[17 janvier 1791 [ (Assemblée nationale.] AllCiiiVüS PARLEMENTAIRES. l’on se borne à en conclure que la déposition, détruite par le débat, n’est plus rien. Mais on pose un principe vide de sens, si l’on applique cette maxime, que le débat seul sert à la conviction , au cas où le débat, loin d’avoir détruit la déposition, lui a donné une grande force. Il est évident alors qui c’est la déposition même qui devient la base de la conviction, que le débat n’en est que le supplément accessoire. Si les dépositions elles-mêmes deviennent en ce cas l’unique fondement de la conviction, s’il est indubitable que le juge a encore le droit et le devoir de la poser et de la débattre lui-même , on ne peut point dire qu’il soit inutile de la lui présenter; il faut même avouer que cela devient nécessaire toutes les fois que les dépositions sont en grand nombre, et portent sur des faits compliqués et qui reçoivent des applications différentes à plusieurs coaccusés. Mais, a-t-on dit encore (et c’est par cette dernière objection que je termine), vous allez ouvrir une source de débats, de discussions et d’incertitudes entre les jurés; il faudra donc un rapporteur : voilà une séance de Tournelle. Ma réponse est simple : à moins que vous ne vouliez restreindre l’opinion des jurés à un oui, ou à un non sec, ou les faire délibérer avec des fèves, comme vous l’avait proposé le docteur anglais Bentham, il faut que vous supposiez aux jurés la liberté d’opinions raisonnées, et que celui qui veut défendre l’innocence puisse essayer de convaincre celui qui croit pouvoir le condamner. Dès lors, voilà un débat établi entre les jurés; il portera sur la valeur et le sens de telle déposition, non détruite par le débat; convenez que ce débat deviendra infiniment plus dangereux et plus interminable, si les jurés ne peuvent pas avoir un point de ralliement dans la faculté qu’ils auront de consulter la déposition qui aura donné lieu à cette division. Il ne faut point de rapporteur, car le rapport existe dans le résumé qu’a fait le juge; il ne faut que des pièces sur le bureau pour y avoir un recours au besoin. En un mot, cette communication, que je désire, n’est qu’un secours de plus accordé aux jurés, qui n’aura lieu que quand l’importance et la complication de l’affaire forcera les jurés à le demander; ii serait, selon moi, barbare de leur refuser un secours qu’ils croiraient nécessaire pour la tranquillité de leur conscience. Vous avez voulu, par ménagement pour la faiblesse humaine, que la fonction des jurés ne fût pas trop pénible. Moi, je vous demande, par la même raison, un secours dont le refus effrayerait leur délicatesse. Un sentiment intérieur suffit pour graver dans l’âme Je résultat de l’examen des témoins et du débat de leurs dépositions, pour fixer l’œil du juge sur ce qui doit arrêter sa conviction; cet instinct ne suffit pas pour appliquer cette conviction à tous les détails qu’une affaire compliquée peut exiger. Conservons la conviction morale dans toute sa pureté; mais n’altérons point cette même conviction morale, et ne la réduisons point à un pur instinct trop dangereux pour la condamnation� et dont l’application ne peut être que rare et très circonspecte pour l’absolution : puisque vous exigez vous-mêmes une rectitude de jugement, n’en rendez pas l’usage impossible. Je crois avoir démontré que la communication des dépositions et du procès-verbal relatif au 303 débat est utile, qu’elle sera même souvent nécessaire; qu’elle est absolument sans danger. Le décret, que je vais prendre la liberté de vous présenter vous offrira d’ailleurs, à ce que je crois, une garantie infaillible contre le retour du prétendu système des preuves légales. PROJET DE DÉCRET DU COMITÉ, Amendé. Art. 1er. Les dépositions des témoins seront faites et reçues par écrit, savoir : devant les officiers de police, pour ceux des témoins qui y seront produits ; et devant le directeur du jury d’accusation, pour les témoins qui, n’ayant pas comparu devant l’officier de police, seront présentés d’abord au jury d’accusation. Lois de la convocation du jury d’accusation, les témoins entendus devant les officiers de police, ou devant le directeur du jury, comparaîtront en personne; lecture leur sera faite de leurs dépositions, et ils seront interpellés de déclarer s’ils reconnaissent que leurs dépositions ont été exactement rédigées, et de signer le procès-verbal, lequel fera mention de leur réponse. Art. 2. Les nouveaux témoins, que l’accusateur voudra produire encore devant le jury de jugement, ainsi que les témoins de l’accusé, seront entendus d’abord, et leurs dépositions seront écrites devant le juge, ou l’un des juges du tribunal criminel. A l’ouverture de la séance des jurés, ces dépositions seront relues aux témoins qui les auront faites ; iis seront interpellés de déclarer s’ils reconnaissent que leurs dépositions ont été exactement rédigées, et de signer le procès-verbal, lequel fera mention de leur réponse. Art. 3. À l’ouverture de la séance des jurés, il sera fait une lecture publique de toutes les dépositions faites, tant par les témoins de l’accusateur, que par ceux de l’accusé; il sera ensuite procédé à l’examen des témoins et au débat, lesquels seront faits de vive voix, et sans écrit, devant le jury; pourront néanmoins, l’accusateur et l’accusé, ou leurs conseils, après l’examen et le débat finis, requérir qu’il soit dressé procès-verbal, d’après l’indication qu’ils en feront, des faits, aveux, déclarations qu’ils prétendront être résultés de l’examen et des débats, et dont iis prétendront tirer avantage. Art. 4. Pourront les jurés, retirés dans leur chambre, requérir le juge, lorsqu’ils le croiront nécessaire, de leur donner communication des dépositions écrites et du procès-verbal qui aura pu être rédigé d’après la réquisition de l’accusé ou de l’accusateur. Art. 5. Le juge, après le résumé de l’état du procès, et en invitant les jurés à se retirer dans leur chambre, les avertira que la loi ne leur a prescrit et ne pouvait leur prescrire aucune règle de conviction, et qu’elle leur laisse l’entière liberté de ne suivre que leur conscience. (L’Assemblée ordonne l’impression de ce discours et du projet de décret.) M. Mérigeaux demande et obtient un congé de deux mois. M. le Président. Conformément à votre décret du 25 de ce mois, je vais vous donner connaissance de l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée pour la semaine qui s’ouvre.