349 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. . [27 janvier 1790.] tisans, des ministres les commandent ; elles n’ont pour appui que leur innocence et vos décrets. Faut il encore que les gens en place, que les favoris de la fortune soient regardés comme les plus vertueux, comme les plus éclairés des hommes ? Qu’alors on cesse d’écouter mes plaintes ! Les prisonniers du sieur de Bournissac ont pour eux;les corporations de Marseille : ce n’est là, dans l’ancien langage, que cent mille inconnus (1). Ils ont été nommés conseillers de ville par les assemblées de districts : ces suffrages ne prouvent que la confiance du peuple; ce mestpas ainsi que les gens, comme il faut, l’auraient placée. Les anciens échevins et quelques négociants du premier ordre, accusent, dit-on, les prisionniers du sieur de Bournissac : comment ces derniers ne seraient-ils pas condamnés ? Faut-il maintenir dans leur entier, jusqu’au parfait établissement de l’ordre nouveau, les anciens usages du despotisme ? Faut-il que les principes, qu'il était si périlleux de professer il y a dix mois, soient jugés d’après l’ancienne police, qui n’était que le code du crime ? Qu’alors on cesse de m’écouter et que le prévôt de Marseille fasse dresser ses échafauds !.... Tous les accusés sont coupables : ils ont parlé sans respect des Lamoignon, desBarentin, des Villedeuil,des Lambesc : ils ont manifesté des craintes pour l’Assemblée nationale lorsque des troupes l’environnaient, lorsque Paris éprouvait les premières convulsions de la liberté naissante ; ils ont osé parler de liberté, ils ont bravé l’autorité arbitraire et ses barbares suppôts : ils sont coupables ! Enfin, Messieurs, faut-il que les mémoires que nous avons reçus des prisonniers du sieur de Bournissac soient leurs dernières paroles, leur testament de mort ? Faut-il que la révolution, quoique préparée au foyer des lumières et des besoins, ne puisse être consommée sans que des milliers de martyrs périssent pour elle, sans que l’effusion de leur généreux sang tourne en délire le ressentiment actuel des villes et des campagnes contre les anciennes oppressions? Laissez alors le prévôt suivre sans obstacles, comme sans remords, son système d’assassinats ! “Bientôt, dans une ville qui n’aura plus de citoyens, qui n’aura que des esclaves, le père dira d’une voix tremblante à son fils : « Vois-tu cet « échafaud ? G est celui des citoyens qui osèrent « parler en faveur de la liberté : apprends à souf-« frir ; mais échappe au supplice. » Le vieillard timide dira à celui qui oserait compter sur la générosité d’un peuple qu’il voudrait défendre : « Malheureux ! vois ces poteaux ; celui qui y fut « flétri, quatre-vingt mille de ses concitoyens le « regardèrent comme innocent, et il succomba. « Laissez, laissez périr à son tour une patrie qui t laisse ainsi périr la vertu. » Je me trompe : bientôt aussi les victimes du prévôt trouveront des vengeurs ; bientôt la nation entière, humiliée et encore plus indignée de tant d’horreurs, détruira tout à la fois ces scandaleux monuments d’une jurisprudence discordante, qui avilissaient notre ancienne constitution ; et si, pour avoir abandonné l’innocence, l’humanité vous condamne ; si vous devenez des objets d’effroi pour la génération présente ; si vous n’offrez (1) On ne trouve parmi les accusés que des négociants du second ordre, cinq avocats, un conseiller de l’amirauté. Que sont ces hommes là à côté de leurs accusateurs ? Ont-ils jamais eu un intendant à leur table ? Etaient-ils ici comptés pour quelque chose ? (Note de Mirabeau.) aux étrangers, cette postérité vivante, que la plus escarpée, que la plus sombre des routes de la liberté, au milieu de tant de désastres, une consolation vous reste : la politique, et j’en frémis, l’impitoyable politique saura du moins vous absoudre. Je conclus à ce qu’il soit arrêté que le décret du 8 décembre soit confirmé ; qu’au moyen de ce, toutes les procédures instruites depuis le 19 du mois d’août dernier, dans la ville de Marseille, seront renvoyées, soit à la sénéchaussée de cette ville, pour y être jugées en dernier report, soit au prévôt général le plus voisin, lequel prendra ses assesseurs dans ladite sénéchaussée ; et cependant, que le décret du 8 décembre sera révoqué au chef portant le renvoi du sieur de Bournissac, prévôt général de Provence, et le sieur Laget, son procureur du Roi au Châtelet ; qu’en outre , les citoyens décrétés par le prévôt, soit qu’ils aient été saisis, soit qu’ils ne l’aient pas été, pourront être admis, nonobstant lesdits décrets, aux nouvelles charges municipales, à l’exception des accusés pris en flagrant délit le 19 août, et qu’à cet effet, les prisonniers, autres que ces derniers, seront élargis ; qu’enfin, l’Assemblée tenante, il sera fait une députation au Roi pour supplier 8a Majesté d’accorder incessamment les lettres-patentes exécutoires du présent décret. M. l’abbé Maury demande la parole. Voix nombreuses . L’ajournement à la séance de jeudi soir. L’ajournement est mis aux voix et prononcé. M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de demain pour neuf heures du matin . ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. TARGET. Séance du mercredi 2" janvier 1790 (1). M. Darrère de "Vleu*ae, l'un de MM. les secrétaires, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. M. Leleu de La 'Ville-Aux-Bois demande une modification daus le décret concernant le département du Soissonnais et du Vermandois, où il est dit que la première assemblée de département se tiendra à Ghauny. 11 pense que l’Assemblée nationale n’a eu qu’un but, c’est de permettre aux électeurs, réunis dans une ville neutre, de décider, sans subir les influences locales, si le chef-lieu du département sera fixé à Laon ou à Soissons, sauf à se réunir ensuite au chef-lieu. M. Rabaud de Saint-Etienne appuie cette réclamation. M. le Président consulte l’Assemblée qui décide que les électeurs se réuniront à Ghauny pour déterminer seulement quelle ville, de Laon ou de Soissons, sera chef-lieu de département. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.