[Assemblée nationale. | ARCHIVES PARLEMENTAIRES. la lecture du procès-verbal on croirait qu’effecti-vement l’Assemblée aurait décrété que le prêt fait au gouvernement par la Caisse d’escompte emportait hypothèque sur la contribution patriotique, ce qui est inexact. M. le prince de Poix explique le sens des paroles prononcées hier par M. le duc du Châtelet. M. ISewbelI pense qu’il suffit de modifier la phrase pour qu’on ne puisse pas reprocher à l’Assemblée de rendre 80 millions pour en avoir 20 comptants. Le procès-verbal est adopté. M. Hutteau, député de Paris , offre, au nom de M. Lalande, un projet pour la création d’un papier-monnaie qui peut, dit-il, présenter quelques vues utiles. ( Voy . ce projet annexé à la séance de ce jour.) M. Mougins de Roquefort, curé de Grosse , dit que les raisons de santé qui lui avaient obtenu la permission de s’absenter ayant cessé, il s’empresse de reprendre son poste dans l’Assemblée pour concourir avec elle au bien de l’empire. M. Dubois de Crancé donne lecture des adresses dont la teneur suit : Adresse de la ville de Saint-Malo en Bretagne, qui, toujours pénétrée de vénération pour les décrets de l’Assemblée nationale et pleine de confiance en sa justice, la supplie avec instance de donner à la Bretagne sept départements. Délibération de la ville d’Embrun en Dauphiné, contenant l’expression d’une parfaite adhésion à tous les décrets de l’Assemblée nationale; elle déclare qu’elle s’oppose formellement à toute tentative qui pourrait y porter atteinte directement ou indirectement. Adresse du comité permanent de la ville de Soissons, dans laquelle il renouvelle les sentiments d’admiration, de reconnaissance et de dévouement dont il est pénétré pour l’Assemblée nationale; il annonce que, dans une assemblée du 22 novembre, les habitants ont arrêté unanimement de faire l’abandon à la nation de tout objet de luxe, et autres bijoux en or et argent. Adresse de félicitations, remercîments et adhésion des villes et pays de Neuvy-Roy en Touraine. A cette adresse est joint un mémoire tendant à l’établissement à Neuvy d’une justice royale, d’une maréchaussée et d’un centre de district. Adresse de la ville de Lorgues en Provence, chef de viguerie, contenant un renouvellement d’adhésion à tous les décrets de l’Assemblée nationale, notamment à celui portant abandon des privilèges de la province, et la demande d’une assemblée de district dans la nouvelle division des provinces. Adresse des habitants de la paroisse de Saint-André en Roussillon, contenant félicitations, remercîments et adhésion à tous les décrets de l’Assemblée nationale, notamment à celui concernant la contribution patriotique. Adresse du même genre de la ville de Cette en Languedoc. Adresse du même genre du bourg de Couches en Bourgogne; il demande d’être un chef-lieu de canton. Adresse de la milice nationale de Cherbourg, dans laquelle elle manifeste les .sentiments de [5 décembre 1789. j 39 1 confiance, de reconnaissance, d’admiration et de dévouement que l'Assemblée nationale lui a inspirés. Procès-verbal de prestation de serment de la milice nationale delà ville du Palais à Belle-Isle-en-Mer, conformément aux décrets de l’Assemblée du 10 août dernier. Adresse des officiers du bailliage de Clermont-en-Beauvoisis, qui présentent l’hommage de leur adhésion profonde à tous les décrets de l’Assemblée nationale sanctionnés par le Roi. Ils ont arrêté de rendre la justice gratuitement. Adresse et arrêté du même genre des officiers du bailliage comté-pairie de Vertus en Bourgogne. Adresse des officiers du bailliage de Rumigny en Champagne, contenant adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale; ils demandent la conservation de leur juridiction. Adresse du comité permanent de la ville d’An-nonay, qui a arrêté que tous les habitants de cette ville seront invités à faire à la nation le don de leurs boucles d’argent. Adresse du corps municipal et conseil permanent de la ville de Tournon; ils renouvellent à l’Assemblée nationale l’expression des sentiments des citoyens de cette ville, et adhèrent, avec une pleine et entière confiance, à tous les décrets de l’Assemblée, qu’ils protestent de soutenir avec fermeté, et de faire respecter au péril de leurs biens et de leur vie. Extrait de la délibération du lieu de Saint-Maime en Provence, contenant des remercîments, et adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale. Adresse des citoyens de la ville de Montluçon, portant remerciment et adhésion; ils demandent un chef lieu de justice, et déclarent qu’ils ont arrêté de veiller à la perception des impôts actuellement existants, et qu’ils ont pris les précautions nécessaires pour arriver à cette fin. M. Rewbell fait lecture d’une lettre du consistoire de la confession d’Ausbourg à Strasbourg, qui annonce un don patriotique se portant à la somme de 1,800 livres. M. le Président. L’Assemblée passe à son ordre du jour, et reprend la suite de la discussion sur le plan de finances de M. Necker tendant à convertir la Caisse d’escompte en banque nationale . M. Regnaud (de Saint-Jean-d' Angély). Nous ne pouvons sans danger retarder d’un instant la délibération sur les secours qu’exigent les finances : sans cette impérieuse activité, l’édifice que nous élevons croulerait avant d’être achevé. Plusieurs objets se présentent d’abord : les moyens de rembourser les offices qui sont supprimés; ceux qu’il faut employer pour assurer d’une manière invariable la balance entre la recette et la dépense; mais, quelle que soit leur importance, ils doivent être écartés, et les besoins de celte année et de l’année prochaine doivent seuls nous occuper en ce moment. Le plan de M. Necker est fondé sur la vente de 13,500 actions. Vous n’avez ni crédit, ni confiance, et vous ne pourrez parvenir à les placer; cette impossibilité anéantit l’opération proposée par le ministre. M. l’évêque d’Autun a présenté des bases infini-men t j ustes ; mais il paraît s’en être écarté, puisque la partie principale de son projet consiste à retarder le payement des dettes échues; alors, il n’est plus question de volonté, avec la faculté de payer , mais de bonne volonté, et les créanciers ne s’en contentent pas. Une faculté et une volonté [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 décembre 1789.] 392 dans l’avenir sont une faculté et une volonté éventuelles. Offrir de payer dans vingt ans, c’est vouloir faire un contrat d’atermoiement. Si le consentement d’une des parties manque à ce contrat, il est nul, et l’atermoiement est une banqueroute. Or, la Caisse d’escompte, les porteurs de billets, ceux des assignations à terme fixe, les employés supprimés dont il faut payer le cautionnement, les fournisseurs de la marine et de la guerre, ne pourront y consentir : ils ont contracté des engagements; il faut qu’ils soient payés pour qu’ils paient; ils n'ont pas pu compter sur un retard de vingt années. Ce consentement est donc impossible; vous ne pouvez donc exiger un atermoiement sans faire une violence, sans commettre une souveraine injustice. Je n’adopte du plan de M. l’évêque d’Autuu que les articles 2 et 3. Je propose de vendre des valeurs mortes dans les biens du clergé et du domaine, c’est-à-dire les châteaux, les bâtiments des monastères que vous supprimerez; des billets nationaux seront mis en circulation pour une somme égale au produit de cette vente ; on ne recevra des acquéreurs que ces billets nationaux; et quand ces fonds seront vendus, il ne restera pas un seul de ces billets en circulation. M. Régnant! (de Saint-Jean-d’Angëly) déclare, en quittant la tribune; que le plan de finances qu’il vient de soumettre à l’Assemblée n’est pas de lui et qu’il en fera connaître l’auteur, si le plan est accueilli. M. Cochon de Laparent examine les diverses objections fait contre le plan de M. Necker, justifie la Caisse d’escompte par le salut de l’Etat, et demande qu’il soit nommé huit commissaires, pris dans l’Assemblée, qui, réunis à quatre membres du comité des finances, concerteront avec le ministre et les administrateurs de la Caisse d’escompte les changements et les modifications qu’il conviendra de faire au plan du ministre, pour Je tout être ensuite rapporté sous trois jours à l’Assemblée, et être par elle ordonné ce qu’elle avisera. M. de Ifontlosier, après avoir examiné quelle est l’utilité d’une banque, et reconnu que ces sortes d’établissements sont utiles aux nations riches comme aux nations pauvres, de même que les capitaux et les rentes, établit que l’attache nationale mise à une banque est contraire à la dignité de la nation, à l’intérêt de la nation, à celui du commerce et à la banque elle-même. M. Necker, dit-il, substitue à une banque qui paye mal une banque qui ne payera pas du tout : son opération est impraticable par l’impossibilité de placer les actions. Il faut donc renoncer à un plan défectueux dans ses détails et dans ses principes, et pernicieux dans ses conséquences. L’opinant prétend ensuite que le comité des finances a fait, dans son rapport, une grande erreur : il a considéré les 49 millions que produisent les aides et la gabelle, qui seront détruites, comme une remise faite au peuple; mais cette remise ne peut être générale, puisqu’elle ne concernera que quelques provinces : les 49 millions auxquels montent ces impôts doivent donc être ajoutés aux 33 millions d'excédant de recette trouvés par le comité. L’opinant adopte la division des finances en deux caisses : l’une destinée à la dépense ordinaire de l’année, l’autre à la dette; il propose ; 1° de créer tous les ans une quantité de billets d’Etat égale à la somme des intérêts à payer. Ces billets seraient acquittés à vue par la caisse de la dette, dont les administrateurs pourraient être contraints même par corps; 2° de créer pour 90 millions de semblables billets, avec assignation sur la contribution patriotique; 3° une autre somme de 80 millions également en billets, serait payée par le produit de la vente d’une partie des fonds du domaine, et des biens ecclésiastiques. Le surplus de cette vente formerait une caisse d’amortissement. M. I�ecouteulx de Canteleu (1). Messieurs, la connaissance complète que vos commissaires viennent de vous donner de la Caisse d’escompte doit avoir dissipé les nuages dont on a voulu la couvrir et fixé vos idées sur cet établissement. Permettez, Messieurs , à un négociant de discuter actuellement l’objet important qui vous occupe, par les raisonnements simples qui sont toujours employés dans son état, en affaires d’intérêt et de convenance. Vous ne pouvez, Messieurs, vous dispenser de faire usage d’un moyen de crédit quelconque: le Trésor public a besoin d’une recette extraordinaire de 170 millions, pour couvrir la dépense courante de 1789 et 1790. 11 faut pourvoir à une bien plus forte somme, si vous voulez éteindre toutes les dettes arriérées, reprendre le payement des objets suspendus et faire des remboursements de convenance. Je crois pouvoir fixer la question en divisant ces besoins: les uns sont pour les dépenses courantes, exigibles par leur nature en monnaie courante ; les autres peuvent être remplis à des époques successives, mais déterminées. Dans tous les cas, vous ne pouvez vous dispenser de vous procurer des avances sur les ressources dont vous avez le droit de faire usage, parce que vous ne pouvez utilement en réaliser les effets qu’avec le temps et de prudentes dispositions. Hans le fait, il s’agit de faire un arrangement entre un débiteur et des créanciers d’une même famille, qui ont tous intérêt à conserver l’honneur du nom et à ne pas laisser dépérir une propriété utile à tous. Je compare l’Etat à une grande manufacture, à une entreprise qu’il faut soutenir : si elle est contrariée par les circonstances, une exploitation suivie en rendra les produits assurés. 11 faut donc commencer par lui donner les moyens de satisfaire au courant de ses dépenses, de payer ses ouvriers et ses travaux indispensables, Ces dispositions se lieront nécessairement à celles qu’on adoptera en même temps pour la restauration générale de l’entreprise. L’Etat s’est servi de la Caisse d’escompte comme une grande maison de commerce ou une grande entreprise se sert de son banquier. 11 est très-fréquent, dans les liaisons de cette nature, que le prêteur soit entraîné au point de ne pouvoir refuser toutes les avances qui deviennent successivement nécessaires pour le soutien de son emprunteur. Réciproquement, celui-ci ne peut plus se passer du crédit additionnel que lui donne la signature de son prêteur; il ne peut plus faire de négociations sans l’acceptation de son banquier. Mais, dans la question que nous traitons, l’em-(1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. Lecouteulx. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 décembre 1789.) 393 prunteur est un souverain qui a cru d’abord pouvoir soutenir ses affaires et celle de son banquier, en donnant à ce dernier des arrêts de surséance. Le banquier en a fait un usage prudent et honnête. Il a continué partiellement ses payements, et a assez conservé la confiance du public pour jouir encore d’un bon crédit. Aujourd’hui le souverain (et vous sentez, Messieurs, le sens que je donne à ce mot dans notre constitution actuelle), quoique très-embarrassé dans ses affaires et hors d’état de payer ses engagements à échéance, est plus confiant dans les ressources; il croit qu’il peut enfin faire usage de son crédit personnel et se soustraire à ce crédit additionnel qu’il empruntait de son banquier; il fait plus il improuve les arrêts de surséance dont ce dernier jouit. Que fait-il donc qui réponde à cette généreuse disposition, et quels sont ses moyens? S’il fait usage de ceux auxquels les préopinants ont donné la préférence, il créera des billets d’Etat, des assignats à terme; il en forcera le cours: il fera enfin du papier-monnaie ; et le premier emploi auquel il le destine, c’est de le donner à son banquier en payement de ce qu’il lui doit, c’est-à-dire de s’acquitter ainsi avec la Caisse d’escompte. Mais, Messieurs, cette Caisse d’escompte a de son côté des créanciers à payer, et elle ne peut se dissimuler que si elle acquitte ses engagements avec un papier de nouvelle création, dont le cours sera forcé; le caractère que ces billets ont conservé, parce qu’elle n’a profité qu’avec modération de la suppression dont elle jouit, sera altéré ou perdu sans remède. Alors elle observera au souverain, qui sous les seuls rapports de sa dette immense doit être juste et circonspect, que l’inconvénient d’un papier d’un cours forcé, appliqué aux dépenses courantes, est bien plus grave lorsque lui-même en applique la loi à ses propres billets, assignations ou reconnaissances; et que si ce nouveau papier, cette nouvelle monnaie n’obtient pas un libre cours et subit quelque discrédit, les billets de la Caisse d’escompte en seront également frappés; paries opérations même purement commerciales de cette caisse, ils sont liés au sort de cette nouvelle monnaie, qu’elle ne peut refuser: il en résultera donc inévitablement le discrédit de l’un et de l’autre papier, et l’anéantissement de toute monnaie fictive. C’est sous ce point de vue que j’envisagerai le plan du premier ministre des finances, et je me renfermerai toujours dans les idées qui me sont familières. L’expérience des affaires apprend qu’en matière de crédit et de ressources (car c’est ce dont il est encore question dans la situation où nous sommes) tous les principes et toutes les convenances sont les mêmes lorsqu’il faut mettre en mouvement un ou plusieurs millions. C’est dans les principes sages et simples d’une bonne économie que M. Necker vous propose, Messieurs, pour votre propre intérêt, de bien distinguer d’abord la nature des dépenses auxquelles vous voulez pourvoir; de considérer s’il ne serait pas plus convenable aux circonstances de faire encore un bon usage de la force additionnelle de votre banquier, c’est-à-dire de la Caisse d’escompte, pour les dépenses qui auront lieu jusqu’à ce que vous ayez donné une assiette positive à vos opérations ; s’il n’y aurait pas quelque risque de changer pendant cet intervalle la nature et l’habitude de vos payements ; habitude qui, enfin, s’est maintenue et vous a été utile dans la crise la plus violente. Observez bien, Messieurs, que cela ne s’oppose en aucune manière aux dispositions que vous voudriez adopter pour l’acquit de tous les objets que vous voulez liquider, et aux remboursements de convenance que vous voulez faire, Cette seconde classe de dépenses auxquelles il faut pourvoir est celle qui se prête à cet arrangement de famille dont je vous ai déjà parlé, si facile et si naturel lorsqu’il existe un intérêt commun entre le débiteur et le créancier, particulièrement lorsque ce dernier voit que le provisoire est assuré et affermi. On n’a pas sans doute réussi, Messieurs, à vous persuader que M. Necker eût méconnu les principes et les bases d’une banque publique: la principale base de son plan est un accroissement de fonds combiné sur l’étendue des avances dont vous avez besoin, et sur la quotité des billets en émission. Aussi c’est en n’en faisant pas mention, ou en mettant en doute la possibilité de la nouvelle mise de 50 millions qu’il demande, qu’on a censuré son projet. Mais Messieurs, on n’a pas évalué ni calculé la réunion de volontés et d’intérêts qui peuvent concourir à cet accroissement de fonds : 1° Il faut avoir confiance dans la volonté des actionnaires eux-mêmes, et dans leur intérêt commun avec la nation, de ne pas courir les chances d’un nouveau papier, quelque dénomination que vous lui donniez, dont le discrédit éventuel entraînerait celui de ses billets, et bouleverserait même ses opérations commerciales ; 2° Il faut avoir confiance dans la volonté des créanciers de l’Etat et de tous ceux qui tiennent aux affaires publiques, qui ont un si grand intérêt à maintenir dans toute leur valeur les 114 millions de billets de caisse actuellement en émission, et à écarter le discrédit dont ils seraient frappés par la substitution ou l’échange d’un nouveau papier dont le sort est incertain; 3° Il faut avoir confiance dans la volonté de toutes les grandes villes de commerce, de tous les négociants du royaume, qui ont un si grand intérêt à préférer à toute création d’un papier d’un cours forcé l’émission de celui de la Caisse d’escompte, d’après le plan de M. Necker, parce qu’il présente les plus grandes probabilités d’un payement à présentation, et que la quotité en est fixée sous votre surveillance. Pouvez-vous croire, Messieurs, que toutes ces volontés et tous ces intérêts réunis ne concourront pas efficacement à faire lever les nouvelles actions de la Caisse d’escompte? Joignez-y, Messieurs, le concours de ceux qui, dans toutes les classes de citoyens, sont dans l’activité des échanges et des transactions de toute espèce. Est-ce lorsque toute la nation voit ses représentants réunis dans la capitale, et toutes les villes de commerce leurs députés; lorsque toutes les villes en raison de l’intérêt que leur présente la division du royaume en départements, ont envoyé ici des députés extraordinaires, que nous pourrions douter de la possibilité de réunir 50 millions dans un placement solide, avantageux, utile à l’Etat, à nos travaux et si salutaire dans la périlleuse nécessité où nous pourrions être de recourir à des ressources dangereuses et nuisibles? D’ailleurs, Messieurs, cette mise de fonds si importante par ses effets pour l’utilité générale, comme pour l’utilité particulière, mériterait bien de votre part une invitation à toutes les villes de 394 [Assemblée nationale.} commerce, pareille à celle que Colbert mit en usage pour placer les actions de la compagnie des Indes, lorsqu’il la créa. C’est ainsi que je réponds, Messieurs, à ceux qui ont combattu le plan du ministre des finances, en écartant la base sur laquelle il est appuyé, ou en niant absolument la possibilité de pouvoir l’élever. Je terminai mon opinion en répondant à l’objection qui m’a paru être de nature à faire le plus d’impression dans cette Assemblée, vu le zèle qu’elle a pour une bonne constitution. On vous a dit, Messieurs, que l’institution d’une banque nationale n’était pas un acte constitutionnel, parce qu’on avait lieu de craindre que, si l’Assemblée nationale elle-même pouvait avoir sous sa main un grand crédit dans une latitude assez indéterminée pour la porter à faire éventuellement un usage exagéré de ses forces, cela serait dangereux pour la nation. Je ne crois pas cette objection bien fondée dans notre situation politique, économique et commerçante. En général, nous avons plus d’activité et d’industrie que d’argent, pins de sol et de terrain à cultiver que de crédit, pins de volonté .que de moyens : dans mon opinion, aucune nation n’a plus besoin que nous d’une banque publique, établissement reconnu, par l’expérience, comme le levier le plus puissant, la force additionnelle la plus efficace qu’on puisse employer pour mettre en mouvement et en action toutes les forces de production individuelle. Représentant d’une province qui, parle produit de sou commerce, de ses manufactures et de son industrie, a toujours eu une riche part dans la balance du commerce, j’ai vu avec douleur qu’on ail voulu, à cet égard, écarter votre sollicitude en faisant résulter des opérations de la Caisse d’escompte le désavantage de la situation actuelle de la France dans ses rapports de commerce et dans ceux de sa balance avec les autres nations. On n’a donc pas calculé le préjudice irrémédiable que nous cause la concurrence de l’industrie anglaise, dirigée avec intelligence vers tous les objets qui, par leur bon marché et par leur peu dé valeur, peuvent être consommés par le plus grand nombre et satisfaire avec tant de convenance, à nos premiers besoins, que le patriotisme le plus sévère n’en ose pas exiger Je sacrifice ? On n’a donc pas calculé les effets sensibles dans nos ports de mer et dans nos manufactures, de 1 invasion des étrangers sur le commerce de nos colonies, qui détruit visiblement cette préférence nationale, que les colons donnaient ci-devant aux productions de notre sol et de notre industrie. On rra donc pas calculé les effets du dépérissement de la navigation française, cette branche de commerce la plus intéressante par son influence sur toutes les autres, et qui entretient une fabrication si étendue, qui est elle-même un atelier immense. Les exportations des denrées coloniales ne sont plus réservées pour nos navires, et c’est le plus souvent sur leur lest qne nos vaisseaux caboteurs sortent de nos ports pour l’Espagne et le Portugal. Parcourons les différents marchés de l'Europe et de l’Amérique nous y avons été successivement supplantés par nos rivaux, toujours par suite de nos erreurs politiques, et de notre amour aveugle pour ces systèmes dont ils bercent adroitement notre inexpérience , même notre humanité , [5 décembre 1789.] lorsqu’il est de leur intérêt de nous les faire adopter. Cependant, Messieurs, en laissant ainsi échapper par millions les bénéfices qui soldaient si utilement la balance de notre commerce avec les puissances de l’Europe, nous anéantissons une des prospérités du peuple français, celle que lui donnent son industrie etson travail; et lorsqu’on voit les Anglais, qui ci-devant ne faisaient pas pour plus de 5 millions d’étoffes de coton par an, en faire aujourd’hui, année commune, pour plus de 180 millions, a-t-on bien calculé quel est pour un royaume la richesse du travail du peuple ? quelle est notre misère aujourd’hui que ce travail est presque nul dans la plus grande partie de la France? et alors, Messieurs, n’est-il pas pour vous d’un danger extrême de prendre le change sur les véritables causes de nos maux, et de les attribuer à la Caisse d’escompte ? Je ne vous présente point un pareil établissement comme Je saint de toutes vos affaires, mais je le présente, avec assurance, comme un bon auxiliaire dans les grandes opérations que vous entreprendrez, un moyen de puissance, ou au moins un appui nécessaire dans ce moment où vous établissez une organisation nouvelle dans toutes les parties de l’administration du royaume. U ne peut' par lui-même produire, mais il peut, il doit animer votre industrie, aider, faciliter vos avances, accélérer plus ou moins le débit de vos productions, lorsque vous aurez repris vos débouchés qui vous ont été enlevés, et que vous serez moins faciles à subir le joug de l’industrie étrangère. Mais, Messieurs, je ne vois dans le plan de M. îSecker que le mot, la seule dénomination qui ait pu alarmer ceux qui craignent l’institution d’une banque nationale. 1° Le ministre vous propose de fixer et de limiter l’émission des billets à 24 U millions. 2° Cette émission est principalement fondée sur les 170 millions dont la banque nationale vous fera les avances et si, dans vos dispositions ultérieures, vous pouvez vous affranchir de toute espèce d’anticipations et d’avances, ainsi que votre comité de finances vous l’a proposé, la banque nationale n’ayant plus un emploi utile des 170 millions que vous lui aurez remboursés, l’émission de ces billets sera réduite et ses capitaux rembourrés aux actionnaires en proportion , pour se restreindre aux opérations de commerce , à moins que les circonstances et une nouvelle législature n’en disposent autrement. 3° M. Necker vous propose enfin, Messieurs, de limiter la durée du privilège de cet établissement et de le mettre sons votre surveillance. Le nombre des commissaires que vous nommerez à cet effet, et la réunion des personnes hors de la classe de celles qui sont dans les affaires de commerce et des finances, qui seront appelées à cette administration, suivant la proposition de M. Necker, auront le double avantage de contenir cette banque dans tes limites que vous prescrirez, et de multiplier, de répandre dans les différentes classes des citoyens, les connaissances utiles des grands intérêts de commerce et de crédit, et leurs différents rapports. Je dois, Messieurs, avant de conclure, professer ici Jiautement que, si avant de connaître personnellement M. le ministre des finances, simple négociant dans ma province, j’ai toujours eu une grande confiance dans ses talents comme dans ses vertus, c’est parce que, depuis sa ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 décembre 1789.] première élévation au ministère, dans des temps heureux comme dans nos moments désespérés, il s’est toujours présenté avec des idées simples, celles d’un bon économe, dont tout le secret pour relever les affaires délabrées d’une grande maison est d’en diminuer la dépense , d’en améliorer les recettes et d’en conserver le crédit. C’est ainsi qu’en se mettant à la portée de tout le monde, ce ministre a obtenu une grande confiance; ses idées sur l’administration des finances n’ont rien de compliqué; il parle à tous les individus de la nation comme Sully parlait à son maître. Chacun prend la plume et, sans se fatiguer l’esprit par de grandes combinaisons, peut, dans les distractions d’une vie agitée comme dans le calme de la retraite, connaître promptement l’état des affaires publiques, apprécier avec convenance la justesse des mesures que le ministre propose, et se décider promptement à donner, par le concours de sa volonté, cette impulsion toujours si heureuse et si efficace lorsqu’elle part d’un sentiment de confiance. Tous ceux qui, sans expérience et peut-être sans étude, ont voulu paraître tout à coup, dans les circonstances actuelles, investis de la science de l’administration, ont trop suivi l’essor de leur imagination pour bien apprécier celui qui, docile aux lois de la nature, ne veut rien obtenir par de pénibles efforts ni par des moyens extraordinaires, mais seulement aider, par une culture suivie, l’amélioration et la reproduction des richesses de l’Etat. C’est donc avec une dextérité et une sagesse à laquelle l’Europe a justement applaudi, que M. Necker a constamment assujetti son génie et ses talents à une marche simple et à des dispositions qui n’ont jamais exigé, de la part des agents de l’administration, comme de celle de tous les citoyens, que de la bonne volonté et un bon esprit. Pourquoi je conclus, Messieurs : 1° A admettre le plan de M. le ministre des finances ; 2° A ce qu’il soit nommé des commissaires pour en concerter l’exécution avec ce ministre, et y faire les modifications et les améliorations qui’ seront jugées nécessaires, parce que les commissaires seront autorisés à conférer à cet effet avec les commissaires et administrateurs de la Caisse d’escompte et les députés des principales villes du royaume ; 3° A ce qu’il soit écrit, au nom de l’Assemblée nationale, à toutes les grandes municipalités pour leur faire convoquer une assemblée de tous ces négociants, marchands, et de tous les citoyens dans les affaires, ou intéressés directement aux différentes transactions du commerce , dans laquelle ils seront'invités à se -charger d’un certain nombre d’actions nouvelles dans la Banque nationale, en leur faisant connaître, d’après ce que je viens de vous exposer assez imparfaitement, les raisons qui doivent les y déterminer, et l’importance, pour le salut de la chose publique, du concours et de la bonne volonté de tous les citoyens. M. «l’ËyBBsar, député de Forcalquier (1). Messieurs, lorsque les plus imminents dangers menacent la chose publique, je croirais trahir, si je gardais le silence, les grands intérêts qui m’ont été confiés. ( 1 ) Ce discours n’a pas été inséré au Moniteur. m Le Trésor public, Messieurs, est dans le dénû-ment le plus absolu : toutes nos ressources sont épuisées; nous sommes arrivés au dernier terme de l’embarras. Vous le savez cependant, il est d’une nécessité indispensable que d’ici au mois de janvier le ministre des finances puisse disposer d’une somme de 90 millions pour achever le service de l’année courante. Un mois vous reste à peine pour remplir vos engagements. Ces engagements sont sacrés, puisque vous avez mis les créanciers de l’Etat sous la sauvegarde inviolable de l’honneur et de la lpyauté française. Le temps vous presse, le public inquiet murmure, et vous n’êtes pas même d’accord, en ce moment, sur le choix des moyens qui vous sont proposés pour sortir de la crise effrayante dans laquelle nous nous trouvons. Avez -vous du moins fixé sur un plan déterminé l’objet de votre délibération? Non, Messieurs, plusieurs projets vous ont été proposés. De nouveaux orateurs vont vous soumettre probablement de nouvelles idées, les systèmes se multiplieront, et vous embarrasseront sur le choix : leurs auteurs auront tout prévu, tout combiné , tout , excepté le temps qui est nécessaire pour en faire un examen approfondi et celui qui est indispensable pour en assurer i’exé-cution. Cependant, c’est ce temps qui nous manque, et vous ne pouvez pas même différer quelques jours de prendre à cet égard une résolution définitive. Un des honorables membres de cette Assemblée, M. d’Ailly vous a dit que si d’ici au mois de janvier vous n’aviez pas la somme de 90 millions, vous travail liez inutilement à donner une constitution à la France; combien une pareille annonce n’est-elle pas effrayante dans la bouche d’un homme aussi sage et aussi éciairé ! Ainsi donc s’évanouiraient toutes nos espérances! ainsi nous perdrions le dédommagement de tant d’inquiétude, et ta récompense de tant de travaux! Après avoir creusé les fondements, et même posé les bases sur lesquelles devait s’élever, le monument de la liberté et de la félicité publique, serions-nous forcés de laisser à des mains plus heureuses le soin d’achever notre ouvrage, et de leur abandonner la gloire à laquelle peut-être les régénérateurs de la France auraient eu quelque droit si, après avoir renversé les obstacles sans nombre qui s’opposaient à la révolution, ils fussent parvenus à rendre la Fiance heureuse et libre? J’oublierai, si l’on veut, cette considération qui nous est personnelle; mais qui peut songer sans frémir à la situation critique dans laquelle nous aurions laissé ia patrie? Qui peut envisager sans effroi l’état d’anarchie dans lequel nous l’aurions plongée plus que jamais? Je n’arrè-terai point vos regards sur un tableau aussi affligea ut; je me contenterai de vous demander si dans la supposition, je ne dis pas d’une banqueroute absolue, elle est impossible, mais seulement d’une suspension déclarée de payement , vous avez bien pesé cette considération, que même après avoir été les témoins des troubles particuliers qui ont agité le royaume, il est impossible de calculer les nouveaux malheurs qu’un événement si funeste pourrait entraîner. Je vous demanderai si vous avez suffisamment considéré que la cité immense au milieu de laquelle vous délibérez éprouverait une commotion générale, dont le contre-coup se ferait ressentir dans toutes les provinces, et que des huit cent mille habitants qui fourmillent dans le sein delà capitale, la plus nombreuse partie peut-être, se croyant réduite à la misère, serait plongée dans le plus affreux désespoir. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 décembre 1789.] 396 A Dieu ne plaise que je fasse aux représentants de la nation l’injure de penser qu’ils puissent être déterminés par aucun motif d’inquiétude personnelle ! Leur conduite jusqu’à ce jour atteste assez quels sont leurs sentiments ; mais la patrie déchirant son propre sein dans les émeutes populaires ; mais les citoyens nécessairement armés contre les citoyens; mais le peuple égaré, confondant l’objet de ses injustes soupçons avec le vrai coupable, et, dans sa fureur aveugle, trempant ses mains dans le sang de l’innocent! voilà les événements dont vous avez été les témoins, voilà les malheurs que vous avez encore à craindre. Quelque affligeant qu’il ait été pour moi de rappeler ces douloureux souvenirs, j’ai cru devoir vous les retracer lorsqu’il s’agissait d’empêcher qu’une nouvelle insurrection ne fît de nouvelles victimes. Quel est, Messieurs, le seul moyen de prévenir ces malheurs, de calmer toutes les inquiétudes, d’assurer votre constitution et de déconcerter peut-être les dernières espérances des ennemis de la liberté? C’est de fixer sans délai l’objet précis de votre délibération , c’est de faire un choix entre les différents plans qui vous ont été proposés, de soumettre dès aujourd’hui à une1 discussion non interrompue celui de tous ces plans qui aura obtenu la majorité de vos suffrages. Messieurs , je rends hommage aux lumières, aux talents , aux intentions de ceux qui vous ont offert, sur les finances, le fruit de leur travail et le résultat de leurs réflexions ; mais nos provinces, moins instruites que nous à cet égard, auront-elles les mêmes raisons de leur accorder la même confiance? Dans l’impossibilité où elles sont d’approfondir des plans que vous-mêmes vous n’avez plus le temps d’examiner, ne chercheront-elles pas du moins quels sont les titres avoués de ceux qui se mettent sur les rangs pour disputer au ministre qui a dirigé les finances dans les temps les plus difficiles [l’honneur de sauver du naufrage le vaisseau de l’Etat? Ne vous demanderaient-elles pas compte de la préférence que vous leur auriez donnée? Ne vous rendraient-elles pas responsables de l’événement, si le succès ne répondait pas à vos espérances? Ah! qu’il me soit permis de vous le demander : quel est celui qui a consacré ses veilles et consumé sa vie dans l’étude et la pratique de l’administration des finances d’un grand empire? Quel est celui qui a eu le dangereux honneur, dans les circonstances critiques d’une révolution, au milieu des mystères dont nous étions environnés, dans des temps de trouble et d’anarchie, d’être placé sur le plus grand théâtre de l’Univers, pour y donner le spectacle de la probité la plus intacte et de la vertu la plus pure, luttant seule et sans relâche contre les intrigues et contre ses détracteurs acharnés? Lorsque le meilleur des rois, trompé par les ennemis du bien public, écouta Je funeste conseil qu’on osait lui donner d’éloigner M. Necker de sou conseil et de sa personne, la consternation générale fut le sentiment qu’on vous vit d’abord partager. Bientôt vous déclarâtes dans un décret solennel qu’il avait emporté vos regrets et ceux de la France entière ; et lorsqu’à cette nouvelle l’opinion publique fit entendre des cris douloureux et menaçants, vous joignîtes votre voix à la voix des 24 millions d’hommes qui demandaient son retour. Nos espérances ne furent point trompées ; son amour pour la France, son dévouement à vos intérêts, l’arrachèrent de sa retraite et le rendirent à nos vœux. Avec quels applaudissements, avec quels transports ne l’ac-cueillîtes-vous pas lorsque, après avoir été attendu avec tant d’impatience, il reparut au milieu de vous ! Qu’on nous demande maintenant quels sont les motifs de notre confiance, et nous répondrons : Ce sont tous ces souvenirs. Nous les puisons dans l’histoire fidèle des faits qui sembleot encore se passer sous nos yeux, dans les jugements que vous avez portés vous-mêmes, dans les sentiments que vous avez manifestés. Est-ce donc là le même homme dont vous écoutez aujourd’hui les conseils, dont vous recevez les propositions avec tant d’indifférence, pour ne rien dire de plus ? Quels nuages se sont donc élevés entre vous et lui depuis l’époque fatale de l’anéantissement de notre crédit, dont il est] inutile sans doute de vous retracer les circonstances? Oh! les hommes se laissent préoccuper par l’idée qu’ils se font d’une perfection imaginaire : une faute légère, et qui échappe au plus habile, est un monstre à leurs yeux prévenus ou jaloux. Ils modifient leurs jugements sur les opinions, les préjugés, les discours souvent intéressés de ceux qui les environnent. Ainsi, dans tous les temps et chez toutes les nations, les hommes ont été injustes envers leurs contemporains ; mais il appartient à la France de donner de grands exemples au monde, et de grandes leçons à toutes les nations. Que cette gloire lui soit encore réservée, d’avoir la première devancé les siècles dans la justice qu’elle rend à son Roi, prononcé le jugement de la postérité sur son ministre, et rendu, du vivant de l’un et de l’autre, tous les hommages qui sont dus à la vertu. Je pense, Messieurs, avoir appuyé sur des raisons décisives la nécessité d’admettre sans délai, et comme le seul praticable dans ce moment, le plan provisoire proposé par le premier ministre des finances. Loin de nous le projet de créer pour 600 millions de billets d’Etat; il ferait sortir du royaume tout le numéraire effectif. Cette vérité est tellement évidente, que je ne m’arrêterai pas à lui donner plus de développement. Un inconvénient non moins sensible d’un pareil système est qu’une somme aussi énorme que celle de 600 millions, ajoutée à la masse de l’argent en circulation, ferait monter à un taux extraordinaire le prix des denrées et de toutes les marchandises; qu’elle dessécherait toutes les sources de la prospérité de l’empire, après avoir ruiné son commerce. Nous avons juré que nous ne prononcerions jamais le nom infâme de banqueroute. La création de 600 millions de billets d’Etat la rendrait inévitable, ou plutôt cette opération serait la banqueroute elle-même. Et qu’on ne dise pas que les 170 millions réalisés en billets de la Caisse d’escompte seraient des billets d’Etat. D’après le plan proposé par le ministre des finances, iis pourront toujours être réalisés en argent; les fonds qu’ils représentent en garantissent et au delà le payement. Enfin, Messieurs, je ne dis plus qu’un mot, et ce mot est décisif; c’est qu’il faut céder à la nécessité. La nécessité! connaissez-vous une plus grande puissance? Nos besoins sont urgents, les circonstances sont impérieuses, le temps nous presse. Une ressource extraordinaire de 170 millions est absolument nécessaire. Le plan du ministre qui vous la procure est imparfait, soit : il vous l’a dit lui-même; mais vous en a-t-on offert un meilleur? Qu’importe qu’il soit imparfait, pourvu qu’il sauve l’Etat de la crise dans laquelle il se trouve; et il le sauvera, s’il pré- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. vient de nouveaux troubles, s’il vous donne du temps pour achever la constitution; par elle vous détruirez ou vous perfectionnerez ce qui lui serait contraire ou ne lui serait pas assez utile. Songez que nos ennemis veillent; et que le plus grand de tous, peut-être, est la constante sécurité que vous inspire le bonheur inouï qui a secondé la naissance de votre liberté. le proposerais donc : premièrement, que l’Assemblée nationale accordât la priorité au plan proposé par le premier ministre des linances ; Secondement, que la discussion fût fermée pour tout autre pian, jusqu’à ce que l’Assemblée eût décidé qu’elle accepte ou qu’elle refuse celui de M. Necker ; Et troisièmement enfin, que la délibération fût suivie sans interruption, et malgré l’ordre du jour. M. de Laborde de üléréville (1). Messieurs, je ne prendrais pas la parole si je n’étais fermement persuadé qu’il existe , pour remplir les besoins de la nation, plusieurs moyens qui n’ont pas les inconvénients que vous avez sentis dans le projet de M. le ministre des finances. Il vous propose de créer un papier dont la circulation sera forcée, et qui ne sera pas conversi-ble en argent à volonté. Je n’entrerai point ici, Messieurs, dans l’énumération des effets inévitables du papier-monnaie. Vous les connaissez tous, et vous commencez à en avoir l’expérience , puisque la disparition absolue du numéraire et l’avilissement du ciiange de Paris dans l’étranger résulte en grande partie de la nouvelle monnaie que les arrêts du conseil ont établie dans cette ville. La preuve en est simple : celui qui a une somme en argent, et qui ne veut pas dénaturer cet argent, ne peut le placer d’aucune manière qui lui laisse l’espérance de le revoir. S'il achète des effets, lorsqu’il aura besoin d’argent et qu’il voudra les vendre, on ne lui rendra que des billets de caisse. S’il prend des lettres de change à l’escompte pour ne pas perdre d’intérêts, il est payé en billets de caisse. Que fait-il ? il garde son argent, et peu à peu, de cette manière, le numéraire se retire et ne reparaît plus. l’ai dit que les effets du papier-monnaie sont inévitables : car, Messieurs, lorsque la nature a établi certains rapports entre les choses, et que les conventions humaines ont reconnu et fortifié l'existence de ces rapports par un assentiment universel, il n’appartient plus aux hommes en général, et bien moins encore à ceux d’un seul pays, d’essayer de les détruire, même pour un court espace de temps. Mais dans cette entreprise hardie, le plus grand obstacle, vous le trouveriez dans le cœur même de l’homme ; vous le trouveriez dans ces opinions irréfléchies, créées par l’habitude, et sur lesquelles le raisonnement, et même le patriotisme, ont si peu d’empire. La rigueur de vos lois et de vos décrets agirait vainement sur ces ressorts cachés qui maîtrisent le cœur humain : l’inquiétude et la méfiance qui président aux calculs de l’intérêt personnel vous obligeraient donc à d’immenses sacrifices, qui diminueraient encore cette ressource idéale qu’on vous propose. M. Necker a si bien senti cette vérité, qu’il (1) Le Moniteur ne dorme qu’une analyse du discours de M. de Laborde de Méréville. [5 décembre 1789.] 397 vous a demandé d’avance d’offrir au public, par des tirages de primes, le montant delà différence qui s’établirait entre le papier-monnaie et les espèces. Vous ne pouvez pas douter, Messieurs, qu’il y ait un individu, une classe de citoyens, un seul de vos commettants, qui ne soit destiné à souffrir plus ou moins dans ce renversement général de l'ordre habituel, si ce n’est par ses relations sociales , au moins par la surcharge de l’augmentation nécessaire des impositions. Mais encore, Messieurs, si dans une banqueroute partielle la nation trouvait à alléger le fardeau de ses engagements, si les pertes individuelles pouvaient tourner à son profit, on chercherait à appeler quelques idées de consolation, pour s’étourdir dans l’oubli des principes. Mais comme il est nécessaire, en faisant du papier-monnaie, d’en promettre le remboursement plus ou moins éloigné, on ne peut éviter de finir un jour par l’acquitter en espèces ; et il en résuie que c’est à la fois l’impôt le plus onéreux, l’emprunt le plus cher, et la banqueroute la plus inutile. Vous avec décrété, Messieurs, que vous ne feriez point de réduction sur l’intérêt de la dette publique ; mais si une disposition contraire pouvait seule vous exempter d’une circulation forcée d’un papier quelconque, vous devriez sans doute l’adopter de préférence, puisqu’au moins la perte qu’essuieraient les créanciers de l’Etat diminuerait d’autant les engagements de la nation. On vous dira peut-être qu’en adoptant le projet du premier ministre, vous ne feriez pas de papier-monnaie , et cependant il l’avoue lui-même dans deux endroits de sou discours. On tombe dans une grande erreur en confondant ce papier avec celui que les banques mettent dans la circu la-lion, mais il est très-vrai de dire qu’ils n’ont pas la moindre ressemblance. Le papier-monnaie circule forcément et n’est pas conversible en argent ; il est de recette obligée pour tous les citoyens, par une loi du souverain. L’essence des billets de banque est, au contraire, de circuler librement, d’être sans cesse réalisables en argent, et de ne pouvoir être reçus que de gré à gré. Lorsque la loi détruit ces deux qualités essentielles des billets de banque ou de confiance, ils prennent à l’instant le caractère du papier-monnaie. Ceci vous paraîtra plus sensible si vous me permettez d’entrer dans quelques détails très-courts sur ces établissements, qui ont été dénaturés par quelques opinants. Une banque de secours est une association d’individus qui se réunissent pour prêter à d’autres. A cet effet, ils forment d’abord, par portions égales, un capital destiné à y être employé. La somme que chacun d’eux a déposée est représentée dans sa main par un récépissé qui s’appelle une action. Lorsqu’un actionnaire veut sortir de l’association , et se désintéresser des opérations de la banque, il n’est pas en droit de retirer les fonds qu’il a mis dans la caisse, ce qui ferait dépendre l’activité de l’établissement du caprice des actionnaires ; mais il vend son action, qui, à cet effet, ne porte point le nom du propriétaire, et est censée appartenir au porteur. Les actionnaires se servent ensuite de divers moyens pour augmenter les secours que leur association les met dans le cas de répandre dans le public. 398 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 décembre 1789.J Parmi ces moyens, il en existe deux principaux : Le premier est celui de donner en payement de leurs prêts, des billets payables à vue, ou de créditer les emprunteurs, de la somme qui leur est prêtée, avec faculté d’en disposer à volonté, ce’qui revient au même); Le second est de se rendre caissier du public, en recevant son argent contre de pareils billets, ou des crédits en banque. En donnant en payement leurs billets payables à vue, beaucoup plus commodes que les espèces, il en résulte naturellement que la banque commence par rester dépositaire des espèces, et que par conséquent elle a, pour ainsi dire, placé son capital sans qu’il soit sorti de ses coffres. Il est vrai qu’elle a contracté aussi l’obligation de rendre le numéraire à ses créanciers au moment même on Userait réclamé, et on en concluerait, au premier aspect, que les opérations de la banque ne devraient pas excéder la valeur de son capital. 11 n’y a pas de doute effectivement que cela dût être si le public lui-même, par sa conliance dans la probité des actionnaires, ne lui fournissait pas de plus grands moyens. Mais bientôt il trouve, après une très -courte expérience, que ces billets sont pour lui aussi bons que l’espèce, puisqu’à tout instant il peut les échanger à la banque contre de l’argent. Il trouve ensuite qu’il sont préférables, surtout pour les usages du commerce, parce qu’ils tiennent moins de place, sont d’un transport plus aisé, et mettent beaucoup de facilité et de rapidité dans les spéculations et les échanges. Dès lors il ne va plus à la banque reprendre les espèces réelles ; ces billets en acquièrent la valeur et en font l’office dans la circulation. Dès lors la banque, dont les billets jouissent d’un crédit égal à celui du numéraire , et qui s’aperçoit de cette extension de son crédit par la quantité de ses billets qui restent dans la circulation, commence à entrer en jouissance du premier moyen que j’ai indiqué. Par une suite du crédit des billets de la banque et de leur commodité, il arrive que beaucoup de particuliers trouvent avantageux d’y porter leurs espèces, et de prendre en échange des billets, ou, ce qui revient au même, de s’y faire ouvrir des comptes courants, où ils sont crédités, et par là le second moyen que j’ai indiqué augmente les ressources de la banque. Car, s’apercevant, comme je viens de le dire, de la confiance qui lui est accordée, elle n’est plus obligée de borner la somme de ses billets dans le public à la somme précise de numéraire qu’elle a dans ses coffres ; elle évalue, par une observation journalière, la mesure de cette confiance sur la quantité de demandes qui lui sont faites. Elle estime le rapport qui s’établit entre son numéraire et la somme de ses billets circulants, et elle augmente graduellement leur émission en raison de ces différences, afin de mettre à profit, par de nouveaux placements, une partie dns fonds dont son crédit lui donne la jouissance. Mais, pour le faire sans rien compromettre, elle doit employer ses fonds de manière à pouvoir y rentrer le plus tôt possible ; le cas arrivant qu’elle fût obligée de les représenter à leurs véritables propriétaires, elle doit diriger ses placements de telle sorte qu’ils soient à la fois solides, de courte durée, et d’une rentrée certaine ; elle doit éviter de leur donner trop d’étendue, et conserver toujours une somme plus que suffisante pour parer à une augmentation toujours possible et toujours à craindre dans les demandes de remboursement de se3 billets; elle doit enfin, comme je l’ai dit, être guidée par l’observation constante de la mesure du crédit qui lui est accordé, et qui, sans doule, peut éprouver des vacillations par mille causes différentes. Voilà pourquoi l’escompte des meilleures lettres de change aux plus courts termes possible a toujours été recherché de préférence, par toutes les banques de secours, pour l’emploi de leurs fonds. Vous sentirez facilement, Messieurs, que cette marche suivie avec la circonspection et la prudence convenables ne met la banque dans aucune espèce de danger, et que son existence n’est nullement précaire lorsqu’elle ne s’en écarte pas. Son secret consiste à placer l’excédant de ses billets de manière à pouvoir faire ses rentrées dans l’espace de temps physiquement, nécessaire pour acquitter tous ses billets, si on venait à en exiger le payement jusqu’au dernier. Il faut donc commencer par estimer la somme que la banque paye en un jour, lorsqu’il y a une demande non interrompue de ses billets, et combiner les rentrées de manière à n’être jamais forcé, par disette de numéraire, à en suspendre les remboursements. On peut donc dire avec vérité que, bien loin qu’un calcul algébrique aitjamais pu déterminer la proportion des billets en circulation avec le numéraire en caisse, la pratique même des banques démontre invinciblement que cette proportion dépend : 1° De la mesure du crédit accordé par le public à la banque; 2° De la quantité d’argent qu’elle peut physiquement payer en un jour ; 3° Des moyens qu’elle trouve à sa portée pour faire valoir l’excédant de ses billets par delà les fonds ; 4° Enfin, du rapport qui se trouve entre son fonds d’espèces, et les échéances des effets de son portefeuille. Cette proportion variera donc journellement, puisque les deux plus importantes de ces quatre données sont soumises à des changements continuels ; et on sera obligé de revenir au seul guide qui n’égarera jamais, l’observation constante des circonstances,’ la prévoyance et la prudence des directeurs. Ainsi, Messieurs, et je vous supplie d’y faire attention, on se trompe gravement lorsqu’on vous dit que le tiers ou le quart en argent suffit pour conserver une banque dans ses opérations. Souvent le tiers ne serait pas assez , et d’autres fois le sixième laisserait encore du superflu. On se trompe encore quand on se persuade que la confiance du public dans les billets de banque vient de la croyance que le montant de tous les billets circulants existe à la banque en espèces, ou que la banque en possède la valeur en effets solides. La base de cette confiance est la persuasion que les fonds de la banque sont tellement employés et disposés, qu’elle pourra toujours les réaliser de manière à faire face aux demandes qui lui seraient faites. S’il suffisaft en effet, pour accréditer des billets de banque, de la certitude que leur valeur entière se trouve déposée à la banque et iqu’il n’y aura rien à perdre pour les porteurs de billets, à la liquidation, on en pourrait conclure que [5 décembre 1789.] 399 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. l’argent des billets a été prêté par les porteurs à la banque, ce qui est absolument faux : il lui a seulement été confié sous la promesse d’être restitué sans délai, sur la demande des porteurs. Ce qui prouve cette vérité, c’est l’article 18 des statuts de la Caisse d’escompte, qui s’exprime ainsi : « Ladite Caisse d’escompte sera réputée et censée être la caisse personnelle et domestique de chaque particulier qui y tiendra son argent, et elle sera comptable envers lesdits particuliers, de la même manière que le seraient leurs caissiers* domestiques. » Il est donc clair, Messieurs, que puisque le crédit d’une banque consiste à ne jamais cesser ses payements, elle doit tout y sacrifier, considérations particulières, dépenses, faux frais, opérations forcées. Elle doit enfin payer jusqu’à sa liquidation entière, plutôt que de se soustraire, par quelque moyen que ce soit, à ce devoir impérieux de l’honneur et de la justice. Et c’est une grande erreur de croire une banque ruinée ou détruite quand elle s’est liquidée par la restitution des fonds à ses créanciers. A moins qu’il n’existe un vice inhérent à sa constitution, jamais la confiance ne sera moins éloignée d’elle qu’au moment où elle aura achevé de se liquider : cet événement, loin de lui avoir fait aucun tort, ne sera peut-être que le fondement d’un nouveau crédit, supérieur à celui dont elle aura pu jouir auparavant. Tous ses anciens créanciers, après cette épreuve, s’empresseront de le devenir encore, et il lui accorderont une nouvelle confiance proportionnée à sa fidélité, à sa probité et à la pureté des principes qu’elle aura manifestés. Pour sentir combien cela est exact, il suffit de comparer la banque à un particulier, et d’examiner si pour faire avec quelques succès des entreprises financières ou commerciales, il est possible de se conduire autrement. Car, Messieurs, le crédit est un pour tout le monde, pour les sociétés comme pour les individus; il ne peut faire acception de personnes, ni de lieux : ponctualité rigoureuse à remplir ses engagements, voilà son essence; modération et sagesse dans les opérations, pour que cette exactitude ne soit jamais interrompue, voilà sa théorie. Il n’est au pouvoir d’aucun individu, d’aucune société, d’aucune nation, de déroger à ces principes, sans renoncer pour jamais à toute espèce de confiance et de considération. Mais, Messieurs, si je m’abusais dans les développements que je viens de vous faire, si vous pouviez admettre une morale differente pour les individus et pour les corporations, il faudrait malheureusement en conclure la proscription des banques. Sans doute, je ne balancerai pas à le dire, il serait préférable de renoncer à ces utiles établissements, si on croyait ne pouvoir les soutenir que par la banqueroute et la mauvaise foi. 11 faudrait, sans hésiter, les proscrire d’un pays où les ministres, les législateurs auraient la faiblesse de sacrifier le crédit et les richesses nationales à la conservaiion momentanée d’une banque, par la transformation de ses billets en papier-monnaie. On voit clairement dans cet exposé, dont je crois les principes difficiles à attaquer, que les banques ne sont pas des associations qui font semblant de payer, pendant qu’elles ne payent pas, Celte idée peut être applicable au papier-monnaie, mais elle ne le sera jamais aux banques. En général, je ne sais pas ce qu’on entend par faire semblant de payer. 11 me semble qu’on paye ou qu’on ne paye pas. Si on ne paye pas ce qu’on a promis de payer, on fait faillite; mais si on ajoute à cette infidélité celle de faire valoir à son profit l’argent de ses créanciers, on fait une faillite beaucoup plus répréhensible. Si cela n’est pas exact, il faut renoncer à toute espèce de commerce entre les hommes. On a dit que la banque de Londres avait suspendu ses payements (1). Cela est vrai, mais à quelle époque? Pendant la refonte des monnaies, c’est-à-dire, lorsque toutes ses espèces n’étaient plus que des lingots d’or et d’argent, non recevables dans les payements. Et cependant, Messieurs, cette interruption momentanée, et impossible à éviter, fit une telle impression, dans un pays où les principes de la foi publique et particulière étaient déjà bien connus, que les billets de la banque perdirent 20 0/0. Mais que devinrent-ils alors, ces billets? Des effets semblables aux lettres de change, aux billets des simples particuliers. Leur acceptation était volontaire. La banque n’implora point le secours de l’autorité publique pour soutenir le cours de ses billets. Aucun citoyen ne fut forcé par un autre de les accepter. Les tribunaux étaient ouverts pour recevoir les poursuites des créanciers de la Banque vis-à-vis d’elle, ou des citoyens dont les créanciers auraient exigé un pareil sacrifice. Il y a cent ans, Messieurs, que cette époque est écoulée, et nous sommes encore divisés d’opinion sur cette matière. Ne croirait-on pas plutôt que nous l’avons précédée du même espace de temps ? C’est ici, Messieurs, qu’il faut vous faire observer le point de vue sous lequel les malheurs de la Caisse d’escompte ont véritablement troublé l’ordre public, ce qui n’est jamais arrivé à la banque d’Angleterre. Ce n’est point en cessant ses payements, ni en les prolongeant, car il importe peu sans doute à l’ordre public qu’une société, ou, autrement dit, plusieurs individus réunis fassent bien ou mai leurs affaires, qu’ils soient fidèles ou non à leurs engagements ; mais c’est en substituant, par une loi despotique, de nouveaux moyens d’échange aux espèces courantes ; -c’est en forçant tous les citoyens de recevoir ces billets de leurs créanciers, "au lieu d’espèces ; c’est en rompant toutes les conventions commerciales avec les provinces du royaume, et avec l’étranger ; c’est, en un mot, en convertissant des billets de confiance en papier-monnaie. Et c’est une grande injustice de dire que les créanciers d’une banque de secours en faillite ne souffrent pas, parce qu’ils ont dans leurs mains des effets dont ils peuvent se servir comme de i’argent; nous voyous tous les jours le contraire. Un particulier qui a pour 100,000 francs de billets de la Caisse d’escompte, s’il a besoin de faire passer cette somme à Bordeaux, ne pouvant pas la réaliser en espèces, est obligé, de prendre du papier et de perdre, sur cette opération, la différence du change entre ces deux places, différence qui se monte aujourd'hui à 2 0/0 de perte à vue, par la circulation forcée de ces mêmes billets dans la ville de Paris ; et pendant qu’il essuie cette perte, la circulation annuelle de ces 100,000 francs rapporte 4 0/0 de bénéfice à la Caisse d’escompte : c’est donc 2 0/0 de pris dans ia poche du créancier pour en faire passer 4 dans celle du débiteur. (1) La Banque de Londres paya alors l’intérêt de ses billets qu’elle ne pouvait rembourser. 400 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 décembre n89.] Je n’entre dans ces détails que pour montrer à l’Assemblée combien les arrêts de surséance, pour les établissements publics et particuliers, et la doctrine scandaleuse qui les appuie, sont une violation manifeste des droits des hommes et des principes de justice qu’elle veut maintenir. Mais pourrait-on en conclure que la Caisse d’escompte ne mériterait plus notre intérêt, et qu’après nous avoir fourni les 90 millions nécessaires pour remplir les besoins de cette année, il fût seulement proposable de l’abandonner dans cette triste position? Non sans doute, et je dé' clare, au contraire, que tout projet, toute mesure, qui, en rétablissant la circulation des espèces , n’aurait pas pour objet principal, dans ce moment, de sauver à la fois les actionnaires et les créanciers de la Caisse d’escompte, devrait, par cela seul, être rejeté. Nous croyons devoir aux actionnaires une sorte de reconnaissance ; mais certainement nous en devons beaucoup à leurs créanciers, dont l’argent a été prêté au Trésor public. Car ici, Messieurs, nous avons deux devoirs à remplir : celui de législateurs sévères, obligés de maintenir les droits des hommes, et les principes de la foi publique ; celui d’hommes d’Etat, qui nous prescrit l’observation et la prévoyance des effets de nos lois. Nos décrets ne peuvent jamais être souillés par des maximes contraires à la justice et au bon ordre ; mais ils ne doivent pas non plus, par une précipitation imprudente, suspendre ou déranger les ressorts qui font mouvoir les rouages de la société. M. l’évêque d’Àutun nous a proposé hier de rembourser en annuités les 90 millions que nous devons à la Caisse d’escompte, et cette proposition me paraît inadmissible. J’aime à croire que cet honorable membre n’a pas réfléchi sur les suites funestes de cette opération ; il aurait frémi lui-même de les apercevoir; et il se serait abstenu de vous la présenter. Les billets de la Caisse d’escompte composent une grande partie de la circulation. Elle se monte à plus de 110 millions; elle s’est emparée d’une somme considérable des échanges dont elle conserve l’activité. Imaginez-vous donc, Messieurs, tous ces billets frappés à l’instant de paralysie, et réduits à l’inaction la plus absolue ; toute espèce d’échange et, par conséquent, de commerce suspendu ; tous les payements interrompus, appelant en vain le numéraire, qui, prompt à se cacher, est toujours lent à reparaître, et vous n’aurez qu’une légère idée du désordre qui vous attend au 1er janvier, si vous consentez à ce remboursement. Je ne m’abuse point, vous allez le voir. L’arrêt de surséauce de la Caisse d’escompte finit au 1er janvier; la loi ne mettant plus d’obstacle à l’ouverture de ses payements, elle sera forcée de les reprendre. Vous l’aurez remboursée avec des effets dont elle ne pourra faire aucun usage, de manière qu’en cessant tout à fait ses escomptes, et supposé encore qu’elle fasse heureusement toutes ses rentrées, il lui restera juste 60 millions pour faire face à 120 millions de billets qui ne pourront plus circuler, et qui tomberont sur elle tout à la fois. Je dis qu’elle ne pourra faire aucun usage des effets que vous lui aurez donnés ; car elle se trouvera en concurrence, pour s’en défaire à perte, I avec les 4 ou ! 500 autres milions qui auront I opéré d’autres remboursements, suivant le pro-I jet de M. l’évêque d’Autun ; cette nécessité prévue, d’une vente considérable, les aura déjà avilis : et vous vous trouverez vous-mêmes, Messieurs, avoir fait banqueroute à vos créanciers peut-être de 50 0/0. Mais ce qui vous affligera le plus, Messieurs, c’est dépenser que ceux qui souffriront davantage de cette injustice, seront ces mêmes porteurs de billets noirs dont l’argent vous a été prêté depuis dix-huit mois. M. l’évêque d’Autun s’appuie d’un raisonnement qui n’est pas juste : il prétend que l’avance de 90 millions de la Caisse d’escompte doit être mise au rang des anticipations ; la position n’est pas du tout la même: car, lorsqu’un faiseur de services reçoit des valeurs du Trésor royal, il y verse de l’argent qu’il a emprunté pour un an, et il a toujours de la marge sur les échéances de ses billets ; mais la Caisse d’escompte qui vous remet ses billets noirs en doit la valeur à présentation, de manière que le jour où son arrêt de surséunce finit, toutes ses échéances arrivent à la fois, et l’infidélité que vous auriez commise vis-à-vis d’elle, serait infiniment plus grande. J’ai cru nécessaire, Messieurs, de combattre la partie de la motion de M. l’évêque d’Autun qui concerne le remboursement du à la Caisse d’escompte : car si cette idée se propageait, elle pourrait avoir de très-graves conséquences. 11 faut rétablir l’ordre sans doute; mais, autant qu’on peut, en évitant le désordre. Il faut proscrire les arrêts de surséance, sans contredit; et à cet égard, je ne suis pas suspect, mais ce doit être par des mesures douces et sans moyens convulsifs. Essayerons-nous de le faire par l’établissement d’une banque nationale ? Je ne le crois pas convenable, et je pense au contraire qu’une banque vraiment nationale, c’est-à-dire, dont la nation ferait les fonds, dont elle dirigerait les opérations, dont elle serait garante, serait peu utile et que la nation n’en retirerait pas les mêmes avantages que d’une banque de secours, fondée et dirigée par des actionnaires. Proposera-t-on d’établir une banque nationale, dont les fonds seront fournis par des actionnaires? Mais à qui seront les bénéfices? A la nation? vous ne trouverez pas d’actionnaires. Aux actionnaires ? la banque ne sera plus nationale, car je n’imagine pas que la nation se soumette à une garantie gratuite. La banque appartiendra-t-elle à la collection de citoyens qui forment la nation, et qui n’auront rien déboursé? cela ne serait pas juste. Le corps social se rendra-t-il caution d’un petit nombre de ses membres qui feront, pour leur compie, des opérations immenses, sur lesquelles il peut y avoir des pertes? cela n’est pas proposable. Ce petit nombre de citoyens aura-t-il formé un capital pour en abandonner les produitsà la nation, en jouissant seulement de la portion qui leur reviendra individuellement, comme membres du corps social? ils serait évidemment lésés. Mais enfin, supposons la banque nationale établie avec des fonds nationaux ; quel avantage en résulte-t-il pour la nation? aucun. Car puisqu’on ne se prête pas à soi-même, la banque nationale ne pourra jamais secourir la nation dans ses besoins d’argent. L’idée de faire faire, par cette banque, des avances à la nation, soit à titre d’anticipation de revenus, soit à titre de secours, est entièrement illusoire. La nation aurait fait les fonds de la banque, et en lui remettant des assignations sur sas revenus contre I Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 décembre 1789.] 401 ses propres billets, elle ne ferait qu’un échange de papier, sans donner un nouveau gage ; la nation donnerait à la banque des assignations qui ne seraient autre chose qu’une promesse nationale de payer dans un an. La banque lui remettrait des billets qui ne seraient, à leur tour, que la promesse nationale de payer tout de suite. Que représenteraient ces billets? une promesse nationale. Qui aurait fait ces billets? la nation. Qui est-ce qui devrait ces billets? la nation, sous le nom de sa banque. A qui devrait-elle ces billets? à elle-même. Je finirai par une seule observation : c’est que la nation ne pourrait pas même jouir, pour ses besoins, de l’extension que le crédit permet de donner à une émission de billets, sur une somme quelconque de numéraire. Examinez, en effet, comment elle ferait l’emploi des billets de sa banque, et ce qu’ils seront dans la circulation. Sortant des mains de la banque pour entrer dans les coffres du Trésor public, ils ne tardent pas à être donnés à des individus, en échange de services rendus à l’Etat, de travaux faits pour son compte, ou de fournitures en denrées dont il a besoin. Mais bientôt ces services sont passés, ces travaux sont achevés, ces fournitures sont consommées, et la nation reste débitrice des billets à ceux qui les ont acquis. Ces billets ne représentent. donc rien dans la circulation qui doive y arriver prochainement, rien même dont ils aient pris la place, et qu’on puisse regarder comme des valeurs. L’opération de la banque d’actionnaires est ap-solument différente : lorsqu’elle met une somme de billets supérieure à son numéraire, ce n’est point pour acquitter ses propres dépenses, ni celles des actionnaires c'est seulement pour faire des avances à de solides maisons de commerce, contre leurs engagements de les rembourser à très-courts termes ; car l’escompte des lettres de change n’est pas autre chose. Les engagements restent déposés à la banque, pour servir dégagés aux billets qui ont pour hypothèque la totalité des propriétés réelles des maisons de commerce qui ont signé ces lettres de change. Ces lettres représentent des propriétés, des valeurs réelles. Il n’y a pas de représentation supposée et idéale, de double emploi dans la représentation. Enfin les fonds avancés par la banque lui rentrent successivement aux échéances ; et il ne faut que de la prudence pour la mettre à portée de soutenir le payement journalier de ses billets. De manière qu’en dernière analyse, la banque d’actionnaires, en mettant dehors ses billets, peut être considérée prêteur sur gages, et la banque nationale débitrice à découvert. Cette analyse suffit pour détromper les partisans d’une banque purement nationale, et je regarde comme superflu d’entrer dans l’énumération de tous les embarras, de toutes les contrariétés, de tous les dangers qu’on trouverait dans le détail de son administraiion. La nomiuation des administrateurs, la surveillance de leur conduite, leur responsabilité, leur choix, leur influence sur les individus, sur la prospérité de la banque, sur le crédit attaché à leur existence personnelle; leur dictature forcée dans l’intervalle des législatures, dans des temps de discrédit momentané, etc., etc., toutes ces questions sont d’une grande importance dans le pareils établissements. C’est donc, Messieurs, sur les principes, c’est sur la théorie que j’ai développée d’abord, que je lre Série, T. X. désirerais voir s’établir aujourd’hui sous vos aus“ pices une nouvelle banque, à peu près semblable à celle d’Angleterre, pour remplacer l’établissement de la Caisse d’escompte, dont la restauration me paraît impossible. Si vous ne connaissiez pas les services prodigieux que ces établissements en général ont rendus à tous les pays qui les ont protégés, il serait facile de vous le faire sentir. Pour prétendre en effet que les banques n’ont pas été utiles dans les pays où elles sont établies, il faudrait pouvoir avancer, avec certitude, qu’il existe un royaume où les particuliers ne trouvent point à placer leur argent à un intérêt quelconque ; et si un tel pays n’existe pas, certainement une banque sera avantageuse partout , puisqu’elle pourra donner de plus grands secours, à bien meilleur marché ; puisqu’en même temps les particuliers prêteurs, en se réunissant dans une banque, augmenteront leurs bénéfices. Mais ou tre le bienfait inappréciable de la baisse de l’intérêt de l’argent, les banques rendent à l’Etat celui de faire valoir au profit de l’industrie en tout genre la portion du numéraire qui par sa circulation ne produit rien, et de douner à l’Etat, par ses opérations, des bénéfices qui ne seraient pas faits sans elle. Vous le concevrez très-aisément, si vous voulez remarquer qu’il n’est personne qui ne conserve dans sa poche, ou dans son coffre une petite somme d’argent nécessaire à ses besoins journaliers : cet argent peut, en quelque sorte, être considéré comme mort pour l’industrie active ; mais si une grande partie de cet argent divisé se réunit à la banque, et qu’il soit remplacé dans les poches ou dans les coffres particuliers par des billets, la circulation d’échange reste la même; l’argent déposé à la banque est prêté par elle à bas prix, il tourne à l’activité du commerce, au perfectionnement de l’agriculture, et à l’extension des manufactures. Je ne porterai cependant, Messieurs, les avantages de cette circulation que jusqu’au moment où les terres d’un pays auraient acquis ie plus haut degré de culture, car je ne veux pas préjuger la question de l’utilité du commerce extérieur à cette époque. Ces ventés sont palpables, et confirmées par l’expérience, On dit que le commerce de Glascow a doublé dans l’espace de quinze années, depuis la première érection des banques dans cette ville, et que le commerce d’Ecosse a plus que quadruplé depuis l’établissement à Edimbourg de deux caisses publiques. Cet accroissement rapide est attribué en grande partie à leurs secours. De quel avantage une banque considérable ne serait-elle donc pas pour la France, dans ce moment, où toutes les brandies de l’industrie agricole, commerciale et manufacturière ont besoin d’encouragement, dans ce moment où la circulation des espèces, pour ainsi dire anéantie, demande à être rétablie sans délai ; dans ce moment où le crédit convalescent nécessite de grands moyens ! Et si l’adoption de ce projet donnait les facilités nécessaires pour trouver les 90 millions dont vous avez besoin pour finir cette année ; s’il donnait l’espoir de soulager les dépenses de l’année prochaine, d’un objet assez considérable, ne trouveriez-vous pas juste d’encourager cette entreprise par quelques concessions qui ne seraient cependant pour vous que de véritables économies? Je dois vous prévenir, Messieurs, que les actionnaires de la nouvelle banque déposaient entre vos mains la somme de 150 millions pour gage de leur responsabilité, et je vais commencer par m [Assemblée natioaale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 décembre 1789.] vous demander pour elle deux dispositions qui peuvent contribuer à son succès, et où la nation trouvera elle-même de grands avantages. La première est la fabrication des espèces et l’usage des hôtels des monnaies, saris lesquels une banque ne peut convertir en numéraire les métaux qu’elle se procure des pays étrangers. Il n’y aurait p. ut-être rien à changer auxVèglements déjà ren ms à ce sujet. La banque serait mise au lieu et place du Roi, dans tous les hôtels de monnaies du royaume, et on lui abandonnerait les droits de seigneuriage sur les fabrications, pour soutenir la valeur du numéraire. C’est un très-petit revenu que la nation peut bien sacrifier à l’utilité qu’elle retirera d’un pareil établissement, et il sera d’une grande importance pour la banque. La seconde, et la plus importance, sans doute, serait d’accepter la banque pour caissier delà nation, en y faisant verser les revenus nécessaires pour acquitter la portion des dépenses nationales qui, par sa nature, ne peut pas l’être dans les provinces. Cet arrangement vous donnera la faculté : 1° de supprimer au 1er janvier toutes les caisses publiques, et de n’en conserver qu’une dans chacun des nouveaux départements, sous la direction des assemblées administratives ; 2° De détruire, à commencer de la même époque, l’ancienne comptabilité, si obscure et si inutile, en la remplaçant par une nouvelle, qui serait simple, claire et connue de tout le monde ; 3° De supprimer, par la suite, toutes les chambres des comptes, en donnant aux administrations provinciales la surveillance de ceux de leurs trésoriers, et en soumettant la comptabilité de la banque à la législature ; 4° D’établir la responsabilité du ministre des ünances de la manière la plus positive, en soumettant la banque à la distribution annuelle des dépenses, qui serait faite par la législature, en la déierminant de manière à ce que le ministre des finances ne pût jamais l’enfreindre sans la participation de la banque, et en s’assurant de la fidélité de la banque, par la suppression immédiate de ses fonctions, si elle y manquait; 5°. Enfin, de faire acquitter dans chaque département, par son trésoiier, non-seulement les dépenses locales, mais encore celle que les circonstances pourront y amener suivant leur nature: par exemple, celle des régiments, des fournitures faites pour la marine ou la guerre, des offices de judicature, etc., etc. de manière qu’en faisant garnir, par une correspondance journalière, chaque caisse, suivant les besoins, parcelles qui l’avoisinent, les dépenses seules qui l’exigent par leur nature seront acquittées à Paris et par la banque. Il n’est personne de vous, Messieurs, qui n’ait souvent réfléchi sur tous les vices de l’ancien régime de la fiscalité. Celui que je propose de détruire est un des plus révoltant par les abus multipliés qu’il a fait naître ; et ils subsisteront si vous ne saisissez le moyen efficace que je vous propose. L’usage de faire acquitter dans lacapitale presque la totalité des dépenses de l’Etat, y attire à grands frais tout le numéraire des provinces, qui ne peut y refluer qu’avec peine ; il est arrêté dans la division des canaux qu’il est obligé de parcourir; il est diminué par les bénéfices qui restent dans les mains par où il passe. 11 est perdu pour la circulation ordinaire, en formant une circulation inutile; il alimente des caisses, au lieu de vivifier l’agriculture et le commerce. La comptabilité actuelle vous offre des réformes | aussi importantes, ou plutôt il est nécessaire d’en établir une enfin qui s’accorde avec les principes sevères de l’ordre et de l'économie. Vous savez tous, Messieurs, que les comptes de la plupart des trésoriers sont clans ce moment arriérés de plusieurs années ; quelques-uns Je sont de huit ou dix ; ceux du Trésor royal, lorsque j’en ai été chargé, l’étaient de quinze ; en moins de trois ans je les ai rapprochés de douze, mais j’ai eu beaucoup de peine à y parvenir, et la corespondance de mes comptes avec ceux des trésoriers des autres caisses m’a souvent occasionné beaucoup de difficultés. Vous ne laisserez sûrement pas subsister cet abus;vousallez former de nouveauxdépartements; vous établir une caisse dans chacun deux, et vous les mettrez en correspondance avec la caisse générale et centrale, qui ne recevra réellement, que ia portion nécessaire des revenus du royaume. Vous voudrez connaître, à tous les instants de l’année l’état dos finances, le montant des recettes et celui des dépenses acquittées. Vous voudrez savoir exactement ce qui a été reçu et dépensé dans chaque année. Vous voudrez assurer l’execution de vos décrets sur chaque partie des dépenses que vous consentirez à faire, et vous chercherez une comptabilité qui remplisse toutes ces vues. La banque pourra vous l’offrir de la manière la plus satisfaisante, et vous y trouverez une grande économie. Car si les administrations provinciales se chargent de l’inspection de leurs receveurs et trésoriers ; si ces trésoriers remettent à la banque comme comptant, avec leurs pièces justificatives, les ordonnances qu’ils auront acquittées, il ne restera plus à faire vérifier pour la nation, que les comptes ci-devant appelés du Trésor royal . Les comptes de la banque seront de la plus grande simplicité, et les personnes qui connaissent la manière de tenir les livres de banque, le sentiront aisément. Ils contiendront, d’une part, la totalité des revenus, d’après les remises faites par les trésoriers de provinces à la banque, soit réellement, soit Activement, depuis le 1er janvier jusqu’au 31 décembre; de l’autre, la totalité des dépenses acquittées par la banque ou les trésoriers dans les mômes époques. Un seul bureau des comptes serait établi à Paris, pour l’apurement du compte général de l’Etat; et les livres de la banque présenteraient à chaque instant aux ministres et à la législature le bilan de la nation, et l’état de situation de toutes les parties. Vous commenceriez, le 1er janvier, un nouveau régime fondé sur les principes économiques, sur une administration éclairée, connue de tous les citoyens. Vous n’auriez qu’un caissier général, et ce caissier serait la banque qui aurait déposé dans vos mains un cautionnement de 150 millions. Vous auriez intéressé à la fidélité de sa gestion tous les actionnaires de cette banque, dont les bénéfices dépendront de ia confiance que vous leur auriez donnée. Votre comité des finances vous a proposé de diviser vos revenus en deux caisses. Cette disposition a pour objet d’ôter aux ministres la faculté de toucher à la partie des revenus qui est destinée aux créanciers de l’Etat. Mais vous verrez, Messieurs, qu’elle ne sera dans les mains de la banque, qu’à titre de dépôt, et je ne doute pas que lescréanciersdel’Etat ne préfèrentcet arrangement qui leur donne l’espoir, d’ici à peu de temps, d’étre payés à bureau ouvert tous les six mois, comme en Angleterre. Vous pourrez d’ailleurs confier la direction de cette partie à une administration parti- [Assemblée nationale. | ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 décembre 1189. j culière, et laisser seulement au ministredes finances celle des autres. H ne s’agit ici que de la caisse et nullement des bureaux, ni des ordonnateurs. Je vous observerai cependant que le système des deux caisses est un peu prématuré, attendu les incertitudes, les retards qu’éprouvent encore les recouvrements. Il pourrait arriver que les époques des recouvrements d’une caisse ne s’accordassent pas avec celles des payements qu’elle aurait à faire, et vous sentez qu’elles seraient dans l’impossibilité de s’aider mutuellement. Laisserait-on manquer la solde des troupes pendant que la cuisse nationale aurait des fonds libres? ferait-on attendre les créanciers de l’Etat, avec des moyens superflus dans la caisse royale? Vous craindriez peut-être, Messieurs, d’ordonner que les fonds nationaux fussent versés dans une caisse qui serait dirigée par des actionnaires, maispermettez-moi de vous observer, au contraire, que vous ne pourrez jamais établir de caisse, dont la responsabilité approche de celle de la banque, et que surtout la division actuelle des deniers dans un nombre considérable de caisses ne peut lui être comparée. L’administrateur du Trésor royal, par les mains de qui passent tous les revenus de l’Etat, n’a donné que 1 ,200 ,000 livres de cautionnement, et celui de la banque serait de 150 millions. Cette fonction est l’emplie par un seul individu, dont la conduite n’intéresse souvent que lui seul ; elle le serait par les administrateurs de la banque, dont les démarches auraient pour surveillants le corps entier des actionnaires. Vous savez, Messieurs, que la banque d’Angleterre reçoit, depuis très-longtemps, plus des deux tiers des revenus de l’Etat. Il n’en est résulté aucun inconvénient, et vous frémiriez si on vous menait sous les yeux la masse des pertes que l'infidélité des comptables particul ers a occasionnées à la France. Mais ce qui vous garantirait encore plus la fidélité de la banque, ce serait la crainte qu’elle aurait de trouver le terme de son existence, dans la perte de votre confiance, si elle manquait à vos decrets. Vous pourriez d’ailleurs, Messieurs, donner à la banque un comité de surveillance, qui la maintiendrait dans l’observance rigoureuse des statuts que vous auriez sanctionnés. Et je vous prierai encore de remarquer que la recette des revenus étant divisée à peu près sur tous les mois de l’année, et la dépense marchant souvent aussi vite que la recette, la quantité de fonds qui se trouverait à la banque, pour l’acquit des dépenses des departements, serait toujours dans une très-petite proportion avec son cautionnement. Mais le rapport sous lequel cette disposition vous intéresse essentiellement , c’est celui de l’économie ; car quelle que fût la commission que vous jugeriez à prupos d’accorder à la banque, elle ne serait jamais la dixième partie de ce que vous coûte aujourd’hui la chambre des comptes, | les payeurs de rentes, et la quantité innombrable de caisses dont le royaume est couvert. Je passe à la responsabilité du ministre des finances. Vous savez sans doute qu’elle n’existe plus en France depuis un siècle. Le successeur de M. Fouquet, effrayé de l’exemple de son prédécesseur, eut l’adresse de refuser le titre de sur-intendant des finances, se contenta de celui de contrôleur général,' et la charge fut supprimée. Le surintendant avait la disposition absolue des revenus publics et de tous les agents du fisc; il signait les ordonnances sur le Trésor royal, et ré-4U3 pondait personnellement de l’emploi des fonds. Lors de la suppression de l’office* le Roi s’en chargea, et le contrôleur général se réserva seulement d’appliquer les recettes aux dépenses, de faire les distributions de fonds, et de diriger les opérations financières. Par cet arrangement, le contrôleur général, en prenant la signature du Roi, s’est trouvé déchargé de toute responsabilité directe. Pour rétablir d’une manière satisfaisante celte responsabilité, il conviendrait, je pense, de l’assurer par celle de la banque. La législature rendrait tous les ans un décret qui fixerait d’une manière invariable l’état des dépenses de l’année suivante. Elles seraient divisées en autant de parties qu’il y aurait d’objets bien distincts par leur nature, c’est-à-dire en vingt ou trente articles ; et les administrateurs de la banque viendraient eux-mêmes recevoir cette loi, tous les ans, dans l’Assemblée de la législature, où ou leur en ferait la lecture. On ferait ensuite celle du premier article de leur chartre, où il leur serait enjoint de se conformer à cetie loi, sous peine de perdre la recette et la dépense des revenus nationaux. Le ministredes finances viendrait de même recevoir cette loi dans l’Assemblée, après la sanction royale. Chaque ministre signerait les ordonnances de détail de son département, jusqu’à la concurrence de la somme fixée par la législature. La banque connaissant la fixation de chaque partie n’acquitterait les ordonnances que dans cette proportion, et la nation aurait deux cautions pour une de l’observation de son décret. L’excédant des recettes sur les dépenses serait toujours connu, et à la disposition de la législature, excepté cependant les parties arriérées de la dette publique, qui devraient rester entre les mains de la banque, comme un dépôt sacré, à la disposition des créanciers de l’Etat. La correspondance journalière pour l’acquit des dépenses et pour la fourniture des caisses, appartiendrait au ministre des finances, mais la banque cependant en aurait une immédiate avec les trésoriers des provinces, pour l’envoi qui lui serait fait de tous les revenus nationaux non employés sur les lieux, et pour la remise de toutes les ordonnances ministérielles acquittées dans les provinces pour le compte de chaque département; de sorte que, soit en espèces, soit en ordonnances acquittées, soit réellement, soit fictivement, la totalité des revenus nationaux serait perçue par la banque, et la totalité des dépenses acquittée par elle. Les trésoriers provinciaux recevraient les ordonnances qu’ils auraient à payer, et leurs opérations seraient dirigées par un comité des assemblées administratives. Cela n’empêcherait pas qu’ils ne donnassent au ministre des finances, à sa volonté, un compte exact, et tous les renseignements nécessaires. Ils seraient en outre obligés, en faisant leurs remises à la banque, de distinguer les fonds provenant des différentes contributions, et la nature des dépenses qu’ils auraient acquittées. Voici maintenant, Messieurs, les combinaisons sur lesquelles j’ai établi la formation de la banque, et le passage de la Caisse d’escompte dans ce nouvel établissement. 11 n’est pas exactement vrai de dire qu’une somme quelconque de numéraire soit nécessaire pour établir une banque. C’est bien le moyeu que tous les fondateurs se sont donné pour être plus tôt en activité, et pour attirer le public, en lui présentant un gage de solidité. Mais ce n’est pas une donnée indispensable, surtout pour un 404 [5 décembre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. établissement dont la principale fonction est de se rendre caissier de la nation et du public. Si donc la situation des affaires et la circulation du papier-monnaie nous obligent aujourd’hui de renoncer à ce moyen, nous devons en chercher d’autres, et il s’en présente deux non moins efficaces : c’est d’abord de détruire la circulation forcée, par le retrait et l’anéantissement des billets qui y sont employés, ensuite de donner naissance à une circulation, fondée sur la confiance bénévole, et sur les vrais principes du crédit. Plusieurs raisons m’ont déterminé à fixer le capital de la banque à 300 millions, mais la principale est tirée de l’état actuel de la Caisse d’escompte, et de la nécessité de retirer ses billets de la circulation. il faut établir sa position : Passif de lai Caisse d’es-< compte. t Son capital... Billets de la Caisse en circulation .......... Comptes courants .......... . 100,000,000 liv. 1 12,000,000 8,000,000 220,000,000 liv. Prêt fait au lioi Actif de la Caisse d’es-! compte. en 1787, et représenté par une quittance de finance .......... Délégation sur la contribution patriotique ...... Lettres de changes ou dépôts.. . . Espèces en caisse Espèces en fa-ibrication ....... . 70,000,000 liv. 00,000,000 44,000,000 10,000,000 0,000,000 220,000,000 liv. En fixant donc le capital delà nouvelle banque a 300 millions, il conviendrait d’admettre : 1° Les 25,000 actions de la Caisse d’escompte à 4,000 liv.. 100,000,000 liv. 2° Effets royaux qui seront détaillés ci-dessous. . . ........ 100,000,000 3° Argent ou billets de la Caisse d’escompte ............ 100,000,000 300,000,000 liv Cette somme ne doit point effrayer, il n’y a que 100 millions de nouveaux placements. Les actions de la banque seraient au nombre de 75,000 et de 4,000 livres chacune. Les demi-actions de 2,000 livres. Pour lever une action de la banque, il faudrait donner une action de la Caisse d’escompte, ou 2,000 livres en effets désignés, et 2,000 livres en argent ou billets de caisse. Les effets reçus avec somme égale en argent seront ceux-ci : 1° Les anticipations de quelque nature qu’elles soient, billets des fermes, rescriptions, assignations sur les postes, etc., à quelque échéance qu’elles se trouvent ; 2° Les assignations suspendues par l’arrêt du conseil du 16 août 1788 ; 3° Les effets échus en remboursement, et suspendus par le même arrêt, de quelque nature qu’ils soient ; 4° Les reconnaissances de la Caisse d’escompte sur lesquelles a été fait le prêt de 25 millions au mois de mars de cette année; 5° Les coupons d’intérêts des emprunts qui échoient dans les 6 premiers mois de l’année prochaine ; 6° Les effets qui échoient naturellement en remboursement dans les 6 premiers mois de l’année prochaine; 7° Les effets qui sortiront en remboursement, dans les 6 premiers mois de l’année prochaine, dans les tirages qui doivent être faits suivant les édits de création desemprunts; 8° Les quittances d’arrérages des rentes échues au 1er janvier prochain, c’est-à-dire, non-seulement e ux échus dans l’ordre actuel des payements à cetteépoque, mais même la totalitéde l’année 1789, qui est réellement due au 1er janvier. La banque conservera 50 millions de son capital dans ses mains, et elle prêtera à la nation 250 millions, dont 150 millions à 5 0/0, remboursables à l’expiration de la charte, et 100 millions à 5 0/0 remboursables à raison de 8 millions par au, à compter du 1er janvier 1790. La banque remboursera successivement, et par la voie du sort, 25,000 de ses actions pour réduire son capital à 200 millions. Pour cet effet, les actions seront divisées en 75 séries de 1,000 actions chacune, et il sera fait un tirage tous les semestres, à compter du 1er janvier 1791, après la répartition du dividende; de manière qu’au bout de 13 ans 1/2 les 50,000 actions restantes se trouveront seules propriétaires de la banque. Les remboursements s’opéreront au moyen de ceux du capital remboursable, qui se feront aux mêmes époques , c’est-à-dire le 30 juin et le 31 décembre de chaque année. Le dividende de la banque sera fixé à 6 0/0. L’excédant des bénéfices restera en caisse, ou dans la circulation de la banque, et formera un fonds d’accumulation. Lorsque ce fonds sera de 6 0/0 sur le capital de la banque, il en sera prélevé 5, pour être ajouté au capital, c’est-à-dire un’ alors les actions vaudront 4,200 livres, et le dividende sera de 126 livres par semestre. Les souscripteurs pour 40 actions, et au-dessus, auront la faculté de ne réaliser que 1/2 au 1er janvier, 1/4 au 1er février, 1/4 au 1er de mars. Pour donner le temps nécessaire pour opérer la liquidation des engagements de la Caisse d’escompte, et éviter les secousses que pourraient occasionner la cessation immédiate de la circulation de ses billets , il sera ordonné qu’ils continueront d’être reçus comme comptant dans toutes les caisses publiques et particulières de Paris, comme à présent, jusqu’au l*r avril prochain, époque à laquelle tous les billets alors en circulation seront payables à la caisse de la banque. Il est à présumer que les espèces qu’elle a aujourd’hui lui permettront de payer partiellement de la même manière, et alors elle pourra continuer à escompter pour la valeur de ses rentrées, mais seulement du papier qui, sous aucun prétexte, ne passera 90 jours De son côté, la banque retirera de la circulation [Assemblée nationale. | ARCHIVES PARLEMENTAIRES. les billets de la Caisse à mesure qu’elle recevra des espèces eu payement de son capital. La banque commencera le 1er janvier ses opérations. Elle se chargera des deniers des individus et des maisons de commerce qui voudront s’y faire ouvrir des comptes courants. Elle recevra la caisse du Trésor royal (1 ), des fermes, des postes, des domaines, des payeurs de rentes, etc., etc., en un mot , toutes les caisses des deniers . publics à Paris, et celles des trésoriers des pays d’Etats, en attendant l’établissement des trésoriers provinciaux. Elle donnera môme de ses billets contre argent, mais avec beaucoup de réserve ; et pour les premiers mois, la banque ne fera aucun usage, à son profit, des espèces qui lui seront con liées. Le bilan de la Caisse d’escompte sera fait le 1er janvier, et le dividende réparti à ses actionnaires, suivant les statuts; mais à compter de cette époque, les bénéfices appartiendront à ia banque, qui nommera, parmi ses actionnaires, un comité de surveillance pour diriger les opérations de la Caisse jusqu’au 1er avril. Il est clair que ia Caisse d’escompte devra à la banque 200 millions pour valeur de ses actions et des 100 millions de billets qu’elle aura retirés de la circulation. La Caisse lui remettrait en payement, le 1er avril. 1° La quittance de finance du prêt fait au Roi ................ 70,000,000 liv. 2° Les assignations sur la contributions patriotique .......... 90,000,000 3° En lettres de change de son portefeuille. ... ...... . . ...... 40,000,000 200,000,000 liv. Je ne porte ici le portefeuille que pour 40 millions, par ceque la Caisse d’escompte aura retiré, avec son argent, le reste des billets, et qu’elle n’aura renouvelé les escomptes que pour la valeur de cette portion de ces rentrées, qui n’aura pas été nécessaire à l’acquit des billets; mais si, à cette époque, il en restait encore dans le public, la Caisse d’escompte garderait de quoi les payer, ou plutôt elle en remettrait la valeur à la banque, qui se chargerait de les acquitter. Les bénéfices résultant de l’escompte du trimestre seraient aussi remis à la banque; en un mot, tout l’actif lui serait dû. La banque se trouvera donc, à cette époque, avec 300 millions. Savoir : 1° La quittance de finance du prêt de la Caisse d’escompte.. . 70,000,000 liv. 2° Les assignations sur la contribution patriotique ....... 90,000,000 3° Les effets royaux reçus en payement du capital....' ..... 1 00,000,000] 4° En lettres de change ..... 40,000,000 300,000,000 liv. i l) Je ne parle pas ici des bureaux, ni du portefeuille du Trésor royal, qui doit rester entre les mains de l’administrateur ordinaire, dont Us fonctions restent absolument les mêmes, [5 décembre 1789. | 4Qtq Elle remettrait à la nation 250 millions. Savoir : 1° La quittance de finance ... 70,000,000 liv. 2° Les assignations sur la contribution patriotique ........... 90,000,000 3° Sur les effets reçus en payement ............. ' ........ ... 90,000,000 250,000,000 liv. La nation lui donnera en échange un contrat national, portant intérêt à 5 0/0, payable par semestre, et remboursable à l’expiration de la chartre de 150 millions, et 25 contrats à 5 0/0, remboursables de semestre en semestre, à compter du 1er janvier 1791, et de 4 millions chacun. La nation payera à la banque , pendant les 5 premières années , 1 /2 0/0 sur la recette des revenus nationaux, et 1/4 0/0 pendant les 5 premières années suivantes. À cette époque, la banque ne recevra plus aucune rétribution. D’après ces dispositions, et en supposant que d’ici au 1er avril la banque ait réalisé son capital, il est évident que sans compter sur un denier provenant de la circulation de ses billets, elle pourra continuer à escompter pour la valeur de ses rentrées, c’est-à-dire pour 50 millions. Elle n’aura aucune espèce d’engagement qu’elle ne puisse remplir ; il n’existera plus un seul billet de caisse dans le public; la circulation des espèces sera parfaitement rétablie. La banque, faisant ses rentrées en écus et ses escomptes en billets, ne tardera pas à acquérir une somme considérable de numéraire. Il m’est impossible, Messieurs, de mettre sous vos yeux les développements et les observations qui peuvent fixer votre opinion sur ces combinaisons ; je me suis attaché à y réunir tout ce que les circonstances présentes nous font désirer ; j’ai désiré d’y concilier tous les intérêts particuliers avec l’intérêt national ; je me suis attaché à des moyens doux et sans danger. Le nouvel établissement s’élèvera pendant le décroissement de l’autre, et l’aura remplacé sans suspendre aucune opération. Une nouvelle circulation libre commencera à rappeler le numéraire ; il trouvera enfin un dépôt sacré, et la comparaison de cette circulation avec l’autre contribuera beaucoup à diminuer celle qui nous ruine; les changes étrangers en sentiront. l’influence, et les pertes du commerce ne seront pins si fortes. La fixation du jour où il n’existera plus de papier-monnaie fera admettre la distinction des payements avant ou après ce jour ; nos opérations commerciales reprendront leur vigueur, vous serez assurés des besoins de cette année, et vous serez rentrés dans la disposition de la contribution patriotique. Quant au succès, Messieurs, il est infaillible, si vous voulez y concourir; les 4 mois accordés pour remplir le capital de la banque seront plus que suffisants. Avant l’expiration de ce terme, vous aurez rétabli l’ordre et l’équilibre dans les recettes et les dépenses de l’Etat ; il est impossible que ce grand ouvrage ne soit Das bien avancé vers le commencement de mars,* et vous jouirez alors d’un crédit dont vous serez étonnés. Telles sont, Messieurs, les bases générales sur lesquelles vous pouvez commencer dès aujourd’hui le rétablissement des finances. Elles seront 406 [5 décembre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. inébranlables ces bases, parce qu’elles reposent elles-mêmes sur les principes les plus purs du crédit et de la foi publique : elles le seront, parce qu’elles auront pour appui tous les ressorts d’une constitution libre; car, Messieurs, vous ne devez pas être effrayés par l’exemple des malheurs de la Caisse d’escompte ; elle était bonne dans son origine, mais elle n’a pu résister à l'influence d’un gouvernement arbitraire. Les actionnaires de la Caisse d’escompte, qui doivent concourir à cette opération, qui formeront le tiers du capital en y portant leurs actions, y trouveront la conservation de leurs intérêts, et l’accroissement de leurs bénéfices ; ils se reprocheraient sans doute de n’avoir pas épuisé toutes les combinaisons possibles, avant d’adopter des moyens qui prolongeraient notre embarras sans le diminuer. Mais, vous, Messieurs, vous qui avez bravé tous les dangers pour acquérir la liberté, vous laisserez-vous entraîner, par l’embarras d’un moment, à sanctionner précipitamment des mesures qui perdraient votre commerce, et qui terniraient votre gloire aux yeux de toutes les nations voisines, en choisissant un moyen qu’elles ont réprouvé, quel abus ne serait-ce pas faire de notre inexpérience que de nous porter à engager la foi publique pendant dix, vingt ou trente années à un établissement pour un secours passager 1 L’Angleterre, votre ancienne rivale, a soutenu avec courage les secousses les plus fortes ; elle s’est chargée de taxes plutôt que de recourir à cet expédient perfide, dans les circonstances les plus désespérées, où ses campagnes de guerre lui coûtaient, tous les ans, près de 200 millions d’extraordinaire. Elle épuisait ses ressources, et vous en êtes environnés. Peu de personnes parmi vous ont été à portée de diriger leurs études vers ce genre de travail ; mais avec le bon esprit, la sagesse et la droiture qui ont caractérisé toutes vos délibérations, on ne fait point d’importantes erreurs en aucun genre, et si dans le choix de vos moyens il vous arrivait de commettre quelques méprises passagères, vous ne tarderiez pas à les réparer ; et tous ceux qui pensent que le salut de la France est attaché au maintien de la considération que mérite l’Assemblée nationale réuniraient leurs efforts pour vous justifier. Vous n’avez pas dû, jusqu’à présent, vous occuper essentiellement de finances ; environnés d’écueils et de pièges, il ne vous était pas permis de suspendre le travail d’une constitution qui devait sauver le royaume, en ralliant autour d’elle tous les esprits, si quelque événement funeste vous eût séparés. Vous avez dû vous attacher sans relâche à rétablir dans le royaume la paix et la tranquillité que des révolutions trop violentes, causées par vos ennemis, avaient troublées. Aujourd’hui que l’organisation des municipalités va être achevée, aujourd’hui que plusieurs millions de citoyens sont prêts à défendre les principes de la déclaration des droits et de la constitution, vous trouverez sans doute convenable de partager votre temps entre la suite de la constitution et les finances, en commençant par fixer les dépenses de l’année prochaine,” préliminair e indispensable à toute combinaison sur la recette et sur l’arriéré. Vous verrez alors disparaître rapidement l’embarras momentané qui n’est résulté que d’une injuste inquiétude; vous ferez taire toutes ces frayeurs si ridicules, qui pour une obstruction passagère se plaisent, et je ne sais par quels motifs, à présager une ruine totale. J’entends dire de toutes parts que le crédit est perdu, et que nous ne devons pas prendre plus de temps pour décréter du papier-monnaie, qu’on n’en ferait, pour ainsi dire, à le fabriquer. Ah ! méfiez-vous de ces alarmes insidieuses; examinez votre position, appréciez-en les avantages, et vos inquiétudes seront calmées. Mais ce qui doit révolter le plus dans ces temps d’agitation, c’est de voir qu’on affecte, surtout d’attribuer le mal qu’on suppose, à la révolution qui s’est opérée dans notre constitution politique, et qu’on cherche à jeter l’effet inévitable d’une crise violente, sur la conduite que vous avez tenue. L’inquiétude seule des esprits a pu donner quelque consistance à des idées contraires à toutes les notions du bon sens, repoussées par la saine théorie, démenties par l’expédence des nations. Mais cette erreur et cette malveillance ne peuvent pas être de longue durée, et tous les peuples reconnaîiront bientôt que les mêmes opérations qui fixent la consiitution d’un pays, qui éloignent l’arbitraire de son gouvernement, qui fondent l’autorité publique sur l’intérêt de tous, sont aussi celles qui ouvrent dans son sein des sources inépuisables de prospérité, qui dégagent son industrie de toute espèce d’entraves, et qui donnent au crédit les véntableset les seulesbases qu’il puisse avoir. NOTE ESSENTIELLE. J’ai proposé de recevoir seulement, dans le capital de la banque, pour un tiers d’effets désignés (p.404), et de mettre 250 millions entre les mains de la nation; mais si on trouvait cet objet trop considérable, on pourrait ne donner à la nation que les 150 millions qu’elle doit recevoir comme gage de responsabilité de la banque, et alors la banque garderait les 100 millions d’effets royaux pour en faire un dépôt particulier dont les intérêts et autres bénéfices augmenteraient les profits de la banque. Par exemple, on joindrait à la liste des effets désignés (p. 404), tous les emprunts sur le Roi, les contrats de rentes viagères sur les trente têtes de Genève, etc., etc. Cette opération serait très-avantageuse pour la banque, dont le fonds d’accumulation croîtrait alors avec plus de rapidité. On pourrait encore, si on regardait comme indispensable de trouver dans la formation de cet établissement les 170 millions demandés par M. Necker, porter le capital de la banque à 350 ou 100 millions, à proportion des avantages que la nation procurerait à cet établissement, de manière à rendre son dividende de 6 à 7 0/0. Je ne me suis attaché, dans mes combinaisons, qu’à rembourser la Caisse d’escompte des 90 millions qui lui sont dus par la nation, mais le principal objet a été le rétablissement de la circulation des espèces. On peut varier les combinaisons en conservant ces deux points comme le but nécessaire à atteindre. Je n’ai pas pensé d’ailleurs devoir m’occuper des besoins extraordinaires de l’année prochaine avant que l’Assemblée nationale eûl consenti aux dépenses qui doivent y donner lieu. M. «le Cfazalès. Le plan de M. Laborde paraît tellement important, il offre des détails si considérables , qu’il est impossible de l’avoir [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 décembre 178§.) saisi, .le demande qu’il soit imprimé, communiqué au premier ministre, et que l’Assemblée nomme dix commissaires peur l’examiner, et en rendre compte mercredi prochain. M. Target. Il faut décréter en même temps que les commissaires conféreront aussi avec les administrateurs de la Caisse d’escompte, et qu’ils compareront le plan de M. Laborde avec celui de M. Necker. M. le duc d’ Aiguillon demande qu’un projet envoyé par M. l’abbé d’Espagnac au comité des finances entre aussi dans l’examen et dans la comparaison. La motion de M. de Cazalès et l’amendement de M. Target sont décrétés. La seance est levée à trois heures et demie. L’Assemblée se réunit immédiatement dans ses bureaux pour procéder à la nomination d’un président, en remplacement de M. de Boisgelin, archevêque d’Aix, arrivé au terme de ses fonctions, et de trois secrétaires. La séance du soir est indiquée pour six heures. ASSEMBLÉE NATIONALE, PRÉSIDENCE DE M. DE BOISGELIN, ARCHEVÊQUE D’AIX. Séance du samedi 5 décembre 1789, au soir (1). Un de MM. les secrétaires dorme lecture d’une adresse de la ville de Langues qui représente que la réduction du prix du sel a réduit, par contrecoup, des trois quarts le produit des octrois patrimoniaux; que cependant elle est exposée à de grands besoins; que les habitants des campagnes refusent de payer le prix des baux; que le chapitre de Langues fait adjuger la coupe de ses bois, dont le prix se porte à 50,000 écus; que les deux premiers payements doivent échoir à Noël et à Pâques prochain; que la ville demande qu’il lui soit permis de prendre en conséquence sur ces baux 40,000 livres pour pourvoir aux besoins de ses habitants, s’engageant à rendre cette somme dans un an. L’Assemblée ne prononce rien à cet égard. M. Prieur représente alors que plusieurs villes, entre autres celle de Châlons-sur-Marne, s’étaient adressées à M. le garde des sceaux pour obtenir qu’il leur fût permis de faire des emprunts pour pourvoir à la subsistance des habitants; que ces demandes avaient été renvoyées au comité des finances, et il insiste pour que le comité soit tenu d'en faire incessamment rapport à l’Assemblée. M. le Président met la proposition aux voix; il est arrêté que le comité des finances fera son rapport à ce sujet jeudi prochain. Le comité des recherches demande à faire un rapport urgent qui est relatif à la liberté de deux citoyens. M. le marqnis de Oony-d’Arsy objecte que l’Assemblée a mis à son ordre du jour de la séance de ce soir la question de l’approvisionne-407 ment de Saint-Domingue. 11 demande que l’ordre du jour soit maintenu. M. le Président consulte l’Assemblée, qui donne la parole au comité des recherches. M. le marquis de Foucault-Aardinalie, rapporteur. Au mois d'octobre dernier, M. de Sennemont, abbé de Blinières, fut dénoncé au commandant de la garde nationale d’Angoulême, par le comité de Blansac, comme porteur de l ttres suspectes. M. de Bellegarde commandant, le fitar-rêter sur la route d’Angoulême à Paris, et on le trouva chargé de quatorze lettres décachetées, excepté une, adressée par M. le marquis de Baraudin, chefd’escadre, à M. le marquis de Saint-Simon, membre de l’Assemblée nationale. Cette lettre renfermait entre autres expressions de douleur (sur les journées du 5 et du 6 octobre), cette phrase: le cratère du volcan est dans T Assern,- blée; je me réjouis de la fuite du duc d'O ...... ; il ne reste plus à désirer que la chute de Mirabeau. M. de Baraudin est convenu que ces expressions étaient échappées à sa sensibilité ; qu’au surplus, il avait donné des preuves de son patriotisme, eic. Il offrit et il prêta en effet sermeqt de fidelité à la nation au Roj et à la loi. Parmi les papiers saisis sur M. l’abbé de Blinières, il y avait un paquet de lettres écrites par M. le vicomte de Saint-Simon à madame son épouse; et ce paquet, après examen, avait été scellé et déposé à l’hôtel de ville d’Angoulême. Le comité jugea devoir rendre la liberté à M. l’abbé de Blinières, qui se. retira à Àngoulême avec M. le marquis de Baraudin; mais tous deux, craignant de n’être pas en sûreté, ont demandé une sauvegarde à l’Assembiée nationale. Le rapporteur, après son exposé, propose à l’Assemblée un projet d’arrêté. M. le marquis de Saint-Simon. Oui, Messieurs, j’ai écrit à mes frères les événements des 5 et 6 octobre, j’ai versé ma douleur dans le sein de leur amitié, mais peut-on douter de mon amour pour la liberté? J’ai été longtemps à la tête d’un détachement de 3,000 hommes contre lord Cornwaliis qui en avait 20,000 et je crois avoir bien mérité de la patrie en défendant les Américains. Les lettres que j’ai écrites et celles qui m’étaient destinées ne sont point l'ouvrage de mauvais citoyens. Le comité devrait respecter le secret des lettres, comme il est chargé de le faire respecter par tous; cependant j’ai appris que ma lettre avait été décachetée, quoique sous le contre-seing de l’Assemblée nationale; je voudrais que l’Assemblée témoignât aux deux comités de Blanzac et d’Àngoulême son étonnement sur leur conduite; je pourrais demander contre ces deux comités des condamnations plus sévère, cependant j’adopte entièrement l’avis du comité des recherches. M. ilriois «le SSeaumetz. Je suis indigné de la conduite du comité d’Angoulême. Il est affreux de voiries chefs de la cité et les gardiens des lois, remplir les viles fonctions de ministres du despotisme; il faut employer contre ces agents subalternes la maxime de la responsabilité. II n’est pas un seul ami de la liberté qui ose défendre un procédé aussi illégal. A la lecture des pièces j’ai cru que c’était, un registre de l’inquisition ou un livre de la Bastille. Je conclus à ce que le commandant de ia garde nationale et tous ceux qui ont participé à cette violation de la (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.