264 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mai 1791.] Elle y a compris les affranchis, et même les personnes libres nées d’un père qui ne le serait pas. Elle a étendu sur eux l’initiative concédée par la métropole aux colonies. Elle a ainsi augmenté dans les assemblées coloniales le droit éminent qu’elle leur avait déjà conféré relativement aux personnes non libres; ce droit précieux d’être l’origine d’un plus grand bien, qui est un des plus beaux et des plus nobles attributs du Corps constituant. « En attachant les autres hommes libres aux colons de race européenne, par un intérêt commun, en reconnaissant chez eux, comme elle l’avait déjà fait, les droits que leur donnent la nature et la société, elle a créé dans les colonies la puissance la plus propre à y résister et aux troubles intérieurs et aux attaques de l’ennemi. « Elle s’applaudissait d’un ouvrage dans lequel la politique, la condescendance, la raison et l’équité lui paraissaient si heureusement conciliées, lorsqu’elle a vu avec douleur quelques députés des colonies regarder comme une diminution des concessions précédemment faites aux assemblées coloniales l’extension nouvelle donnée à ces mêmes concessions. « Sans doute, ces députés ne tarderont pas à revenir d’une erreur si contraire aux intentions et à la teneur des décrets du Corps législatif et constituant. « Sans doute, ils regretleront de l’avoir manifestée, en déclarant qu’ils s’abstiendraient des séances où leur devoir les appelle. « L’Assemblée nationale les plaint d’une conduite qu’elle pourrait traiter plus sévèrement ; et dans l’affection véritablement maternelle dont elle est animée pour les colonies, elle se borne à empêcher, par la présente instruction, que l’erreur de leurs députés n’y devienne contagieuse. Au-dessus du soupçon et de l’imputation d’avoir manqué à ses engagements, au moment même où elle les excède par égard pour les habitudes des citoyens blancs des colonies, il lui paraît suffisant de leur recommander de comparer et de peser ses décrets. Ils y trouveront son amour pour eux et ses soins pour les intérêts ; elle ne veut point, d’autre préservatif contre tous les efforts que l'on pourrait faire pour égarer leur opinion; elle se fie à leur raison et au patriotisme dont ils ont, dans tous les temps, donné un si grand nombre de preuves. Elle est convaincue que rien au monde ne pourrait les détourner de l’obéissance qu’ils doivent aux décrets du Corps législatif, sanctionnés par le roi et soutenus de toute la puissance nationale; mais cette obéissance, mais la reconnaissance des colons libres de toute couleur, et surtout de ceux qui tiennent de plus près à la mère-patrie, de ceux qui se sont toujours distingués parmi ses enfants, lui paraissent encore plus solidement fondées sur leur intérêt respectif et sur le sentiment inviolable d’attachement et de zèle que mérite, qu’inspire la Constitution, et qu’on ne pourra jamais altérer dans le cœur des bons citoyens. Toute passion chez eux cède à l’amour de la patrie, et toute insinuation qui tendrait à l’affaiblissement de ce lien sacré, sera repoussée par eux avec horreur « L’Assemblée nationale a chargé ses comités réunis de Constitution, des colonies, de commerce et de marine, de lui proposer sans délai les lois les plus propres à concilier tous les intérêts commerciaux des colonies et de la métropole, et à porter la culture et les richesses des îles françaises au plus haut degré dont elles soient susceptibles ». M. Bouche. Je demanderai à M. le rapporteur une explication, sur la définition qu’il donne dans le second alinéa, des hommes livrés au travail de la culture dans les colonies. M. Dupont (de Nemours), rapporteur. C’est pour justifier sous un certain rapport l’article par lequel on yods acuse d’avoir décrété constitutionnellement l’esclavage. Je dis que ces hommes, par leur ignorance, par l’infériorité de leurs moyens, par leur expatriation, ne font pas, pour ainsi dire, partie de la société, mais qu’ils font partie de la famille, qu’ils existent sous la protection d’un gouvernement domestique. C’est ainsi que chez les Romains on appelait pater familias, l’homme qui avait des esclaves, quoiqu’il n’eût pas d’enfants. Il faut regarder ces esclaves comme des enfants mineurs; vous les avez donc confiés au gouvernement domestique de la famille, en disant qu’il ne serait rien statué à leur égard que sur le vœu des assemblées coloniales. C’est un membre très instruit de cette Assemblée qui m’a donné l’idée de définir ainsi la nature de cette espèce d’esclavage que vous ne devez considérer que comme une minorité dont l’émancipation est soumise au gouvernement de famille. M. Martinean. Je demande qu’au lieu de dire ; Les cultivateurs, ou les hommes chargés de la culture dans les colonies, on dise : Ceux dont les bras sont employés à la culture. Je demande ensuite que vous n’entrevoyiez pas dans l’initiative que vous avez donnée aux colonies, une époque à laquelle les nègres deviendront libres. (Murmures.) M. Dnpont (de Nemours ), rapporteur. Il n’est pas impossible que les assemblées coloniales s’occupent de ce grand objet. Vous connaissez la loi bienfaisante qui a été faite pour les colonies espagnoles, par M. le comte de Florida-BIanca. Par cette loi, les nègres ont le dimanche libre, et peuvent ce jour-Jà travailler pour eux. Lçrs-qu’ils parviennent, par le fruit de ce travail, à acquérir 300 livres, c’est-à-dire le sixième de ce qu’ils ont coûté à leurs maîtres, ils achètent le lundi, puis le mardi; et en 15 ou 20 ans de travail, ils parviennent à ache'.er leur liberté, en même temps qu’ils acquièrent l’amour de l’ordre et du travail, et l’habitude des bonnes mœurs. C’est le ministre d’Espagne qui a fait ce présent à l’humanité. Vous ne devez pas désespérer que les assemblées coloniales ne fassent un si bel usage de leur initiative. M. fioupil-Préfeln. Il est bien étonnant que l’horreur de la liberté se manifeste dans cette Assemblée, comme l’on voit Rs hydrophobes malheureusement atteints de l’horreur de l’eau. M. Treilhard. Je demande à M. le rapporteur si le projet d’instruction a été délibéré par les quatre comités chargés des affaires coloniales. M. Dupont (de Nemours), rappoteur. J’ai prévenu l’Assemblée que j’avais moi seul rédigé ce projet. Les comités ont été convoqués plusieurs fois; mais ils ne se sont jamais trouvés en nombre suffisant pour délibérer. Les membres, qui étaient présents, m’ont chargé de vous le présenter tel que je Payais rédigé. (Aux voix! aux voix!) [Assomblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [21 mai 1791.] 265 M. le Président. Que ceux qui veulent adopter l’instruction se lèvent. (La majorité se lève ; il s’élève des réclamations.) M. Nairac. Quoi ! après avoir décrété que quatre comités feraient l’instruction, vous "vous en rapporteriez à M. Dupont 1 M. Prieur. Certainement, il n’est personne qui ne désire de ramener la paix dans les colonies, et qui n’approuve les principes de l’instruction qui vient d’être lue; mais il n’est personne qui ne sente aussi que dans une affaire d’un si grand intérêt, une trop grande précipitation pourrait être funeste. Ce n’est pas sur une simple lecture qu’on peut juger d’une instruction, qui peut être regardée comme un code de législation, et de laquelle dépend peut-être le sort de ces belles contrées. Je demande que ce projet soit livré à l’impression sur-le-champ, pour être mis en délibération demain. Un membre : Il y a eu hier à Paris une assemblée des colons blancs. Rien n’est plus pressant que d’envoyer dans les colonies des instructions qui puissent les prémunir contre les efforts de la malveillance; car la situation des gens de couleur n’est pas en sûreté. M. Dnpont (de Nemours), rapporteur. Je demande à observer... M. Hairac. Vous avez fait trop de fautes dans votre vie, pour nous en faire faire encore une. M. le Président rappelle M. Nairac à l’ordre. M. Dupont (de Nemours ), rapporteur. Quoique les moments soient bien précieux, comme il faut que le ministre prenne des mesures pour l’envoi de ces instructions, il n’y a aucun inconvénient à ce que je fasse imprimer mon projet, pour que vous le décrétiez demain, et à ce que cependant le roi soit prié de donner les ordres les plus prompts pour le départ d’un aviso. (L’Assemblée, consultée, décrète l’impression du projet d’instruction des comités et l'ajournement de la délibération à demain; elle charge en outre son Président de se retirer par devers le roi, à l’effet de le prier de donner des ordres nécessaires pour l’expédition la plus prompte d’un aviso , qui porterait aux colonies le dernier décret rendu sur l’étal des personnes, et l’instruction qui y sera annexée.) L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret du comité de Constitution sur l'organisation du Corps, législatif (1). M. Thouret, rapporteur. Nous nous sommes arrêtés hier, Messieurs, à l’article 41 ; voici cet article : « Le Corps législatif pourra se former en comité général , pour l’examen de quelques affaires, lorsqu’il aura-jugé cette disposition nécessaire : alors tous les assistants seront tenus de se retirer ; mais, après l’examen fait en comité, la discussion aura lieu et le décret ne pourra être rendu que dans la séance publique. » (1) Voy. ci-dessus, séance du 20 janvier 1791, au matin, page 248. M. JLe Chapelier. Le fond de cet article me paraît bon ; mais il faut que la Constitution définisse bien exactement ce droit donné au Corps législatif de se former en comité général. Pour que cette disposition constitutionnelle soit vraiment utile, il faut qu’elle soit facile; et, pour cela, je ferai un amendement : c’est qu’un seul membre ait le droit de demander la formation de l’Assemblée en comité général et exiger qu’on la mette en délibération par assis et levé, et que, s’il y a du doute dans la délibération, ce doute soit interprété en faveur de la formation en comité. M. Pétion de Villeneuve. Il ne faut pas s’en rapporter à cette épreuve par assis et levé. Il est évident que si la minorité ne pouvait obtenir un comité général, il n’y en aurait jamais; car les membres de la majorité, étant d’avis du projet de loi en discussion, aimeraient mieux le décréter sur-le-champ que de courir les risques d’une discussion particulière dont ils pourraient craindre les résultats. Cependant la formation en comité peut être très utile : des hommes qui ne parlent point à la tribune, peuvent souvent ouvrir de très bons avis dans une conversation particulière. Je demande donc qu’on fixe le nombre de membres nécessaires pour exiger la formation, mesure qui ne peut jamais être nuisible. Si, par exemple, 50 ou 60 membres demandaient ce comité, la majorité ne doit pas pouvoir s’y refuser; autrement, l’avis qu’on vous propose serait illusoire. M. I�e Chapelier. Je crois que 55 membres suffiraient. M. Thouret, rapporteur. Si le Corps législatif n’était destiné qu’à faire des lois pour le régime intérieur, le comité ne vous aurait pas même proposé sa formation possible en comité général ; car, en matière de législation intérieure, il ne saurait exister une trop grande publicité. Mais le Corps législatif est encore chargé des plus hautes fonctions du gouvernement, de tous les intérêts extérieurs. Il est possible qu’il se trouve dans des circonstances délicates, que le ministre lui fasse une communication importante, en annonçant même qu’elle est de nature à être prise en comité général; il est possible qu’un membre ait des instructions personnelles à communiquer : dans tous ces cas, le Corps législatif sentira parfaitement la nécessité de se former en comité, soit pour ne pas divulguer un secret important, soit pour asseoir ses premières idées avant la délibération. Je ne crois donc pas qu'il faille assujettir le Corps législatif à des formes trop détaillées. Je pense qu’il faut en laisser l’application à la prudence du Corps législatif qui l’ordonnera, suivant que la posbion des affaires en rendra l’intérêt pressant : c’est sous ce rapport que nous avons proposé l’article. Cependant il n’y aurait pas un grand inconvénient à décréter qu’un nombre déterminé de membres pourra exiger la formation en comité. M. Martineau. Je pense que le tiers des voix doit suffire pour que l’Assemblée se forme en comité général ; je pense également que, pour le bien de la nation, les décrets doivent être rendus dans le comité général et non sous les yeux du public, et je délie qui que ce soit de me contre-