420 {Assemblée nationale.] M. Duport, rapporteur, donne lecture de l’article 10 (ancien art. 9), qui est ainsi conçu : « L’accusé, ainsi que ses amis ou conseils, pourront demander que les témoins produits contre lui soient introduits et entendus séparément, même après qu’ils auront déposé. Il pourra demander encore que ceux qu’il désignera se retirent de l’auditoire et qu’un ou plusieurs d’entre eux soient introduits de nouveau, séparément ou en présence les uns des autres. » M. Tronehet. Il est évident que cet article-là suppose, pour règle générale, que les témoins pourront comparaître ensemble, puisqu’il ne reste à l’accusé que la faculté de demander qu’ils soient entendus séparément. Je persiste dans l’observation que j’ai déjà faite, qu’il est du plus grand danger pour l’accusé et l’innocence, que les témoins soient entendus, en général, en présence les uns des autres, parce qu’un témoin n’a pas besoin d’entendre la déposition d’un autre témoin. Je demande, en conséquence, que l’article soit rédigé ainsi : Art. 10. « Les témoins seront entendus séparément; l’accusé pourra par lui-même, ou par ses amis ou conseils, demander qu’ils soient entendus en présence les uns des autres. Il pourra demander encore, après qu’ils auront déposé, que ceux qu’il désignera se retirent de l’auditoire, et qu’un ou plusieurs d’entre eux soient introduits et entendus de nouveau, séparément, ou en présence les uns des autres. » (Cette rédaction est adoptée.) Art. 11 (ancien art. 10). « L’accusateur public aura la même faculté à l’égard des témoins produits par l’accusé. » M. JPervinquière . Je demande que le même droit soit donné à l’accusateur public pour tous les témoins, après qu'ils auront été entendus une première fois séparément. Car comment voulez-vous que l’accusateur fasse tomber les dépositions de plusieurs témoins produits par l’accusé s’il ne peut pas faire reparaître ses témoins de nouveau ou ceux de la partie plaignante? Ne résultera-t-il pas de cette comparaison des témoins de l’accusateur et de la partie plaignante d’un côté et de ceux de l’accusé de l’autre, une plus grande lumière pour la découverte de la vérité? Ainsi, je crois qu’il serait juste de rédiger l’article comme suit: « L’accusateur public et la partie plaignante auront la même faculté. » M. Duport, rapporteur. Je ne sais s’il ne résulterait pas un très violent et très fâcheux scandale de ce combat direct fait devant le juré et le public entre un homme qui poursuit une réparation en matière civile et celui qui risque sa vie et son honneur. Je crois que la partie civile a le droit de fournir tous les moyens et d’indiquer tous les témoins mais que c’est à l’accusateur public à les faire entendre. Un pareil combat serait l’abolition des mœurs qu’on doit respecter et de la.pudeur publique qu’il faut épargner, Plusieurs voix: La question préalable! (L’Assemblée consultée, décrète, après deux épreuves déclarées douteuses, qu’il y a lieu à délibérer.) {22 janvier 1791.1 M. Fa Révelllère-Iiépeaux. Puisque l’Assemblée a jugé à propos de passer à la délibération sur l’amendement, je ne reviens point sur la question préalable; mais j’en demande l’ajournement. Je suis convaincu que lorsque chacun des membres de cette Assemblée y aura réfléchi, il sentira qu’il est impossible d’admettre un amendement aussi corrupteur pour les mœurs publiques. M. Garat l'aîné. L’accusé risque sa vie s’il succombe; la partie plaignante doit porter la peine de sa calomnie, si elle ne prouve pas sa dénonciation. C’est la réciprocité entre les parties qui est la base de toute justice. Je soutiens l’amendement comme extrêmement juste. M. Fe Chapelier. Si la question préalable était admise, je ne parlerais pas ; car la discussion devrait être finie et nous devrions nous hâter de rejeter cet amendement. Ne sachant pas encore si l’opinion est bien formée dans l’Assemblée, je demande à faire une ou deux observations. Je crois que cet amendement ne peut pas être admis sans blesser tous les principes de la morale et, sans aller plus loin, sans nuire même à la découverte de la vérité. Dans votre instruction criminelle bannissez autant que vous le pourrez tous les accessoires qui tendraient à faire de l’instruction judiciaire un affreux procès. Aussitôt qu’un homme, maltraité dans sa personne ou dans ses biens, en a fait la dénonciation à la justice, il doit disparaître pour que l’accusateur public vienne prendre sa place et parle au nom de la société. Ce n’est que de cette manière que vous rendrez, aux yeux des jurés et des juges, votre institution imposante et que vous pourrez, d’un pas rapide, aller à la découverte de la vérité. S’il était possible qu’un homme devînt l’adversaire de celui qui l’a attaqué dans sa personne ou dans ses biens, autrement qu’en prenant des conclusions civiles contre lui, alors les jurés devraient apercevoir dans cet homme un adversaire excité par la haine ou l’animosité. Certes, Messieurs, alors la défiance devrait être dans l’esprit de vos jurés. Si, au contraire, l’accusateur public est chargé de cette fonction au nom de la société, alors la défiance est bannie de l’esprit des jurés. Ainsi, ceux qui prétendent que, pour aller à la découverte de la vérité, il faut introduire un affreux combat entre l’accusateur et l’accusé, repoussent eux-mêmes cette vérité qu’ils veulent trouver. ( Applaudissements .) MM. Ghabroud et Goupilleau appuient l’article du comité. M. de Folleville. Les arguments employés contre l’amendement ne sont que spécieux. Lorsqu’il s’agit de l’assassinat d’un père et de l’empoisonnement d’une mère, je demande si ce n’est pas rompre tous les liens de la morale que d’interdire à un fils... (Murmures.) Plusieurs membres : Aux voix ! M. de Folleville.... la douce consolation de se venger I M. Tuant de lia Bouverie. line s’agit pas, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] dans une procédure criminelle, de perdre un coupable ; il ne s’agit même pas de sauver un innocent. Il s’agit de découvrir la vérité qui se cache; il faut donc donner des moyens égaux aux accusés et aux accusateurs. M. de Montlosier. Si on ne laisse à la partie plaignante que des intérêts civils, je demande que l’Assemblée s’en tienne aux loi3 des Bourguignons et des Yisigoths. (La discussion est fermée.) L’amendement, mis aux voix, est rejeté, et l’article 11 est décrété.) M. Duport, rapporteur. Nous avons ajouté un article dont je vous prie d’entendre un seul moment les raisons. Vous avez établi la faculté d’avoir des conseils ; il est résulté de là beaucoup d’avantages pour l’innocence. Plusieurs conseils ont demandé s’ils devaient défendre l’accusé quand ils reconnaissaient absolument la vérité de l’accusation? Nous avons cru que les conseils doivent être appelés à l’instruction et cela, pour qu’ils ne puissent jamais employer, en faveur de l’accusé, que ce qu’ils croient être vrai. Voici l’article additionnel qui se trouverait le 12* : Art. 12. « Les conseils prêteront sermentde n’employer que la vérité dans la défense des accusés et seront tenus de se comporter avec décence et modération. » (Cet article est adopté.) Art. 13. « L’accusé pourra faire entendre des témoins pour prouver qu'il est homme d’honneur et de probité, incapable de commettre le crime qu’on lui impute. Les jurés auront tel égard que de raison à ces témoignages. » M. Garat l'aîné. Je demande qu’on retranche de cet article les mots : incapable de commettre le crime qu on lui impute. Certainement, c’est sans réflexion que Messieurs du comité ont inséré ces mots. Observez que les témoignages nécessairement imposteurs qui viendraient attester une telle négation seraient des témoignages négatifs. Autre observation ; celle-ci n’est pas positive, je la soumets à vos réflexions ; elle porte sur ces derniers mots : Les jurés auront tel égard que de raison à ces témoignages. Je sais bien que dans l’ancien style les juges se servaient de cette formule pour décider quelque chose d’arbitraire ; mais, Messieurs, si j’ai bien entendu tout ce qu’on nous a dit sur la conviction morale, il ne doit plus y avoir de preuves qu'aux yeux de la raison. M. Couppé. Il n’y a pas de coquin qui ne trouve d’aussi coquin que lui pour attester qu’il est honnête homme; en conséquence, je demande la question préalable. M. l<e Pelletier. Je défends le principe sur lequel repose l’article que vous venez d’entendre ; mais en même temps je propose une rédaction différente. Je crois qu’il serait très immoral d’établir que des présomptions seront consultées par les jurés toutes les fois qu’il s’agit d’établir le crime; mais je crois qu’il n’y [22 janvier 1791.] 42£ a aucune immoralité à admettre les présomptions en faveur de l’innocence : et remarquez qu’il peut y avoir telle circonstance où cette sorte de preuve négative peut influer sur l’esprit des jurés. Je suppose, par exemple, qu’un homme soi* accusé d’un crime qui exige beaucoup d’audace et de fermeté, et que cet homme prouve, par l’attestation de ceux qui l’ont connu, qu’il est d’un caractère doux et faible, cette preuve négative, sans doute, n’est point immorale. Voici ma rédaction : « L’accusé pourra faire entendre des témoins pour prouver qu’il est homme d’honneur et de probité, d’une conduite irréprochable. » M. Loys. Un honnête homme ne devient pas un scélérat en un jour. Je m’oppose à la question préalable; je demande toutefois le renvoi de l’article au comité pour une meilleure rédaction qui conserverait le principe que le juré doit rendre hommage à une bonne conduite et juger différemment un accusé qui fut toujours vertueux et d’une réputation intacte, et celui dont la conduite, au contraire, ne serait pas à l’abri de reproches. M. Sales de Costebelle. Ou la preuve est complète, et alors les certificats de bonnes vie et mœurs sont inutiles pour absoudre l’accusé; ou les preuves sont insuffisantes, et dès lors il n’a pas besoin d’autres certificats pour être absous. C’est ainsi que je fonde la question préalable. M. Populus. Je considère l’article comme inutile ou dangereux en ce qu’il tend indirectement à une information de vie et mœurs de l’accusé. M. deCazalès. Si l’objet de la délibération était de décider que les dépositions seront écrites ou orales, que les jurés jugeront d’aprèg leur conviction morale ou d’après les preuves écrites, je n’hésiterais pas à préférer les preuves acquises ; mais puisque vous avez décidé que les dépositions doivent être orales , que les jurés jugeront d’après leur conviction morale, il serait inconséquent de refuser à l’accusé tous les moyens possibles d’établir la conviction morale. Or, certainement, c’est un moyen d’établir cette conviction que de faire déclarer par un grand nombre de témoins irréprochables qu’on est un homme loyal; quand on a décrété un principe, il faut être conséquent. Je crois que le principe que vous avez décrété est mauvais; mais, malgré cela, dès qu’il est décrété, il faut en suivre les conséquences. Je crois donc qu’il est nécessaire que l’accusé puisse faire entendre des témoins pour éclairer les jurés; au surplus, s’il fallait citer des exemples à cet égard, cela serait facile, je me borne a conclure à ce que l’esprit de l’article soit adopté sauf une meilleure rédaction. M. de Lachèze appuie la question préalable. M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angély.) Puisqu’on ne cesse de dire qu’un des avantages des jurés est que les attestations d’un certain nombre de citoyens intègres seront d’un grand poids en faveur de l’accusé, il faut admettre l’article qui consacre ce précieux avantage. M. Prieur. Je demande l’ajournement jusqu’à ARCHIVES PARLEMENTAIRES.