SÉANCE DU 4 VENDÉMIAIRE AN III (25 SEPTEMBRE 1794) - N° 62 63 discours, il propose un projet de décret tendant à la réunion des douze commissions exécutives à une commission de douze membres pris dans le sein de la Convention, pour dresser le tableau des ressources commerciales, alimentaires et industrielles de la République. L’impression tant du discours que du projet de décret est demandée et adoptée (100). LEGENDRE (de la Nièvre) : Citoyens, je viens appeler votre sollicitude et votre attention sur des projets bien importants, puisque c’est du parti que vous prendrez, après m’avoir entendu, que peut dépendre le salut de la République. Nous ne sommes plus aux temps où l’ignorance des lois, des principes et de l’action du gouvernement laissait vaguer l’Assemblée entre l’opinion d’un ministre perfide et les oscillations du doute et de l’inquiétude sur les résultats des délibérations qu’on était forcé de prendre pour ne pas interrompre la marche des affaires publiques. Aujourd’hui le gouvernement est entre vos mains, il dépend de vous de bien le connaître, de bien le diriger, et de créer le bonheur du peuple par la sagesse de vos lois et par le zèle que vous apporterez à vous éclairer sur toutes les parties de l’administration; car ce n’est qu’avec des lumières que vous pourrez appliquer les remèdes convenables aux maux infinis qui menacent d’attaquer le sein de la patrie ; plus vous êtes environnés de puissance et de moyens par la volonté du souverain qui vous a confié ses pouvoirs et qui vous protège par sa force, plus vous contractez de devoirs envers lui, et plus vous devez vous empresser de les remplir. Il vous a demandé la liberté, la victoire et le bonheur. Vous avez satisfait à son premier vœu par le renversement de la tyrannie et du despotisme nobiliaire et sacerdotal : quant à la victoire, il semble que le courage et l’audace des armées de la République aient fixé son instabilité sur toutes nos frontières; et lorsque la postérité lira les triomphes d’une seule année de combats, elle interrogera l’histoire, et lui demandera si tous les soldats de la République étaient des héros ou des dieux. C’est donc du bonheur public et des moyens de préparer la paix, en nous disposant toujours à la guerre, que vous devez vous occuper dans les moments difficiles où il semble que la discorde, la haine et l’envie aient jeté au milieu de nous leurs poignards, leurs poisons et leurs serpents, pour nous diviser, pour nous avilir et pour nous faire faire un pas rétrograde qui soit sans espérance de retour; car ne doutez pas que ce ne soient l’unique but et la dernière espérance des ennemis de la liberté et des vôtres. Le bonheur public sur lequel j’appelle toute votre attention et toutes vos réflexions se compose essentiellement du bonheur individuel, qui (100) P.-V., XLVI, 97. Le décret pris sous le nom de Bernard (des Sablons), rapporteur, attribue à tort ce discours au représentant Boudin. n’est que le résultat d’une sage administration, qui économise et distribue avec égalité et avec justice tous les moyens de prospérité publique, qui empêche les abus, pourvoit à tous les besoins, et établit de cette manière la confiance que le peuple doit avoir dans ses magistrats. Vos comités vous rendront compte sans doute de tout ce qui a rapport à la guerre, à la législation et aux finances de la République ; c’est pourquoi je ne porterai mes regards que sur les parties d’administration qui, dans les circonstances actuelles, m’ont paru exiger plus particulièrement votre surveillance et vos soins, si nous voulons empêcher les progrès des malheurs publics, en éviter les funestes conséquences. Mais je dois vous prévenir, citoyens, que votre sagesse, votre expérience et votre fermeté dans l’exécution des mesures que vous prendrez, peuvent seules garantir vos succès. Je vais dire sans mollesse et sans exagération ce que je sais et ce que je pense, afin que la vérité des faits que j’exposerai sous vos yeux puisse animer continuellement vos actions, et exciter votre zèle à réparer les maux de la République, et à les prévoir. Je dirai donc que le commerce, l’agriculture, les subsistances, la consommation, les transports par terre, la navigation intérieure, les approvisionnements des grandes communes, ainsi que ceux des armées de terre et de mer, réclament également votre sollicitude et l’interposition des mesures dépendantes de l’autorité de la Convention nationale, pour se revivifier, se reproduire, et circuler dans toutes les parties du territoire français. Je ne dirai qu’un mot sur chacun des objets dont j’ai à vous entretenir, afin de laisser plus de latitude à vos réflexions et à votre méditation sur les moyens que je proposerai pour remèdes, après avoir indiqué les inconvénients et les dangers. Le commerce n’existe plus, parce qu’il manque des objets nécessaires à son aliment; il a d’ailleurs été étonné, comprimé, vexé par l’abus qu’on a fait des réquisitions, et par la guerre ouverte qu’on lui a déclarée, en signalant trop généralement tous les commerçants et tous les fabricants comme des ennemis de la République, et ne protégeant pas assez ceux qui en étaient les amis. De là ce découragement qui a détruit les opérations commerciales et rompu cette chaîne féconde en échanges et en produits d’objets de manipulation et de fabrication, qui fournissait continuellement aux besoins et à la consommation de la République, en même temps qu’elle servait à solder nos retours avec l’étranger. Dès lors chacun a retiré ses fonds. Le crédit et la confiance ont disparu, et on s’est occupé partout à créer de nouveaux établissements qui n’ont rien produit encore, et qui ont fini de ruiner, par l’emploi des bras et des matières premières, les anciens établissements auxquels il aurait fallu donner de l’extension et de la vigueur. L’agriculture qui a été si florissante l’année dernière, et qui a si généreusement récompensé les cultivateurs des soins qu’ils s’étaient don- 64 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE nés pour lui ravir ses trésors, semble être paralysée dans plusieurs contrées par la privation des secours dont elle a besoin pour ses labours, ses transports, et pour perfectionner tous les moyens de richesse et d’abondance. Les subsistances. On sait que presque partout elles sont abondantes, et cependant à voir la disette journalière et l’inquiétude de quelques communes, de quelques districts, on dirait qu’elles sont à la veille de manquer; d’où cela vient-il? C’est encore du système mal entendu des réquisitions, du défaut d’ordre et d’intelligence dans leur application; j’en accuse plus particulièrement encore le règne oppresseur de ces violences et de ces mouvements liberticides, qui n’ont été provoqués par quelques hommes virulents, imposteurs ou égarés par leurs passions, que pour faire accuser les législateurs et les lois, et qui, dans le délire de leurs criminels desseins, ont dénaturé les véritables principes du gouvernement, pour le faire haïr, ou pour induire en erreur les hommes purs qui étaient associés à leurs travaux. C’est ce système destructeur qui a désolé quelquefois plusieurs contrées de la République, qui a isolé tous les hommes, qui les a contraints à être plus égoïstes et plus froids qu’ils n’étaient disposés à l’être, qui les a forcés à être méfiants et timides, et à rompre toutes les relations habituelles et nécessaires qu’ils avaient entre eux pour se procurer leurs besoins. C’est encore ce système odieux, qui n’aurait dû comprimer que l’aristocratie et la perversité, qui a éloigné tous les habitants des campagnes des grandes communes où ils portaient le produit de leur économie et de leur industrie, en échange des objets qu’ils ne peuvent se procurer chez eux. On a repoussé leurs présents par la manière dont on les a reçus ; on les a pour ainsi dire expulsés des villes, et ils se sont retirés sous leurs chaumières pour y vivre ignorés et tranquilles, et pour adresser des vœux aux dieux protecteurs de la liberté, pour la gloire de la République, et pour le triomphe de nos armées qui sont remplies de leurs fils et de leurs frères. La consommation des subsistances. C’est là l’objet qu’il faut particulièrement surveiller, car depuis la récolte cette consommation excède d’un tiers au moins la consommation ordinaire. Mais cet inconvénient tient à des circonstances et à des causes qu’il a été impossible d’éviter, quoiqu’on ait pu les prévoir. D’une part, le défaut de farines anciennes et le manque absolu de vieux grains dans plusieurs départements ont forcé de battre les blés au fur et à mesure qu’on les moissonnait, ce qui a occasionné une perte prodigieuse dans le produit de la farine et dans la manipulation du pain. D’autre part, la longue sécheresse que nous avons éprouvée et la baisse extraordinaire des eaux qui en a été la suite, ont empêché plusieurs moulins de moudre, et ceux qui ont continué à travailler ont à peine suffi aux besoins journaliers, de manière que chaque famille a été forcée de consommer sa mouture en sortant de la meule ; ce qui fait que le pain est moins abondant, qu’il est de mauvaise qualité, de difficile digestion, et que conséquemment on en gâte beaucoup. Cet abus est plus sérieux qu’on ne le pense peut-être, et mérite plus qu’on ne le croit l’attention et la surveillance du gouvernement. Les transports par terre. Ces transports, si nécessaires et si précieux dans les moments actuels pour les approvisionnements du commerce, des manufactures, des ateliers, des arsenaux de construction, des armées de terre et de mer de la République, deviennent de plus en plus difficiles et insuffisants, soit parce que plusieurs routes et chemins de traverse sont devenus impraticables, soit parce que les chevaux et bœufs de trait sont devenus rares par la consommation et par les pertes qu’on a faites, d’abord par les marches forcées et cependant nécessaires, par la mauvaise nourriture, souvent aussi par le défaut de ration suffisante, et ensuite par le peu de soin qu’on a eu des chevaux dans les differents dépôts, et enfin par l’acquisition ou la réquisition qu’on a faites des chevaux neufs à un âge où ils n’étaient point assez forts pour soutenir les travaux et les fatigues de la guerre : j’ajouterai qu’à l’imitation du perfide Narbonne on a continué à dépeupler les haras, et que dans plusieurs départements on n’a pas même excepté de la réquisition ou de l’acquisition les juments poulinières, qui étaient l’espérance de l’agriculture et de la guerre. Les transports sont encore devenus difficiles et dispendieux, parce qu’on n’a pas pourvu aux moyens de rendre les retours utiles, et que dans beaucoup d’endroits on a vu les voituriers aller ou s’en retourner à vide, ce qui est une grande faute dans l’économie et dans l’organisation des transports du commerce, de l’agriculture et de la guerre. Les transports par eau ou la navigation intérieure de la République. La navigation intérieure de la République était paralysée par les réquisitions que la marine avait faites de tous les matelots et charpentiers constructeurs de fleuves et canaux navigables, et par la disette des bateaux de transport. Mais le comité de Salut public a, par un arrêté qu’il a pris dans la décade dernière, pourvu aux moyens d’entretenir le service extraordinaire de la navigation des fleuves et des canaux, de l’augmenter même, et de rendre l’arrivage des denrées, marchandises et matières premières plus assuré, en multipliant les bateaux de transport, et en en facilitant la construction par les mesures qu’il a prises. Il ne s’agira donc plus que d’en surveiller l’exécution, et de faire en sorte que les transports par eau remplacent, autant qu’il sera possible, les transports par terre. Tel est, citoyens, l’état des diverses parties d’administration dont je viens de vous entretenir. Il n’y a pas un moment à perdre, si vous voulez éviter les malheurs dont la République est menacée par toutes les causes que j’ai désignées, et dont les résultats seraient la source féconde de la misère publique et de tous les fléaux qu’elle amène à sa suite. Cinq années d’une révolution orageuse autant que sublime ont coûté au peuple des sacrifices assez nombreux pour qu’il ne doive pas être exposé à en faire de nouveaux. Il faut le rassurer sur ses besoins; il faut conserver sa SÉANCE DU 4 VENDÉMIAIRE AN III (25 SEPTEMBRE 1794) - N° 62 65 gloire et sa liberté, en jetant les fondements de son bonheur, et en lui préparant la jouissance tranquille et paisible de tous les objets de première nécessité, car le peuple vertueux n’a pas besoin de superfluités. Les moyens de faire et d’agir sont entre vos mains, et la République possède encore des ressources assez nombreuses pour réparer les pertes et reproduire l’abondance de tous les objets dont la disette se fait sentir depuis quelque temps. Ramenez la confiance et la paix intérieure par des lois protectrices des bons, et répressives contre les méchants. Eteignez les flambeaux de la haine entre les mains des citoyens qui sont ou divisés ou exaspérés, en leur donnant l’exemple de la réunion et du silence que tout républicain doit imposer à ses passions, dans les grands dangers de la patrie, et surtout lorsque de grands attentats sont médités contre elle et contre la représentation nationale, par les tyrans que nos armées ont vaincus, et par les restes impurs de l’aristocratie et du royalisme. Qu’une seule passion, seule légitime et seule digne de vous, embrase vos cœurs et dirige vos actions, l’amour de la patrie et de la liberté!... Traduisons dans une adresse moins éloquente qu’instructive et fraternelle les principes qui doivent consacrer l’union sincère de tous les vrais républicains : instruisons le peuple des événements passés et de l’objet de vos méditations actuelles : empêchons surtout que les patriotes ne se divisent et ne s’entre-accusent des faits qui ont amené la révolution au port. Excusons les erreurs patriotiques, et ne traitons pas légèrement de crimes les fautes qui ont été commises par ceux qui ont frayé les routes difficiles et aspères du gouvernement révolutionnaire. Que les patriotes respirent en paix et jouissent enfin du fruit de leurs travaux, ou plutôt qu’ils continuent à veiller pour le salut de la patrie ; ce sont eux qui ont amené le règne de la justice, parce qu’elle est dans leurs cœurs; mais ce sont eux aussi qui veulent que la terreur et la justice pèsent sans cesse sur les fripons, sur les scélérats et sur les contre-révolutionnaires, car ce ne sont pas là les hommes que nous prétendons excuser. Oui, citoyens, il faut exprimer ces pensées dans l’adresse que vous ferez au peuple, pour terminer ces querelles et ces dissensions qui troublent la tranquillité publique, qui altèrent la confiance et qui préparent des mouvements sourds, dont l’explosion ne pourrait qu’être funeste à la patrie et à la liberté. Il faut effacer jusqu’à la trace de ces inquiétudes qui alarment et qui paralysent les travaux de tous les citoyens qui s’occupent du gouvernement et de l’administration; inquiétudes funestes qui s’étendent peut-être jusque dans nos armées. Vous n’ignorez cependant pas que celui qui combat, et que celui qui administre, remplit mal sa tâche lorsqu’il est forcé d’avoir deux pensées à la fois. Qu’importe que quelques individus, trompés, malveillants, séduits ou vendus à nos ennemis, cherchent à agiter quelques sections de la République, ou à diviser les sociétés populaires? Ils ne réussiront pas dans les attentats liberti-cides qu’ils méditent, si la voix de la première magistrature se fait entendre assez promptement pour que le peuple soit instruit et prémuni contre les pièges qu’on cherche à lui tendre. Lorsque vous aurez pris cette mesure qui est nécessaire, et que le salut public commande pour assurer l’union de tous les patriotes, et préparer le retour à l’ordre et à la confiance publique, vous serez assurés que les moyens que vous aurez pris pour ranimer le commerce et l’industrie, soutenir l’agriculture, rassurer les approvisionnements, et faire renaître l’abondance de tous les objets nécessaires à la vie, seront puissamment secondés par la commune bienveillance. On vous a déjà indiqué quelques vues utiles dans les différents rapports qui vous ont été faits sur la situation du gouvernement, et ceux qui m’ont précédé à cette tribune vous ont donné sur ces objets des détails plus précis et plus satisfaisants que ceux que j’aurais pu vous donner moi-même. Mais je ne vois pas qu’on vous ait proposé aucun projet de décret qui puisse remplir les grands objets que vous devez embrasser, si vous voulez sonder également toutes les plaies de la République, pour appliquer en même temps à chacune d’elles le remède qui peut lui être convenable. Le travail préparatoire et indispensable pour procéder à cette vaste opération est, à mon avis, le compte que vous devez vous faire rendre de la situation particulière de chaque partie d’administration confiée à vos douze commissions exécutives ; car c’est par la connaissance exacte de tout le travail qu’elles ont fait, de celui qu’elles ont préparé; c’est par l’examen que vous ferez du système de leur organisation, de la théorie de leurs mouvements, de l’emploi de leurs ressources, de leur direction particulière dans le service général, de la relation plus ou moins étendùe qu’elles ont entre elles, de la nature et de l’espèce des moyens d’exécution qui leur ont été accordés par le gouvernement, ainsi que de l’usage qu’elles en ont fait, que vous pourrez juger de la véritable situation des affaires publiques. C’est par l’attention que vous mettrez à bien saisir tous les détails de l’administration que vous réussirez à en préciser la marche et l’action; c’est par elle encore que vous reconnaîtrez les fautes qui ont été commises, soit par erreur, soit par inexpérience, soit par les froissements invincibles que telle ou telle commission a souvent éprouvés par le vice même de son organisation : vous verrez alors combien il est instant de réparer graduellement tout le mal qui peut avoir été fait, et d’user sobrement de toutes nos ressources alimentaires, commerciales et industrielles, afin de conserver soigneusement le levain destiné à les reproduire. Lorsque vous aurez acquis ces connaissances, vous vous convaincrez aisément que c’est l’isolement dans lequel on a maintenu chaque commission qui a opéré une partie des maux dont nous nous plaignons; chacune d’elles ayant le droit de requérir les hommes et les choses, et 66 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE aucune d’elles ne se concertant pour les réquisitions, leurs agents respectifs ont opéré sans ordre, sans mesure et sans intelligence, de manière que différents objets ont été requis par plusieurs commissions à la fois ; d’où il est souvent résulté l’embarras, l’inquiétude, la ruine et le découragement des propriétaires, colons, manufacturiers ou fabricants, et souvent aussi la perte, l’avarie ou la dissipation des matières mises en réquisition. Je pourrais citer des exemples, mais je crois inutile de retracer sans cesse l’image douloureuse et attristante des abus et des fautes qui ont été commises, puisque vous vous occupez des moyens de les réparer. J’insisterai cependant à vous rappeler sans cesse les motifs qui doivent exciter vos réflexions sur les vices de l’organisation de vos commissions exécutives, et particulièrement sur l’isolement dans lequel elles se trouvent les unes à l’égard des autres. Nous savons tous que, lorsque le plan de leur organisation fut présenté à la Convention, on était loin de redouter les projets désastreux et liberticides des derniers conspirateurs; mais, d’après la funeste et malheureuse expérience que nous avons faite de leur hypocrisie et de leur fureur, il doit être suffisamment démontré que les conspirateurs avaient accommodé à leur système contre-révolutionnaire l’essai de ce plan d’administration, qui n’avait été proposé dans le temps que dans des vues d’utilité générale, et parce qu’il fallait effectuer la réforme de l’ancien conseil exécutif; et cependant on peut dire encore qu’avant l’époque mémorable où vos comités ont été chargés de la surveillance des douze commissions, plusieurs d’entre elles étaient passivement exécutives sous la volonté audacieuse et entreprenante des conspirateurs, et qu’elles ressemblaient à douze chartreuses, dont ils avaient essayé de ravir la clef pour en enlever les trésors. Si, au lieu d’une organisation aussi impolitique qu’elle pouvait devenir désastreuse et funeste à la liberté, les commissions eussent eu des relations entre elles, sous l’inspection immédiate des comités qui auraient dû toujours être chargés de leur surveillance, pensez-vous que nous fussions arrivés jusqu’ici sans avoir remédié à l’abus qu’on a fait des réquisitions; sans que ces commissions eussent proposé des mesures pour assurer les approvisionnements, utiliser, économiser les transports par terre et par eau, rétablir les grandes routes et chemins vicinaux, procurer à l’agriculture les secours qu’elle réclame, au commerce et à l’industrie leur ancienne utilité et leur énergie naturelle, soit en créant des maisons ou banques nationales dans toutes les communes de la République, où elles auraient été jugées utiles, soit en indiquant les instants propices pour faire venir de l’étranger les matières premières et autres objets qui nous manquent, etc. ? Je pense, moi, que, si le concours des lumières, des talents et de l’expérience avait été mis en action pour diriger le mouvement et l’impulsion du gouvernement, nous serions beaucoup plus avancés que nous ne le sommes, et nous aurions beaucoup moins de maux à réparer. C’est aussi pourquoi je baserai sur ces principes le décret que je proposerai à la fin de ce discours. Citoyens, vous êtes avertis des dangers et des maux qui menacent la République ; vous ne souffrirez pas qu’ils se réalisent, et que des mouvements convulsifs, nés des besoins du peuple et de son inquiétude, exposent la liberté, qui est son ouvrage et le prix de ses vertus. Vous ne souffrirez pas que la victoire rétrograde sur nos frontières, parce que vous maintiendrez la paix dans l’intérieur, et que vous empêcherez que nos ennemis ne profitent de nos divisions. Vous ajournerez toute querelle particulière, jusqu’à ce que vous ayez consolidé le gouvernement et que vous ayez pourvu aux grands objets d’administration dont je vous ai révélé les fautes et les abus. Ne dormons pas, citoyens, tant que nous ne serons pas assurés que le commerce et l’industrie ont recouvré leur activité ; que l’agriculture est florissante, que les subsistances sont bien réparties et bien administrées; que les transports par terre et par eau sont assurés, et que tout est préparé pour que l’abondance renaisse dans toute la République : et si quelqu’un de nous s’oubliait au point de vouloir ressusciter les dissensions et les personnalités qui nous ont coûté tant de perte de temps, qu’il retrace les besoins de la patrie, et qu’il lise son mandat impératif dans les vertus du peuple et sur le sol arrosé de son sang et de ses sueurs. Eh quoi, il n’est pas un coin de la terre célèbre de la Grèce et de Rome qui ne soit honoré par les cendres d’un héros ou d’un sage; et nous, nous ne serions pas dignes de nous élever aux vertus des hommes illustres qui ont honoré ce beau siècle de la liberté et de la philosophie ! Les soldats de la République ont effacé les héros de la Grèce et de Rome, leur tâche est remplie, et l’immortalité s’assied déjà sur la tombe de ceux qui ont glorieusement péri dans les combats. Il nous reste, à nous, à compléter nos travaux, et à marier la palme civique aux lauriers de ceux de nos frères que la victoire a couronnés. Embrasons-nous donc des passions sublimes qui les ont fait vaincre ou périr avec gloire ; que leur dévoûment et leur noble désintéressement nous servent d’exemple; faisons le sacrifice de tout ce qui nous est personnel; rivalisons en grandeur d’âme et en courage ces magistrats illustres et ces sages que nous avons pris pour modèles, et que les vociférations de la calomnie, que les sifflements de l’envie et les rugissements de l’ambition et de l’aristocratie soient étouffés par nos chants de victoire et par le spectacle touchant et consolateur de la paix intérieure et de la félicité publique! Voici le projet de décret : Art. 1er. - Les commissions exécutives se réuniront sous trois jours à une commission de douze membres nommés par les comités chargés de leur surveillance, pour faire, avec cette commission, le tableau de toutes les ressources