748 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 octobre 1790.] tion, se sent pressé du besoin de m’en faire un crime ! Il a révélé l’exécrable secret de son cœur déloyal. Quant à l’injure de l’homme traduit devant cette Assemblée et soumis à sa justice, cette injure est si vile qu’elle ne peut m’atteindre. J’ai proposé que l’on passât à l’ordre du jour, au lieu de s’occuper de sa démence; et peut-être, s’il eût conservé quelque sang-froid, m’aurait-il demandé lui-même pour son avocat. Je ne puis donc être suspecté d’un désir de vengeance, en prenant la parole pour requérir de votre justice un jugement. En réfléchissant à ce qui vient de se passer, j’ai compris qu’il ne convenait pas à un représentant de la nation de se laisser aller au premier mouvement d’une fausse générosité, et que sacrifier la portion de respect qui lui est due comme membre de cette Assemblée, ce serait déserter son poste et son devoir. Ainsi, non seulement je ne propose plus, comme je l’avais fait, dépasser à l’ordre du jour, mais je demande qu’on juge M. Guilhermy ou moi. S’il est innocent, je suis coupable; prononcez. Je ne puis que répéter que j’ai tenu un langage dont je m’honore, et je livre au mépris de l’histoire et de la nation ceux qui oseraient m’imputer à crime mon discours. M. Guilhermy. Le propos incendiaire c’est d’avoir dit que trois semaines plus tôtM. de Foucault eût payé de sa tête le propos qu’il a tenu. (On demande à aller aux voix.) M. le Président. Plusieurs motions ont été proposées; voici celle qui, d’après l'ordre naturel de la délibération, doit être mise la première aux voix : M. Guilhermy sera-t-il rappelé à l’ordre, son nom inscrit sur le procès-verbal, et passera-t-on ensuite à l’ordre du jour? (Uue première épreuve est douteuse.) M. Goupil. Je demande à faire une observation. Je suis pour le parti le plus sévère; mais lorsqu’il y a du doute, il faut de droit adopter le plus doux. M. de Cazalès. Recommencez l’épreuve; l’accusé renonce à cet avantage. L’Assemblée, consultée, décide que l’épreuve sera recommencée. Cotte seconde épreuve est également douteuse. On demande l’appel nominal. M. Dubois-Crancé. Pour éviter l’appel nominal, que ceux qui sont de l’avis del’aftirmative de la question passent du côté droit. M. Rœderer. Il faut poser ainsi la question : Est-il permis à un membre d’en appeler impunément un autre scélérat et assassin? M. Regnaud, député de Saint-Jean-d' Angely . Les défenœurs de M. Guilhermy n’ont pas cherché à le disculper. L’Assemblée a condamné une fois un membre qui lui avait manqué, à garder, pendant huit jours, les arrêts; je demande que l’Assemblée, qui ne peut oublier ce nouveau manquement, condamne M. Guilhermy aux arrêts pour trois jours (1). (Cette proposition est décrétée.) M. Chantaire , député du département des (1) Voy. ci-après, p. 749, la lettre de M. Guilhermy à ses commettants. Vosges, demande un congé d’un mois ou six semaines pour raison de santé. Ce congé lui est accordé. Un membre fait observer que les congés des députés se multiplient infiniment et qu’il est temps d’y remédier. Il propose un décret qui est prononcé en ces termes : « L’Assemblée nationale décrète que le retour des députés qui s’étaient absentés par congé sera annoncé dans l’Assemblée, et inscrit dans le procès-verbal, et que les députés seront regardés comme absents, jusqu’à ce qu’à leur retour ils aient rempli cette formalité ». L’Assemblée revient ensuite à la discussion de l'affaire de Brest. Les dernières dispositions du projet de M. de Menou sont adoptées presque sans débat. M. le Président prononce le décret ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de ses comités de la marine, militaire, diplomatique et des colonies, « Décrète que le roi sera prié de nommer deux nouveaux commissaires civils, lesquels se réuniront à Brest avec ceux que Sa Majesté a précédemment nommés, et seront revêtus de pouvoirs suffisants pour employer, de concert avec le commandant qu’il plaira au roi de mettre à la tête de l’armée navale, et avec celui du port, tous les moyens et toutes les mesures nécessaires au rétablissement de l’ordre dans le port et la rade de Brest; « Décrète qu’attendu qu’il a été embarqué sur l’escadre, en remplacement de quelques gens de mt-r, des hommes qui ne sont ni marins ni classés, le commandant de l’escadre sera autorisé à congédier ceux qui ne lui paraîtront pas propres au service de la mer ; « Décrète que le pavillon de France portera désormais les trois couleurs nationales , suivant les dispositions et la forme que l’Assemblée charge son comité de la marine de lui proposer; mais que ce nouveau pavillon ne pourra être arboré sur l’escadre qu’au moment où les équipages seront rentrés dans la plus parfaite subordination ; « Décrète, en outre, qu’au simple cri de « vive le roi, » usité à bord des vaisseaux le matin et le soir, et dans toutes les occasions importantes, sera substitué celui de « vivent la nation, la loi et le roi. » <> L’Assemblée nationale, considérant que le salut public et le maintien de la Constitution exigent que les divers corps administratifs et les municipalités soient strictement renfermés dans les bornes de leurs fonctions ; « Déclare que lesdits corps administratifs et les municipalités ne peuvent, sous peine de forfaiture, exercer d’autres pouvoirs que ceux qui leur sont formellement et explicitement attribués par les décrets de l’Assemblée nationale, et que les troupes de terre et de mer en sont essentiellement indépendantes, sauf le droit de les requérir dans les cas prescrits et déterminés par les lois. v Au surplus, l’Assemblée nationale, persuadée qu’un excès de zèle a pu seul entraîner la municipalité et le procureur de la commune de Brest dans des démarches irrégulières, inconstitutionnelles, et qui pouvaient avoir de dangereux effets, décrète que son président sera chargé de leur écrire pour les rappeler aux principes de la Gons- 749 [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 octobre 1790.] titution ; ne doutant pas d’ailleurs qu’ils ne fassent tous leurs efforts pour concourir, avec les commissaires du roi et le chef de la marine, au rétablissement de l’ordre et de la discipline parmi les équipages des vaisseaux actuellement en armement à Brest. » M. le Président annonce l’ordre du jour pour ce soir et lève la séance à quatre heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 21 OCTOBRE 1790. Lettre de M. GüILHERMY, député de la sénéchaussée de Castelnaudary , à ses commettants (1). Paris , le 22 octobre 1790. Messieurs, après l’incroyable débat qui a eu lieu hier à mon sujet dans l’ Assemblée nationale, je dois vous rendre compte des circonstances qui l’ont amené et du décret qui en a été la suite. L’Assemblée nationale délibérant sur les moyens de rétablir l’ordre dans le port de Brest, avait rejeté à une grande majorité l’étrange proposition de forcer le roi à renvoyer quatre de ses ministres, en lui déclarant qu’ils avaient perdu la confiance de la nation. On s’y occupait de la discussion sur la proposition de changer le pavillon blanc qui jusqu’ici a été le pavillon de France, en pavillon aux couleurs nationales, lequel ne pourrait être arboré sur l’escadre , que lorsque les équipages seraient rentrés dans la plus parfaite obéissance. M. le marquis de Foucault venait de représenter que cette proposition tendait à déshonorer le pavillon blanc, en le signalant comme la cause des désordres; que ce changement serait dispendieux; qu’il mécontenterait peut-être cette foule de vieux et braves militaires qui avaient combattu avec gloire sous le pavillon blanc; qu’il croirait lui plus prudent à V Assemblée de se contenter d'adopter la proposition de M. de Galbert, qui consistait à faire arborer au bout du grand mât une flamme aux couleurs nationales ; lorsque M. de Mirabeau a paru à la tribune, et qu’avec toutes les grimaces d’une feinte fureur, il nous a dit qu’au premier mot de cette étrange discussion, il avait ressenti les bouillons du patriotisme jusqu’à l'emportement. (Heureusement on sait que le patriotisme de M. de Mirabeau est accommodant «t que ses emportements ne sont pas dangereux.) Venant ensuiie à M. de Foucault, M. de Mirabeau a dit qu’il avait été profondément coupable de se permettre seulement de discuter la proposition du changement de pavillon. 11 l’a accusé a avoir méprisé les couleurs nationales. Il n’a pas rougi d’avancer que trois semaines plus tôt, il lui en eût coûté la tête pour sa témérité. Il a osé dire que la couleur blanche était la couleur de la contre-révolution (2), que ceux qui voulaient la conserver (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. (2) J’avoue que je ne comprends rien aux mots révolution et contre-révolution. Je n’entends pas ce qu’on veut nous dire lorsqu’on nous félicite pour la révolution que nous avons opérée, puisque ce serait nous faire injure que de dire que nous avons détruit le gouvernement monarchique que nos commettants nous avaient unanimement commandé do conserver. au pavillon français étaient des factieux , des conspirateurs enhardis par le succès de la veille, et qui se croyaient devenus assez forts pour pouvoir l’arborer; mais que le réveil serait prompt (1). En vain M. l’abbé Maury se présenta pour répondre à un discours aussi incendiaire, l’Assemblée ferma la discussion. J’étais à côté de M. le marquis de Beauharnais, et dans la juste indignation dont je me sentis pénétré, je ne pus m’empêcher de lui dire que M. de Mirabeau qui n’était qu'insolent à la tribune , avait tenu des propos atroces , révoltants , les propos d'un scélérat et d'un assassin. Je n’ai dit que cela, et je ne suis comptable que de ce que j’ai dit, en admettant même que je sois comptable de ma conversation avec M. de Beau-harnais. Ces mots proférés au milieu d’un grand tumulte, conséquemment susceptibles d’être mal entendus, et mal entendus en effet, ont excité contre moi un tumulte encore plus violent. M. de Menou a cru devoir les relever; si j’eusse été l’ami de M. de Mirabeau, j’en aurais été réellement mortifié pour lui. M. de Mt-nou a demandé qu'attendu qu'il était public que j’avais traité M. de Mirabeau de... je ne répéterai pas les qualifications, l’estime et l’attachement que je conserverai toute ma vie pour le brave et loyal militaire dont M. de Mirabeau a l’honneur d’être frère, m’imposent le silence. M. de Menou a demandé que pour la punition de ce prétendu crime, M. le Président fût autorisé à donner de suite l'ordre de m'arrêter provisoirement. Je me suis élancé sur-le-champ à la tribune. A la barre ! à la barre ! criaient quelques députés, avec une fureur et des hurlements qui m’auraient fait presque douter si j’étais devant mes juges. J’ai persisté à soutenir que ma place était à la tribune, et j’ai refusé d’en descendre. J’ai entendu les mêmes voix demander que je fusse jugé sans être entendu, puisque je ne voulais pas parler à la barre, lorsque M. Goupil de Préfeln ayant insisté pour qu’on m’écoutât, je suis enfin parvenu à obtenir une espèce de silence, et je me suis exprimé à peu près dans les termes suivants : « Vous avez tous entendu comment M. de Mirabeau a empoisonné le discours de M. de Foucault, comment il a osé l’accuser d’avoir méprisé les couleurs nationales, tandis que celui-ci n’a pas dit un mot d’où l’on puisse induire ce mépris, et que bien loin de là, en insistant sur les inconvénients qui pourraient résulter du changement de pavillon,- il a appuyé la proposition de M. de Galbert, qui consistait à arborer au haut du grand mât, une flamme aux couleurs nationales (2). « M. de Mirabeau a dit que la couleur blanche était la couleur de la contre-révolution. Il a osé accuser de projets de contre-révolution, ceux qui voulaient la conserver au pavillon français : comme si l’oriflamme blanc, qui est suspendu à la voûte de cette salle, y avait été apporté eu signe de contre-révolution; comme si, de même (I) Pendant que M. de Mirabeau aiguisait ainsi des poignards, un député du même ordre et de la même province que moi, recommandable à plus d’un titre, et connu surtout par la douceur de ses mœurs, un député qu’on n’accusera certainement pas de tenir à aucun parti se précipita de sa place et quitta brusquement l’Assemblée, s’écriant qu’il était impossible de tenir plus longtemps à de semblables horreurs. (2) Il est bien étonnant que personne n’ait remarqué que les couleurs nationales étaient les couleurs d’Orléans. Cette réflexion eût, peut-être, expliqué beaucoup d’énigmes. Au reste, mon opinion est que le choix de la nation annoblit les couleurs qu’elle adopte.