[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 avril 1790.] 619 de laquelle les intérêts courront, à compter du 1er janvier 1791, et dont la liquidation sera faite de ia manière qui sera incessamment déterminée. Art. 6 Sont et demeurent exceptés, quant à présent, des dispositions de l’article premier du présent décret, l’Ordre de Malle, les fabriques, les hôpitaux, les maisons de charité, et les collèges administrés par des ecclésiastiques ou des corps séculiers, et qui sont comptables de leurgesiion, lesquels eeutinueront, comme par le passé, et jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné par le Corps législatif, d’administrer les biens et de percevoir, durant la présente année seulement, les dîmes dont ils jouissent, sauf à pourvoir, s’il y a lieu, à l’indemnité que pourrait prétendre l’Ordre de Malte, et à subvenir aux besoins que les autres établissements éprouveraient par la privation des dîmes. Art. 9. Tous les ecclésiastiques, corps, maisons ou communautés de l’un et de l’autre sexe, autres que ceux exceptés par l’article 8, personnellement, pour les dîmes qu'ils exploitent et pour les biens qu’ils font valoir, lesquels ils seront tenus, durant la présente année, de faire valoir et exploiter ; et, tant eux que leurs fermiers et locataires, pour les objets qu’ils ont donnés à ferme ou à bail, seront tenus de verser ou payer les loyers et les fermages, échus et à échoir, la présente année, entre les mains du receveur de leur district, et de rendre compte des fruits et loyers qu’ils ont perçus ou percevront, saut à se retenir leurs traitements ou pensions; lequel compte ils seront tenus de communiquer préalablement à la municipalité du lieu, pour être ensuite vérifié par le directoire du dictrict et apuré par celui de département, à peine de privation de leurs traitements ou pensions, et même sauf toute action contre eux, leurs fermiers et locataires, s’il y échet. Art. 10. Ils seront tenus pareillement, eux, leurs fermiers, régisseurs ou préposés, ainsi que tous ceux qui doivent des portions congrues, de les acquitter durant la présente année, comme par le passé; comme aussi d’acquitter toutes les autres charges, même le terme de la contribution patriotique, échu le premier de ce mois; à défaut de quoi, ils seronteontraiuts, en la manière accoutumée, sauf à leur être tenu compte de ce qu’ils auront payé, ainsi qu’il appartiendra. Art. 11. Les baux à ferme des dîmes tant ecclésiastiques qu’inféodées, sans mélange d’autres biens ou droits, seront et demeureront résiliés à l’expiration de la présente année, sans autre indemnité que la restitution des pots-de-vin, celle des fermages légitimement payés d’avance, et la décharge de ceux non payés ; le tout au prorata de la non-jouissance. Quant aux fermiers qui ont pris à bail des dîmes, conjointement avec d’autres biens ou droits, sans distinction de prix, ils pourront seulement demander la réduction de leurs pots-de-vin, loyers et fermages, proportionnée à la valeur des dîmes dont ils cesseront de jouir, suivant l’estimation qui en sera faite par les directoires de districts sur les observations des municipalités, et sauf la révision du directoire du département, s’il y a lieu; si mieux ils n’aiment que leur bail soit résilié pour le tout, ce qu’ils seront tenus de déclarer dans la quinzaine, à compter de la publication du présent décret. Art. 12. Aussitôt la publication du présent décret, les directoires de districts feront, sans frais, un inventaire du mobilier, des titres et papiers dépendants de tous les bénéfices, corps, maisons,. et communautés de l’un ou de l'autre sexe, compris au premier article, qui n’auront pas été inventoriés par les municipalités, en vertu du décret du 2 novembre dernier, sauf auxdits directoires à commettre les municipalités pour les aider dans ce travail. Plusieurs membres demandent que la discussion soit renvoyée à demain. Celte proposition est adoptée. M. le Président lève la séance à 3 heures et demie, après avoir annoncé que celle de demain s’ouvrira à 9 heures du matin. Annexe à la séance de l’ Assemblée nationale du 9 avril 1790. Nota. Nous insérons ici deux pièces relatives aux assignats et à la dîme. Ces pièces ayant été imprimées et ensuite distribuées à tous les députés, font partie des documents parlementaires de l’Assemblée nationale. Opinion de M. Périsse-Dulue(l), député de Lyon à l'Assemblée nationale , sur le papier -monnaie , ou papier forcé en circulation sans caisse ouverte (2). 1. Une grande question, Messieurs, va s’agiter devantvous. Les assignats que vous avez décrétés seront-ils forcés dans la circulation ? L’intérêt particulier de quelques créanciers de l’Etat le leur fait demander à grands cris, mais 1 intérêt public, celui de la nation entière, semble repousser cette forme inique et désastreuse. 2. Du parti que vous prendrez, à cet égard, Messieurs, va dépendre sans doute la durée de la Constitution, le salut de l’Etat, le bonheur du peuple français. Je vous supplie de m’accorder quelque attention -J’emploierai dans mon discours toute la précision que l’importance de l’objet pourra me permettre. 3. Lorsqu’on traite d’aussi grandes questions, Messieurs, il est dangereux de s’appuyer à la fois sur des principes divers, et d’étabur la discussion sur plusieurs bases. Alors on embrouille l’objet sans l’éclaircir, et l’on parvient à de faux résultats. C’est ce qui est arrivé, ce me semble, à la plupart de ceux qui ont écrit ou parlé jusqu’à présent, sur le papier-monnaie ou papier forcé en circulation : je tâcherai de ne pas tomber dans cette erreur. 4. Deux causes principales, mais tout à fait différentes, peuvent déterminer le gouvernement à la création d’un papier-monnaie : la rareté du numéraire, et les besoins actuels de l'administration ; ces deux causes peuvent exister l’une sans l’autre, et toutes deuxeusemble ; mais n’ayant pas les mêmes principes, elles ne peuvent avoir les mêmes résultats, et nous devons éviter avec soin de les confondre dans la discussion. (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Pour épargner les moments si précieu\ de l’Assena-hlee national-, on ne portera �as celle opinion à . la tribune. Afin d'y suppléer, on la Hisfibuera imprimée à MM, les députés. ( Note de Jf, Périsse Dulue). 620 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (9 avril 1790.] 5. Le gouvernement a des besoins, lorsque ses revenus actuels possibles n’égaient par ses dépenses actuelles nécessaires. 6. Le numéraire est rare dans un Etat, lorsque par les effets de la balance du commerce, il n’y est pas aussi abondant que dans les Etats voisins ; et qu’on s’y trouve exposé par les rapports commerciaux à une exportation d’espèces, qui excède considérablement leur importation. 7. Le numéraire est encore rare dans une contrée, lorsqu’après y avoir joui longtemps d’une certaine abondance d’espèces, qui a déterminé un certain prix courant des denrées, il arrive subitement une diminution ou un resserrement, tel que la proportion du prix de l’argent ne se trouve plus en rapport avec celui des denrées et des salaires. Alors, et jusqu’à ce que l’évaluation numéraire des denrées et des services se soit rapprochée du prix de la monnaie réelle, on y manque d’espèces pour vendre et acheter, et pour payer les salaires. 8. Le numéraire est rare, lorsque des guerres, des fléaux désastreux, une disette générale, des révolutions politiques, ou le défaut de circulation rehaussent le prix desdenrées ; lorsque de grands revers dans le commerce et dans les principales maisons de banque, causent une défiance générale et portent les capitalistes à resserrer leur argent. 9. Il est bien évident, Messieurs, qu’une émission de papier-monnaie, pour remédier à la rareté du numéraire, aurait, dans ces diverses suppositions, des'effets tout différents et même opposés; que, dans tel cas, cette émission ferait exporter plus promptement l’espèce; que, dans l’autre, elle la ferait resserrer davantage ; que, dans celui-ci, elle maintiendrait le haut prix des denrées, en mudipliant pour les individus les occasions de perdre, sans accroître la véritable richesse. Si l’on supposait néanmoins une contrée isolée et sans rapports extérieurs, il ne pourrait y avoir de rareté effective dansson numéraire, en quelque petiie quantité qu’it y fût, si la circulation s’y trouvait parfaitement libre; parce qu’alors l’argent et les denrées auraient une valeur égale relative, et qu’on y achèterait une plus grande quantité de denrées ou de fonds de terre avec moins d’argent qu’ailleurs, mais ce n’est pas ici le cas de faire cette supposition ni «l’examiner les effets que pourrait y produite une émission quelconque de papier-monnaie. Portons nos observations sur les circonstances, qui dans les corps politiques ont le plus de rapport avec celles où nous nous trouvons. 11. Nous avons dit que la rareté du numéraire avait lieu dans un Etat, lorsque ses rapports commerciaux étaient tels avec les contrées voisines, qu’éprouvant constamment une importation de marchandises beaucoup plus considérable que neIVst l’exportation, ce pays doit bientôt voir disparaître de son seiri toutes les espèces, car il est bien certain, dans ce cas, que l’exportation du numéraire serait toujours en raison égale de l’excédent d’importation des marchandises. Or, toute contrée où le luxe et les besoins introduisent et maintiennent une consommation qui surpasse de beaucoup le superflu de ses propres productions sera bientôt sans numéraire, et n’aura pour partage que disette et misère. 12. Dans cette position, Messieurs, il est évident que le seul remède à un si grand mal est le même qu’emploierait un homme prudent et économe dans l’étal individuel. Il faut se hâter de réduire ces consommations exotiques, se passer de marchandises étrangères, diminuer son luxe ou le diriger sur les productions nationales: enfin vendre plus, ou moins acheter. Et si l’administration négligeait de recourir à temps à ces moyens salutaires, il en résulterait bientôt de plus grandes privations encore, parce que l’exportation presque totale des espèces par le commerce étranger, ne laisserait bientôt plus à ce même commerce aucun moyen de continuer l’importation de ses marchandises, qu’on ne serait plus en état de lui payer. Eh ! qui ne voit qu’alors cette nation imprudente se trouverait déjà sur les bords du précipice? 13. Mais, si dans cette situation alarmante, l'administration, au lieu de resserrer les causes de la consommation et de l’importation des marchandises étrangères, avait la maladresse de vouloir suppléer à la rareté du numéraire par une émission de papier-monnaie, quels seraient les résultats nécessaires de cette extravagante opération ; si ce n'est de procurer par là même un moyen d’extraire plus rapidement pour et par le commerce étranger, le peu de numéraire et de matières d’or et d’argent qui pourraient être encore disponibles: car le papier-monnaie fournissant un signe de valeur exclusivement propre au commerce intérieur, faciliterait d’autant plus l’emploi de l’argent pour la continuation du commerce d’importation étrangère, lequel quoique lucratif pour le négociant ne ferait qu’aggraver, pour les espèces, la pénurie nationale, jusqu’à ce qu’enfin il ne restât pas dans l’Etat un seul écu, surtout si ce fatal papier se trouvait divisé en petites sections de 12 ou de 24 livres. 14. C’est là évidemment, sous certains points de vue, la position actuelle de la ville de Paris, relativement aux billets de la caisse d’escompte, sans caisse ouverte. Car il est bl n certain que là où la banque aura un papier monnaie pour a�ent de ses opérations de commerce intérieur, elle emploiera à ses opérations au dehors, pendant tout le temps que le papier se soutiendra, le numéraire qu’elle aura à sa disposition; et qu’alors l’agiotage ne mettra en émission les espèces qu’en petite quantité, pour les vendre à gros bénéfice contre ce même papier, lorsque les circontances ou ses pmpres manœuvres l’auront fait dépendre fort au-dessous du pair. Car c’est au moment où le discrédit paraît frapper le papier-monnaie, que l’agioteur resserre de plus en plus l’espèce pour l’échanger à plus haut prix. 15. Je puis donc établir irrésistiblement que dans tous les cas où la rareté du numéraire provient de la balance du commerce avec l’étranger, une administration assez égarée pour avoir recours à une émission de papier-monnaie, accélère la ruine de l’Etat et plonge le peuple dans la plus affreuse misère. 16. Ce serait bien pis encore si, dans cette situation, le gouvernement avait contracté pour scs besoins des emprunts onéreux chez l’étranger; puisqu’alors l’acquittement des intérêts joint à celui de l’excédent de l’importation faite par le commerce extérieur, extravaserait bien plus promptement encore les espèces d’or et d’argent, lesquelles, étant en concours avec le papier-monnaie, seraient moins utilesau commerce intérieur. Alors ces imprudents administrateurs ne seraient-ils pas, en effet, dans le même cas de celui qui emprunterait d’un usurier à gros intérêt pour acheter de lui des bijoux, et qui en même temps ferait force billets à terme, pour payer les denrées de premier besoin ? 17. Telle serait à quelques égards la position actuelle de la France, si vous adoptiez le projet [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 avril 1790.J d’une émission de papier-monnaie; et sans doute que Messieurs du comité du commerce ne tarderont pas à s’occuper des précautions fiscales, morales ou politiques les plus propres à restreindre la consommation et l’importation des marchandises étrangères, surtout de celles qui n’ont d’emploi que pour des objets de luxe. 18. Nous devons chercher à présent, Messieurs, quels doivent être les effets d’une émission de papier-monnaie, dans un Etat où la rareté momentanée du numéraire provient, ou du défaut général de confiance, ou des spéculations usuraires de l’agiolage, ou de la mauvaise volonté de ce >ix qui auraient accaparé les espèces; ca**, par un concours inoui d’événements, par une fatalité de circonstances, toutes les causes agissent peut-être en ce moment ensemble, pour procurer la disette d’espèces dont notre patrie est menacée. 19. Or, je demande à ceux qui proposent d’y remédier par un papier-monnaie, s ils oseraient assurer que son émission rappellera la confiance, fera cesser le mouonole sur les espèces, et surmontera la mauvaise volonté de ceux qu’on soupçonne de les accaparer, pour tenter une contre-révolution? Si les partisans du papier-monnaie osent le prétendre, je répoudrai par les réflexions suivantes: 20. Lorsque la rareté du numéraire provient d’un défaut de confiance, ce discrédit prend sa source ou dans le fâcheux état du commerce et de la cir< ulation,ou dans la multiplicité et l’étendue des faillites, ou dans les révolutions politiques, ou dans les déprédations et le délabrement des finances de l’Etat, ou dans des commotions qui ont ébranlé les principales maisons de banque. Or, je demande commen t par rémission du papier-monnaie on pourrait, sans avoir détruit ces causes du discrédit général, rétablir la confiance qui a fait resserrer les valeurs réelles? 2 h N’est-il pas évident, au contraire, que le papier-monnaie produirait un effet tout opposé, puisqu’on jetant de l’incertitude sur les remboursements effectifs, il accroîtrait la défiance qu’il attacherait davantage aux espèces ceux qui les auraient en leur pouvoir, qu’il mettrait ainsi de plus grands obstacles au commerce, aux ventes et achats, et à toute circulation ? 2?. N’est-il pas évident encore que le défaut d’activité dans les affaires ayant d’autres causes que la rareté des espèces, le" papier-monnaie ne pouvant détruire ces causes, tomberait, faute d’emploi, à un cours si bas dans les marchés volontaires, que son émission n’aurait servi qu’à ruiner les malheureux créanciers, forcés de le recevoir au pair des mains de leur débiteur? 23. Si la raretédu numéraire provenait de la mauvaise volonté des capitalistes, ou des intrigues de ceux qui en retiennent la plus grande quantité dans leurs mains, les effets de l’émission du papier-monnaie seraient bien plus funestes encore, puisque, par cette émission, on leur fournirait un moyen de payer actuellement sans espèces, et même de faire des emprunts à long terme en papier-monnaie, avec lequel ils achèteraient des espèces dans le dessein de les accaparer, ou de les employer selon les vues qu’on leur prête. 24. Après avoir cherché à entrevoir les résultats nécessaires d’une émission de papier-monnaie, dans tous les cas où il y a resserrement de numéraire, ou rareté réelle; il convient de considérer les effets d’une semblable émission, lorsqu’elle a pour motif de subvenir aux besoins du gouvernement. 25. Un état obéré, Messieurs, est plus ou moins 621 endetté, plus ou moins insolvable, plus ou moins indigent, si j’ose ainsi m’exprimer. 26. Lorsque le gouvernement est chargé d’une dette si excessive, et de dépenses si supérieures à toutes ses ressources ou revenus possibles, qu’il est évident que jamais il ne pourra satisfaire à ses engagements, alors une émission de papier-monnaie serait l’acte le plus inique de la tyrannie et du despotisme; elle serait mille fois plus injuste et plus fatale pour les peuples qu’une banqueroute. 27. Que dis-je cette émission ne serait en effet qu’une banqueroute in là-ne et dérisoire, parce-qu’elle prétendrait acquiiter les créanciers de l’Etat sans les payer; parce qu’elle présenterait pour toute garantie des papiers sans valeur, monuments éternels de l’ineptie des administrateurs, et d’une injustice d’autant plus atroce qu’elle atteindrait le pauvre, mêmedanssa misère, et ne lui laisserait que le désespoir. 28. C’est ce que je me bornerai à prouver sommairement, ayant montré ailleurs, etdans d’autres suppositions, les résultats toujours funestes du papier-monnaie. Ici seulement, ils seront plus prompts et plus rapides, car à proportion que i’insol vabilité du gouvernement sera pins certaine et notoire, plus tôt le discrédit et lu chute totale de ce papier sans gage aura renversé toutes les fortunes, et produit un désordre général. 29. Voici l’aperçu des maux sans nombre qui en résulteront pour cette nation malheureuse: 1° la disparition totale du numéraire et le surtaux de l’intérêt ; 2° la disette et le renchérissement de toutes les denrées ; car cette opération désastreuse aurait encore ce funeste effet d'élever le prix des denrées selon que le signe perfide donné au peuple pour se les procurer, perdrait de la valeur imaginaire qu’un coupable gouvernement lui aurait attribuée; 3° le découragement de l’industrie, la stagnation du commerce, la destruction des manufactures; l’anéantissement de la circulation et du crédit; 4° la ruine de l’agriculture; 5° la dépopulation, les émigrations, le désespoir général, et enfin la dissolution de l’empire. 30. Ainsi, dans cette supposition d’un gouvernement qui serait dans le cas d’une insolvabilité absolue, le papier-monnaie ne fera t que précipiter sa ruine: la seule ressource en effet qui restait à cette administration était la suspension totale du paiement de la dette, joint à un système évident de finances pour l’avenir, par lequel les dépenses courantes seraient déterminées même au-dessous des revenus fixes, afin de former une caisse quelconque d’amortissement, laquelle deviendrait ■'unique gage des anciens créanciers. 31. Considérons à présent, Messieurs, quels seront les résultats nécessaires d’une émission d’uu papier-monnaie, dan-un Etat dont le gouvernement, quoique momentanément très obéré, présente cependant des ressources et des revenus suffisants pour éteindre avec le temps la dette contractée, et pourvoir aux dépenses annuelles, ordinaires et extraordinaires. 32. Lorsqu’un tel gouvernement a pour base l’autorité arbitraire, il ne saurait, malgré cette situation flatteuse, obtenir la confiance d’une manière assez durable pour parvenir à la régénération de ses finances; et si, dans cette position, il avait recours à l’émission d’un papier-monnaie, il accélérerait sa dissolution aussi rapidement que le gouvernement tout à fait insolvable auquel nous venons d’appliquer les principes sur cette matière importante; car ce moyen extrême n’étant soutenu d’aucun gage propre à mériter la con- 022 Assemblé® nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [g avril 1796.] fiance, détruirait toute force publique, par le discrédit dont il serait à l'instant frappé, attaquerait tous les sujets de l’empire, atteindrait toutes les propriétés, toutes les existences, même celle de l’indigent. Je pense qu’il est inutile de le démontrer. 33. Mais cette émission de papier-monnaie aurait-elle des résultats aussi funestes, si le gouvernement dont il s’agit avait pour base la justice, de lionnes lois, et une Constitution vraiment nationale ; si la nation, voulant satisfaire aux engagements de l’Etat, offrait elle-même à ses créanciers, à ses fournisseurs, un papier établi sür des gages solides et suffisants, sur des valeurs réelles et hypothécaires, d.sponibles ou aliénables? 34. Voilà je pense, Messieurs, la grande question applicable aux circonstances acluelles, et il faut voir si, dans cette supposition favorable, une émission dé papier-monnaie ou forcé en circulation, avec intérêt ou sans intérêt, évitera une partie des effets désastreux que nous attribuons à toute opération de ce genre. 35. Je me dispenserai d’examiner si un tel papier, sans intérêt, n opérerait pas le malheur du peuple, et la desti uction totale des finances, parce que je prétends démontrer que tout papier forcé, même portant intérêt, même appuyé sur une hypothèque solide et déterminée produira certainement, quoique moins promptement peut-être, les mêmes funestes résultats. 36. Je prétends prouver qu’il sera aussi ruineux pour le peuple par ses effets, qu’avantageux aux créanciers uirects de l’Etat; qu’il accroîtra la rareté du numéraire, augmentera considérablement les dépenses du gouvernement et le prix des subsistances, et diminuera tout à la fois les moyens d’y pourvoir; qu’il aura en même temps sur les citoyens, tous les effets de l’impôt indirect le plus onéreux, et de 1 impôt direct le plus arbitraire et le plus disproportionné. 37. Personne ne contestera sans doute que forcer un papier en circulation, c’est attenter à la liberté et à la propiiété; c’est dénaturer les engagements déjà contractés entre les individus; c’est autoriser celui qui doit à payer en une valeur difléreule de celle qu’il a promis de fournir; c’est forcer celui à qui H est du de recevoir un sitrne variable d’une valeur fixe qui devait lui être remise. 38. Personne ne contestera sans doute que forcer un papier en circulation, c’est autoriser tout débiteur, lorsque le papier perd, à payer mo ns qu’il ne doit; c’est forcer toutcréancier à recevoir moins qu’il ne lui est dû; c’est établir une manière de payer toute à l’avantage des débiteurs, toute au désavantage des créanciers; car ces derniers ne seront jamais payés avec du papier, s’il s’élève au-dessus du pair, tandis que les premiers pourront toujours payer au pair avec ce même papier, lorsque le cours l’aura fait descendre fort au-dessous de sa valeur numéraire. 39. Personne ne contestera sans doute que payer les créanciers directs de l’Etat avec du papier forcé en circulation, c’est les acquitter complètement et actuellement, quelques bénéfices qu’ils aient pu faire avec, le gouvernement, c’est livrer les créanciers seuls du commerce et de la circulation qui n’élaient pas créanciers directs de l’Etat, aux revers, aux perles éventuelles que ce papier souffrira certainement dans son cours furcé. 40. Enfin, Messieurs, personne ne contestera qu’un système de papier-monnaie hypothéqué et portant intérêt, dont les auteurs cepe,ucant n’osent établir une caisse ouverte pour l’acquittement à volonté, est en contradiction avec lui-même ou la justice; cap s’ils supposent pouf le papier préposé, un défaut de confiance tel que la caisse de paiement ne pût se maintenir ouverte par l’ulfl ience des porteurs, ils supposent donc tacitement que sans caisse ouverte, ce papier pourra souffrir un discrédit, une baisse quelconque au-dessous du pair de sa valeur numéraire. 41. Je m’arrête là, Messieurs, car je suis convaincu comme eux que tout papier-monnaie sans caisse ouverte, doit éprouver une baisse, quelque avantageux et solide qu’il puisse être, par cela même qu’il est furcé en circulation. J’en conclus que le seul bruit de ce fatal projet, dont se bercent depuis trop longtemps les créanciers direct� de l’Etat et l’administration des finances, a suffi pour produire la rareté et le resserrement ! du numéraire dont la France est affligée, et qui ne ferout que s’accroître, si l’on s’arrête plus : longtemps sur ce plan désastreux, et bien plus encore s’il était malheureusement adopté. 42. J’ai dit, Messieurs, que le papier-monnaie, par cela même qu’il e?t forcé, doit d’abord éprouver une baisse; or cette baisse, une fois commencée, aura des progrès incalculables, par la mauvaise humeur de ceux des créanciers du commerce et de la circulation qui auront ainsi, contre leur gré, reçu de leurs débiteurs, des valeurs moindres que cefes qui leur étaient dues; car il est en effet révoltant d’être payé avec des effets, qui, étant soumis au cours dans les marchés Volontaires, conservent néanmoins toute leur valeur numéraire pour le créancier seul qui est forcé de les recevoir; en sorte que Ce papier a ordinairement, et en même temps, deux valeurs, un double poids et une double mesure, et que le capitaliste, par exemple, qui, ayant prêté au négociant une somme quelconque en espèce, s’il en est remboursé par une somme égale en papier-monnaie, ne peut à l’instant même en disposer de nouveau qu’en réduisant son capital de toute la perte qu’éprouve par son cours actuel le papier qu’il vient de recevoir au pair, malgré lui. 43. Mais il y aura, Messieurs, dans cette baisse dévorante, bien d’autres causes de progrès, soit en général dans toute l’étendue de l’Etat , soit partiellement dans telle ou telle province, dans telle ou telle ville, soit enfin momentanément et par intermittence, selon les spéculations de la banque, de fagiotage et du commerce. Par exemple : 1° le refus des propriétaires et marchands de recevoir au pair le papier-monnaie contre les denrées et marchandises, et la grande différence qu’ils mettront dans leurs marchés, conclus pour être payés en espèces ou en papier-monnaie; , 2° la vente forcée qui se fera du papier-monnaie par tous les chefs de manufactures qui, étant payés de leurs ventes en grusses sommes en papier, seront obligés de le convertir à perte sur-le-champ en espèces, pour payer en détail les salaires de leurs ouvriers; 3° le llux et le reflux toujours inégal et souvent excessif du papier-monnaie, qui sera la suite nécessaire des opérations inconcertées de la finance, de la banque et du commerce; de sorte qu’une province, une ville eu sera privée ou surchargée subitement : alors ou la perte qu’éprouvera ce papier au-dessous du pair, s’y trouvera sans mesure, ou il n’y en aura pas assez pour les paiements, achats et ventes, et la province se trouvera dans la disette de toute espèce de valeur réelle ou fictive. 44. Cette inégalité et cette rapidité de mouve- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 avril 1790.} ment, si facile avec du papier-monnaie, si difficile avec les espèces d’or ou d’argent, les différences locales et fréquentes qui en résulteront entre le cours volontaire du papier et son cours forcé; lesquels agiront ensemble et en sens contraire, apporteront une si grande variété dans la valeur du signe fictif des achats et ventes, des dettes et des créances, une incertitude si désespérante dans les marchés, que les marchands et propriétaires seront forcés, pour se mettre au-dessusdes résultats üu cours et des chances fortuites de l’opinion, d’augmenter à l’exi ès le prix de leurs denrées et marchandises, selon qu’ils seront obligés de Tendre contre du papier, ou d’acheter avec des espèces. 45. Je viens de démontrer que les divers degrés du discrédit et de la perte du papier-monnaie avec intérêt et hypothèque mis en concours avec les espèces, produira, par l’incertitude de sa valeur future, une augmentation générale dans le prix des denrées et salaires. 11 me sera aisé de prouver maintenant que même en prenant faveur, il produira également un renchérissement dans tes denrées par son effet sur le numéraire. Et, en effet, si ce papier venait à être préféré à l’argent dans la circulation, et qu’ainsi toute l’espèce rentrât dans 1e commerce avec un moindre prix idéal (car l’intérêt particulier cherchera toujours à se défaire de celte de ces deux valeurs qui aura le moindre prix dans l’opinion); alors je laisse aux hommes expérimentés dans ces combinaisons, à calculer 1 augmentation qui résultera nécessairement dans tes déniées et salaires, lorsque cette somme de numéraire sans faveur, formera, avec la masse du papier-monnaie, un excédant de valeur réelle et fictive si fort au-dessusdes besoins. Augmentation d’autant plus funeste dans le prix des denrées, qu’elle n’aura pas sa véritable base dan3 la liberté du commerce, ni daus 1e cours naturel de la circulation et du crédit. 46.Quel seradonc pour le peuple, Messieurs, les résultats deces fluctuations continuelles dans la quan tité et la valeur du signe fictif de ses subsistances et de ses besoins ? Serait-il nécessaire de 1e dire? Cherté et rareté des denrées de 'première nécessité; mais cberié et rareté d’autant plus funestes pour lui, qu’étant presque toujours subites, locales et partielles, elles ne seraient jamais en proportion de ses besoins et du prix de ses journées. 47. Quel est l’administrateur qui ignore que la cause la plus fréquente de la détresse et delà misère du peuple, se trouve dans tes changements presque continuels des rapports que 1e commerce, le luxe et quelquefois la disette introduisent entre la valeur du numéraire, celte des denrées et 1e prix des salaires? quel sera donc l’administrateur qui ne frémira pas d’avance au simple aperçu des calamités d’un royaume où leprixdes subsistances serait soumis par un signe idéal de leur valeur, au caprice sans cesse variable de l’opin on, aux calculs perfides et cupides de l’agiotage? 48. Tels sont pourtant les vices essentiels du papier-monnaie et ses funestes effets 1 Le transport en est facile, le cours en est forcé au pair, et cependant le cours est variable ; il est différent dans toutes tes parties de l’empire par la quantité qui s’y trouve en émission, par la confiance ou la défiance locale, naturelle ou provoquée, paries effets de l’agiotage et du commerce. Quel concours de moyens propres à favoriser les profits illicites et à dévorer la substance du peuple ? 49. L’avantage momentané de son cours, le versement des impositions, les opérations plus ou moins considérables du négoce, font affluer subitement le papier-monnaie dans une ville, et bientôt elle en est surchargée. Alors l’agioteur, attentif à tous tes mouvements, y attend ou y procure par ses manœuvres, la plus grande baisse possible, pour l’acheter à vil prix et 1e faire passer ensuite dans les provinces où 1e plus haut cours doit lui procurer d’immenses bénéfices. Sa science perfide est de verser abondamment sur la place ou de resserrer, pour procurer la hausse ou la baisse, selon qu’il veut ven Ire ou acheter; et dès lors 1e peuple qui devait à jamais être à l’abri de la dévorante inllueuee de l’agiotage, ce peuple toujours victime de la supercherie et de la séduction, toujours crédule et trompé, s’égare dans une incertitude désespérante sur le vrai prix des valeurs qui devaient être ta base fixe de sa subsistance et Ja mesure de ses jours ; et qui ne lui présentant plus qu’une instabilité désolante, lui donnent l’affreuse perpective du dépérissement journalier de ses épargnes, de l’insuffisance de ses salaires, et d’une indigence certaine. 50. La cessation du commerce, la ruine des manufactures, la stagnation des denrées, même de première nécessité, 1e défaut total de circulation, l’abattement général et la misère du peuple sont dans tes suites infaillibles du défaut de fixité dans la valeur du signe représentatif des achats et ventes, et doit avoir en dernier résultat pour le gouvernement lui-même des suites incalculables. 51. Je résume, Messieurs, et je conclus que le papier monnaie émané d’une administration dont les finances supposées dans 1 état le plus favorable, lui auraient mérité la plus grande confiance, si on l’eût laissé dans la cla-se des papiers négociables, ne l’obtiendra point, s’il est forcé en circulation. 52. Que la contrainte seule, et l’injustice qu’elle offre à tous tes instants dans l’exécuttou des conventions, fera descendre plus vite et plus bas au-dessous du pair, la portion de ce papier qui se présentera dans les marchés libres et gré à gré. 53. Que plus il descendra au-dessous du pair dans tes traités libres, plus l’injustice sera révoltante dans les recettes forcées, où te créancier sera obligé, par exemple, de recevoir pour 1,01)0 livres un effet qu’il aurait pu acheter aisément avec 950 livres, et pour lequel, s’il doit l’employer en détail, il ne pourra réellement se procurer que 950 livres en espèces. 54. Je dis que les progrès et les variations de la baisse et du discrédit du papier-monnaie établiraient sur tes citoyens et sur tes dépenses même du gouvernement, tous les effets funestes de l’imposiiion indirecte la plus oppressive, par l’enchérissement général des denrées, des marchandises et des services; et qu’ils établiraient en même temps sur la classe manufacturière, qui a toujours à recevoir, et n’a jamais à payer que des salaires en détail, l’impôt direct le plus exorbitant, le plus arbitraire et le plus souvent renouvelé. Cet impôt frapperait tous tes citoyens qui sont plus souvent créanciers que débiteurs, toutes les fois qu’ils seront forcés de recevoir, en paiement et au pair, des effets dont 1e cours serait fort au-dessous de leur valeur numéraire. 55. Je dis encore que le gouvernement qui commettra celle erreur en finances, verra l’or et l’argent s’échapper de son sem, ses manufactures se détruire, son commerce intérieur s’anéantir, la 624 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 avril 1790.] circulation s’arrêter, la disette régner, son commerce extérieur ne s’éteindre qu’après avoir elilevé tout te numéraire de l’Etat, le produit des imposilions disparaître avec la population et Jes richesses; la force et la vie du gouvernement s’affaiblir, et bientôt enlin l’empire se dissoudre. 56. Eh! Messieurs, c’est à l’Assemblée nationale, la plus juste envers les peuples, qu’on ose proposer de décréter un pareil attentat à la liberté, à la propriété des citoyens et à l’existence de notre patrie! C’est à l’Assemblée nationale la plus éclairée, qu’on propose de consacrer une erreur si désastreuse en finances et en politique; c’est par elle et sous son autorité qu’on veut répandre sur la France libre, un fléau qui, sous nos yeux, ravage aujourd’hui les empires des despotes et même la capitale de ce royaume qu’elle est appelée à régénérer! 57. C’t st cette auguste Assemblée digne à jamais des louanges de toutes les nations, dont on voudrait, souiller la mémoire, en lui faisant prononcer une loi si contraire à la justice et au droit sacré des conventions! 58. Si vous rendiez, Messieurs, ce funeste décret, quelle carrière vous ouvririez à la vengeance des ennemisde votre sublime Constitution ;avecquélle facilité ils irriteraient les peuples contre vous, Ce ne serait plus comme aujourd’hui, sans pouvoir rendre vraisemblables leurs inculpations calomnieuses, puisque les intérêts les plus chers de tous les individus de l’empire étant sans cesse attaqués et compromis par celle injuste loi, leur eu offriraient à tout instant et dans tous les cœurs la preuve sans réplique. Tous vos décrets tendent au bonheur général, mais celui-ci répandrait le désespoir sur les Français; il tournerait sur vous les malédictions que l'agiotage, en exerçant sous vos auspices son avidité cruelle sur les moindres individus, ferait prononcer dans toutes les parties de l’empire. 59. Ici je me vois arrêté. Les bons citoyens effrayés de la détresse actuelle des finances, du discrédit qui mine sourdement l’Etat, de la rareté alarmante du numéraire, demandent où est donc le remède à de si gtands maux; mais, Messieurs, ai-je laissé croire qu’il n’y a point de remède parce que j’écarte de tout mon pouvoir le poison dévorant dont par erreur on veut abreuver le peuple français? ai-je détruit vos grands moyens de régénération des finances, parce que je m’oppose aux formes désastreuses que sollicite l’intérêt particulier? ai-je atténué l’efficacité de vos assignats, lorsque je vous ai conjurés de ne pas détruire la confiance entière qui leur est due, par des mesures extrêmes qui feraient penser que vous n’avez pas vous-mêmes, pour ces effets nationaux la confiance salutaire qui leur appartient à tant de titres? ai-je jeté quelque défaveur sur les grandes ressources qui appartiennent à la nation, lorsque j’ai mis sous vos yeux les dangers d’yasso-cier la force et la contrainte? 60. L’Etat est chargé d’une dette énorme, et il a des besoins pressants pour le service de l’année courante. Certes, il faut y pourvoir sans délai : mais il faut y procéder avecénergie et résolution, sans trop écouter les intérêts particuliers. L’institution d’une caisse de l’Extraordinaire, la contribution patriotique, les biens du domaine et du clergé, et une aliénaiion effective d’une partie de ces biens, sont les movens que vous avez adoptés: mais ces moyens, Messieurs, seront-ils plus efficaces, seront-ils plus équitables, seront-ils plus favoiables à la régénération de l’empire, si vous convertissez de simples assignats sur ces valeurs, en un papier forcé en circulation ? c’est ce qu’il faut examiner. 61. L’Etat a des créanciers : il faut vouloir les payer avec dos assignats et non autrement; et certes ces effets, à termes convenus, portant intérêt et hypothèquesspéciales, négociables à volonté, sont une valeur aussi solide qu’aucun gouvernement puisse en présenter à ses créanciers. Et je le demande, quelqu’un osera-t-il dire que si de pareils assignats sont dans le cas d’éprouverquel-que perte sur la place, cette perte sera plus grande, en leur laissant toute la confiance qui leur est due dans une circulation libre et de gré à gré, qu’en leur enlevant cette confiance, même avant leur création, par un décret de circulation forcée? 62. Je pense que personne ne le dira, et en tout cas j’ai prouvé le contraire. La perte pour les créanciers directs serait donc plus grande et plus certaine, s’ils étaient payés par le gouvernement en assignats forcés en recette, que s’ils étaient payés en assignats seulement négociables à volonté. Remarquez que je ne parle point de cette classe de créanciers de l’Etat qui sont en usage de spéculer sur la hausse ou la baisse des effets publies; ils sont irop exercés eu ce genre pour qu’il soit nécessaire de discuter ici quel serait leur plus grand intérêt. 63. Mais, dira-t-on, si les assignats étaient forcés en circulation, plusieurs créanciers de l’Etat pourraient eux-mêmes payer leurs créanciers avec ces assignats au pair et sans perte pour eux. J’entends très bien l’objection. Les créanciers de l’Etat feraient ainsi tomber à volonté les risques et la perte, s’il doit en exister dans le cours des assignats, sur leurs propres créanciers, < u sur les créanciers de leurs créanciers, ou enfin sur le manufacturier et le peuple; car cette perte réitérée presque à chaque mutation, et sur le même billet, sera toujours pour le simple citoyen et jamais pour l’agioteur; elle sera toujours à la charge de celui que l’on paie et qui n’a rien à payer, ou de celui qui, n’ayant à payer qu’eu détail et en espèces, sera forcé de réaliser en argent et à perle les assignats qu’on l’aura forcé de recevoir au pair. Je demande si, sans avoir égard aux effets funestes et politiques que j’ai déjà exposés, on pourrait tolérer l’idée d’une loi qui légitimerait cette série interminable d’injustices de la part de tous les débiteurs, lesquels pourraient toujours et à tout instant, acheter vies assignats à ia baisse, pour payer leurs créanciers au pair? Jamais l’agiotage, aux époques même où il a été le plus effréné, a-t-il joui de cette inique faculté, et les effets vendus de gré à gré n’ont-ils pas toujours passé de main en main avec la perte ou le gain dont ils étaient frappés sur la place? 64. On répondra peut-être que le créancier payé avec ces assignats, et qui aura lui-même à payer, s’en servira pour s’acquitter de même au pair et sans égard au cours, et que celui qui n’aura rien à payer, les prêtera comme argent, ou les gardera en porteieuille pour jouir de l’intérêt. Je réponds que s’il les prête, il no trouvera à les placer qu’au prix du cours, et qu’il y aura ainsi pour lui une perte assurée. Je dis ensuite qu’il ne les gardera pas en portefeuille, parce que celui qui n’est ni agioteur, ni banquier, ne met guère en portefeuille des effets qui, étant forcés en circulation, ont sur lu place un cours si incertain et si variable, et que, à tout prix, il préférera toujours les espèces. 65. La seule manière de payer les créanciers et les fournisseurs de l’Etat, la seule équitable, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 avril 1790.] et qui n’est sujette à aucun danger, c’est d’y employer les assignats tels qu’ils ont été conçus, et seulement négociables à volonté; car je ne m’ar-rêierai point à développer un autre projet mitigé, parce qu’il me présente des inconvénients que je ne suis point à portée de calculer, et qui doivent, je pense, le rendre impraticable; ce serait de forcer les assignats en circulation dans tout le royaume avec caisse ouverte seulement à Paris, à Lyon et à Bordeaux, pour les y payer à bureau ouvert, et avec faculté illimitée dans les provinces de les employer collectivement ou individuellement au paiement des impositions, et de toutes les sommes à verser dans les caisses publiques; mais alors il faudrait nécessairement les soumettre à l’endossement et à la date, afin que les receveurs et les caissiers ne pussent s’attribuer les intérêts courants desdits assignats, et qu’ils en fussent comptables comme valeur eu caisse. RÉFLEXIONS sur la suppression de la dîme , par M. l