[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1791.] 95 j’ai voulu, en montant à cette tribune, ramener principalement vos réflexions; car, jusqu’à ce jour, on a prétendu envelopper cette question d’un voile religieux qu’il faut enfin déchirer, et il est impossible qu’en la discutant, vous ne reconnaissiez la vérité de ce que j’ai exposé. D’après ces principes, la conduite, que vous avez à tenir pour revoir et corriger votre ouvrage, me paraît, toute tracée ; elle consiste, selon moi, à faire présenter dès demain au roi votre travail par une députation, et à provoquer vous-mêmes les observations que l’intérêt du peuple lui suggérera. (Rires à gauche.) Réfléchissez, Messieurs, à la nécessité de cette mesure, et voyez que, si vous ne l’adoptiez pas, vous vous trouveriez en opposition avec les ordres précis que vous avez reçus, et chargés de l’effrayante responsabilité d’avoir statué seuls sur le sort d’une grande nation, contre le vœu qu’elle avait manifesté... (Murmures.) Plusieurs membres : A l’ordre! à l’ordre ! M. Gombert. C’est une critique de nos opérations! M. Goupilleau. Vous détruisez la Constitution dans ses propres bases. M. de Croix. Je dis que c’est vous-mêmes qui l’attaquez; vous vous mettez à la place de la nation dont vous n’êtes que les représentants. M. Goupilleau. Je veux réfuter votre système par ce grand principe : La souveraineté réside dans la nation ; c’est à elle seule, et non pas au roi, à ratifier la Constitution. M. de Croix. Mais, Messieurs, je suis de cet avis-là I (. Exclamations à gauche.) M. Goupilleau. Je demande qu’on passe à l’ordre du jour. Plusieurs membres : Rappelez l’opinant à l’ordre, Monsieur le Président. M. de Croix. Je demande à répondre : Je dis que je reconnais la souveraineté de la nation; mais je dis aussi que vous n’êtes pas la nation, que vous n’êtes que ses représentants et que la nation a voulu que le roi fût votre modérateur. (Murmures prolongés.) Messieurs, je ne me livrerai pas à une critique de ia Constitution; je me suis peut-être expliqué trop à cet égard pour me flatter d’être écouté eu ce moment avec faveur ; mais je vous dois compte de mes observations, quelque défaveur qu’elles puissent éprouver. Je vous demanderai donc quel est celui de nous qui aurait l’amour-propre de croire ou de soutenir qu’il ne s’est jamais trompé dans le cours de vos travaux? Je dirai plus, quel est celui qui, s’il en était le maître, ne voulût y faire quelque changement. Ne vous flattez donc pas de n’avoir pas pu tomber dans des erreurs, et, lorsqu’elles peuvent compromettre le bonheur d’une grande nation, ne vous refusez pas à employer les moyens qu’elle-même a indiqués pour vous les faire apercevoir et vous mettre à même de les réparer. Je conclus donc à cp que vous adoptiez le parti que je vais avoir l'honneur de vous proposer dans un projet très court, et que je regarde comme le seul qui puisse rendre les lois obligatoires pour tous : « Art. 1er. L’Assemblée nationale décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur les différentes propositions qui lui ont été faites pour régler le mode de former des Conventions nationales. « Art. 2. — Que dès demain une députation sera chargée de présenter au roi l’acte constitutionnel. « Art. 3. — Que le roi sera prié de se retirer dans le lieu qu’il jugera propre à assurer la liberté de sa personne et de son consentement. « Art. 4. Qu’il sera en outre prié... ( Murmures à gauche.) A gauche : Prié ? M. de Croix... défaire parvenir à l’Assemblée telles observations que sa sagesse etTiniér'êJ; du peuple pourront lui dicter, pour qu’elle puisse en délibérer. » (Murmures à gauche.) M. Frochot. Messieurs, le législateur satisfait d’avoir constitué un grand peuple et donné dés lois à son pays, croirait en vain que sa tâche est remplie. Il n’a rien fait encore, si le caprice ou l’ambition des hommes peuvent à chaque instant menacer et détruire son ouvrage. Il n’a rien fait encore, si l’égide immuable de la raison ne protège pas, contre le délire de l’inconstance, les institutions qu’il a formées; si enfin il ne leur a pas attaché la garantie sacrée du temps. Mais aussi, Messieurs, les droits des nations ont été proclamés en vain, si l’on ne reconnaît pas ce principe : qu’au peuple appartient le pouvoir de rectifier, de modifier sa Constitution, de la détruire même, de changer la forme de son gouvernement, et d’en créer une autre ; du plutôt, il importe peu au principe en lui-même qu’il soit consacré par la constitution. L’éternelle vérité n’a pas besoin d’être déclarée, elle est préexistante à tous les temps, commune à tous les lieux, indépendante de tous les pactes. Dès en abordant |a question, vous apercevez donc, Messieurs, d’une part, un grand principe à respecter; de l’autre, de grandes erreurs à prévenir dans son application. Cependant laisserai-je sans réponse un argument proposé plus d’une fois contre la prévoyance du législateur à cet égard ? Des hommes inattentifs, mais de bonne foi, ont prétendu qu’ici était la fin de nos pouvoirs, et que tout acte ultérieur deviendrait une atteinte aux droits sacrés du peuple. Je conçois l’objection de la part de ceux qui ne reconnaissent, ou du moins qui raisonnent comme s’ils ne reconnaissaient dans l’Assemblée des représentants que des volontés particulières imposant des lois à la volonté générale ; de telle sorte qu’au lieu de voir les individus gouvernés parla souveraineté, ils voient sans cesse la souveraineté gouvernée par les individus ; je conçois, dis-je, 'que, ne trouvant alors dans le législateur qu’une personne privée, ils ne balancent pas à déclarer son incompétence sur le fait dont il s’agit. Mais ceux-là ne méritent pas même d’être réfutés, ils annoncent une ignorance trop grande des principes du gouvernement représentatif, et ce n’est pas à l’époque où nous sommes qu’il faudra recommencer avec eux un cours élémentaire sur cet objet. Mais, si l’argument est fait dans un sens contraire, si, pu adoptant ce système représentatif, dans toute sa pureté, et në distinguant plus 96 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1791.1 entre la nation et l’Assemblée des représentants, c’est à la t ation elle-même que le droit est contesté ; alors je n’aperçois dans l'objection qu’un vain sophisme bien facile à détruire. Nous admettons tous, comme attribut essentiel de la puissance nationale, le droit de modifier ou de changer la Constitution ; mais je demanda à ceux qui ne veulent rien d’ultérieur à la déclaration de ce principe, je leur demande quels moyens leur restent de provoquer l’exercice d’un tel droit. Je n’en connais que deux : La forme légale et l’insurrection. La forme légale, si la Constitution a voulu l’indiquer. L’insurrection, lorsque la Constitution est muette. Cela posé, l’argument que je combats se réduit à cette question fort simple : Dans le choix des moyens , l'insurrection vaut-ellè mieux que la forme légale ? Présenter ainsi la question, c’est, je crois, la discuter, et c’est aussi la résoudre ; car je ne pense pes qu’une seule voix se fasse entendre pour vanter parmi nous les douceurs de l’insurrection. Mais la souveraineté nationale, a-t-on dit, ne peut se donner aucune chaîne, sa détermination future ne peut être interprétée ou prévue, ni soumise à des formes certaines ; car il est de son essence de pouvoir ce qu’elle voudra et de la manière dont elle le voudra. Eh bien, Mt ssieurs, c’est précisément par un effet de cette toute-puissance que la nation veut aujourd’hui, en consacrant son droit, se prescrire à elle-même un moyen légal et paisible de l’exercer ; et, loin de trouver dans cet acte une aliénation de la souveraineté nationale, j’y remarque au contraire l’un des plus beaux monuments de sa force et de son indépendance. Au surplus, je n’en tends pas comment un acte de la souveraineté pi ut jamais être une aliénation d’elle-même, et je le conçois moins encore dans l’espèce particulière. En effet, Messieurs, la loi qui règle l’exercice du pouvoir appartenant au peuple, de rectifier ou de changer la Constitution, ne diffère de toute autre loi que par le degré d’importance ; elle dérive du même principe, elle offre en dernier résultat les mêmes conséquences ; la volonté générale la crée, elle y soumet les volontés particulières, elle en maintient l’exécution aussi longtemps qu’il lui plaît, elle seule enfin peut l’anéantir. Si donc il était vrai que cette loi, parce qu’elle admet un engagement précis de la part du souverain de ne vouloir rien de contraire, portât quelque atteinte à la souveraineté nationale, je ne vois pas comment l’objection serait réduite à cette seule hypothèse. Il n’est pas une loi, depuis l’acte constitutionnel jusqu’au décret de police le moins important, qui ne soit en effet un engagement de la souveraineté nationale avec elle-même, de vouloir telle chose de telle manière, et non d’aucune autre. Si l’on appelle cela une aliénation de souveraineté, il faut la dénoncer cette aliénation dans tous les cas où un pareil engagement s’effectue ; mais alors pourquoi une Constitution, pourquoi des lois? Peut-être on nous demandera, si le moyen légal que nous cherchons étant une fois adopté, il rendra désormais impossible la manifestation et même l’exécution instantanée d’une volonté contraire ? Non, sans doute, il ne l’empêcherait pas, et cet aveu doit rassurer ceux qui ne voient la souveraineté nationale qu'au sein de l’insurrection. Mais faut-il en conclure que, l’insurrection éiant possible encore dans tous les cas, on doit la rendre absolument nécessaire et inévitable ? Tel est pourtant, en dernier résultat, le sens exact ne l’objection si souvent répétée contre le droit du législateur dans cette partie. Je ne porterai pas plus loin l’examen de cette erreur, je me proposais plutôt, Messieurs, de vous l’indiquer que de la réfuter ; car ceux qui la professent, j’aime du moins à le croire, ne chercheront pas à devenir plus dangereux par la propagation de leur doctrine, qu’ils ne le sont aujourd’hui par leur nombre. Je viens donc au point réel de la question, c’est-à-dire à la difficulté de créer en cette matière une loi sage et bien ordonnée. Garantir au peuple sa Constitution contre lui-même, je veux dire contre ce penchant irrésistible de la nature humaine, qui la porte sans cesse à changer de position pour atteindre un mieux chimérique ; Garantir au peuple sa Constitution contre l'attaqua des factieux, contre les entreprises de ses délégués ou de ses représentants; Enfin, donner à ce peuple souverain le moyen légal de réformer dans ses parties, et même de changer en totalité la Constitution qu’il a jurée ; Tel est, ce me semble, Messieurs, le véritable objet de la loi qui nous occupe. Il existe dans l’acte même et dans les effets de la réformation partielle ou du changement total de la Constitution, une différence sensible qui ne peut échapper à l’œil du législateur. La réformation partielle est d’abord un besoin présumable dans toute Constitution, mais plus prochainement encore pour une Constitution nouvelle. Le changement total est un besoin plus difficile à prévoir: disons mieux, il est au-dessus de toute prévoyance. L’acte de réform r partiellement la Constitution ne suppose pas nécessaire l’emploi de toute la souveraineté nationale. L’acte de changer entièrement la Constitution exige au contraire la plénitude de cette souveraineté. L’exécution d’une réforme partielle ne présage aucun mouvement extraordinaire, elle peut s’effectuer sans que la paix soit troublée. L’exécution d’un changement total annonce au contraire une grande crise politique, de vives agitations l’accompagnent, elles subsistent encore longtemps après qu’il est opéré. Enfin la possibilité d’une réformation partielle éloigne la nécessité, mais surtout le désir d’uu changement total. La machine du gouvernement pouvant être ainsi perfectionnée, la faculté de détruire reste en effet, et cependant le besoin d’user de cette faculté n’existe plus, on conçoit même qu’il peut n’exister jamais. Le droit d’effectuer un changement total amène au contraire après lui le besoin toujours renaissant des réformations partielles. L’évidence d’un tel contraste suggère naturellement celte première question. Le pouvoir de changer la Constitution est-il absolument inséparable du pouvoir de réformer la Constitution ? c’est-à-dire, lorsqu’une réforme partielle de la Constitution est désirée par le peuple, faut-il nécessairement qu’avec le pouvoir 1 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1791.] Q7 de réformer, il confie à ses délégués le terrible pouvoir de détruire à leur gré? Je cherche en vain, dans les principes, la cause essentielle de cette indivisibilité ; les principes ne la démontrent pas, et je ne vois nulle part que l’opinion contraire soit une hérésie politique. Le peuple, de qui tout pouvoir émane, distribue quand il v< ut et comme il lui plaît l’exercice de sa souveraineté; il en délègue telle partie et s’en réserve telle autre. En un mot, de même qu’il remet au Corps législatif la souveraineté purement législative, de même il peut donner à d’autres représentants la souveraineté réformatrice de la Constitution, sans leur départir de plein droit la souveraineté constituante. La délégation distincte de ces deux parties de la souveraineté nationale ne répugne donc pas aux principes, ou plutôt, Messieurs, on aime à retrouver entre le corps réformateur et le corps annihilateur la différence qu’on aperçoit entre l’acte de réformer et l’acte de détruire. Mais non seulement une telle distinction est chose possible, elle est pressante, elle est indispensable. Si, en effet, le pouvoir de changer la Constitution est nécessairement uni au pouvoir de la réformer, n’est-il pas évident qu’à chaque besoin d’une réforme partielle, la totalité de la Constitution est en péril ? En séparant, au contraire, le pouvoir de réformer d’avec le pouvoir de détruire, il n’est plus permis de craindre pour la Constitution, la patrie n’est menacée d’aucun (rouble par la présence du corps réformateur. Cette démarcation est donc utile en soi dans la thèse générale; mais dans nos circonstances particulières, elle est bien plus utile encore. Si en effet la prochaine Convention nationale, à quelque distance de nous qu’elle soit rassemblée, devait avoir nécessairement et de plein droit celui de changer la Constitution tout entière, ne serait-ce pas entretenir d’»ci là toutes les espérances de nos ennemis, et laisser après nous des germes féconds de troubles? Ne craignez pas cependant, Messieurs, que je vous propose d’enchaîner la volonté nationale dans aucun cas, ni même pour la prochaine Convention ; ce n’est pas là mon système : car, si je trouve dangereux que le premier corps reviseur soit nécessairement corps constituant, je ne trouverais pas plus sage de déterminer dès aujourd’hui qu’il sera purement réformateur. La véritable prudence, en cette matière, n’est pas de vouloir pour l’avenir, mais bien de laisser à la volonté nationale future, sa plus grande latitude; je ne demande donc pas que vous interprétiez cette volonté, mais que vous lui donniez le moyen de se déclarer elle-même, de s’étendre ou de se restreindre ; en un mot, je ne prétends pas enlever à la génération présente ni aux générations futures, le droit de changer la Constitution tout entière, je cherche à leur assurer ce droit, ou plutôt, le moyen légal d’en user ; mais je demande que le droit de changer la Constitution tout entière ne soit pas essentiellement inhérent au droit de la réformer en partie ; je demande que le peuple ne soit pas forcé de donner à ses représentants le droit de détruire lorsqu’il ne veut leur départir, lorsqu’il convient à leur intérêt de ne leur départir d’autre droit que celui de réformer ; je demande, enfin, que le peuple sache qu’il donne, qu’il mesure sa délégation selon sa volonté et ses be-1" Série. T. XXX. soins, de telle sorte, en un mot, que ses représentants ne puissent en abuser. Ce n’est pas tout, encore ; le changement total ou les réformes partielles de la Constitution, dépendant uniquement de la volonté du peuple, il faut non seulement qu’il sache lequel de ces deux pouvoirs il délègue à ses représentants; mais, de plus, il doit connaître pouiquoi il le leur donne, et dans le cas de la réformatioa partielle, c’est à lui d’indiquer l’objet à .réformer. La bonne solution du problème se trouvera donc dans le projet qui remplira les conditions suivantes : 1° Un moyen de réformer partiellement la Constitution, sans mettre nécessairement la totalité de la Constitution en péril; 2° Un moyen de connaître la volonté du peuple pour cette réforme ; 3° Un moyen légal de changer entièrement la Constitution ; 4° Un moyen légal de connaître le vœu du peuple pour ce changement. Si tel doit être le véritable sens de la loi que nous cherchons, il en résulte : Premièrement, que l’on ne peut s’arrêter à l’idée de cumuler nécessairement dans le même corps de représentants, la souveraineté réformatrice et la souveraineté constituante; car, je le répète, toutes les fois que ce corps s’assemble, même pour le plus léger changement, la Constitution tout entière est menacée. Secondement , que le rassemblement de ce corps ne peut être placé à des époques périodiques certaines, telles que la révolution d’un certain nombre d’années, le commencement ou le milieu d’un siècle. Ni à des époques périodiques incertaines, telles que des changements de règne. D’abord, la périodicité certaine aurait ce terrible inconvénient de donner longtemps à l’avance à tous les partis le signal de l’insurrection ; ce serait marquer périodiquement, dans la Constitution, les jours destinés au trouble, et avertir les factieux d’être prêts à cette époque. La périodicité incertaine ne présente, il est vrai , ni les mêmes dangers , ni les mêmes calculs. Subordonnée à la mort du roi, c’est-à-dire à un événement dont l’époque précise est impossible à prévoir, je conçois que tout reste calme jusqu’alors; mais comptez-vous pour rien les dangers de la circonstance ? Et qu’importe ce calme antérieur, si l’époque est fatale en elle-même? Vainement la loi de l’hérédité peut donner lieu de feindre qu’en France le roi ne meurt pas ; la fin d’un règne et le commencement d’un autre n’en présentent pas moins à l’esprit l’idée d’un interrègne, couvert, si l’on veut, par la fiction de la loi, mais réel par le fait ; et quel moment, Messieurs, que celui d’un interrègne, pour revoir la Constitution ! Quel moment, surtout, pour mettre à l’ordre du jour l’existence de la royauté ! Je consentirais pourtant à risquer une partie de ces dangers, si l’on pouvait me démontrer, d’ailleurs, l’avantage réel de l’un ou de l’autre de ces systèmes. Mais je cherche en vain à les justifier par la raison, la raison les repousse ; la périodicité certaine n’est que l’effet du caprice, et non le résultat d’une combinaison calculée sur les besoins de réforme ou de changement. La périodicité incertaine n’est qu’un jeu du hasard ; et la raison ne permet pas de donner en 7 98 garde à de telles chances la Constitution des Empires. Mais remarquez, surtout, Messieurs, les dangers du système qui admettrait nécessairement la révision à la fin de chaque règne. Plusieurs règnes peuvent passer successivement, et en très peu de temps, sous les yeux d’une même génération. La voilà donc livrée sans cesse aux troubles inséparables de la présence du corps constituant ; sans cesse occupée à combattre pour la liberté, et plus exposée que jamais à la voir envahir ; enfin, Messieurs, si vous mettiez à ce prix le rassemblement du corps constituant, redoutez que la main des factieux n’en accélère le retour. Je frémis d’y penser ; mais je le dis pour le présent, et je le dis pour l’avenir. A ces considérations générales, permettez-moi, Messieurs, d’en ajouter une particulière au temps et aux circonstances où nous sommes, et qui ne s’applique pas seulement aux divers systèmes de ériodicité, mais à tout autre système qui, sem-lable à celui du comité, placerait à une époque fixe le premier rassembliemept du corps réviseur de la Constitution, ou qui déterminerait dès aujourd’hui, l’époque avant laquelle il ne pourrait être question de le rassembler. Nos ennemis, je veux dire les ennemis de la Constitution, feignent de méconnaître l’existence de la souveraineté nationale ; cependant, offrez-leur un moyen d’abuser de ce principe, et bientôt ils le professeront à leur manière. Si, par exemple, adoptant un système de périodicité, ou tout autre, vous déterminiez dès aujourd’hui l’époque certaine de la première Assemblée constituante, soit qu’elle fût indiquée pour le commencement du siècle prochain, à la fin du règne actuel, ou à tout autre terme invariablement fixé ; ou si enfin, ne voulant pas déclarer positivement le jour de sa réunion, vous indiquiez pourtant l’époque avant laquelle cette réunion ne pourrait être effectuée ; vous verriez alors tous ces détracteurs de la souveraineté du peuple, empruntant l’attitude de défenseur de ses droits, argumenter de cette limitation en faveur du système iatificateur ; ils prétendraient que la souveraineté ne peut être ainsi comprimée pendant un espace déterminé ; que c’est enlever au peuple le droit de s’expliquer à l’instant sur la Constitution nouvelle, ou que du moins cet engagement doit être précédé d’une ratification. Et ne croyez pas, Messieurs, que cette supposition soit de ma part une légèreté; vos ennemis s’attendent bien à la réaliser, c’est encore l’une des chimères dont leur imagination est le plus agréablement remplie. Je sais que, dans les principes du gouvernement représentatif, le système des ratifications n’est pas soutenable ; mais enfin la masse des citoyens est-elle assez imbue des vérités politiques pour repousser, par la force du rai sonnement, ce qu’une telle proposition pourrait avoir de captieux? Et s’il était vrai qu’on pût abuser de cette loi pour séduire un plus ou moins grand nombre de citoyens, ou seulement pour les agiter pendant quelques jours, pourquoi ne pas épargner au corps politique jusqu’au prétexte de Cette agitation ? Rejetons loin de nous, Messieurs, toutes ces idées de périodicité, et gardons-nous surtout d’interpréter la volonté nationale future sur l’époque de la prochaine Assemblée constituante. La raison vaut mieux que les chances de la prévision ou du hasard; elle ne dit pas de faire telle chose en tel temps, si elle est inutile alors, {31 août 1791.] mais elle dit de la faire quand il en est besoin ; elle dit surtout de coordonner ses lois à un même système, et de chercher dans les lois déjà faites, dans les principes déjà adoptés la base de celles qui sont à faire, de sorte que tout dans la machine politique s’enlace, se tienne et se corresponde parfaitement. Ainsi, Messieurs, sans aller chercher dans des combinaisons puériles s’il vaut mieux que le Corps constituant soit rassemblé 2 fois plutôt qu’une seule dans la révolution d’un siècle; s’il est préférable de le convoquer à chaque renouvellement de règne, ou si, enfin, la réunion de ce corps ne doit même pas être possible avant l’année 1800, au lieu de cela, dis-je, remontons au principe. C’est pour le peuple qu’il convient de réformer la Constitution ou de la changer, et c'est à lui qu’il appartient de décider s’il faut la réformer et la changer, et quand il faut le faire. Si donc il existe un moyen de connaître le vœu du peuple à cet égard, ce moyen doit être adopté préférablement à tout autre système. Je rappelle d’abord ici, Messieurs, la distinction que je vous ai proposée entre le corps réformateur et le corps, pour ainsi dire, destructeur de la Constitution. Je désigne le premier sous le nom de Convention nationale. Le second sous le nom de Corps constituant . Et je les définis ainsi ; La Convention nationale est F Assemblée des représentants ayant le droit de revoir et le pouvoir de réformer par des changements, suppressions ou additions, une ou plusieurs parties déterminées de la Constitution. Le Corps constituant est l’Assemblée des représentants ayant le droit de revoir la Constitution dans son ensemble, de changer la distribution des pouvoirs politiques et de créer une Constitution nouvelle. Cette définition admise, voyons comment le peuple obtiendra le rassemblement de l’un ou l’autre de ces corps, selon sa volonté actuelle et bien déterminée. C’est dans les principes fondamentaux de notre gouvernement que je dois chercher à résoudre la question : La France est un gouvernement représentatif. On n’y connaît qu’un seul corps essentiellement délibérant, et des pétitionnaires individuels. Le Corps législatif délibère. Les citoyens adressent des pétitions. Le Corps législatif exprime la volonté générale. Les citoyens n’expriment que des volontés particulières. L’acte de rassembler la Convention nationale ou le corps constituant est un acte essentiel de la volonté générale. Or, il n’existe véritablement d’acte de la volonté générale que là où il y a eu délibération de toutes les parties, et il ne peut y avoir de délibération que là où la réunion est effective. Ainsi, à moins de détruire tous les principes du gouvernement représentatif, il est évident qu’aucun corps administratif, aucune collection de citoyens épars, ne peuvent, pas plus dans le cas particulier que dans tout autre, exprimer cette volonté. Cette série de raisonnements, puisés dans votre Constitution elle-même, conduit à cette dernière conséquence : la volonté générale sur le fait du rassemblement d’une Convention nationale ou du [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES . [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1791.] corps constituant, ne peut être exprimée que par les représentants du peuple. J’adopte cette conséquence, elle devient la base du plan que je vous proposerai. Cependant, le Corps législatif n’exprime pas tellement la volonté générale, qu’il soit toujours présumé l’avoir exactement prononcée. Aussi, dans les actes de législation, est-il arrêté par le veto du roi. La déclaration du Corps législatif, par laquelle il demanderait une Convention nationale ou la présence du corps constituant, ne serait donc pas suffisante pour donner lieu à leur rassemblement. 11 faut que cette déclaration, émise au nom de la volonté générale, reçoive en effet la sanction de cette volonté ; il faut que le vœu prononcé par les représentants puisse être annulé ou confirmé. Par qui le sera-t-il ? Ce ne peut pas être par le roi, car ceci est l’initiative d’un acte de souveraineté nationale, qui .doit retourner à sa source. Il faut donc recourir au peuple, et ce recours est facile en restant toujours dans les principes. Le peuple s’exprimera de la seule manière dont il puisse s’exprimer par de nouveaux représentants, c’est-à-dire par sa seconde législature. Enfin par une troisième. Et lorsque ces trois législatures consécutives ont émis le même vœu, n’existant plus alors aucun doute que la volonté générale ne désire la présence d’une Convention nationale ou celle du corps constituant, ils doivent être rassemblés. Je ne connais, ou du moins je ne prévois que deux objections contre ce système ; car n’ayant encore été soutenu par personne, il n’a pas été combattu. On dira que le Corps législatif, malgré le vœu individuel du plus grand nombre des citoyens de l’Empire, peut ne demander jamais la Convention nationale ni le corps constituant. A ce premier argument, je pourrais opposer les principes théoriques du gouvernement représentatif, qui ne permettent pas cette supposition. Mais j’aime mieux répondre par des vérités pratiques que par des abstractions. Veut-on dire que le Corps législatif, n’ayant aucun égard à des réclamations vagues, partielles ou locales, s’abstiendra de demander la Convention nationale ou la présence du corps constituant? Je le crois de même, et ce serait une grande faute de prendre de telles clameurs pour les indices de l’opinion publique. Ne perdons jamais de vue que le caprice, l’engouement ou l’enthousiasme d’un jour ne doivent avoir aucune part aux réformes ou aux changements de la Constitution; il faut des motifs réels, un vœu prononcé, une opinion publique formée. Le Corps législatif résistera donc et devra résister à un vœu légèrement articulé par quelques signataires répandus, çà et là, sur la surface de l’Empire ; mais à un vœu réellement prononcé, à un vœu tel qu’il le faut pour déterminer une mesure si importante, en un mol, à une véritable opinion publique, je soutiens qu’il n’y résistera jamais. Je n’en donnerai qu’une seule raison; si je croyais qu’il pût en exister une meilleure, je la chercherais ; ma raison unique est qu’il ne peut y résister. Et prenez garde, Messieurs, que, si Ton me nie cette assertion, le procès est fait par là même au gouvernement représentatif. Quoi! vous admettez que le Corps législatif prononce conformément à la volonté générale dans la confection des lois ! car enfin tout votre système de gouvernement est fondé sur ce fait. Quoi I vous proscrivez l’usage des cahiers et des mandats, parce que vous admettez dans les représentants le don efficace de la volonté générale, qui ne peut être enchaînée par des volontés particulières! et cependant voilà que vous supposez à ces représentants une autre volonté que la volonté générale, c’est-à-dire une résistance formelle à cette volonté. Si votre supposition est fondée, quel système avez-vous donc adopté, et sur quelles bases reposera désormais la stabilité de votre gouvernement ? Le Corps législatif, dit-on, sera corrompu par l’agence exécutive, pour empêcher la réformation d’un article nuisible à l’intérêt du peuple, mais fécond en abus dans la main des ministres. Vous parlez toujours de corruption, et moi aussi je la redoute, car la Constitution a bien érigé en maxime l’inviolabilité des représentants, mais elle n’en a pas fait une de leur incorruptibilité ; cependant, tout cela n’est pas la question. Le peuple désirera-t-il, oui ou non, la réforme? Tout est là, et je soutiens que, s’il la désire, il n’est pas de système corrupteur qui puisse empêcher le Corps législatif de la demander, à moins que vous ne lui supposiez à lui-même un moyen de corrompre, à son tour, la totalité des citoyens de l’Empire. L’objection ne prouve donc, tout au plus, que le Corps législatif pourrait être corrompu par le ministère, pour ne pas demander la réformation d’un article dont lui seul aurait aperçu les inconvénients, c’est-à-dire qu'il ne se donnerait pas, I en quelque sorte, l’initiative envers le peuple, et qu’il n’apellerait pas son attention sur un objet échappé jusqu’alors à ses regards. Eh bien ! cela même est heureux pour le prin-I cipe ; le Corps législatif ne doit pas avoir l’initia-I tive envers le peuple, il doit n’exprimer jamais 1 que la volonté du peuple; et je répète que, cette volonté une fois manifestée, le Corps législatif l’exprimera nécessairement. Cependant, admettons que le Corps législatif puisse résister à ce vœu, qu’en résultera-t-il de fâcheux? Un simple retard de deux années; car le peuple nommant bientôt de nouveaux représentants, les choisit tels, qu’ils puissent exprimer sa volonté précise sur ce fait. Que si, au contraire, les représentants, par un nouvel effet delà corruption, dont nous les supposons toujours investis, demandaient, sans avoir le vœu du peuple, ou même contre le vœu du peuple, une Convention nationale, ou la présence du Corps constituant, eh bien, encore, qu’en peut-il résulter de fâcheux ? La Convention nationale, ou le Corps constituant, vont-ils être, en effet, rassemblés sur cette demande, et ne faut-il pas attendre que deux législatures successives aient prononcé définitivement sur le vœu de la première ? Vous voyez, Messieurs, comme, en suivant cette chaîne, nous arrivons toujours à faire triompher le vœu du peuple, sans insurrection dans aucun cas. La seconde objection, à laquelle je m’attends, est que la forme proposée entraîne un trop grand intervalle entre l’émission du vœu et sa réalisation. Mais d’abord il faut savoir quel serait, d’après mon projet, ce véritable intervalle. Le plus long serait par exemple, du mois de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 400 mai 1793 au mois de juillet 1797, c’est-à-dire de 4 ans et 2 mois. Le plus court serait du mois d’avril 1795 au mois de juillet 1797, c’est-à-dire de 2 ans et 2 mois. (On voit que la différence résulte de l’époque à laquelle la première des 3 législatures émet son vœu.) Passant maintenant à l’objection, j’observe en premier lieu, que, quand même elle serait d’un grand poids, il n’en résulterait pas que le moyen ne valût rien au fond, mais seulement que la forme d’exécution devrait être changée. Cependant, je suis loin de croire que ce délai puisse-entraîner après lui de funestes conséquences ; je ne connais pas de motifs pour l’abréger, et peut-être ne serais-je pas fort embarrassé d’en trouver de plausibles, pour l’étendre davantage encore. Mais, sans vous faire observer, Messieurs, combien serait fatal à la chose publique un moyen trop facile d’obtenir des Conventions nationales, ou la présence du Corps constituant, je me bornerai à cette réponse : Ou le besoin de rassembler ces corps sera un besoin réel, ou il ne le sera pas. S’il est réel, le vœu se soutiendra pendant cet intervalle, et même beaucoup encore par delà. S’il ne l’est pas, le vœu se détruira par lui-même, et chacun s’applaudira de n’avoir pas été surpris par le temps. Cet intervalle dont on se plaint, est donc un moyen sûr de devoir tout à la réflexion, et rien à la légèreté; eh croyez, Messieurs, qu'il est plus expédient au salut de l’Etat, de différer des réformes utiles, que de donner le pouvoir d’en faire à chaque instant d’inutiles et de fâcheuses. Pour démontrer le danger de ce retard, il faudrait supposer qu’il existe dans la Constitution un article quelconque, dont la réformation, différée pendant ce court intervalle, pût arrêter le jeu de la machine politique, et briser tous les ressorts du gouvernement. Or, jusqu’à ce que la vérité de ce fait m’ait été démontrée, je suis fondé à soutenir le fait contraire; si pourtant cet article existe, qu’on se hâte de le dénoncer, et tandis qu’il en est temps encore, l’Assemblée nationale constituante l’effacera du code constitutionnel, créé pour le bonheur de la génération présente, et pour donner la paix aux générations futures. Enfin, il est une troisième objection que je n’avais pas pressentie d’abord. On dira peut-être que, ce mode une fois établi, le premier rassemblement d’une Convention nationale ou du corps constituant devient un événement possible dans un petit nombre d’années, tandis qu’en adoptant une autre forme, cette époque peut être reculée, pour ainsi dire, à volonté. A cette objection je n’ai qu’un mot à répondre. En déclarant dès aujourd’hui, d’après votre comité, que le Corps constituant ne sera pas rassemblé avant l’année 1800, vous présumez apparemment que jusque-là sa présence ne sera pas nécessaire; je ne demande pas sur quoi vous appuyez cette présomption, mais je soutiens que vous l’avez; car s’il eu était autrement, votre proposition serait difficile à justifier. Eh bien ! si votre calcul est juste, il convient également à mon projet, car, la possibilité d’ob tenir une Convention ne crée pas la nécessité d’en avoir; ainsi, dans l’un ou l’autre système, [31 août 1191.] nous n’aurons pas de Convention nationale avant l’année 1800. Si, au contraire, votre calcul est inexact, c’est-à-dire si la Convention nationale est nécessaire avant l’année 1800, j’avoue qu’avec mon projet on pourra la réunir plus tôt ; mais je nie que le vôtre en empêche, et j’y vois cette seule différence, qu’ici le rassemblement sera fait d’une manière légale et paisible, tandis qu’en suivant votre système, il sera le fruit d’une infraction à la loi, d’une insurrection violente, mais indispensable. En opposition à ces arguments, d’ailleurs suffisamment réfutés, parcourons les principaux avantages du plan que je vous propose : 1° En distinguant le pouvoir de réformer d’avec le pouvoir de détruire, en adoptant un moyen de déléguer le premier, sans départir l’auire nécessairement, vous empêchez que la Constitution ne soit en péril à chaque besoin de réforme. Vous donnez la possibilité de réformer, vous assurez aussi le moyen de détruire ; cependant, vous ne forcez pas le peuple à cumuler toujours ces deux pouvoirs, mais seulement quand il lui plaît. Remarquez surtout, Messieurs, dans ces heureux effets, l’utilité de cette distinction; voyez comme avec le temps votre Constitution s’améliore sans aucun danger pour elle-même, sans aucun trouble pour la chose publique. Vous n’appelez pas, pour la perfectionner, la majesté imposante, mais terrible, du pouvoir constituant ; de simples Conventions nationales sont chargées de ce soin ; le calme de la raison préside à leurs utiles travaux, les passions vives s’en éloignent; on peut du moins concevoir cette espérance, car il n’est pas ici question de se partager le pouvoir souverain ; dès longtemps les lots ont été faits, les factieux n’ont plus rien à prétendre ; 2° En remettant au Corps législatif le devoir de déclarer la volonté du peuple, vous conservez la pureté des principes du gouvernement représentatif; vous faites parler le peuple de la seule manière dont il puisse s’exprimer. Les uns nous demandent franchement la délibération des assemblées primaires ; les autres, votre comité, par exemple, nous proposent le recensement de simples pétitions, signées par la majorité des citoyens composant chaque commune, et ils feignent de croire qu’une pétition à laquelle on n’accorde d’effet qu’autant qu’elle est signée par la majorité des citoyens d’une commune, n’est pas une délibération des citoyens de la commune. Messieurs, je ne puis apercevoir, dans l’un ou l’autre de ces systèmes, que la subversion des principes du gouvernement représentatif; admettre la délibération des assemblées primaires sur le fait du changement de la Constitution, fait dépendre de la majorité de ces délibérations le changement de la Constitution, c’est commencer par détruire la Constitution, pour savoir s’il faut la changer; c’est supposer la volonté générale où elle n’est pas; cYst la placer où elle ne peut pas être, puisque, encore une fois, la volonté générale est le produit nécessaire de la délibération commune et de la réunion matérielle de toutes les parties qui la composent. Que si pourtant, un tel système devait prédominer, ne concevant pas que nous puissions consacrer la délibération légale des assemblées primaires sur le fait dont il s’agit, je proposerais de déclarer : Que la délibération des assemblées primaires, 101 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1191.] sur le changement de la Constitution, est une insurrection; Que si la majorité des assemblées primaires est en état d’insurrection, pour la faire cesser, le Corps constituant doit être rassemblé. Par là, du moins, les principes seraient conservés; mais faisons-nous une loi pour préparer, et non pour éviter l’insurrection? 3° En obligeant le Corps législatif à déterminer l’objet de la réforme, vous obtenez deux avantages également précieux. D’abord, vous faites que l’opinion publique se crée en connaissance de cause, et qu’une fois manifestée pour la Convention, la volonté générale n’est pas équivoque. En second lieu, vous bornez les devoirs de la Convention; elle ne peut les dépasser. Le cahier national est écrit longtemps avant que la Convention soit rassemblée; l’acte de la première législature devient en effet le cahier de la nation entière, il supplée à l’impossibilité de faire des cahiers particuliers. Or, je soutiens qu’aucun autre mode ne procurera cet avantage remarquable. Le trouverez-vous, par exemple, dans une combinaison périodique, ou dans les chances du hasard? 4° En soumettant le vœu de la première législature au veto des deux législatures suivantes, vous donnez le temps à l’opinion publique de se bien entendre, de se rectifier; vous l’empêchez d’obéir à ces mouvements inconsidérés, que l’on prendrait d’abord pour une inspiration subite de la raison, et qui ne sont en effet que le produit d’un délire éphémère; vous appelez le peuple à une mûre reflexion; enfin vous ne l’exposez pas à perdre tout en un jour. Trouverez-vous ces avantages dans des retours périodiques, certains ou incertains? 5° En donnant au Corps législatif le droit de provoquer l’existence de la convention nationale, ou la présence du Corps constituant, vous l’empêchez à jamais de devenir l’un ou l’autre de ces pouvoirs. Si ensuite, aux dispositions principales de ce projet, d’autres conditions accessoires sont encore ajoutées; si vous déclarez inéligibles à la législature suivante, les membres de celles qui auront demandé la convocation nationale ou le Corps constituant; si enfin, pour l’une et pour l’autre de ces deux assemblées, vous créez un mode particulier de représentation nationale; vous écartez également du vœu définitif de la troisième législature, et les suggestions de l’intrigue, et l’obstination de l'amour-propre; vous faites surtout qu’aucune législature, dans telle circonstance que ce soit, ne peut tenter l’usurpation du pouvoir constituant. Trouverez-vous cet avantage dans votre périodicité certaine ou incertaine? l’une et l’autre placent à de longs intervalles le réveil de la puissance souveraine : au milieu de cette léthargie, des circonstances favorables se présentent et l’usurpation du Corps législatif peut être justifiée. Enfin, Messieurs, dans tout autre mode, qui ne ferait pas dépendre essentiellement de la volonté actuelle et constante du peuple, la préférence des conventions nationales ou du Corps constituant, vous laissez à vos ennemis le moyen d’abuser de leur système ratificateur. Je répète que ce système est absurde, mais il est captieux; et pourquoi laisserions-nous cette chance aux détracteurs de la Révolution? Vous la leur ôtez, Messieurs, en adoptant le mode que je vous présente ; car alors, à la demande d’un corps ratificateur, l’homme instruit oppose les principes du gouvernement représentatif, et les citoyens moins éclairés r épondent par la Constitution elle-même. Ils disent aux hypocrites défenseurs de leurs droits : Nous avons celui de demander la réforme ou le changement de la Constitution; non pas dans 10 ans , à la fin du règne actuel , ou à toute autre époque déjà fixée , mais demain si notre volonté est telle. Le moyen légal nous est indiqué , nous n'en usons pas , notre silence est une ratification. Voici donc l’analyse exacte de mon projet. Je distingue le pouvoir de réformer partiellement d’avec le pouvoir de changer la Constitution. Je nomme Convention nationale le corps réformateur partiel pour un objet déterminé. Et Corps constituant celui ayant le pouvoir de changer la Constitution. Je donne au Corps législatif le droit de demander, à quelque époque que ce soit de son exercice, le rassemblement de la Convention nationale, ou la présence du Corps constituant. Je l’oblige à déterminer purement et simplement l’objet et non les motifs de la réforme ou du changement. J’établis le veto des deux législatures suivantes sur ce vœu. Si l’une de ces législatures improuve le vœu, je l’annule. Si, au contraire, les deux législatures approuvent la demande faite par la première, alors la Convention nationale ou le Corps constituant doivent être rassemblés. A ces dispositions principales, j’ajoute : 1° Que les membres de la première législature ne peuvent être élus pour la seconde ; 2* Que cette seconde législature sera tenue de prononcer sur le vœu de la première au commencement de sa seconde session ; 3® Que les membres de cette législature , si elle approuve le vœu de la première, sont inéligibles pour la troisième ; 4° Qu’enfin la troisième législature sera tenue de prononcer, dès l’ouverture de la première session, sur le vœu uniforme des deux législatures précédentes. Le motif de cette dernière disposition est facile à saisir; je demande que la troisième législature, chargée de prononcer définitivement, s’exprime dès l’ouverture de sa session, parce qu’enfin il faut un terme à tout, et que d’ailleurs le moment de trancher une question soumise depuis plusieurs années à l’opinion publique, est véritablement celui où les juges apportent de toutes les parties du royaume l’état actuel de cette opinion. Quant aux articles précédents, leur objet est encore plus facilement aperçu ; je ne m’attacherai pas à le développer. Maintenant , Messieurs , il reste à examiner comment sera formée et rassemblée la Convention nationale, comment le Corps constituant. La Convention nationale étant destinée à de simples réformes, il ne paraît pas que sa mission puisse jamais être d’une longue durée. Je crois donc qu’il serait inutile de la constituer séparément, et qu’il peut suffire d’ordonner une adjonction au Corps législatif, qui deviendrait alors Convention nationale. Ce mode évite l’existence simultanée de la Convention nationale et du Corps législatif; et 102 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3i août 1791.] d’ailleurs il en résulte que le Corps législatif, fondu dans la Convention nationale, mais pressé de redevenir lui-même, se hâte de consommer le travail de la Convention, et de la congédier. Je proposerais donc que la troisième s’étant expliquée à l'ouverture de la première session, c’est-à-dire dans le courant du mois de mai, les électeurs fussent rassemblés dans le mois suivant, pour doubler la représentation territoriale, de manière que la Convention, portée à 992 représentants, fût entièrement réunie le 14 juillet. Quant à la formation du corps constituant, j’aurais désiré un mode particulier et essentiellement distinct; mais, dans toute organisation nouvelle, je retrouve toujours le danger de l’existence simultanée du Corps législatif et du corps constituant; danger que l’on n’éviterait pas même, ou que plutôt on aggraverait en plaçant ces deux corps dans des lieux divers. Je sais bien que le corps constituant remplaçant tout, on peut ordonner la retraite de la législature aussitôt qu’il paraît. Mais, en ordonnant cette retraite de la législature, anéantirez-vous définitivement ses pouvoirs, ou les déclarerez-vous uniquement suspendus, sauf à les reprendre au moment de la dissolution du corps constituant? Dans le premier cas, vous rendez nécessaire et même inévitable pendant deux années la présence du corps constituant ; c’est-à-dire que, pendant deux années, vous entretenez forcément au milieu du royaume les agitations révolutionnaires ; tandis que le corps constituant rassemblé, il est vrai, avec le droit de créer une Constitution nouvelle, peut se borner à un léger changement, l’opérer en peu de mois, et rendre bientôt par sa dissolution le calme que sa présence avait banni de l’Etat. Que si, au contraire, le Corps législatif est purement suspendu, sauf à reprendre ses fonctions après la retraite du corps constituant, vous retombez ici dans l’existence simultanée des deux corps; une suspension de pouvoirs n’est guère autre chose qu’une fiction de la loi, et dans telle circonstance, l’esprit de parti saurait bien s’en prévaloir. Je n’en appelle qu’à vous-mêmes, Messieurs ; en différant, il y a peu de mois, l’élection de nos successeurs, aviez-vous d’autres motifs que la crainte de ce danger ? Au surplus, Messieurs, l’embarras de la présence des deux corps, n’est pas une difficulté particulière au plan que je vous propose; die se re� trouve dans tous les systèmes. Le plus sûr moyen dé parer à cet inconvénient est donc encore la fusion du Corps législatif dans le corps constituant. Les mêmes avantages que je vous ai fait remarquer dans ce mode, à l’égard de Conventions nationales, se rapportent également au corps constituant. Je conviens que l’objection serait forte, appliquée à tout autre plan que celui proposé ; il serait absurde, par exemple, que le hasard amenant l’époque d’une convention, le Corps législatif alors existant y fût admis de plein droit ; mais ici rien de semblable: car les membres de la troisième législature ayant été envoyés pour prononcer définitivement sur le vœu des deux précédentes, et d'ailleurs la loi constitutionnelle étant ainsi conçue, il est certain qu’ils ont été envoyés pour examiner si une Convention nationale ou le corps constituant étaient nécessaires à rassembler, pour le jüger définitivement; il est certain aussi qu’une tèlle mission contient déjà en grande partie le pouvoir constituant, mais incontestablement celui de le devenir. Je m’arrête donc à cette idée, et, au lieu d’un rassemblement particulier du corps constituant, au lieu d’anéantir ou plutôt de tâcher d’anéantir devant lui le Corps législatif, je propose, comme à l’égard des Conventions, que la troisième législature s’étant expliquée au commencement de sa première session, c’est-à-dire dans le courant du mois de mai, les électeurs soient rassemblés dans le mois suivant pour doubler la représentation attachée à la contribution directe et à la population, de manière que le corps constituant composé de la législature et des membres additionnels, en tout de 1243 représentants, soit réuni le 14 juillet. Tel est, Messieurs, dans son ensemble et dans ses détails, le plan que je vous propose; mais, avant que je présente sa rédaction en décret, veuillez observer comme il s’accorde avec vos principes, comme il maintient l’unité du système représentatif sans mélange d’aucun autre. Tout y est déterminé par la volonté actuelle et précise du peuple, rien par le caprice ou par des combinaisons vagues et puériles; et pourtant, rien n’est fait par le peuple, mais tout par ses représentants. L'avenir ne vous appartient pas; un jour peut-être il changera vos lois ; mais, du moins jusqu’alors, elles seront uniformes, et correspondantes entre elles. Le moyen même de les détruire, portera l’empreinte de leur création, attestera le principe d’où elles dérivent et le caractère que vous leur aurez donné. Mais remarquez aussi, Messieurs, comme en dédaignant les froids calculs du hasard, pour soumettre toutes choses au raisonnement, le législateur dispose à son gré des époques pour semer dans l’avenir autour de ses institutions des germes féconds dé patriotisme. Croyez-vous, par exemple, Messieurs, que ce soit une chose absolument indifférente, que le jour du rassemblement des Conventions nationales ou du Corps constituant? Je demandé que ce jour soit fixé au 14 juillet, anniversaire de la Révolution ; j’y insiste, et dans le projet qüë je vous propose, cette époque se présente naturellement sans intervertir ou retarder en rien la marche des opérations. Dédaigner ce genre de considérations futiles en apparence, mais réelles dans leurs effets, ce serait connaître mal les hommes; donnez-leur de grandes sensations ; ils auront de hautes pensées. Emu pâr la puissance des souvenirs, par l'éloquence des objets qui les lui retracent, l’homme en devient meilleur à ses propres yeux ; il ose difficilement se mentir à lui-même. Si jamais la France pouvait devenir la proie du despotisme, si jamais uné seconde séance royale était osée, croyez, Messieurs, que le 14 juillet ne serait pas choisi pourexécuterces détestables complots. Que les Conventions nationales soient placées à la fin de chaque règne; les membres se regardent, s’étonnent ou s’affligent du hasard qui les réunit, rien ne parle à leur imagination. Ils sont là parce qu’un homme est mort. Rassemblez-les le 14 juillet, leur première pensée est un grand souvenir, leur première parole un serment à la liberté. (Applaudissements.) Voici mon projet de décret :