la subsistance. Ainsi, pour qu’un citoyen au service de l’Etat, dans quelque profession que ce soit, contribue pour sa part à donner des citoyens à sa patrie, il faut qu’il soit assuré que la compagne qu’il se choisira soit à l’abri du besoin, lorsqu’il ne pourra plus y pourvoir. D’un autre côté, les vertus civiques frappent vivement le peuple, en masse; mais leur impression s’efface rapidement, et elles ne produisent guère qu’un vain bruit, qu’un sentiment stérile. Leur action, au contraire, est moins vive, mais plus profonde et plus imposante dans l’intérieur des familles (1). Où les peuples ont-ils pris originairement l’idée des vertus propres à la société, si ce n’est dans le spectacle ravissant de plusieurs familles, ou des membres d’une nombreuse famille réunis par un commerce réciproque d’affections et de sacrifices ? Il faut donc, pour les y conserver, favoriser la création des familles, afin que, semblables à ces vierges romaines, chargées de la garde du feu sacré, elles veillent à la conservation du principe générateur des empires. Mais comment se flatter d’un succès, si les individus, qui prétendront à l’honneur et à la félicité d’être chefs de famille, sont exposés àdes inquiétudes sur leur subsistance? Je ne m’écarte donc point de mes principes, en associant les veuves aux droits de leurs maris. Mais dans aucun cas, la chose publique ne doit d’autres récompenses (2) aux enfants des (1) Voyez dans les Mémoires de Sully , dans tous les mémoires relatifs à l’histoire de France, avec quelle dignité et quelle vénération les grands hommes, dont le royaume s’honore, étaient traités par leurs propres parents et par les étrangers mêmes qui les approchaient. (2) Un soldat d’Antigone, l’un des successeurs d’Alexandre, venait [de perdre son père, et sollicitait vivement sa solde militaire : Jeune fils, mon ami, dit le J1Ô2 [Assemblée nationale.] %erviteurs de l’Etat, orphelins et sans fortune, qu’uue éducation, s’ils ne l’ont pas encore reçue, •et ensuite, à mérite égal, la préférence sur tous leurs concurrents, pour un emploi au service de ,FEtait. La chose publique doit encore moins accorder des réversibilités. Une réversibilité, comme toutes •celles accordées depuis 1779, surtout, est l’assurance d’utie* récompense à laquelle on n’a pas encore, et à laquelle on n’aura peut-être jamais droit; elle grève les finances de l’Etat par anticipation, enfin, et surtout elle présente un obstacle à jamais insurmontable à la libération du Trésor public. L’Etat ne doit donc de récompense, proprement dite, qu’aux services extraordinaires rendus à la chose publique, et aux services qui sont bornés par des accidents graves. Il doit conserver aux emplois réformés ou supprimés, jusqu’à rétablissement ou remplacement, les attributions qui y étaient attachées. Il doit prendre sous sa protection, enfin, le citoyen vieilli dans son emploi, et la veuve que celui-ci, par sa mort, laisse dans l’indigence. Plusieurs récompenses ne peuvent-être réunies .sur le même individu : car, avec ce privilège, et dans l’hypothèse, où, doué de toutes les vertus au suprême degré, sa vie civique ne serait qu’une continuité d’actes héroïques et extraordinaires, qui aurait en même temps fixé à ses côtés la reconnaissance de ses contemporains, et enchaîné l’envie à ses pieds, il n’y aurait point de récompense qui ne fût au-dessous de lui : ou il les absorberait toutes, ou elles lui manqueraient à la «iti. Il ne peut donc avoir qu’une récompense; mais à mesure que ses services extraordinaires se succéderont, cette récompense sera susceptible d’extension, ou bien elle sera éteinte par une récompense plus frappante ou plus considérable, soit honorifique, soit pécuniaire. C’est bien à regret que j’emploie cette expression pécuniaire, en parlant de récompenses ; mais comment espérer -que nos idées se régénéreront assez profondément pour que l’honneur puisse tenir, avant un très-longtemps encore, le premier rang dans nos jouissances? Les récompenses étant le résultat des dispositions des gouvernements envers un serviteur, elles peuvent être proposées par un administrateur; mais elles ne doivent être accordées que par le monarque, dans son conseil; et comme e’est le rapport de l’administrateur qui dirige et qui détermine les opinions plus particulièrement, chacun d’eux, conformément au décret de l’As-sqmblée nationale, signera sonrapport, et en sera Responsable en vers la nation. Toute autre manière de dispenser les récompenses serait sans doute abusive, et l’expérience l’a assez démontré. Celle qui le serait encore plus, ce serait d’abandonner à chaque département une somme fixe pour la dispensation des récompenses pécuniaires annuelles. D’abord, les récompenses acquerraient ainsi une forme héréditaire, qui ferait du temps un titre exclusif pour les obtenir, tandis que le temps n’est qu’un titre accessoire et subordonné. Ensuite, et comme je l’ai déjà dit, les ministres ne se regardant que comme dispensateurs des récompenses, ils se croiraient autorisés à dispenser celles qu’on laisserait Roi, je donne bien volontiers de bons appointements à ceux qui sont vaillants hommes , mais non pas à ceux Îm ne sont que fils de vaillants hommes. Plutarqae, )its et faits notables des anciens. (4 janvier 1790.] à leur disposition; et les abus commis depuis la loi de 1779 le prouvent encore. Rappelons ici les principes que j’ai posés. Faire son devoir n’est qu’un acte de justice; c’est un engagement dont l’exécution ne mérite même d’éloges, que chez un peuple corrompu; faire plus que son devoir, est un effort, un sacrifice, qui mérite une récompense, même chez les peuples vertueux. Ce serait donc commettre une double, faute, d’assignerun fonds annuel pour les récompenses, dans chaque département, à la disposition de l’ordonnateur ; car, d’un côté, ce serait fixer ridiculement le nombre et le prix des efforts et des sacrifices des citoyens employés au service public, ce qui est incalculable, en plus ou en moins, comme tout ce qui s’appelle vertu; et de l’autre ce serait abandonner au jugement privé de l’administrateur l’estimation d’un effort, d’un sacrifice, sur lesquels la chose publique seule doit prononcer, puisqu’elle en a été Je seul objet. L’administrateur ,ne peut donc que proposer; c’est le monarque, dans son conseil, qui doit prononcer. C’est ensuite à l’administrateur des finances à tenir en réserve un fonds suffisant pour réaliser les récompenses pécuniaires de tous les départements. Ce que l’on peut abandonner aux administrateurs, sur leur responsabilité, sans danger pour eux ni pour la chose publique, c’est la disposition, sous les ordres du monarque seul, d’une certaine somme destinée à donner des secours momentanés : cette dépense ne peut guère être considérable, et elle offre à l’administration mille occasions de satisfaire la bienfaisance du monarque. Les administrateurs proposeront également au conseil la nomination aux emplois ; et comme un individu ne pourra jouir que d’une récompense, il ne pourra non plus être revêtu que d’un emploi. Si l’emploi est en même temps honorable et utile, toutes les récompense utiles, obtenues précédemment, seront supprimées : elles le seront également si l’emploi est à terme, tant qu’on en exercera les fonctions. Mais au moment où elles cesseront, celui qui les exerçait restera dans la jouissance de son état précédent, en sorte que, dans aucun temps, et sous quelque prétexte que ce soit, un seul individu ne puisse jouir de plus d’une récompense, exercer plus d’un emploi, ou réunir une récompense et un emploi, qui est également une récompense, sous quelque aspect qu’on l’envisage. La réunion des récompenses excite la jalousie, qui éteint l’émulation; et la réunion des emplois est un abus absurde en administration. Gomment un homme peut-il être en deux endroits à la fois? Si l’un des deux n’exige pas sa présence habituelle, il est inutile ; il faut le supprimer. S’il exige une présence, même sans être habituelle, il faut le confier à celui qui pourra s’en occuper exclusivement. C’est dans le département de la guerre, surtout, que ces abus sont remarquables; et l’Assemblée nationale examinera, sans doute, avec son impartialité aussi juste que sévère, et les gouvernements et les commandements des provinces. Les uns ou les autres sont nécessairement inutiles : et l’on a peine à concevoir qu’un 'gouvernement soit payé très-chèrement, pour être réduit à l’inaction par la présence d’un commandant, qui ne coûte pas moins cher, et qui ne fait que ce que le gouverneur de la province devrait et pourrait faire. Mais je ne dénoncerai pas en détail des abus à la sagacité età la sagesse de l’Assemblée nationale. Dans le moment où elle s’occupe de la dis— ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 janvier 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 103 pensation des récompenses, j'ai cm devoir lui communiquer mes idées, afin de contribuer, autant qu’il est en moi, à l’établissement de la règle qu’elle croira devoir poser à cet égard. Je n’y attache d’autre mérite que celui de prouver combien je me suis pénétré de son esprit et de ses principes. L’objet principal de ses travaux est une régénération entière de la chose publique, qui doit produire le bonheur de tous ; et c’est le vœu de mon cœur. Mais cette régénération universelle ne peut se faire sans des sacrifices particuliers, parce qu’il y a des circonstances impérieuses, comme celles dans lesquelles nous sommes, où il faut être juste avant que d’être généreux; et où, comme dans tous les temps, même la vraie générosité n’est que le résultat du sentiment intime de la plus exacte justice, au-delà de laquelle elle n’est plus que la prodigalité, qui fait toujours le malheur des peuples. Espérons que ce fléau repoussé par la constitution nouvelle, et par la régénération des mœurs publiques, ne viendra plus altérer, même retarder la prospérité à laquelle l’empire français est appelé par sa position géographique, par Ja fécondité de son sol, par la générosité et par l’industrie de ses habitants. Espérons, surtout, que sous un prince assez magnanime, pour rendre à ses sujets la liberté que ses prédécesseurs leur avaient ravie, l’Etat reprenant les principes sur lesquels il repose par sa nature, le trésor de l’honneur, qui est inépuisable sous des administrateurs habiles, suppléera aux autres trésors qui s’épuisent si facilement. (1). ASSEMBLEE NATIONALE PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ DE MONTESQUIOU. Séance du mardi 5 janvier 1790 (2) La séance est ouverte à 9 heures 1/2 du matin. 1V1. Duport, l’un de MM. les �secrétaires , donne «cture du procès-verbal de la veille. M. Bouche. Je demande une explication sur 1 es pensions, à propos de l’article 4 : je voudrais savoir si l’Assemblée a compris les ecclésiastiques dans la dénomination de fonctions publiques. M. le Président. Je propose d'ajourner les explications que demande le préopinant jusqu’après la lecture des adresses en leur réservant la priorité dans l’ordre du jour. ■Cette proposition est adoptée. M. de Boislandry, membre de l'Assemblée, présente l’offrande des boucles d’argent des ouvriers dessinateurs et graveursde la manufacture de toiles peintes de Jouy près Versailles. Ce don patriotique se monte à 11 marcs 4 gros 1/2. Les députés de la Ferté-Bernard apportent l’argenterie de leur église, en exprimant le regret sincère des habitants, de ce que des mains sacrilèges, en pillant, il y a six ans, la sacristie (1) Esprit des lois , livre V, chapitre xvm. (2) Cette séance est incomplète au Moniteur. de cette église, empêchent aujourd’hui la ville de la Ferté-Bernard d’offrir un don plus considérable. M. Salomon de la Saugerle, député d’Orléans présente au nom de cette ville et de la paroisse d’Olivet, un don patriotique de 11,400 livres déposé à l’hôtel de la monnaie. Parmi les hommages offerts à la patrie était la finance d’un office dont le titulaire avait engagé un député à faire la remise de sa part entre les mains de l’ Assemblée, pour servir en même temps à l’acquit de sa contribution patriotique. Ce don portant une condition, on n’a pas jugé à propos de le recevoir. M. le chevalier de Boufflers, l’un de MM. les secrétaires, donne lecture des adresses ainsi qu’il suit : Adresses de félicitations, remerciements et adhésion de la communauté de Vivans en Forez et Lyonnais, de celles de Rozoy-sur-Serre, de Qnincy et d’Hondevilliers en Brie ; elles font le don patriotique du produit des impositions sur les ci-devant privilégiés. Délibération de la communauté de Mongrain, généralité d’Auch, portant qu’elle destine au soulagement des pauvres le produit des impositions sur les ci-devant privilégiés ; elle supplie l’Assemblée d’agréer cette délibération. Adresse de la communauté de Grancey-sur-Ouce en Champagne, contenant l’expression d’un dévouement sans bornes pour l’exécution des décrets de l’Assemblée nationale ; elle offre la somme de 3,000 livres payable en avril 1791, pour tenir lieu de sa contribution patriotique. Adresse du même genre de la ville et banlieue de Monfianquin en Agenois. Les soumissions des habitants pour la contribution patriotique se portent à la somme de 38,000 livres. Ils demandent la réunion des douze paroisses qui forment actuellement les communautés de Born et Boinet, à celle de Monfianquin, pour être régies par une seule et même municipalité, ainsi qu’elles l’étaient avant les arrêts du conseil de 1726. Adresse de la communauté de Meyrieu en Dauphiné, contenant l’adhésion la plus entière aux décrets de l’Assemblée nationale, et notamment à ceux concernant le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique, et la contribution patriotique. Délibération du conseil provisoire de la communauté de Seyssuel en Dauphiné, dans laquelle il s’élève avec force contre le procès-verbal de* la „ commission intermédiaire des États de cette province, et qui désapprouve la nouvelle division du royaume, et s’attache à prouver que l’intérêt même de la France exige que le Dauphiné ne forme qu’un seul département. Ce conseil provisoire demande que cette province forme au moins trois départements dont un, dans le Viennois, soit uni à la ville de Lyon. Délibération de la communauté de Notre-Dame-de-Rié en Bas-Poitou, qui adhère avec respect et soumission à tous les décrets de l’Assemblée nationale. Adresses de félicitations, remerciements et adhésion des communautés de Cellieu, Lachal et Valfleurie, Saint-Paul en Forez, et Farney près Saint-Chamont en Lyonnais. Ces deux dernières font le don patriotique du produit des impositions sur les ci-devant privilégiés. Toutes demandent que la ville de Saint-Chamont devienne le chef-lieu d’un district et le siège d’une justice royale.