[Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Il juin 1791.] ]33 d’une entreprise dont on s’est occupé plusieurs fois déjà, parce quelle est évidemment liée à l’intérêt général, et que la pénurie des finances et les vices de l’ancien régime ont toujours forcé d’abandonner. M. le Président annonce qu’il n’y aura pas de séance demain à cause de la solennité du jour (La Pentecôte) et annonce l’ordre du jour de la prochaine séance pour lundi onze heures du matin. La séance est levée à quatre heures. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU SAMEDI 11 JUIN 1791, AU MATIN. Opinion de M. de Cazalès, sur le serment exigé des officiers de l’armée (1). Messieurs, Le rapport que vous venez d’enlendre a trompé l’espoir de ceux qui en demandaient la lecture avec tant d’empressement : on n’y trouve aucun indice des liaisons des officiers de l’armée française avec les prétendus ennemis de l’Etat ; et de toutes les accusations calomnieuses qu’on avait osé porter contre des hommes aussi distingués parleur probité que par leur courage, il ne reste plus que la honte de leurs accusateurs. 11 importe essentiellement à la chose publique d’ensevelir dans un profond oubli la motion insensée du licenciement des officiers de l’armée. Je sacrifie à ce grand intérêt la juste indignation que je ne cesserai de ressentir, de l’infâme diatribe qu’on a osé se permettre contre mes compagnons d’armes, et vais me contenter de discuter la proposition qui vous est faite par vos comités. L’armée française a juré d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi ; l’armée française a juré de défendre la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et sanctionnée par le roi ; quelle force un serment individuel peut-il ajouter à ce serment collectif et général? Pensez-vous que des hommes nourris dans la pratique constante des principes les plus sévères de l’honneur français, que des hommes sortis presque tous de l'ordre de la noblesse, de cette noblesse dont, au dire de Montesquieu, l’honneur est l’enfant et le père, ne sachent pas qu’un engagement pris par l’armée est obligatoire pour tous ceux qui la composent, à moins qu’ils n’aient formellement Êrononcé leur exception, à moins qu’ils n’aient autement protesté contre un serment obtenu sans leur aveu ? Avez-vous pu croire que des hommes dont l’honneur et la délicatesse ont, dans tous les temps, formé le caractère distinctif, ne soient pas aussi liés par un engagement verbal que par un engagement écrit ? Certes, s’il était parmi eux quelques individus capables d’employer de vils subterfuges pour colorer le manquement de leur foi (bassesse dont personne, dans cette Assemblée, dont personne, dans l’Europe entière, n’a le droit de les soupçonner et que semblentsupposer les nouvelles précautions qu’on (1) Cette opinion n’a pu être terminée en séance, la arole ayant été retirée à M. de Cazalès par l’Assem-lée. vous propose d’exiger d’eux), de tels hommes seraient-ils retenus par de nouveaux serments? La force du serment est dans l’opinion ; le multiplier, c’est l’avilir; douter de son effet, c’est le détruire. Ceux-là connaissent bien mal les sentiments des officiers de l’armée, de celte précieuse élite de la nation française, qui osent les soupçonner d’une telle infamie, et sans doute que cVst dans la bassesse de leur propre cœur qu’ils ont pris une semblable pensée. Ah ! qu’ils soient bien certains que si jamais les officiers de l’armée française étaient obligés de s’armer contre cette Constitution, devenue trop oppressive ; s’ils étaient forcés de détruire celte Constitution qu’ils ont juré de défendre, ils lui feraient une guerre ouverte et franche, ils commenceraient à rétracter hautement leur serment, et à abdiquer les charges qui leur ont été confiées. G’est au moment où vous êtes environnés de mécontents ; c’est au moment où vos ennemis se multiplient dans la proportion la plus effrayante ; c’est au moment où le désordre de nos finances vous menace des plus grands malheurs; c’est au moment où il n’est qu’un seul moyen de sauver l’Etat (celui de réunir, s’il est possible tous les Français dans la même opinion); c’est au moment où il est de votre devoir, où il est de votre intérêt de tout faire, de lout sacrifier pour parvenir à un but si désirable, qu’on vous propose d’éloigner à jamais de vous, par des procédés indécents, par cette méfiance injurieuse qui fait naître les dangers qu’elle croit prévenir, cette classe puissante et nombreuse de citoyens déjà trop ulcérée, et auxquels tous les officiers de l’armée sont attachés par les liens du sang et d’un intérêt commun ; c’est le jour même où la motion insensée de licencier tous les officiers de l’armée a été faite dans cette Assemblée, qu’on vous propose de décréter ce nouveau serment, ce serment qui aurait l’air d’être la suite de cette scandaleuse motion. Les ennemis de la chose publique ne manqueront pas de publier et l’armée française croira que l’Assemblée nationale, n’osant pas prononcer le licenciement de tous les officiers de l’armée, marche au même but par une voie tortueuse et détournée ; qu’elle cherche à engager tous les officiers de l’armée à quitter leur état en leur marquant une méfiance injurieuse, en les rendant l’objet de tracasseries de toute espèce; et, il faut en convenir, cette opinion acquerrait un grand degré de vraisemblance par la comparaison de ce que vous exigez des officiers qui resteront attachés au service, et des avantages que vous offrez à ceux qui accepteront leur retraite. Certes, nous serions trop à plaindre si les auteurs de ces dangereux conseils parvenaient à remplir leurs coupables projets, s’ils oarvenaient à extraire de l’armée françdse 10,000 officiers qui en sont l’ame, 10,000 officiers qui en forment le lien. Cetie masse ai mi désorganisée, également incapable de courage et de discipline, deviendrait une véritable calamité publique ; vos frontières seraient livrées sans défense aux at; taques de vos ennemis, les propriétés des citoyens ravagées par ceux-là mêmes qui furent armés pour les défendre, et tout l’empire au pillage d’une soldatesque effrénée. Ils ne rempliront pas leur perfide dessein, ceux qui veulent opérer la dissolution de l’armée française, de cette armée qui oppose un obstacle invincible au morcellement projeté du royaume ; de cette armée qui est la seule puis- 134 [Assemblée nationale.] sance, la seule force qui puisse tenir ensemble les membres épars de ce vaste Empire; de cette armée qui est la défense certaine, qui est la seule et dernière ressource de cette autorité royale que, dans leur coupable délire, ils ont juré d’anéantir. Je connais trou la vertu ; je connais trop le patriotisme des officiers de l’armée française, pour douter un instant qu’ils ne mettent leur gloire à ne pas désespérer de la chose publique; qu’ils mettront leur honneur à ne pas abandonner un poste qu’on environne de désagréments et de dangers. Comme des fils bien tendres, ils ne quitteront pas le lit de douleur de leur mère en délire ; ils en souffriront l’insulte et l’outrage ; ils en souffriront ju-qu’à cette méfiance insupportable en tout autre temps, dans l’espoir de prévenir ou de diminuer les maux que sa folie lui prépare. Tels doivent être les sentiments vraiment généreux de la grande majorité des officiers de l’armée française; mais il suffit que le nouveau serment qu’on vous propose d’exiger d’eux, ce serment dans lequel on semble avoir réuni à dessein les formules le� plus déplaisantes, puisse faire quitter son état à un seul de ces hommes que vous ne remplacerez jamais, ni dans leur courage, ni dans leur probiié, ni dans la constante affection de leurs soldats, pour qu’il soit de mon devoir, pour qu’il soit du devoir de tous les bons Français d’employer tous leurs moyens, de réunir tous leurs efforts pour s’opposer à l’adoption d’un serment inutile et dangereux. Je bais les sermen s, leur moindre inconvénient est d’être inutiles; ils sont bien plus funestes quand ils produisent l’effet qu’on en attend; ils enchaînent la volonté de l’homme de bien, et donnent aux méchants de nouvelles armes pour tromper et pour nuire. Dans tous les temps, dans tous les pays, les serments ont été le caractère distinctif de la ligue et de la faction; rarement l’autorité légitime s’en est-elle servie; jamais ils ne sont nécessaires, quand cette autorité est fondée sur sa véritable base (l’amour et le bonheur du peuple). Qu’est-il besoin de faire jurer l’exécution de la loi, quand la loi rtnd heureux les peuples qu’elle régit? C’est par les serments qu’on se lie au crime, la vertu les dédaigne : s’avisa-t-on jamais de faire jurer o’être bon, honnête et vertueux? Ne sait-on pas que ce serment est prêté d’avance dans le cœur de tout homme de bien, et que de vaines formules ne font pas naître la vertu dans l’âme d’un scélérat ? C’est par des serments que la tyrannie croit enchaîner à sa destinée ses instruments et ses victimes. Insensés! Ils osent invoquer la religion et l’honneur, quand la religion et l’honneur les condamnent. Ils veulent se servir de ce ressort puissant de la religion et de l’honueur après avoir tant fait pour rendre ridicules, pour faire tomber en mépris ces noms sacrés de religion et d’honneur? Je no puis trop m’étonner que sous un régime que vous prêt, ncb-z être celui de la liberté, les serments aient été multipliés au point où ils Tout été; prêtres, soldats, magistrats, citoyens, tout a juré : on a exigé de tous le serment de maintenir la Constitution, et vous n’êtes pas contents, et vous demandez encore des serments particuliers aux ol liciers de l’armée. Toutes ces vaines précautions ne font que trahir la juste méfiance que vous avez vous-mêmes de la sagesse de votre institution : si vos lois sont fondées sur la justice et la raison, [H juin 1791. J qu’ont-elles besoin de serment pour être exécutées et maintenues? Mais si vous avez oublié que la justice et la sagesse sont les seuls garants de la durée des institutions humaines, que pourront, pour leur défense, les vaines précautions que vous entassez autour d’elles? Elles succomberont sous le poids de la haine et de l’indignation publique : laissez là de vains serments. Examinez avec une sérieuse attention les lois que vous avez faites; essayez de rectifier votre Constitution; rendez-la, sinon bonne, c’est impossible en laissant subsister les bases sur lesquelles vous l’avez établie, du moins supportable, ou soyez sûrs qu’elle ne tardera pas à s’écrouler, vaincue par cette même opinion publique qui l’a si longtemps soutenue, et qui maintenant l’attaque de toutes paris. Le décret rendu, tous les membres de l’Assemblée nationale qui sont du parti de l’opposition, et qui servent dans l’armée se sont réunis chez moi, et il a été généralement convenu que cette opinion était la leur, qu’elle serait imprimée et envoyée à tous les officiers de l’armée. Signé : DE CAZALÈS. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU SAMEDI 11 JUIN 1791, AU MATIN. Opinion de MM. de Cazalès et de Bouthtlüer, députés à l'Assemblée nationale, sur l'engagement d'honneur exigé des troupes. Nous nous sommes présentés tous les deux à la tribune de l’Assemblée nationale, pour y combattre le nouvel engagement d’honneur, à exiger de l’armée, proposé par 5 comités réunis, comme un moyen propre à faire cesser les désordres qui agitent les troupes depuis si longtemps. Il nous paraissait, à tous les deux, inutile sous tous les rapports, dangereux dans ses résultats et dans ses suites. La parole nous a été refusée. Ce décret a été adopté sans aucune discussion contradictoire. Il est de notre devoir aujourd’hui d’employer tous nos efforts, pour diminuer autant qu’il sera possible les funestes effets qu’il pourrait produire. Plus rapprochés des événements, plus instruits des projets, plus à portée de les calculer, dous sommes convaincus qu’une marche uniforme, suivie, et telle qu’elle nous semble dictée par les circonstances présentes, peut seule empêcher de grands malheurs. Il est important pour le salut de la patrie de déjouer les intentions cachées des ennemis de l’ordre public et de l’armée. Après avoir cherché à égarer l’Assemblée nationale, par la demande du licenciement qui n’a servi que de prétexte à leurs projets, leur but aujourd’hui est d’anéantir toute force publique, en divisant ceux entre les mains desquels elle peut exister encore, ou renaître un jour. Nous devons les dévoiler ces projets perfides; nous devons nous réunir, pour en faire part à nos frères, à .nos compagnons d’armes, devenus plus que jamais chers et respectables à nos cœurs; nous devons les mettre en garde contre les dangers d’une division capable seule de consommer la dissolution entière d’un royaume qu’ils ont si longtemps rendu florissant par leur ARCHIVES PARLEMENTAIRES.