SÉANCE DU 25 FRUCTIDOR AN II (11 SEPTEMBRE 1794) - N° 50 91 en cette occasion l’élite de leur troupe, tous chasseurs et grenadiers. Le général de brigade Syme, qui comxnandoit en chef, fut blessé. Le général de brigade Gown, qui commandoit la colonne, le capitaine de vaisseau Robertson, qui commandoit cinq cents matelots, furent tués avec trente-un officiers. L’ennemi évalue sa perte à 860 hommes; nous, nous ne pouvons l’estimer; mais nous avons resté deux jours à les enterrer, et il y en a plus de deux cents qui sont restés dans les bois sans sépulture. Dans la nuit du 14 au 15, après avoir essuyé ce terrible échec, ils résolurent d’attaquer Fleur-d’Epée; ils firent pleuvoir plus que jamais des bombes et des boulets; nous tuèrent et blessèrent beaucoup de monde; mais nos intrépides républicains, bravant les fureurs de l’ennemi, ne laissèrent pas un instant déborder les remparts de ce poste important. Ils n’osèrent tenter l’assaut. Sur les deux heures du matin, nous leur fîmes donner un avis qui les frappa de terreur : ils cessèrent leur feu et se mirent à fuir en désordre au Gozier. Ils traînèrent avec eux leur artillerie. Ils nous abandonnèrent tous leurs effets, équipages et munitions de guerre et de bouche, que nous avons eu peine à ramasser en trois jours. Nous étions trop foibles pour aller les attaquer au Gozier. Le 17 et le 18, ils s’embarquèrent avec tous les aristocrates et quantité de richesses qu’ils emportèrent. Enfin nous nous sommes rendus maîtres une seconde fois de la Grande-Terre. Le pavillon tricolor et les municipalités y sont établis par-tout. J’ai le plus grand plaisir, Citoyens, à vous rendre compte de ce nouveau triomphe de la République sur ses ennemis, parce que cette action est décisive pour la colonie, et qu’elle assure au moins le salut de la partie que nous avons reconquise. Je vous apprends avec plaisir qu’il n’est pas jusqu’aux citoyens noirs, nos nouveaux frères, qui n’aient montré dans cette occasion ce que peut l’esprit de la liberté, puisque d’ hommes naguère abrutis par l’esclavage, elle a fait des héros; c’est la justice que je dois rendre à quelques-uns d’entr’eux. J’ai cru devoir consacrer la mémoire de cet évènement en changeant le nom de la Pointe-à-Pitre en celui de Port de la Liberté, Isle Guadeloupe, parce que c’est en effet le premier port où nous avons apporté à nos frères ce grand bienfait de la Convention nationale. J’ai aussi changé le nom du Fort du Gouvernement en celui de Fort de la Victoire, bien mérité et bien acquis dans la célèbre journée du 14. J’ai fait aussi une adresse aux républicains mes frères d’armes. Les expressions m’ont manqué pour leur dire tout ce que je sentois pour eux, ce qui m’a obligé d’en emprunter quelques-unes. Je ne cesserai de faire leur éloge, parce qu’on n’a jamais vu de pareils hommes. C’est la réunion de toutes les vertus. Le désintéressement et la bravoure sont les moindres chez eux. Je suis forcé de les quereller pour leur faire accepter leurs besoins et les engager au repos; et toutes les fois qu’il faut donner une place, c’est une nouvelle querelle. Chacun est bien comme il est et ne désire pas davantage. Je ne puis que me féliciter d’avoir affaire à de pareils hommes; soldats, matelots, officiers, enfin toute l’expédition venue d’Europe. Nous vivons en frères; rien n’a encore troublé cette harmonie : mais il n’en est pas de même de la majorité des habitans de ce pays. Habitués à prendre les hommes pour les choses, ils se disent patriotes, lorsqu’ils sacrifiroient tout pour leurs intérêts particuliers. Heureusement le nombre est petit et sera facile à dompter : mais il me donne bien de la tracasserie. Signé, Victor Hugues. Après la lecture de ces nouvelles, Bréard observe que de jeunes mousses à peine âgés de 10 à 11 ans, ont monté à l’assault à côté de leurs frères d’armes : deux d’entr’eux ont été blessés, un troisième a été tué. [La lecture [de cette lettre] a été souvent interrompue par les applaudis semens les plus vifs de l’Assemblée et des citoyens présens ; elle sera insérée au bulletin. MONMAYOU : Vous devez aux citoyens courageux qui ont traversé les mers pour aller conquérir les possessions françaises en Amérique, la même marque de reconnoissance que vous avez donnée tant de fois à vos armées de terre; je demande que vous déclariez que les troupes qui ont reconquis la Guadeloupe ont bien mérité de la patrie, et que ce décret soit transmis aux autres armées par des courriers extraordinaires. Cette proposition est décrétée et applaudie.] (109) DÉCRET La Convention nationale décrète que les citoyens qui ont reconquis une partie de la Guadeloupe et repoussé les ennemis ont bien mérité de la patrie. Décrète en outre, qu’elle confirme la dénomination donnée par le général Victor Hugues, de Port-la-Liberté au port de la Pointe-à-Pitre, et celle de Fort-de-la-Victoire, au fort du Gouvernement, que les lettres du général seront insérées au bulletin (110). 50 COLLOT D’HERBOIS obtient la parole (111). Citoyens, dit-il, quand il vous arrive des témoignages aussi multipliés que, dans tous les coins de la République, il y a des pi-(109) Débats, n° 721, 420-421. (110) La presse joint les textes de deux décrets. Voir ci-dessus n° 15. (111) Débats, n°721, 415-419. La presse situe ce débat après les adresses de Grenoble. Moniteur, XXI, 733-735; J. Paris, n° 620; J. Univ., n° 1752 et n° 1755; J. Mont., n° 135; Ann. R. F., n° 284; Ann. Patr., n° 619; J. Periet, n° 719; Rép., n° 266; C. Eg., n° 754; M. U., XLIII, 411; F. de la Républ., n° 432; Mess. Soir, n° 754; Gazette Fr., n° 985; J. Fr., n° 717.