480 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [H mai 1790.] conformes aux principes de la justice. Les fer-miers avaient contracté dans la persuasion où ils étaient que, tenant à ferme des biens ecclésiastiques, leur baux ne seraient pas rompus; ils ont établi leur exploitation en conséquence. La première 'partie de l’article que le comité a proposé d’abord est donc conforme à l’équité ; la seconde partie est injuste. Les nouveaux articles confirment entièrement cette injustice. Gomment se peut-il qu’après avoir fait pénétrer dans les provinces le projet de décret imprimé, qui y a porté des espérances bien légitimes, le comité vienne nous présenter, quoi? la guerre civile! Ici ma tâche devient pénible ; je suis obligé d’indiquer des faits que l’Assemblée a besoin de connaître et de méditer. Un député, membre du clergé d’Alsace, a fait imprimer et répandre une protestation dans laquelle on dit au peuple : « Vous allez être, par la vente des biens ecclésiastiques, réduits à la mendicité; les juifs vont acquérir les biens que vous exploitez... » Les Chambres ecclésiastiques de Spire et de Strasbourg ont écrit des lettres circulaires pour engager tous les bénéficiers et toutes les maisons religieuses à refuser les déclarations aux commissaires qui seront chargés de faire les inventaires, et à protester contre les décrets de l’Assemblée nationale. J’ai entre les mains un modèle de protestation qui m’a été remis par un bénéficier d’Alsace, etj qui est dûment signé. On s’occupe en ce moment d’une protestation générale contre tous les décrets relatifs à la vente des biens ecclésiastiques. Les signatures recueillies dans les campagnes sont déjà au nombre de quinze mille dans la basse Alsace, et six mille dans la haute. Par qui ces signatures sont-elles données ? par les parties intéressées, les fermiers. Cette protestation a pour motif le maintien de la religion catholique, apostolique et romaine, et la crainte de voir établir un autre culte public. Il faut observer qu’on trouve parmi les signataires un très grand nombre de protestants et de luthériens. Ces faits, dont nous administrerons la preuve, s’ils sont contestés, nous sont connus officiellement. Toutes les lettres qui nous sont adressées nous annoncent qu’il n’est qu’un seul moyen de rassurer les gens de la campagne: c’est de vendre en maintenant les baux. D’après l’esprit de vos premières décisions, d’après l’opinion de la partie bien pensante de cette Assemblée, et d’après le premier avis du comité, nous avons cru pouvoir faire espérer que ces baux seraient maintenus; nous avons envoyé le projet du comité; nos commettants ont cru leurs espérances presque réalisées : ne serait-ii pas dangereux de leur dire maintenant qu’ils se sont trompés?... Je propose de décréter que les biens ruraux, affermés antérieurement au 2 novembre 1789, ne pourront être vendus qu’à la charge de l’entretien des baux. M. Dupont (de Nemours ). L’intérêt des campagnes n’est pas que les baux soient entretenus ; au contraire, l’expulsion des fermiers est un moyen de faire participer un grand nombre d’individus aux ventes qui sont décrétées ; si les baux ne sont pas rompus, on ne pourra acheter que des corps de fermes en entier... Ainsi l’entretien des baux est un obstacle à la vente et à la division des propriétés. On a dit, et c’est l’objection la plus raisonnable, que les fermiers n’avaient pas dû s’attendre à la rupture de leurs baux ; mais les baux n’étaient-ils pas résiliés à la mort de chaque titulaire ? Pour réunir toutes les opinions, je propose de décréter que les indemnités seront réglées de gré à gré, et que, dans le cas où les parties ne pourront s’accorder, ce règlement sera fait par le directoire du district ou du département. M. Merlin. L’avis du comité était d’abord réellement conforme à la rédaction proposée par M. Rewbell. J’avais moi-même présenté un article qui avait été adopté à une grande majorité ; avant-hier un membre est survenu : il a proposé des idées plus financières que justes. M. Dupont a fait changer l’article dans un moment où le comité était très peu nombreux. On veut vous faire craindre de manquer d’acquéreurs si les fermiers ne sont pas expulsés; vous devez, sur toute chose, craindre d’être injustes. On veut confirmer la loi Emptorem. Est-ce une de ces lois que la sagesse des législateurs romains a rendues respectables? Non ; c’est une décision ministérielle, c’est un simple rescrit d’un empereur; elle est souverainement injuste, puisqu’elle autorise le vendeur à transmettre à l’acquéreur une faculté qu’il n’a pas lui-même. Vous ne pouvez consacrer cette loi ; ce serait souiller votre législation dès son berceau; d’ailleurs vous vous aliéneriez les provinces frontières, qui sont les plus riches en biens ecclésiastiques. Vous venez d’apprendre ce qui se passe en Alsace; vous ignorez qu’en Artois les ennemis de la Révolution incendient les villages, afin de mettre les habitants des campagnes au désespoir : ne les aidez pas à consommer leurs funestes desseins ; ne croyez pas que tous les biens ecclésiastiques soient affermés en grosses parties; ne pensez pas non plus que le dédommagement qu’on vous propose d’accorder soit une véritable indemnité : il n’y a point d’indemnité réelle pour un fermier qui est forcé de quitter son exploitation avant l’expiration de son bail. Il a été obligé de faire des avances considérables pour entrer en jouissance; s’il cesse de jouir, il faut que tout à coup il vende ses bestiaux, etc. Cette vente si subite ne peut se faire qu’à une très grande perte. Je propose de revenir au premier avis du comité, qui avait été rédigé en ces termes: « Les baux à ferme ou à loyer desdits biens qui auront été légitimement faits, et qui auront une date certaine et authentique, antérieure au 2 novembre 1789, seront exécutés selon leur forme et teneur, sans que les acquéreurs puissent, même sous l’offre des indemnités de droit et d’usage, expulser les fermiers. » M. Dupont (de Nemours). C’est une règle générale, que quiconque est chargé de la rédaction de l’avis d’un comité doit se renfermer uniquement dans cet avis. J’avais été chargé de la rédaction de l’article 10; je me suis conformé à cette règle : mon opinion n’était pas absolument la même que celle du comité; mais je pensais qu’ayant la faculté de payer dans douze années, presque tous les fermiers du royaume étaient en état d’acheter leur ferme. Je ne m’attendais point à être inculpé, et je crois que si vous m’avez accordé quelque considération comme financier, vous m’en avez accordé davantage comme homme de bien et comme ami de la prospérité. M. le Président consulte l’Assemblée qui rejette les nouveaux articles proposés pour remplacer l’article 8 primitif. L’article 8 amendé est ensuite mis aux voix et adopté; il devient l’article 9 du décret et porte : 481 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 mai 1790.] Art. 9. « Les baux à ferme ou à loyer desdits biens, qui ont été faits légitimement, et qui auront une date certaine et authentique, antérieure au 2 novembre 1789, seront exécutés selon leur forme et teneur, sans que les acquéreurs puissent expulser les fermiers, même sous l’offre des indemnités de droit et d’usage. » L’ancien article 9, devenu l’article 10, est adopté sans discussion. Art. 10. « Les municipalités revendront à des particuliers, et compteront de clerc à maître avec la nation, du produit de ces revenus. » M. Delley d’Agïer, rapporteur. L’article 10 du projet, qui deviendrait l’article 11 du décret, porte : Art. 10. « Les municipalités seront chargées de tous les frais relatifs aux estimations, ventes, subrogations et reventes. Il leur sera alloué et annuellement fait raison par le receveur de l’extraordinaire, et proportionnellement aux sommes versées dans sa caisse à leur décharge : 1° d’un seizième du prix déterminé par l’estimation; 2° d’un quart de l’excédent de la revente sur ce prix. » M. Pétion de Villeneuve. Le comité attribue aux municipalités des sommes qui me paraissent exorbitantes. Je prends pour exemple la municipalité de Paris : elle achètera pour 200 millions ; le seizième du prix de l’estimation produira 12,500,000 livres; l’augmentation, lors de la vente, peut être évaluée à 50 millions; le quart de cette augmentation produira donc encore 12,500,000 livres; ainsi vous accorderez à la ville de Paris un bénéfice de 25 millions. Que résultera-t-il de cette prodigieuse faveur ? Les municipalités seront intéressées à baisser le prix de l’estimation, afin que le quart de l’augmentation soit plus considérable. Il me semble qu’il est digne de votre prudence et d’une administration économe de borner ce bénéfice an seizième du prix total des ventes. M. le duc de La Rochefoucauld. Des offres ont été faites sous l’espoir de ces avantages; ne serait-il pas dangereux de prendre aujourd’hui des dispositions différentes de celles qu’on devait naturellement prévoir? M. Regnaud {de Saint-Jean-d' Angely). C’est pour engager l’Assemblée à être conséquente à ses principes que j’appuie la motion de M. Pétion de Villeneuve. L’Assemblée n’a jamais entendu donner à la municipalité de Paris un bénéfice supérieur à un seizième du prix total des ventes. En effet, cette municipalité devait payer d’abord les trois quarts des 200 millions, et bénéficier du quart du prix total de la vente de l’autre quart : le quart d’un quart est assurément un seizième. M. Delley d’Agier. Le maire de Paris avait réellement demande le quart de l’excédent des ventes sur le montant des obligations qui seraient fournies; mais il proposait de rendre compte des frais dont la nation se trouverait chargée. Vous avez vous-mêmes pensé qu’il y aurait du danger à ne pas charger les municipalités de ces frais. C’est alors que vous avez cru convenable de fixer le bénéfice d’une manière qui n’est pas différente de celle que vous propose le comité. L’article que vous avez décrété hier met toutes les municipalités au même taux. Si vous changez quelque chose à une mesure non décrétée, mais suffisam-lw Sérip, T. XV. ment indiquée, les municipalités verront avec peine la diminution des avantages qu’elles espéraient. Si elles retiraient leurs offres, il faudrait avoir recours à des compagnies, et, au lieu d’une dépense qui, tournant au profit des municipalités, dédommagerait une partie de la nation des maux qu’elle a soufferts, on se verrait forcé à contracter avec les capitalistes aux conditions les plus onéreuses. M. de Lahlache présente un projet d’article qui est décrété en ces termes : Art. 11. « Les municipalités seront chargées de tous les frais relatifs aux estimations, ventes, subrogations et reventes; il leur sera alloué et fait raison, par le receveur de l’extraordinaire, du seizième du capital des reventes qui seront faites à ces particuliers, à mesure et à proportion des sommes payées par les acheteurs. » L’article 11 primitif, quideviendra l’article 12 du décret, est lu en ces termes : Art. 11. « Si, pour assurer le payement des obligations aux époques convenues, quelques municipalités étaient dans le cas de faire des emprunts, elles ne pourront y procéder, qu’ après y avoir été autorisées par l’Assemblée nationale qui en déterminera les conditions. » M. Duport. Autoriser les municipalités à faire des emprunts, c’est, pour ainsi dire, les autoriser à ne pas payer avec les deniers que produiront les ventes. Je demande que cet article soit supprimé. M. Le Chapelier. Vous avez autorisé la ville de Paris à faire des emprunts: vous n’avez pu vouloir que ce décret lui fût particulier; toute rétractation serait funeste. Ne pas permettre aux municipalités d’emprunter, ce serait leur permettre de ne pas payer, ce serait ôter à vos assignats la confiance qu’ils doivent obtenir. Pourquoi avez-vous donné tant d’avantages aux municipalités? C’est à cause de l’incertitude de l’époque précise où elles auront revendu aux particuliers ; si ces reventes ne sont pas faites aux échéances des engagements, il faudra bien que les municipalités empruntent pour y satisfaire. Ne souffrez pas que, par de petits amendements, que par des dissertations inutiles, on vous conduise à révoquer un décret sanctionné et proclamé, un décret sur lequel vous ne pouvez revenir sans compromettre votre crédit et la chose publique. M. le Président consulte l’Assemblée qui adopte l’article 12 avec une légère modification de rédaction, ainsi qu’il suit : Art. 12. « Si, pour compléter le payement des obligations aux époques fixées, quelques municipalités avaient besoin de recourir à des emprunts, elles y seront autorisées par l’Assemblée nationale ou par les législateurs, qui en régleront les conditions. » L’ancien article 12 du comité, qui devient l’article 13 du décret, est adopté sans discussion ; en voici la teneur : Art. 13. « Les payements à faire par les municipalités, ou par les acquéreurs à leurs décharges, ne seront reçus à la caisse de l’extraordinaire qu’en espèces ou en assignats. » M. Barnave. Je crois qu’il est prudent de ne pas jeter sur le marché une trop grande quantité de biens domaniaux, afin de ne pas en diminuer la valeur. Je vous propose d’adopter, dans 1 31