078 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 octobre 1790. M. le Président fait donner lecture : 1° d’une lettré du directoire du département de la Gironde; 2° d’un arrêté de ce même directoire concernant l 'armement de Toulon. a Bordeaux, 2 octobre 1790. « Monsieur le président, nous avons l’honneur de vous adresser l’arrêté que nous avons pris relativement au service de la marine dans ce département. Nous vous prions de le mettre sous les yeux de l’Assemblée nationale. « L’armement de Toulon pouvait manquer, si nous n’avions pas tout sacrifié à cet objet important. Nous avons senti qu’il fallait apprendre aux ennemis de l’Etat que nous pouvions encore développer les plus grandes forces, elles développer avec la plus grande activité. « Sans ce secours, Monsieur le Président, les matelots commandés pour le service auraient été arrêtés dans les routes de nos départements, et auraient pu y commettre de grands désordres. Nous avons regardé comme un devoir de prévenir ce danger. « Ce sera toujours avec le plus grand zèle que nous veillerons sur tous les objets qui tiennent à l’ordre public et à la sûreté de la nation. « Nous sommes, avec un très profond respect, Monsieur le Président, vos très humbles et très obéissants serviteurs. « Les administrateurs du directoire du département delà Gironde : « Journu, président ; BüHAN, secrétaire général . » Extrait des registres du directoire du département de la Gironde. Du 11 octobre 1790. M. Prévôt, commissaire - ordonnateur , et M. Vincent, trésorier de la marine, se sont présentés au directoire. Ils ont lu, et remis sur le bureau, une pétition, tendant à ce qu’il leur soit fourni en argent monnayé une somme de soixante-cinq mille cinq cents livres, qui leur est encore nécessaire, pour fournir aux frais du départ des deux mille cinq cents matelots, commandés pour Toulon, à la charge de fournir en échange une pareille somme en assignats. Sur quoi, le directoire considérant que si, d’une part, il est indispensable de conserver une partie du numéraire versé dans les caisses des receveurs, pour pourvoir à la sûreté des subsistances de la ville; d’un autre côté, il serait contraire aux vues de l’Assemblée nationale, à la gloire de la nation et, peut-être, à la tranquillité publique de retarder la levée des matelots, ou de les forcer à partir sans leur fournir les avances fixées par les ordonnances de la marine, a arrêté, ouï M. le procureur général syndic : que les receveurs seront autorisés à fournir à M. Prévôt la somme de soixante-cinq mille cinq cents livres en espèces, et ce en échange d’assignats; et néanmoins qu’il sera écrit, par le prochain courrier, à M. de La Luzerne, ministre de la marine, pour se plaindre à lui de ce qu’il n’a pas pris les précautions convenables pour fournir à M. Prévôt les fonds nécessaires au service de la marine, et qu’il sera pareillement écrit à l’Assemblée nationale, dans l’objet de l’instruire de la conduite du ministre, à cet égard. Fait à Bordeaux, en directoire, le onze octobre mil sept cent quatre-vingt-dix. Pour copie : BüHAN, secrétaire général. M. de üoailles. Je demande l’impression de ces deux pièces, et que M. le Président écrive au directoire du département de la Gironde, pour lui témoigner la satisfaction de l’Assemblée sur les marques réitérées de patriotisme que ce département ne cesse de donner. (Cette proposition est unanimement adoptée.) (La séance est levée à trois heures et demie.) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 17 OCTOBRE 1790. Opinion de M. l’abbé Maury sur le clergé d'Alsace (1). Messieurs, les chapitres de Strasbourg avaient, dans un mémoire à l’Assemblée nationale, prétendu que leurs possessions leur étant garanties par les traités de Westphalie et de Ryswick, ne pouvaient être comprises dans les décrets qui prononcent l’expolialion du clergé de France, et que, nonobstant ces décrets qui ne les concernaient pas, ils continueraient de se regarder comme légitimes possesseurs de leurs biens. La délibération sur ce mémoire avait été ajournée, et n’a jamais été reprise depuis. Ces chapitres, en conséquence, ont prévenu leurs fermiers, par un avis circulaire écrit en allemand, que c’était aux receveurs des chapitres qu’il fallait encore , comme par le passé, payer leurs redevances. M. Dietrich, maire de Strasbourg, luthérien de religion, zélé révolutionnaire par principe, à ces deux titres ennemi naturel du clergé catholique, a bien vite dénoncé cet avis, comme tendant à soulever les peuples, comme un signal de contre-révolution, comme un acte attentatoire à l’autorité du sénat auguste. Le zèle du comité ecclésiastique ne s’est pas endormi ; il s’est hâté de faire son rapport, et en a chargé M. Ghasset, digne successeur de M.Cha-broud. Le rapporteur a lu l’acte des chapitres avec les yeux de M. Dietrich, c’est-à-dire avec ceux de la prévention et de la haine; il y a trouvé les mêmes attentats qu’y voyait le maire de Strasbourg; et de plus il a, par la comparaison du procès-verbal de l’Assemblée avec l’avis du chapitre écrit en allemand, découvert, dans cette dernière pièce, une altération criminelle de la première, un faux caractérisé. Je ne croyais pas M. Ghasset professeur de langue allemande, c’est sans doute, sur la foi de son maître d’allemand et d’accusation, M. Dietrich, qu’il aura forgé au chapitre ce nouveau crime. Quoi qu’il en soit, il conclut qu’il faut prier le roi de faire poursuivre, arrêter et punir les auteurs de tant d’attentats. Le jour pour faire passer ce décret était bien choisi, c’était un dimanche, jour où les membres du côté droit sont ordinairement en petit nombre. Par malheur, est survenu M. l’abbé Maury, qu’on n’attendait pas; s’étant informé de l’objet qui causait la fermentation de l’Assemblée, dans le mouvement d’une juste indignation, (1) Ce discours parait tel qu’il a été improvisé et dicté sur-le-champ parM. l’abbé Maury lui-même. Voy. l’Ami du roi , rue Saint-André-des-Arts, n° 37. (Note du Journal.) 679 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 octobre 1790.] il est sauté à la tribune, et, quoiqu’il n’eût pu prévoir le sujet de la délibération, quoiqu’il n’ait pas eu un moment à réfléchir, a prononcé le discours suivant, l’un des plus éloquents qu’il ait encore fait retentir dans cette tribune à jamais célèbre, et purgée, par son éloquence, par son courage et son enthousiasme, de l’ignominie dont les Chabroud et tant d’autres l’avaient couverte : « La question qui est soumise dans ce moment à votre décision, ne sera pas difficile, c’est une simple question de fait. « Toutes les fois qu’une proposition est faite à cette Assemblée dans les formes ordinaires de nos délibérations, vous n’aurez que trois manières de la juger : il faut ou l’écarter par la question préalable, ou la décider par un décret, ou la suspendre par un ajournement. Cette dernière forme suppose que vous manquez de temps ou d’une instruction suffisante pour prononcer définitivement. La question alors reste entière; et il faut nécessairement la discuter avant de la décréter. « Ges principes sont clairs et incontestables; appliquons-les au rapport que vous venez d’entendre. Je lis dans votre procès-verbal du mardi 22 septembre 1789, qu’on vous a présenté un mémoire du clergé d'Alsace et un extrait des délibérations des chambres ecclésiastiques de Strasbourg et de Wissembourg , par lequel le clergé , qui les compose, déclare ne pouvoir adhérer aux arrêtés du 4 août et jours subséquents , n'ayant pas donné à cet égard' des pouvoirs suffisants à ses députés , et supplie l’ Assemblée de prendre en considération les motifs déduits dans le mémoire. Un membre voulait faire rejeter cette adresse comme contenant une protestation ; un autre prétend que cette réserve ne regarde que les princes de l’Empire ; un autre que le clergé d'Alsace devait confondre ses intérêts dans ceux de la nation; un autre qu’il n’y a point de protestation prononcée. Après la discussion , on a demandé l' ajournement , et il a été décidé qu’il aurait lieu. « Or, voici comment je raisonne sur ce récit, consigné dans votre procès-verbal. Vous voyez qu’on a épuisé, à l’occasion de ce mémoire du clergé d’Alsace, toutes les formes de délibération. Un membre le voulait faire juger et rejeter au fond. Avez-vous accueilli sa demande? Non, le décret définitif n’a pas été même mis aux voix. Un autre demandait que la proposition fût mise à l’écart par la question préalable. Avez-vous écouté cette motion? Non; vous en avez entendu le motif, et vous n’en avez pas même discuté l’injustice. Enfin, un autre a demandé l’ajournement, et vous avez prononcé que l’ajournement aurait lieu. Il est donc démontré que les raisons, les prérogatives, les exceptions et les oppositions du clergé d’Alsace ont été ajournées. Il est de principe que l’ajournement est suspensif. Vous n’avez donc rien décidé sur les droits du clergé d’Alsace. (Ici on interrompt M. l’abbé Maury; on lui dit que le procès-verbal a été rédigé par l’abbé d’Ey-marqui l’a falsifié, et qu’à tous égards un procès-verbal ne prouve rien, parce qu’on est assuré que l’Assemblée n’a jamais voulu ajourner la question.) « La voie de l’inscription de faux contre le procès-verbal, répond M. l’abbé Maury, est ouverte à tout le monde. Si quelqu'un est tenté d’y recourir, qu’il se lève et qu’il s’explique. Une seule voix aura plus de poids que touies ces tumultueuses réclamations, qui ne prouvent autre chose que l’embarras ou plutôt l’impossibilité de me répondre. Personne ne se montre? Je conclus de ce silence que je peux poursuivre, et je me hâte de fortifier mon assertion par quelques raisonnements que je recommande à l’attention de mes adversaires. « Quand vous avez délibéré sur le mémoire du clergé d’Alsace, il est bien manifeste que voüs avez voulu décider quelque chose. Or, si vous n’avez pas ajourné la pétition, apprenez-moi, de grâce, ce que vous avez décrété. Permettez à mon respect pour cette Assemblée de ne pas vous croire aussi absurdes que vous le seriez, si vous adoptiez l’étrange commentaire deM. Chasset. « Votre procès-verbal atteste un ajournement, et il faut bien que cette décision littérale de votre procès-verbal existe, ou que cette auguste Assemblée ait rendu un décret digne des Petites-Maisons. Du reste, ne craignez rien pour votre gloire; je vais la défendre contre les sophismes de votre rapporteur. « Je sais bien, Messieurs, qu’aujoud’hui la réclamation du clergé d’Alsace ne vous embarrasserait guère; vous avez fait de si étonnants progrès dans la conquête des biens d’autrui, que le suprême moyen de la question préalable étoufferait bientôt la voix du téméraire qui oserait plaider ici la cause de la justice au tribunal de la force. Mais daus le mois de septembre 1789, souffrez que je vous le rappelle avec respect, votre éducation législative n’était pas si avancée; vous aviez encore alors la circonspection et la réserve, que vous commandait l’incertitude de votre renommée; depuis ce temps, votre gloire a parfaitement dissipé vos scrupules, et vous n’avez montré dans l’invasion des biens du clergé, que la morale des conquérants. Je suppose que le 23 du même mois de septembre, un bénéficier d’Alsace eût écrit dans cette province, que l’Assemblée nationale avait ajourné les réclamations des ecclésiastiques contre votre décret, et je demande si, à cette époque, on aurait osé lui faire un crime de s’être prévalu d’un décret d’ajournement rendu la veille?... Vous dites oui, et moi je dis non, et la raison est de mon avis. Très certainement vous n’auriez pas osé contredire cette assertion. Or, le clergé d’Alsace est aujourd’hui dans la même situation où Ta placé votre décret du 22 septembre. Vous ne crûtes pouvoir juger alors le fond de la question; vous ne vous en êtes plus occupés. Elle reste donc entière, et votre ajournement vous condamne à l’examiner avant de prononcer. « Cette réclamation est fondée sur les clauses du traité de Westphalie, qui, en réunissant l'Alsace à la couronne, garantit aux corps ecclésiastiques et aux bénéficiers de cette province toutes leurs possessions. Je n’examine pas dans ce moment le mérite de cette garantie; cette discussion appartient au fond de la cause. Mais je dis que cette considération vous a paru à vous-mêmes du plus grand poids. Vous n’auriez assurément pas accueilli les réclamations du clergé, des bénéficiers de nos anciennes provinces, contre vos décrets relatifs au clergé. Pourquoi avez-vous donc fait une distinction en faveur de l’Alsace? Pourquoi avez-vous ajourné l’examen de ses titres? J’entends dire, autour de moi, que le décret du 22 septembre n’a rien de commun avec le fameux décret de spoliation du clergé du 2 novembre suivant. Votre décret d’ajournement, sur le mémoire du clergé d’Alsace, a prononcé une exception provisoire en faveur de ce clergé ; et l’exception étant une fois établie, elle embrasse manifestement tous les décrets subséquents, relatifs aux propriétés ecclésiastiques. * Cette seule réponse suffit pour repousser le ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 octobre 1790.] 680 [Assemblée nationale.] raisonnement puérile de M. de Lameth. Je l’avertis seulement que je vais m’en faire un nouveau titre pour le confondre ; car, si vous avez ajourné les réclamations du clergé d’Alsace contre le décret du 4 août, qui supprimait la dîme, vous êtes tenus, à bien plus forte raison, d’ajourner et d’examiner ces oppositions contre la confiscation de ses propriétés foncières. Le traité de Westphalie, sur lequel il se fonde, et qu’il vous a dénoncé, lui garantit plus littéralement encore ses domaines que ses dîmes. « Lorsque M. l’évêque de Spire s’est élevé contre vos décrets, lorsque plusieurs autres bénéficiers de l’Empire ont revendiqué avec lui leurs possessions en Alsace, leur mémoire vous a été transmis par le ministre des affaires étrangères ; vous l’avez renvoyé à votre comité féodal ; vous en avez ajourné la discussion, et vous avez joint cet ajournement à celui que vous ne doutiez certainement pas alors d’avoir prononcé en faveur du clergé d’Alsace. « Lorsque M. le cardinal de Rohan vous a écrit en vous adressant sa démission, vous avez entendu la lecture de sa lettre avec l’attention la •plus menaçante et la plus sévère; vous l’avez interrompu vingt fois par les murmures les plus bruyants; vous avez répondu majestueusement, par de longs éclats de rire , à la touchante sensibilité avec laquelle il vous parlait de ses créanciers, auxquels il avait délégué ses revenus. Mais à l’endroit de cette lettre où M. le cardinal de Rohan vous rappelait l’ajournement de la grande question relative au clergé d’Alsace, vous n’osâtes point contredire ce fait, dont vous ne doutiez pas alors plus que lui; et je vous rends grâces, dans ce moment, de ne vous être point avilis alors par des huées et par des éclats de rire, qui conviennent toujours mal à des spoliateurs en présence de leurs victimes. « Vous avez donc ajourné la demande du clergé d’Alsace ; vous avez reconnu votre ajournement, et je vous invite à faire quelques réflexions sur les inconvénients très graves qu’il y aurait à dépouiller le clergé catholique dans une province où vos décrets ont conservé les possessions du clergé luthérien. Cette manière si différente de traiter les deux religions est d’autant plus digne d’éveiller votre prudence, que le maire de Strasbourg, qui ose provoquer aujourd’hui vos rigueurs avec un si fanatique acharnement, est lui-même luthérien. « Passons maintenant à l’examen des autres articles du décret qui vous est proposé par votre comité ecclésiastique, ou plutôt anti-ecclésiastique. (Ici les murmures recommencent. Je ne sais quel long député, qu’on appelle, m’a-t-on dit, Durand de Maillane, que l’on croyait, depuis très longtemps, bien résolu d'imiter de Conrart le silence prudent, s’est fâché de la qualification ; mais au lieu de continuer cette guerre offensive, il s’est bientôt vu réduit à se tenir lui-même sur la défensive. Les reproches les plus terribles l’accablaient, et il fut obligé de s’asseoir.) « Si on me fâche, disait l’abbé Maury, je n’appellerai pas simplement ce comité anti-ecclésiastique; je l’appellerai anti-chrétien, et je demanderai d’être admis à la preuve. » Puis, continuant son opinion avec une véhémence qui a entièrement subjugué l’Assemblée, dont il s’est emparé, par son éloquente indignation : « Est-ce bien ce comité, a-t-il dit, ou un comité des recherches, un comité de l’inquisition que nous venons d’entendre? Il faut être nourri des maximes des .Néron, des Phalaris et des Tibère, pour n’être pas révolté des principes atroces que le rapporteur vient de nous débiter, dans cette tribune, avec un sang-froid qui ajoute infiniment à leur barbarie. Quoi ! Messieurs, on ose vous proposer de fonder une procédure criminelle sur une traduction anonyme que personne n’avoue, et dont on ne nous désigne pas même l’auteur ; sur une traduction dans une langue dont M. Ghasset ne sait pas un seul mot, et que nous n’entendons pas nous-mêmes ? Ah ! la toute-puissance de cette Assemblée n’est que trop connue dans le royaume; mais elle ne va pourtant pas jusqu’à créer des crimes imaginaires, jusqu’à fabriquer des délits illusoires, pour motiver des poursuites trop réelles. Voilà donc jusqu’où peut s’avilir, voilà donc jusqu’où peut s’aveugler l’esprit de persécution dans un comité dont les membres sont dispensés de rougir. C’est vous, implacables calomniateurs, qui êtes les véritables ennemis de l’Assemblée nationale; c’est vous qui voulez faire distiller dans nos décrets le venin de la haine dont vos âmes sont remplies. Et vous osez vous asseoir parmi les législateurs de la France ! Vous osez, dans votre superbe délire, nous inviter à devenir les complices de vos absurdes fureurs ! Je ne vous dénonce pas aux tribunaux, puisque vous êtes inviolables, mais je vous déaonce à l’opinion, qui nous doit une justice exemplaire de votre audace et de vos lâches persécutions ; je vous dénonce à la France entière, dont vous profanez la confiance, et dont vous déshonorez le caractère national. « Eh ! quel est donc le délit que M. Ghasset impute au clergé d’Alsace? Les bénéficiers de Saint-Pierre-le-Vieux de Strasbourg ont écrit à quelques citoyens tentés d’acquérir les biens ecclésiastiques dans cette province, qu’ils les invitaient à faire de sérieuses réflexions sur leur projet , parce que l’Assemblée nationale avait prononcé un ajournement sur cette question, relativement à l’Alsace. Est-on rebelle, est-on factieux, est-on l’ennemi de l’Etat, est-on criminel de lèse-nation, quand on invite les acquéreurs de nos biens à faire de sérieuses réflexions? Eh bien, je vais me rendre coupable de ce grand crime sous les yeux de la France entière. J’invite donc hautement tous ceux qui sont tentés de s’approprier nos dépouilles, à faire de sérieuses et de très sérieuses réflexions; et je me livre à toutes les poursuites criminelles que mérite une pareille déclaration dans ma bouche. Ge n’est pas seulement à mes concitoyens, c’est au Corps législatif lui-même que j’adresse cette invitation. « Oui, c’est vous, Messieurs, que je somme dans ce moment de faire de sérieuses réflexions sur la spoliation du clergé et sur la vente de nos biens. Les véritables falsificateurs de nos décrets sont ceux qui en étendent arbitrairement les dispositions, ceux qui en dénaturent le sens, ceux qui en exagèrent la rigueur, et qui préparent, à des acquéreurs de mauvaise foi, des moyens invincibles de dépossession, en fondant leur propriété sur des commentaires de pure imagination. Les coupables auxquels j’impute cette grande infidélité nationale ne sont pas inconnus. Si l’on vous eût proposé, le 2 du mois de novembre dernier, comme on l’aurait dû pour se conformer à la discussion, de décréter si la nation était ou n’était pas propriétaire des biens ecclésiastiques, jamais cette révoltante confiscation n’eût été prononcée ; mais on nous déclara qu’on voulait simplement consacrer le principe, que l'on ne pensait point à nous dépouiller de nos biens, et encore moins à les aliéner ; et on [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 octobre 1790.] 681 surprit ainsi la bonne foi de plusieurs membres de cette Assemblée, en faisant passer un décret qui déclare que les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, mais qu’elle n’en disposera que d’après les renseignements et le vœu des provinces. Est-ce là, Messieurs, un titre de propriété ? Est-ce avec une pareille clause que quelqu’un d’entre vous croirait ou voudrait devenir propriétaire? Ce mot de propriété est-il donc assez indifférent, pour qu’on puisse le suppléer par une périphrase? Avez-vous été assez modérés envers le clergé, pour vous flatter que, dans un temps calme, on interprétera vos décrets contre nous, pour en augmenter encore la rigueur ! Croira-t-on sérieusement à une propriété que vous n’avez pas osé vous attribuer vous-mêmes? Un mari a les biens de sa femme à sa disposition : en est-il pour cela le véritable propriétaire? Avez -vous consulté les provinces, comme vous vous y êtes engagés par votre décret? Cette condition dirimante a-t-elle été remplie? « Voilà, Messieurs, de sérieuses réflexions que les bénéficiers d’Alsace auraient pu suggérer à leurs concitoyens ; je les dilvugue hautement dans cette Assemblée, et je vous déclare que je les répandrai dans tout le royaume. L’avidité sera-t-elle assez hardie pour ne pas s’arrêter, pour ne pas réfléchir du moins sur les bords de l’abîme où l’on se flatte de nous avoir précipités? Mais que m’importe son audace, qui sera d’autant moins dangereuse, qu’elle aura moins calculé les dangers de l’avenir ? Je le répèle, Messieurs, faites-y vous-mêmes de sérieuses réflexions. Oui, réfléchissez, il en est temps, l’Europe vous observe, la France commence à vous juger ; et si l’opinion publique vous échappe, uel sera le sort de tant de décrets qui partent e cette Assemblée pour porter chaque jour la désolation dans toutes nos provinces ? L’enthousiasme ne règne qu’un moment : la raison, la justice, la vérité sont éternelles. « Je conclus donc à ce que l’Assemblée nationale, faisant droit sur l’ajournement prononcé le 22 septembre 1789, au sujet de la demande du clergé d’Alsace, mette à l’ordre du jour, mercredi prochain, la discussion des titres particuliers qui doivent établir une exception en faveur du clergé decetteprovince, relativement aux ecclésiastiques ; et que sur le surplus des conclusions du comité, elle déclare qu’il n’y a lieu à délibérer. « Je demande d’avance la parole, pour défendre le clergé d’Alsace avec le traité de Westphalie à la main. » Enfin, l’éloquence foudroyante de M. l’abbé Maury a une fois triomphé de la fureur des ennemis du clergé. La délation calomnieuse du maire luthérien, le rapport insidieux et l’érudition allemande de M. Ghasset, les sophismes puériles de M. de Lameth, la bile de M. Rewbel, la haine universelle contre le clergé, toutes les passions ont été forcées de céder à l’empire de la raison, du sentiment, de l’éloquence, portés à leur plus haut degré. Les hommes sanguinaires, qui se faisaient une fête de voir un nombre considérable d’ecclésiastiques, distingués par leur naissance et leurs dignités, livrés à ce tribunal dont ils hâtent la création, pour avoir des juges qui jugeront dans le sens de la Révolution, ces hommes altérés de sang ont frémi en voyant M. l’abbé Maury arracher à leur fureur ces victimes qu’ils destinaient en holocauste à la Constitution. Mais enfin ils ont été contraints de les abandonner, et l’on n’a osé même blâmer la conduite des chapitres accusés. Un grand nombre de personnes bien intentionnées pensent que la minorité devrait ou rester muette ou se retirer de l’Assemblée, puisque ses avis les plus sages, les mieux motivés, ne sont jamais écoutés : on voit, par cette exemple, que la présence des Maury, des Cazalès, etc., est nécessaire, que s’ils ne produisent pas tous les biens qu’on devrait en attendre, ils écartent du moins bien des maux qui achèveraient de perdre la France, s’ils ne s’opposaient au torrent destructeur. Dernièrement n’ont-ils pas arrêté ce déluge de deux milliards trois cents millions d’assignats dont on menaçait de nous inonder? Aujourd’hui, voilà que l’abbé Maury sauve à l’Assemblée et à la nation, la honte d’une procédure criminelle, qui eût été presque aussi flétrissante pour elle, que l’extinction de celle du Châtelet. Je suis persuadé que l’Assemblée entière, rendue quelque jour à elle-même, remerciera M. l’abbé Maury d’avoir mis, par son éloquence victorieuse, un frein solutaire aux ennemis du clergé. La question sur la propriété inviolable du clergé d’Alsace n’a pas été discutée; l’Assemblée l’a enveloppée dans la proscription générale du clergé catholique, au mépris des traités de Westphalie et de Ryswick, au risque de voir les possessions du clergé alsacien défendues par toutes les forces de l’Allemagne, dont tous les princes, dans l’Assemblée de Francfort, ont unanimement décidé, par leurs plénipotentiaires, qu’ils ratifiaient les traités de garantie. Quelle témérité de la part de nos législateurs! ce qu’il est malheureux que M. l’abbé Maury n’ait pas pu discuter cette grande et belle question, et sauver la nation du danger d’une guerre ruineuse, comme il lui a épargné la honte et l’opprobre d’une procédure atroce ! ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 17 OCTOBRE 1790. Nota. Le document ci-dessous se rattachant à la discussion relative au clergé d’Alsace, nous l’annexons à la séance dans laquelle cette affaire a été discutée. Lettre de M. l’abbé d’Eymar, député du clergé d'Alsace, à M. le Président de l’ Assemblé nationale. Monsieur le Président, j’ai à regretter doublement qu’une absence par congé, à raison de ma santé, m’ait empêché d’être présent à la séance du 17 de ce mois, puisque, d’une part, elle m’a privé d’éclairer la justice de l’Assemblée nationale sur une dénonciation illégale et calomnieuse faite par le maire de Strasbourg contre une partie du clergé de cette ville, et que, de l’autre, j’eusse probablement contenu celui de mes collègues qui s’est permis contre moi, avec aussi peu de décence que de fondement, et surtout avec beaucoup de lâcheté, puisqu’il a profité de mon absence pour la hasarder, l’inculpation la moins méritée. Je me hâte, Monsieur le Président, de réparer ces torts involontaires, en vous adressant cette lettre, dont je vous prie de vouloir bien donner lecture à l’Assemblée nationale. J’oseespérer qu’elle ne refusera pas de consacrer quelques moments à entendre la justification d’un de ses membres, et