[Assemblée nationale.] ARCHIVES ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. THOURET. Séance du jeudi 13 mai 1790, au matin (1). La séance est ouverte à onze heures du matin. Un secrétaire donne lecture d'une adresse de la société des frères cordonniers de la paroisse Saint-Eustache, contenant l’offre de remettre à la nation les biens acquis par cette société, qui s’élèvent par aperçu à 115,700 livres, avec prière d’accorder à cha« un des frères, qui sont au nombre de cinq, une pension viagère. L’Assemblée ordonne le renvoi de cette adresse au comité d’aliénation des domaines nationaux. M. le comte de Barbotait demande pour raison de santé un congé de six semaines. M. Eiècarlier demande également un congé de huit à dix jours pour affaires importantes. M. Guyardin demande à s’absenter pour quatre à cinq jours. (Ces congés sont accordés sans opposition.) M. le comte de Grillon, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier au matin. M. Palasne de Champeaux, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier au soir. Ce procès-verbal est adopté; mais il s’élève dés réclamations suC la rédaction de celui de la séance du matin. M. Muguet de Hfanthou. L’article 9 du titre II, ne contient pas trace d’un amendement que j’ai présenté et qui a été admis par l’Assemblée. Je de-mandequemon amendementtrouveplacedansrar-ticle. L’omission dont je me plains me porte à vous faire une autre proposition : c’est cru’à l’avenir les décrets ne soient prononcés dans la séance Où ils seront rendus, que sauf rédaction. M. Delley d’Agier , rapporteur. L’amendement de M. Muguet de Nanthou a été plutôt annoncé qu’adopté; néanmoins, le comité ne fait aucune difficulté de l’insérer dans l’article, si tel est l’avis de l’Assemblée, mais II importé avant tout que l’auteur donne une rédaction précise. M. Merlin. Les deux comités des domaines et d’aliénation réunis, ont proposé d’ajontef à l’article 9 deux articles qui donnent satisfaction à tous les amendements ; ils sont insérés dans le procès-verbal d’hier et nous eh demandons le maintien. (Le procès-verbal est mis aux voix et adopté.) L’Assemblée revient à l’article 4 du titre III, renvoyé hier au comité d’aliénation. M. Delley d’Agier, rapporteùr, présente Sur le tiercement un article ainsi conçu. « Il y aura ouverture au tiers seulement dans (1) Cetto séance est incomplète au Moniteur. PARLEMENTAIRES. [13 mai 1790.] les vingt-quatre heures de l’adjudication définitive, d’après les formes qui seront déterminées par un règlement particulier. >> M. Rewbell. Je demande le rejet de cetarticle parce q u’il es t de nature à nui re à la ven te des biens ; il faut chercher un mode qui porte les acquisitions à juste prix et pour cela, les enchères doivent être libres; la chance du tiercement est toujours comptée par les acquéreurs qui n’achètent qu’à bas prix par la crainte d’être dépossédés; le tiercement n’est qu’une porte ouverte à l’agiotage. M. Legrand, député de Châteauroux. Je ne puis partager l’avis du préopinant, et l’expérience m’a démontré, dans ma province, que le Gercement est utile aux ventes, et queloin défaire des coalitions entre les acquéreurs, il les fait cesser, car ces coalitions ne résistent pas à plusieurs épreuves successives. M. Hamel Mogaret. Je demande que la nature du tiercement soit définie, parce qu’il y en a de deux espèces. L’une augmente d’un tiers le prix de la vente qui a été faite; l’autre augmente le prix de trois fois autant que la dernière enchère. C’est cette dernière que je propose d’admettre, si lé tiercement est maintenu; M. Merlin. Dans les provinces belgiqueS, le tiercement n’est admis que pour les ventes de forêts ; il en résulte que ces ventes se fout toujours à bas prix par la crainte du Gercement. M. Martlnean. Je pense qu’on ne doit adniettre aucun mode de tiercement. Celui qui augmente considérablement le prix des ventes, empêché les acquéreurs de porter les acquisitions à leuï juste valeur; le meilleur moyen d’exciter les enchérisseurs à porter les enchères au plus haut prix, est de leur laisser l’assuVance de demeurer propriétaires incommutables des biens qui leur sont adjugés. Plusieurs membres demandent la question préalable sur le tiercement. La question préalable est mise aux voix et proa noncée. L’article 4 présenté par le comité est ensuite mis aux voix et adopté comme suit ; « Art. 4. Les enchères seront reçues publiquement; il y aura quinze jourAd intervallé entre la première et la seconde publication, et il sera procédé, un moia après la seconde, à l’adjudication définitive, au plus offrant et dernier enchérisseur, sans qu’il puisse y avoir ouverture ni âu tiercement, ni au doublement, ni au triplement. Les jours seront indiqués par des affiches où le montant de la dernière enchère Sera mentionné; » M. Delley d’Agier, rapporteur. Vous avez décidé, lors de là discussion de l’article 4W du décret, qu’il ne serait plus fait mention des mots1: biens ecclésiastiques. Le comité vous propose, en conséquence, de décréter que l’ex pression de biens ecclésiastiques et domaniaux sera désormais remplacée par celle de domaines nationaux ou biéns nationaux. (Cette modification est miseaux voix et adoptée.) M. le baron de Menou. Plusieurs membres [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [13 mai 1790,] ayant demandé dans une précédente séance, si la ville de Paris serait tenue d'effectuer le cautionnement de 70 millions proposé par elle, cette question a été ajournée à ce matin. J’ai l’honneur d’observer encore que l'Assemblée avait demandé que le comité présentât les formes de cautionnement. J’étais alors président, et je n’ai pu suivre les opérations de ce comité, dont je suis membre. Je dois dire, en mon propre et privé nom, que plusieurs personnes, que je ne nommerai pas, sont venues me prier de ne pas m’opposer au cautionnement qui serait proposé, en m’offrant de participer au bénélice. {La, salle retentit d’ applaudissements. )Je n’avais pas besoin de cês( offres pour avoir une opinion bien prononcée et bien a-sorée sur ce cautionnement. Je pense que si l’opération est bonne, la municipalité pourra payer chaque année 10 millions, et dans sept ans, les 70 millions que ce cautionnement aurait pour objet d’assurer si l’opération est mauvaise. Les capitalistes ne fourniront assurément pas des fonds ; en outre, j’avais pensé -que les capitalistes qui cautionneront pourront être en même temps cautionneurs, vendeurs et acheteurs : ainsi donc le cautionnement me paraît immoral et dangereux. J’abandoune ces observations à la sagesse de l’Assemblée. M. le duc de l*a Rochefoucauld. Quand la ville de Paris a proposé un cautionnement, vous avez cru qu’il était nécessaire de l’accepter pour assurer le crédit des assignats, et par la raison que les biens dont la municipalité fera l’acquisition se vendront plus difficilement que des biens ruraux. C’est sur ces motifs que, par votre decret du 9 avril, vous avez chargé votre comité de s’occuper des formes de ce cautionnement, Il n’a pu se livrer encore à ce travail, parce que le règlement sur les ventes a employé tous ses •moments. Il attend que vous décidiez si votre décret du 9 doit être mis à exécution. M. Alexandre de I�ameth. Le cautionnement n’a d’utilité que pour les capitalistes, auxquels il donnera à partager 3,500,000 livres; il est nuisible à la chose publique. La ville de Paris renferme dans ses mursetdans sa banlieue lés bi<*ns les plus précieux, les plu3 à la portée des particuliers riches; comment peut-on supposer qu’elle ne vendra pas pour 10 millions par an, pour 70 millions en sept ans? Si elle a besoin de 3 ou 4 millions, elle trouvera aisément à les emprunter au moment de sou besoin. Si ce cautionnement était exigé de la ville de Paris, il faudrait en exiger un de toutes les municipalitésdu royaume, ce qui serait pour l’Etat une perte de 20 millions. On s’est trompé quand on a cru que le cautionnement des capitalistes était nécessaire au crédit des assignats; les capitalistes nuiraient plutôt aux assignats, s’ils se mêlaient de cette opération. Le cautionnement aurait été honteux sous le règne de M. de Galonné : l’Assemblée nationale ne souffrira pas cette opération sous ses yeux. M. le Président consulte l’Assemblée sur la proposition ; elle est adoptée et le décret suivant est rendu: « L’Assemblée nationale décrète qu’il ne sera point donné suite au cautionnement à former par la municipalité de Paris pour l’acquisition ae s domaines nationaux. » M. le Président annonce qu’il vient de recevoir de M, le ministre de la marine une lettre qui annonce des évènements fâcheux arrivés d Toulon. Le roi désire que ces faits soient mis sous les yeux de l’Assemblée. La lettre est ainsi conçue : « Monsieur le président, « Le roi, vivement touché de ce qui s’est passé à Toulon, m’ordonne d’en instruire l’Assemblée nationale. « Par les lettres que j’ai reçues de ce port, il paraît que le 3 de mai, à deux heures après-midi, il s’est formé un nombreux attroupement d’ouvriers et de peuple devant la porte de l’arsenal, qui venait (Têtre fermée sans ordre. « Gel attroupement se porta chez le comman ¬ dant de la marine qui dînait ; on lui fit des demandes, dont aucune ne fut refusée. « La liberté de trois canonniers matelots, qui étaient détenus en prison pour cause d’insurrection à bord de la frégate l’Alceste, fut la première de ces demandes. « M. le commandant de Glandèves répondit, comme il était vrai, qu’ilm’en avait écrit, qu’il avait peu d’instants auparavant reçu les ordres du roi pour faire mettre ces hommes en liberté et les congédier; que leur cartouche venait d’être signée. Il chargea même publiquement M. Boyer, aide-major de division, de faire délivrer ces trois prisonniers. « On insista pour avoir des armes et des' gibernes : ce chef militaire annonça, que ne dou-_ tant pas que la municipalité ne lui fit la même demande, il les accordait d’avance. « On affecta de ne pas ajouter foi à ses promesses. Il fut entraîné avec violence de l’hôtel du commandement. M. le baron de Glandèves, son frère, ancien capitaine de vaisseau, retiré du service, qui dînait chez lui et ne voulut pas s’en séparer, fut arraché de ses bras. M. de Gholet, lieutenant de vaisseau, reçut trois coups de sabre et deux de baïonnette : il a été sauvé par quelques volontaires de. la milice nationale, quî survinrent en ce moment. «Mile commandant de Glandèves lui-même m’écrit qu’il doit beaucoup à l’assistance de M. Saurin, major, et de M. Pélissier, aide-major de la garde nationale, qui firent envain tout ce qui était en leur pouvoir pour empêcher qu’on ne l’entraînât à l’hôtel de ville. « Pendant ce trajet il fut sans cesse menacé de perdre la vie par les cris d’une partie du peuple; d’autres l’entouraient et ont veillé à sa sûreté : ceux-ci l’ont garanti de plusieurs coups de sabre et de baïonnette et ont empêché qu’il ne fût mis dans les prisons du Palais. « A peu de distance de l’hôtel de ville, il rencontra le maire qui en était sorti en chaperon et venait au devant de lui sur l’avis qu’il avait reçu de ce désordre subit, par quelques officiers de la marine. « M. le commandant de Glandèves me mande que depuis qu’il est détenu à l’hôtel de ville, il a été traité avec la plus grande humanité et qu’il n’est point d’attention qu’on n’ait pour lui. « Mais il me fait sentir, en même temps, que MM. les officiers municipaux ne peuvent, dans celte circonstance, se dispenser de lui faire encore beaucoup de demandes pour rétablir la tranquillité et qu’il lui est impossible de ne pas accéder. « Tels sont les détails contenus dans les lettres qui m’ont été adressées le 3 de ce mois: celle du 4, matin, annonce que quoi qu’il eût été distri-