(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [SI juillet 1790.] mais à la voix des Euménides. — Montrez-nous ces vertueux citoyens que votre esprit a formés; et. que les Français abusés rougissent de célébrer la vertu sous l’emblème des furies I — Que dis-je? Les Français! il en est. peu désormaisdont l’ivresse se prolonge; ils se réveillent au bruit de nos débats ; le tumulte de nos séances calme les spectateurs, et bientôt, dans le sein des familles, on nous demandera compte du trouble qui les agite et des maux qui les menacent : on confrontera les écrits odieux que j’ai dénoncés, leur funeste influence, et tout ce qui vient d’ètre allégué pour leur défense; et si quelque Manlius, couvert de crimes, venait nous dire : j'ai sauvé le Capitole, on. se souviendra de la roche tarpéïenne. Ah! qu’on ne se flatie pas de rendre toujours impuissante la voix des gens de bien ; il ne faut peut-être que quelques nouveaux outrages, quelques crimes de plus, dirigés contre eux, pour leur donner un em-ire irrésistible, et pour rallier à eux tous les otnmes honnêtes qui veulent la liberté, mais qui détestent l’anarchie que nous assure, de plus en plus, l’impunité des scélérats. malouet. TROISIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 31 JUILLET 1790. Dénonciation par M. de Mirabeau le jeune , député du Limousin, de quelques extraits d'un ouvrage de M. Camille Desmoulins ayant pour titre : Révolutions de France et de Brabaut. On n’entend parler que de dénonciations; la Commune de Paris dénonce, le comité des Recherches dénonce, on dénonce au sein de l’Assemblée nationale. Plusieurs ministres ont été l’objet de dénonciations vagues, et on n’a pas cru pouvoir donner suiteaux plaintes sur lesquelles reposaient ces mêmes dénonciations; j’avoue, en effet, que rien n’est plus encourageant que le refus constant qu’oh a fait de prononcer une peine contre les dénonciateurs injustes : malgré ia demande faite par plusieurs de mes collègues, renouvelée par moi dans la séance du 23 avril, et toujours repoussée, sans avoir même été discutée. J’ai dénoncé moi-même des meurtres, des incendies, des ravages qui ont eu lieu dans plusieurs provinces, et notamment dans celle qui m’a honoré de sa confiance; j’ai déposé sur le bureau mes dénonciations et leurs preuves; je les ai remises au comité des rapports, signées de moi ; on les a accusées de fausseté, d’exagérations; j’ai, demandé qu’on s’inscrivît en faux, j’ai demandé à être entendu et jugé, on n’a voulu ni l’un ni l’autre, et mes dénonciations n’ont pas paru de nature à mériter un moment d’attention de la part de l’Assemblée nationale. J’ai eu lieu même d’être douloureusement affecté lorsque j’ai entendu le rapporteur de l’affaire du parlement de Bordeaux, répondant à M. l’abbé Maury, assurer que le comité des rapports n’avait la connaissance que d’un seul meurtre commis dans le ressort du parlement de Bordeaux, lorsqu’il avait en ire les mains la preuve d’une grande quantité d’assassinats commis dans le Bas-Limousin, et notamment celui de plusieurs soldats citoyens delà milice nationale ae Tulle, morts in ou blessés, en défendant les propriétés et les citoyens menacés, à l'affaire de Favars. Quelque peu de succès qu’aienteumespremières dénonciations, je crois de mon devoir, de celui de tout bon Français, de dénoncer à la nation entière un écrivain audacieux qui ose apposer son nom au libelle le plus infâme qui tend à éteindre dans le cœur des Français (si la chose était possible), l’amour sacré qu’ils doivent et qu’ils ont toujours professé pour leur roi. Cet auteur est criminel de lèse-majesté, au premier chef, et par conséquent de ièse-nation; car j’avoue que je n’ai jamais conçu qu’il pût exister une distinction entre le roi et la nation ; ce libel-liste effréné, qui ose se qualifier d’ami de la Constitution et qui assiste, dit-on, aux séances de l’association qui porte ce nom, a-t-il cru qu’il ne se trouverait pas un Français assez attaché à son roi, assez ami du peuple et de l’ordre, pour le dénoncer à la nation? non assurément, mais il a compté sur le sommeil des lois et sur l’impunité qui en est l’effet. Peut-il se dissimuler qu’il existe un Dieu vengeur, et que tôt au tard il se trouve des ministres de ses éternels et justes décrets? C’est donc à ses remords que je le livre, et s’il en est susceptible, son âme doit être en proie aux serpents des Euménides. Et à qui pourraûje dénoncer aujourd’hui le criminel usage que le sieur Desmoulins fait de sa plume? L’Assemblée nationale interrompt difficilement son ordre du jour, et la question préalable prononcerait, sans doute, qu’il n’y a lieu à délibérer. Le Châtelet est menacé d’une destruction prochaine, et son greffe est sous les torches des incendiaires, parce qu’il poursuit les attentats des 5 et 6 octobre; il ne recevrait assurément pas ma dénonciation, ce serait même abuser de sa position que de la lui présenter. Les autres tribunaux sont sans activité, le pouvoir exécutif est sans moyens. Je dénonce donc Fauteur des Révolutions de France et du Brabant à tout Français sur qui l’honneur rFa pas encore perdu l’empiré qu’il exerçait impérieusement autrefois sur cette nation généreuse, et quelle que soit son opinion sur les principes et les événements actuels, il frémira sans doute. L’extrait que j’ai fait de quelques morceaux criminels d’üh ouvrage dont l’existence seule est un crime, parleront mieux que je ne pourrais le faire en faveur de ma dénonciation. EXTRAITS. Ne serait-ce pas un chef-d’œuvre qu’une Constitution qui aurait concilié la reconnaissance que la nation doit personnellement à Louis XVI, avec l’obligation imposée à lui et à ses successeurs d’être des Trajan et des Marc-Aurèle, à peine de déchéance, et de se voir condamné à rentrer dans la commune, sans que cela cause le moindre trouble, sans que ces découronnernents, qui out fait couler tant de fleuves de sang chez les autres peuples, paraissent sensibles; sans que l’état s’aperçoive de ce déménagement du Louvre? (Extrait d’une note de l’auteur des Révolutions de France et du Brabant, pag. 548 de son n° 12.) 460 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 juillet 1790. Bailly dit au roi t votre peuple, comme on dit à un maître : vos gens , votre livrée. Autre temps, autre style, M. Bailly ; vous avez dû voir que l’expression rie mes sujets, qui se trouve une fois dans le discours du roi, avait déplu ; que ce n’est point la nation qui appartient au roi, c’est le roi qui appartient à la nation. [Page 558, du n° 12 des Révolu-lutions de France et du Brabant.) Que Favras, allant au supplice, ne cesse de dire qu’il aimait le roi, qu’il meurt victime de son amour pour le roi, et d’entretenir la multitude de cette passion ridicule, je ne vois plus dans cet homme que scélératesse et hypocrisie. (Page 13, du n° 14 des Révolutions de France et du Brabant.) Mais pour en revenir à notre abbé Sieyès, je crus remarquer en lui ce caractère de tête et cette pâleur qui effrayait César dans Gassius et Cimber. J’étais ravi de lui voir ces traits d’un conjuré, et je le prenais pour un romain. Aujourd’hui, je vois bien que ce n’est qu’un chanoine de Chartres. Se peut-il qu’il ait proposé une pareille loi? (I). Quelle différence dans les siècles et dans les hommes! Si vous étiez né à Rome, mon cher docteur, et que vous eussiez parlé des rois avec respect, vous auriez été pour le moins noté sur les tablettes du censeur ; vous auriez passé pour un citoyen indigne du nom d’homme, pour un homme de la seconde espèce, d’une espèce inférieure et servile. On vous aurait regardé comme les colons regardent les noirs. Puisque les temps sont changés, je n’empêche, M. l’abbé, que vous parliez du princeavec vénération, mais, du moins, vous dirai-je comme Cicéron à Antoine : Il fallait ramper tout seul, embrasser tout seul les genoux de César, mais nous ne t’avions pas donné la mission de nous jeter avec toi à ses pieds ; certainement les électeurs de Paris et le café Pro-cope, qui s’est donné tant de mouvement, qui a tant péroré pour te faire nommer député, par reconnaissance de la brochure : « Qu est-ce que le tiers ? » ne t’avait pas donné ce mandat « anobis populoque romano mandatum id certe, non ha-beoas. » Penses-tu donc aussi, comme Cazalès, que la France est une Constitution monarchique, et que le peuple ne pourrait pas la changer si tel était son plaisir, s’il croyait s'en trouver mieux ? (Pag. 137 et 138 du n° 16 des Révolutions de France et du Brabant.) Les rois n’ont pas cessé d’être antropophages depuis Homère, remarque l’auteur d’une adresse à l’Assemblée nationale, dont nous avons recommandé la lecture dans notre n° 15 ; la royauté n’a fait, depuis Agamemnon, que prendre du ventre et un appétit démesuré, et on peut appliquer aux monarques ce que Tacite dit des ministres de (1) Celle de prononcer des peines exemplaires, et selon la rigueur des ordonnances contre ceux qui parlent de la royauté et des rois avec irrévérence. Vespasien , comparés à ceux d’Othon : « Plutôt d’autres hommes que d’autres mœurs. » On lit dans Plutarque, que le roi Eumènes, étant venu à Rome, y reçut du sénat de grands honneurs. Les premiers de la ville lui donnaient à l’envi des témoignages d’estime et d’affection. Mais Caton, le censeur, dont la haine pour les rois était aussi forte que réfléchie, méprisait ce prince, et lorsque Eumènes venait lui faire sa cour, il lui faisait dire, par son portier, que M. n’y était pas, quoique Eumènes l’eût vu par sa croisée, ou bien il faisait attendre le roi de Bithinie dans son antichambre. Quelqu’un s’en étonna, et lui dit : Pourquoi fuir ainsi Eumènes? c’est un si bon roi et si fidèle ami des Romains 1 Cela peut être, répondit le fier républicain, mais moi je ne m’y fie pas, et ce que je sais, c’est qu’UN roi est un animal qui se nourrit de chair humaine. (Pag. 149 et 150 du n° 17 des Révolutions de France et du Brabant.) C'est donc toi, ô Louis XVI ! restaurateur de la liberté française, roi d’un peuple libre, roi honnête homme; c’est donc toi qui, sans prétexte et sans motifs et seulement pour te donner tout autre passe-temps que celui de la chasse, as conçu le projet de faire périr 600 mille citoyens par le fer et par le feu 1 C’est donc toi qui as conservé dans ton cœur, depuis le 15 juin jusqu’au 12 juillet, un projet dont aurait frémi Charles IX qui n’ordonna la Saint-Barthélemy que trompé par sa mère et par la maison de Lorraine, et Néron qui ne mit le feu à Rome que dans un moment d’ivresse. C’est donc toi qui as signé de ton propre mouvement l’ordre d'amener autour de Paris des régiments étrangers, un train immense d’artillerie, « des grils à chauffer les boulets,* et de faire distribuerà ces troupes 1,450 mille cartouches, etc., etc. Et le jugement du Châtelet dit tout cela ; il substitue à ta couronne civique une couronne de serpents 1 il te dénonce à ton peuple, à toute la terre, à toutes les générations, comme le plus cruel, le plus extravagant DES MONSTRES QUI ONT PORTÉ LA COURONNE, et Ce jugement est affiché jusques sur les portes de ton palais. (Ce morceau est tiré de la feuille du sieur Prud’homme, et a été inséré dans le n° 17 des Révolutions de France et du Brabant , p. 152 et 153.) Les Lillois dissertent dans leurs clubs si l’Assemblée nationale continuera encore longtemps à méconnaître sa dignité, et à user dans ses décrets de cette formule servile que le roi sera supplié de sanctionner, comme si c’était au maître à supplier le serviteur. (Page 160 du n° 17 des Révolutions de France et du Brabant.) Pourquoi avoir dispensé le roi de la responsabilité ? n’était-ce pas assez de l’avoir déclaré inviolable? Pourquoi avoir dépouillé le pouvoir législatif du droit qui lui appartient de faire au moins des injonctions au pouvoir exécutif? Pourquoi ne vous être pas réservé le droit de le demander à la barre quand il aurait fait une sot- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 juillet 1790.] 461 tise? Voyez comment Duplessis-Mornay gour-mandait Henri IV ! Certes, ce que faisait Mornay, l’Assemblée nationale peut bien le faire. Quand le congrès de Franceaurait gourmandé Louis XVI, aurait gardé le droit de donner au prince par-ci par-là quelques férules méritées, où serait le mal? Mais vous avez trop souvent méconnu l'autorité, la dignité, la souveraineté du Corps législatif. Nous sommes dans l’enfance de la liberté. Espérons qu’à la prochaine législature elle sera parvenue à l’âge viril. (Pag. 248 et 249 du n° 19 des Révolutions de France et du Brabant .) Le sieur Necker n’a pas craint de déclarer au comité des pensions que le roi trouvait mauvais que l’Assemblée nationale eût fait imprimer le livre rouge. Trouvait mauvais : Oh ! nous trouvons bien plus mauvais qu’un genevois parle en termes si peu mesurés à l’Assemblée nationale ; qu’il parle ainsi au souverain au nom de celui qui n’est que le « premier sujet de la nation. » Oui, je le répète, « le premier sujet de la nation. » (Page 335 du n° 21 des Révolutions de France et du Brabant.) Puisque la bête est dans le piège, qu’on l’assomme. (Cette épigraphe se trouve dans un n° de l’auteur des Révolutions de France et du Brabant, gui l’a réimprimé dans son n° 21, en disant à l’auteur de la feuille du Modérateur qu’il n’avait pas entendu l’appliquer au roi; mais il n’a pas dit à qui il en faisait l’application.) L’auteur des Révolutions de Paris , en parlant de son n° 35, pages 10 et 11 du projet de Mucius Scevola contre le roi Porsenna, tient le langage suivant : « Voilà, citoyens, le modèle que nous avons à suivre; si des princes étrangers menacent notre liberté, formons une société dont ce vertueux romain soit le patron; formons-la des plus vertueux et des plus intrépides jeunes gens des 83 départements. Qu’ils se rassemblent dans un lieu convenu pour jurer de mettre à mort (avec le secours du ciel) les ennemis, princes ou généraux qui viendraient troubler nos affaires domestiques et qui tenteraient d’asservir la nation! Que la nouvelle de ce serment glace d’épouvante tous les tyrans de la terre, et les enchaîne sur leurs trônes !.... alors nous n’aurons plus à craindre les scènes qui vont se jouer entre les individus couronnés qui pèsent sur l’Europe ; alors, au lieu de verser le sang des soldats qu’ils enverront pour nous égorger, nous leur apprendrons la déclaration « des droits de l’homme et du citoyen. » Il est temps que quelque homme libre, véritablement ami de Louis XVI, s’approche de lui et lui dise : Sire, la conduite de vos ministres calomnie votre attachement aux principes de la Révolution; vous êtes venu au milieu de l’Assemblée nationale dire « que vous défendriez, que vous maintiendriez 1 a liberté constitutionnelle; » et cependant vos ministres travaillent à la renverser : comme si, imitateur de la duplicité de Henri IV (1) vous eussiez démenti dans votre intérieur vos discours publics : ou comme si, docile à suivre le plan tracé par le secrétaire des commandements de votre épouse, vos discours n’avaient d’autre objet que « de paraître content de votre position » d’être populaire, très affable, de filer ainsi quatre à cinq mois et d’exécuter ensuite ce qui devait avoir lieu lors du départ du maréchal de Broglie. Sire, le plus grand malheur possible, aprè3 la dissolution de l’Assemblée nationale, ce serait que le peuple retombât dans la même perplexité où il était sur vos intentions, à l’époque du 12 juillet. Daignez réfléchir à une des dernières démarches que vous a suggérée un ministre dont la gestion actuelle justifie assez la répugnance que vous avez toujours eue, dit-on, à l’employer. Vos ministres, vos généraux, vos courtisans, vous diront, Sire, que votre personne étant « inviolable et sacrée » vous ne courez aucun risque à tout entreprendre pour atteindre au despotisme. Ah I ce n’est pas à vous, roi honnête homme, qu’un pareil sophisme en imposera! un roi qui attaque une Constitution abdique par le fait. La personne individuelle demeure inviolable, mais la' personne publique s’anéantit. Attaquer la Constitution et cesser d’être roi, n’est qu’un seul et même acte, parce que le pouvoir executif n’est institué que pour la Constitution et par la Constitution, et qu’en se retournant contre elle, il change sa nature, et cesse d’exister; cette abdication « virtuelle est le remède que la nature et la raison montrent aux peuples lorsque celui qui devait être le gardien des lois, en devient le détracteur. » (Pages 10, 11 et 13 du n° 38 des Révolutions de Paris.) Ces extraits sont pris au hasard; on n’a cherché à recueillir que ceux qui attaquaient directement le roi ou l’autorité royale ; on sait que les princes du sang sont encore moins épargnés par l’auteur : quant aux particuliers insultés, ce sont des hommes qui ont le droit de se venger ou de mépriser ; mais la royauté est une chose dans un état monarchique. Je n’ajouterai aucune réflexion : il est un genre d’indignation qu’on exprime difficilement, mais qu’on sent d’autant plus vivement qu’on est réduit à une impuissance plus réelle de la manifester. O mon roi ! ô ma patrie 1 quels malheurs sont les vôtres! Unis d’intérêts, unis de l’affection la plus réelle et la plus nécessaire, on cherche à vous séparer, on calomnie les intentions du meilleur des rois et celles d’un peuple fidèle, quoique égaré. Puisse l’élan de mon indignation être une preuve de deux sentiments innés en moi et qu’aucune circonstance, qu’aucun événement (1) Henri IV disait aux notables qu’il se mettait en tutelle entre leurs mains. Sa maîtresse, qui avait entendu ce discours derrière une jalousie, lui demanda s’il y avait pensé. Oui, répondit ce roi, que nous avons l’imbécillité d’appeler bon ou grand; mats, je l’entends mon épée au côté. Si l’hypocrisie et la fausseté sont des vices honteux, c’est surtout dans un roi.