4b [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 décembre 1789.] ce mois, l’anniversaire de l’inauguration de la première statue de Louis XVI, érigée en cette ville en 1783. Aux cérémonies les plus pompeuses de l’Eglise a succédé une assemblée de la municipalité devant la statue, où le procureur du Roi de police a prononcé un discours aussi noble que touchant en faveur du Roi et des représentants de la nation , restaurateurs de la liberté française, après lequel a été prêté le serment de la milice nationale. Adresse du comité permanent de la ville d’An-nonay en Vivarais, qui désavoue les principes contenus dans la lettre écrite à la municipalité de Metz, sous la signature « Tavernot de Rarrès », l’une des villes du Vivarais, comme contraires aux sentiments patriotiques et au parfait dévouement du comité aux décrets de l’Assemblée nationale. Délibération de la ville de Monistrol-en-Velay, du 21 décembre, par laquelle les habitants adhèrent à tous les décrets de l’Assemblée, et arrêtent d’offrir, en don patriotique, l’imposition qui doit être faite sur les privilégiés de la commune, outre le quart de leur revenu qu’ils se soumettent de payer. M. le Président annonce que M. Rome-De-lisle fait à l’Assemblée l’offre de son ouvrage sur les poids et mesures des anciens, et sur leurs rapports avec les poids et mesures, et le numéraire actuel de la France . M. Legrand de Champrouet, du Dauphiné, dont les pouvoirs ont été vérifiés, est admis pour remplacer M. Mounier, qui a donné sa démission. On se dispose à passer à l’ordre du jour. M. Guillaume. Je prie qu’on m’accorde un moment pour demander qu’on s’occupe demain de la subsistance de cette partie des pasteurs de l’Eglise appelée à portion congrue. Cet objet est infiniment pressant. Les décimateurs se disposent à ne plus payer les pensions des curés et vicaires. On soulèvera les pasteurs, et l’on espère ainsi par ce moyen soulever les ouailles. M. de Fumel interrompt l’opinant, le rappelle à l’ordre et se plaint de calomnie.... Une grande partie de l’Assemblée appuie M. de Fumel. M. l’abbé Maury demande la parole. M. Guillaume continue : Ce n’est pas la première fois que l'aristocratie est tentée de prendre par la famine ceux dont elle ne peut séduire la raison. Je demande que la motion que j’ai à proposer soit placée demain à l’ordre du jour. M. l’abbé Maury. Je n’ai pas demandé la parole pour contredire le préopinant, mais pour applaudir à ses vues. Je ne viens pas discuter. Cet objet n’est pas susceptible de discussion. Il est vrai que dans les provinces on répand le bruit qui a donné lieu à la motion de M. Guillaume. Je propose, pour faire cesser ces calomnies, de décréter à l’instant que les décimâ-teurs continueront comme par le passé à payer les portions congrues. L’Assemblée témoigne le désir de délibérer à l’instant. M. le Président observe que l’ordre de la séance du jour ne peut être changé que par un décret. M. Camus. Il faut absolument discuter, et non délibérer sans discussion. On veut que l’Assemblée décide sans examen que les décimateurs continueront comme par le passé, etc. Il y a là un piège! Nous réduirions peut-être ainsi à la portion congrue les pasteurs respectables auxquels la justice de l’Assemblée a promis une position meilleure. Je demande l’ajournement de la discussion après la motion de M. Treilhard. M. le marquis de Foucault. On devrait rappeler à l’ordre le préopinant. Quand bien même on voudrait nous tendre un piège, cette expression serait impropre. Un avocat aurait dû le sentir. M. Lanjuinais. Votre comité ecclésiastique est prêt à vous proposer un décret sur le même objet que la motion de M. Guillaume. Cette matière doit être discutée. Les fermiers des dîmes ne payent plus ; les décimateurs se prêtent à ce refus. 11 faut donc examiner s’il est convenable de continuer en 1790 la perception des dîmes. L’Assemblée adopte l’ajournement proposé par M. Camus. (Voy. la motion de M. Guillaume annexée à la séance de ce jour.) L’ordre du jour ramène la discussion sur les articles additionnels au décret concernant les municipalités. L’article relatif aux préséances est mis en délibération. Il est ainsi présenté : « Les administrations de département et de district et les corps municipaux auront chacun en leur territoire, en toute cérémonie publique, la préséance sur les corps civils et militaires. » M. Lemercier, député de Saintes. Messieurs, l’article que nous propose votre comité de constitution aura pour effet d’humilier les officiers de judicature. Les corps de magistrature avaient une préséance honorable sur les municipalités et sur toutes les autres compagnies jusqu’au moment où l’abbé Terray,par une suite de l’esprit fiscal qui dirigeait ses opérations, rendit vénales les charges municipales. Pour en favoriser la vente, il accorda aux officiers des hôtels de ville le droit de marcher dans les cérémonies publiques sur une ligne parallèle à celle des officiers de justice, mais à leur gauche. Aujourd’hui on va plus loin ; on propose de donner le pas sur eux aux municipalités et aux corps administratifs, par la fausse raison que ces derniers sont les représentants du peuple; mais les représentants du peuple sont les députés à l’Assemblée nationale. Les membres des municipalités et des corps administratifs n’en sont, comme les magistrats, que les officiers ; et certes, on n’a jamais mis en doute lequel des deux pouvoirs était le plus digne, celui de juger ou celui d’administrer. Après le droit de commander aux hommes, celui de juger est le plus grand. Vous avez décrété, il y a quelques jours, que les officiers municipaux seraient jugés par les tribunaux ordinaires, même pour les délits commis dans leurs fonctions ; les tribunaux ont donc sur eux un degré de prééminence et de dignité ; autrement vous feriez marcher les juges après les justiciables; non, on ne vous rendra pas ainsi traîtres à vous-mêmes et vous n’avilirez pas vos nouveaux tribunaux avant de les avoir créés. Je propose de substituer à l’article du comité la disposition suivante : « Dans toutes les assemblées et cérémonies [À**emblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 décembre 1789.] publiques, les compagnies publiques de justice et les corps administratifs marcheront sur deux colonnes ; les premiers formeront la droite et les seconds la gauche. Les officiers municipaux les suivront immédiatement sur deux lignes. Dans les lieux où il n’y aura point de corps administratifs, les officiers de justice et ceux des municipalités marcheront dans les cas ci-dessus exprimés, sur deux lignes parallèles, les premiers â droite et les seconds à gauche. » M. l’abbé Grégoire. Un de nos grands défauts dans les monarchies, c’est d’avoir mis les hommes à la place des choses. C’est toujours la loi qu’il faut voir dans celui qui en est l’agent ou l’organe. Les officiers municipaux sont une émanation partielle du pouvoir souverain; ils sont les représentants du peuple ; il faut honorer le peuple dans ses représentants ..... Autrefois nous prêchions en tremblant l’obéissance à des lois despotiques, vous les avez abolies. Aujourd’hui nous devons réclamer avec courage toutes les prérogatives de la souveraineté du peuple, quand cette souveraineté est méconnue. Tous les hommes ne sont pas encore assez philosophes, assez instruits pour connaître leurs droits. Il faut que les usages de chaque jour les leur rappellent. — J’adopte l’article du comité de constitution. M. l’abbé Maury. On réclame en faveur des officiers municipaux la préséance, dans les cérémonies publiques, sur les officiers civils et militaires. On la réclame, cette préséance, parce que les officiers municipaux sont, dit-on, une émanation partielle du pouvoir souverain, parce qu’ils sont les représentants du pouvoir souverain. — J’observe d’abord qu’on est le dépositaire d’un pouvoir, qu’on n’en est jamais le représentant ; et rien ne vient mieux à l’appui de mon observation que le principe générateur reconnu, consacré parmi vous. Tous les pouvoirs viennent du peuple ; mais il n’est pas moins vrai que ce peuple ne peut se réserver aucuns pouvoirs, qu’il doit les déléguer tous ; sans cela nous retomberions bientôt dans une anarchie mille fois plus déplorable que le despotisme lui-même. — Le pouvoir judiciaire émane aussi du peuple, et sûrement celui qui administre la justice doit avoir le pas sur celui qui n’administre que les deniers d’une communauté. Vous ne sauriez jamais trop honorer celui de qui dépendent l’honneur, la fortune et la vie de tous les citoyens. — Liberté, égalité, sûreté, voilà ce que vous devez au peuple, voilà ce qu’il a droit d’attendre de vous; mais gardez-vous bien de lui accorder ce qu’il ne demande pas, des honneurs d’opinion qui neuvent l’égarer ou le séduire. Dans les Etats les dus démocratiques, on n’a jamais voulu amuser e peuple par de vaines prérogatives ; on l’a pro-égé par de bonnes lois. Je eonclus à ce que, dans les cérémonies publiques, la magistrature ait le pas sur la municipalité. M. Pétfon de Villeneuve. Je monte à la tribune pour soutenir l’article qui vous est proposé par le comité. Il me sera sans doute impossible d’attaquer les principes du préopinant avec l’éloquence qu’il a employée pour les développer; mais ses succès ne peuvent diminuer mon courage, et je dois dire que mon avis n’est pas le sien» Le peuple ne peut, il est vrai, se réserver aucun pouvoir� quoiqu’il possède tous les pouvoirs, et je conviens qu’il faut qu’il les délègue. C’est en partant de ce principe que je soutiens que les premiers dépositaires des pouvoirs du peuple ont les premiers droits aux honneurs du peuple. J’emploie souvent le mot peuple, et c’est peut-être en l’employant plus souvent que moi qu’on est parvenu à vous faire illusion. Les officiers municipaux sont pris dans toutes les corporations particulières; les magistrats, les militaires ont droit aux places municipales ; les officiers municipaux ont des fonctions qui sans cesse leur font représenter la totalité de la communauté ; ils surveillent tous les corps ; ils peuvent être quelquefois les juges des juges ; ils ont surtout les rapports les plus directs avec la classe à laquelles on a improprement donné primitivement le nom de peuple ..... Je conclus de toutes ces vérités que vous ne pouvez jamais trop ennoblir les places municipales. Jmdopte en entier l’article proposé par le comité, M. de Lachèze rapporte, en faveur des tribunaux judiciaires, les raisons déjà alléguées par M. l’abbé Maury, et sa conclusion est la même. M. Lanjuinais. Les officiers municipaux sont les officiers de toute la cité, ils sont les représentant de toute la cité, ils sont les juges des juges de la cité. Les militaires sont les gardiens de la société ; les pasteurs sont des officiers de morale, autrement de religion. Les officiers municipaux sont donc plus rapprochés du peuple ; ils ont les premiers droits aux honneurs que dispense le peuple. Et qu’on ne répète pas que ces honneurs d’opinion sont dangereux! Ils le sont pour des corps éternels ; ils ne peuvent l’être pour des corps qui se renouvellent tous les deux ans. M. I/e Chapelier. Votre comité a pensé, lorsqu’il nous a soumis l'article de la discussion, ce que cette discussion n’a pu lui faire cesser de penser ; il croit encore, et vous croirez avec lui, qu’il est de la plus haute importance d’accorder aux officiers municipaux une dignité capable de leur concilier l’estime des peuples. Si vous ne relevez par les fonctions qui leur sont confiées, vous courez le risque d’en rendre l’exercice presque impossible. Il n’y a pas de danger à leur accorder ces honneurs d’opinion ; il y en aurait à les leur refuser. ( Des témoignages d’improbation se manifestent dans un bout de la salle.) Delley-Dagier. Lorsque des effervescences populaires s’élèvent, ce ne sont pas les militaires qui se présentent pour les calmer, ils ne feraient que les exciter encore ; ce ne sont pas les membres des tribunaux judiciaires, leur démarche serait inutile. Les officiers municipaux persuadent : ils sont pères du peuple ; Je peuple obéit, l’effervescence se dissipe. Et Ton refuserait des honneurs d’opinion à des hommes auxquels le îeuple a recours dans ses besoins de chaque , ournée, et qu’il à revêtus d’une confiance aussi îonorable et aussi puissante! (La salle retentit d’applaudissements .) M. de üfontlosier propose en amendement de n’admettre dans les cérémonies publiques que les officiers municipaux. M. Moreau, député de Tours, demande encore 47 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 décembreflTSO.] en amendement que les officiers municipaux et ceux de judicacture marchent en ligne parallèle, et que la droite soit toujours accordée à ces derniers. M. Latil, député de Forcalquier. Votre constitution élève le peuple au-dessus du Roi ; balancerez-vous, Messieurs, à mettre la commune au dessus du juge ? M. le Président se dispose à faire lecture des amendements. - M. le comte de Mirabeau. Je demande pour sous-amendement que tous les amendements soient renvoyés à M. de Brezé, grand maître des cérémonies, et que nous nous hâtions de consacrer uniquement ce principe : que tous les officiers municipaux, comme véritables et immédiats représentants du peuple, auront à jamais le pas sur toute autre existence sociale. L’article du comité est mis aux voix. Il est adopté dans la rédaction suivante : « Les administrateurs de département et de district et les corps municipaux auront, chacun dans leur territoire, en toute cérémonie publique, la préséance sur les officiers et les corps civils et militaires. » L’article suivant est décrété sans discussion : « Le conseil municipal, lorsqu'il recevra les les comptes des bureaux, sera présidé par le premier élu des membres qui composeront le conseil. » Un troisième article est soumis à la discussion ; le voici : « Les juges et officiers actuellement en exercice dans les justices seigneuriales supprimées pourront être élus aux places des municipalités. » M. dé MI repoix. On a oublié dans la constitution de fixer le sort des enfants trouvés. M. Prieur propose de dire au commencement de l’article : « Les juges et tous les autres officiers de magistrature, etc. » M. Lanjuiuais pense que les officiers de judicature actuellement en exercice ne doivent pas être admis dans la première élection des membres qui formeront les municipalités; parce que, dit-il, ils se sont opposés et s’opposent chaque jour à la révolution. M. Coupé. Les magistrats ne doivent pas être exclus des places municipales, parce que les magistrats qui sont dans cette Assemblée n’ont pas moins contribué à la révolution que les professeurs en droit canon. (M. Lanjuinais, professeur en droit de l’université de Rennes, applaudit à cette plaisanterie; l’Assemblée n’imite pas son exemple.) M. Le Chapelier. Les officiers de judicature sont en exercice jusqu’à ce que vous ayez pourvu à un nouvel ordre judiciaire; je pense que les éloigner des municipalités, ce serait peut-être les engager à se relâcher sur les devoirs que leur imposent les fonctions provisoires que vous leur avez confiées. Le comité présente une nouvelle rédaction de l’article qui est décrété comme il suit : « Les juges et les officiers de justice tant des sièges royaux, même de ceux d’exception, que des juridictions seigneuriales, pourront, aux prochaines élections, être choisis pour les places des municipalités et des administrations de département et de district ; mais s’ils restent juges ou officiers de justice, par l’effet de Ja nouvelle organisation de l’ordre judiciaire, iis seront tenus d’opter. » M. le Président. Je viens de recevoir de M. le garde des sceaux une lettre que je crois devoir faire connaître à l’Assemblée. Elle est conçue en ces termes: « Des dépenses considérables, nécessitées par l’entretien de la navigation sur la Saône à l’Isle-Barbe, près de Lyon, ont fait introduire un droit de péage dont le produit leur est affecté. Depuis 1772 jusqu’au moment actuel, ce droit a successivement été prorogé de dix années en dix années ; le terme, dernièrement fixé, échoit au 31 de ce mois ; et il devient urgent d’y pourvoir. Dans cette position, l’administration du domaine propose de rendre un nouvel arrêt portant nouvelle prorogation de dix ans; mais, avant de mettre ce projet sous les yeux du Roi, M. le garde des sceaux a cru devoir en communiquer à M. le président de l’Assemblée nationale. « Ce droit produit aujourd’hui 17,80.0 livres de ferme. « Les circonstances et la position des finances ne permettent, ni de négliger ce qui sert à entretenir et faciliter la navigation, ni de laisser à la charge du Trésor public des dépenses dont on trouvait l’équivalent dans la perception dont il s’agit. L’Assemblée nationale pensera, sans doute, que le droit de péage accoutumé ne doit pas être interronmu ; cependant , comme il est vraisemblable que l’inspection d’un objet de cette nature sera par la suite confié aux soins de l’administration de département, et qu’elle avisera alors au moyen le plus utile et le moins onéreux de faire face aux dépenses d’entretien, M. le garde des sceaux pense qu’il suffirait de prononcer que la perception sera prorogée jusqu’après l’organisation de l’administration provinciale, et jusqu’à ce qu’elle ait pu faire connaître son vœu sur la durée ou l’abolition du droit de péage. « Monsieur le président de l’Assemblée nationale voudra bien sentir combien il serait urgent de prendre un parti et faire part à M. le garde des sceaux, le plus promptement qu’il pourra, du vœu de l’Assemblée. « Signé : l’ArchevêQUÊ DË BORDEAUX. « Paris, ce 29 décembre 1789. » Après une légère discussion relative à la lettre de M. le garde des sceaux, l’Assemblée nationale a porté le décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que le droit de péage perçu à TIsle-Barbe, sur la Saône, près de Lyon, continuera à être perçu jusqu’à ce qu’il y ait été autrement pourvu d’après le vœu dé l’administration de département. » L’Assemblée, prenant ensuite en considération la demande de la ville de Sens, décrète que, conformément au vœu de cette ville, la première fierre du port qu’elle va faire construire, sera iosée au nom de l’Assemblée nationale, et que e nom des députés sera gravé sur une pyramide. Un nouveau décret charge M. le marquis de Chambonas de faire poser la première pierre du port de Sens, au nom de l’Assemblée, M. Castellonet continué le rapport de l’affaire