59$ lAssemblée nationale.] ARCHIVES par le décret du 14 mai dernier, et pour le prix fixé par les procès-verbaux d’estimations et d’évaluations, montant a la somme de cinq cent onze mille six cent soixante-huit livres cinq sols onze deniers, payable de la manière déterminée par le même décret ». M. le Président fait donner lecture à l’Assemblée d’une lettre de M. le garde des sceaux, datée du jour d’hier, et conçue en ces termes : la protéger; vous êtes la nation elle-même. Le « saint désir de la liberté vous a fait prendre les « armes pour la conquérir, et vous l’avez obtenue « moins parce que vous étiez armés, que parce « que vous étiez la nation, exprimant la volonté « générale avec l’appareil de la force générale. « Vous êtes donc à la fois citoyens et soldats; ci-« toyens sans armes, quand la société est tran-« quille; citoyens armés, quand la société est en « péril ; vous prenez les armes quand vous êtes « requis ; vos armes reposent quand l’objet de la « réquisition est rempli. Vous n’avez pas une « profession; vous avez rempli des fonctions. « L armée de ligne est une partie des citoyens en « commission pour la défense de l’Etat ; les gar-« des nationales sont la masse des citoyens prêt « à s’armer aussi pour cette même défense.» Tel est, Messieurs, le principe que votre comité a cru indispensable de vous proposer, parce qu’il a cru indispensable de le faire entrer comme principe constitutionnel dans le code que vous formez. 11 est, pour tout Etat, un cours paisiblede choses, où l’ordre n’est troublé que par des accidents partiels ; il ne faut, pour le rétablir, que des réqui-siiions particulières faites à la force publique : le citoyen requisse garde national prête son secours. Mais l’Etat peut éprouver aussi des crises extraordinaires où toute force publique avertie doit être prête à le soutenir. G’est un éveil général ; c’est une grande sommation de la patrie; c’est une I réquisition permanente qui ne cesse que lorsque le péril est passé. Tel est, Messieurs, le mouvement immense, qui, dans ces derniers temps, a mis les armes aux mains de tous les Français, et qui ne cessera que lorsque la Constitution sera terminée, et que ses ennemis, lassés de leurs inutiles et coupables efforts, cesseront d’opposer des obstacles à l’établissement de l’ordre nouveau. Ce temps approche, peut-être. Le commerce, l’agriculture et les arts redemandent ces bras que sa liberté, par un généreux effort, a fait armer pour la conquête. Votre Constitution va être achevée; et cet édifice, élevé par vos mains, n’aura bientôt plus besoin que d’y terminer quelques travaux particuliers que plusieurs embarras vous ont fait suspendre . Bientôt les Français armés n’auront à désirer que cette douce quiétude du citoyen qui se repose à l’ombre de ses lois, qui les médite en silence pour en étudier les bienfaits, ou qui se livre avec gloire et avec tranquillité aux travaux paisibles qu’elles protègent. Les gardes nationales sont une force publique, ou, pour mieux dire, la force publique, puisque les gardes nationales sont la collection des citoyens, la société, la nation ; mais, si vous en exceptez la portion des citoyens, mise en commission pour la défense de la patrie, leur état habituel n’est pas l’activité, car il serait inconséquent dans l’état ordinaire des choses, que toute la nation fût en mouvement. Leur force générale ne doit se déployer, comme elle vient de le faire, que lorsque la liberté ou la patrie sont 38 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1790.] g94 |Assemblée[ nationale.] ea péril. Leur force particulière ne doit agir, que lorsque des désordres pariiculiers et locaux rendent leur secours nécessaire. Hors de ces occasions qu’une Constitution sage et vigoureuse doit rendre extrêmement rares, le Français toujours soldat, parce qu’il est citoyen, ne remplit pas habituellement les fonctions militaires. Heureux Je temps où l’appareil des armes ne sera plus nécessaire, où la France, respectée au dehors, imposera à l'ambition des conquérants par l'appareil d’une grande, d’une vaste et universelle défense ; où la loi connue, et par conséquent respectee et chérie au dedans, ne trouvera plus que des sujetsdociles; et où la censure publique sera plus puissante encore que le glaive pour contenir les ennemis intérieurs! IIe Section. De la force publique intérieure. Les ennemis du dedans, les perturbateurs du repos public, ces hommes désordonnés qui, méprisant les lois, attent nt à la propriété, à la liberté, au repos de leurs concitoyens doivent être réprimés par la force publique intérieure. Peut-être devons-nous ajouter que, dans ces temps nouveaux, où l’interrègne des lois en a, ce semble, affaibli la sainte antorité, où la Constitution est peu connue de quelques-uns, et menacée encore de quelques autres, cette force doit être tellement composée, qu’elle s’exerce promptement, unanimement et avec vigueur sur toute la surface del’Em-pire. Alors tombera celte coupable objection des ennemis de la Constitution nouvelle, sur la nullité prétendue du pouvoir exécutif. Vos décrets, devenus lois, ont été remis immédiatement à l’exécution du monarque; mais lorsque votre co le terminé sera dépo-é dans les mains augustes du magistrat sui rême,du chef iuviolable delà naiion, le respect dû à la loi se portera sur le pouvoir qui se charge de \ eil 1er à ce quelle soit exécutée; et tous les resrerts se r< montant à la fois par un seul acte de volonté royale, la force publique que vous aurez instituée, mettra la Constitution entière en activité. D’après K s principes que nous avons exposés, quoique la garde nationale soit véritablement la force publique, comme elle est la* force publique tout entière, et qu’il est impossible de la consacrer à un service habituel, ce n’est pas entre ses mains qu’il faut déposer la force réprimante ou coercitive habituelle. Les travaux journaliers rendent nécessaire aux citoyens la plus grande partie de leur temps, et ces travaux sont leur première detteenvers la patrie. Qu’ils commettent et délèguent tout ce qu’ils ne peuvent pas faire ; qu’ils tirent de leur sein une portion d’entre eux à qui la force réprimante habituelle soit confiée ; et cependant ne mettons pas cette police dans la main de l’armée, craignons que si la force extérieure était habituellement employée au dedans, elle ne devînt insensiblement un moyen d’oppression, et qu’après avoir servÿ d’instrument pour exécuter des lois, elle ne servît à en donner. 11 vous faut, Messieurs, une force habituelle, toujours agissante, toujours requise, et dont la fonction particulière soit de prêter main-forte aux exécuteurs des lois. dette force est une commission que donnent les citoyens; c’est une émanation, ou, si l’on vent, un remplacement de leur activité propre. G® corps, toujours actif, doit être solfié ; car sa fonction est permanente, et il ne peut pas eu remplir d’autre. Cette force doit être composée de manière qu’elle ne puisse, ni être insuffisante à ses fonctions, ni attenter à la liberté publique. Le nombre de ces hommes soldés doit être exactement proportionné aux besoins de la société, et calculé en raison des désordres possibles. La France possède cette force toute prête et tout organisée, soumise à une discipline très exacte, ennemie sévère des perturbateurs du repos public, accoutumée à les signaler, à les connaître, à les découvrir et à les poursuivre, et dont le nom seul inspire la terreur aux malfaiteurs et aux brigands : c’est la maréchaussée. Cet instrument de la loi est assez souple pour se prêter à toutes les formes que vous voudrez lui uonner, assez vigoureux pour rétablir et maintenir l’ordre dans le royaume. Ami de la loi, peut-être parce qu’il avait accoutumé d’en être l’organe, il a, durant le cours de celte Révolution, contribué à maintenir l’ordre en une foule de lieux, attendant sans impatience ce qu’ordonneraient de lui vos décrets, associant avec -agesse le civisme à la rigidité, et distinguant les mouvements tumultueux de la liberté, dus mouvements désordonnés de la licence. Vos comités vous proposeront donc, Messieurs, de conserver, ils vous proposeront même d’augmenbr la maréchaussée. C’était déjà le vœu des peuples ; les circonstances vous en font une loi. Vous lui ôt< rez tout ce que lui avait donné la volonté arbitraire, et qui contrasterait avec l’ordre judiciaire que vous avez établi , vous lui conserverez tout ce qui, dans ses précédentes fonctions, lui fournissait les moyens de suivre les traces du délit, et de le constater juridiquement, tout ce qui peut lut attirer lu confiance des peuples : vous l’attacherez à votre régime; et cet intrumentde la lot, commandé par le despotisme, deviendra celui de la loi établie par la liberté. Ce sera l’objet d’un court rapport qui succédera immédiatement à celui-ci. Si cette force est bien composée et bien répartie, ils montreront que la dernière et la plus grande ressource de la force publique est dans la masse même des citoyens, chargés de réprimer la violation de leurs lois. Quand la force publique intérieure est créée, l’on doit chercher par qui, et sur quels principes elle doit être mise en activité. Et d’abord, elle ne doit pas se mouvoir elle-même. La liberté serait perdue, l’esclavage serait bientôt établi, si, au milieu d’une société sans armes, des hommes armés pouvaient se mouvoir, agir, contraindre sans en être requis et commander en leur nom, quand ils ne doivent le faire qu’au nom de la loi, et lorsque les hommes de la loi l’ont voulu. Les exécuteurs de la force publique ne doivent pas même délibérer sur les ordres qu’ils reçoivent. D ltbérer, hésiter, refuser sont des crimes. Obéir, voilà, dans un seul mot, tous leurs devoirs. Instrument aveugle et purement passif, la force publique n’a ni âme, ni pensée, ni volonté. C’est une arme qui reste suspendue au temple de la Liberté, jusqu’au moment où la société qui l’a créée, en demande l’usage. Vous avez décrété, Messieurs, que la force publique serait mue à la réquisitiou des corps administratifs, des municipalités et des tribunaux; vous avez voulu que ce fût l’organe dont se servirait le pouvoir exécutif pour mouvoir la force publique dans le sein de l’Empire. Cependant, appelé à méditer sur les moyens de ber toutes les forces au pouvoir exécutif, votre comité de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1790.] 59o Constitution s’est aperçu que ce n’était ici qu’une partie d'un grand travail qui doit couronner votre ouvrage; qu’il vous reste à composer quelques parties sur lesquelles il ne lui est pas possible de prévoir les dispositions que vous décréterez ; et que la force exécutrice ne peut être que le dernier résultat de toutes les pen>ées, la force qui met en mouvement tous les rouages; mais seulement quand les rouages ont tous été assemblés. Vos décrets ont pourvu à l’ordre partiel, à l’ordre instant que les circonstances rendaient nécessaire à mesure que vous faisiez divers actes de création. Sans doute, lorsque du faîte de la Constitution, vous en contemplerez toutes les parties ; lorsque vous en considérerez les liaisons et le jeu ; lorsque l’expérience de l’exécution partielle vous aura instruits, vous décréterez les formes et les lois de l’exécution générale ; et votre comité lui-même, instruit alors par vos décrets, devra rechercher un mode d’exécution qui puisse s’appliquer à toutes les parties, prompt comme la volonté, et simple comme le mouvement. Cependant il peut consacrer, dès aujourd’hui, ce principe, que le Corps législatif, qui seul représente la volonté générale, doit avoir seul la surveillance et la réquisition générales; c’est lui qui doit parler et requérir pour la nation dans ces crises extraordinaires, où les pouvoirs inférieurs deviennent insuffisants, et où la nation alarmée, ou pour son repos, ou pour sa liberté, ne peut sauver le vaisseau de l’Etat que par la puissance et l’activité du pilote. IIIe Section. De la force publique extérieure. Vous avez pourvu à la force publique extérieure par l’organisation de l’armée. Cette portion des citoyens, mise en commission pour la défense de l’État, est chargée par vous de repousser les ennemis du dehors, et d’assurer le repos de la société, en veillant à ce que des étrangers ne viennent pas le troubler. Toujours prête, toujours aguerrie, elle fait une garde sévère sur la vaste enceinte de l’E - pire. Vous vous êtes cependant aperçus, Messieurs, que l’armée que vous avez décrétée, une armée del50,ü0U hommes, n’est pas une force défensive suffisante dans l’état actuel de l’Europe; et soit qu’il faille écouier, soit qu’il faille dédaigner ces bruits de conspirations étrangères contre notre liberté, et ces menaces de voisins inquiets, dont nous devrions d’autant moins craindre les invasions, quels qu’en puissent être les prétextes, que nous avons juré de ne prendre jamais les armes dans un esprit de conquête; il n’entre pas moins dans notre Constitution d’organiser les citoyens en un grand état de défense. Et vous entendez, sans doute parla, Messieurs, décomposer des corps particuliers, dont le rassemblement, prompt et facile, prérente à toutes les nations la France défendant la France, et la patrie soulevant, à la fois, tous ses enfants contre les perturbateurs, et dirai-je (car les vols de nation à nation ne rûut qu’un plus grand brigandage), contre les vuleurs et les assassins étrangers. Un honorable membre du comité militaire, vous a présente, Messieurs, un plan d’armée auxiliaire que vous n’avez pas rejeté, et voire comité de Constitution, chargé par vous de vous piéseoter un plan d’orgauisauon des gardes nationales, a cru devoir, de concert avec le comité militaire, vous présenter une idée semblable, d’autant qu’elle entrait déjà dans son plan, qu’elle en faisait même la contexture, et qu’elle y devenait une idée constitutionnelle. Le pru blême politique que vous avez à résoudre, c’est de mettre la France en état de déployer tout à coup un si grand appareil de guerre, quelle soit toujours sûre de l’écarter. Elle doit justifier par une force immense la loi consiiiutionnelle qu’elle s’est imposée de ne jamais attaquer, car ce ferment renferme celui de se bien défendre. Votre intention, Messieurs, est de constituer la France sur un état de paix. La paix est l’état naturel d’une société qui se constitue. La guerre est un état contre nature. C’est un désordre, un accident, une maladie du corps politique, comme les combats entre les particuliers, sont un désordre, une fureur. Les peuples qui se sont constitués dans un éial de guerre ont bientôt péri. Ceux qui ont fondé leur Constitution sur un état de paix, ont subsisté longtemps, et si des guerres passagères ont, quelque temps, dérangé, si je puis m’exprimer ainsi, leur santé politique, le retour de la paix l’a bientôt rétablie. Votre Gonstit ition est toute fondée sur ces principes. Vous avez établi un ordre intérieur, vous en avez lié toutes les parties par une correspondance exacte, vous avez appelé aux fonctions publiques les citoyens, mais des citoyens désarmés, des citoyens choisis par le irs voisins et parleurs frè es. Vous leur avez donné des emplois pacificateurs; la police des cités, l’administration des campagnes, l’économie des deniers publics, le maintien de l’ordre, l’exécution des lois. Vous avez porté surtout vos regards protecteurs sur les campagnes, dont la fécondité s’arrête aux premières alarmes de la guerre. Vous avez voulu rendre cet Empire durable, en intéressant tous les citoyens à sa conservation. Libres d’aspirer à tous les emplois, ils choisissent et sont choisis; la loi n’est jamais que l’expression de la volonté générale; l’accès est ouvert à toutes les réclamations, et la justice s’incline pour accueillir l’infortuné, et pour tendre la main à l’mnocence opprimée. Ce n’est donc pas, Messieurs, un Etat guerrier et conquérant que vous avez voulu fonder, mais un Etat agricole et commerçant, où des citoyens occupés puissent jouir en paix du fruit de leurs travaux. Un grand peuple, un peuple dont le territoire est vaste, et pour qui la nature et l’art ont déjà lout fait, ne doit pas être un peuple conquérant. Défendu par lui-même, et résistant par la seule masse, il lui suffit d’en imposer à ses voisins pour être assuré de la paix. Son repos est celui du lion, qui n’a qu’à se lever pour inspirer la terreur. Si tous vos concitoyens se livraient à la profession de soldats, ils auraient un Etat anticonstitutionnel. Ils aimeraient la guerre, et vous ne voulez poiut de guerre; ils seraient tentés d’attaquer, et vous ne voulez que vous défendre ; vous a\ez créé des emplois civils, et ils ne brigueraient que des emplois militaires. Et cependant, que deviendraient les arts, si nous n’avions besoin que de fer? Pour q >i prépareraient-ils la guerre, si nous ne pouvons avoir des ennemis? Qu’il serait à craindre que cette humeur belliqueuse ne pouvant faire éruption au dehors, ne se répandît dans le corps même, et n’y portât Le désordre, la consomption et la mort? Et quel danger n'y aurait-il pas pour leur propre liberté, si, éblouis de l’éclat trompeur des armes, séduits par les idées de domination et d’oppression qu’elles 596 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1790.] inspirent, dirigés, commandés, exercés par un prince guerrier, les citoyens eux-mêmes pouvaient devenir entre ses mains un instrument de tyrannie, et réduire leur propre pays en servitude ? Mais si vous ne vous constituez pas sur un état d’attaque, c’est pour vous constituer mieux sur un état de défense. Chaque nation devant employer le genre de forces qui est propre à sa population, à sa position, à son caractère, à sa Constitution, la •France doit profiter des avantages réels qu’elle a sur tous les peuples de l’Europe. Elle a une très grande population, elle doit se mettre en état de la déployer tout entière. Sa Constitution est fondée sur les principes de l’équité naturelle; elle doit tendre à se reposer un jour sur ses propres forces. Toutes les parties de l’Empire sont liées et cohérentes, elle doit appeler ses forces les unes près des autres, pour en former un grand moyen de résistance. Elle est naturellement belliqueuse; il faut donner un but noble et grand à cette passion que l’ambition fait dégénérer souvent en barbarie. Elle a conquis la liberté, elle ne doit avoir des armes que pour la défendre. Il nous semble, Messieurs, que ce but sera rempli par le plan que nous allons vous proposer. Le relevé fait à l’hôtel de ville de Paris, d’après les députations des gardes nationales à la confédération du 14 juillet, donne, pourtout le royaume, plus de deux millions neuf cent cinquante mille gardes nationales alors formés. Il résuite d’un autre calcul, qu’en France, le nombre des citoyens actifs est composé du septième au moins de la population, ce qui nous en donne trois millions six cent mille. Enfin, comme il y a dans ce nombre beaucoup d’hommes âgés ae plus de soixante ans, et beaucoup de fonctionnaires publics, ils sont plus que compensés par les fils de citoyens actifs de l’âge de 18 à 25 ans, que nous vous proposons, d’après vos décrets antérieurs, de faire entrer dans les gardes nationales. Le résultat de ces calculs nous donne donc trois millions six cent mille gardes nationales dans toute l’étendue du royaume. En les formant par compagnie de cinquante-quatre hommes chacune, vous avez soixante-six mille six cent soixante-six compagnies, composant la force nationale. Une armée auxiliaire, de cent mille hommes, sera tirée du sein de ces compagnies. L’esprit de votre Constitution appelant au droit de citoyen actif les citoyens qui se consacrent àla profession des armes, l’on pourra, dans l’armée auxiliaire, admettre des citoyens non actifs auxquels trois engagements successifs conféreront l’activité, et ils prendront leur rang parmi les gardes nationales. Ces cent mille auxiliaires seront donc des soldats incorporés dans les compagnies, dispersés dans le royaume, mais enrôlés volontairement, et prêts à marcher au signal. Dressés au maniement des armes, et le plus grand nombre ayant déjà servi, ils se porteront avec célérité vers telle partie du royaume ou des frontières, où le besoin l’exigera. En attendant, ils habiteront leurs foyers : confondus avec les gardes nationales, et et n’ayant aucune distinction, ils partageront leur service; et citoyens et soldais, ils en rempliront à la fois le double devoir. Une solde proportionnée à leur service en temps de paix, les attachera aux drapeaux qu’ils seront prêts à rejoindre, sans les détacher de l’agriculture et des arts, auxquels ils auront le temps de se livrer. Cependant la force nationale reste dans son intégrité. Soixante-six mille compagnies encore entières, puisqu’on n’en détacherait pas deux hommes de chacune, font la grande défense de l’Etat, et la masse de résistance. C’est de là, que, sur les mêmes principes qui nous ont fait composer la troupe auxiliaire, la nation appelant, par compagnie , le nombre d’hommes dont elle aura besoin, détachera à son gré, les armées citoyennes qui seront nécessaires à sa défense, et qni, se succédant, se soutenant les unes les autres, et croissant avec le péril, présenteront une résistance progressive. La position de la France, sa forme circulaire qui lui permet de porter des forces au premier signal du centre aux extrémités ; la forme du gouvernement actuel qui , transportant les ordres du pouvoir exécutif aux quatre-vingt-trois départements à la fois, met en mouvement le nombre précis des forces nécessaires; l’exactitude des détails dans une administration populaire : tout vous répond de la facilité d’une défense que l’amour de la patrie, le salut des foyers et la passion de la liberté ne peuvent manquer de rendre victorieuse. Que reste-t-il pour faire, de cette masse imposante, une force redoutable? Il ne reste qu'à l’organiser. Détacher les masses, composer les corps, séparer les parties pour en faire, à volonté, le rassemblement ; se donner la facilité d’appeler le nombre d’hommes ou de compagnies dont on peut avoir besoin; les former aux exercices qui leur sont propres ; leur enseigner une tactique générale, et adaptée à leur destination, l’art de marcher, de se séparer, de s’ouvrir, de se rejoindre, éléments simples du métier de la guerre, et qui font toutes les difficultés de son premier apprentissage. C’est ainsi, Messieurs, que la Révolution, dans le gouvernement de l’Etat, devait en occasionner une dans la manière de le défendre. Ainsi, tandis que les princes de l’Europe épuiseront leur trésor et leurs pays pour tenir sur pied des armées trop fortes pour leur population, la France ne détachera de son sein que la moindre partie de la sienne ; et protégée par ses armes, autant que par ses lois ; elle pourra jurer de ne souffrir aucune hostilité, comme elle a promis de ne jamais en commettre. Le temps viendra, peut-être, où cette disposition de l’Empire français influera sur le système de l’Europe, où les vœux de l’humanité seront enfin remplis, où la paix générale entre les nations résoudra enfin le problème de leur équilibre politique. La modération et l’équité de la France serviront d’exemple. Chaque peuple se renfermera dans les bornes que le hasard ou la nature lui ont données, sûr de trouver dans sa conservation intérieure un ample dédommagement des caprices de l’ambition. L’agriculture et les arts retireront à eux ces armées colossales, ces peuples de soldats, vastes machines guerrières qui pèsent plus encore sur le pays qui tes enfante, que sur celui qu’elles désolent ; invention funeste de l’ambition des rois, et de cet équilibre prétendu qu’ils dérangent’chaque jour au gré de leurs passions, et dont des flots de sang humain sont, au hasard, les contre-poids. IVe Section. De l'organisation des gardes nationales . Nous avons vu que les citoyens sont obligés de maintenir l’ordre audedans, et de défendlre la patrie contre les ennemis du dehors ; et qu�il [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1790.] 597 faut, par conséquent, les mettre en état de remplir ce double devoir lorsque lar patrie la demande. On doit donc créer un mode d’organisation, duquel il résulte que chaque citoyen soit placé de manière à ce qu’il puisse être appelé pour servir au maintien des lois, ou à la défense de son pays. Cette organisation, et le plan d’après lequel les citoyens se formeront, doit être extrêmement simple, afin que chacun puisse connaître aisément son poste, ses devoirs et ses lois. Voici, Messieurs, quelle est, en conséquence, la suite des idées sur lesquelles vos comités vous présenteront un projet de décret. Tous les citoyens actifs, et leurs fils, âgés de 18 ans seront inscrits dans le registre de leurs municipalités, pour y prendre l’engagement de remplir au besoin les fonctions et défaire le service de gardes nationales. Rien ne pourra les exempter de ce devoir, car celui-là n’est pas digne des faveurs de la patrie, qui n’est pas prêt à la servir. Cet engagement les initie, en quelque manière, dans leurs droits de citoyens actifs. Les vieillards et les hommes chargés de fonctions publiques, incompatibles avec l’usage des armes citoyennes, seront seuls exemptés du service; et la vétérance sera couverte du respect dû à l’âge et à l’expérience. Cependant les citoyens non actifs qui, durant le cours de cette révolution, se sont sacrifiés généreusement aux fonctions de gardes nationales, pourront être autorisés à les remplir durant le reste de leur vie. Il n’y aura qu’une seule garde nationale dans le royaume; elle sera soumise aux mêmes lois; elle aura la même organisation et le même uniforme. Les gardes nationales seront divisés par districts et par cantons. La composition par dépar-ments, présenterait un rassemblement dangereux à la liberté publique, parce qu’il pourrait mettre une trop grande force sous les ordres d’un seul chef. Il sera formé des compagnies de cinquante quatre hommes chacune, les officiers compris. Gha-que compagnie sera divisée en deux pelotons de vingt-quatre hommes chacun , en sections de douze, en escouades de six. Ces compagnies seront formées dans les villes par quartier, et dans les campagnes, par arrondissement; de manière que chaque citoyen se réunisse avec ses voisins, et que leur rassemblement soit prompt et facile. Huit compagnies feront un bataillon ; et chaque canton, l’un dans l’autre, peut en avoir un et demi; il y aura une légion par district, et elle sera composée d’autant de bataillons que le district en renfermera. Cette légion fera, néanmoins, un rassemblement à peu près idéal, une aussi grande force ne devant être réunie que dans le cas d’un grand péril, quand le pays est exposé à une invasion étrangère, ou que la' liberté publique est menacée; tout au plus, dans ces revues annuelles où des frères d’armes se réunissent sous les drapeaux de la liberté. Les officiers des compagnies, des bataillons et des légions, seront élus par les citoyens dans leur seule qualité de citoyens, et en présence des officiers des administrations. Leurs grades ne seront qu’à temps, mais quelques-uns pourront être réélus. Les gardes nationales ainsi organisés, et les citoyens qui les composent pouvant être pris, ou en masse, ou par compagnie, ou tirés seulement trois à trois, deux à deux, un à un, ils entreront dans tous les plans que l’on voudra former,, ils pourront être employés à tous les genres de défense, soit qu’il faille opposer une force immense à l’ennemi, soit qu’il faille renforcer l’armée, en soutenir les derrières, ou doubler les garnisons. Peut-êlre même celte composition de forces se prête t-elle au caractère national, à cette impétuosité irrésistible qui se précipite à la victoire et qui abrège le péril. Vous désirerez cependant, que les jeunes citoyens s’exercent aux armes les jours de dimanches, durant les beaux mois de l’année; vous souhaiterez qu’il leur soit enseigné une tactique particulière, que votre comité militaire s’est chargé de vous présenter, et qui est sous presse; vous voudrez qu’on ressuscite quelque chose de ces institutions antiques, de ces exercices et de ces jeux si convenables à des peuples libres, qui, en développant les forces du corps, donnent à l’âme plus d’énergie; qui, en plaçant l’estime dans les qualités personnelles, vraiment estimables, substitueront la fierté à la vanité; et qui feront succéder à des amusements ou grossiers ou frivoles, des plaisirs dignes des hommes que vous aurez régénérés : vous ne dédaignerez point de voir les enfants, l’espoir de la génération future, se former d’avance à ces exercices, sous les yeux et à l’exemple de leurs parents, et s’engager ainsi à défendre la liberté que leurs pères avaient conquise. Les hommes changent par les mœurs, les mœurs changent par les usages, et les usages ont encore pus de pouvoir que les lois. Mais si le législateur est parvenu à obtenir un si grand empire sur les esprits, que ses lois en soient reçues avec respect, il doit profiter de cet heureux ascendant pour former d’utiles institutions, et pour substituer à de serviles préjugés, l’éducation de nouvelles habitudes. Les lois ne peuvent rien sans les mœurs, vous dit-on tous les jours; et l’on croit faire votre satire et celle de la nation. Ils auraient raison, Messieurs, si vous ne faisiez que d’arides décrets; mais si vos lois ont changé les idées; si elles font prendre un autre cours aux habitudes ; si, dans 4a tourmente qu’elles ont excitée, les passions laioles ont cédé aux passions généreuses; si vous venez au secours de vos lois par de grandes et sages institutions, vous aurez créé de nouvelles mœurs et régénéré l'espèce humaine. Ainsi organisés, ainsi élevés pour composer la force publique, moins encore par celle des armes, que par leur respect pour les lois, les citoyens prêteront un utile secours pour le maintien de l’ordre, l’observation des décrets, la perception des contributions, la libre circulation des subsistances, et pour tout ce qui peut rétablir et entretenir la tranquillité intérieure. Les décrets que nous vous présenterons à cet égard, leur prescriront leurs devoirs et leurs fonctions, l’obéissance rigoureuse qu’exige le service, les bornes dans lesquelles ils* doivent se renfermer, et les lois qui résultent de ce principe que nous avons posé en commençant, que les gardes nationales sont les citoyens qui s’arment pour l’exécution de leurs propres lois. Cet objet, ainsi que le rapport et le travail particulier sur la maréchaussée, vont être imprimés et soumis à votre examen.